l'iliade. - Comptes rendus sur la littérature ancienne et moderne de ...
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Notes du mont Royal<br />
www.notesdumontroyal.com<br />
Ceci est une œuvre tombée<br />
dans le domaine public, <strong>et</strong><br />
hébergée <strong>sur</strong> « Notes du mont<br />
Royal » dans le cadre d’un exposé<br />
gratuit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>.<br />
Source <strong>de</strong>s images<br />
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I>"(i(f<br />
L'ILIADE,<br />
TRADUCTION NOUVELLE EN VERS FRANÇAIS,
IMPRIMERIE DE J. GRATÏOT,<br />
RUE BU FOIN SAINT-JACQUES, MAISON DE LA REINE BLANCHE.
i^mlmcfwtt mweïïe m nts français,<br />
PRECEDEE<br />
D'UN ESSAI SUR L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE,<br />
PAR A. BIGNAN.<br />
TOME SECOND.<br />
BELIN - M AND AR, LIBRAIRE ,<br />
Rue Saiot-Andrc-<strong>de</strong>s-Arcs | n" 55.<br />
1830.<br />
SO1206
SOMMAIRE DU CHANT ONZIEME.<br />
Agamemnon se revêt <strong>de</strong> ses armes, conduit les Grecs au combat9 <strong>et</strong><br />
se r<strong>et</strong>ire blessé, après avoir immolé un grand nombre <strong>de</strong> Troyens.—<br />
Triomphe d'Hector. — Diomê<strong>de</strong> <strong>et</strong> Ulysse sont secourus par Ajax.<br />
*— Machaon blessé est ramené au camp par Nestor. — Nestor exhorte<br />
Patrocle à fléchir le courroux. d'Achille.
LILIADE.<br />
CHANT ONZIÈME.<br />
—saocs»<br />
Quand l'Aurore, éc<strong>la</strong>irant les mortels <strong>et</strong> les dieux,<br />
Quitte le beau Tithon pour monter vers les cieux,<br />
Jupiter a parlé ; dans sa main sanguinaire<br />
La Discor<strong>de</strong> agitant le signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre ,<br />
Sur le grand vaisseau noir par Uljsse amené<br />
S'arrête menaçante, <strong>et</strong> sa voix a tonné<br />
Jusqu'aux <strong>de</strong>ux bouts du catnp où d'Ajax <strong>et</strong> d'Achille<br />
Les navires lointains trouvent un <strong>sur</strong> asjle :<br />
Là, «Fun seul <strong>de</strong> ses cris les effrayans éc<strong>la</strong>ts<br />
J<strong>et</strong>tent au <strong>et</strong>eiir <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s combats ,<br />
Et les Grecs, oublieux <strong>de</strong> leur rive chérie,<br />
Préfèrent ces <strong>et</strong>oobats à leur douce patrie.
4 L'ILIADE.<br />
Agamemnori comman<strong>de</strong> f <strong>et</strong> soumis à sa voix 1<br />
Les nombreux Àrgiens s'arment tous à <strong>la</strong> fois.<br />
Lui-même , le premier f le magnanime Atri<strong>de</strong> f<br />
Impatient, saisit l'appareil homici<strong>de</strong>.<br />
D'abord par le secours <strong>de</strong>s agrafes d'argent<br />
Le bro<strong>de</strong>quin s'attache à son pied "diligent ;<br />
Sa poitrine revêt <strong>la</strong> cuirasse guerrière f<br />
De Cinyre dans Gypre offran<strong>de</strong> hospitalière ,<br />
Lorsque le bruit courut que les Grecs <strong>sur</strong> les eaux<br />
Vers les murs d'Ilion dirigeaient leurs vaisseaux :<br />
L'or j l'étain <strong>et</strong> Pacier, j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> vives f<strong>la</strong>mmes,<br />
Par un savant accord y confondaient leurs <strong>la</strong>mes ,<br />
Et <strong>sur</strong> les <strong>de</strong>ux côtes serpentaient trois dragons,<br />
Dont les replis d'azur imitaient ces rayons ,<br />
Signes étince<strong>la</strong>ns ? tuté<strong>la</strong>ires présages ,<br />
Gravés par Jupiter <strong>sur</strong> le front <strong>de</strong>s nuages»<br />
Son g<strong>la</strong>ive , étoile d'or <strong>et</strong> ceint du baudrier ?<br />
Dans le fourreau d'argent repose, prisonnier 1<br />
Et son lourd bouclier, vaste <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> armure,<br />
Dont dix cercles d'airain composent <strong>la</strong> bordure 7<br />
Sur l'acier rembruni présente <strong>la</strong> Terreur,<br />
La Fuite, <strong>et</strong> <strong>la</strong> Gorgone aux regards pleins d'horreur?
CHANT ONZIÈME. S<br />
Tandis qu'un noir dragon <strong>sur</strong> <strong>la</strong> souple courroie ,<br />
Fier <strong>de</strong> sa triple tête, en rampant se déploie.<br />
Le casque radieux <strong>et</strong> d'aigr<strong>et</strong>tes orné,<br />
B f un panache ondoyant s'élève couronné ,<br />
S*agite f <strong>et</strong> dispersant le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> l'épouvante ,<br />
Vomit à flots épais sa crinière mouvante.<br />
Enfin <strong>de</strong>ux javelots, munis d'un <strong>la</strong>rge fer,<br />
De leurs feux jusqu'au ciel font rejaillir l'éc<strong>la</strong>ir,<br />
Et Minerve <strong>et</strong> Junon par leurs c<strong>la</strong>meurs soudaines-<br />
Honorent le grand roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> riche My cènes.<br />
A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> leurs chefs , les pru<strong>de</strong>ns écuyers<br />
Près du fossé profond r<strong>et</strong>iennent les coursiers.<br />
Suivis <strong>de</strong>s cavaliers, les fantassins en armes<br />
Marchent ; un bruit <strong>de</strong> guerre annonce les a<strong>la</strong>rmes.<br />
Jupiter 5 excitant <strong>de</strong>s transports furieux 1<br />
D'une épaisse rosée ensang<strong>la</strong>nte les cieux ;<br />
Car, en ce jour fatal, dans les sombres abymes<br />
Son courroux plongera d'innombrables victimes.<br />
Cependant les Troyens 7 respirant les combats ,<br />
Autour du grand Hector se pressent à grands pas ;<br />
C<strong>et</strong> Enée , honoré comme un dieu tuté<strong>la</strong>ire 7<br />
Ce fier Polydamas que <strong>la</strong> sagesse éc<strong>la</strong>ire ,
6 L'ILIADE.<br />
Ces trois fils généreux <strong>de</strong> l'illustre Anténor,<br />
Acamas, <strong>et</strong> Polybe, <strong>et</strong> le noble Agénor,<br />
Accourent , <strong>et</strong> près d'eux <strong>la</strong> docile pha<strong>la</strong>nge<br />
Sur <strong>la</strong> haute colline avec ar<strong>de</strong>ur se range.<br />
Hector vole à leur tête , <strong>et</strong> son corps tout entier<br />
Se couvre du rempart d'un vaste bouclier.<br />
Gomme un astre ennemi, messager <strong>de</strong>s orages,<br />
Brille ou voile son front chargé d'épais nuages ,<br />
Tel le rapi<strong>de</strong> Hector, enf<strong>la</strong>mmant ses guerriers ,<br />
Se montre aux premiers rangs ou se cache aux <strong>de</strong>rniers^<br />
Et l'œil voit resplendir son armure homici<strong>de</strong><br />
Comme l'éc<strong>la</strong>ir <strong>la</strong>ncé par le dieu <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong>.<br />
Quand d'un homme opulent parcourant les sillons ,<br />
Les ar<strong>de</strong>ns moissonneurs forment <strong>de</strong>ux bataillons i<br />
L'un vers l'autre s'avance , <strong>et</strong> l'active faucille<br />
Coupe <strong>de</strong>s blonds épis <strong>la</strong> flottante famille :<br />
Tels, plongés dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> l'infernal séjour,<br />
Les divers combattans succombent tour à tour.<br />
A leur perte acharnés, comme <strong>de</strong>s loups avi<strong>de</strong>s ,<br />
Sans trembler ni sans fuir, ces héros intrépi<strong>de</strong>s<br />
Expirent, <strong>et</strong> toujours fécon<strong>de</strong> en maux nombreux .<br />
La discor<strong>de</strong> jouit <strong>de</strong> ce spectacle affreux :
CHANT ONZIÈME. y<br />
Elle seule prési<strong>de</strong> aux scènes du carnage ;<br />
Car tous les autres Dieux, loin <strong>de</strong>s champs du courage,<br />
Aux somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'Olympe assis tranquillement,<br />
Dans leurs pa<strong>la</strong>is f du ciel radieux ornement f<br />
Accusent Jupiter, qui, paisible en sa gloire ,<br />
En faveur <strong>de</strong>s Troyens fait pencher <strong>la</strong> victoire.<br />
Mais , r<strong>et</strong>iré loin d'eux <strong>sur</strong> son trône divin ,<br />
Opposant le silence à leur reproche vain ,<br />
Le roi <strong>de</strong> Funivers contemple f ivre <strong>de</strong> joie, 4<br />
Là les vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs , ici les murs <strong>de</strong> Troie ,<br />
Partout l'airain guerrier qui brille dans les rangs ,<br />
Et partout les soldats ou vainqueurs ou mourans.<br />
L'astre sacré du jour vers POlympe s'élève ,<br />
Et chaque peuple expire immolé par le g<strong>la</strong>ive ;<br />
Mais quand le bûcheron qui vit sous ses <strong>de</strong>ux bras<br />
Les arbres orgueilleux tomber avec fracas,<br />
Lassé d'un long travail, dans <strong>la</strong> forêt obscure 1<br />
Apprête <strong>sur</strong> les monts sa douce nourriture,<br />
Les Grecs , s'encourageant par un commun effort ?<br />
Aux pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie ont renvoyé <strong>la</strong> mort.<br />
La vail<strong>la</strong>nce d'Atri<strong>de</strong> éc<strong>la</strong>te signalée ;<br />
Biénor a péri ; l'intrépi<strong>de</strong> Oïlée
8 • L'ILIADE.<br />
S'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> court d'Argos braver le souverain ;<br />
Maïs le fer, dirigé <strong>sur</strong> son casque d f airain ,<br />
Jusques à Fos pénètre , <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe mortelle<br />
Dans le crâne fendu disperse sa cervelle.<br />
Quand Fun <strong>et</strong> l'autre expire, Atri<strong>de</strong> en même temps<br />
Laissant à nu leurs seins <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncheur éc<strong>la</strong>tans ,<br />
Fier d'avoir détaché leur superbe tunique ,<br />
Se j<strong>et</strong>te avec fureur <strong>sur</strong> un couple héroïque ;<br />
Conçus j Fun par l'hymen , <strong>et</strong> l'autre par l'amour ,<br />
Tous les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> Priam avaient reçu le jour :<br />
Isus guidait le char ; fameux dans les batailles , .<br />
Antiphus près <strong>de</strong> lui <strong>la</strong>nçait les funérailles.<br />
Lorsque jadis , an sein d'un perfi<strong>de</strong> repos,<br />
Ils paissaient <strong>sur</strong> l'Ida leurs dociles troupeaux-,<br />
Avec <strong>de</strong>s nœuds d'osier serrant leurs mains captives 7<br />
Achille , leur vainqueur, les traîna <strong>sur</strong> ces rives :<br />
Une forte rançon avait brisé leurs fers ;<br />
Mais leur âme est promise au courroux <strong>de</strong>s enfers.<br />
Le trait d'Agamemnon , parti d'une main sûre ,<br />
Enfonce au cœur dTsus sa rapi<strong>de</strong> bles<strong>sur</strong>e.<br />
Antiphus, par le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> tempe percé ,<br />
Expire , <strong>et</strong> <strong>de</strong> son char succombe renversé.
CHANT ONZIÈME. 9<br />
Atri<strong>de</strong> les dépouille -, <strong>et</strong> son œil immobile<br />
S ? étonne-<strong>de</strong> revoir les prisonniers d f Achille.<br />
Lorsqu'un lion , <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> d f ëcume couvertr<br />
Ravit <strong>de</strong>s faons craintifs à leur antre désert,<br />
Brise leur jeune vie <strong>et</strong> leurs forces naissantes 9<br />
Et fait craquer leurs os entre ses' <strong>de</strong>nts puissantes,<br />
La biche, <strong>de</strong> leur mort inutile témoin ?<br />
Sans pousser un seul cri? se précipite au loin ,<br />
Echappe au monstre <strong>et</strong> court! <strong>de</strong> sueur dégouttante,<br />
Cacher dans les forêts sa frayeur hal<strong>et</strong>ante :<br />
Tels les Troyens ont vu succomber <strong>et</strong> mourir<br />
Le couple que leur fer n'ose pas secourir.<br />
Comme un lion fougueux 7 Agamemnon attaque<br />
Les belliqueux enfans du perfi<strong>de</strong> Antimaque ,<br />
Hippoloque <strong>et</strong> Pïsandre. Antimaque autrefois ,<br />
Elevant pour Paris sa mercenaire voix ,<br />
Ne permit pas qu'Hélène , à Méné<strong>la</strong>s rendue ?<br />
Pour son nouvel époux fut sans r<strong>et</strong>our perdue.<br />
Le Grec impatient trouve ces <strong>de</strong>ux guerriers<br />
Sur un seul char traîné par d'agiles coursiers ;<br />
D f un palpitant effroi leurs âmes sont frappées ,<br />
Et <strong>de</strong> leurs faibles mains les rênes échappées
io L'ILIADE.<br />
Glissent ; tous <strong>de</strong>ux alors se j<strong>et</strong>tent à genoux :<br />
« Grâce ! épargne nos jours, Atri<strong>de</strong> ! sauve-nous.<br />
Une immense rançon <strong>de</strong>viendra ton sa<strong>la</strong>ire.<br />
Tous ces monceaux d'airain qu'amassa notre père ,<br />
Tout mn fer, tout son or, tous ses biens sont à toi ,<br />
Si nous vivons du moins enchaînes sous ta loi. »<br />
Ils pleurent: insensible à leur voix humble <strong>et</strong> douce,<br />
Par ce refus terrible Atri<strong>de</strong> les repousse :<br />
« Quand le divin Ulysse, escortant Méné<strong>la</strong>s,<br />
Ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s Grecs, porta chez vous ses pas,<br />
Antimaque voulut le meurtre <strong>de</strong> mon frère....<br />
C'est aux fils à payer les attentats du père. »<br />
Sous sa <strong>la</strong>nce, à ces mots, Pisandre a succombé,<br />
Et du haut <strong>de</strong> son char son cadavre est tombé.<br />
Hippoloque <strong>de</strong>scend; Atri<strong>de</strong>, qui l'arrête,<br />
Lui tranche avec le fer les <strong>de</strong>ux mains <strong>et</strong> <strong>la</strong> tête,<br />
Et parmi les soldate, le front ensang<strong>la</strong>nté,<br />
Gomme un mortier <strong>de</strong> pierre, au loin est rej<strong>et</strong>é.<br />
Aux rangs les plus épais , pour venger ses injures,<br />
Accompagné <strong>de</strong>s Grecs aux bril<strong>la</strong>ntes chaus<strong>sur</strong>es,<br />
Il s'é<strong>la</strong>nce , <strong>et</strong> soudain , fantassins , écuyers<br />
S'attaquent en croisant leurs g<strong>la</strong>ives meurtriers,
CHANT ONZIÈME. n<br />
Et sous leurs pas bruyans une épaisse poussière<br />
Tourbillonne, envahit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine toute entière.<br />
Atri<strong>de</strong>, inébran<strong>la</strong>ble au milieu <strong>de</strong>s hasards,<br />
Anime ses soldat» <strong>et</strong> presse les fuyards, t<br />
Sur l'aile <strong>de</strong>s autans quand <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme emportée<br />
Ravage une forêt par le fer respectée,<br />
Se disperse , <strong>et</strong> partout <strong>de</strong> son fougueux torrent<br />
Roule avec un long bruit le courroux dévorant,<br />
Les arbres consumés, que le vent déracine ,<br />
De leurs brû<strong>la</strong>ns débris étalent <strong>la</strong> ruine :<br />
Tels les nombreux Troyens, dans leur fuite immolés,<br />
Sous les coups du vainqueur tombent amoncelés.<br />
Par <strong>de</strong>s chemins'sang<strong>la</strong>ns les chevaux intrépi<strong>de</strong>s<br />
Ont entraîné les chars r<strong>et</strong>entissans <strong>et</strong> vi<strong>de</strong>s,<br />
Gomme s'ils regr<strong>et</strong>taient leurs pru<strong>de</strong>ns conducteurs,<br />
Qui, promis à <strong>la</strong> faim <strong>de</strong>s vautours <strong>de</strong>structeurs,<br />
Pour leurs femmes en <strong>de</strong>uil obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />
Gisent défigurés dans un tombeau <strong>de</strong> sable.<br />
Tandis que Jupiter, loin du meurtre <strong>et</strong> du sang,<br />
Loin du théâtre impur d'un combat menaçant,<br />
R<strong>et</strong>ient Hector, <strong>de</strong>s Grecs enf<strong>la</strong>mmant le courage,<br />
Atri<strong>de</strong> dans les rangs précipite sa rage.
<strong>la</strong> L'ILIADE.<br />
Près du figuier sacré, vers le tombeau d'Ilus,<br />
De c<strong>et</strong> ancien mortel, enfant <strong>de</strong> Dardanus,<br />
Les Troyens, empressés <strong>de</strong> rentrer dans leur ville,<br />
De leurs foyers sauveurs re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt Fasyle ;<br />
Leur vol franchit l'espace avec célérité.<br />
Terrible, l'œil en feu, le vainqueur irrité,<br />
Poursuivant <strong>de</strong> ses cris leur troupe'épouvantée,<br />
Baigne encor <strong>de</strong> leur sang sa main ensang<strong>la</strong>ntée.<br />
Lorsqu'aux portes <strong>de</strong> Seée ils parviennent enfin,<br />
La foule, s'arrétant sous le hêtre' divin,<br />
Attend ses compagnons, qu'au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
Egare en longs détours une fuite incertaine.<br />
Un troupeau, mugissant dans l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit,<br />
A l'aspect d'un lion se disperse <strong>et</strong>'s'enfuit,<br />
Quand le monstre saisit une génisse errante,<br />
Lui présente <strong>la</strong> mort terrible <strong>et</strong> dévorante,<br />
Brise sa jeune tête <strong>et</strong> ses flexibles os,<br />
Et s'abreuve du sang qui ruisselle à grands flots :<br />
Ainsi chaque Troyen cè<strong>de</strong> au courroux d'Atri<strong>de</strong>,<br />
Qui frappe le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong>,<br />
Et tous, précipités du faîte <strong>de</strong> leurs chars,<br />
Jonchent le sol poudreux <strong>de</strong> leurs membres épars.
CHANT ONZIÈME. - i5<br />
Quand Pergâme déjà sous ses hautes murailles<br />
Le voyait promener <strong>de</strong> vastes funérailles ,<br />
Le père <strong>de</strong>s mortels.<strong>de</strong>scend <strong>sur</strong> les,'coteaux<br />
De l'Ida, rafraîchi par <strong>de</strong> nombreux -ruisseaux ,<br />
Et c'est là qu'il appelle, armé, <strong>de</strong> son tonnerre,<br />
Iris aux ailes d'or, sa jeune messagère :<br />
€ Iris ! cours près. d'Hector 5 que ta docile voix<br />
Lui porte sans dé<strong>la</strong>is mes souveraines lois.<br />
Tant que ses yeux verront le héros <strong>de</strong> Mycène<br />
Du meurtre <strong>de</strong>s Troyens.ensang<strong>la</strong>nter l'arène,<br />
Qu'il s'éloigne, content d'exciter les soldats<br />
A soutenir le choc <strong>de</strong> ces ar<strong>de</strong>ns combats.<br />
Si, blessé d'une flèche ou frappé d'une <strong>la</strong>nce,<br />
Sur son char fugitif Agamemnon s'é<strong>la</strong>nce,<br />
Hector reprend sa gloire, <strong>et</strong> sa juste fureur<br />
Aux vaisseaux ennemis renverra <strong>la</strong> terreur j<br />
Jusqu'à l'heure où, couché dans Fempire <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s,<br />
Le soleil fera p<strong>la</strong>ce aux ténèbres profon<strong>de</strong>s* »<br />
Prompte comme les vents, Iris auprès d'Hector,<br />
Des hauteurs "<strong>de</strong> l'Ida, dirige son essor,<br />
Et le trouve , <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> son char magnifique,<br />
Observant les combats d'un regard pacifique.
i* L'ILIADE.<br />
« Hector ? fils <strong>de</strong> Priam, mortel semb<strong>la</strong>ble auxDieexf<br />
Dit-elle , apprends Parrét du souverain <strong>de</strong>s cieux :<br />
Tant que tes yeux verront le héros <strong>de</strong> Mycène<br />
Du meurtre <strong>de</strong>s Troyens ensang<strong>la</strong>nter Parène,<br />
Éloigne-toi, content d'exciter les soldats •<br />
À soutenir le choc <strong>de</strong> ces ar<strong>de</strong>ns combats.<br />
Si, blessé d'une flèche ou frappé d'une <strong>la</strong>nce 7<br />
Sur son char fugitif Agamemnon s'é<strong>la</strong>nce ,<br />
Tu reprendras ta gloire , <strong>et</strong> ta juste fureur<br />
Aux vaisseaux ennemis renverra <strong>la</strong> terreur ,<br />
Jusqu'à Fheure ou , couché dans Fempire <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s,<br />
Le soleil fera p<strong>la</strong>ce aux ténèbres profon<strong>de</strong>s. »<br />
Iris parle <strong>et</strong> s'enfuit : par sa voix enf<strong>la</strong>mmé 1<br />
Hector loin <strong>de</strong> son char s'é<strong>la</strong>nce tout armé,<br />
Et, brandissant ses traits j dans chaque âme réveille<br />
Une ar<strong>de</strong>ur belliqueuse à son ar<strong>de</strong>ur pareille.<br />
Tous s'attaquent <strong>de</strong> front : <strong>de</strong>s Grecs tumultueux<br />
Le Troyen court braver le choc impAueux;<br />
Leurs rangs sont redoublés ^ <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant eux Atri<strong>de</strong><br />
Provoque <strong>de</strong>s combats <strong>la</strong> fureur homici<strong>de</strong>.<br />
Habitantes <strong>de</strong>s cieux , Muses ! dites le nom<br />
Du premier ennemi qu'égorge Agamemnon.
CHANT ONZIÈME. i5<br />
Élevé dans <strong>la</strong> Thrace en troupeaux iorissante 7<br />
Un <strong>de</strong>s fils d'Antenor, à <strong>la</strong> taille imposante,<br />
Iphidamas périt : son aïeul maternel ?<br />
Cissès l'environna d'un amour paternel!<br />
Et, quand son front bril<strong>la</strong> <strong>de</strong>s feux <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse T<br />
A Théano sa file il unit sa tendresse 5<br />
Dès qu'il vit <strong>de</strong> l'hymen s'allumer le <strong>la</strong>mbeau,<br />
Arraché par <strong>la</strong> gloire à son bonheur nouveau,<br />
Ce guerrier, <strong>de</strong>s combats en respirant <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme 7<br />
Traversa les pays qui menaient à Pergame ;<br />
Car aux douze vaisseaux qu'il guida vers ce bord T<br />
Percote avait offert l'asyle <strong>de</strong> son port.<br />
Un léger intervalle à peine les sépare,<br />
Atri<strong>de</strong> <strong>la</strong>nce un trait dont <strong>la</strong> pointe s'égare.<br />
Iphidamas s'indigne T <strong>et</strong> d'un dard meurtrier<br />
Son bras avec vigueur atteint le baudrier ;<br />
Mais les <strong>la</strong>mes d'argent'dont s'enrichit l'armure T<br />
Du trait qui serecouïbe ont écarté Finjure.<br />
Ar<strong>de</strong>nt comme un lion 1 Agamemnon bientôt.<br />
Aux mains dlphidamas ravit le javelot ;<br />
D'un seul coup <strong>de</strong> son fer l'envoyant dans <strong>la</strong> tombe 7<br />
U le frappe à <strong>la</strong> tête... Iphidamas succombe;
16 L'ILIADE.<br />
Un froid sommeil d'airain .charge ses yeux pesans...<br />
L'infortuné périt dans <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> ses ans?<br />
Loin <strong>de</strong> sa chaste épouse, avant que sa tendresse<br />
Du bonheur nuptial ait savouré l'ivresse.<br />
Au Jour <strong>de</strong> son hymen, un si noble héros<br />
Lui donna pour sa dot cent superbes taureaux,<br />
Et lui promit encor mille chèvres sauvages,<br />
Mile brebis, honneur <strong>de</strong> ses gras pâturages...<br />
Atri<strong>de</strong> le dépouille <strong>et</strong> s'éloigne! emportant<br />
Aux yeux <strong>de</strong> tous les Grecs son butin éc<strong>la</strong>tant.<br />
Alors le premier né d'un trop malheureux père,<br />
L'intrépi<strong>de</strong> Goon, qui voit mourir son frère 7<br />
Pftlej les yeux couverts d'un voile <strong>de</strong> douleur,<br />
Contre le meurtrier déployant sa valeur ><br />
Se glisse à ses côtés, se dérobe à sa vue, -<br />
Et lui perce le bras d'une' atteinte imprévue.<br />
Atri<strong>de</strong> a frissonné 9 sans reculer d'un pas :<br />
Toujours impatient <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> trépas,<br />
Armé d'un trait léger ? <strong>sur</strong> Goon il s'é<strong>la</strong>nce ;<br />
Tandis que, pour son frère illustrant sa vail<strong>la</strong>nce,<br />
Goon parmi les morts entraînait ses débris,<br />
Et <strong>de</strong> loin appe<strong>la</strong>it ses guerriers à grands cris?
CHANT ONZIÈME. 17<br />
Par l'airain ennemi sa tête .déchirée<br />
Sur le corps fraternel roule défigurée.<br />
Tel ce couple, égorgé <strong>de</strong>s mains d f Agamemnon 7<br />
Accomplit son <strong>de</strong>stin <strong>et</strong> <strong>de</strong>scend chez Pluton.<br />
Atrï<strong>de</strong> cependant sème un nouveau carnage ;<br />
G<strong>la</strong>ive, <strong>la</strong>nce f rochers, tout secon<strong>de</strong> sa ragé.<br />
Mais du sang tiè<strong>de</strong> encor quand <strong>la</strong> source tarit,<br />
La p<strong>la</strong>ie en se séchant s'envenime <strong>et</strong> s'aigrit;<br />
La souffrance a brisé sa force anéantie.<br />
La fille <strong>de</strong> Junon, <strong>la</strong> cruelle Ilithye<br />
Enfonce un trait aigu dans le sein tourmenté<br />
Par les longues douleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternité :<br />
Tel un mal déchirant jusques au cœur d'Atri<strong>de</strong><br />
Plonge les aîguiEons <strong>de</strong> sa flèche rapi<strong>de</strong> ;<br />
H monte <strong>sur</strong> le charf <strong>et</strong> le char en fuyant<br />
Vers <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs tourne son vol bruyant.<br />
Alors, d'une voix forte Agamemnon s'écrie :<br />
« Amis! enf<strong>la</strong>mmez-vous d'une juste furie.<br />
Repoussez le carnage, <strong>et</strong> que vos bras vengeurs<br />
Sauvent dans ce péril .nos vaisseaux voyageurs.<br />
Jupiter ne veut pas que <strong>sur</strong> les fils <strong>de</strong> Troie<br />
Durant le jour entier ma valeur se déploie. »
18 L'ILIADE.<br />
Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge j à ces mots , l'écuyer presse encor<br />
Des coursiers aux beaux crins l'impétueux essor,<br />
Et, les f<strong>la</strong>ncs tout b<strong>la</strong>nchis d'écume <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière ,<br />
Ils enlèvent leur maître à <strong>la</strong> lice guerrière.<br />
Hector, lorsqu'il a vu s'enfuir Agamemnon , •<br />
Appelle à ses cotés un nombreux bataillon :<br />
« Enfans <strong>de</strong> Dardanus, soldats <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie,<br />
O peuples, que toujours le péril associe 7<br />
Soyez hommes, amis ! Atri<strong>de</strong> s'est enfui f<br />
Et le grand Jupiter m'accor<strong>de</strong> son appui j<br />
Gourez : illustreÉ-vous. » Ce <strong>la</strong>ngage ranime<br />
. Dans le cœur <strong>de</strong>s guerriers une ar<strong>de</strong>ur unanime.<br />
Aux accens du chasseur, comme <strong>de</strong>s chiens ar<strong>de</strong>ns<br />
Arment contre un lion Pivoire <strong>de</strong> leurs' <strong>de</strong>nts ?<br />
Ou, les yeux enf<strong>la</strong>mmés , d'un sanglier sauvage<br />
Poursuivent, <strong>sur</strong> les monts,. <strong>la</strong> bondissante rage :<br />
Tels par les cris d'Hector les combattons poussés<br />
Sur les Grecs fugitifs fon<strong>de</strong>nt à coups pressés. •<br />
Hector, rival du^Dieu qui fait tonner <strong>la</strong> guerre ,<br />
Dép<strong>la</strong>ie au premier rang sa valeur sanguinaire :<br />
Ainsi par les autans un orage excité<br />
Bouleverse <strong>de</strong>s mers <strong>la</strong> sombre immensité.
CHANT ONZIEME. 19<br />
Tant que le roi <strong>de</strong>s cieux protège son audace,<br />
Quel Grec est le premier ? le <strong>de</strong>rnier qu f il terrasse ?<br />
Âséus , Opitès j Dolops, Àutonoûs,<br />
Âgé<strong>la</strong>iis j Esjrmne 1 Ophelte ,'Hipponoûs<br />
Succombent 7 <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule avec ces chefs expire.<br />
Lorsque , long-temps captif, Fimpétueux Zéphire<br />
Souffle <strong>et</strong> dissipe au loin les nuages g<strong>la</strong>ces<br />
A <strong>la</strong> Toix du Notus dans les airs amassés ,<br />
La vague s^enfle} roule , <strong>et</strong> l'écume rapi<strong>de</strong><br />
De flocons b<strong>la</strong>nchissans couvre <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine humi<strong>de</strong> :<br />
Tel sous son g<strong>la</strong>ive ar<strong>de</strong>nt Hector vainqueur abat<br />
Les têtes <strong>de</strong>s héros frappés dans le combat.<br />
Spectateur indigné d f uti immense carnage }<br />
Ulysse s J amië enfin pour borner ce ravage 9<br />
Lorsque ,* <strong>de</strong> leurs vaîâséàiix implorant les abris ?<br />
Les 'Grecs déjà coiiraieftt y cacher leurs débris.<br />
« Diomè<strong>de</strong> ! a-t-fl dît, quelle terreur nèus g<strong>la</strong>ce ? •<br />
Qu f est <strong>de</strong>venu lé feu <strong>de</strong> hbtitë antique audace ?<br />
Viens-combattre avec moi;- quel opprobre pour nous5<br />
Si jusque <strong>sur</strong> là flotte Hector portait ses coups ! *<br />
« Je reste ^ lui répond le vail<strong>la</strong>nt Diomè<strong>de</strong> ;<br />
Mais je tf<strong>et</strong>tible qt/a«x Dieux notre valeur ne cè<strong>de</strong>.
ao L'ILIADE.<br />
Jupiter, repoussant tes efforts <strong>et</strong> les miens ?<br />
Fixera <strong>la</strong> victoire en faveur <strong>de</strong>s Troyens. »<br />
En achevant ces mots , <strong>de</strong> sa pique acérée<br />
Au-<strong>de</strong>ssus du sein gauche il court frapper Thymbrée,<br />
Et du char avec lui Molion renversé<br />
Sous le g<strong>la</strong>ive d'Ulysse expire terrassé.<br />
Laissant ces ennemis en proie aux funérailles 9<br />
L'un <strong>et</strong> l'autre a semé l'effroi dans les batailles :<br />
Ainsi <strong>de</strong>ux sangliers <strong>sur</strong> les dogues chasseurs<br />
Fon<strong>de</strong>nt 7 réunissant leurs efforts agresseurs.<br />
Hector se ralentit, <strong>et</strong> les fils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Respirent, quelque temps sous sa main vengeresse.<br />
Mais voilà, que soudain <strong>de</strong>ux guerriers généreux<br />
Se présentent ? montés <strong>sur</strong> un char tout poudreux ;<br />
Le couple triomphant à leur course s'oppose.<br />
Leur père infortuné que vit naître Percose ^<br />
Mérops, fameux dans Fart <strong>de</strong> prédire le .sort,<br />
Tenta pour les sauver un impuissant effort ;<br />
Vers les cruels combats leur jeunesse entraînée<br />
Suivit aveuglément sa noire <strong>de</strong>stinée :<br />
Diomè<strong>de</strong> vainqueur, les frappant tour à tour,<br />
Leur arrache à <strong>la</strong> fois leurs armes <strong>et</strong> le jour}
CHANT ONZIÈME. ai<br />
Tandis qu'Ulysse immole au courroux qui l'enf<strong>la</strong>mme<br />
Le vail<strong>la</strong>nt Hypiroque <strong>et</strong> le noble Hippodame.<br />
Jupiter, <strong>sur</strong> Plda tranquillement assis,<br />
Ba<strong>la</strong>nce entre ses mains le combat indécis ,<br />
Quand Diomè<strong>de</strong> , armé <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce homici<strong>de</strong> f<br />
Renverse <strong>de</strong> Péon un enfant intrépi<strong>de</strong> ,<br />
Àgastrophus 7 qui seul 7 à pied } sans nul appui,<br />
Privé <strong>de</strong> ses coursiers r<strong>et</strong>enus'loin <strong>de</strong> lui*,<br />
Bril<strong>la</strong>it aux premiers rangs jusqu'à l'Heure fatale<br />
Qui le précipita' dans <strong>la</strong> nuit infernale.<br />
Hector voit les <strong>de</strong>ux Grecs ; il accourt : <strong>de</strong>s Troyens.<br />
Les pas dans <strong>la</strong> mêlée ont volé <strong>sur</strong> les siens.<br />
Diomè<strong>de</strong> aussitôt sent frémir son courage :<br />
« Ulysse ! contre nous vois rouler c<strong>et</strong> orage...<br />
C'est Hector :'bannissant une lâche terreur 7<br />
Restons ,-<strong>et</strong> <strong>de</strong> son ehoc soutenons <strong>la</strong> fureur. »<br />
Il dit : sa javeline atteint bientôt le faîte<br />
Du casque dont Hector couvrit sa noble tête ;<br />
Par trois <strong>la</strong>mes d'airain son airain repoussé ,<br />
Sans atteindre le front du Troyen courroucé,<br />
S'éloigne <strong>de</strong> ce casque à l'aigr<strong>et</strong>te flottante<br />
Dont Phébus lui donna' <strong>la</strong> parure éc<strong>la</strong>tante..
