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Polyglossia 2017

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Le rire universel<br />

Nay Abi Samra<br />

For Nay Abi Samra, the realisation that humour is<br />

Alors, pour reprendre, pour une raison ou<br />

not transnational offers the chance to compare identi-<br />

pour une autre je me retrouvais ici. Je riais tou-<br />

ty politics, political correctness and socialism in<br />

France, Lebanon and the UK.<br />

jours aussi fort, de ce même rire un peu ridicule<br />

qui a tendance à partir en fou rire au quart de<br />

Rire. Je ris très souvent. Je pense que ça<br />

tour. Je ne pourrais l’expliquer, mais rire laissait<br />

arrive à tout le monde de rire. Il s’agit d’une ac-<br />

en moi un arrière-goût d’énergie, comme une<br />

tion qui consiste à contracter les muscles du<br />

sorte de décharge électrique. Pendant quelques<br />

visage, changer le rythme de sa respiration et<br />

secondes je pensais être invincible, pouvoir<br />

passer dans un état d’euphorie éphémère. On<br />

changer et sculpter le monde au rythme de mon<br />

parle là d’une action essentiellement inoffen-<br />

rire. C’était une passion que je ne me retenais<br />

sive et surtout très bénéfique pour le corps et<br />

jamais de partager avec quiconque croisait mon<br />

l’âme de tout être humain. Je m’étais toujours<br />

chemin.<br />

dit que rire ne pouvais que faire du bien à tous :<br />

Par un simple rire, on pouvait tout changer.<br />

Hélas, on pouvait tout changer, et pour cela je<br />

dus grandir. J’observais les autres rire, je contemplais<br />

leurs mouvements, je scrutais leur<br />

état d’âme et puis je me rendais compte que<br />

derrière chaque rire, il y avait une raison pour<br />

rire. On nomme souvent cette raison ‘humour’.<br />

Quel drôle de mot !<br />

Un jour, je reçus un email. Un email tout<br />

aussi inutile que tous les cinq cents autres que<br />

je recevais tous les jours à Cambridge. Le hasard<br />

fit en sorte que je lise cet email. Apparemment,<br />

il existait ce que l’on appelle un ‘BME<br />

officer’ (Black and Ethnic Minorities officer).<br />

Soudainement, mon rire se transforma en<br />

amertume. J’interrompais ma conversation et<br />

exprimais ma surprise. Pourquoi ? Cette<br />

Et c’est à ce moment-là que je compris<br />

que le rire universel n’existait pas et qu’il<br />

n’avait jamais existé. On ne riait pas du même<br />

ton ici. On riait sèchement, on riait banalement<br />

et surtout pas au noir. On riait de ce que je pensais<br />

inriable et ce qui me semblait hilarant était<br />

complètement tabou dans ce pays. Pourquoi<br />

est-ce que je parle du rire et de la politique de<br />

ce qui nous fait pleurer. En France, on rit parce<br />

qu’on ne pense pas qu’il devrait y avoir une<br />

quelconque différence entre noir ou blanc, entre<br />

juif ou musulman, entre hétérosexuel ou autre…<br />

En France on pense que l’humour noir est<br />

justement la preuve que l’on a dépassé tout<br />

stade de discrimination. On pourrait rire des<br />

arabes comme on rit des blondes, on pourrait<br />

Un matin, je me réveillais dépaysée.<br />

représentation me semblait complètement irra-<br />

représentation identitaire dans un même arti-<br />

rire des noirs comme on rit de Toto. On ne rit<br />

Pourquoi ? J’avais laissé ma vie derrière moi<br />

tionnelle et absurde. Je demandais des explica-<br />

cle ? En France et au Liban, on rit de tout. On rit<br />

pas pour blesser, on rit des failles humaines. On<br />

pour vivre la fameuse « Cambridge adventure ».<br />

tions à celle qui était avec moi. Elle sourit.<br />

de Daesh, on rit du racisme, on rit du sexisme,<br />

rit du monde. On rit de ce qui est ou a été une<br />

J’avais toujours cru à ce que j’appelle, ou plutôt<br />

Pourquoi devrais-je bénéficier d’une représen-<br />

on rit de sexe, on rit de la politique, on rit de la<br />

fois concret. On rit de façon inoffensive. Au Roy-<br />

j’appelais, le rire universel. Comme quoi le rire<br />

tation différente de celle d’une personne<br />

société, on rit de notre ridicule, on rit de notre<br />

aume Uni, on ne rit pas de ces choses-là, on a<br />

serait une communication internationale, une<br />

seule langue qui nous uni tous. Je pensais que<br />

rire au Liban, c’était comme rire en France, en<br />

Angleterre, au Japon ou en Ouganda. Naïve ?<br />

Oui, je le sais bien.<br />

‘blanche’ seulement parce qu’un de mes passeports<br />

était bleu ? L’absurdité de la chose me<br />

transcendait. Mon amie m’expliqua alors le<br />

concept de la représentation identitaire au Royaume<br />

Uni. Je ne vous cacherais pas mon désaccord<br />

fondamental.<br />

histoire, on rit de nous-mêmes et des autres. On<br />

ne rit pas pour moquer, on rit soit pour survivre<br />

soit parce que l’on ne croit pas en des différences<br />

fondamentales et qu’on pense pouvoir<br />

franchir le deuil que nous impose l’Histoire. Au<br />

Liban, on rit parce qu’il faudrait mieux rire de<br />

trop peur. Peur de son histoire coloniale, peur de<br />

l’erreur humaine, peur de soi-même.<br />

Le rire noir est un descendant du socialisme.<br />

Le rire noir est autorisé ou pas selon le<br />

socialisme établit dans le pays. En France, le<br />

socialisme veut l’abolition des différences de<br />

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