Dossier Les nouveaux modèles familiaux Portrait du psychologue André Forest
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Le narcissisme des figures parentales dans l’œdipe<br />
Le narcissisme est le sentiment d’être quelqu’un de valeur,<br />
d’être estimé, voire admiré. Il se bâtit dès le premier jour de<br />
la vie par des soins suffisamment bons et se consolide ou se<br />
fragilise selon divers facteurs jusqu’à la mort. Un narcissisme<br />
bien intégré peut se faire oublier ; il se manifeste cliniquement<br />
dans ses manques ou ses excès. Chez le parent ou beauparent,<br />
un narcissisme trop important occulte l’autre, le fait<br />
passer loin derrière soi et empêche l’empathie. Ces personnes<br />
exigent des autres, a<strong>du</strong>ltes et enfants, d’être à leur image et<br />
ils ne supportent pas la rivalité, rivalité à laquelle la recomposition<br />
les expose. En effet, la présence d’un enfant issu d’une<br />
union précédente rappelle continuellement que le conjoint<br />
a déjà eu un projet de vie et une famille avant soi. De puissantes<br />
émotions non élaborées comme la colère et l’envie peuvent<br />
entraver le développement <strong>du</strong> lien a<strong>du</strong>lte-enfant et l’identification<br />
de l’enfant à cet a<strong>du</strong>lte. À l’inverse, un narcissisme trop<br />
faible entraîne l’effacement de soi et peut être handicapant<br />
dans la recomposition, où il faut prendre sa place et essuyer<br />
quelques critiques ou, pire, l’indifférence, et ce, sans se sentir<br />
attaqué dans sa personne.<br />
L’espace beau-parental : autorité et ordre générationnel<br />
Si l’on est d’accord avec l’idée qu’un enfant peut très bien être<br />
élevé et aimé par des parents non biologiques, la coexistence<br />
de plusieurs a<strong>du</strong>ltes ayant une fonction parentale intro<strong>du</strong>it<br />
la notion de pluriparentalité. La nouvelle famille a besoin de<br />
réfléchir à organiser une pluriparentalité ordonnée sans<br />
confusion des places ni des responsabilités (Audibert, 2009).<br />
L’espace <strong>du</strong> beau-parent doit être cocréé et soutenu par le parent,<br />
au même titre que l’espace paternel est créé par la mère<br />
et investi par le père dans la famille traditionnelle. Le problème<br />
<strong>du</strong> beau-parent est d’arriver après l’enfant, ce qui inverse la<br />
chronologie ordinaire où l’enfant arrive après la formation <strong>du</strong><br />
couple de ses parents. L’ordre générationnel a besoin d’être<br />
rétabli, mais cela ne peut se faire qu’avec un certain tact pour<br />
que les enfants l’acceptent. Le parent doit soutenir l’autorité<br />
de son nouveau conjoint; il ne peut lui demander de seulement<br />
aimer son enfant sans jamais le réprimander. Autrement, si le<br />
beau-parent n’a pas son mot à dire dans l’é<strong>du</strong>cation de l’enfant,<br />
l’enfant peut croire à sa toute-puissance vis-à-vis de la parole<br />
de l’a<strong>du</strong>lte. Sa traversée de l’œdipe est compromise : le renoncement<br />
n’est pas intégré, alors le surmoi 1 vacille.<br />
La famille homoparentale<br />
La triangulation est au cœur de l’œdipe, à savoir que l’enfant<br />
n’est pas seul au monde dans une dyade fusionnelle avec sa<br />
mère, mais qu’il existe des tiers. Le tiers principal, dans la<br />
famille homoparentale, est l’autre parent de même sexe. <strong>Les</strong><br />
tiers secondaires, grands-parents, oncles, tantes, ne sont pas<br />
à négliger dans la résolution de l’œdipe.<br />