22 L'ILIADE.<br />
En recu<strong>la</strong>nt ? Hector , à <strong>la</strong> foule mêlé ,<br />
Sur ses tremb<strong>la</strong>ns genoux a soudain chancelé ;<br />
Sa main , sa forte main cherche à presser <strong>la</strong> terre,<br />
Et ses yeux sont chargés d'un voile funéraire.<br />
Tandis qu'à ses regards son rival se soustrait,<br />
Et du sable profond court arracher le trait 7<br />
É<strong>la</strong>ncé <strong>sur</strong> le char, Hector enfin respire}<br />
Victime dérobée au ténébreux empire.<br />
Mais, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main, son vainqueur le poursuit :<br />
« Misérable ! à cé<strong>de</strong>r te voilà donc réduit !<br />
La mort te menaçait <strong>et</strong> p<strong>la</strong>nait <strong>sur</strong> ta tête ;<br />
Apollon protecteur lui ravit sa conquête f<br />
Apollon que sans cesse invoque ton effroi ?<br />
Quand tu braves les dards siff<strong>la</strong>ns autour <strong>de</strong> toi.<br />
Si quelque dieu puissant me secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> m'anime 1<br />
Ma <strong>la</strong>nce un jour saura ressaisir sa victime ;<br />
Le Troyen me réc<strong>la</strong>me , <strong>et</strong> je gar<strong>de</strong> mes coups<br />
Pour quiconque osera défier mon courroux, »<br />
Caché près du tombeau dont l'enceinte funèbre<br />
Renferme c<strong>et</strong> Mus , héros jadis célèbre ,<br />
Paris y ce jeune époux d'Hélène aux beaux cheveux}<br />
Ban<strong>de</strong> son arc docile à ses efforts nerveux.
CHANT ONZIEME. *3 .<br />
Tandis que Diomè<strong>de</strong> , en sa barbare joie ?<br />
Entraîne Agastrophus 7 <strong>et</strong>, penché <strong>sur</strong> sa proie ,<br />
Lui ravit <strong>la</strong> cuirasse <strong>et</strong> l'épais bouclier<br />
Et le casque pesant au superbe cimier 1<br />
Par le Troyen <strong>la</strong>ncée , une flèche légère<br />
Lui frappe le pied droit <strong>et</strong> Attache à <strong>la</strong> terre.<br />
Loin <strong>de</strong> son embusca<strong>de</strong> alors le fier Paris<br />
S'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> <strong>sur</strong> sa bouche éc<strong>la</strong>te le souris :<br />
« Je t'ai blessé !... Puissé-je 1 en perçant tes entrailles ,<br />
De leur cruel fléau délivrer nos murailles !<br />
Des Troyens <strong>de</strong>vant toi le pâle bataillon<br />
Frémit comme <strong>la</strong> chèvre à l'aspect du lion. »<br />
Le Grec sans s'émouvoir répond par c<strong>et</strong>te injure :<br />
« Lâche qu'enorgueillit ta belle chevelure ,<br />
Infime séducteur <strong>et</strong> méprisable archer !<br />
Si contre moi ta haine avait osé marcher j<br />
C<strong>et</strong> arc, ces javelots 7 ces armes d'un perfi<strong>de</strong>-<br />
Ne t'auraient pas soustrait à ma rage homici<strong>de</strong>.<br />
Tu m'effleures le pied, <strong>et</strong> ton cœur triomphant<br />
S'app<strong>la</strong>udit d'un succès ou <strong>de</strong> femme ou d'enfant !...<br />
La flèche est-sans pouvoir dans une main débile.<br />
Ton bras est impuissant ? <strong>et</strong> le mien est habile.
a4 L'ILIADE.<br />
Dès que mon trait s'échappe , il <strong>la</strong>nce le trépas.<br />
L'ennemi renversé ne se relève pas ;<br />
< Son épouse en pleurant se meurtrit le visage ;<br />
Ses fils sont orphelins : son sang rougit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge 1<br />
Et Ton voit se presser autour <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>mbeaux<br />
Moins <strong>de</strong> femmes en <strong>de</strong>uil que d'avi<strong>de</strong>s corbeaux. »<br />
A ces mots , signa<strong>la</strong>nt son héroïque audace 1<br />
Le brave Ulysse accourt <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant lui se p<strong>la</strong>ce j<br />
Diomè<strong>de</strong> ? abrité par ce vivant rempart 1<br />
De son pied tout sang<strong>la</strong>nt a r<strong>et</strong>iré le dard.<br />
Vaincu par <strong>la</strong> douleur 1 il déserte l'arène,<br />
Et son rapi<strong>de</strong>,char vers <strong>la</strong> flotte l'entraîne.<br />
Par les Grecs fugitifs Ulysse abandonné<br />
Dans son cœur gémissant se dit : « Infortuné !<br />
Quel sera mon <strong>de</strong>stin ? Si je fuis , l'infamie !<br />
Si je combats , <strong>la</strong> mort dans l'armée ennemie !<br />
En ce double péril que résoudrai-je ? Hé<strong>la</strong>s !<br />
Jupiter loin <strong>de</strong> moi disperse nos soldats.<br />
Mais d'où vient que mon cœur se consulte <strong>et</strong> ba<strong>la</strong>nce?<br />
Le lâche seul s'enfuit <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce ,<br />
Tandis qu'inébran<strong>la</strong>ble aux menaces du sort,<br />
Le brave en résistant donne ou reçoit <strong>la</strong> mort. »
CHANT ONZIÈME. »5<br />
Quand son âme rou<strong>la</strong>it ces funestes pensées 1<br />
Les pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie , à grands pas é<strong>la</strong>ncées ,<br />
Entourent sa valeur , <strong>et</strong> leur cercle guerrier<br />
Enferme dans leur sein leur propre meurtrier.<br />
À <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s chasseurs lorsqu'une meute agile ,<br />
Dans l'épaisseur <strong>de</strong>s bois, à son obscur asyle<br />
Arrache un sanglier qui les menace tous,<br />
Et <strong>de</strong> ges <strong>de</strong>nts d'ivoire aiguise le courroux ,<br />
La foule , méprisant sa fureur éoumante ?<br />
A frénii <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prise <strong>et</strong> non pas d'épouvante :•<br />
Tels les guerriers Troyens , en agitant leur fer 1<br />
Assiègent ce héros chéri <strong>de</strong> Jupiter.<br />
Ulysse dans leurs rangs soudain se précipite 1<br />
Et sa <strong>la</strong>nce à Fépaule atteint Déïopite.<br />
Ennome suit Thoon dans <strong>la</strong> nuit du trépas ;<br />
Frappé près du nombril, l'ar<strong>de</strong>nt Ghersidamas 7<br />
Du faîte <strong>de</strong> son char en rou<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine 7<br />
De ses mourantes mains déchire encor l'arène.<br />
Ulyssç j abandonnant <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s vaincus ,<br />
Court immoler Gharops, quand son frère Socus ,<br />
S'é<strong>la</strong>nçant, comme un Dieu, pour braver sa furie,<br />
Debout en sa présence <strong>et</strong> s'arrête <strong>et</strong> s'écrie :
26 L'ILIADE. '<br />
« Terrible Ulysse ! ô toi qui pour notre malheur<br />
As signalé toujours ta ruse <strong>et</strong> ta valeur,<br />
Donne aujourd'hui 1Q mort aux <strong>de</strong>ux enfans d*Hippase,<br />
Ou'crains que sous ses coups ma fureur ne t'écrase. »<br />
Socus menace Ulysse , <strong>et</strong> le dard meurtrier,<br />
Traversant sa cuirasse <strong>et</strong> son grand bouclier,<br />
Vient déchirer sa penu , lorsque Minerve empêcha<br />
Que <strong>la</strong> mort dans son f<strong>la</strong>nc pénètre avec <strong>la</strong> flèche.<br />
Ulysse ras<strong>sur</strong>é s'écrie en recu<strong>la</strong>nt :<br />
« Malheureux ! <strong>sur</strong> ton front p<strong>la</strong>ne un trépassang<strong>la</strong>nt..<br />
Ton bras a vaipement suspendu le ravage<br />
Que dans les rangs troyens exerçait mon courage ;<br />
Je le déc<strong>la</strong>re ici : frappé du coup certain<br />
Qui termine en ce jour ton funeste <strong>de</strong>stin f<br />
Tu vas enfin cé<strong>de</strong>r 1 <strong>sur</strong> les rivages sombres 1<br />
La victoire à mon fer ? Ion âme au roi <strong>de</strong>s. ombres. »<br />
Socus épouvanté se r<strong>et</strong>ourne f. <strong>et</strong> bientôt<br />
Le Grec dans son épaule enfonce un javelot,<br />
Dont ses regards .ont vu <strong>la</strong> pointe meurtrière<br />
Par le. sein déchiré ressortir tout entière.<br />
H tombe avec fracas ; Ulysse triomphant<br />
L'insulte :. « Eh bien ! d'Hippase ô belliqueux enfant J
CHANT ONZIEME. vj.<br />
Tu croyais m'éohapper ; ar<strong>de</strong>nte k ta poursuite 1<br />
La mort, <strong>la</strong> prompte mort te saisit dans ta fuite.<br />
Ton père ni ta mère } au jour <strong>de</strong> top trépas ,<br />
Pour te fermer les yeux ici ne viendront pas ,<br />
Et les cruels vautours, te frappant <strong>de</strong> leurs ailes , -<br />
S'apprêtent à ronger tes dépouilles mortelles. •<br />
Pour moi, quand <strong>de</strong> mes jours s'éteindra le f<strong>la</strong>mbeau,<br />
Les Grecs m'accor<strong>de</strong>ront lep donneurs du tombeau. »<br />
Il dit <strong>et</strong> <strong>de</strong> son corps avec douleur r<strong>et</strong>ire<br />
La <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Socus dont l'airain le déchire ;<br />
Tout à coup à longs flots un sang noir a jailli.<br />
D'un cercle <strong>de</strong> Troyens il se trouve assailli ?<br />
Et sans leur opposer sa vaine résistance ,<br />
De tous ses compagnons réc<strong>la</strong>me l'assistance.<br />
Autant que d ? un mortel peut r<strong>et</strong>entir <strong>la</strong> voix,<br />
Autant dans sa r<strong>et</strong>raite il a crié trois fois.<br />
Méné<strong>la</strong>s près <strong>de</strong> lui voit Ajax dans <strong>la</strong> lice :<br />
« 0 fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon ! j'entends le brave Ulysse.<br />
Accablé par le nombre, <strong>et</strong> privé <strong>de</strong> soutien,<br />
Peut-être il périrait sous le g<strong>la</strong>ive troyen...<br />
Secourons-le : quel <strong>de</strong>uil,- si du fils <strong>de</strong> Laërte'<br />
Les Argïens pleuraient l'irréparable perte ! »
28 L'ILIADE.<br />
Vers Ulysse, à ces mots, en suivant Méné<strong>la</strong>s,<br />
Âjax , égal aux Dieux, précipite ses pas.<br />
Le cerf aux pieds légers, à <strong>la</strong> haute ramure ,<br />
Atteint par le chasseur d'une adroite bles<strong>sur</strong>e ,<br />
De sa fuite incertaine égare au loin l'essor,<br />
Tant que le sang s'échappe <strong>et</strong> coule tiè<strong>de</strong> encor ;<br />
Mais, quand <strong>sur</strong> ses genoux sa faiblesse chancelle,<br />
Il s'arrête, vaincu par <strong>la</strong> flèche mortelle,<br />
Et, dans les bois profonds, <strong>de</strong> cruels loups-cerviers<br />
Unissent contre lui leurs efforts meurtriers,<br />
Lorsqu'un fougueux lion, que le hasard envoie,<br />
Terrible , les disperse <strong>et</strong> dévore leur proie :<br />
Tels, nombreux <strong>et</strong> vaiUans, les Troyens amassés<br />
Portent vers le héros leurs bataillons pressés ;<br />
Mais, agitant sa <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> fort <strong>de</strong> son audace,<br />
Ulysse <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort repousse <strong>la</strong> menace :<br />
Armé du bouclier <strong>la</strong>rge comme une tour,<br />
Ajax accourt vers lui ; les Troyens à leur tour<br />
Reculent; <strong>et</strong>, guidant sa démarche incertaine,<br />
Méné<strong>la</strong>s vers son char loin <strong>de</strong>s combats l'entraîne.<br />
Fils <strong>de</strong> Priam, issu d'un amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,<br />
Doryclus sous Ajax voit finir son <strong>de</strong>stin,
CHANT ONZIÈME. »g<br />
Et dans <strong>la</strong> sombre nuit Ajax a fait <strong>de</strong>scendre<br />
Pjrase <strong>et</strong> Pandocus, Py<strong>la</strong>rte avec Lysandre.<br />
Enivre <strong>de</strong> carnage, il triomphe -, <strong>et</strong> son bras<br />
Sur les coursiers mourans ^orge-les soldats :<br />
Tel un fleuve à pleins bords envahit les campagnes,<br />
Déracine le chêne <strong>et</strong> le pin <strong>de</strong>s montagnes 7<br />
Les emporte7 <strong>et</strong>, grossi <strong>de</strong>s eaux <strong>de</strong> Jupiter,<br />
Roule un épais limon dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> mer.<br />
Hector, à l'aile gauche, illustrant son courage 5<br />
N'est pas encore instruit <strong>de</strong> ce vaste carnage ;<br />
Le Scamandre le voit^ ensang<strong>la</strong>ntant ses bords,<br />
Plonger <strong>de</strong>s Grecs vail<strong>la</strong>ns dans l'empire <strong>de</strong>s morts.<br />
Autour du grand Nestor, du fier Idoménée,<br />
La fureur <strong>de</strong>s combats 'éc<strong>la</strong>te déchaînée}<br />
Et 7 sa <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main, Hector' sous ses chevaux<br />
Des plus jeunes guerriers écrase les <strong>la</strong>mbeaux.<br />
Jamais les Grecs vainqueurs n'eussent quitté <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />
Si Paris f c<strong>et</strong> 'époux <strong>de</strong> <strong>la</strong> superbe Hélène,<br />
Arrêtant Machaon, au dos <strong>de</strong> ce guerrier<br />
D'une flèche à trois dards n'eût 'dirigé l'acier.<br />
A c<strong>et</strong> aspect, les'Grecs? malgré tout leur courage,<br />
Tremblent que l'ennemi, reprenant l'avantage,
3o « L'ILIADE.<br />
N'immole Machaon à sa prompte fureur,<br />
Et leurs cœurs généreux ont connu <strong>la</strong> terrjeur.<br />
Le prinœ <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète au vieux Nestor s'adresse 2 .<br />
« Nestor, fflb <strong>de</strong> Nélée, ô gloire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce I<br />
Hâte-toi} que ton char ren<strong>de</strong> à nos pavillons<br />
Ce mortel3 qui vaut seul <strong>de</strong> nombreux bataillons^<br />
Ce Machaon 7 dont fart aux bles<strong>sur</strong>es cuisantes<br />
Verse les sucs heureux <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes bienfaisantes. »<br />
A peine le monarque a terminé ces mots?<br />
Le char léger reçoit le vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> Pylos,<br />
Et les coursiers f soumis à sa main qui les frappe 1<br />
Ont emporté l'enfant du divin Escu<strong>la</strong>pe ;<br />
De p<strong>la</strong>isir <strong>et</strong> d'orgueil tous <strong>de</strong>ux étince<strong>la</strong>ns<br />
Dirigent vers <strong>la</strong> mer leurs rapi<strong>de</strong>s é<strong>la</strong>ns.<br />
Impatient témoin d'une affreuse déroute 1<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son char} qui poursuivait sa route 7<br />
Le compagnon d'Hector f le noble Cébrion<br />
Voyait partout s'enfuir les guerriers d'IHon :<br />
« Hector! tandis qu'ici.notre main vengeresse f<br />
Loin du centre, combat les enfkns <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ,<br />
Ne vois-tu pas aileurs les Troyens éperdus,<br />
Ecuyero, fantassin^ expirer confondus?
CHAUT ONZIÈME. 3i<br />
Je reconnais Ajax, qui <strong>sur</strong> son dos présente<br />
Son <strong>la</strong>rge bouclier à <strong>la</strong> masse pesante.<br />
C'est là qu'il faut voler; les cris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fureur<br />
D\m mutuel carnage ont révélé l'horreur* »<br />
Les coursiers aux beaux crins, frappe's du fou<strong>et</strong> sonore,<br />
S'é<strong>la</strong>ncent dans-les rangs plus rapi<strong>de</strong>s encore;<br />
Le char foule en passant les héros immolés,<br />
Les boucliers rompus, les dards amoncelés,<br />
Et, sous les pieds ar<strong>de</strong>ns <strong>de</strong>s chevaux qui bondissent,<br />
Sur <strong>la</strong> roue <strong>et</strong> l'essieu <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> sang jailissent.<br />
Hector, impatient d*un belliqueux transport^<br />
J<strong>et</strong>te parmi les Grecs <strong>la</strong> terreur <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort;<br />
Si contre l'ennemi tour à tour il ba<strong>la</strong>nce<br />
Ou d'énormes rochers, ou son g<strong>la</strong>ive ou sa <strong>la</strong>nce,<br />
Sauvé par-Jupiter d f un combat inégal,<br />
Il n 1 ose dans Ajax affronter un rivale<br />
Le père <strong>de</strong>s mortels, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son trône,<br />
Au cœur d ? Ajax inspire un effroi qui Pétonne;<br />
Le bouclier, tissu du cuir <strong>de</strong> sept taureaux,<br />
Charge <strong>de</strong> tout son poids l'épaule du héros,<br />
Qui, les yeux égarés, en r<strong>et</strong>ournant <strong>la</strong> tête,<br />
Fait un pas, puis un autre, <strong>et</strong> quelquefois s*arréte.
3â L'ILIADE.<br />
Dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> nuit, si <strong>de</strong> nombreux chasseurs,<br />
D'un bercail menacé vigi<strong>la</strong>ns défenseurs,<br />
Lancent contre un lion <strong>et</strong> leurs flèches siff<strong>la</strong>ntes<br />
Et les fumans débris <strong>de</strong> leurs torches brû<strong>la</strong>ntes,<br />
Le monstre épouvanté, mais altéré <strong>de</strong> sang,<br />
En vain <strong>sur</strong> le troupeau se j<strong>et</strong>te en rugissant,<br />
Et quand F aurore a lui, frustré <strong>de</strong> son carnage,<br />
D, s'échappe, emportant sa douleur <strong>et</strong> sa rage :<br />
Ainsi recule Ajax par le nombre accablé ;<br />
Pour <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs sa pru<strong>de</strong>nce a tremblé.<br />
Lorsqu'un âne obstiné dans sa marche tranquille<br />
Bavage les épis d'une moisson fertile,<br />
Une troupe d'enfans en criant'l'investit,<br />
Et le bâton brisé <strong>sur</strong> ses f<strong>la</strong>ncs r<strong>et</strong>entit ;<br />
Mais <strong>de</strong> leurs coups fréquens il méprise l'insulte,<br />
Résiste, <strong>et</strong>, toujours calme au milieu du tumulte,<br />
Se r<strong>et</strong>ire à pas lents, quand ces vastes guér<strong>et</strong>s<br />
De sa faim dévorante ont émoussé les traits :<br />
Ainsi les alliés <strong>et</strong> les peuples <strong>de</strong> Troie<br />
Poursuivent ce-héros sans atteindre leur proie j<br />
Un déluge siff<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> pierres <strong>et</strong> <strong>de</strong> dards<br />
Sur son grand bouclier tombe <strong>de</strong> toutes parts.
. . CHANT ONZIÈME. 33<br />
Tantôt, se rappe<strong>la</strong>nt sa belliqueuse audace,<br />
Il se r<strong>et</strong>ourne f <strong>et</strong> court affronter leur menace ;<br />
Tantôt il fuit encor, mais le fer dans ses mains *<br />
De <strong>la</strong> flotte aux vainqueurs ferme tous les chemins.<br />
Invincible, <strong>de</strong>bout entre <strong>la</strong> double armée,<br />
Seule il brave <strong>la</strong> foule à sa perte animée';<br />
Contre son bouclier les javelots poussés<br />
Sur le soli<strong>de</strong> airain expirent émoussés,<br />
Ou, sans toucher son corps que cherchait leur colère,<br />
Gourent en frémissant se plonger dans <strong>la</strong> terre. .<br />
Eurypyle, ce fils <strong>de</strong> l'illustre Evémon,<br />
Contemp<strong>la</strong>nt ses dangers, p<strong>la</strong>ignant son. abandon,<br />
A ses côtés se p<strong>la</strong>ce, <strong>et</strong> d'une main vail<strong>la</strong>nte<br />
Rapi<strong>de</strong>ment décoche une flèche bril<strong>la</strong>nte,<br />
Qui blesse Apisaon, issu <strong>de</strong> Phausias,<br />
Et, brisant ses genoux, lui donne le trépas.<br />
Le Grec dépouille encor Fennemi qu'il immole,<br />
Lorsque le beau Paris tend son arc : un trait vole,<br />
Atteint <strong>la</strong> cuisse droite, <strong>et</strong> le roseau cassé<br />
Laisse un <strong>de</strong> ses débris dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie enfoncé.<br />
Eurypyle, cédant au mal qui le déchire,<br />
Pour éviter <strong>la</strong> mort, dans les rangs se r<strong>et</strong>ire,<br />
a. 3
34 L'ILIADE.<br />
Et là , d'une voix- forte, il s'écrie : « Arrêtez !<br />
Amis, ô vous <strong>de</strong>s Grecs rois <strong>et</strong> chefs redoutés!<br />
Repoussez loin d'Ajax, frappé <strong>de</strong> traits sans nombre.<br />
L'heure qui dans l'enfer verra plonger son ombre.<br />
Je frémis pour ses jours... <strong>de</strong>meures près <strong>de</strong> lui ;<br />
Le fils <strong>de</strong> Tâamon réc<strong>la</strong>me votre appui. »<br />
Ainsi parle Eurypyle, <strong>et</strong> les Grecs se rallient;<br />
Soudain autour d'Ajax leurs rangs se multiplient;<br />
Tous, <strong>la</strong> pique en arrêt, le bouclier baissé,<br />
Accueillent dans leur sein ce héros empressé,<br />
Qui, d'un nouveau courage aiguillonnant leur âme,<br />
Les voit tous s'é<strong>la</strong>ncer, ar<strong>de</strong>ns comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme.<br />
L'atte<strong>la</strong>ge écumant, dans son agile essor,<br />
Ramenait aui vaisseaux Machaon <strong>et</strong> Nestor,<br />
Tandis que seul, <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> son <strong>la</strong>rge navire,<br />
Achille a vu les Grecs <strong>de</strong>scendre au sombre empire ;<br />
Immobile témoin <strong>de</strong> ces sang<strong>la</strong>ns hasards,<br />
Il appelle Patrocle; <strong>et</strong>, semb<strong>la</strong>ble au Dieu Mars,<br />
Patrocle accourt du fond <strong>de</strong> sa tente déserte...<br />
Hélâs ! ce premier pas le conduit à sa perte.<br />
Il commence en ces mots : « AchiEe ! auprès <strong>de</strong> toi •<br />
Pourquoi m'appelles-tu? qu'exiges-tu <strong>de</strong> moi ?»
CHANT ONZIÈME. 35<br />
Achille aux pieds légers répond : « Ami fidèle !<br />
Fils <strong>de</strong> Ménétius ! j'ai besoin <strong>de</strong> ton zèle.<br />
Les Grecs cè<strong>de</strong>nt enfin , <strong>et</strong> je les verrai tous<br />
D'une main Suppliante embrasser mes genoux.'<br />
Cours auprès <strong>de</strong> Nestor; parle-lui : qu'il t'apprenne<br />
Quel héros dans le camp son amitié ramène ;<br />
C'est le fils d'Escu<strong>la</strong>pe, ou mes yeux m'ont séduit,<br />
Tant le char <strong>de</strong>vant moi rapi<strong>de</strong>ment s'enfuit ! %<br />
Patrocle, impatient d'accomplir son message,<br />
Yole aux vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs <strong>et</strong> parcourt le rivage.<br />
Lorsqu'avec Machaon dans sa tente rendu ,<br />
Sur le fécond terrain Nestor est <strong>de</strong>scendu,<br />
Soudain Eurymédon, son écuyer docile,<br />
Entraîne les coursiers loin du char immobile ;<br />
Les héros fatigués sèchent leurs vétemens ,<br />
Humi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> carnage, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sueur fumans,<br />
Et, s'arrétant aux bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer frémissante<br />
Respirent d'un vent frais l'haleine caressante;<br />
Dans le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente ils reviennent tous <strong>de</strong>ux<br />
Et reposent assis <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s sièges moelleux.<br />
Hécamè<strong>de</strong>, à leur voix, <strong>la</strong> coupe en main arrive.<br />
Fille d'Arsinoûs, c<strong>et</strong>te jeune captive,<br />
"3.
36 L'ILIADE.<br />
Belle <strong>de</strong>s longs cheveux qui flottent <strong>sur</strong> son dos T<br />
Quand Achille à ses lois eut soumis Ténédos,<br />
Par le commun avis <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Échut au vieux Nestor pour prix <strong>de</strong> sa sagesse.<br />
La table, que polit un zèle industrieux ?<br />
Sur ses trois pieds d'azur se dresse, <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant eux-<br />
Dans un bassin d'airain Hécamè<strong>de</strong> présente<br />
Du miel <strong>et</strong> du froment <strong>la</strong> richesse récente.<br />
Ses soins officieux leur apportent encor<br />
La coupe à double fond, où huit colombes d'or,<br />
Sur une anse quadruple avec art façonnée,<br />
Ten<strong>de</strong>nt vers le breuvage une tête inclinée ;<br />
Quand le vin à longs flots <strong>la</strong> remplit jusqu'aux bords?<br />
Le bras seul du vieil<strong>la</strong>rd l'enlève'sans efforts.<br />
Soudain <strong>la</strong> belle esc<strong>la</strong>ve à <strong>la</strong> coupe bril<strong>la</strong>nte<br />
Prodigue <strong>de</strong> Pramné <strong>la</strong> liqueur pétil<strong>la</strong>nte , •<br />
Et <strong>sur</strong> <strong>la</strong> b<strong>la</strong>nche fleur d'un froment généreux<br />
Sème d'un <strong>la</strong>it durci- le mé<strong>la</strong>nge poudreux*<br />
Lorsque ce doux breuvage, offert par Hécamè<strong>de</strong>,<br />
A sou<strong>la</strong>gé <strong>la</strong> soif dont l'ar<strong>de</strong>ur les possè<strong>de</strong>,<br />
Tous les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s prolongent les p<strong>la</strong>isirs,<br />
Et par mille discours amusent leurs loisirs.
CHANT ONZIÈME. 3y<br />
Jusqu'au seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente où Patrocle se. montre,<br />
Nestor ? en se levant, s'avance à sa rencontre 1<br />
Prend sa main, l'introduit, <strong>et</strong> l'engage à s^asseoir.<br />
Mais Patrocle : « 0 vieil<strong>la</strong>rd ! j'accomplis un <strong>de</strong>voir.<br />
Un héros ! qu'à <strong>la</strong> fois je crains <strong>et</strong> je révère,<br />
Te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-quel chef tu ravis à <strong>la</strong> guerre...<br />
C'est lui j c'est Machaon ; je ne m'abuse pas...<br />
Vers Achille aussitôt je r<strong>et</strong>ourne à grands pas :<br />
Tu sais , divin Nestor} qu'en sa colère extrême 1<br />
Ses soupçons pèseraient <strong>sur</strong> l'innocent lui-même. »<br />
« Pourquoi, répond Nestor, dans son inimitié,<br />
Achille est-il sensible au cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié ?<br />
Il ignore quels maux <strong>sur</strong> toute notre armée<br />
Appesantit du sort <strong>la</strong> haine envenimée.<br />
Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce blessés, nos chefs les plus vail<strong>la</strong>ns,<br />
An fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux reposent tout sang<strong>la</strong>ns ;<br />
Diomè<strong>de</strong>f Eurypylcj Agamemnon^ Ulysse,<br />
Frappés <strong>de</strong> traits aigus, ont déserté <strong>la</strong> lice,<br />
Et du champ <strong>de</strong>s combats Machaon r<strong>et</strong>iré,<br />
Par le fer <strong>de</strong> Paris lui-même est déchiré.<br />
Achille furieux j désarmant son courage ,<br />
Sans p<strong>la</strong>indre les vaincus 1 contemple leur carnage.
38 L'ILIADE.<br />
Attend-il que les Grecs succombent écrases<br />
Sous les débris épars <strong>de</strong>s vaisseaux embrasés ?<br />
Mes membres ont perdu leur agile souplesse.<br />
Dieux! que ne suis-je encore aux jours <strong>de</strong> ma jeunesse,<br />
Lorsqu f excité par moi, le peuple <strong>de</strong> Pylos<br />
Des enfans <strong>de</strong> l'Eli<strong>de</strong> enleva les troupeaux !<br />
Fils d'Hypïroque 7 alors le brave Itymonée<br />
Vit par ce bras vengeur sa valeur moissonnée f<br />
Et 1 tombé sous les coups <strong>de</strong> mon dard meurtrier,<br />
Devant ses compagnons expira le premier.<br />
L'ennemi regagna ses tentes pastorales.<br />
Pour prix d'un tel succès , cent cinquante cavales .<br />
Qui j dressant leurs crins d'or, voyaient à leur côté .<br />
Bondir leurs nourrissons rayonnans <strong>de</strong> beauté ?<br />
Cinquante essaims <strong>de</strong> porcs <strong>et</strong> <strong>de</strong> chèvres sauvages,<br />
Tous les taureaux paissant dans les verts pâturages,<br />
Composaient le butin, durant <strong>la</strong> sombre nuit 7<br />
Par nos soins vigi<strong>la</strong>ns dans Pylos introduit.<br />
Nelée, en admirant c<strong>et</strong>te superbe proie 7<br />
Tressaillit dans son cœur <strong>et</strong> d'orgueil <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie,<br />
Puisque 7 bien jeune encor 7 parti pour les combats,<br />
D'un butin glorieux j'avais chargé mon bras,
CHANT ONZIEME. 39<br />
Quand Pylos, au r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>la</strong> prochaine aurore,<br />
Entendit <strong>de</strong>s hérauts frémir <strong>la</strong> voix sonore f '<br />
Les princes <strong>et</strong> les chefs ? venus <strong>de</strong> toute part,<br />
De ces trésors conquis réc<strong>la</strong>mèrent leur part.<br />
Plus d'un acte insolent 7 plus d'un proj<strong>et</strong> perfi<strong>de</strong><br />
Signa<strong>la</strong> contre nous <strong>la</strong> haine <strong>de</strong> FEli<strong>de</strong> ,<br />
Depuis que , déso<strong>la</strong>nt nos malheureux états,<br />
Alcï<strong>de</strong> avait tué nos plus braves soldats.<br />
Moi seul j <strong>de</strong>s douze enfans du vertueux Nélée f<br />
Je <strong>sur</strong>vécus ; par moi sa douleur consolée<br />
Se réserva, parmi les troupeaux étrangers,<br />
Trois cents jeunes brebis que guidaient leurs bergers.<br />
Jamais ressentiment ne fut plus légitime ;<br />
Car il vengeaitTaflront dont il gémit victime.<br />
Quatre <strong>de</strong> ses coursiers, dans <strong>la</strong> divine Élis ?<br />
Du trépied solennel avaient brigué le prix ;<br />
Âugéas les r<strong>et</strong>int, <strong>et</strong> pour <strong>de</strong>rnier outrage<br />
Benvoya Fécuyer pleurant son atte<strong>la</strong>ge.<br />
Nélée , encor blessé <strong>de</strong> ce vol insolent ,<br />
Conserva pour sa part un butin opulent ;<br />
Le reste , divisé par un égal partage ?<br />
En conso<strong>la</strong>nt le peuple, honora son courage..
4o L'ILIADE. '<br />
Mais, le troisième jourf lorsqu'aux autels <strong>de</strong>s Dieux<br />
Notre respect offrait les dons religieux,<br />
En foule <strong>sur</strong> leurs chars les Eléens parurent ,<br />
Et les <strong>de</strong>ux Molions à leur tête accoururent ;<br />
Tous <strong>de</strong>ux 5 encore enfans 7 novices aux combats,<br />
Pour <strong>la</strong> première fois armaient leurs jeunes bras.<br />
Elevée au somm<strong>et</strong> d'une haute colline ,<br />
Une antique cité, Thryoesse domine<br />
Les rives que PAJphée arrose <strong>de</strong> ses flots<br />
Et les champs sablonneux <strong>de</strong> l'ari<strong>de</strong> Pylos.<br />
Nos ennemis, jaloux <strong>de</strong> <strong>la</strong> réduire en cendre ,<br />
Vers ses tremb<strong>la</strong>ns remparts s'empressent <strong>de</strong> se rendre ;<br />
Ils traversent <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à pas silencieux ;<br />
Mais, dans l'ombre <strong>de</strong>s nuits, Pal<strong>la</strong>s du haut <strong>de</strong>s .eîeux<br />
Descend ; les Pyliens qu'elle éveille <strong>et</strong> rassemble,<br />
Sont prêts à triompher comme à périr ensemble.<br />
Tout marche : cependant Nélée à mes regards<br />
A soustrait mon armure <strong>et</strong> dérobé mes chars ;<br />
Il ne vit pas encore un noble apprentissage<br />
Aux travaux belliqueux façonner mon jeune âge... .<br />
Vain obstacle! je pars ; <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt fantassin,<br />
Des nombreux cavaliers je r<strong>et</strong>rouve l'essaim ;
CHANT ONZIÈME. 4<<br />
ISous les yeux <strong>de</strong> PaUas dont <strong>la</strong> faveur m'entoure,<br />
Parmi tous nos héros illustrant ma bravoure ?<br />
Je vole près d-Arène, <strong>et</strong> <strong>sur</strong> le bord <strong>de</strong>s mers<br />
Dont le pur M inyas grossit les flots amers ;<br />
A l'heure où le soleil sous <strong>la</strong> céleste voûte<br />
A parcouru déjà <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> sa route ?<br />
Ensemble confondus , nos divers bataillons -<br />
Des rives <strong>de</strong> FAlphée inon<strong>de</strong>nt les sillons ?<br />
Et dans ces Meuxf témoins d'un pompeux sacrifice 7<br />
De superbes taureaux , une b<strong>la</strong>nche génisse 7<br />
Frappés <strong>sur</strong> les autels, honorent Jupiter 1<br />
PaUas j le fleuve Alphée f <strong>et</strong> le Eoi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer.<br />
Là j le repas du soir nous prodigue ses charmes ;<br />
Chaque soldat s f endort chargé du poids <strong>de</strong>s armes.<br />
Aux yeux <strong>de</strong>s Éléens les rayons du soleil<br />
Ont découvert <strong>de</strong> Mars le terrible appareil ?<br />
Quand déjà <strong>la</strong> cité, promise aux funérailles ,<br />
Voyait leurs bataillons menacer ses murailles.<br />
Implorant à <strong>la</strong> fois Jupiter <strong>et</strong> PaUas,<br />
Aux premiers feux du jourf nos valeureux soldats<br />
Volent à leur rencontre f <strong>et</strong> Pylûs <strong>et</strong> FÉli<strong>de</strong><br />
Allument les f<strong>la</strong>mbeaux d'une guerre homici<strong>de</strong>.
