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VOYAGE HARASSANT d’une journée,<br />
Walter Benjamin et ses compagnons<br />
d’infortune arrivent en gare<br />
de <strong>Nevers</strong>. Ils doivent rejoindre à pied et sous<br />
escorte leurs lieux d’internement. Pour Walter<br />
Benjamin c’est le château de Vernuche situé à sept<br />
kilomètres (actuellement rue Colette à Varennes-<br />
Vauzelles). Très affaibli par ces journées dans le<br />
stade et par le voyage, et malade du cœur, il fait un<br />
malaise pendant le trajet. Un jeune homme qui,<br />
depuis Colombes, s’était attaché à lui et l’avait<br />
aidé, prend en charge sa lourde petite valise remplie<br />
surtout de livres et de papiers. Après deux heures<br />
de marche, ils arrivent à la nuit au château de<br />
Vernuche, grande bâtisse complètement vide. On<br />
les répartit par étages et par pièces et, épuisés, ils<br />
s’étendent à même le sol pour dormir. Le lendemain,<br />
ils découvrent qu’ils vont devoir vivre à près<br />
de 300 dans un bâtiment dénué de tout confort.<br />
<strong>Mai</strong>s très vite les internés s’organisent : ils construisent<br />
des latrines dans le parc, posent des<br />
conduites d’eau, tirent des lignes électriques,<br />
confectionnent des paillasses, trouvent des couvertures,<br />
se procurent une marmite à la cantine des<br />
soldats qui les gardent, fabriquent des gamelles et<br />
des gobelets avec des boîtes de conserve. Le troc<br />
fonctionne avec différents objets : cigarettes, boutons,<br />
clous, crayons… Ainsi, comme l’écrit Hans<br />
Sahl : « ...bientôt sortit du néant une communauté<br />
qui commença à fonctionner. Du chaos et du désarroi<br />
naquit une société ».<br />
crédit photos : droits réservés. C’EST À LA MI-SEPTEMBRE QU’APRÈS UN<br />
WALTER BENJAMIN, LUI, A INSTALLÉ SA PAILLASSE SOUS UN ESCALIER<br />
dans un réduit où l’on ne pénètre qu’à quatre pattes et que son<br />
jeune disciple a fermé par une vieille toile de sac. <strong>Mai</strong>s cet isolement<br />
est tout relatif ; l’intellectuel désemparé et à la santé fragile<br />
qu’il est, souffre de la promiscuité, du bruit, du dénuement. Malgré tout, il<br />
apporte sa contribution à la communauté en donnant des cours de philosophie<br />
en plein air pour auditeurs avertis qui le rémunèrent en cigarettes ou boutons<br />
de culottes ! Et puis l’espoir de pouvoir sortir du camp pour se rendre à<br />
<strong>Nevers</strong>, comme le font deux détenus cinéastes qui sont censés préparer un<br />
film, l’incite à créer une revue de haut niveau intellectuel qui permette de montrer<br />
aux français qui sont ceux enfermés ici comme ennemis de la France.<br />
Deux fois par semaine, il organise une réunion des quelques rédacteurs sous<br />
son escalier où sont lus les textes écrits sur du papier d’emballage. <strong>Mai</strong>s la<br />
revue ne verra pas le jour avant leur libération. Walter Benjamin, comme les<br />
autres détenus, a le droit d’écrire deux lettres par<br />
des cours<br />
semaine qui sont soumises à la censure. Dans ses<br />
lettres, il reste discret sur ses difficultés, s’inquiète de philosophie<br />
des interventions de ses amis pour le faire libérer, en plein air contre<br />
se préoccupe de l’impression de son Baudelaire. boutons et cigarettes<br />
Dans une lettre du 12 octobre à Gretel Adorno, il<br />
décrit un rêve qu’il a fait sur la paille et où l’on retrouve de nombreux symboles<br />
de son œuvre. On apprend dans une autre qu’il est en train de lire les<br />
Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Il signale quelques personnalités présentes<br />
à Vernuche ou dans les camps voisins : les écrivains Hans Sahl et<br />
Herman Kesten ; le chef d’orchestre Hans Bruck... <strong>Mai</strong>s il y en avait d’autres<br />
tel le journaliste Hans Fitko (dont l’épouse, Lisa, a témoigné de sa rencontre<br />
Dans le cadre de l’inauguration de l’esplanade Walter-<br />
Benjamin, le samedi 14 mai, une conférence sera proposée<br />
par Bruno Tackels, essayiste et docteur en philosophie, sur<br />
le thème : “Walter Benjamin, quelques traces d’hier et<br />
d’aujourd’hui”... L'épisode de <strong>Nevers</strong> est passionnant pour<br />
lire<br />
et décrypter la pensée profonde du philosophe. Dans sa chair,<br />
il a vécu le "monde des vaincus" ; le seul qui écrit véritablement<br />
l'Histoire. Nous verrons comment ses intuitions profondes<br />
sont précieuses pour comprendre et décrypter les enjeux<br />
de notre monde contemporain dans ses multiples facettes.<br />
Conférence le samedi 14 mai à 15h30 à l’auditorium<br />
patrimoine<br />
humain et<br />
événementiel<br />
L’internement<br />
au camp de Vernuche Un prisonnier exemplaire<br />
avec W. Benjamin) ou l’homme de théâtre<br />
Max Schlessinger. Pendant ce temps,<br />
ses amis et admirateurs se sont mobilisés<br />
pour démontrer à la Commission<br />
interministérielle chargée de statuer sur<br />
chaque cas que la fidélité de Benjamin à<br />
la France et son opposition au Reich<br />
sont indiscutables. Ils y arrivent finalement<br />
et il est libéré de Vernuche le 16<br />
novembre 1939. <strong>Mai</strong>s n’arrivant pas<br />
véritablement à se décider à quitter<br />
Paris et sa chère Bibliothèque Nationale<br />
- quant il en était encore temps - il ne<br />
fuit la capitale qu’à l’arrivée des<br />
Allemands. Et après quelques tentatives<br />
ratées pour quitter la France, il arrive à<br />
passer la frontière espagnole à pied<br />
entre Banyuls et Port-Bou. Menacé<br />
d’être renvoyé en France, il se suicide le<br />
26 septembre 1940.<br />
une esplanade Walter-Benjamin à <strong>Nevers</strong> Bibliographie<br />
- “Walter Benjamin,<br />
Une vie dans les textes”<br />
de Bruno Tackels -<br />
Paris, Acte Sud (2009).<br />
- "Walter Benjamin,<br />
les découvertes d’un flâneur"<br />
in Magazine littéraire,<br />
n°408 (avril 2002).<br />
Rédaction : Jean-Louis BALLERET.<br />
Service municipal<br />
d’Animation du Patrimoine :<br />
contact au 03.86.68.46.25.<br />
in magazine <strong>Nevers</strong> ça me botte n°173 - avril/mai <strong>2011</strong>