Chez les couples homosexuels lesbiens, on observe presque<br />
tout le temps une mère biologique et une mère sociale.<br />
La mère sociale décrit son rôle en des termes évoquant la fonction<br />
paternelle, soit le tiers séparateur qui d’abord soutient<br />
la mère biologique dans l’expérience corporelle et psychique<br />
de la maternité (grossesse, accouchement, allaitement) et qui<br />
ensuite entend partager sa vision <strong>du</strong> monde et des activités<br />
tournées vers l’extérieur avec l’enfant (Feld-Elzon, 2010). Chez<br />
les couples homosexuels d’hommes, le partage des rôles sur<br />
lequel l’enfant s’appuiera lors de son complexe d’Œdipe se<br />
fait en fonction des affinités et de la bisexualité psychique des<br />
parents. La bisexualité psychique est la capacité à s’identifier<br />
inconsciemment et précocement à des personnes ou à<br />
des caractéristiques de l’un ou l’autre sexe (Feld-Elzon, 2010).<br />
Tout indivi<strong>du</strong>, hétérosexuel ou homosexuel, présente des<br />
tendances, des pulsions et des caractéristiques masculines<br />
et féminines. L’enfant s’identifie donc aux aspects masculins<br />
et féminins de ses deux pères ou de ses deux mères, ainsi<br />
qu’à ces mêmes caractéristiques chez ses autres figures<br />
parentales. Des recherches démontrent en effet que la grande<br />
majorité des couples homosexuels cherchent à entourer leurs<br />
enfants de parrains et de marraines justement pour leur fournir<br />
des repères quotidiens quant à la différence des sexes (Heenen-Wolff<br />
et Moget, 2011).<br />
Conclusion<br />
Cet article s’est voulu une revue, certes rapide, des enjeux<br />
intrapsychiques <strong>du</strong> complexe d’Œdipe, un complexe qui rencontrera<br />
des fixations ou sera résolu, quelle que soit la forme<br />
de la famille. Il est possible qu’un travail psychique supplémentaire<br />
incombe aux enfants issus de familles recomposées ou<br />
homoparentales, au même titre que chaque enfant doit composer<br />
avec les désirs et les incomplétudes de ses parents<br />
(Heenen-Wolff et Moget, 2011). Vis-à-vis des clients, a<strong>du</strong>ltes ou<br />
enfants, évoluant dans une famille recomposée, homoparentale<br />
ou les deux en même temps, le thérapeute peut élargir sa<br />
compréhension des enjeux œdipiens à l’œuvre, puis les restituer<br />
dans des termes accessibles. À titre d’exemple, le besoin<br />
de soutien dans l’établissement de l’autorité <strong>du</strong> beau-parent<br />
est un cas clinique assez fréquent.<br />
Note<br />
1. Le surmoi est une instance psychique qui in<strong>du</strong>it un sentiment de culpabilité et réfrène<br />
les indivi<strong>du</strong>s dans leurs actes. Le surmoi est à la base de la conscience morale.<br />
Bibliographie<br />
Alberti, C., et Sauret, M.-J. (1996). La psychanalyse. Toulouse : Éditions Milan.<br />
Audibert, C. (2009). Œdipe et Narcisse en famille recomposés [sic] : enjeux psychiques<br />
de la recomposition familiale. Paris : Payot.<br />
Feld-Elzon, E. (2010). Homoparentalité – Bisexualité – Tiercéité. Impact <strong>du</strong> projet d’enfant<br />
et de l’IAD sur la bisexualité. Revue belge de psychanalyse, vol. 56, nº 1, p. 35-60.<br />
Heenen-Wolff, S., et Moget, E. (2011). Homoparentalité et sexualité.<br />
Cahiers de psychologie clinique, vol. 37, nº 2, p. 231-245.<br />
Ribas, D. (2012). Adoption par les couples homosexuels : la psychanalyse n’a pas<br />
à dire la loi. Revue française de psychanalyse, vol. 76, nº 5, p. 1713-1718.<br />
30 | Psychologie Québec, vol. 32, n o 6 | DOSSIER