4« • L'ILIADE.<br />
Le premier f Mulius sous mes eoups meurtriers<br />
Succombe , <strong>et</strong> je saisis ses vigoureux coursiers.<br />
Instruite à distinguer <strong>la</strong> vertu salutaire<br />
Des végétaux nourris dans les f<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre , .<br />
La fille aux blonds cheveux du monarque Âugéas ,<br />
Agamè<strong>de</strong> à son sort vivait unie.. f Hé<strong>la</strong>s !<br />
Son époux tombe <strong>et</strong> meurt ; <strong>sur</strong> le char je m'é<strong>la</strong>nce,<br />
Et cours aux premiers rangs déployer ma vail<strong>la</strong>nce.<br />
Tandis qu'au seul aspect <strong>de</strong> son chef renversé f<br />
L'ennemi s'épouvante <strong>et</strong> s'enfuit dispersé,<br />
Je le poursuis , semb<strong>la</strong>ble à <strong>la</strong> noire tempête :<br />
Cinquante chars bril<strong>la</strong>ris <strong>de</strong>meurent ma conquête- ;<br />
Sur chacun <strong>de</strong> ces chars <strong>de</strong>ux Éléens montés<br />
Mor<strong>de</strong>nt le sol poudreux, par ma <strong>la</strong>nce domptés.<br />
Les jeunes Molions^ faibles enfans d'Actore,<br />
Sous mon courroux vainqueur al<strong>la</strong>ient tomber encore,<br />
Si Neptune à l'essor <strong>de</strong> mes rapi<strong>de</strong>s traits<br />
Dans un nuage obscur ne les eût pas soustraits.<br />
Alors , nous couronnant d'une immortelle gloire ><br />
Jupiter à Pylos accorda <strong>la</strong> victoire ;<br />
Nos bataillons, fou<strong>la</strong>nt les soldats égorgés,<br />
Marchaient, <strong>de</strong> sang couverts <strong>et</strong> <strong>de</strong> butin chargés ;
CHANT ONZIÈME. 43<br />
¥ers Buprase, non loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> roche. d'Olène,<br />
Misée 7 aux confins <strong>de</strong> son immense p<strong>la</strong>ine,<br />
Vit Pal<strong>la</strong>s arrêter notre fougueux courroux j<br />
Et le <strong>de</strong>rnier fuyard expirer sous mes coups.<br />
Dans les murs <strong>de</strong> Pylos tous ces Grecs intrépi<strong>de</strong>s<br />
Eentrèrent , emportés par leurs coursiers rapi<strong>de</strong>s f<br />
Et le peuple honora dans ses chants glorieux<br />
Nestor chez les mortels, Jupiter chez les Dieux.<br />
Tel je bril<strong>la</strong>is jadis, <strong>et</strong> l'inflexible Achille<br />
Jouira toujours seul d'un courage inutile !<br />
Ah ! combien nos soldats, quand ils ne vivront plus,<br />
Lui coûteront <strong>de</strong> pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleurs superflus !<br />
Ami ! rappèle-toi ce jour où ton vieux père<br />
T'envoya près d'Atri<strong>de</strong> aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre :<br />
J'entendis ses conseils, lorsqu'Ulysse avec moi<br />
Accouru vers Pelée, aux pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> ce roi<br />
Venait pour rassembler une troupe hardie<br />
Des peuples qu'enfanta <strong>la</strong> fertile Achaïe : .<br />
Pour <strong>la</strong> première fois c'est là que je te vis.<br />
Près <strong>de</strong> Ménétius <strong>et</strong> du fils <strong>de</strong> Thétis.<br />
Dans l'enceinte.<strong>de</strong>s cours j d'une grasse génisse<br />
Pelée à Jupiter vouant le sacrifice,
44 L'ILIADE.<br />
Avec sa coupe d'or, <strong>de</strong>s prémices du vin<br />
Arrosait à flots noirs l'holocauste divin.<br />
Vous dressiez du banqu<strong>et</strong> l'appareil pacifique,<br />
Lorsqu'arrétés <strong>de</strong>bout sous le riche portique<br />
Nous paraissons... Soudain AchiEe à notre aspect<br />
Se lève, à ses côtés -nous p<strong>la</strong>ce avec respect,<br />
Et nous offire les m<strong>et</strong>s dont 7 par un noble usage f<br />
Un hôte aux étrangers doit cé<strong>de</strong>r le partage.<br />
Noire faim apaisée, en vos cœurs valeureux<br />
J'allume <strong>de</strong>s combats le désir généreux ;<br />
Vous brûles <strong>de</strong> nous suivre, <strong>et</strong> <strong>la</strong> voix paternelle<br />
Ajoute à nos conseils plus d'un avis fidèle.<br />
Pelée exhorte Achille à vaincre ses rivaux<br />
Par l'immortel éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses hardis travaux ;<br />
Ménétius te dit : Si par droit <strong>de</strong> naissance<br />
Achille 1 ô mon enfant ! te <strong>sur</strong>passe en puissance,<br />
Tu dois f moins courageux , mais plus âgé que lui,<br />
De tes pru<strong>de</strong>ns discours lui prodiguer l'appui.<br />
Patrocle I oublieras-tu les ordres <strong>de</strong> ton père ?<br />
Eevole à ton ami ; si quelque dieu t'éc<strong>la</strong>ire ,<br />
Tu fléchiras peut-être un fier ressentiment...<br />
Le conseil d'un ami persua<strong>de</strong> aisément.
CHANT ONZIÈME. 45<br />
Si Thétis, à ses vœux opposant un obstacle ,<br />
Du puissant Jupiter lui révé<strong>la</strong> l'oracle ,<br />
Que <strong>la</strong> Grèce du moins puisse encore entrevoir<br />
A travers ses malheurs un doux rayon d'espoir ;<br />
Qu'il te <strong>la</strong>isse, chargé <strong>de</strong> sa bril<strong>la</strong>nte armure ,<br />
Dans le sang <strong>de</strong>s Troyens effacer notre injure.<br />
Les Troyens abusés croiront fuir ce héros ,<br />
Et les Grecs jouiront d'un instant <strong>de</strong> repos.<br />
Oui, loin <strong>de</strong> nos vaisseaux que le péril menace,<br />
Tes robustes soldats, r<strong>et</strong>rouvant leur audace,<br />
Jusqu'au fond <strong>de</strong> ses mure, par un.triomphe aisé,<br />
Repousseront bientôt le Troyen épuisé. »<br />
H a dit, <strong>et</strong> Patrocle, ému <strong>de</strong> son <strong>la</strong>ngage,<br />
Pour rejoindre un ami, s'é<strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge.<br />
Aux lieux même où, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant les saints autels,<br />
Les juges proc<strong>la</strong>maient leurs arrêts solennels,<br />
Près <strong>de</strong>s vaisseaux d'Ulysse il s'arrête immobile,<br />
Quand le fils d'Evémon, le vail<strong>la</strong>nt Eurypyle,<br />
Percé d'un trait cruel, d'un sang noir dégouttant,<br />
Loin du champ <strong>de</strong>s combats se traînait en boitant.<br />
Une épaisse sueur <strong>de</strong> tout son corps ruisselle,<br />
Maïs son âme résiste'à sa douleur mortelle.
46 L'ILIADE.<br />
Dès que Patrocle a YU ce guerrier généreux ?<br />
H le p<strong>la</strong>int ? il s'écrie : « O princes malheureux !<br />
Loin du sol paternel 9 sous les remparts <strong>de</strong> Troie $<br />
Aux dogues affamés servirez-vous <strong>de</strong> proie?<br />
Les Grecs j brave Eurypyle ! espèrent-ils encor<br />
Échapper au courroux <strong>de</strong> ce terrible Hector? »<br />
« O Patrocle ! répond le pru<strong>de</strong>nt Eurypyle f<br />
Les Grecs n'ont plus d'espoir, les Grecs n'ont plus'd'asyle ,<br />
Et tandis que nos chefs 9 blessés <strong>et</strong> gémissans?<br />
Au fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux reposent <strong>la</strong>nguissans,<br />
Le Troyen qui combat, impatient <strong>de</strong> gloire,<br />
Poursuit avec ar<strong>de</strong>ur sa sang<strong>la</strong>nte victoire.<br />
Gui<strong>de</strong>-moi vers <strong>la</strong> flotte, <strong>et</strong> f d'un bras empressé ,<br />
Viens r<strong>et</strong>irer le fer dans ma cuisse <strong>la</strong>issé ;<br />
Etanche avec les flots d'une on<strong>de</strong> tiè<strong>de</strong> <strong>et</strong> pure<br />
Le sang noir qui jaillit <strong>de</strong> ma <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e,<br />
Et répands <strong>sur</strong>'ma chair ce baume bienfaisant<br />
Dont Achille en tes mains déposa le présent ?<br />
Achille, à qui jadis <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes salutaires<br />
Le centaure Ghiron révé<strong>la</strong> les mystères.<br />
Machaon, que menace un semb<strong>la</strong>ble danger,<br />
A lui-même besoin-d'un secours étranger,
CHANT ONZIEME. 47<br />
Et l'ar<strong>de</strong>nt Podalïre, au mfliea <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine , "<br />
Soutient le choc fougueux <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur troyenne. »<br />
Patrocle a §oupïré : « Prévois-tu notre sort?<br />
Que résoudre? Gomment échapper à <strong>la</strong> mort?<br />
Je courais vers Achille accomplir le message<br />
Bont m'a chargé Nestor f ce vieil<strong>la</strong>rd juste <strong>et</strong> sage ;<br />
Mais je vois ta douleur ; je ne te quitte pas. »<br />
Jusqu'au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente il l'emporte en ses bras ,<br />
Et les peaux que déroule un serviteur docile 9<br />
De leurs replis moelleux entourent Eurypyle.<br />
Morsf armé d'un g<strong>la</strong>ive, à sa sang<strong>la</strong>nte chair<br />
De <strong>la</strong> flèche homici<strong>de</strong> il arrache le fer.<br />
' La racine broyée au mal qui le consume<br />
De ses sucs bienfaïsans prodigue l'amertume ;<br />
L'on<strong>de</strong> tiè<strong>de</strong> a coulé <strong>sur</strong> son membre meurtri ;<br />
La bles<strong>sur</strong>e se ferme j <strong>et</strong> le sang est tari.<br />
FIN DU ONZIEME CHAUT.
CHANT DOUZIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT DOUZIEME.<br />
Les Troyens, divisés en cinq bataillons, attaquent le r<strong>et</strong>ranchement<br />
<strong>de</strong>s Grecs. — Apparitioe d'an aigle. — Terreur <strong>de</strong> Polydamas. —<br />
Reproches d'Hector. — Sarpedon excite G<strong>la</strong>ucas à combattre. —<br />
Triomphe d'Hector 9 <strong>et</strong> faite <strong>de</strong> l'armée grecque. '
L'ILIADE.<br />
CHANT DOUZIÈME.<br />
Le généreux Patrocle7 en son zèle empressé 7<br />
Entourait <strong>de</strong> secours Eurypyle blessé 7<br />
Tandis que Fun <strong>sur</strong> Fautre au milieu <strong>de</strong>s batailles<br />
Les <strong>de</strong>ux peuples rivaux <strong>la</strong>nçaient les funérailles.<br />
Maïs les murs7 les fossés 7 dans leur vaste <strong>la</strong>rgeur?<br />
N'offriront plus aux Grecs leur asyle vengeur ;<br />
En dressant ces remparts7 leur main religieuse<br />
Ne voua point aux Dieux d'hécatombe pieuse 7<br />
Dans l'espoir d'apprêter un refuge certain<br />
Aux rapi<strong>de</strong>s vaisseaux 7 à l'immense butin.<br />
Aussi 7 pour les punir 7 <strong>la</strong> colère divine<br />
D'un travail insolent résolut <strong>la</strong> ruine.<br />
4-
5a L'ILIADE, ( '<br />
Tant qu'Hector respira , tant qu'Achille irrite<br />
Épargna <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> superbe cité ?<br />
C<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> muraille, asyle invio<strong>la</strong>ble,<br />
Ne vit pas renverser sa masse inébran<strong>la</strong>ble.<br />
Mais quand les fils nombreux <strong>de</strong> Pergame <strong>et</strong>.d'Argœ<br />
Expirèrent, frappés du trépas <strong>de</strong>s héros ,<br />
Lorsque, dix ans passés, les Grecs, vainqueurs <strong>de</strong> Troie,<br />
Dans leur douce patrie emmenèrent leur proie,<br />
Apollon <strong>et</strong> Neptune , ensemble réunis ,<br />
Poussèrent vers ces murs , jusqu'alors impunis ,<br />
Les fleuves mugïssans qui dans les mers profon<strong>de</strong>s<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Ida précipitent leurs on<strong>de</strong>s,<br />
Le rapi<strong>de</strong> Granique avec le Rhodius 7<br />
L'Esèpe j le Garèse <strong>et</strong> le bruyant Rhésus 7<br />
Le fougueux Heptapore, <strong>et</strong> le divin Scamandre,<br />
Enfin le Simoïs où Mars a fait <strong>de</strong>scendre<br />
Avec leurs javelots 7 leurs casques <strong>et</strong> leurs dards<br />
De tant d'hommes divins les cadavres épars.<br />
Phébus j durant neuf jours, détourna <strong>de</strong> leur source<br />
De ces fleuves nombreux l'impétueuse course y<br />
Jupiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie épancha les torrens ;<br />
Le tri<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> main j dans ses flots dévorans
CHANT DOUZIEME. 53.<br />
Neptune ensevelit ce sacrilège ouvrage<br />
Dont <strong>la</strong> pierre <strong>et</strong> le bois composaient l'assemb<strong>la</strong>ge»;<br />
11 ap<strong>la</strong>nit ces bords f <strong>et</strong> le vaste Hellespont<br />
Recouvrit les débris <strong>de</strong> son sable profond f<br />
Lorsque Neptune-enfin vit ces fleuves rapi<strong>de</strong>s-<br />
Dans leur lit comprimé rouler leurs eaux limpi<strong>de</strong>s.<br />
Ces murs, déjà promis aux vengeances <strong>de</strong>s Dieuxf<br />
R<strong>et</strong>entissent f témoins d'un combat furieux ;<br />
Sous les coups ennemis le bois <strong>de</strong>s tours résonne.<br />
Les Grecs que <strong>la</strong> terreur <strong>sur</strong> leur flotte emprisonne r<br />
Abattus sous le fou<strong>et</strong> du puissant Jupiter ,<br />
Tremblent <strong>de</strong>vant Hector qui r non loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer.<br />
Dans son rapi<strong>de</strong> essor f rival <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ,<br />
Poursuit, le g<strong>la</strong>ive en main f sa sang<strong>la</strong>nte conquête<br />
Quand <strong>de</strong>s hommes chasseurs^ en cercle rassemblés y<br />
Accablent un Mon <strong>de</strong> leurs traits redoublés r<br />
Le monstre leur oppose un. farouche courage,<br />
Se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> > les yeux enf<strong>la</strong>mmés par <strong>la</strong> rage , t<br />
Voyant ses ennemis.reculer à grands pas ,<br />
Dans son audace même il trouve son trépas :<br />
Tel, suivi <strong>de</strong>s guerriers que son exemple excite K<br />
Ar<strong>de</strong>nt, impétueux r Hector se précipite.
54 L'ILIADE.<br />
A l'aspect du fossé f les coursiers hennissans<br />
Sur l'abyme entr'ouvert s'arrêtent frémissans j<br />
Ils n'oseraient franchir c<strong>et</strong>te épaisse barrière<br />
Que <strong>de</strong> longs pieux -aigus hérissent tout entière.<br />
Vers ces bords que les chars ne traverseraient pas ><br />
Le fantassin s'é<strong>la</strong>nce ; alors Polydamas :<br />
« Hector, chefs <strong>et</strong> guerriers ! quel aveugle courage<br />
Au milieu <strong>de</strong>s périls sans espoir vous engage ?<br />
Ces fossés, entourés <strong>de</strong> pieux <strong>et</strong> <strong>de</strong> remparts,<br />
Ne <strong>la</strong>issent pas d'entrée à l'essor <strong>de</strong> nos chars ;<br />
Dans ce passage étroit nous ne pouvons combattre, •<br />
Et nous verrions les Grecs sous leurs coups nous abattre,<br />
Si Jupiter les livre aux vengeances du sort ?<br />
Puisse à l'instant <strong>sur</strong> eux s'appesantir <strong>la</strong> mort !<br />
Qu'ils tombent loin d'Argos5 <strong>et</strong> qu'ils tombent sans gloire !<br />
Mais du fond <strong>de</strong>s vaisseaux ramenant <strong>la</strong> victoire,<br />
S'ils combattent encor f pour conter nos trépas ,<br />
Un seul <strong>de</strong> nos guerriers ne nous <strong>sur</strong>vivrait pas. -<br />
Suivez j ô mes amis ! <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> ma sagesse:<br />
Des chevaux <strong>sur</strong> ces bords r<strong>et</strong>enons <strong>la</strong> vitesse ?<br />
Et guidés par Hector 7 <strong>de</strong> nos armes couverts 7<br />
Faisons aux Grecs vaincus expier nos revers ;
CHANT DOUZIEME. 55<br />
Bs ne soutiendront plus notre lutte acharnée,<br />
Si le <strong>de</strong>stin fixa leur <strong>de</strong>rnière journée, »<br />
Il dit : Hector, charmé <strong>de</strong> ce pru<strong>de</strong>nt conseil t<br />
De ses armes d'airain déployant l'appareil, .,<br />
S'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>-son char ;,<strong>la</strong> foule le. contemple<br />
Et s'empresse à Fenvi d'imiter son exemple.<br />
Tous parlent : à'leur vôixj-Fêssaim <strong>de</strong>s éçuyers<br />
Sur le bord <strong>de</strong>s -remparts arrêté les coursiers,<br />
Et près <strong>de</strong>s chefs divers l'innombrable pha<strong>la</strong>nge<br />
En cinq corps séparés se divise <strong>et</strong>-se range-<br />
Sous lés ordres. d'Hector .<strong>et</strong> <strong>de</strong> Polydamas,<br />
Les plus vaiïans hérosyles plus nombreux soldats<br />
Contre le <strong>la</strong>rge mur-<strong>et</strong> les vaisseaux rapi<strong>de</strong>s<br />
Brûlent <strong>de</strong> diriger leurs assauts intrépi<strong>de</strong>s ;<br />
Tous respirent ieiimeurtre <strong>et</strong>'<strong>la</strong> <strong>de</strong>struction,<br />
Et leur troisième chef est le fier Géhrion,<br />
Puisqu'He<strong>et</strong>or <strong>de</strong> son char a <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> conduite<br />
Au moins brave éeûyer qui marchait à sa suite.<br />
Paris, : AJeathofis 7 secondés d'Agénor,<br />
De <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième troupe ont gouverné F essor.<br />
Déïphobe, Hélénus , fils du roi <strong>de</strong> Pergame 9<br />
Gui<strong>de</strong>nt d'autres guerriers que leur ar<strong>de</strong>ur enf<strong>la</strong>mme.
56 L'ILIADE.<br />
Près d'eux vole Asius, noble enfant d'Hyrtacés f "<br />
Qui fuyant d'Arisbé les fertiles guér<strong>et</strong>s ,<br />
Avec .ses grands coursiers à <strong>la</strong> rousse crinière,<br />
Quitta du SéHéis <strong>la</strong> rive nourricière.<br />
Les <strong>de</strong>ux fils d^Anténor, Archëloque , Aoamas,<br />
Instruits dès leur jeunesse aux secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong>s combats ,<br />
S'avancent sous les lois <strong>de</strong> l'invincible Énée,<br />
Et <strong>la</strong> foule s'amasse à leurs pas enchaînée.<br />
Enfin., aux <strong>de</strong>rniers rangs, l'illustre Sarpédon<br />
Des peuples alliés conduit le bataillon ;<br />
Deux autres chefs, que seul en vail<strong>la</strong>nce il <strong>sur</strong>passe,<br />
G<strong>la</strong>ucus , Astéropée , ont volé <strong>sur</strong> sa trace.<br />
Ainsi tous ces Troyens, intrépi<strong>de</strong>s guerriers,<br />
Gontr'eux mêmes serrant leurs épais boucliers,<br />
S'é<strong>la</strong>ncent, dans l'espoir qu'au fond du sombre empire<br />
Chaque Grec tombera près <strong>de</strong> son noir navire.<br />
Si les peuples <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lointains climats<br />
Adoptent les conseils du- grand Polydamas,<br />
Le seul fils d'Hyrtacès suit un parti contraire }<br />
Vers <strong>la</strong> -rapi<strong>de</strong> flotte il marche... Téméraire !<br />
Dans <strong>la</strong> haute Pergame où r<strong>et</strong>entit le vent,<br />
Son beau char ne doit pas le ramener vivant.
. CHANT DOUZIEME.<br />
Le trépas <strong>sur</strong> son front étend ses mains fatales,<br />
Et bientôt, instrument <strong>de</strong>s Parques infernales,<br />
Idoménée, issu du vieux Deucalion ,<br />
Fermera <strong>de</strong>vant lui le chemin d'Ilion.<br />
À <strong>la</strong> gauche du camp , où les soli<strong>de</strong>s portes<br />
S'ouvrent pour recevoir <strong>et</strong> sauver les cohortes,<br />
Les débris confondus d'un peuple <strong>de</strong> fuyards •<br />
Accourent, emportés <strong>sur</strong> leurs rapi<strong>de</strong>s chars.<br />
Là s'é<strong>la</strong>nce Asius, <strong>et</strong> sa fidèle troupe<br />
Avec <strong>de</strong>s cris perçans autour <strong>de</strong> lui se groupe ;<br />
Chaque soldat espère , en son aveugle orgueil ,<br />
Que <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs <strong>de</strong>viendra leur cercueil-<br />
Insensés I quand <strong>la</strong> foule au loin se précipite ,•<br />
Deux nobles <strong>de</strong>scendans du belliqueux Lapithe,<br />
Debout <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> porte, en défen<strong>de</strong>nt l'accès;<br />
Fils <strong>de</strong> Pirithous, l'un est Poljpétès ;<br />
L'autre , semb<strong>la</strong>ble à Mars, est le fier Léontée j<br />
Et ce couple, enhardi par sa force indomptée,<br />
Résiste, comme on voit <strong>de</strong>ux chênes spacieux<br />
E<strong>la</strong>ncer <strong>sur</strong> un mont leur tête jusqu'aux cieux ,<br />
Et plongeant dans le sol leurs racines profon<strong>de</strong>s ><br />
Péfier <strong>la</strong> 'colère <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vents <strong>et</strong> <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s.
58 " L'ILIADE.<br />
Les soldats escortant Adamas, Asius,<br />
<strong>la</strong>mène, Thoon ,• Oreste,. Ëoomaûs,<br />
Lèvent leurs boucliers, marchent vers les murailles,<br />
Et leur vive c<strong>la</strong>meur prélu<strong>de</strong> aux funérailles.<br />
Les Lapithes, captifs dans l'enceinte <strong>de</strong>s tours,<br />
Des Grecs pour les vaisseaux imploraient le secours ;<br />
Mais, quand ils les ont vus, dans leur .soudaine fuite,<br />
Des Trojens à grands cris éviter <strong>la</strong> poursuite,<br />
Hors <strong>de</strong>s portes du camp ils s'é<strong>la</strong>ncent tous <strong>de</strong>ux-<br />
Tels qu'au faîte <strong>de</strong>s monts, <strong>de</strong>ux sangliers fougueux<br />
Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bergers repoussent les offenses,<br />
Aiguisent en grondant leurs bruyantes défenses,<br />
Et, franchissant les bois, <strong>de</strong>s arbres ébranlés<br />
Déracinent les troncs au loin amoncelés,<br />
Lorsqu'enfîn, <strong>de</strong> leur sang à longs flots assouvie,<br />
La flèche du chasseur les renverse sans vie :<br />
Ainsi les <strong>de</strong>ux héros <strong>sur</strong> leur sein frémissant<br />
Enten<strong>de</strong>nt r<strong>et</strong>entir l'airain rebondissant ;<br />
L'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> leurs soldats, leur propre expérience,<br />
De leurs cœurs généreux doublent <strong>la</strong> confiance.<br />
Du haut <strong>de</strong>s tours, les Grecs, pour sauver les vaisseaux,<br />
Des rochers dans les airs dispersent les monceaux.
CHANT DOUZIÈME. 59<br />
Comme on voit, quand l'hiver rassemble les orages ,<br />
La neige s'échapper du noir, f<strong>la</strong>nc <strong>de</strong>s nuages,<br />
Bouler au bruit <strong>de</strong>s vents 9 <strong>et</strong> <strong>sur</strong> les champs féconds<br />
Dans sa- chute entasser ses b<strong>la</strong>nchissans flocons :<br />
Ainsi les combattons y assouvissant leur haine 1<br />
D'une grêle <strong>de</strong> traits ont inondé <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ; -<br />
L'un par l'autre heurtés, casques <strong>et</strong> javelots<br />
D'un bruit lugubre <strong>et</strong> rauque ébranlent les échos.<br />
Le péril d'Asius enf<strong>la</strong>mme sa furie ; .- .<br />
En se frappant <strong>la</strong> cuisse, il s'indigne <strong>et</strong> s'écrie :<br />
« Tu n'es qu'un Dieu trompeur f ô maître <strong>de</strong>s humains !<br />
Car <strong>la</strong> Grèce résiste à nos terribles mains.<br />
Comme l'ar<strong>de</strong>nte.guêpe au corsage mobile 7<br />
Sur les bords escarpés d'une route stérile,<br />
Veille auprès <strong>de</strong> sa ruche, <strong>et</strong> loin- <strong>de</strong> ses enfans<br />
Repousse du chasseur lés assauts triomphans :<br />
Tels ces fougueux guerriers, pleins d'un Même courage^<br />
Atten<strong>de</strong>nt sans effroi- <strong>la</strong> mort ou l'esc<strong>la</strong>vage. »<br />
H a dit : Jupiter, qui ne l'exauce! pas 1<br />
Réserve au seul Hector tout l'honneur dès combats.<br />
Partout règne le meurtre ? <strong>et</strong> le feu <strong>de</strong>s batailles<br />
S'allume avec fureur jusqu'aux pieds <strong>de</strong>s murailles.
60 ^ L'ILIADE.<br />
Mais, comme si d'un Dieu je possédais <strong>la</strong> voix T<br />
Pourrais-je célébrer d'innombrables exploits?<br />
Par le sort abattus, les peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Arment pour les vaisseaux leur fureur vengeresse-,<br />
Et ces Dieux , dont l'amour protégea leur valeur,<br />
Languissent dans l'Olympe, accablés <strong>de</strong> douleur•<br />
Le couple impétueux <strong>de</strong> toutes parts s'é<strong>la</strong>nce.<br />
Polypétès, muni <strong>de</strong> son énorme <strong>la</strong>nce,<br />
Court frapper Damasus, qui lui présente en vain<br />
Le soli<strong>de</strong> rempart <strong>de</strong> son casque d'airain ; •<br />
L'os se brise, <strong>et</strong> bientôt <strong>la</strong> pointe meurtrière<br />
Dans le crâne sang<strong>la</strong>nt pénètre tout entière.<br />
Lorsqu'Ormène <strong>et</strong> Pylon, en même temps vaincus t<br />
Dans <strong>la</strong> nuit infernale ont suivi Damasus,<br />
Le divin Léontée avec ar<strong>de</strong>ur attaque<br />
Le fils d'Antimachus, l'intrépi<strong>de</strong> Hippomaque ,<br />
Perce son baudrier, s'éloigne en menaçant,<br />
Et, tirant du fourreau le g<strong>la</strong>ive éblouissant,<br />
Vole dans <strong>la</strong> mêlée, où sa fureur éc<strong>la</strong>te ;<br />
Bientôt Ménon, Oreste, <strong>la</strong>mène, Antiphate<br />
Sous son fer meurtrier écrasés, confondusr<br />
Sur <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> expirent étendus.
CHANT DOUZIÈME. 61<br />
Mais, à peine d'un bras que le carnage souille,<br />
Les vainqueurs, <strong>de</strong>s Troyens ont ravi <strong>la</strong> dépouille 7<br />
Sur les. traces d'Hector <strong>et</strong> <strong>de</strong> Polydamas<br />
Vole un nombreux essaim <strong>de</strong>s plus jeunes soldats;<br />
Leurs mains contre <strong>la</strong> flotte ont ba<strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme 7<br />
Quand un soudain prodige épouvante leur âme. .<br />
Chacun d'eux immobile, <strong>et</strong> par l'effroi g<strong>la</strong>cé, . -<br />
S'arrête, en hésitant 7 <strong>sur</strong> les bords du fossé 2<br />
A <strong>la</strong> gauche du camp un aigle aux <strong>la</strong>rges ailes .<br />
P<strong>la</strong>ne ; un serpent, captif dans ses serres cruelles ?<br />
Se plie en longs anneaux, se débat tout sang<strong>la</strong>nt,<br />
Lui dar<strong>de</strong> près du cou son aiguillon brû<strong>la</strong>nt,<br />
Le blesse ? le déchire 9 <strong>et</strong> l'oiseau du tonnerre 7<br />
Irrité <strong>de</strong> douleur ^ le j<strong>et</strong>te "<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 1<br />
Et dans les airs ? remplis <strong>de</strong> ses cris furieux ? .<br />
Emporté par les vents, monte au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s cieux,<br />
A l'aspect du serpent 1 frappés d'un noir présage,<br />
Les Troyens ont senti frissonner leur courage.<br />
Polydamas s'écrie : « Hector ! tous mes avis<br />
De ton blâme hautain furent toujours suivis.<br />
Citoyen <strong>et</strong> soldat, aux conseils, dans <strong>la</strong> guerre,' '<br />
Je dois à.ma patrie un <strong>la</strong>ngage sincère j
6a ' ' L'ILIADE.<br />
Pour f<strong>la</strong>tter ton orgueil ou ton autorité,<br />
Je ne trahirai pas l'auguste vérité.<br />
N'attaquons point <strong>la</strong> flotte... Oui 7 s'il est véritable,<br />
Un tel augure, amis ! semble trop redoutable :<br />
Un grand aigle emporta dans son fougueux essor<br />
Ce serpent monstrueux qui respirait eneor 9<br />
Et rentré dans son aire en rej<strong>et</strong>ant sa proie,<br />
Priva ses nourrissons d'une homici<strong>de</strong> joie :<br />
Ainsi, dussent les Grecs} trembkns <strong>et</strong> dispersés,<br />
S'enfuir loin <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> leurs murs renversés 9<br />
Sur ces mêmes sentiers une prompte déroute<br />
Des corps <strong>de</strong> nos soldats joncherait h notre route*<br />
Voilà ce que dirait un augure pieux,<br />
Bévéré par le peuple, inspiré par les cieux. »<br />
Hector ? rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s yeux enf<strong>la</strong>mmés <strong>de</strong> colère :<br />
« Polydamas ! ces mots n'ont pas droit <strong>de</strong> me p<strong>la</strong>ire.<br />
Oui j si ta bouche ici fait parler <strong>la</strong> terreur,<br />
Le ciel répand <strong>sur</strong> toi le vertige <strong>et</strong> l'erreur.<br />
L'arrêt <strong>de</strong> Jupiter ne sera pas frivole j<br />
Un signe <strong>de</strong> sa tête a scelé sa parole f<br />
Et j'irais 7 au mépris d'un présage certain ,<br />
Consulter <strong>de</strong>s oiseaux <strong>sur</strong> mon futur <strong>de</strong>stin !
CHANT DOUZIÈME. 63<br />
Qu'importe si leur vol que le vulgaire adoré 7<br />
Se tourne àgaiiehe 7 à droite, au couchant, à Faurore?<br />
N'obéissons jamais 7 mortels religieux 1 ><br />
Qu'au maître- souverain <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux :<br />
Défendre <strong>la</strong> patrie est le plus sûr oracle.<br />
Mais pourquoi : te forger un périlleux obstacle ? •<br />
Auprès <strong>de</strong>s' noirs vaisseaux dussions-nous tous mourir 7<br />
Ta propre lâch<strong>et</strong>é viendra te secourir ;<br />
Tu fuiras... Si pourtant ton perfi<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage<br />
Du soldat incertain amollit le courage,<br />
Si Fun <strong>de</strong>-nos guerriers déserte les combats 1<br />
Ma <strong>la</strong>nce au-même instant te donne le-trépas*.».<br />
A peine' les- Troyens que son exemple entraîne,<br />
De leurs longues c<strong>la</strong>meurs font r<strong>et</strong>entir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine y<br />
Un vent impétueux qu'excite Jupiter 7 v<br />
Du faîte <strong>de</strong> FIda dans les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Fair<br />
Descend 7 <strong>et</strong>, parvenu jusqu'au camp <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Roule les tourbillons d'une poussière épaisse.'" "<br />
Les Grecs en ont tremblé ; <strong>de</strong>s Troyens <strong>et</strong> d'Hector<br />
Le courage enhardi prend un nouvel essor.<br />
Gonfians dans le biel , <strong>et</strong> forts <strong>de</strong> leur audace 7<br />
Les Troyens 7 <strong>de</strong>s remparts ont assiégé <strong>la</strong> masse ;
'64 L'ILIADE.<br />
Us ébranlent les tours 7 enlèvent les créneaux,<br />
Et <strong>de</strong>s rocs-entassés arrachent les monceaux ;<br />
Le levier dans.leurs mains cause un affreux ravage*<br />
Mais les Grecs 7 pour défendre un dangereux passage 1<br />
Dressent <strong>sur</strong> le rempart leurs épais boucliers }<br />
Et décochent au loin mille dards meurtriers.<br />
Les <strong>de</strong>ux Ajax 9 <strong>de</strong>s tours parcourant l'étendue,<br />
Raniment leur audace un moment suspendue ; .<br />
L'éloge <strong>et</strong> le reproche 9 employés avec art 9<br />
Encouragent le brave 7 arrêtent le fuyard :<br />
« O toi, chef valeureux 9 ô toi 9 soldat vulgaire f<br />
Car vous n'êtes pas tous <strong>de</strong>s héros dans <strong>la</strong> guerre9<br />
Le .<strong>de</strong>voir vous appelle à <strong>de</strong>s périls égaux ;<br />
Loin <strong>de</strong> chercher Fabri <strong>de</strong> vos profonds vaisseaux9<br />
Méprisez ces c<strong>la</strong>meurs 9 <strong>et</strong> que votre constance<br />
Se prête 9 en «'exhortant 7 une noble assistance.<br />
Puisse enfin Jupiter 1 ce roi tonnant <strong>de</strong>s cieux9<br />
Chasser dans Dion <strong>de</strong>s vainqueurs odieux ! »<br />
• Lorsque 9 <strong>de</strong>s vents fougueux apaisant le murmure,<br />
Jupiter a <strong>la</strong>ncé les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> froidure9<br />
Sur les monts escarpés r où Fhiver <strong>la</strong> suspend 9<br />
En immenses flocons <strong>la</strong> neige se répand9 . •
CHANT DOUZIÈME. 65-<br />
Couvre du <strong>la</strong>boureur les fertiles campagnes,<br />
Couronne les forêts 7 <strong>la</strong> cime <strong>de</strong>s montagnes,<br />
Et roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer ? dont les flots mugissans<br />
Dissipent loin <strong>de</strong>s ports ses monceaux b<strong>la</strong>ncliissans f<br />
Tandis que dans les airs <strong>la</strong> tempête amassée<br />
Tombe <strong>de</strong> tout son poids <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre g<strong>la</strong>cée :<br />
Tel <strong>de</strong> mille rochers l'un <strong>et</strong> l'autre parti<br />
Se frappe, <strong>et</strong> les remparts ont partout r<strong>et</strong>enti.<br />
Jamais Hector, jamais ses terribles cohortes<br />
N'eussent brisé du camp <strong>la</strong> barrière <strong>et</strong> les portes ,<br />
Si, pareil au lion qui fond <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s taureaux,<br />
.Guidé par Jupiterf Sarpédon , un héros<br />
N'eût pris ce bouclier, vaste <strong>et</strong> superbe ouvrage,<br />
Dont les cuirs en<strong>la</strong>cés recouvrent l'assemb<strong>la</strong>ge,<br />
Et que Fart prévoyant d'un adroit ouvrier<br />
De fortes <strong>la</strong>mes d'or a garni tout entier.<br />
Dans sa vail<strong>la</strong>nte main <strong>de</strong>ux javelots s'agitent ;<br />
Au-<strong>de</strong>vant du péril ses pas se précipitent :<br />
Tel, loin du mont natal 7 un lion courroucé,<br />
Par une longue faim dans <strong>la</strong> -p<strong>la</strong>ine poussé,<br />
Ennemi <strong>de</strong>s agneaux , <strong>sur</strong>prend leur bergerie,<br />
Des pasteurs tout armés provoque <strong>la</strong> furie,<br />
a. 5
66 L'ILIADE.<br />
Et, j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> sa prt)ie un regard dévorant 1<br />
Se r<strong>et</strong>ire vainqueur ou tombe au premier rang,<br />
Abattu sous les coups <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche rapi<strong>de</strong><br />
Qu'un berger lui <strong>la</strong>nça d'une main intrépi<strong>de</strong>.<br />
Opposant au danger un cœur audacieux,<br />
Le noble Sarpédon, mortel égal aux Dieux 7<br />
Pour briser les 'remparts <strong>et</strong> leur porte rebelle ,<br />
Court du fils d'Hippoloque encourager le zèle ;<br />
Il s'écrie : « O G<strong>la</strong>ucus I si chaque Lycien,<br />
Fêtant dans les banqu<strong>et</strong>s ton courage <strong>et</strong> le mien,<br />
Nous offre, comme au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste troupe,<br />
Les m<strong>et</strong>s les plus exquis <strong>et</strong> <strong>la</strong> plus <strong>la</strong>rge coupe ,<br />
Si <strong>sur</strong> les bords du Xanthe ? à nous seuls <strong>de</strong>stiné,<br />
Fleurit un soi, <strong>de</strong> pampre <strong>et</strong> d'épis couronné,<br />
C'est pour qu'aux premiers rangs notre invincible audace<br />
De ces brû<strong>la</strong>ns combats affronte <strong>la</strong> menace.<br />
Les peuples se diront : « Nos princes satisfaits<br />
Des banqu<strong>et</strong>s opulëns savourent les bienfaits ;<br />
Le vin coule à longs flots dans leur coupe royale,<br />
Mais leur mâle valeur parmi nous se -signale, s»<br />
Ami ! si nous pouvions} évitant les combats f<br />
Conserver <strong>la</strong>,jeunesse f échapper au trépas,
CHANT DOUZIÈME, 67<br />
Je me gar<strong>de</strong>rais bien d'exciter ta vail<strong>la</strong>nce<br />
A quitter pour <strong>la</strong> guerre une heureuse indolence j<br />
' Mais quand mille hasards, nous menant à <strong>la</strong> mort,<br />
Ren<strong>de</strong>nt tous les humains les esc<strong>la</strong>ves du sort ,<br />
Marchons ; sous notre fer qu'un ennemi succombe<br />
Ou nous plonge vaincus dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe. »<br />
G<strong>la</strong>ucus à ces conseils obéit 7 <strong>et</strong> tous <strong>de</strong>ux<br />
Gui<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Lyciens le bataillon nombreux.<br />
Le fils <strong>de</strong> Pétéus, le noble îfénesthée<br />
Tout à coup sent frémir son âme épouvantée f<br />
Quand aux pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour que sa valeur défend,<br />
H a vu s'avancer k couple triomphant<br />
Ses regards inqui<strong>et</strong>s <strong>de</strong> toutes parts s'éten<strong>de</strong>nt<br />
En cherchant le vengeur que ses amis atten<strong>de</strong>nt,<br />
Lorsqu'enfin les Ajax f avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> trépas ,<br />
Et Teucer, <strong>de</strong> son camp revo<strong>la</strong>nt aux combats,<br />
Paraissent •: vainement ses c<strong>la</strong>meurs les appellent,<br />
Tant les casques , les traits 9 les boucliers se mê<strong>la</strong>it,<br />
Tant l'airain qui se brise <strong>et</strong> jaillit en éc<strong>la</strong>irs,<br />
D'un tumulte confus épouvante les airs !<br />
Tandis que les Troyensf dans leur rage guerrière,<br />
Des portes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s murs assiègent <strong>la</strong> barrière,<br />
5.
68 L'ILIADE. '<br />
A l'aspect du péril Ménesthée a frémi.<br />
Il appelle un héraut : « Divin Thoos ! ami !<br />
Va <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong>s Ajax réc<strong>la</strong>mer <strong>la</strong> bravoure 7<br />
Ou plutôt jusqu'à moi que l'un <strong>et</strong> l'autre accoure ;<br />
Les chefs <strong>de</strong>s Lyciens 7 connus par tant d'exploits 7<br />
Sur nous <strong>de</strong> leur fureur font r<strong>et</strong>omber le poids.<br />
Si le même danger les menace <strong>et</strong> les presse7<br />
Du moins 7 que me prêtant sa valeur vengeresse 7<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon arrive avec Teucer<br />
' Qui 7 son arc à <strong>la</strong> main 7 <strong>la</strong>nce un rapi<strong>de</strong> fer. »<br />
Il dit : le héraut part 7 <strong>et</strong> son zèle docile<br />
Vers les remparts <strong>de</strong>s Grecs marche d'un pas agile :<br />
« Nobles Ajax 7 ô vous 7 princes <strong>de</strong>s Argiens !<br />
Le Jpils <strong>de</strong> Pétéus réc<strong>la</strong>me vos soutiens. '<br />
Oui 7 que l'un <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>ux signale'sa bravoure 7<br />
Ou plutôt jusqu'à lui que l'un'<strong>et</strong> l'autre accoure ;<br />
Les chefs <strong>de</strong>s Lyciens 7 connus par tant d'exploits 7<br />
Sur lui <strong>de</strong> leur fureur font r<strong>et</strong>omber le poids.<br />
Si le même danger vous' menace <strong>et</strong> vous presse 7<br />
Du moins 7 que lui prêtant «a valeur vengeresse 7<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon arrive avec Teucer<br />
Qui 7 son ajc à <strong>la</strong> main 7 <strong>la</strong>nce un rapi<strong>de</strong> fer. »
CHANT DOUZIÈME. 69<br />
« Fils d'Oïlée, <strong>et</strong> toi , généreux Lycomè<strong>de</strong> !<br />
S'écrie Ajâx>, <strong>la</strong>- Grèce a besoin <strong>de</strong> votre ai<strong>de</strong> ;<br />
Restez ici : je cours au poste du danger,<br />
Et mon bras' triomphant revient vous protéger. »<br />
Il s'éloigne : Teucer7 ce héros invincible y<br />
L'escorte ,-<strong>et</strong> Pandion porte son arc flexible.<br />
Gomme on voit s'élever <strong>de</strong>s nuages obscurs 7<br />
Les chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie esca<strong>la</strong><strong>de</strong>nt les murs,<br />
Lorsque <strong>de</strong>s trois héros <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce indomptée<br />
Parvient jusqu'à <strong>la</strong> tour que gar<strong>de</strong> Ménesthée ;<br />
Tout à coup le combat renaît plus furieux 7<br />
Et mille cris confus ont monté vers les cieux.<br />
L'ami <strong>de</strong> Sarpédon, le fougueux Épiclée<br />
Sent fléchir 'sous Ajax sa valeur ébranlée ;<br />
Saisissant un.rocher que, fort <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux bras T<br />
Un jeune homme aujourd'hui ne soulèverait pas ?<br />
Le Grec près <strong>de</strong>s créneaux en détache <strong>la</strong> masse 7<br />
La roule.sans effort y <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te dans l'espace r .<br />
Brise le casque orné d'un panache bril<strong>la</strong>nt,<br />
Et frappe dans le front son rival chance<strong>la</strong>nt ;<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour le héros qu'il immole<br />
Tombe comme un plongeur, <strong>et</strong> son âme s'envole.
7o L'ILIADE.<br />
Teucer, Far<strong>de</strong>nt Teucer ^ au faîte <strong>de</strong>s remparts,<br />
Sur le brave G<strong>la</strong>ueus décoche un <strong>de</strong> ses dards ;<br />
G<strong>la</strong>ucus , atteint au bras, réluit à <strong>la</strong> r<strong>et</strong>raite ? '<br />
Emportant sa bles<strong>sur</strong>e à tous les yeux soustraite,<br />
S'éloigne 7 dans <strong>la</strong> peur que les Grecs furieux<br />
N'accueillent ses revers <strong>de</strong> cris injurieux.<br />
Privé <strong>de</strong> son atai qui cè<strong>de</strong> <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ire 1<br />
L'illustre Sarpédon , que <strong>la</strong> douleur déchire,<br />
Ne fuit point le combat 1 mais redoutable encor)<br />
Court frapper Alcmaon f c<strong>et</strong> enfant <strong>de</strong> Thestor ;<br />
Dès qu'il plonge en son cœur <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce meurtrière ,<br />
Alcmaon abattu roule dans <strong>la</strong> poussière ;<br />
Son armure résonne , <strong>et</strong> Sarpédon soudain<br />
Porte <strong>sur</strong> un créneau sa vigoureuse main 1<br />
L'arrache, <strong>et</strong> le rempart, dont le front se dégage t<br />
Aux nombreux Lyciens ouvre un <strong>la</strong>rge passage.<br />
Alors j Teucer, Ajax , unissant leur courroux,<br />
Ont <strong>sur</strong> lui tous les <strong>de</strong>ux précipité leurs coups ;<br />
Teucer ban<strong>de</strong> son arc 7 <strong>et</strong> le trait qu'il envoie<br />
Du vaste bouclier déchire <strong>la</strong> courroie.<br />
Mais auprès <strong>de</strong>s vaisseaux Jupiter ne veut pas '<br />
Que son fils en ce jour subisse le trépas.
CHANT DOUZIEME. 71<br />
Ajax vole, <strong>et</strong> son fer, avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> bles<strong>sur</strong>e ,'<br />
Frappe <strong>de</strong> Sarpédon Pétinee<strong>la</strong>nte armure ;<br />
Le Lycien , qui voit son bouclier fendu,<br />
Dans son fougueux essor s'arrête suspendu ,<br />
Et, s'éloignant sans fuir, toujours ivre <strong>de</strong> gloire,<br />
Espère dans son cœur ressaisir <strong>la</strong> victoire*<br />
Bientôt sa forte voix ranime ses soldats :<br />
« Lyciens ! pourquoi donc redouter les combats?<br />
Qu'est <strong>de</strong>venu le feu <strong>de</strong> votre antique audace ?<br />
Puis-je seul <strong>de</strong> ces murs franchir le vaste 'espace ?<br />
Suiveg-moi ; secon<strong>de</strong>z mon noble empressement-.<br />
Des héros réunis triomphent aisément. »<br />
11 dit : les Lyciens, sensibles à <strong>la</strong> honte,<br />
Revolent aux périls que leur monarque affronte,<br />
Et les Grecs, menacés d'un assaut désastreux,<br />
Se pressant à Fenvi, s'encouragent entr'eux.<br />
Les uns, quoique leurs pas aient franchi les murailles,<br />
N'ont pu jusqu'aux vaisseaux <strong>la</strong>ncer les funérailles ;<br />
Les autres, dont le g<strong>la</strong>ive arme les bras vail<strong>la</strong>ns,<br />
Ne sauraient loin <strong>de</strong>s murs chasser les assail<strong>la</strong>ns.<br />
Un seul créneau s'oppose à leur fureur rivale :<br />
Tels on voit, séparés par un faible intervalle f
72 L'ILIADE.<br />
Deux ar<strong>de</strong>ns <strong>la</strong>boureurs, <strong>de</strong> leur.double terrain<br />
Contester <strong>la</strong> limite, une me<strong>sur</strong>e en main.<br />
Partout contre leur sein , que le trépas menace, ' •<br />
De leurs ronds boucliers s'entre-choque <strong>la</strong> masse;<br />
Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens, <strong>sur</strong> le dos, dans les f<strong>la</strong>ncs.<br />
Reçoivent à grands coups les javelots siff<strong>la</strong>ns,<br />
Et <strong>la</strong> tour,qui gémit, les remparts qui chancellent,<br />
Se baignent <strong>de</strong> leur sang, dont les flots noirs ruissellent.<br />
On cè<strong>de</strong> ; on ne fuit pas... Les .bassins étendus<br />
Entre <strong>de</strong>ux poids égaux hésitent suspendus,<br />
Lorsque dans.sa ba<strong>la</strong>nce une femme indigente<br />
Long-temps pèse avec soin <strong>la</strong> <strong>la</strong>ine diligente, '<br />
Et , d'une main active en tournant les fuseaux,<br />
Consacre à ses enfans le prix <strong>de</strong> ses travaux :<br />
Telle on voyait flotter <strong>la</strong> douteuse victoire,<br />
Quand Jupiter enfin voulut combler <strong>de</strong> gloire-<br />
Hector, fils <strong>de</strong> Priam, Hector, qui, le premier,<br />
S'ouvre <strong>sur</strong> les remparts un périlleux sentier.<br />
Hector crie aux Troyens : « Revolez aux batailles ;<br />
Embrasez ces vaisseaux, franchissez ces murailles.<br />
Courage! » Les guerriers, qu'enf<strong>la</strong>mme le héros,<br />
Armés d'un fer aigu, montent <strong>sur</strong> les créneaux.
CHANT-DOUZIÈME. 73<br />
Devant <strong>la</strong> porte, Hector, dans son essor rapi<strong>de</strong>,<br />
S'empare d'un rocher <strong>la</strong>rge, tranchant', soli<strong>de</strong>,<br />
'Que <strong>de</strong>ux hommes du peuple, en roîdissant leurs bras,<br />
Loin du sol vers un char ne transporteraient pas.<br />
Il Penlève, <strong>et</strong> le Dieu dont Saturne est le père ,<br />
Eend pour ses fortes mains c<strong>et</strong>te masse légère :<br />
Ainsi <strong>de</strong> <strong>la</strong> toison, dépouille d'un agneau,<br />
Le pasteur aisément ba<strong>la</strong>nce le far<strong>de</strong>au.<br />
Hector court ébranler les poutres affermies,<br />
Qu'un nœud <strong>de</strong> fer attache aux portes ennemies ;<br />
Par le choc vigoureux les <strong>de</strong>ux gonds entrouverts<br />
Se brisent; les battans éc<strong>la</strong>tent dans les airs ,<br />
Lorsqu'écartant les pieds , s'attachant à sa p<strong>la</strong>ce ,<br />
Il a du roc pesant précipité <strong>la</strong> masse.<br />
Gomme <strong>la</strong> nuit rapi<strong>de</strong>, il vole en brandissant<br />
Deux traits, dont Fairain brille , au loin resplendissant.<br />
Et quel autre qu'un Dieu <strong>de</strong>s exploits qu'il enfante<br />
Oserait enchaîner <strong>la</strong> course triomphante?<br />
Ses yeux <strong>la</strong>ncent <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme : il comman<strong>de</strong> ; à sa voix,<br />
Les dociles Troyens volent tous à <strong>la</strong> fois,<br />
Envahissent les murs, <strong>et</strong>, franchissant les portes,<br />
Des fils <strong>de</strong> Danaïis dispersent les cohortes ;
74 L'ILIADE.<br />
Le» Grecs dans leurs vaisseaux renferment leur terreur?<br />
Et partout <strong>de</strong>s combats éc<strong>la</strong>te <strong>la</strong> fureur.<br />
FIN BU DOUZIÈME €HANT.
CHANT TREIZIÈME.
SOMMAIRE BU CHANT TREIZIEME.<br />
Ifeptuae ? sous les traits <strong>de</strong> Cakîias , excite les <strong>de</strong>ux Âjax <strong>et</strong> les autres<br />
Grecs. —- Triomphe d'Idoménée. — Exploits <strong>de</strong> Méaé<strong>la</strong>i. — Hector<br />
ramène les Troyeas au combat.
L'ILIADE.<br />
CHANT TREIZIÈME.<br />
Hector <strong>et</strong> les Troyens, conduits par Jupiter,<br />
Accourent triomphans jusqu f aux bords <strong>de</strong>ia mer ,<br />
Et portent le far<strong>de</strong>au' <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre sang<strong>la</strong>nte;,<br />
Quand le Dieu, détournant sa vue étince<strong>la</strong>nte,<br />
Considère <strong>la</strong> Thrace , abondante en chevaux ,<br />
Le Mysien habile aux'beliqueux travaux ,<br />
L'Àbien qui reçut <strong>la</strong> Justice en partage ,<br />
Et rffîppémolgue enfin', nourri d'un pur <strong>la</strong>itage.<br />
Troie est loin <strong>de</strong>.ses yeux ; son cœur ne pense pas<br />
QuepourFun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux campsles Dieux armentleursbras.<br />
Sur un mont qui défend <strong>la</strong> verte Samothrace ,<br />
Neptune, <strong>de</strong>s combats interrogeant <strong>la</strong> trace ,
78^ . L'ILIADE. '<br />
Contemple avi<strong>de</strong>ment dans ce champ meurtrier<br />
Et <strong>la</strong> flotte <strong>et</strong> Pergame <strong>et</strong> l'Ida tout entier ;<br />
Là, déplorant les Gros que le Troye» opprime f<br />
Contre le roi <strong>de</strong>s cieux sa fureur se ranime.<br />
Loin <strong>de</strong> l'âpre somm<strong>et</strong> le Dieu précipité,<br />
Impatient ? .s'avance tvec rapidité ,<br />
Et les hautes forêts, les profon<strong>de</strong>s vallées<br />
Sous ses pieds immortels frémissent ébranlées ;<br />
Il s'é<strong>la</strong>nce trois fois : Aiguë le voit soudain<br />
Au quatrième pas toucher son bord lointain.<br />
Dans l'Océan, au fond <strong>de</strong> ces pa<strong>la</strong>is superbes<br />
' Dont for incorruptible éc<strong>la</strong>te en longues gerbes ,<br />
Du couple aux pieds d'airain ^ à <strong>la</strong> crinière d'or 7<br />
H asservit au joug le diligent essor ;<br />
Dès qu'il a revêtu sa bril<strong>la</strong>nte cuirasse,<br />
Le fou<strong>et</strong> en main, il part, <strong>et</strong> le char fend l'espace.<br />
Les baleines , sortant <strong>de</strong> leurs autres profonds 7<br />
Libres, autour <strong>de</strong> lui précipitent leurs bonds,<br />
Et leurs joyeux regards ont reconnu leur maître.<br />
L'Océan, oiçaeilleux <strong>de</strong> le voir reparaître , •<br />
S'entrouvre d'allégresse , <strong>et</strong> l'essieu mollement<br />
Vole, effleurant Hazur <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong> élément.
CHANT TBEIZIÈME. .79<br />
D'Imbros à Ténédos 7 <strong>de</strong> roches entourée 7<br />
•S f étend au sein <strong>de</strong>s mers une grotte ignorée :<br />
Là s'arrête Neptune ; il offre à ses coursier»<br />
Du céleste aliment les tributs nourriciers ,<br />
Leur enlève le joug , d f une main attentive<br />
Par d'épais cercles d'or'tous les <strong>de</strong>ux lès captive ,<br />
Et, dirigeant ses pas vers les tentes d'Argos,<br />
Jusques à son r<strong>et</strong>our les condamne au repos.<br />
Fougueux comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ou comme <strong>la</strong> tempête^<br />
Les Troyens s'é<strong>la</strong>nçaient : Hector vole à leur -tête ;<br />
Et triomphant <strong>de</strong>s Grecs, leur superbe courroux<br />
Sur <strong>la</strong> flotte en espoir les extermine tout.<br />
Le Dieu qui ceint<strong>la</strong>teire, <strong>et</strong>, TCî <strong>de</strong>s mère profon<strong>de</strong>s,<br />
D'un seul coup <strong>de</strong> tri<strong>de</strong>nt ébranle au loin les mon<strong>de</strong>s,<br />
Prend les traits '<strong>de</strong> Calclias <strong>et</strong> sa paissante vdix,<br />
Et pousse les Ajax à <strong>de</strong> nouveaux exploits :<br />
« Amis 1 sauvez Haimëe è <strong>la</strong> £iite coittraïnte 9<br />
Consultez <strong>la</strong> valeur <strong>et</strong> non <strong>la</strong> froi<strong>de</strong> crainte.<br />
Ouï, je méprise ailleurs les javelots ©bseurs<br />
Des Troyens «but <strong>la</strong> foule «sca<strong>la</strong>dn ces nuire ;<br />
Devant les Âd^ens aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes<br />
Tous foirant 9 mais ici je crains les maint sang<strong>la</strong>ntes
8o L'ILIADE.<br />
De ce fougueux Hector qui, rival <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>ir,<br />
Se proc<strong>la</strong>me le fils du puissant Jupiter.<br />
Ah ! qu'un Dieu , réveil<strong>la</strong>nt votre rage guerrière,<br />
Oppose à ses exploits une ferme barrière !<br />
Hector fuirait lui-même , aveuglé <strong>de</strong> terreur,<br />
Dut le roi <strong>de</strong> l'Olympe exciter sa fureur. »<br />
A ces mots, son tri<strong>de</strong>nt, qui <strong>sur</strong> leurs corps s'incline,<br />
Communique aux Ajax une force divine.<br />
D'un pas agile <strong>et</strong> sûr quand il les voit marcher,<br />
Il part : tel du somm<strong>et</strong> d'un sauvage rocher<br />
Le rapi<strong>de</strong> épervier, dans sa course lointaine ,<br />
Poursuit l'oiseau qui vole égaré dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />
Mais Ajax, d'Oïlée illustre rej<strong>et</strong>on ,<br />
S'adresse le premier au fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon :<br />
« Ami ! quelqu'hahitant <strong>de</strong> l'immortelle voûte<br />
Sous les traits d'un augure est accouru sans doute ;<br />
Ce n'est point là Calchas, ce chef <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>vins,<br />
L'ipterprète pieux <strong>de</strong>s oracles divins.<br />
C'est un Dieu : <strong>de</strong> ses pas <strong>la</strong> trace manifeste<br />
Révèle à mes regards sa démarche céleste ;<br />
La présence <strong>de</strong>s Dieux se trahit aisément.<br />
J'ai besoin <strong>de</strong> combattre ; Ajax ! en ce moment,
CHANT TREIZIÈME. 81<br />
Mon âme a palpité d'un transport sanguinaire ;<br />
Mes pieds^ mesbhtô, mon cœur, toutm'enfraînèà<strong>la</strong>guerre.^<br />
Le grand Ajax répond : « Mon invincible main ,<br />
En agitant ma <strong>la</strong>nce} a tressailli soudain ;<br />
Mes <strong>de</strong>ux pieds ont frémi'; mon Courage s'enf<strong>la</strong>mme:<br />
C'est le terrible Hector que'ma fureur réc<strong>la</strong>me. »<br />
Tel le couple guerrier sent à là voix d'un Dieu<br />
Son cœur enorgueilli brûler d'un noble feu.<br />
Neptune aux <strong>de</strong>rniers rangs, près <strong>de</strong>s vaisseaux rapi<strong>de</strong>s^<br />
Court exciter <strong>de</strong>s Grecs les âmes intrépi<strong>de</strong>s ;<br />
La fatigue a vaincu leurs membres accablés f<br />
Et <strong>de</strong> pleurs abondans leurs regairds sont troublés,<br />
A l'aspect <strong>de</strong>s Troyens 7 qui, maîtres <strong>de</strong>s murailles',<br />
Lancent à coups pressés d'immenses funérailles.<br />
Partout règne l'effroi ; Neptune promptem<strong>et</strong>ït<br />
Ranime par ses cris leur morne" abattement.<br />
Dissipant <strong>la</strong> terreur que <strong>la</strong> mort leur inspire,<br />
D exhorte Teucer, Léïte, Déïpjre y<br />
Mérion , Pénélée , Antiloque 7 Tlioas ?<br />
Ces héros illustrés dans lés bruyans combats :<br />
« Quelle honte ! Argiens ! Fier <strong>de</strong> votre jeunesse ,<br />
J'attendais <strong>de</strong>' vous seuls le salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ;<br />
a. " ' 6
82 L f ILIADE.<br />
Mais puisque vous tremblez f sa perte n'est pas loin,<br />
De quel fatal prodige ? A Dieux ! suïs-je témoin ?<br />
Les Troyens jusqu'à nous ont transporte <strong>la</strong> guerre ;<br />
Les Troyens ! <strong>et</strong> nos yeux les voyaient fuir naguère<br />
Gomme <strong>de</strong>s cerfs' légers qui, dans les bois errans,<br />
Ont peur <strong>de</strong>s léopards <strong>et</strong>' <strong>de</strong>s loups dévorans !<br />
Eli quoi ! sans' résistance, à notre .seule. ¥ue,<br />
Leur pha<strong>la</strong>nge au combat recu<strong>la</strong>it'éperdue ,<br />
Et loin <strong>de</strong> leur cité <strong>sur</strong> nos profonds vaisseaux<br />
Leur g<strong>la</strong>ive insolemment-dirige ses assauts !<br />
Voilà les maux produits par les tristes querelles<br />
De ce chef orgueilleux 9 <strong>de</strong> ces peuples rebelles 7<br />
Qui <strong>sur</strong> leur flotte oisifs ? loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> protéger,<br />
Par le fer ennemi se <strong>la</strong>issent égorger. • •<br />
Mais si les torts d'Atri<strong>de</strong> offensèrent Achille ,<br />
Faut-il que <strong>de</strong>s combat» notre valeur s'exile ?<br />
Apportons à ces'maux un prompt sou<strong>la</strong>gement ;<br />
Les mortels généreux s'apaisent aisément.<br />
O les plus fiers <strong>de</strong>s Grecs ! que dans toutes vos âme»<br />
Votre mâle valeur ressuscite ses f<strong>la</strong>mmes. • . • •<br />
Je ne m'irrite point contre l'obscur .soldat<br />
Qu'un lâche effroi dérobe aux périls du combat j
CHANT TREIZIÈME. 83<br />
C'est TOUS qui méritez tout le poids <strong>de</strong> ma haine.<br />
Impru<strong>de</strong>nsLquels malheurs votre faibles» entraîne!<br />
Ah ! redoutez <strong>la</strong> honte elles soupçons jaloux ; • '<br />
Une guerre terrible éc<strong>la</strong>te autour <strong>de</strong> vous ,<br />
Et du fougueux Hector Paudacè meurtrière<br />
De nos portes" déjà -fènveise <strong>la</strong> barrière, » '<br />
H dit : partout renaît un espoir généreux.<br />
Auprès <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Ajax.<strong>de</strong>s eombattans nombreux<br />
Se pressent tout' à coup 7 <strong>et</strong> .leur noble- courage<br />
De Mars <strong>et</strong> <strong>de</strong>PaUas obtiendrait le suffrage. •<br />
Les chefs ]es plus vail<strong>la</strong>rts j enchaînantleur'essor,<br />
Atten<strong>de</strong>nt les Troyens <strong>et</strong> le ,dïvin "Hector.<br />
La <strong>la</strong>nce en frémissant $e croise avec <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ;<br />
Sur le casque dVirainle casque se ba<strong>la</strong>nce ;<br />
Partout les boucliers-touchent les'boucliers ,<br />
Et les guerriers partout se joignent aux 'guerriers.<br />
Les cimiers d'or, chargés- <strong>de</strong> flottantes crinières ,<br />
Confon<strong>de</strong>nt dans les rangs leurs parures akières ;<br />
Chaque dard étincelle 7 agité par leurs bras,<br />
Et tous ont respiré k f<strong>la</strong>nime <strong>de</strong>s coiàabats. •<br />
. Mais bientôt-les Troyms que le courroux excite,<br />
S'avancent ; à leur tête-Hector se précipite.' • *<br />
6.
84 L 5 ILIADE.<br />
Gomme en un jour d'orage , un énorme rocher t<br />
Bu soiqui le r<strong>et</strong>ient prompt à se détacher,<br />
Roule avec le torrent du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s montagnes T<br />
Bondit, ébranle au loin les forêts, les campagnes 7<br />
Lorsqu'enfin <strong>de</strong>scendu jusqu'au sein du vallon ,<br />
Il <strong>la</strong>nguit immobile au milieu d'un sillon :<br />
Tel Hector, emporté par son aveugle rage,<br />
Brûle vers les vaisseaux <strong>de</strong> s'ouvrir un passage ;<br />
H court j semant partout <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas ;<br />
Mais un soudain obstacle a r<strong>et</strong>enu ses pas.<br />
Dès qu'il a rencontré c<strong>et</strong>te épaisse pha<strong>la</strong>nge 1<br />
11 s'arrête j l'armée autour <strong>de</strong> lui se range 1<br />
Et le double tranchant <strong>de</strong>s <strong>la</strong>nces <strong>et</strong> <strong>de</strong>s dards<br />
Oppose à sa fureur d'invincibles remparts. '<br />
Contraint <strong>de</strong> s'éloigner, il frémit <strong>et</strong> s'écrie :<br />
« Enfans <strong>de</strong> Dardanus 7 peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ljcie ,<br />
Demeurez ; ai<strong>de</strong>z-moi. Ces nombreux ennemis ,<br />
Gomme une <strong>la</strong>rge tour l'un par l'autre affermis f<br />
Tomberont sous mes coups, si le maître du mon<strong>de</strong> ,<br />
Si l'époux <strong>de</strong> Junon m'enf<strong>la</strong>mme.<strong>et</strong> me secon<strong>de</strong>. »<br />
Les Troyens ont frémi d'un transport beUïqueux ,<br />
Lorsqu'un fils <strong>de</strong> Priam , Déïphobe avec eux
CHANT TEEIZIEME. 85<br />
S'avance ivre d'audace 9 <strong>et</strong> d'une main hardie<br />
Ba<strong>la</strong>nce un bouclier à <strong>la</strong> forme arrondie.<br />
Mérion lui décoche un bril<strong>la</strong>nt javelot •<br />
Qui, sans se détourner, le frappant aussitôt,<br />
Atteint ce bouclier, vaste- <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> -armure,<br />
Dont le cuir d'un taureau compose <strong>la</strong> structure.<br />
Mais <strong>la</strong> pointe se>brïse <strong>et</strong> ne le perce pas ; •<br />
Tandis que le Troyen , redoutant le trépas f<br />
L'écarté <strong>de</strong> son sein 7 aux coups <strong>de</strong> Déïphobe<br />
Dans <strong>la</strong> foule à grands pas Mérion se dérobe ;•<br />
Honteux d'avoir perdu sa victoire <strong>et</strong> son fer,<br />
Il revole indigné jusqu'aux bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer,<br />
Sous les tentes <strong>de</strong>s Grecs où sa noble vail<strong>la</strong>nce<br />
Déposa- pru<strong>de</strong>mment une plus-forte <strong>la</strong>nce.<br />
Teucerf quand partout règne un tumulte confus-?<br />
Immole., le premier r l'intrépi<strong>de</strong> Imbrius^<br />
Qui, fils du vieux Mentor riche en coursiers, agiles,<br />
Dans Pédée où jadis ses jours cou<strong>la</strong>ient tranquilles 7<br />
Par un chaste hyménée unit à son <strong>de</strong>stin<br />
Medésicaste 7 enfant d'un, amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin..<br />
. Quand les vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs voguèrent vers Pergame f<br />
Parmi tous les Troyens signa<strong>la</strong>nt sa gran<strong>de</strong> âme,
86 . L'ILIADE.<br />
Il combattit : Eriam t près <strong>de</strong>, lui J'tftcueiUa&t f. .,<br />
Lui montra t comme un père, unaifaour bienveil<strong>la</strong>nt.<br />
Sur le faîte d'un mont ) ébranlé pat 1 <strong>la</strong> hache ,<br />
Un jeuné,frêne cè<strong>de</strong> à Pefbrt qui J'arrache ,.<br />
Roule ayee.un brait sourd,, <strong>et</strong> ses raineaiix.flétris<br />
Jonchent le ml natal <strong>de</strong> leurs tendres débris : •<br />
Imbrius ; par, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce atteint près <strong>de</strong> Foreille f<br />
Eprouve à c<strong>et</strong>te chuté mmchute,pareille j.<br />
Son armure frémit. Teueer au même instant<br />
S'apprête A conquérir .ce, trophée- ©datant,<br />
Hector lui <strong>la</strong>nce on trait; Teueer le voit san9 crainte,<br />
Et son Iront détourné fuit l'homici<strong>de</strong> atteinte,<br />
Amphimaque paraît <strong>et</strong> reçoit le .trépas} .<br />
Ses armes en tombant j<strong>et</strong>tent un long, fracas.<br />
A peine Hector s'avance , espérant <strong>la</strong> conquête<br />
Du casque étince<strong>la</strong>nt qui protégeait sa tête ,<br />
Un javelot qu'Ajax décoche à ce guerrier,<br />
Sans traverser l'airain , frappe son bouclier<br />
Hector lâche sa proie <strong>et</strong> renonce à l'attaque ;<br />
Stiehius, Ménésthée enlèvent Amphimaque,<br />
Tandis que les Ajax , dans lètirs fougueux transporte,<br />
D'Imbrius tout sang<strong>la</strong>nt ont entraîné le corps.
• CHANT TREIZIÈME. 87<br />
Tels, vainqueurs d'une Moite à <strong>la</strong> <strong>de</strong>nt dévorante %<br />
Deux tionar saisissant une chèvre expirante r<br />
A travers les taillis t vëm leurs outres déserts<br />
Emportent leur far<strong>de</strong>au wspeiuiii dans les airs :<br />
Ainsi aw <strong>de</strong>ux .gucrriera revoient versleurs tentes,<br />
Enlevant <strong>de</strong>s vaincus les armes éc<strong>la</strong>tantes ,<br />
Et le filsijd ? Oiléè , en acm .courroux ar<strong>de</strong>nt ,<br />
Penché <strong>sur</strong> ImbriuA f c^wpe son front pendant,<br />
Qui roule en.tournoyant dans <strong>la</strong> vaste carrière,•<br />
Et tombe-aéxpiedls dTle<strong>et</strong>or sous <strong>de</strong>s lots poussière.<br />
Neptune.fwffiiix.déplore le trépas .." '<br />
D'Àmphimsqw abattu dans ces sang<strong>la</strong>ns combats ;<br />
Pour inspirer ans Grecs son audace divine ^<br />
Il vole <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Trojens prépare <strong>la</strong> ruine.<br />
L'iUuttre Idoménée à ses regards, paraît,<br />
Quatid «,
88 L'ILIADE.<br />
Neptune avec courroux fait r<strong>et</strong>entir sa voix :<br />
« O sage Idoménée, ô prince <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois,<br />
As-tu donc oublié tant <strong>de</strong> vaines menaces<br />
Qui semb<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s Troyens proe<strong>la</strong>merles disgrâces? »<br />
« O Thoas ! nul guerrier n'est coupable aujourd'hui,<br />
Et tous <strong>de</strong> notre bras nous vous prêtons F appui,<br />
Loin <strong>de</strong> trahir , g<strong>la</strong>cés d'une terreur indigne f<br />
Le poste dangereux que le sort nous assigne.<br />
Accuse Jupiter qui loin <strong>de</strong>s murs d'Argos<br />
Moissonne sans honneur <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> nos héros.<br />
Thoas ! ô toi, <strong>de</strong>s Grecs défenseur magnanime 7<br />
Parle : que leur audace à ta voix se ranime. »<br />
« Puisse le vil guerrier 7 déserteur <strong>de</strong>s combats f<br />
Ne revenir jamais <strong>de</strong> ces lointains climats !<br />
Qu'il meure 1 <strong>et</strong> que son corps, <strong>la</strong>issé sans sépulture ,<br />
Serve aux chiens dévorans <strong>de</strong> sang<strong>la</strong>nte pâture !<br />
Arme-toi : confondons notre mâle valeur,<br />
Et loin du front <strong>de</strong>s Grecs repoussons le malheur.<br />
Si <strong>de</strong>ux guerriers unis combattent moins timi<strong>de</strong>s 7<br />
La victoire est promise à nos bras intrépi<strong>de</strong>s.<br />
Marchons ! » Dans tous les rangs le Dieu qui parle encor<br />
Dirige <strong>de</strong> ses pas l'impétueux essor.
CHANT TREIZIÈME. 89<br />
Idoménée, au'fond <strong>de</strong> sa superbe tente,<br />
Impatient, revêt son armure éc<strong>la</strong>tante ,<br />
Saisit <strong>de</strong>ux javelots, <strong>et</strong> son sein beEiqueux<br />
De l'airain qui le couvre au loin dar<strong>de</strong> les'feux :<br />
Tel l'éc<strong>la</strong>ir, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste voûte,<br />
Lancé par Jupiter , s'ouvre une ar<strong>de</strong>nte route ,<br />
Lorsqu'en j<strong>et</strong>s menaçans sa sinistre c<strong>la</strong>rté<br />
Présage <strong>de</strong>s malheurs au mon<strong>de</strong> épouvanté.<br />
Son fidèle éeuyer, Mérion, à sa vue<br />
Présente tout à coup sa' rencontre imprévue ;<br />
Car alors Mérion , comme son souverain ,<br />
Venait armer son bras d'une <strong>la</strong>nce d'airain.<br />
Le monarque s'étonne. « O vengeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
O toi, digne à mes yeux d'estime <strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse,<br />
Léger fils <strong>de</strong> Molus, cher Mérion, dit-il, ,<br />
Des combats meurtriers pourquoi fuir le péril?<br />
Es-tu blessé? le sort trahit-il ton courage,<br />
Ou viens-tu m'apporter un sinistre message?<br />
Tu le vois; je courais, fuyant un vil repos,<br />
M'arracher à ma tente <strong>et</strong> combatttre en héros. »<br />
«Chef pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois, perm<strong>et</strong>s que ma vail<strong>la</strong>nce<br />
Pans le fond <strong>de</strong> ton camp choisisse une autre <strong>la</strong>nce j
go L'ILIADE. •<br />
La mienne Vert brisée^ <strong>et</strong> air son bouclier " '<br />
L'insolent Deïphébe en a rompu Facier. » ' " :<br />
« Vingt <strong>la</strong>nces f lui répond-le pritice <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète ?<br />
Des <strong>la</strong>mbris <strong>de</strong> ma tente ornent eneèr le faîte,<br />
Puisque toujours ? <strong>de</strong> près affrontant, les combat* *<br />
J'ai dépouilé les chefi. immolés par mon bras^<br />
Et leurs ronds boucliers r leurs ^iManto'cuirasses,<br />
Leurs casques radieux.attestent leurs disgrâces.- »<br />
« Comme toi f dans ma tente <strong>et</strong> Sur mon noir vaisseau,<br />
D'un trophée ennemi je gar<strong>de</strong> le monceau. .<br />
Mais d'ici jusqu'aux mers règne, trop.dè distante.<br />
Certes f auenn'péril ^ n'ébranle ma, constance ;<br />
Quand le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre éc<strong>la</strong>te déchaîné |<br />
Mon gèle au premier-rang est .toujours.entraîné ;•<br />
A défaut d'autres yeux y tes regards f ô .mon maître !<br />
Aux exploits <strong>de</strong> inon g<strong>la</strong>ive ont dû me recoÉnaître. »<br />
« J'admire ta valeur : pourquoi <strong>la</strong> rappeler?<br />
J'ai vu datts tes périls ton bras te.signaler. • .<br />
Lorsqu'il faut tendre un piège r une si ru<strong>de</strong> épreuve<br />
Du lâche <strong>et</strong> du vail<strong>la</strong>nt foutait<strong>la</strong>-doublfe preuve.<br />
Lfe lâéhe à tout mbment pâlit épèuvatité-;<br />
Son eœfcir a tressailli, par l'effroi tourmente;
CHANT TREIZIÈME. QV<br />
Ses <strong>de</strong>nts Fune <strong>sur</strong> l'autre -en c<strong>la</strong>quant r<strong>et</strong>entissent;<br />
Sur ses pieds il chancelle^ <strong>et</strong>-ses' genoux fléchissent.<br />
Mais le brave^ <strong>de</strong>bout^ à<strong>la</strong>chrainté ^étrangerf<br />
Sans changer dé viàagé 1 appelle le danger^ -<br />
S 5 il nous Al<strong>la</strong>it dresser une embûche ennemie 7<br />
Notre audace «vaincrait^- par ta force affermie.<br />
Qui pourrait t&ocuaer? Fidèle au premier rangf<br />
Tu ne reeevmspas^uii tioup- déshonorant j<br />
Et <strong>de</strong>s dards- meurtriers dMfiant <strong>la</strong> tempête •<br />
Tu ne leur offirira&que ton -sein -<strong>et</strong> ta tête.<br />
Pour quhû ne • blâme pas nos frivoles discours,<br />
Hâte-toi, prends taon fer; viens au combat ; j'y conte. »<br />
Mérion tolé; il s'arme^ <strong>et</strong> prè^ dldoméne'e<br />
Sa brû<strong>la</strong>nte valeur est soudain, ramenée.<br />
Quand le Afottéhé Mars 7 <strong>et</strong> l'aveugle- Terreur f<br />
Sa fille ? du -plus brave enchaînant <strong>la</strong> ftâreur f -<br />
Aux eris <strong>de</strong>s combàttans <strong>de</strong> Phlégéë <strong>et</strong> d'Ephyre,<br />
Des fldmm<strong>et</strong>e <strong>de</strong> là Thracfe abandoiitiërit l'étfipirë,<br />
Ces •imp<strong>la</strong>cables-Dieux, <strong>de</strong>ieûfà ariiiëè bouVeits,<br />
Tour à tour invoquëà par <strong>de</strong>à dotlhaïte divers,<br />
Entre ce double peuple arbitre^ <strong>de</strong> <strong>la</strong> glôfrë,<br />
A Fuil donnent <strong>la</strong> mort y à Fautrè <strong>la</strong> victoire :
92 ' L'ILIADE.<br />
Tel le couple héroïque 7 étinee<strong>la</strong>nt d'airain 1<br />
Aux fureurs <strong>de</strong>s combats oppose un front serein..<br />
« Fils <strong>de</strong> Deucalion ! dit Pécuyer fidèle7<br />
Marcherons-nous au centre f à <strong>la</strong> droite 7 à l'autre aile?<br />
Les Grecs aux longs cheveuxf presses par le Troyen r<br />
N'eurent jamais besoin d'un plus-ferme soutien. »<br />
Le monarque répond : « D'autres avec courage<br />
Du centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte écartent le ravage ;<br />
Là sont les <strong>de</strong>ux Ajax, <strong>et</strong> Teucer dont le bras<br />
Ou <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin sait "donner le'trépas.'<br />
Hector7 malgré l'ar<strong>de</strong>ur qui toujours le transporte,<br />
Jamais <strong>de</strong> notre camp ne brisera <strong>la</strong> porte ;<br />
Jamais il ne pourra 7 ni • vaincre ces héros,<br />
Ni franchir nos remparts 7 ni brûler nos vaisseaux 7<br />
A moins que Jupiter <strong>sur</strong> <strong>la</strong>'flotte a<strong>la</strong>rmée<br />
Ne j<strong>et</strong>te ici lui-même une torche enf<strong>la</strong>mmée.<br />
Non j Ajax ne redoute aucun <strong>de</strong> ces mortels<br />
Qui,' nourris jpar Gérés <strong>de</strong> ses "fruits maternels 7<br />
Toiiibent , lorsque les Dieux manquent à leur vail<strong>la</strong>nce,-<br />
Atteints par un rocher ou frappés d'une <strong>la</strong>nce.<br />
C<strong>et</strong> Achille ? à <strong>la</strong> course aujourd'hui sans égal7<br />
Ne saurait <strong>de</strong> pied ferme attendre un tel rival.
CHANT TREIZIÈME. g3<br />
Marchons vers Faile gauche, <strong>et</strong> qu'une prompte lutte<br />
Déci<strong>de</strong> pour nous-<strong>de</strong>ux le triomphe ou <strong>la</strong> chute. »<br />
Émule du Dieu. Mars , Mérion sans effroi<br />
Séance jusqu'au lieu désigné par son roi ;<br />
Il suit Idoménée : aux lueurs foudroyantes<br />
Que dar<strong>de</strong>nt dans les airs leurs armes Iamboyantes 1<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens en son agile essor .<br />
Accourt j <strong>et</strong> le succès flotte douteux encor.<br />
Dans les jours orageux , quand les routes désertes<br />
D'une ari<strong>de</strong> poussière au loin,restent couvertes 7<br />
On voit s'amonceler ces tourbillons mouvans<br />
Qui volent soutenus par l'haleine <strong>de</strong>s vents :<br />
Telles avec fureur luttent les <strong>de</strong>ux armées,<br />
fiayonnantes d'airain , <strong>de</strong> carnage affamées ;<br />
Ce combat dévorant , hérissé <strong>de</strong> longs dards,<br />
Sous leur choc'meurtrier frémit <strong>de</strong>-toutes parts ,<br />
Et <strong>de</strong>s.grands boucliers , <strong>de</strong>s casques, <strong>de</strong>s cuirasses<br />
Les feux ont semé l'air <strong>de</strong> leurs bril<strong>la</strong>ntes traces.<br />
Quel homme 1 contemp<strong>la</strong>nt ce spectacle d'horreur 7<br />
Palpiterait <strong>de</strong> joie <strong>et</strong> non pas <strong>de</strong> terreur ?<br />
Les <strong>de</strong>ux enfans rivaux} dont Saturne est le père 1<br />
Gar<strong>de</strong>nt à chaque peuple une douleur amère.
94 L'ILIADE.<br />
Si, donnant <strong>la</strong> victoire aux Troyens valeureux ,<br />
II' honore Thétïs <strong>et</strong> son fils généreux,<br />
Jupiter ne veut pas que les Grecs <strong>de</strong>vant Troie<br />
Du courroux <strong>de</strong>s'<strong>de</strong>stins succombent'tous <strong>la</strong> proie.<br />
En secr<strong>et</strong> échappé <strong>de</strong> l'écume <strong>de</strong>s:mers, ' ' *<br />
Neptune <strong>de</strong>s vaincus déploré les revert ,<br />
Allie à leur fureur sa fureur vengeresse*,<br />
Et contre Jupiter vient protéger <strong>la</strong> Grèce j<br />
Mais redoutant son - frère , <strong>et</strong> respectant les droits<br />
Dont Page <strong>et</strong> <strong>la</strong> raison Fermèrent à. <strong>la</strong> fois,<br />
Il n'ose pas braver sa suprême puissance,'<br />
Et sous <strong>de</strong>s traits mortels déguise sa présence.<br />
Entre les <strong>de</strong>ux partis les célestes rivaux -<br />
Eten<strong>de</strong>nt c<strong>et</strong>te chaîne aux immenses anneaux,<br />
De l'aveugle Discor<strong>de</strong> in<strong>de</strong>structible ouvrage ,<br />
Où <strong>de</strong> nombreux guerriers ont brisé leur courage.<br />
Bien qu'à moitié b<strong>la</strong>nchi par l'injure <strong>de</strong>s ans,<br />
Idoménée au loin pousse -<strong>de</strong>s cris perçans ;<br />
Parmi les rangs troyeos sa valeur entraînée<br />
Renverse sous ses" coups le jeune Othr jotîée,<br />
Qui, venu <strong>de</strong> Gabèse aux remparts d'Ilion,'<br />
Croit r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le jour <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>struction.' •
CHANT TEEIZIÈME. o&<br />
Sans offrir une dot, son cœur osa prétendre<br />
A Fhyiïien glorieux -<strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Cassandre f<br />
Si toutefois son-bras par -se$ hardis efforts ,<br />
Chassait les fils <strong>de</strong>s Grecs <strong>de</strong>scendus '<strong>sur</strong> ces borcjs.<br />
Prïam y consentit ; <strong>et</strong> fier <strong>de</strong> pa promesse f<br />
Le héros signa<strong>la</strong>it sa belliqueuse ITT^SG , •><br />
Lorsque le trait aigu- contre lui dirigé<br />
Vole, <strong>et</strong> 7 malgré Fairain ? d'ans son f<strong>la</strong>nc s f est plongé.<br />
Il roule avec fracas 9 <strong>et</strong> le roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète<br />
Par ce <strong>la</strong>ngage altier insulte à sa défaite :<br />
« 0 brave Othrybnée l entre tous les mortels<br />
Je te décernerai -<strong>de</strong>s -'honneurs solennels 7 -<br />
Si ta foi j respectant <strong>la</strong> parole jurée r<br />
Conclut avec PriawFwnion espérée. •<br />
Maïs en vain <strong>de</strong> Gassandre il t'accorda <strong>la</strong>^ main ;<br />
La Grèce-te propose un plus augmste hymen.<br />
Ecoute : Agamemûop te parle par ma bouche j<br />
Sa fille <strong>la</strong> plus belle est promise à ta conche ;<br />
Argos te l'$ayerra , si %n veux ave
96 L'ILIADE.<br />
Le vainqueur le saisit f <strong>et</strong> d'un bras irrite<br />
Traîne parmi les rangs son corps ensang<strong>la</strong>nta<br />
Près <strong>de</strong> son ehar^ non loin du fumant atte<strong>la</strong>ge<br />
Dont l'habile écuyer a captivé <strong>la</strong> rage ,<br />
Asius seul à pied <strong>de</strong> courroux a frémi ;<br />
Il brûle en l'immo<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> venger un ami.<br />
Son rival le prévient, <strong>et</strong> l'airain qu'il allonge<br />
Au-<strong>de</strong>ssous du menton dans sa gorge se plonge.<br />
Sur le mont paternel, comme le pin altier,<br />
Le chêne aux longs rameaux ou le b<strong>la</strong>nc peuplier<br />
Sous les forts bûcherons dont l'acier le déchire<br />
Tombe , prêt à voguer en rapi<strong>de</strong>" navire :<br />
Ainsi <strong>de</strong>vant son char Asius menaçant<br />
Roule <strong>et</strong> presse un terrain inondé <strong>de</strong> son sang ;<br />
Il meurt : son écuyer? que l'épouvante g<strong>la</strong>ce ,<br />
Reste j sans fuir <strong>la</strong> mort 7 immobile à sa p<strong>la</strong>ce.<br />
Mais Antiloque , armé d'un javelot siff<strong>la</strong>nt,<br />
Traverse sa cuirasse <strong>et</strong> lui perce le f<strong>la</strong>nc ;<br />
Loin du char magnifique il tombe ; son sang coule j<br />
Ses vains gémissemens expirent dans <strong>la</strong> foule,<br />
Et le fils <strong>de</strong> Nestor f s'emparant <strong>de</strong>s coursiers,<br />
Les pousse vers les Grecs aux bro<strong>de</strong>quins guerriers.
CHANT TREIZIÈME. 97<br />
Pour venger Asius , Déïphobe s'é<strong>la</strong>nce ,<br />
Et contre Idoménée ose tourner sa <strong>la</strong>nce ;<br />
Mais l'agile Cr<strong>et</strong>ois se cache tout entier<br />
Sous <strong>la</strong> masse d'airain du <strong>la</strong>rge bouclier ,<br />
Où flotte d'un taureau <strong>la</strong> dépouille étendue ,<br />
Par <strong>de</strong>ux anneaux épais à son bras suspendue, ' -<br />
Si l'armure effleurée a soudain r<strong>et</strong>enti,<br />
Ce n'est pas vainement que le fer est parti.<br />
Le- pasteur <strong>de</strong>s humains, Hypsénor, fils d'Hippase f<br />
Fléchit, sans résister, sous le choc qui l'écrase;<br />
Ses genoux défaïl<strong>la</strong>ns se dérobent sous lui ; .<br />
Ses- f<strong>la</strong>ncs s'ouvrent ; son âme en gémissant a fui.<br />
DAphobe vainqueur crie avec arrogance :<br />
« Ah ! du moins Asius n'est pas mort sans vengeance,<br />
Et ce gui<strong>de</strong> nouveau que lui donne mon fer,<br />
Réjouira son âme aux portes <strong>de</strong> l'enfer. »<br />
A ces mots proférés par un orgueil barbare,<br />
D*Antiloque <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Grecs le désespoir s'empare.<br />
Antiloque éperdu <strong>sur</strong> le guerrier chéri<br />
De son grand bouclier vient allonger l'abri,<br />
Tandis que <strong>de</strong>ux amis, A<strong>la</strong>stor, Mécistée<br />
L'emportent, gémissant dans son âme attristée*<br />
a. ' 7
98 • L'ILIADE.<br />
Fidèle à son courroux7 le prince <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois7.<br />
Jaloux <strong>de</strong> s'illustrer par- <strong>de</strong> nouveaux exploits 7<br />
Veut pousser les Troyèns <strong>sur</strong> Finfernale p<strong>la</strong>ge<br />
Ou <strong>de</strong>s Grecs par sa mort r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le carnage.<br />
Il renverse d'abord d'un bras victorieux •<br />
Un <strong>de</strong>s fi<strong>la</strong> d'Ésyète7 enfant du roi <strong>de</strong>s cieux7<br />
Le noble Âlcalhoâs 7 qu'au sein <strong>de</strong> sa famiie<br />
Âncliise avait admis- en lui donnant sa fille ;<br />
La jeune Hippodamie, en son natal séjour,<br />
Pour son père <strong>et</strong> sa mère obj<strong>et</strong> d'un tendre amour 7<br />
De talens7 <strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâces ornée 7<br />
Plus belle que ses sœurs 7 marchait leur sœur aînée j<br />
Âlcathoûs 7 fameux parmi tous les Troyens 7<br />
S'était joint à son sort par- <strong>de</strong> cbastes liens.<br />
Sous le fer du Cr<strong>et</strong>ois- Neptune 1 le terrasse 7<br />
Obscurcit ses regards 7 enchaîne son audace 7<br />
Et tel qu'une colonne 7 ou qu'un arbre élevé 7<br />
Il ne peut fuir. Bientôt <strong>de</strong> son sang abreuvé 7<br />
Le trait a pénétré l'airain <strong>de</strong> son amure<br />
Qui toujours-du trépas a repoussé l'injure ;<br />
Déchiré par ce trait 7 Fakain r<strong>et</strong>entissant<br />
Ec<strong>la</strong>te- 7 <strong>et</strong> le guerrier qui tombe en gémissant^
CHANT TREIZIÈME. m<br />
ï)ans son cœur palpitent sent Parme tout entière<br />
Eallentir par <strong>de</strong>grés sa foreur meurtrière,<br />
A l'aspect du guerrier qui <strong>de</strong>scend au cercueil,<br />
Le Cr<strong>et</strong>ois triomphant s'écrie avec orgueil:<br />
« Déïphobe ! crois-tu qu'une triple victime<br />
Venge un seul Grec plongé dans Finfernal abîme ?<br />
Lâche ! tu f app<strong>la</strong>udis ; eh bien ! attaque-moi ;<br />
Le sang <strong>de</strong> Jupiter te g<strong>la</strong>cera d'effroi.<br />
Oui 7 Jupiter transmit le sceptre <strong>et</strong> <strong>la</strong> naissance<br />
A Minos dont <strong>la</strong> Crète honora <strong>la</strong> puissance.<br />
L'hyménée à Minos donna Deucalion ;<br />
Et moi 1 fils <strong>de</strong> ce prince , aux remparts d'Ilion<br />
J'accourus <strong>sur</strong> ma lotte, armé <strong>de</strong> mon audace ,<br />
Pour consommer te perte <strong>et</strong> ceUe <strong>de</strong> te race. »<br />
Déïphobe incertain ba<strong>la</strong>nce dans son cœur<br />
S'il doit seul provoquer le g<strong>la</strong>ive du vainqueur ;<br />
Mais vers ses compagnons sa pru<strong>de</strong>nce entraînée<br />
R<strong>et</strong>ourne aux <strong>de</strong>rniers rangs où l'intrépi<strong>de</strong> Énée?<br />
Parmi tous les héros dès long-temps illustré ,<br />
Regr<strong>et</strong>te les honneurs dont Priam Fa frustre.<br />
« Conseiller <strong>de</strong>s Troyens, dit-il, secours ton frère';<br />
Qu'à te tendresse encor te famille soit chère.<br />
7-
IOO L'ILIADE.<br />
Vengeons Alcattioûs , c<strong>et</strong> époux <strong>de</strong> ta sœur.<br />
Jadis <strong>de</strong> son amour tu connus <strong>la</strong> douceur ;<br />
Viens lui payer les soins <strong>rendus</strong> à ton enfance ;<br />
Viens : le fer du Cr<strong>et</strong>ois l'immo<strong>la</strong> sans défense. »<br />
Il dit : le fils. d'Ancliïse f ému par <strong>la</strong> douleur,<br />
Palpite 1 étince<strong>la</strong>nt du feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur.<br />
Sans fuir comme un enfant , le pritice <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète<br />
Immobile , résiste aux coups <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête.<br />
Lorsqu'un fort sanglier, dans un bois ténébreux,<br />
Des cliiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s chasseurs attend l'essaim nombreux,<br />
Il aiguise ses <strong>de</strong>nts ; ses longs poils se hérissent,<br />
Et mille ar<strong>de</strong>ns éc<strong>la</strong>irs loin <strong>de</strong> ses yeux jaillissent :<br />
Ainsi 7 ferme à son poste, il appelle, à grands cris<br />
Ses plus chers compagnons au péril aguerris,<br />
Apharès, Déipyre, Asca<strong>la</strong>phe ? Antïloque ,<br />
Mérion
CHANT TREIZIEME. 101<br />
Pleins d'une même ar<strong>de</strong>ur, tousces guerrierss'é<strong>la</strong>iicent,<br />
Et leurs grands boucliers-<strong>sur</strong> leurs dos se ba<strong>la</strong>ncent.<br />
Le fils d'Anchise alors va chercher un appui<br />
Parmi les chefs Troyens qu'il a- vus près'<strong>de</strong> lui ;<br />
Dès qu'Agénor, Paris, Déïpbobe l'entourent, •<br />
Les nombreux bataillons <strong>de</strong> toutes parts accourent.<br />
Quand le bélier- conduit les bondissans troupeaux -<br />
Du sein <strong>de</strong>s prés féconds-<strong>sur</strong>'le bord <strong>de</strong>s ruisseaux,<br />
Le berger'dans son cœur goûte-une douce ivresse-:<br />
Tel j rempli" d'une vive <strong>et</strong> secrète allégresse ?<br />
Enée avec orgueil voit ces hardis soldats<br />
Se réunir en foule <strong>et</strong> marcher <strong>sur</strong> ses pas.<br />
Autour d'Aleathoûs les guerriers s'amoncellent.<br />
Dans leurs- terribles mains les <strong>la</strong>nces étinceUent ;<br />
Ils se heurtent ensemble 7 <strong>et</strong> Fairain gémissant<br />
Se brise 7 entrechoqué <strong>sur</strong> leur sein frémissant.<br />
Mais entre <strong>de</strong>ux héros ta fortune indécise<br />
Hésite ; Idoménée- avec le fils d'Anchise ,<br />
Tous <strong>de</strong>ux rivaux <strong>de</strong> Mars , armés d'un fer cruel,. .<br />
Brûlent <strong>de</strong> se donner un trépas mutuel.<br />
Le Troyen-le premier attaque-Idoménée,<br />
Et <strong>de</strong> son trait d'airain <strong>la</strong> pointe détournée \
102 L'ILIADE.<br />
D'une main vigoureuse inutile instrument 7<br />
Dams le sol entr'ouvert s'enfonce sour<strong>de</strong>ment.<br />
Alors d'Enomaiis, promis aux funérailles,<br />
La <strong>la</strong>nce du Cr<strong>et</strong>ois déchire les entrailles ;<br />
Sa cuirasse est fendue j il tombe en recu<strong>la</strong>nt f<br />
Et <strong>de</strong> sa faible main presse un sable brû<strong>la</strong>nt.<br />
Le vainqueur, r<strong>et</strong>irant son fer <strong>de</strong> <strong>la</strong> bles<strong>sur</strong>e f<br />
En vain cherche à saisir l'étinœ<strong>la</strong>nte armure ;<br />
Accablé sous les dards , il a bientôt senti<br />
Fléchir <strong>sur</strong> ses genoux son corps appesanti ;<br />
S'il repousse <strong>la</strong> mort , par un <strong>de</strong>stin contraire<br />
Ses <strong>de</strong>ux pieds au combat tar<strong>de</strong>nt à le soustraire ;<br />
Il s'éloigne à pas lents. Déïphobe aussitôt<br />
Sans l'atteindre , lui <strong>la</strong>nce un bril<strong>la</strong>nt javelot ;<br />
Car à sa haine ar<strong>de</strong>nte il est toujours fidèle.<br />
" A l'épaule frappé par <strong>la</strong> flèche mortelle,<br />
Asca<strong>la</strong>phe expirant tombe , roule ? <strong>et</strong> soudain<br />
Attache au sol poudreux sa défail<strong>la</strong>nte main.<br />
Mars à <strong>la</strong> forte voix, Mars 7 ce Dieu <strong>de</strong>s batailles,<br />
Ignorant <strong>de</strong> son fils les promptes funérailles ,<br />
Tranquillement assis dans un nuage d'or,<br />
Au repos condamné, <strong>de</strong>meure oisif encor
CHANT TREIZIÈME. io3<br />
Sur le haut <strong>de</strong> POlympfc où le roi du tonnerre<br />
Défend aux immortels ce combat sanguinaire.<br />
Quand d ? un tumulte affreux Dëïphobe entouré<br />
Ravissait son beau casque au héros expiré,<br />
J<strong>et</strong>é par Mérion, un javelot le frappe ;<br />
Son bras cè<strong>de</strong> 5 avec bruit le casque s'en échappe.<br />
Tel qu'un ar<strong>de</strong>nt vautour ^ Mérion é<strong>la</strong>ncé<br />
R<strong>et</strong>ire alors soû fer dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie enfoncé 5<br />
Il s'éloigne. Polite ; aux périls <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />
S'empreàsant d'arracher Déïphobe son frère 7<br />
Le conduit jusqu'au char dont les coursiers fougueux<br />
Traînent vers Dion ce héros malheureux ç<br />
Le cœur <strong>de</strong> Déïphobe exhale un sourd murmure y<br />
Et le sang à longs flots jaillit <strong>de</strong> sa bles<strong>sur</strong>e.<br />
Le tumulte redouble ; on combat <strong>de</strong> plus près.<br />
Le fils dç Calétor 1 le. vail<strong>la</strong>nt Apharès<br />
S'ayanœ contre Enée , <strong>et</strong> d'un trait redoutable<br />
Reçoit dans le gosier l'atteinte inévitable.<br />
Son bouclier se brise <strong>et</strong> son front s'est courbé ;<br />
Les ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>sur</strong> ses jeux ont tombé.<br />
Thoon fuit j Antiloque a tranché <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive<br />
Le nerf qui <strong>sur</strong> le dos vers <strong>la</strong> tête s'élève ;
io4 L'ILIADE.-<br />
Thoon frappé chancelle ,. <strong>et</strong>, léseras étendus,<br />
Implore'vainement.ses amis éperdus.<br />
Lorsque , rou<strong>la</strong>nt partout une vue inquiète,<br />
Le Grec , <strong>de</strong> son armure a ravi <strong>la</strong>. conquête ,<br />
Les bataiEons-troyens, prompts à se rallier,<br />
Fatiguent <strong>de</strong>leurs coups son <strong>la</strong>rge bouclier ; ,<br />
Mais leurs traits, vers son cœur sans trouver un passage,<br />
A sa peau délicate ont épargné l'outrage.<br />
Car ce fils <strong>de</strong> Nestor, fier d'un céleste appui,<br />
Brave les dards nombreux, dirigés jusqu'à lui ;<br />
Soutenu par Neptune, il agite sans cesse'<br />
Contre ses ennemis sa, pique vengeresse ,<br />
Incertain si le-fer que ba<strong>la</strong>nce son bras<br />
Doit <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin envoyer le trépas.<br />
Adamas, qui le voit dans l'épaisse mêlée,<br />
Frappe d'un javelot son armure -ébranlée ;<br />
Neptune aux verts cheveux, défenseur <strong>de</strong> ses jours,<br />
A détourné l'airain par- un heureux secours.<br />
Le dard en <strong>de</strong>ux éc<strong>la</strong>ts tout à coup se divise ;<br />
En tombant <strong>sur</strong> le sol une moitié se brise ,<br />
Et l'autre , comme un pieu durci par le foyer,<br />
S'enfonce dans le cuir-<strong>de</strong> l'épais bouclier.
CHANT TREIZIÈME. '• ro5<br />
Adamas, pour tromper l'avare Destinée , -<br />
S'éloigne , <strong>et</strong> Mérion , dans sa rage obstinée- ,<br />
Lui perce le nombril à l'endroit où le sort •<br />
Ouvre pour les. humains un- passage à <strong>la</strong> mort. •<br />
Gomme un taureau, rebelle au bouvier qui l'entraîne,<br />
Sur le faîte d'un-mont se-débat dans sa chaîne :•.<br />
Tel le .héros s'agite, <strong>et</strong> son cœur palpitant,<br />
G<strong>la</strong>cé par le-trépas-, s'arrête au même instant.;<br />
A peine Mérion .r<strong>et</strong>ire son. armure,<br />
Sur les yeux d ? Adamas s'étend une .ombre obscure.<br />
Déïpyre <strong>de</strong>scend dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> l'enfer,<br />
Lorsqu'Hélénus , armé <strong>de</strong> c<strong>et</strong> énorme fer ,<br />
Dont les champs <strong>de</strong>.<strong>la</strong>Thrace ont vu forger <strong>la</strong>-trempe,<br />
S'approche.en menaçant .<strong>et</strong> le .blesse à <strong>la</strong>.tempe.<br />
Le casque <strong>sur</strong>. le, sol roule aux.pieds <strong>de</strong>s. soldats,<br />
Et pour le. relever un Grec .étend ses bras..<br />
Méné<strong>la</strong>s en gémit; son vol.se précipite ;<br />
La longue javolme-entre ses mains s'agite.<br />
Hélénus tend.son,arc, <strong>et</strong>,ces rivaux fougueux.,<br />
L'un contre l'autre armés, s'avancent tous les.<strong>de</strong>ux.<br />
Déjà <strong>sur</strong> Méné<strong>la</strong>s une. flèche <strong>la</strong>ncée<br />
Vient frapper sa cuirasse <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ombe émoussée.
io6 L'ILIADE.<br />
Si dans une aire immense un diligent vanneur<br />
De sa récolte aux vents livre le frêle honneur.,<br />
Le pois qui se détache , <strong>et</strong> <strong>la</strong> fève qui tremble<br />
Dans l'osier ba<strong>la</strong>ncé r<strong>et</strong>entissent ensemble :<br />
Tel le dard acéré rebondit ; Méné<strong>la</strong>s<br />
Avec le javelot décoché par son bras<br />
Frappant Farc d'Hélénuâ , fixe sa main sang<strong>la</strong>nte<br />
Sur le bois déchiré <strong>de</strong> l'arme étince<strong>la</strong>nte.<br />
Pour fuir <strong>la</strong> mort, les pas du tremb<strong>la</strong>nt Hélénus<br />
Dans les rangs <strong>de</strong>s Troyens sont bientôt revenus ;<br />
Il traîne encor le dard, mais Agénor l'arrache ;<br />
Par les soins d'Agénor, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> main qu'elle attache,<br />
La fron<strong>de</strong> que portait l'écuyer valeureux,<br />
De sa <strong>la</strong>ine flexible entre<strong>la</strong>ce les nœuds.<br />
Pisandre est accouru ; <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />
Te charge ? ô Méné<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> borner sa carrière.<br />
Le couple ar<strong>de</strong>nt s'approche 1 <strong>et</strong> le Grec sans terreur<br />
Décoche un, javelot qui trahit sa fureur.<br />
Un trait que le Troyen <strong>la</strong>nce d'un j<strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> 7<br />
Ne peut du bouclier percer l'airain soli<strong>de</strong> ;<br />
La pointe s'est brisée , <strong>et</strong> son cœur cependant<br />
•Se réjouit, bercé d'un espoir impru<strong>de</strong>nt.
CHANT TREIZIÈME. 107<br />
Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent arme le fils d'Atrée ;<br />
Il vole , <strong>et</strong> son rival ? d'une main as<strong>sur</strong>ée ,<br />
S'emparant <strong>de</strong> Pacier, qui, par Part embelli,<br />
S'attache au long rameau d'un olivier poli t<br />
Sous les coups redoublés <strong>de</strong> sa pesante hache<br />
Abat du casque épais le mobile panache.<br />
Maïs le front <strong>de</strong> Pisandre est fendu jusqu'à Pos ;<br />
Ses yeux roulent ; le sang en jaillit à grands flots.<br />
Il tombe ; Ménéks 1 palpitant <strong>de</strong> furie 7<br />
Les <strong>de</strong>ux pieds <strong>sur</strong> son cœur? le dépouille <strong>et</strong> s'écrie :<br />
c< Ainsi ) lâches Troyens ! vous fuirez les vaisseaux<br />
Des fils <strong>de</strong> Danaûs aux rapi<strong>de</strong>s chevaux !<br />
Peuple ingrat <strong>et</strong> parjure ! est-il un seul outrage<br />
Que vous n'ayez rendu mon douloureux partage ?<br />
O dogues insolens ! vous avez irrité<br />
Le Dieu, vengeur <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'hospitalité,<br />
Jupiter qui, bientôt <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> vous sa foudre,<br />
Renversera les murs d'Ilion mis en poudre.<br />
Accueillis sous mon toit 1 vous m'avez sans remords<br />
Ravi ma chaste épouse <strong>et</strong> mes nombreux trésors 7<br />
Et vous osez prom<strong>et</strong>tre 7 en vos fureurs sang<strong>la</strong>ntes 7<br />
Nos vaisseaux voyageurs à vos torches brû<strong>la</strong>ntes !
io8 L'ILIADE.<br />
Mais non : tous vos soldats, déchus d'un vain orgueil,<br />
Fuiront sans nous plonger dans <strong>la</strong> nuit du-cercueil.<br />
Père du mon<strong>de</strong> , ô toi dont <strong>la</strong> sagesse' austère<br />
Triomphe dans le ciel <strong>et</strong> règne <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre,.<br />
Tu soutiens ces pervers, artisans <strong>de</strong> forfaits T<br />
Que le meurtre <strong>et</strong> le sang n'assouvissent jamais !<br />
Eh quoi ! le doux sommeil <strong>la</strong>sse enfin nos paupières ;<br />
Les amours prolongés durant les-nuits entières,<br />
Les chants harmonieux, <strong>la</strong> danse aux nobles choeurs,<br />
Plus chère encor pour nous que <strong>la</strong> guerre aux vainqueurs,<br />
Tout fatigue.nos sens, .<strong>et</strong>, constans dans leur, rage,<br />
Les Troyens seuls toujours respirent le carnage ! »<br />
Méné<strong>la</strong>s, achevant ce <strong>la</strong>ngage hautain,<br />
De <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte armure enlève le butin,<br />
Le rem<strong>et</strong> aux soldats ,. <strong>et</strong> court ivre <strong>de</strong> joie<br />
Déployer sa. fureur contre les fils-<strong>de</strong> Troie.<br />
En ce. moment .vers lui s'é<strong>la</strong>nce Harpalion,<br />
Qui, guidé par un père, aux rives d'Hion,<br />
Ne-doit plus, terrassé sous <strong>la</strong> Parque inhumaine ,<br />
Saluer son pays, ni revoir Pylémène.<br />
Un trait que-ce héros <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong>. Méné<strong>la</strong>s ,<br />
Frappe le bouclier, mais ne le brise pas j
CHANT TREIZIÈME. 109<br />
Rou<strong>la</strong>nt partout ses yeux j honteux <strong>de</strong> -sa défaite ,<br />
Contre les dards mortels il cherche une r<strong>et</strong>raite<br />
Et fuit vers'ses soldats} quand par un -coup adroit.<br />
Un trait <strong>de</strong>'Mérion lui perce le .'f<strong>la</strong>nc droit-;<br />
L'os se brise ; étendu comme un impur reptile ,<br />
Parmi ses compagnons" il <strong>la</strong>nguit immobile.<br />
Son sang coule à flots noirs ; lorsque son âme a fui.<br />
Les Paph<strong>la</strong>goniens 7 pressés autour <strong>de</strong>:lui 7<br />
Font r<strong>et</strong>entir les cieux <strong>de</strong> leurs p<strong>la</strong>intes amères ,<br />
Et p<strong>la</strong>cent <strong>sur</strong> un char <strong>de</strong>s dépouilles si chères ;<br />
Le cortège s'éloigne , <strong>et</strong> dans ses murs sacrés .<br />
Dion.a reçu les soldats éplorés.<br />
L'œil en pleurs, à pas lents f Pylémène s'avance*<br />
Hé<strong>la</strong>s ! le sang d'un fils restera sans vengeance.<br />
Paris en'frémissant p<strong>la</strong>int ce jeune guerrier<br />
Qui signa<strong>la</strong> jadis son zèle ' hospitalier 9<br />
Lorsqu'un même foyer vit leur jeunesse unie<br />
Dans les champs populeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Paph<strong>la</strong>gonie ;<br />
Son noble cœur s'indigne , <strong>et</strong> sa rapi<strong>de</strong> main<br />
Fait voler une flèche à <strong>la</strong> pointe d'airain.<br />
Parmi les Grecs bril<strong>la</strong>it un mortel intrépi<strong>de</strong>,<br />
Un fils riche <strong>et</strong> puissant du <strong>de</strong>vin Polyi<strong>de</strong> ?
no , L'ILIADE.<br />
Euchénor. Dans Gorintlie où s'ouvrirent ses yeux f<br />
Son père, instruit du sort que lui gardaient les Dieux?<br />
Lui prédisait souvent qu'aux remparts <strong>de</strong> Gorintlie<br />
Sa jeunesse mourrait, d'un mal cruel atteinte,<br />
Ou que j <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> flotte , au rang <strong>de</strong>s morts compté 1<br />
Il tomberait un jour par les Troyens dompté.<br />
D'une affreuse douleur pour détourner l'approche,<br />
Pour fuir <strong>de</strong> ses amis le sévère reproche ,<br />
Au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> son sort Euchénor é<strong>la</strong>ncé,<br />
Par le trait <strong>de</strong> Paris à <strong>la</strong> gorge blessé,<br />
Roule en se débattant ; ses forces l'abandonnent 1<br />
Et d'une épaisse nuit ses regards s'environnent.<br />
Ainsi les <strong>de</strong>ux partis , Fun <strong>sur</strong> l'autre accourant 7<br />
Combattent 1 déchaînés comme un feu dévorant.<br />
Non instruit que <strong>la</strong> Grèce , au succès animée ?<br />
A <strong>la</strong> gauche du camp moissonne son armée,<br />
Et que-le Dieu <strong>de</strong>s mers, propice aux Grecs vainqueurs,<br />
D'une force immortelle a rempli tous leurs oœurs 1<br />
Hector gar<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où, franchissant les portes 7<br />
Son audace a rompu les épaisses cohortes ,<br />
Où les vaisseaux d'Ajax <strong>et</strong> <strong>de</strong> Protésiks<br />
Près <strong>de</strong>s flots b<strong>la</strong>nchissans restent loin <strong>de</strong>s combats,
CHANT TREIZIÈME. tu<br />
Ou les peuples f autour <strong>de</strong>s plus humbles murailles,<br />
Se livrent aux fureurs <strong>de</strong>s sang<strong>la</strong>ntes batailles,<br />
lia les guerriers partis <strong>de</strong>s champs béotiens ,<br />
Des campagnes <strong>de</strong> Phthie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bords locriens,<br />
L'Ionien j vêtu <strong>de</strong> sa longue tunique ?<br />
L'Epéen enf<strong>la</strong>mmé d'un courage héroïque 7<br />
S'opposent vainement à t» divin Hector,<br />
Emule <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre en son rapi<strong>de</strong> essor.<br />
L'élite <strong>de</strong>s héros envoyés par Athènes<br />
Paraît aux premiers rangs ; leurs vail<strong>la</strong>ns capitaines 7<br />
Phéidas/Stichius, Ménesthée <strong>et</strong> Bks<br />
Embrasent -tous les coeurs <strong>de</strong> l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s combats.<br />
Mégès a commandé ; sous ses ordres se range<br />
Des nombreux Épéens l'intrépi<strong>de</strong> pha<strong>la</strong>nge ;<br />
Dracius 1 Amphion secon<strong>de</strong>nt ses efforts.<br />
Les combattant que Phthie enfanta <strong>sur</strong> ses bords ,<br />
Reconnaissent Médon <strong>et</strong> Podarcès pour gui<strong>de</strong>s.<br />
Podareèsi <strong>de</strong>scendait du sang <strong>de</strong>s Phjkci<strong>de</strong>s ;<br />
Fik d'Oïlée7 issu d'un hymen c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,<br />
Médon vit dans Phy<strong>la</strong>ce accueillir son <strong>de</strong>stin,<br />
Loin ëe& champs paternels oè m main meurtrière<br />
Osa d'Ériopis assassiner le frère.
ua L'ILIADE. -<br />
Tandis que ces <strong>de</strong>ux chefs 7 postés près <strong>de</strong>s vaisseaux y<br />
Espèrent du Troyen repousser les assauts j<br />
Unis par les liens d'une amitié fidèle ?<br />
Les Ajax ont armé leur valeur fraternelle :<br />
Ainsi <strong>de</strong>ux taureaux noirs 7 ensemble hal<strong>et</strong>ant,<br />
Seulement séparés par le joug éc<strong>la</strong>tant ,<br />
Traînant dW pas égal <strong>la</strong> pesante charrue ,<br />
Des fertiles guér<strong>et</strong>s déchirent l'étendue ;<br />
La sueur les inon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs fronts pendans<br />
Vers le- creux <strong>de</strong>s sillons coule à flots abondans.<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon f quand ses forces brisées<br />
Sous les travaux <strong>de</strong> Mars succombent épuisées,<br />
A ses vaiUans soldats peut du moins confier<br />
Le poids -embarrassant <strong>de</strong> son fort bouclier.<br />
Mais le fils d'Oïlée en vain pour -son escorte ;<br />
Cherche <strong>de</strong>s Loerïens <strong>la</strong> légère cohorte.<br />
Du combat <strong>de</strong> pied ferme ils détournent leurs pas^<br />
Le casque aux poils touffus ne les ombrage pas ;<br />
Jamais on ne les voit manier dans l'arène<br />
Ni le rond bouclier, ni <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> frêne j<br />
Mais, agitant leur fron<strong>de</strong> <strong>et</strong> leurs dards meurtriers,<br />
Us ont souvent rompu <strong>de</strong>s bataillons entiers.
CHANT TREIZIÈME. n3<br />
Ainsi, quand leurs amis, en marchant à <strong>la</strong> guerre,<br />
Des Troyens <strong>et</strong> d'Hector provoquent <strong>la</strong> colère ,<br />
Cachés par ces soldats d'airain étince<strong>la</strong>ns,<br />
Us décochent partout leurs javelots siff<strong>la</strong>ns ,<br />
Qui, <strong>de</strong>s nombreux Troyens ébran<strong>la</strong>nt le courage,<br />
Dispersent dans leurs rangs, le trouble <strong>et</strong> le carnage.<br />
Loin <strong>de</strong>s tentes alors le Troyen épuisé<br />
Fuyait vers Hion, aux autans exposé,<br />
Lorsqu'au vail<strong>la</strong>nt Hector Polydamas s'adresse :<br />
« 0 toi,- dont <strong>la</strong> fierté brave notre sagesse,<br />
Hector ! si <strong>de</strong> ton g<strong>la</strong>ive un Dieu* gui<strong>de</strong> les coups,<br />
Ton <strong>la</strong>ngage au Conseil l'emporte-t-il <strong>sur</strong> nous?<br />
Peux-tu <strong>de</strong> tous les dons réunir l'assemb<strong>la</strong>ge?<br />
Les Dieux ont <strong>de</strong>s talens divisé le partage.<br />
L'un, illustre son fer par d'immortels exploits ;<br />
L'autre en<strong>la</strong>ce ses pas, <strong>et</strong> module sa voix,<br />
Ou doit à Jupiter c<strong>et</strong> esprit <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce,<br />
Qui <strong>de</strong>s peuples nombreux prévient <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce,<br />
Et, d'utiles conseils leur prodiguant les fruits,<br />
Jouit <strong>de</strong>s biens féconds par lui-même produits.<br />
Ecoute le parti que <strong>la</strong> sagesse ordonne :<br />
De son cercle brû<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> guerre l'environne ; •<br />
a. " 8
• u4 L*IL1ADE.<br />
Les Troyena, dont Fandaee * franchi ce rempart,<br />
Les armés à <strong>la</strong> main 7 <strong>de</strong>meurent à Féeart,<br />
Ou, <strong>de</strong>vant les vaisseaux dispersés avec gloire,<br />
A <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s 'Grecs disputent <strong>la</strong> victoire. '<br />
Gwm donc un instant em transports belliqueux ;<br />
Rassepjble tcws les dbe& j Mibère- avec eux,<br />
S f îl nous fm%f ehowwsant l'attaque ou <strong>la</strong> r<strong>et</strong>raite}<br />
Marcher contre <strong>la</strong> flotte ? ou lâcher sa conquête.<br />
Peutrêtre 7 "hé<strong>la</strong>s l les. Grecs nous feront payer cher<br />
Leur opprobre réee&t, <strong>et</strong> nos exploits d'hier.<br />
Dan» le fend <strong>de</strong> leur camp un homme reste encore ,<br />
Que <strong>la</strong> mi£ "4u cannage mctaB/mamùak dévore j<br />
Il a besoin <strong>de</strong> v«iW£FeT <strong>et</strong> je ne pemafe pas<br />
Qu'il <strong>la</strong>nguie lonjj-tefï^B» exâé <strong>de</strong>s combats- »<br />
Le.-wUe Hector iipproui^e mu consel sdtttçâr<strong>et</strong><br />
Et du haut 4e- mm shm s'éfewce <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre r<br />
ce Polydama»! r^tienu Je* i ?be& kg» plus vai<strong>la</strong>wf<br />
La.gpçr?e me, fajppeUe à ses. 1mYwaL.m$n&i<br />
J'y eou?p7j <strong>et</strong> je reviens^ tawpfr mes Ma fiAàfo,<br />
Chacun d^ iwye^siddat&niWra prouvé son ièk- »<br />
Il s'éloigne, $, ces w4&: ses-cuis» wiikipliéi<br />
Enf<strong>la</strong>mment le* Troyem,. les peuples allié»!
CHANT TREIZIÈME. n5<br />
Et <strong>de</strong> son casque épais le panache rayonne,<br />
Comme un mont b<strong>la</strong>nchissant que <strong>la</strong> neige couronne.<br />
Quand les chefs, rassembles aux aecens <strong>de</strong> sa voix,<br />
Près <strong>de</strong> Polydamas accourent à <strong>la</strong> fois,<br />
D tremble qu?à ses yeux <strong>la</strong> foule ne dérobe<br />
Hélénus, Aidamas, Asius T Déïphobe ;<br />
Atteints, ma le rempart, <strong>de</strong> nombreux javelots,<br />
Les uns ont vu leur sang couler à <strong>la</strong>rges flots j<br />
D'autres, près <strong>de</strong>s vaisseaux que menaçait <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />
Immolés par les Grecs, ont exhalé leur âme.<br />
Paris, divin époux d'Hélène aux beaux cheveux,<br />
A l'aile gauche, assiste au combat désastreux ;<br />
Tandis que <strong>de</strong>s Troyens il excite Paudace ,<br />
Hector s'approche, Hector l'outrage <strong>et</strong> le menace :<br />
« Paris ! vS séducteur, si fier <strong>de</strong> ta beauté,<br />
Femme par ta faiblesse <strong>et</strong> par ta lâch<strong>et</strong>é,<br />
La valeur d'Hélénus estelle moissonnée ?<br />
Déïphobe,. Adamas, le noble Othryonée,<br />
Asius, ou sont-Us? Va! Pergame aujourd'hui<br />
Du faîte <strong>de</strong> ses murs croulera sans appui j<br />
L'inévitable atout a p<strong>la</strong>né <strong>sur</strong> ta tête. »<br />
Pâlis., beau» comme un Dieu^ répond : « Hector ! arrête !<br />
8.
n6 _ "L ? ILIADE.<br />
Ta bouche injustement accuse ma froi<strong>de</strong>ur.<br />
Je ne brû<strong>la</strong>i jamais cFune plus noble ar<strong>de</strong>ur;<br />
Non , le sein maternel n'enfanta point un lâche.<br />
Nous avons combattu'sans crainte <strong>et</strong> sans relâche,<br />
Depuis que ta'valeur f rassemb<strong>la</strong>nt nos soldats,<br />
Cherche auprès dés vaisseaux <strong>la</strong> gloire ou le trépas.<br />
Seuls • <strong>de</strong> tous les amis dont le sort t'intéresse ,<br />
Déïphobe, Héléûus échappent à <strong>la</strong> Grèce; '<br />
Sauvés par Jupiter, mais blessés à Ja main,<br />
Ils ont fui <strong>de</strong>s combats le théâtre inhumain.<br />
Conduis-nous sans dé<strong>la</strong>is où ton'grand cœur t'appelle;<br />
Nos forces seulement borneront notre zèle.<br />
Quand sa vigueur trahit ses efforts superflus,<br />
Le plus brave guerrier ne résistera plus. »<br />
Paris, du noble Hector a désarmé<strong>la</strong> haine.<br />
Et tous <strong>de</strong>ux vont chercher dans <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine<br />
Polyphète,;Orfchéus, Polydamas, Pàlmys,<br />
Cébrïon' <strong>et</strong> Phalcès,' Ascagne avec Morys,<br />
Ces fils d'Hippotion, dont <strong>la</strong> bravoure unie,<br />
'La veille, loin <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> riche Ascanie,<br />
Docile à Jupiter, accourut <strong>sur</strong> ces bords<br />
Remp<strong>la</strong>cer les guerriers <strong>de</strong>scendus chez les morts.
CHANT TREIZIÈME. 117<br />
Lorsqu'avec Faquilon' s'échappant <strong>de</strong>s nuages , .<br />
La foudre dans les airs- déchaîne les orages,<br />
L'océan -agité se gonfle b<strong>la</strong>nchissant , - - .<br />
Et les flots <strong>sur</strong> les flots roulent en mugissant :<br />
Ainsi , fiers d'imiter.les chefs qui les précè<strong>de</strong>nt,'<br />
Aux bruyans bataillons les bataillons succè<strong>de</strong>nt.<br />
Fougueux rival <strong>de</strong> Mars, Hector, le grand Hector<br />
Les gui<strong>de</strong> ; <strong>sur</strong> son front rayonne un casque d'or ;<br />
Eblouissant d'airain, tissu <strong>de</strong> peaux soli<strong>de</strong>s,<br />
Le bouclier, porté par ses mains intrépi<strong>de</strong>s,<br />
Le cache tout entier: il court, mais sa fureur<br />
Ne peut aux cœurs <strong>de</strong>s Grecs inspirer <strong>la</strong> terreur*.<br />
Ajax"s'avance <strong>et</strong>-crie : « Approche, téméraire b<br />
Crois-tu les Argiens sans talent pour <strong>la</strong> guerre ?*<br />
Mais, hé<strong>la</strong>s ! Jupiter, déployant son courroux,<br />
Sous son -terrible fou<strong>et</strong> les- extermine tous.<br />
Tu penses triompher <strong>sur</strong> notre-flotte en cendre...<br />
Tremble ! il nous reste encor <strong>de</strong>s bras pour <strong>la</strong> défendre,<br />
Et tu verras plutôt tes- remparts assiégés<br />
Succomber, par nos,mains conquis <strong>et</strong> ravagés.<br />
Il va luire ce Jour, où, souillé <strong>de</strong> poussière,<br />
Traîné par tes coursiers à <strong>la</strong> belle crinière t
iiB L'ILIADE.<br />
Tu prieras tous les Dieux que cm ar<strong>de</strong>ns .coursiers<br />
Dépassent en fuyant le vol dos éperviers. »<br />
Tandis qu'il parle, -un aigle, au* ailes étendues,<br />
P<strong>la</strong>ne du haut <strong>de</strong>s cieux à <strong>la</strong> droite d^s nues.<br />
A ce présage lueur eux f par lm soldats poussé ,f<br />
Un cri joyeux frémit^ mais Hector : « Inséré !<br />
Quels outrageans discours ton audace profère !<br />
Noble enfant <strong>de</strong> Junon <strong>et</strong> du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />
Que ne puïs-je, doté <strong>de</strong>s honneurs immortels!<br />
D'Apollon, <strong>de</strong> Pgljas partager les autels,<br />
Gomme c<strong>et</strong>te journée, à tous les Grecs fatale,<br />
Les plongera vaincus dans <strong>la</strong> nuit infernale !<br />
En affrontant ma <strong>la</strong>nce, avec eux tu mourras ;<br />
Déchirant <strong>de</strong> ta peau les tissus délicats,<br />
Ce fer va te punir, <strong>et</strong> dans ta chair impure<br />
Les chiens <strong>et</strong> les vautours chercheront leur pâture. »<br />
11 vole ; ses soldats le suivent en çpurajit,<br />
Et leur voix r<strong>et</strong>entit jusques au <strong>de</strong>rnier rang.<br />
Les Grecs, loin d'oublier lepr force <strong>et</strong> leur courage,<br />
Bravent <strong>de</strong>s chefs troyens l'impétueuse rage.<br />
Et partout <strong>de</strong> grands cris, é<strong>la</strong>ncés jusqu'aux cieux,<br />
Frappent <strong>de</strong> Jupiter Je pa<strong>la</strong>is radieux.<br />
FIN DU TREIZIEME CHANT.
CHANT QUATORZIÈME.
SOMMAIRE BU CHANT QUATORZIEME.<br />
Agamemnon propose encore 1a fuite ; Ulyise combat c<strong>et</strong>te proposition,<br />
<strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> conseille <strong>de</strong> revoler au combat. — Junon se,pare <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
ceinture <strong>de</strong> Ténus'. — Jupiter <strong>et</strong> Junon <strong>sur</strong> le mont Ida. — Neptune<br />
?ole au secours <strong>de</strong>s Grecs. — Massacre <strong>et</strong> déroute <strong>de</strong>s Troyens.
L'ILIADE.<br />
CHANT QUATORZIÈME.<br />
A peine ces c<strong>la</strong>meurs ont 'effrayé Nestor ,<br />
Qui," buvant dans sa tente, y reposait encor ;<br />
« O divin Machaon ! dit-il, quel sort s'apprête?<br />
Entends près <strong>de</strong>s vaisseaux redoubler <strong>la</strong> tempête.<br />
Cependant reste assis; bois ce vin généreux,<br />
Et <strong>la</strong> jeune Hécamè<strong>de</strong>, esc<strong>la</strong>ve aux beaux cheveux,<br />
Echauffera le bain, qui dans son on<strong>de</strong> pure<br />
Te <strong>la</strong>issera <strong>la</strong>ver ta sang<strong>la</strong>nte bles<strong>sur</strong>e.<br />
Je cours vers <strong>la</strong> hauteur ; si^r les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars<br />
Rabaisserai <strong>de</strong> loin mes vïgi<strong>la</strong>ns regards. »<br />
A ces mots, <strong>de</strong> son fils, écuyer intrépi<strong>de</strong>,<br />
Il prend le bouclier éc<strong>la</strong>tant <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> ;
iaa y ILIADE.<br />
Car Far<strong>de</strong>nt Thrasymè<strong>de</strong>, en vo<strong>la</strong>nt aux combats y •<br />
De Farmure d'un père avait chargé son bras.<br />
Use pLji*e d'oinûa dans sm maâm m ba<strong>la</strong>nce.<br />
Il part ; hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente il sWéte en silence...<br />
O terreur ! qu Vt-ïl vu ? Près <strong>de</strong>s murs renverses 9<br />
Les TVoyens triomphons , <strong>et</strong> les Grecs dispersés.<br />
Quand FOcéan noircit son humi<strong>de</strong> étendue,<br />
L f on<strong>de</strong> silencieuse <strong>et</strong> toujours suspendue<br />
Attend l'heure où, docile aux lois <strong>de</strong> Jupiter f<br />
Le fougueux aquilon tourmentera <strong>la</strong> mer :<br />
Ainsi flotte Nestor ; ira-t-il vera Atrï<strong>de</strong>?<br />
Eejoindra-t-il <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge intrépi<strong>de</strong>?<br />
Son cœur ^ toujours pru<strong>de</strong>nt 7 sans être intimidé,<br />
Pour ce premier parti s'est enfin décidé,<br />
Et cependant il voit périr les <strong>de</strong>ux années 7<br />
IFune rivale ar<strong>de</strong>ur au carnage animées ;<br />
La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive en courroux<br />
Sur le sein <strong>de</strong>s guerriers font r<strong>et</strong>entir leurs «xiups.<br />
Au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> Nestor f pour venir à son ai<strong>de</strong>}<br />
Ulysse, Agamemnon} <strong>et</strong> le fier Diomè<strong>de</strong>,<br />
Les rois 7 enfans <strong>de</strong>s Dieux, blessés <strong>et</strong> chanœ<strong>la</strong>ns ,<br />
J)u fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux portent leurs pas tremb<strong>la</strong>ns.
CHANT QUAT01ZIÈME. ia5<br />
Leur flotte., <strong>sur</strong> k» bords <strong>de</strong> k mer Manchiwwnte,<br />
N'entend point <strong>de</strong>s combats k fiurazr menaçante;<br />
La p<strong>la</strong>ine dans son sein vit traîner les vaisseaux,<br />
Accourus les premiers <strong>sur</strong> l'àbyme <strong>de</strong>s eaux f<br />
Et, par un mur soli<strong>de</strong> avec art protégées,<br />
Jusque vos IDcéan leurs poupes dirigées<br />
S'éten<strong>de</strong>nt; le rivag<strong>et</strong> en son immensité.,<br />
Saurait pu contenir leur nombre illimité.<br />
D'un promontoire .à l'autre occupant c<strong>et</strong> espace ,<br />
Que du camp populeux tout l'intervalle embrasse,<br />
Sur divers échelons les vaisseaux alignés<br />
Des champs sangkns <strong>de</strong> Mars reposent éloignés.<br />
Les chefs 1 impatiens <strong>de</strong> revoir les batailles,<br />
Sur leur pique appuyés , loin <strong>de</strong>s hautes murailles,<br />
S'avancent lentement : à l'aspect <strong>de</strong> Nestor,<br />
La douleur dans leur sein renaît plus vive encor.<br />
« O toi, l'honneur <strong>de</strong>s Grecs , Nestor , fik <strong>de</strong> Nélée,<br />
Pourquoi donc <strong>la</strong>isses-tu k sang<strong>la</strong>nte mêlée ?<br />
S'écrie Agamemnon ; tout mon cœur a frémi.<br />
Si, parmi les Troyens, ce terrible ennemi,<br />
Ce fier Hector jura <strong>de</strong> n'entrer dans Pergame,<br />
Qu'au jour où , dévorés par le fer <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme f
ia4 L'ILIADE.<br />
Les navires nombreux sous leurs fumans monceaux<br />
Auront vu notre'sang couler à longs ruisseaux,<br />
Le barbare accomplit ces menaces altières.<br />
Dieux ! tous les Âchéens aux chaus<strong>sur</strong>es guerrières,<br />
Gomme Achille irrites, veulent donc mon trépas,<br />
Puisque <strong>sur</strong> leurs vaisseaux ils ne combattent pas ! »<br />
s Hé<strong>la</strong>s ! reprend Nestor f notre perte est prochaine ;<br />
Jupiter <strong>de</strong> nos maux ne peut briser <strong>la</strong> chaîne.<br />
Il est tombé ce mur, dont le puissant secours<br />
Protégeait, notre flotte, <strong>et</strong> défendait nos jours,<br />
Et déjà le Troyen <strong>sur</strong> nos légères poupes<br />
Précipite à F envi ses invincibles troupes.<br />
On ne peut découvrir' <strong>de</strong> quel côté le sort<br />
Disperse davantage <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.<br />
Quels-cris frappent les cieux ! Partout le sang ruisselle,<br />
Et <strong>de</strong>s Grecs expirans <strong>la</strong> foule s'amoncelle.<br />
Délibérons j peut-être 7 en' un danger pareil,<br />
Il est pour nous encore un utile conseil.<br />
Ce n'est plus aux exploits que ma bouche t'invite j<br />
Blessé dans les combats f un héros les évite. »<br />
Mais Atri<strong>de</strong> : « O vieil<strong>la</strong>rd ! puisque <strong>sur</strong> les vaisseaux<br />
L'ennemi, <strong>de</strong> nos morts entasse les monceaux,
CHANT "QUATORZIÈME. i»5<br />
Puisque ces longs fosses <strong>et</strong> ces <strong>la</strong>rges murailles<br />
N'offrent plus un rempart contre les funérailles,<br />
Jupiter j dont le bras pèse <strong>sur</strong> notre front ?<br />
Du trépas loin-d'Argos nous réserve l'affront.<br />
JPattendais son secours... espérance inutile !<br />
Il enchaîne <strong>de</strong>s Grecs le courage immobile,<br />
Et veut que les Troyens ? tous à l'égal <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Au chemin <strong>de</strong>s combats marchent victorieux.<br />
Obéissez : rendons à <strong>la</strong> liqui<strong>de</strong> p<strong>la</strong>îiue<br />
Les navires voisins y 'étendus <strong>sur</strong> l'arène ;<br />
Que l'ancre les r<strong>et</strong>ienne , <strong>et</strong> quand <strong>la</strong> sombre nuit<br />
Suspendra le courroux dû fer qui nous poursuit 7<br />
0 Grecs ! en" l'arrachant à ces p<strong>la</strong>ges funestes,<br />
De. notre flotte au 'moins -sauvons les <strong>de</strong>rniers restes.<br />
Partons ; sans déshonneur nous franchirons les mers.<br />
La fuite est préférable à- l'opprobre <strong>de</strong>s fers. »<br />
Ulysse lui.répond par un regard farouche :<br />
« Atri<strong>de</strong>! quel discours s ? échappe <strong>de</strong> ta bouche?<br />
- Malheureux ! que n'as-tu ? pour leur dicter <strong>la</strong> loi ?<br />
Des peuples avilis <strong>et</strong> lâches'comme toi !<br />
Quoi! tu règnes• <strong>sur</strong> nous j illustrés dans <strong>la</strong> guerre f<br />
Sur nous r à qui le .Dieu du ciel <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,
is6 LmiADE.<br />
Depuis nos premiers ans jusque notre tombeau 9<br />
Des terribles, combats imposa le far<strong>de</strong>au !<br />
Âpres tant <strong>de</strong>- malheurs, ni» troupes disparues<br />
Vont-elles donc s'enfi<strong>la</strong>* <strong>de</strong> Troie aux <strong>la</strong>rges mes ?<br />
Silence ! loin <strong>de</strong> toi ce <strong>la</strong>ngage abhorré 9<br />
Indigne d'an mortel dn sceptre décoré ,<br />
D'un roi sage <strong>et</strong> pru<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>nt k vaste puissance<br />
Range m> peuple nombreux sons Mm obéissance.<br />
Je te blâme : veux-tu, prescrivant le départ,<br />
Quand un taaralte 1 ar<strong>de</strong>nt frémit <strong>de</strong> toute part ,<br />
Enivrer le» Troyew d l orgueE <strong>et</strong> d'allégresse,<br />
Et ver» Pabyme enêm précipiter k Grèce ?<br />
Dès le premier signal, to verrais tes soldats,<br />
Pcrar fuir <strong>sur</strong> les- vaiwaux, déserter tes combats.<br />
Notee perte,, ô douleur! cfast toi
CHANT QUAT01ZIÈME. 1*7<br />
Me voici ! N'ai» points nrfprisont ma journae,<br />
Par un dédain «uperbe accueillir ma sagesse.<br />
Laissez-moi, c<strong>et</strong>. orgueil sans, doute m f «i permis.,<br />
Vanter le sang fameux à mes veines transmis.<br />
Mom père fit Tydée ; une terre lointaine<br />
L'ensevelit aux. pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité tfeânaine*.<br />
Dans les murs <strong>de</strong> PleiirôBt f au s<strong>et</strong>» <strong>de</strong> CaJydbnf<br />
Oïnée, illustré pnr f éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> aon oonob f<br />
Agrïus <strong>et</strong> Mê<strong>la</strong>s, ces- trok fik <strong>de</strong> Portibée^<br />
Virent régner long-temps- leur race- respectée.<br />
Ty«dée m plus, vail<strong>la</strong>nt dnt k sceptre <strong>et</strong>.le jour;<br />
Lui-même il s'exi<strong>la</strong>, d» paternel séjour ; .<br />
Tel fut Farzét 4<strong>et</strong> Diew : après <strong>de</strong> bug» voyages f<br />
D'Aiîgw hospiiaMère il aborda les p<strong>la</strong>ges.<br />
Dans- u» ri<strong>et</strong>e* paki% Vhymm f cffmUUot. ses: vœux *<br />
à <strong>la</strong> file dfàdftste unît mm sort fceweuxj<br />
Il posôéd*: <strong>de</strong>s. dùonpa féconds, en bêles gerbes f<br />
Mille vastes jasriiMi, p<strong>la</strong>ntés: d'arbres sapote»$<br />
Dms ses p<strong>la</strong>ia<strong>et</strong>. eiraient d%ni»iilffalilei troupeai!»!<br />
Et k koce- à k wmn f ïï n'en* point <strong>de</strong> rivaus.<br />
Ces fidèles récita, gravés damk mémoire f<br />
Vonftapproeafc.sa&s doute <strong>et</strong> ma race <strong>et</strong>. ma gloire.
i»8 L'ILIADE.<br />
Compagnons ! honorez <strong>de</strong> votre assentiment<br />
Les conseils que ma voix propose hardiment :<br />
Si <strong>la</strong> nécessité nous rappelle aux batailles,<br />
Loin <strong>de</strong>s' traits, messagers <strong>de</strong> promptes funérailles 7<br />
Blessés <strong>de</strong> coups nombreux , craignons-en <strong>de</strong> nouveaux,<br />
Et restons spectateurs <strong>de</strong> ces sang<strong>la</strong>ns travaux ;<br />
Là, du moins nous pourrons, par un hardi <strong>la</strong>ngage,<br />
Des soldats ïndolens ranimer le" courage. »<br />
H parle ; on obéit. Le monarque d'Argos<br />
S'avance , accompagné <strong>de</strong>s chefs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s héros.<br />
Témoin <strong>de</strong> leurs transports, pour venger leur injure,<br />
Neptune , d'un vieil<strong>la</strong>rd emprunte <strong>la</strong> figure.<br />
Paraît aux yeux d'Atrï<strong>de</strong>, <strong>et</strong> saisissant sa main :<br />
« Achille, triomphant dans son cœur inhumain,<br />
D'une horrible allégresse a tressailli sans doute,<br />
En contemp<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s Grecs le meurtre <strong>et</strong> <strong>la</strong> déroute I<br />
Le cruel n'a point d'âme... Ah ! puisse-t-il périr !<br />
Puisse le ciel vengeur <strong>de</strong> honte le couvrir'!<br />
Mais tous les Dieux <strong>sur</strong> toi n'épuisent pas leur rage ;<br />
En <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> poussière, en <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> carnage ,<br />
Bientôt les chefs troyens, fuyant <strong>de</strong> toutes parts,<br />
Cacheront leur opprobre au fond <strong>de</strong> leurs remparts, »
CHANT QUATORZIEME. i»g<br />
Il vole <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un cri dont <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tressaille.<br />
Tek dix mille guerriers , armés pour <strong>la</strong> bataille 7<br />
Confon<strong>de</strong>nt leurs c<strong>la</strong>meurs : ainsi le Dieu <strong>de</strong>s mers<br />
Du fond <strong>de</strong> sa poitrine a poussé dans les airs<br />
Une voix qui partout rallume dans les âmes • ,<br />
Des combats meurtriers les dévorantes f<strong>la</strong>mmes.<br />
Junon au trône d'or <strong>sur</strong> les sang<strong>la</strong>ns hasards<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> FOlympe abaisse ses regards ;<br />
Son cœur se réjouit à l'aspect <strong>de</strong> son frère<br />
Qui ranime les Grecs dans les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />
Mais <strong>sur</strong> ïïda , fertile en limpi<strong>de</strong>s ruisseaux,<br />
Furieuse •, elle voit Partisan <strong>de</strong> leurs maux,<br />
Jupiter, De ce Dieu qui ba<strong>la</strong>nce F égi<strong>de</strong> 7<br />
Ne peut-elle tromper <strong>la</strong> vengeance homici<strong>de</strong> ?<br />
De parure <strong>et</strong> d'attraits bril<strong>la</strong>nte tour à tour,<br />
Junon veut qu'avec elle il s'unisse d'amour,<br />
Et <strong>la</strong>isse le sommeil par une molle ivresse<br />
Assoupir sa paupière , endormir sa sagesse.<br />
Triomphante en espoir, elle vole soudain<br />
Vers le réduit superbe 7 ouvrage <strong>de</strong> Vulcain ;<br />
Dès qu'elle a refermé c<strong>et</strong>te porte secrète<br />
Dont sa main seule encor tourna <strong>la</strong> clef discrète,<br />
' 2 * 9
i3o L'ILIADE.<br />
Sur ses membres divins, ; éd<strong>la</strong>tans <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncheur ,<br />
Une douce ambroisie épanche 'sa fraîcheur,<br />
•Et les flots onctueux d'une huile parfumée ,<br />
Exhalent autour d'elle une o<strong>de</strong>ur' embaumée<br />
Qui, remplissant <strong>de</strong>s eieux les <strong>la</strong>mbris éternels..<br />
Enivre le séjour <strong>de</strong>s Dieux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mortels.<br />
Tandis que ses cheveux,•peignés en longues tresses,<br />
Dispersent <strong>sur</strong> son cou leurs flottantes richesses,<br />
Lié près <strong>de</strong> son cœur par <strong>de</strong>s agrafes d'or,<br />
Brille ce vêtement, magnifique trésor,<br />
Où <strong>de</strong> son art, fécond en merveilleux prestiges,<br />
L'aiguille <strong>de</strong> PaUas rassemb<strong>la</strong> tes* prodiges.<br />
Son oreille a reçu les anneaux radieux<br />
Qui <strong>de</strong> trois diamans font resplendir les-feux.<br />
Lorsqu'autour <strong>de</strong> son cofps l'élégante ceinture<br />
De ses franges sans nombre arrondit <strong>la</strong> parure,<br />
B<strong>la</strong>nc comme le soleil, <strong>sur</strong> son front éc<strong>la</strong>tant<br />
Pour <strong>la</strong> première fois un long voile s'étend ;<br />
A ses pieds délicats <strong>la</strong> chaus<strong>sur</strong>e s'en<strong>la</strong>ce.<br />
Enfin, belle d'atours, <strong>de</strong> charmes <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce,<br />
Elle court, échappant aux regards curieux,<br />
Adresser à Yénus ces mots mystérieux :
'CHANT QUATORZIEME. i3i<br />
« Voudras-tu m'exaucer^ ô -fille aimable <strong>et</strong> chère,<br />
Ou seras-tu -rebelle aux désirs <strong>de</strong> ta mère 1<br />
Et d'un œil irrite 1 quand.tu sers le Trojen,<br />
Me vois4u~done aux^Grecs «accor<strong>de</strong>r mon soutien ? »<br />
« Fille du grand ^Satarne 7 «ô Déesse immortelle,<br />
Répond Vénus ; -vers-moi iqmel intérêt t'appelle ?<br />
Te p<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> d'obéir 7 tel est «non-seul-<strong>de</strong>voir.<br />
J'accomplirai tes vœux 7 --si j'en ai le pouvoir. »<br />
La perfi<strong>de</strong> Junon réplique avec adresse' :<br />
« O Vénus 1 donne-moi ta grâce enchanteresse 7 •<br />
Ces désirs , c<strong>et</strong> amour dont-les -charmes .vainqueurs<br />
Des. hommes «<strong>et</strong> <strong>de</strong>s tDieux séduisent .tous les cœurs.<br />
Tétliys <strong>et</strong> l'Océan ? premiers auteurs*du mon<strong>de</strong> ,<br />
Reposent aux confins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> ;•<br />
Je cours les visiter ; dans leurs pa<strong>la</strong>is lointains,<br />
Rhée à leurs soins jadis confia mes <strong>de</strong>stins,<br />
Quand sous <strong>la</strong> mer stérile 7 au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre 7<br />
Jupiter irrité précipita son père.<br />
J'ai vu <strong>de</strong>puis long-teihps <strong>de</strong> leurs -chastes amours<br />
La jalouse Discor<strong>de</strong> interrompre le cours ;<br />
Si je peux 7 les rendant à leur première ivresse,.<br />
Sur le lit nuptial réunir leur tendresse,<br />
9-
i3a L'ILIADE.<br />
Je <strong>de</strong>viendrai, pour prix d'un bienfait précieux 1<br />
Plus respectable encore <strong>et</strong> plus chère à leurs jeux. »<br />
« O Déesse ! répond Vénus au doux sourire ,<br />
Ton cœur n'ignore pas son invincible empire.<br />
Que te refuserais-je , ô toi, reine <strong>de</strong>s cieux,<br />
Qui dors entre les bras du souverain <strong>de</strong>s Dieux ? »<br />
Vénus a détaché <strong>la</strong> ceinture chérie<br />
Dont Fart avait tissu <strong>la</strong> riche bro<strong>de</strong>rie :<br />
Là reposent l'amour, ces charmes séducteurs,<br />
Ces désirs enivrans , ces aveux enchanteurs ,<br />
Et ces doux entr<strong>et</strong>iens dont l'âme du plus sage<br />
N'entend pas sans danger l'insidieux <strong>la</strong>ngage.<br />
« Tiens, dit-elle à Junon , prends ce divin tissu ;<br />
Dans ton cœur en secr<strong>et</strong> qu'il reste inaperçu ;<br />
Tout ce qui peut charmer, ses replis le contiennent.<br />
Il n'est pas <strong>de</strong> succès que tes désirs n'obtiennent. »<br />
La Déesse sourit, <strong>et</strong> souriant encor 7<br />
Renferme dans son sein le magique trésor.<br />
Maïs tandis que Vénus disparaît à sa vue,<br />
Du haut <strong>de</strong>s cieux Junon, dans les airs suspendue,<br />
Abaissant <strong>de</strong> son vol l'essor précipité ,<br />
Des champs piériens franchit l'immensité ,
CHANT QUATORZIÈME. i33<br />
La riante Emathie, <strong>et</strong> ces monts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thrace<br />
Qui s'élèvent b<strong>la</strong>nchis par <strong>la</strong> neige <strong>et</strong> <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce.<br />
De FAthos <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer <strong>de</strong>scendue à grands pas,<br />
EUe arrive à Lemnos 7 <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Tlioas ;.<br />
Ses pieds aériens ne touchent pas <strong>la</strong> terre.<br />
C'est là que <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mort elle abor<strong>de</strong> le frère r<br />
Et lui prenant <strong>la</strong> main : a Divin Sommeil ! ô toi-,<br />
Des Dieux'<strong>et</strong> <strong>de</strong>s mortels le vainqueur <strong>et</strong> le- roi,<br />
Si jamais à" mes vœux tu soumis ta puissance T<br />
Eternise tes droits à ma reconnaissance.<br />
Quand je F aurai rempli <strong>de</strong> mes désirs brû<strong>la</strong>ns,<br />
Ferme <strong>de</strong> Jupiter les .yeux étïnce<strong>la</strong>ns.<br />
Je te prom<strong>et</strong>s un trône f ouvragç in<strong>de</strong>structible ,<br />
Qui j forgé par Vulcain d'un or incorruptible,<br />
De sa riche escabelle 7 au moment <strong>de</strong>s repas ?<br />
Prêtera le soutien à tes pieds délicats. »<br />
Le doux Sommeil répond : ce Déesse respectable?,<br />
Junon ! du grand Saturne ô fille redoutable,<br />
Si toujours sans obstacle à mes lois je soum<strong>et</strong>s<br />
Tous les Dieux, habitans <strong>de</strong>s célestes somm<strong>et</strong>s ,<br />
Et le vaste Océan dont <strong>la</strong> source divine<br />
Nous fit puiser à tous une même origine %
,34 L'ILIADE.<br />
Docile à Jupiter, je tenterais en vain<br />
D'assoupir ses regards sans mu ordre divin.<br />
Je servis autrefois ta fureur vengeresse,<br />
Et mon propre danger m'enseigna <strong>la</strong> sagesse ;<br />
Quand Alci<strong>de</strong> vainqueur loin d'Hion détrait<br />
Yoguait^ <strong>de</strong> sa conquête emportant l'heureux fruit 7<br />
Crédule, j'enivrai d'une vapeur perfi<strong>de</strong><br />
Le Dieu qui fait briller sa formidable égi<strong>de</strong> ;<br />
Soulevant <strong>et</strong> les flots <strong>et</strong> les vents ennemis,<br />
Ta haine conspira <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> son fils<br />
Qui j loin <strong>de</strong> ses soldats, poussé par les orages 7<br />
De <strong>la</strong> superbe Gos aborda les rivages.<br />
A l'heure du réveil 7 Jupiter furieux<br />
Dans l'Olympe ébranlé poursuivit tous les Dieux ?<br />
Et dans les mers son bras que l'univers redoute<br />
M'eût j<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> l'immortelle voûte1<br />
Si , d'un voilé profond mè prêtant le secours 7<br />
La Nuit à son courroux n ? eût dérobé mes jours ;<br />
Il craignit d f irriter c<strong>et</strong>te dgile Déesse 7<br />
De <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> du ciel souveraine maîttesse.<br />
0 Junon ! maintenant c'est à toi <strong>de</strong> songer<br />
Dans quel nouveau malheur tu voudrais me plonger. »
CHANT QUATORZIÈME. i35<br />
Junon aux <strong>la</strong>rges yeux ajoute ces paroles :<br />
c« Pourquoi livrer ton âme à <strong>de</strong>s terreurs frivoles ? ,<br />
Crois-tu que Jupiter aux vigï<strong>la</strong>ns regards T<br />
Pour sauver les Troy ens dans leurs tremb<strong>la</strong>ns remparts ,<br />
S'irriterait encor, comme au jour où d'Alci<strong>de</strong><br />
Le péril alluma sa vengeance homici<strong>de</strong> ?<br />
"Viens : Pasithée , obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ton amour constant f<br />
A ton sort fortuné s'unit au même instant,<br />
Et tu vas, épousant <strong>la</strong> plus jeune <strong>de</strong>s Grâces 7<br />
Enchaîner pour jamais le bonheur <strong>sur</strong> tes traces. »<br />
A ces mots, le Sommeil <strong>de</strong> joie a palpité :<br />
a Eh bien ! jure, a-t-il dit, par le Styx redouté ;<br />
Jure au nom <strong>de</strong> ces Dieux dont Penfer est Fasyle ;<br />
Sur <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante <strong>et</strong> <strong>la</strong> terre fertile<br />
Déesse ! étends les mains , <strong>et</strong> jure qu'en ce jour<br />
L'hymen à Pasithée unira mon amour. »<br />
Junon aux bras d'albâtre 7 à ses vœux favorable ?<br />
Proférant sans dé<strong>la</strong>i le serment vénérable ,<br />
Atteste tous ces Dieux appelés les Titans 1<br />
Ces -Dieux, du noir Tartare éternels habitans.<br />
Bientôt, enveloppés d'un ténébreux nuage 7<br />
D'Imbros <strong>et</strong> <strong>de</strong> Lemnos dé<strong>la</strong>issant le rivage ,
i36 L'ILIADE.<br />
Ba<strong>la</strong>ncés dans les airs, <strong>sur</strong> les flots suspendus f<br />
Tous <strong>de</strong>ux près <strong>de</strong> Lectos s'arrêtent <strong>de</strong>scendus..<br />
La terre les reçoit ; <strong>de</strong>s forêts verdoyantes<br />
S'agitent sous leurs pieds, les cimes ondoyantes.<br />
Au faîte <strong>de</strong> FIda qui voit <strong>sur</strong> ses coteaux<br />
Les animaux errer <strong>et</strong> jaillir les ruisseaux r<br />
Le Sommeil, se cachant parmi l'épais feuil<strong>la</strong>ge<br />
D'un sapin élevé qui j<strong>et</strong>te un vaste ombrage ?<br />
Ressemble à c<strong>et</strong> oiseau , chantre mélodieux ?<br />
Gymindis spr <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> Chalcis. dans les cieux.<br />
Sur le Gargare à peine il voit Junon paraître r<br />
Dans son cœur agité Jupiter sent renaître<br />
De violens désirs, comme en ce jour heureux<br />
Où <strong>sur</strong> <strong>la</strong> même couche ils s'unirent tous <strong>de</strong>ux, ,<br />
Quand 1 loin <strong>de</strong> leurs parens , un furtif hyménée.<br />
Pour <strong>la</strong> première fois lia leur <strong>de</strong>stinée.<br />
Il s'approche : « 0 Junon ! sans char <strong>et</strong> sans coursiers f<br />
Pourquoi du haut Olympe as-tu fui les sentiers.?<br />
Parle : Où vas-tu ? » Junon répond avec mystère ;<br />
« Je dirige mes pas aux confins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ;<br />
Je cours y visiter notre mère Téthys<br />
Et Fantique Océan d'où les Dieux sont sortis ;,
CHANT QUATORZIÈME. i3y<br />
Tous <strong>de</strong>ux en leurs pa<strong>la</strong>is, où leurs soins m'ont nourrie,<br />
Ont vu croître <strong>et</strong> grandir mon enfance chérie.<br />
La discor<strong>de</strong> , élevée entre ces <strong>de</strong>ux époux ,<br />
Remplit, hé<strong>la</strong>s ! leurs cœurs <strong>de</strong> ses transports jaloux ;<br />
Ils s'abstiennent d'amour... Puissé-je dans leur âme<br />
Etouffer leur colère <strong>et</strong> réveiller leur f<strong>la</strong>mme !<br />
Mon char, prêt à voler <strong>sur</strong> les flots ou dans Pair,<br />
M'attend aux pieds du mont. 0 puissant Jupiter !<br />
Auprès <strong>de</strong> POcéan avant que je <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>,<br />
Loin <strong>de</strong> l'Olympe ici j'accours vers toi ; comman<strong>de</strong>.<br />
J'ai craint <strong>de</strong> t'offenser, si, bravant tes décr<strong>et</strong>s ,<br />
Je pénétrais au fond <strong>de</strong> ses gouffres secr<strong>et</strong>s. »<br />
« Junon ! reprend le Dieu qui déchaîne Forage 7<br />
Choisis d'autres momens pour ce lointain voyage...<br />
Unissons-nous 'd'amour y- viens combler mon désir ;<br />
Viens : cè<strong>de</strong> entre mes bras aux charmes du p<strong>la</strong>isir.<br />
Il n'est pas <strong>de</strong> mortelle, il n'est pas <strong>de</strong> Déesse<br />
Qui m'ait encor rempli d'une si douce ivresse :<br />
L'épouse dlxion dont le sein glorieux<br />
Nourrit Pïrithoûs, c<strong>et</strong> homme "égal aux Dieux,<br />
La belle Danaé qui <strong>de</strong> son fils Persée<br />
Vit <strong>la</strong> "gloire partout s'étendre dispersée ,
i38 L'ILIADE.<br />
La fille <strong>de</strong> Phénix qui conçut <strong>de</strong>ux héros,<br />
Le divin Bhadamanthe <strong>et</strong> le puissant Minos 7<br />
Alcmène <strong>et</strong> Sémélé dont <strong>la</strong> couche fécon<strong>de</strong><br />
Porta le grand McMe <strong>et</strong> Bacchus cher au mon<strong>de</strong> ?<br />
Latone au • cœur altier5 Gérés'aux beaux cheveux<br />
N'ont jamais dans mon sein allumé tant <strong>de</strong> feux.<br />
Jamais 7 toi-même f enfin 7 grâce à ton doux empire 1<br />
Tu n'as plongé mes sens dans un pareil délire. »<br />
ce Fils <strong>de</strong> Saturne ! eh quoi ! faut-il que sans pu<strong>de</strong>ur<br />
Ec<strong>la</strong>te à tous les yeux notre amoureuse ar<strong>de</strong>ur 7<br />
Et qu'un <strong>de</strong>s immortelsT témoin <strong>de</strong> notre hante,<br />
Pour <strong>la</strong> conter aux Dieux, dans l'Olympe remonte ?<br />
Non : je n'oserais plus 1 en sortant <strong>de</strong> tes bras T<br />
Montrer dans ton pa<strong>la</strong>is mon pudique embarras.<br />
Mais j s'il faut te cé<strong>de</strong>r f un réduit solitaire,<br />
Chef-d'œuvre <strong>de</strong> Vulcaïn, asyle du mystère,<br />
Peut seul au mon<strong>de</strong> entier dérober notre amour :<br />
Viens dormir avec moi dans c<strong>et</strong> obscur séjour. »<br />
« Junon ! répond le Boi que l'Olympe révère,<br />
Des mortels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux ne crains pas Fœil sévère.<br />
Dans un nuage d'or aux immenses replis<br />
Nous resterons long-temps tous <strong>de</strong>ux ensevelis ,
CHANT QUATORZIÈME. i3g<br />
Et les jeux du Soleil, étendus <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>,<br />
PPen perceront jamais Fobscurité profon<strong>de</strong>. »•<br />
Dans ses bras amoureux le Dieu presse Junon ;<br />
La terre fait éclore un jeune <strong>et</strong> doux gazon ;<br />
D'un beau nuage d ? or l'impénétrable enceinte<br />
Les cache à Funivers, <strong>et</strong> <strong>la</strong> mole hyacinthe,<br />
L'humi<strong>de</strong> <strong>et</strong> vert lotos, le safran parfumé<br />
Soulèvent les époux <strong>sur</strong> un lit embaumé ,<br />
Tandis que <strong>la</strong> rosée en <strong>la</strong>rmes argentines<br />
Tombe légèrement <strong>sur</strong> leurs têtes divines.<br />
Tel 1 exempt <strong>de</strong> soupçons , Jupiter tour à tour<br />
S'enivre <strong>sur</strong> llda <strong>de</strong> sommeil <strong>et</strong> d f amour.<br />
Bientôt le doux Sommeil , messager d'allégresse 7<br />
S'éloigne, vole 1 arrive aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce :<br />
« O Neptune ! a-t-il dit, <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Danaûs<br />
Secours pour un moment les bataillons vaincus.<br />
Hâte-toi ; que ton bras s f arme enfin pour leur cause f<br />
Tandis que Jupiter tranquillement repose ;<br />
J'ai su l'envelopper <strong>de</strong> mes douces vapeurs f<br />
Et Junon le r<strong>et</strong>ient dans ses p<strong>la</strong>isirs trompeurs. »<br />
Il dit, s'envoie <strong>et</strong> court prodiguer <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tore<br />
Aux tribus <strong>de</strong>s mortels son charme salntaire.
i4o L'ILIADE.<br />
Neptune aux premiers rangs, plus furieux encor r<br />
S'é<strong>la</strong>nce : « Enfans d'Argos ! <strong>la</strong>isserez-vous Hector<br />
Envahir notre flotte, <strong>et</strong> se couvrir <strong>de</strong> gloire ?<br />
Si son avi<strong>de</strong> orgueil se prom<strong>et</strong> <strong>la</strong> victoire ,<br />
C'est que <strong>sur</strong> ses vaisseaux il voit d'Achille oisif<br />
Languir obscurément le courage captif.<br />
Achille est irrite : qu'importe sa vengeance,<br />
Si tout le camp <strong>de</strong>s Grecs combat d'intelligence ?<br />
Cé<strong>de</strong>z à mes conseils ; en vo<strong>la</strong>nt aux combats<br />
Des plus grands boucliers, amis ! chargeons nos brasf<br />
Que les cimiers épais , que les <strong>la</strong>nces bril<strong>la</strong>ntes<br />
S'élèvent <strong>sur</strong> nos fronts, arment nos mains vail<strong>la</strong>ntes.<br />
Vers le champ meurtrier si je gui<strong>de</strong> vos coups 7<br />
Hector, fils <strong>de</strong> Priant, s'enfuira <strong>de</strong>vant nous.<br />
Que le faible , affranchi du poids qui le <strong>sur</strong>charge,<br />
Cè<strong>de</strong> au plus vigoureux un bouclier plus <strong>la</strong>rge ! »<br />
Ces ordres à <strong>la</strong> fois sont donnés <strong>et</strong> remplis.<br />
Malgré les coups récens qui les ont affaiblis, • '.<br />
Ulysse , Diomè<strong>de</strong> <strong>et</strong> le puissant Atri<strong>de</strong><br />
Parmi les bataillons marchent d'un pas rapi<strong>de</strong> ;<br />
Plus légers ou plus forts , les traits , les boucliers,<br />
Echangés l'un pour l'autre, arment tous les guerriers^
CHANT QUATORZIÈME. 4i<br />
L'airain resplendissant entoure leur poitrine."<br />
Terrible-, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens méditant <strong>la</strong> ruine,<br />
Neptune le premier se présente , <strong>et</strong> le fer "<br />
Etincelle en sa main , émule <strong>de</strong> Féc<strong>la</strong>ir.<br />
Dans.les sang<strong>la</strong>ns combats ? Faspect seul <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce<br />
Des plus hardis guerriers enchaîne <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />
Par le fils <strong>de</strong> Priam les peuples ras<strong>sur</strong>és<br />
S'avancent y <strong>et</strong> Neptune aux cheveux azurés ,<br />
L'illustre Hector, armés pour <strong>la</strong> Grèce ou pour Troie,<br />
A <strong>la</strong> même fureur marchent tous <strong>de</strong>ux en proie.<br />
Tout le camp dans son sein voit débor<strong>de</strong>r <strong>la</strong> mer,<br />
Et mille hurlemens se confon<strong>de</strong>nt dans Fair.<br />
Ni les flots révoltés qu'en sa grondante rage<br />
L'impétueux Borée a J<strong>et</strong>és vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge,<br />
Ni le feu <strong>de</strong>structeur dans le creux <strong>de</strong>s vallons<br />
Lançant <strong>sur</strong> les forêts ses brû<strong>la</strong>ns tourbillons ,<br />
Ni le vent qui secoue avec un sourd murmure<br />
Des chênes agités <strong>la</strong> haute chevelure,<br />
Eien n'égale les cris que poussent vers les cieux<br />
Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens dans leur choc furieux.<br />
Mais Hector, le premier <strong>la</strong>nçant sa javeline,<br />
Du fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon a frappé <strong>la</strong> poitrine
i4» L ? IL1ADE.<br />
Vers l'endroit où fie gkive <strong>et</strong> le jrond .bouclier<br />
Croisent les nœuds épais du double.baudrier ;<br />
C<strong>et</strong> obstacle à ; <strong>la</strong> mort interdit tout.passage.<br />
Tandis que.,, maudissant son stérile* courage.,<br />
Le * noble Hector s'indigner <strong>et</strong>, spour.fttir le trépas,<br />
Parmi'ses compagnons ^précipitasses ,pas -,<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon près <strong>de</strong>s vaisseaux ramasse<br />
Un immense rocher-dont <strong>la</strong>.pesante masse,<br />
Frappant auprès du cou <strong>la</strong> poitrine d'Hector,<br />
Tourbillonne en rou<strong>la</strong>nt dans son rapi<strong>de</strong> essor.<br />
Lorsqu'un chêne orgueilleux ,-sous-les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre,<br />
Atteint par Jupiter, tombe réduit en poudre,<br />
Le bitume , exhalé -<strong>de</strong> ses f<strong>la</strong>ncs entr'ouverts,<br />
D'une vapeur immon<strong>de</strong> empoisonne les airs,<br />
Et le mortel, témoin <strong>de</strong> sa- vaste • raine ,<br />
Contemple avec- effroi <strong>la</strong>'colère divine :<br />
Tel le-puissanti'Hector:a-succombé ; soudain<br />
Le bouclier, <strong>la</strong>-<strong>la</strong>nce-ont glissé <strong>de</strong> sa main ;<br />
Son casque se détache, «<strong>et</strong> l'armure pesante<br />
Sur <strong>la</strong> terre^en tombant bondit*-r<strong>et</strong>entissante.<br />
Tous les Grecs à grands cris se rassemblent ; leurs-dards<br />
Sur le fils <strong>de</strong> -Priara pleuvent <strong>de</strong> toutes parts ;<br />
1
CHANT QUATORZIEME. iP<br />
Mais <strong>la</strong> victime 'échappe à leur rage effrénée.<br />
Le brave Sarpédon, -Polydamas , Eiiée ,<br />
Le divin Agénor <strong>et</strong> leiioble'G<strong>la</strong>ucus<br />
Près d'Hector menacé déjà sont ! accoura8' ;<br />
En cercle <strong>de</strong>vant lui leurs boucliers s'élèvent.<br />
La foule dont les bras ! sans- f r<strong>et</strong>ards le soulèvent,<br />
L'emporte aux-<strong>de</strong>rniers rangs' où ses-fougueux- coursiers<br />
Reposent à Fabri <strong>de</strong>s 'conibats meurtriers<br />
Et tandis que le char l'entraîne vers Pergame ,<br />
De longs gémissemens s'exhalent <strong>de</strong> son âme.<br />
Issu <strong>de</strong> Jupiter, le Xanthe sinueux<br />
Sur ses p<strong>la</strong>ges reçoit le char impétueux.<br />
C'est là que ses amis à Fenvi le <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt ;<br />
Quand <strong>de</strong>s flots bienfaisans <strong>sur</strong> son front se répan<strong>de</strong>nt.<br />
Rouvrant au jour se3 yeux qui tremblent <strong>de</strong> le voir,<br />
Assis <strong>sur</strong> ses genoux , il vomit un sang-noir ;<br />
Puis il chancelle encor <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ombe en arrière ;<br />
Une .profon<strong>de</strong> nuit entoure sa-paupière.<br />
La force l'abandonne, '<strong>et</strong> -sa vive douleur<br />
A g<strong>la</strong>cé dans son sein un reste <strong>de</strong> chaleur.<br />
Hector a fui : les ? Grecs, rappe<strong>la</strong>nt leur courage,<br />
S'é<strong>la</strong>ncent, enf<strong>la</strong>mmés d'une nouvelle- rage ;
i44 L'ILIADE.<br />
Leur fer porte <strong>la</strong> mort? <strong>et</strong> ? le premier <strong>de</strong> tous 1<br />
Ar<strong>de</strong>nt à signaler son belliqueux courroux,<br />
Ajax j fils d'Oïlée , armé d'un trait rapi<strong>de</strong> 7<br />
Court frapper Satnius 7 ce héros intrépi<strong>de</strong> y<br />
Que le pasteur Enops <strong>et</strong> <strong>la</strong> belle Naïs,<br />
Par les nœuds <strong>de</strong> l'amour secrètement unis,<br />
Autrefois ont nourri <strong>sur</strong> les rives fécon<strong>de</strong>s<br />
Où le pur Satnios fait circuler ses on<strong>de</strong>s.<br />
D tombe ; autour- <strong>de</strong> lui t pour s'arracher son corps,<br />
Chaque peuple se livre à <strong>de</strong> nouveaux transports 7<br />
Lorsque Polydamas ? rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> Panthée 7<br />
Traverse <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> foule épouvantée 7<br />
Et brandissant un trait f contre Prothoénor,<br />
Pour venger Satnius, en dirige l'essor.<br />
Ce fils d'Aréilyce a <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche adroite<br />
Reçu l'airain fatal dans son épaule droite j<br />
H roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre} <strong>et</strong> d'un bras <strong>la</strong>nguissant<br />
Presse en mourant un sol abreuvé <strong>de</strong> son sang.<br />
Alors , ivre d'orgueil, Polydamas s'écrie :<br />
« Mon dard n'a point trompé ma trop juste furie ;<br />
Il immole un <strong>de</strong>s Grecs qui va dans le tombeau<br />
Descendre soutenu par c<strong>et</strong> appui nouveau. »
CHANT QUATORZIEME. 145<br />
A peine il achevait ce superbe <strong>la</strong>ngage,<br />
Les Grecs ont palpité <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> rage ; *<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon <strong>sur</strong>tout en a frémi ;<br />
Car il voit à ses pieds expirer son ami.<br />
H s'arme vainement ; pour fuir sa javeline f<br />
Trompant le noir Destin, Polydamas s'incline.<br />
Archéloque, à <strong>la</strong> mort condamné par les Dieux ?<br />
Dans <strong>la</strong> gorge reçoit le trait victorieux ;<br />
Les <strong>de</strong>ux nerfs sont coupés ; dans sa chute soudaine,<br />
Sa tête avant son corps s'enfonce dans l'arène ?<br />
Lorsqu'Ajarx à son tour : « Eh bien ! Polydamas I<br />
Vois : <strong>de</strong> Prothoénor j'ai vengé le trépas.<br />
C<strong>et</strong> homme porte un nom illustré dans <strong>la</strong> guerre ;<br />
Le sang qui le forma n'est pas un sang vulgaire.<br />
Oui, du noble Anténor c'est le frère ou. le fils ;<br />
Anténor revivait dans ses traits ennemis. »<br />
Ainsi le Grec vainqueur que <strong>la</strong> colère anime,<br />
Bien qu'il Fait reconnue 1 outrage sa victime.<br />
LesTroyens ont frémi <strong>de</strong> honte <strong>et</strong> <strong>de</strong> douleur.<br />
Aussitôt Acamas signale sa valeur ,<br />
Et frappe Promachus dont <strong>la</strong> main téméraire<br />
Par les pieds entraînait le cadavre d'un frère.<br />
2, 10
46 L'ILIADE.<br />
Quand d'un seul coup <strong>de</strong> <strong>la</strong>nce il le plonge au cercueil,<br />
D s'écrie :. ce Àrgiens ! peuple enivré d'orgueil !<br />
Le Destin pour nous seuls ne gar<strong>de</strong> pas les <strong>la</strong>rmes.<br />
Vous aussi 7 vous mourez ; abattu par mes armes ,<br />
Votre fier Promaehus , ce vail<strong>la</strong>nt ennemi,<br />
Du sommeil <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort enfin s'est endormi.<br />
J'ai voulu j m'épargnant une honte éternelle,<br />
Acquitter sans dé<strong>la</strong>is <strong>la</strong> d<strong>et</strong>te fraternelle.<br />
Heureux qui 1 succombant au milieu <strong>de</strong>s combats ,<br />
Laisse un frère après lui pour venger son trépas ! »<br />
Tous les Grecs ont gémi. Le brave Pénélée,<br />
Troublé par <strong>la</strong> douleur,' vole dans <strong>la</strong> mêlée.<br />
Mais son trait f dirigé <strong>sur</strong> le front d'Acamas,<br />
Atteint l'unique enfant <strong>de</strong> l'opulent Phorbas,<br />
Que j parmi les Troyens y Mercure avait sans cesse<br />
Environné d'amour <strong>et</strong> comblé <strong>de</strong> richesse.<br />
De l'orbite sang<strong>la</strong>nt son œil s'est détaché,<br />
Et du crâne entr'ouvert le dard tombe arraché ;<br />
Les <strong>de</strong>ux bras étendus, le faible Ilionée<br />
Succombe : le vainqueur, d'une main indignée,<br />
Avec son fer aigu fait rouler aussitôt<br />
Le casque étince<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> le fort javelot ;
CHANT QUATORZIÈME. ,47<br />
D a coupe' <strong>la</strong> tête, <strong>et</strong> son rapi<strong>de</strong> g<strong>la</strong>ive<br />
Gomme un pavot léger dans les airs <strong>la</strong> soulève ;<br />
H s'écrie : « O Troyens ! allez ! que ses parens<br />
Remplissent leur pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> leurs cris déchïrans.<br />
Le noble flionée est perdu pour sa mère<br />
Et du fier Promachus F épouse solitaire<br />
Ne lui sourira plus , quand vers- les champs d'Argos<br />
Les Grecs r<strong>et</strong>ourneront <strong>sur</strong> leurs légers vaisseaux. »<br />
Ce discours , <strong>de</strong>s Troyens a fait pâlir l'audace<br />
Et chacun du trépas cherche à fuir <strong>la</strong> menace.<br />
O vierges <strong>de</strong> l'Olympe ! ô Muses ! quel guerrier<br />
S'est d'un butin sang<strong>la</strong>nt enrichi le premier,<br />
Depuis que pour les Grecs <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> Neptune<br />
Des combats incertains fait pencher <strong>la</strong> fortune ?<br />
Le chef <strong>de</strong>s Mysiens, le fils <strong>de</strong> Gyrtias'^<br />
Hyrtius brave Ajax <strong>et</strong> reçoit le trépas.<br />
Antiloque s'é<strong>la</strong>nce, <strong>et</strong> sa main sanguinaire<br />
. Dépouille au même instant <strong>et</strong> Phalcès <strong>et</strong> Mermère.<br />
Sous le g<strong>la</strong>ive vainqueur du jeune Mérion<br />
Expire avec Morys le noble Hippotion.<br />
De Prothoon à peine il a tranché <strong>la</strong> tête,<br />
L'intrépi<strong>de</strong> Teucer immole Périphète.<br />
10.
48 L'ILIADE.<br />
Un dard que Méné<strong>la</strong>s ba<strong>la</strong>nce dans ses mains,<br />
Aux f<strong>la</strong>ncs d'Hypérénor^ ce pasteur <strong>de</strong>s huniains 1<br />
Se plonge , <strong>et</strong> 7 déchirant ses entrailles ar<strong>de</strong>ntes ,<br />
Fait jaillir d'un sang noir les sources abondantes ;<br />
Des ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ses yeux restent couverts,<br />
Et son âme indignée a fui dans les enfers.<br />
Par <strong>de</strong> hardis exploits,. d'Ajax 7 fils d'Oïlée ,<br />
La rapi<strong>de</strong> valeur s'est partout signalée,<br />
Et nul ne savait mieux poursuivre avec le fer<br />
L'ennemi qui tremb<strong>la</strong>it chassé par Jupiter.<br />
FIN DU QUATORZIEME CHANT.
CHANT QUINZIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT QUINZIÈME.<br />
Réveil <strong>et</strong> foreur <strong>de</strong> Jopiter <strong>sur</strong> le mont Ida. — Jnnon remonte dans<br />
FOlympe. — Mars est désarmé par Minerve. — Iris ordonne à Neptune<br />
<strong>de</strong> quitter le combat. — Apollon ranime Hector, excite les<br />
Troyens, <strong>et</strong> détruit Se rempart <strong>de</strong>s Grecs. — Exploits d'Hector. —<br />
Intrépidité d'Ajax.
L'ILIADE.<br />
CHANT QUINZIÈME.<br />
Les Troyens, franchissant palissa<strong>de</strong> <strong>et</strong> fossés 7<br />
Sous le courroux <strong>de</strong>s Grecs succombaient entassés,<br />
Et non loin <strong>de</strong> leurs chars 7 dans leur fuite sang<strong>la</strong>nte,<br />
S'arrêtaient 1 mais vaincus <strong>et</strong> pâles d'épouvante.<br />
Sur Flda Jupiter qui sommeil<strong>la</strong>it encor<br />
Dans les bras <strong>de</strong> Junon 7 Déesse au trône d'or ,<br />
Se lève... Quel aspect ! par Neptune animée,<br />
La Grèce, <strong>de</strong>s Troyens frappe <strong>et</strong> poursuit l'année ?<br />
Tandis que près d'Hector, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine étendu 1<br />
L'essaim <strong>de</strong> ses amis se rassemble éperdu.<br />
Il vomit un sang noir, <strong>et</strong> sa mourante haleine<br />
De son cœur défail<strong>la</strong>nt ne s'échappe qu'à peine ;
i5a L'ILIADE.<br />
Car ce n'est point le bras d'un vulgaire ennemi<br />
Qui lui porta le coup dont ses f<strong>la</strong>ncs ont gémi.<br />
Le père <strong>de</strong>s humains f touché <strong>de</strong> sa misère ,<br />
S'indigne ? <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Junon tourne un regard sévère :<br />
« Perfi<strong>de</strong> ! quels malheurs tes ruses ont produits !<br />
A là fuite par toi les Troyens sont réduits ;<br />
Tu repousses Hector <strong>de</strong> <strong>la</strong> lice guerrière.<br />
Je ne sais si je dois te punir <strong>la</strong> première ,<br />
Opposer à ta frau<strong>de</strong> un courroux mérité,<br />
Et t'accabler <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> mon bras irrité.<br />
Oublias-tu le jour où, vengeant mes outrages 1<br />
Ce bras te suspendit <strong>sur</strong> le front <strong>de</strong>s nuages,<br />
Et, d'une chaîne d'or liant ta faible main,<br />
Attacha sous tes pieds <strong>de</strong>ux enclumes d'airain ?<br />
Les Dieux du haut Olympe ? en leur colère vaine y<br />
Debout, t'environnaient ? sans briser c<strong>et</strong>te chaîne ;<br />
Si l'un d'eux eût tenté quelque effort criminel,<br />
H eût roulé mourant loin du seuil éternel.<br />
Sans avoir assouvi ma vengeance homici<strong>de</strong>,<br />
Triste, je déplorais l'infortune d'Âlci<strong>de</strong> 7<br />
Quand je te vis, fidèle à tes complots pervers y<br />
Poursuivre ses <strong>de</strong>stins <strong>sur</strong> les stériles mers,
CHANT QUINZIÈME. i53<br />
Déchaîner les autans, soulever les orages,<br />
Et le pousser vers Ces aux populeux rivages.<br />
Libre enfin 7 dans Argos, nourrice <strong>de</strong>s chevaux y<br />
Il goûta grâce à moi l'oubli <strong>de</strong> ses travaux.<br />
Quand le passé t'éc<strong>la</strong>ire , abjure donc <strong>la</strong> ruse,<br />
Téméraire Déesse ! Un vain espoir t'abuse,<br />
Si tu crois me tromper, <strong>et</strong> loin <strong>de</strong>s autres Dieux<br />
M'offrir <strong>de</strong> ton amour le charme insidieux. »<br />
Junon aux <strong>la</strong>rges yeux redoute sa colère :<br />
« J'atteste, ô mon époux ! <strong>et</strong> le Ciel <strong>et</strong> <strong>la</strong> Terre ,<br />
Et le Styx infernal, ce fleuve détesté,<br />
Que jamais sans frémir les Dieux n'ont attesté ;<br />
Je jure par l'honneur <strong>de</strong> ta tête sacrée ,<br />
Je jure par <strong>la</strong> couche à l'hymen consacrée 7<br />
Où tu-me reçus vierge, <strong>et</strong> dont toujours ma voixf<br />
Fidèle à ses sermens, respectera les droits :<br />
Je n'ai point exigé que le puissant Neptune<br />
Des Troyens <strong>et</strong> d'Hector poursuivît <strong>la</strong> fortune ;<br />
Cédant à <strong>la</strong> pitié, dans ses nobles transports ,<br />
Son cœur a p<strong>la</strong>int les Grecs expirans <strong>sur</strong> ces bords.<br />
O roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ! où veux-tu qu'il se ren<strong>de</strong> ?<br />
Parle ; il doit obéir quand Jupiter comman<strong>de</strong>. »
i54 L'ILIADE.<br />
Le maître souverain <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> <strong>de</strong>s-cieux<br />
Adresse à son épouse un souris gracieux :<br />
« O Junon ! si jamais ton âme plus sensée<br />
Dans les divins. Conseils partage ma pensée 1<br />
Docile à mes arrêts, à tes désirs soumis,<br />
Neptune abjurera ses proj<strong>et</strong>s ennemis.<br />
Mais} confirmant <strong>la</strong> foi que ta bouche m'atteste ?<br />
Cours ; dirige tes pas vers <strong>la</strong> tribu céleste j<br />
Envoie auprès <strong>de</strong> moi pour divins messagers<br />
Phébus à Parc fameux y Iris aux pieds légers ;<br />
Que, par l'ordre d'Iris 7 dans son liqui<strong>de</strong> empire<br />
Loin <strong>de</strong>s champs meurtriers Neptune se r<strong>et</strong>ire ;<br />
Qu'aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong>s combats Phébus ramène Hector ;<br />
Guéri <strong>de</strong> ses douleurs f <strong>et</strong> plus terrible encor 7<br />
Qu'Hector se r<strong>et</strong>ournant <strong>la</strong>nce contre <strong>la</strong> Grèce<br />
Et <strong>la</strong> fuite honteuse <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort vengeresse.<br />
Quand le fils <strong>de</strong> Pelée auprès <strong>de</strong>s forts vaisseaux<br />
Aura vu tous les Grecs expirer par monceaux,<br />
De son ami Patrocle excitant le courage 7<br />
Il l'enverra combattre <strong>et</strong> semer le carnage ;<br />
Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Hector Patrocle traversé<br />
Devant les murs troyens périra renversé 7
CHANT QUINZIEME. i55<br />
Après avoir vaincu 1 telle est ma loi suprême ?<br />
Mille jeunes héros <strong>et</strong> Sarpédon lui-même;<br />
Enfin le noble Achille 1 enf<strong>la</strong>mmé <strong>de</strong> courroux ,<br />
Fera tomber Hector sous ses rapi<strong>de</strong>s coups.<br />
Dès c<strong>et</strong> instant ? mon bras loin <strong>de</strong>s bruyantes rives<br />
Poursuivra <strong>de</strong>s Troyens les troupes fugitives,<br />
Jusqu'au jour où les Çrecs? conseillés par Pal<strong>la</strong>s-,<br />
Sur le haut Dion <strong>la</strong>nceront le trépas.<br />
J'enchaînerai <strong>de</strong>s Dieux le courage immobile ;<br />
Je veux par mon courroux remplir les vœux d*Achille :<br />
Ainsi je l'ai juré d'un signe <strong>de</strong> mon front,<br />
Quand 1 tombant à mes pieds <strong>et</strong> pleurant son affront,<br />
Thétis me supplia <strong>de</strong> venger dans <strong>la</strong> guerre .<br />
Ce héros , <strong>de</strong>s cités <strong>de</strong>structeur sanguinaire. »<br />
Junon aux bras d'albâtre avec empressement<br />
De l'Ida jusqu'aux cieux monte légèrement.<br />
Gomme du voyageur <strong>la</strong> mémoire é<strong>la</strong>ncée<br />
Vers <strong>de</strong>s pays lointains rej<strong>et</strong>te sa pensée 1<br />
Et <strong>sur</strong> divers obj<strong>et</strong>s aimant à revenir,<br />
Embrasse en un moment un vaste souvenir :<br />
Junon , impatiente , atteint d'un vol rapi<strong>de</strong><br />
Les somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'Olympe où Jupiter rési<strong>de</strong>.
i56 L'ILIADE.<br />
Les Dieux à son aspect se lèvent ; mais en vain<br />
Leurs mains ont préparé le breuvage divin ;<br />
C'est <strong>la</strong> belle Thémis qui lui rem<strong>et</strong> <strong>la</strong> coupe,<br />
S'avance <strong>et</strong> parle au nom <strong>de</strong> l'immortelle troupe :<br />
« O Junon ! quel chagrin s'est emparé <strong>de</strong> toi ?<br />
Sans doute Jupiter t'inspire c<strong>et</strong> effroi.<br />
Eéponds. » — « Sage Thémis ! tu sais combien son âme<br />
D'un superbe courroux nourrit l'ar<strong>de</strong>nte f<strong>la</strong>mme.<br />
Ne m'interroge pas ; prési<strong>de</strong> à nos festins.<br />
Quand l'Olympe apprendra les arrête <strong>de</strong>s Destins,<br />
Les Dieux <strong>et</strong> les mortels connaîtront <strong>la</strong> tristesse<br />
Dans les banqu<strong>et</strong>s pompeux dont ils goûtent l'ivresse. »<br />
Dès que Junon s'assied , les Dieux frémissent tousj<br />
Ses lèvres ont souri ; mais un sombre courroux<br />
Fronce ses noirs sourcils 7 <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ses traits déploie<br />
Le chagrin dévorant où son âme est en proie.<br />
« Insensés ! leur dit-elle, un téméraire espoir<br />
Oppose au roi <strong>de</strong>s cieux notre faible pouvoir ;<br />
En vain nous employons contre son âme altière<br />
La force <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur, les pleurs <strong>et</strong> <strong>la</strong> prière.<br />
Dans un calme profond assis tranquillement,<br />
Il nous <strong>la</strong>isse exhaler notre ressentiment ;
CHANT QUINZIÈME. i5y<br />
Maître <strong>de</strong> tous les Dieux 7 sa puissance nous brave j *<br />
Devant lui, sans gémir ? courbons un front esc<strong>la</strong>ve.<br />
Déjà Mars, accablé sous le poids du malheur,<br />
Déplore un <strong>de</strong> ses fils, fameux par sa valeur,<br />
C<strong>et</strong> illustre Asca<strong>la</strong>phe *7 à qui son cœur sans cesse<br />
Entre tous les mortels prodigua sa tendresse. »<br />
Mars, avec ses <strong>de</strong>ux mains se frappant les genoux,<br />
Pleure <strong>de</strong> désespoir <strong>et</strong> frémit <strong>de</strong> courroux :<br />
ce O vous, Dieux ! habïtans <strong>de</strong> <strong>la</strong> voûte éternelle,<br />
Pardonnez ! <strong>la</strong> vengeance au combat me rappelle ;<br />
Fy cours 7 dût Jupiter, sous ses feux m'ëcrasant,<br />
Me traîner <strong>sur</strong> les morts dans <strong>la</strong> poudre <strong>et</strong> le sang: »<br />
A peine il se revêt <strong>de</strong> ses armes sinistres 7<br />
La Fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> Terreur, ses fidèles ministres,<br />
Âttèlent ses chevaux ; <strong>et</strong> contre tous les Dieux<br />
Jupiter eût tourné son bras plus furieux,<br />
Si <strong>la</strong> sage Pal<strong>la</strong>s, <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> son trône,<br />
Pour calmer le courroux dont le Dieu Mars frissonne,<br />
N'eût arraché <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à son bras meurtrier 1<br />
A <strong>la</strong> tète son casque j au dos son bouclier : '<br />
« Malheureux ! qui te pousse à <strong>de</strong>s fureurs pareilles?<br />
Vainement pour- entendre as-tu donc <strong>de</strong>s oreilles ?
i58 L'ILIADE.<br />
Ni raison, ni pu<strong>de</strong>ur} rien n'enchaîne tes pas y<br />
Et <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Junon ne t'épouvante pas !<br />
Quoi ! veux-tu, tout meurtri d'une défaite prompte,<br />
Rapporter dans les cïeux ta douleur <strong>et</strong> ta honte ?<br />
Fier <strong>de</strong> nos maux 1 veux-tu les ajouter aux tiens ?<br />
Abandonnant les Grecs <strong>et</strong> les vail<strong>la</strong>ns Troyens 7<br />
Jupiter reviendrait f <strong>de</strong> justice incapable y<br />
Châtier l'innocent à l'égal du coupable.<br />
D'un aveugle courroux modère le transport,<br />
Et pardonne au Destin par qui ton fils est mort.<br />
De plus vail<strong>la</strong>ns héros 7 promis au roi <strong>de</strong>s ombres 7<br />
Tombent ou vont tomber dans les abymes sombres.<br />
Toute <strong>la</strong> race humaine est vouée au trépas 7<br />
Et nos jaloux efforts ne <strong>la</strong> sauveraient pas. »<br />
Quand du terrible Mars 7 reconduit vers sa p<strong>la</strong>ce 7<br />
Ces mots ont désarmé <strong>la</strong> fougueuse menace ,<br />
Junon secrètement hors <strong>de</strong>s divins <strong>la</strong>mbris<br />
Attire avec Phébus l'impétueuse Iris :<br />
« Hâtez-vous ; <strong>sur</strong> l'Ida Jupiter vous appelle ;<br />
En remplissant ses lois 9 signalez votre zèle. »<br />
La Déesse, à ces mots, <strong>sur</strong> son beau trône d'or<br />
Se rep<strong>la</strong>ce 7 <strong>et</strong> le couple, en son agile essor,
CHANT QUINZIÈME. i5g<br />
S'é<strong>la</strong>nce vers FIda dont les bêtes sauvages<br />
Aiment Peau jaillissante <strong>et</strong> les vastes ombrages ;<br />
Là le fils <strong>de</strong> Saturne aux vigi<strong>la</strong>ns regards ,<br />
D'un nuage odorant voilé <strong>de</strong> toutes parts ,<br />
Repose ; il a quitté sa colère jalouse,<br />
Quand le couple 7 docile aux vœux <strong>de</strong> son épouse ?<br />
Arrive } <strong>et</strong> jusqu'à lui portant ses pas secr<strong>et</strong>s,<br />
S'apprête à recevoir ses suprêmes décr<strong>et</strong>s.<br />
« Iris ! dit-il, va, cours ; fidèle messagère ,<br />
Annonce au roi <strong>de</strong>s flots ma volonté sévère :<br />
Déposant <strong>de</strong>s combats le g<strong>la</strong>ive audacieux,<br />
Qu'il rentre dans les mers ou monte dans les cieux.<br />
S'il m'osait résister 9 son orgueil téméraire<br />
A mon choc furieux ne saurait le soustraire.<br />
Par Page <strong>et</strong> le pouvoir je l'emporte à <strong>la</strong> fois.<br />
Tous les Dieux immortels tremblent <strong>de</strong>vant mes lois<br />
Et n'écoutant jamais qu'une haine rivale<br />
Sa puissance|à <strong>la</strong> mienne insolemment s'égale ! »<br />
Il a parlé : docile à son céleste arrêt,<br />
Plus prompte que les vents, <strong>la</strong> nymphe disparaît.<br />
Gomme , au souffle g<strong>la</strong>cé du rapi<strong>de</strong> Borée,<br />
La neige b<strong>la</strong>nchissante ou <strong>la</strong> grêle serrée
160 L'ILIADE.<br />
Se précipite ; ainsi ses pieds aériens<br />
Dirigent leur essor vers les remparts troyens.<br />
« Monarque aux verts cheveux, ô Neptune ! dit-elle ;<br />
Des lois <strong>de</strong> Jupiter observateur fidèle,<br />
Dépose <strong>de</strong>s combats le g<strong>la</strong>ive audacieux,<br />
Et rentre dans les mers ou monte dans les cieux.<br />
Si tu lui résistais, ton orgueil téméraire '<br />
A son choc furieux ne saurait te soustraire.<br />
Par Page <strong>et</strong> le pouvoir il Pemporte à <strong>la</strong> fois.<br />
Tous les Dieux immortels tremblent <strong>de</strong>vant ses lois y<br />
Et n'écoutant jamais qu'une haine rivale ?<br />
Ta puissance à <strong>la</strong> sienne insolemment s'égale ! »<br />
Mais Neptune indigné : « Je <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong>pris ;<br />
Son <strong>la</strong>ngage respire un odieux mépris..<br />
Qu'entends-je ? son orgueil sous un joug arbitraire<br />
Prétendrait m'accabler, moi son égal 7 son frère !<br />
Tu le'sais ; trois enfans ? issus d'un chaste amour y<br />
De Rhée <strong>et</strong> <strong>de</strong> Saturne avaient reçu le jour.<br />
Le Destin consulté nous divisa le mon<strong>de</strong> ;<br />
L'empire qui m'échut est Fempire <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong> ;<br />
Pluton obtint pour lui les ténébreux enfers 7<br />
Et Jupiter siégea <strong>sur</strong> le trône <strong>de</strong>s airs.
CHANT QUINZIÈME. 161<br />
Mais <strong>la</strong> Terre <strong>et</strong> l'Olympe , exceptes du partage f<br />
Forment entre nous trois un. commun héritage.<br />
Non ; <strong>de</strong>vant Jupiter je né fléchirai pas*<br />
Que j malgré son OTgueil, tranquille en ses états,<br />
H abjure à jamais l'espérance hautaine<br />
De m'asservir en lâche à sa loi souveraine ^<br />
Content d'épouvanter ses fils que le <strong>de</strong>voir<br />
Par un nœud nécessaire enchaîne à son pouvoir. »<br />
Mais Iris : ce Faut-il donc T foi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer profon<strong>de</strong> ,<br />
Rapporter ta réponse au souverain du mon<strong>de</strong> ?<br />
N'adouciras-tu point ce refus rigoureux ?<br />
Le repentir est fait pour les cœurs généreux,,<br />
Et tu sais que toujours les sombres Euménï<strong>de</strong>s<br />
En faveur <strong>de</strong>s aînés arment leurs bras perfi<strong>de</strong>s. »<br />
ce Déesse Iris ! répond le monarque <strong>de</strong>s mers,<br />
Qui d'un coup <strong>de</strong> son sceptre ébranle l'univers,<br />
La sagesse t'inspire ; un messager fidèle<br />
Jamais à ses conseils ne se montre rebelle.<br />
Toutefois, je l'avoue 7 un désespoir amer<br />
S'empare <strong>de</strong> mon cœurf alors que Jupiter<br />
Par d'injustes discours me provoque <strong>et</strong> m'outrage}<br />
Moi qui-d'un sort pareil ai reçu l'avantage.<br />
a. 11
16a L'ILIADE.<br />
De quelque ar<strong>de</strong>nt courroux que je sois dévoré j<br />
Si tel est son désir, eh bien ! je cé<strong>de</strong>rai.<br />
Mais je dévoile ici tout le fond <strong>de</strong> mon âme :<br />
S'il épargne les tours <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute Pergame ,<br />
Pour terrasser les Grecs 9 si sa jalouse loi<br />
Brave Junon, Vulcain , Pa<strong>la</strong>s, Mercure <strong>et</strong> moi ?<br />
Qu'il sache que? <strong>la</strong>ssés du joug qui nous enchaîne 7<br />
Nous lui déc<strong>la</strong>rons tous une imp<strong>la</strong>cable haine. »<br />
Neptune, aux Argiens <strong>la</strong>issant un long regr<strong>et</strong> 7<br />
Jusques au fond <strong>de</strong>s mers se plonge <strong>et</strong> disparaît.<br />
Alors au prompt Pliébus le roi <strong>de</strong>s cieux s'adresse :<br />
« Cours vers Hector, ô toi que j'ai chéri sans cesse ;<br />
Neptune dont les flots embrassent l'uni vers,<br />
Déjà, pour fuir ma haine, est rentré dans les mers.<br />
Saturne <strong>et</strong> tous les Dieux <strong>de</strong> l'infernal abîme<br />
Savent dans les combats quelle force m'anime,.<br />
Et Neptune 7 évitant un essai hasar<strong>de</strong>ux 7<br />
Nous épargne une guerre horrible pour tous <strong>de</strong>ux.<br />
Quels maux eut entraînés notre lutte sang<strong>la</strong>nte !.. „<br />
Mais toi, <strong>sur</strong> les héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce tremb<strong>la</strong>nte<br />
Va secouer l'égi<strong>de</strong> avec ses franges d'or.<br />
Phébus aux traits légers ! je te confie Hector ;
CHANT QUINZIÈME. i88<br />
iDans son cœur généreux excite un grand courage 7<br />
Et quand les Grecs vaincus fuiront vers c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ge 9<br />
Touché <strong>de</strong> leurs revers, là mon cœur seulement<br />
Leur <strong>la</strong>issera goûter le repos d'un moment. »<br />
Gomme on voit <strong>de</strong>s oiseaux Poiseau le plus rapi<strong>de</strong>,<br />
L'épervicr s'é<strong>la</strong>ncer <strong>sur</strong> le ramier timi<strong>de</strong> ,<br />
Aux ordres paternels Phébus obéissant,<br />
Des somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Plda tout à coup s'abaissant,<br />
Yole. Assis <strong>et</strong> non plus eoticlié <strong>sur</strong> le rivage ,<br />
Hector <strong>de</strong> ses esprits recouvre enfin Pu sage ;<br />
Au milieu <strong>de</strong>s amis que son œil reconnaît,<br />
Sa sueur l'abandonne <strong>et</strong> sa force? renaît.<br />
Phébus s'approche : « Hector ! à <strong>la</strong> souffrance en proie-,<br />
Pourquoi <strong>la</strong>nguir ici loin <strong>de</strong>s guerriers <strong>de</strong> Troie.» ?<br />
Quelle vive douleur s'empare <strong>de</strong> tes sens ? »<br />
Le héros lui répond par ces faibles accens :<br />
« Quel es-tu, Dieu puissant que mon sort intéresse ;<br />
Ne sais-tu pas qu f armé pour protéger <strong>la</strong> Grèce 7<br />
Âjax brisa ma force, <strong>et</strong> que son bras vainqueur<br />
D'un énorme rocher osa frapper mon cœur ?<br />
Mon âme s ? exha<strong>la</strong>it ; je croyais que mon ombre<br />
Visiterait Pluton dans son royaume sombre. »<br />
II.
i64 L'ILIADE.<br />
a Ami ! répond le Dieu qui <strong>la</strong>nce au loin ses traits,<br />
Ras<strong>sur</strong>e-toi ! tes jours à <strong>la</strong> mort sont soustraits.<br />
Du faîte <strong>de</strong> FIda les cïeux m'ont vu <strong>de</strong>scendre j<br />
Chargé par Jupiter du soin <strong>de</strong> te défendre,<br />
Je suis le Dieu bril<strong>la</strong>nt r Phébus au g<strong>la</strong>ive d'or,<br />
Le protecteur <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> le sauveur d'Hector.<br />
Marchons ! jusqu'aux vaisseaux que ta docile adresse<br />
Des chars <strong>et</strong> <strong>de</strong>s coursiers dirige <strong>la</strong> vitesse ;<br />
J'ap<strong>la</strong>nirai <strong>la</strong> voie <strong>et</strong> gui<strong>de</strong>rai tes pas ,<br />
En <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> les Grecs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas, »<br />
Phébus parle , <strong>et</strong> bientôt son souffle communique<br />
Au pasteur <strong>de</strong>s humains un courage héroïque.<br />
-Gomme un ar<strong>de</strong>nt coursier 9 loin du fleuve chéri 7<br />
Dans <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> l'étable abondamment nourri 7<br />
Brise ses nœuds, bondit plein <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce 7<br />
Vers Fon<strong>de</strong> accoutumée 7 en dévprant l'espace,<br />
Accourt le front dressé 7 livre au souffle <strong>de</strong>s vents<br />
Les crins qui <strong>sur</strong> son dos roulent leurs plis mouvans,<br />
Et d'un rapi<strong>de</strong> essor dans les vertes campagnes<br />
Rejoint 7 fier <strong>et</strong> joyeux 7 ses fougueuses compagnes ;<br />
Ainsi i quand un Dieu parle7 Hector vers ses soldats<br />
Vole 7 <strong>et</strong> ses pieds légers l'emportent aux combats.
CHANT QUINZIÈME: i65<br />
Si <strong>la</strong> chèvre ou le cerf à <strong>la</strong> haute ramure*<br />
A vu, dans Fépaisseur d'une forêt obscure,<br />
Les ar<strong>de</strong>ns vil<strong>la</strong>geois <strong>et</strong> les chiens dévorans-<br />
Sur un roc escarpé suivre ses pas errans,<br />
Appelé par leurs cris du fond <strong>de</strong> sa tanière ,,<br />
Un Bon , hérissant son épaisse crinière,<br />
Paraît , <strong>et</strong> tout à coup Fessaim impétueux.<br />
S'épouvante, <strong>et</strong> s'enfuit d'un pas "tumultueux :<br />
Ainsi , <strong>de</strong>s Grecs , armés du g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce,<br />
Le fougueux bataillon avec fureur, s'é<strong>la</strong>nce;<br />
Mais, à Faspect d'Hector, l'effroi p<strong>la</strong>ne <strong>sur</strong> eux,<br />
Et leur force a passé dans leurs pieds vigoureux.<br />
Un guerrier intrépi<strong>de</strong>, honneur <strong>de</strong> l'Etoile ,<br />
Thoas , fils d'Andrémon , tout à coup les rallie ;<br />
Archer toujours habile , il voit dans les Conseils<br />
Peu <strong>de</strong> jeunes rivaux se montrer ses pareils.<br />
Plein d'amour pour <strong>la</strong> Grèce, il s'écrie : ce O disgrâce !<br />
Dieux! quel frappant prodige étonne mon audace ?<br />
Quoi! le terrible Hector, échappé du trépas,<br />
Dans nos rangs fugitifs précipite ses pas !<br />
West-il point sous Ajax tombé sans résistance?<br />
Nonj un Dieu protecteur sauva son existence.
i66 L'ILIADE.<br />
De combien d'ennemis il brisa les genoux!<br />
Combien d'autres encor périront par ses coups !<br />
Sans doute Jupiter! qui le gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'excite ^<br />
Entraîne <strong>sur</strong> ses pas c<strong>et</strong>te intrépi<strong>de</strong> élite.<br />
Cé<strong>de</strong>z à mes avis : que dans leurs pavillons<br />
Des timi<strong>de</strong>s guerriers, rentrent les bataillons.<br />
Pour nous, du camp <strong>de</strong>s Grecs pha<strong>la</strong>nge redoutable,<br />
Opposons au péril un courage indomptable ;<br />
Réunissons nos dards, <strong>et</strong> qu'Hector jusqu'à nous<br />
Frémisse <strong>de</strong> porter son belliqueux courroux. »<br />
La foule <strong>de</strong>s soldats, vers <strong>la</strong> flotte entraînée ,<br />
S'éloigne , <strong>et</strong> Mérion1 Teucer, ïdoménée,<br />
Les <strong>de</strong>ux Ajax, Mégès rassemblent les guerriers<br />
Qui braveront d'Hector les assauts meurtriers.<br />
Hector, <strong>de</strong> sa pha<strong>la</strong>nge enf<strong>la</strong>mmant le courag<strong>et</strong><br />
Vole à grands pas; Phébus, entouré d'un nuage,<br />
Agite <strong>de</strong>vant lui l'égi<strong>de</strong> aux vastes nœuds ,<br />
De longs poils hérissée , éc<strong>la</strong>tante <strong>de</strong> feux,<br />
L'égi<strong>de</strong> que Vulcaïn, pour l'effroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />
Remit au Dieu puissant qui <strong>la</strong>nce le tonnerre»<br />
Les Grecs pressent leurs rangs ; tout s'ébranle; les airs<br />
R<strong>et</strong>entissent, frappés <strong>de</strong> mille cris divers.
CHANT QUINZIÈME. 167<br />
Par <strong>de</strong>s bras vigoureux les flèches dirigées<br />
Dans le sein <strong>de</strong>s guerriers en siff<strong>la</strong>nt sont plongées r<br />
Et dans un sable épais les dards vont s'enfoncer 7<br />
Privés <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> sang qu'ils brû<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> verser.<br />
Tant que le Dieu suspend son immobile égi<strong>de</strong> f<br />
Chaque peuple a tombé sous le fer homici<strong>de</strong> ;<br />
Enfin contre les Grecs il tourne sa fureur,<br />
Et, poussant un grand cri ,• les g<strong>la</strong>ce tous d'horreur.<br />
Leur courage s'éteint. Quand, <strong>de</strong>ux monstres avi<strong>de</strong>s<br />
Surprennent <strong>de</strong>s taureaux ou <strong>de</strong>s brebis timi<strong>de</strong>s,<br />
Le troupeau f disperâé dans l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit ,<br />
Loin du pasteur absent <strong>et</strong> s'égare <strong>et</strong> s'enfuit :<br />
Tels les Grecs effrayés ont cédé <strong>la</strong> victoire<br />
Aux Trojens que Phébus cherche à combler <strong>de</strong> gloire.<br />
Chaque homme égorge unhomme. Hector lîvreau trépas<br />
Le brave Stichïus 7 le noble Àrcési<strong>la</strong>s ,'<br />
Qui guidaient ou suivaient <strong>la</strong> bravoure indomptée,<br />
L'un j <strong>de</strong>s Béotiens, l'autre, <strong>de</strong> Me'nesthée.<br />
Enée avec succès signale son courroux,<br />
Et Médon, <strong>la</strong>sus expirent sous ses coups :<br />
Le premier, fruit obscur <strong>de</strong>s amours d'Oïlée,<br />
Dans Phy<strong>la</strong>ce avait vu sa jeunesse exilée,
168 L'ILIADE.<br />
Lorsque d'un frère aimé privant Briopis 1<br />
H expia ce meurtre en fuyant son pays.<br />
Le second, <strong>de</strong> Sphélus rej<strong>et</strong>on intrépi<strong>de</strong> 7<br />
Sert aux guerriers d'Athène <strong>et</strong> d'exemple <strong>et</strong> <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>.<br />
Eehius sous Polite a déjà succombé,<br />
Et sous Polydamas Mécistée est tombé.<br />
Plus loin Agénor frappe <strong>et</strong> Glonius expire.<br />
Déïochus tremb<strong>la</strong>nt vainement se r<strong>et</strong>ire ;<br />
Paris le suit , l'atteint , <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />
Dans le dos ennemi s'enfonce tout entier.<br />
Tandis que les vainqueurs dépouillent leurs victimes,<br />
A travers le fos^é les Grecs pusil<strong>la</strong>nimes<br />
S'é<strong>la</strong>ncent ? <strong>et</strong> bientôt, courant <strong>de</strong> toutes parts f<br />
Leur peur se réfugie à l'abri <strong>de</strong>s remparts.<br />
« Troyens ! s'écrie Hector^ marchez tous vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge f<br />
Et négligez le soin <strong>de</strong> ce sang<strong>la</strong>nt pil<strong>la</strong>ge.<br />
Malheur à l'impru<strong>de</strong>nt 7 déserteur <strong>de</strong> ce bord !<br />
S'il me désobéit, je lui donne <strong>la</strong> mort j<br />
Ses frères <strong>et</strong> ses soeurs f loin d'honorer sa cendre,<br />
Contre les chiens cruels n'oseront le défendre. » .<br />
Hector 7 pressant du-fou<strong>et</strong> l'épaule <strong>de</strong>s coursiers y<br />
Se j<strong>et</strong>te dans les rangs ? <strong>et</strong> ses nombreux guerriers,
CHANT QUINZIÈME. ' 169<br />
Conduits par Apo|lon qui leur fraie une voie 7<br />
Précipitent leurs chars avec <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> joie.<br />
Du fossé <strong>de</strong>vant eux le bord s f est ap<strong>la</strong>ni,<br />
Et le milieu comblé forme un chemin uni,<br />
Large comme le vol <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche légère<br />
Que <strong>la</strong>nce un bras novice aux travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre :<br />
C f est là que <strong>de</strong>s Troyens dirigeant <strong>la</strong> fureur }<br />
L f égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Phébus disperse <strong>la</strong> terreur.<br />
Sur <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers 7 comme un monceau <strong>de</strong> sable,<br />
Des loisirs d ? un enfant ouvrage périssable 7<br />
S'écroule 1 quand soudain <strong>de</strong> ses jeux d'un moment<br />
Et ses bras <strong>et</strong> ses pieds brisent le monument :<br />
Tels, bril<strong>la</strong>nt Apollon ! sous ta main vengeresse<br />
Succombent ces travaux, vain rempart <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />
Par ton courroux ar<strong>de</strong>nt le peuple poursuivi<br />
S'arrête enfin 7 <strong>et</strong> tous f s'exhortant à l'envi,<br />
Auprès <strong>de</strong> leurs vaisseaux', en proie à Fépouvante ,<br />
Offrent aux immortels leur prière fervente.<br />
Nestor 7 <strong>sur</strong>tout 9 <strong>de</strong>s Grecs ce protecteur zélé,<br />
Prie, étendant ses mains vers le ciel étoile :<br />
« Jupiter ! si tu vis Fautel <strong>de</strong>s sacrifices<br />
Brûler en ton honneur-<strong>la</strong> graisse <strong>de</strong>s génisses,
i7o L'ILIADE.<br />
Si dans <strong>la</strong> riche Argos ton indulgent amour<br />
D ? un signe <strong>de</strong> ton front nous promit le r<strong>et</strong>our 1<br />
Daigne, en voyant nos maux ? t'en souvenir encore ;<br />
Préviens le jour fatal 7 Dieu que l'Olympe adore !<br />
Ne <strong>la</strong>isse pas les Grecs , sans défense immolés 7<br />
Sous les Trdyens vainqueurs tomber amoncelés. »<br />
Tel priait le vieil<strong>la</strong>rd dont Nélée est le père ;<br />
Jupiter qui l'entend, fait gron<strong>de</strong>r son tonnerre.<br />
Lorsque du haut <strong>de</strong>s cieux <strong>la</strong> foudre a r<strong>et</strong>enti,<br />
Par le Dieu <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong> aussitôt averti,<br />
Le Troyen f dans son cœur rappe<strong>la</strong>nt son courage 7<br />
Sur les rangs ennemis précipite sa rage.<br />
Comme d'un vaste flot les assauts turbulens<br />
Du navire en péril battent les <strong>la</strong>rges f<strong>la</strong>ncs ,<br />
Et dépassent son bord, lorsque <strong>de</strong>s mers profon<strong>de</strong>s<br />
Les autans déchaînés bouleversent les on<strong>de</strong>s :<br />
Tel avec <strong>de</strong> grands cris le Troyen s'approchant<br />
Court y agitant <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> son double tranchant,<br />
Et j du haut <strong>de</strong> ses chars, frappe 9 immole, renverse<br />
Les Grecs qui , <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte où l'effroi les disperse,<br />
Au fond <strong>de</strong>s noirs vaisseaux s'emparent <strong>de</strong> ces pieux y<br />
Armés <strong>de</strong> clous d'airain <strong>et</strong> durcis dans les feux.
CHANT QUINZIÈME. 171<br />
Tandis que l'un <strong>sur</strong> l'autre, àl'entour <strong>de</strong>s murailles,<br />
Le Grec <strong>et</strong> le Troyen <strong>la</strong>nçaient les funérailles,<br />
Près du noble Eurypyle, à ses côtés assis,<br />
PatrOcle le charmait par <strong>de</strong> touchans récits,<br />
Et les sucs bienfaisans, versés à sa bles<strong>sur</strong>e ,<br />
De ses noires douleurs apaisaient le murmure.<br />
Quand il à TU <strong>de</strong>s Grecs les bataillons épars<br />
S'enfuir , <strong>et</strong> les Troyens monter <strong>sur</strong> les remparts, .<br />
1 frappe ses genoux f il gémit , il soupire :<br />
« Eurypyle ! malgré le mal qui te déchire,<br />
La guerre <strong>et</strong> ses périls réc<strong>la</strong>ment ma valeur.<br />
Ton fidèle écuyer soignera ta douleur ;<br />
Moi, je cours vers Achille, <strong>et</strong>, pour fléchir sa rage 7<br />
Un Dieu Viendra peut-être inspirer mon <strong>la</strong>ngage.<br />
Ils sont toujours si doux les conseils d f un ami ! »<br />
D s'éloigne : <strong>de</strong>s Grecs le courage affermi,<br />
Ni vainqueur, ni vaincu , ne chasse pas les troupes<br />
• Dont l'essaim peu nombreux combat autour <strong>de</strong>s poupes.<br />
Et, pour roînpre leurs rangs ou forcer leurs vaisseaux ^<br />
Le Troyen se consume en stériles assauts.<br />
Comme le bois, taillé pour un navire agile,<br />
A <strong>la</strong> loi du cor<strong>de</strong>au reste toujours docile,
i7* L'ILIADE.<br />
Quand Minerve elle-même à <strong>de</strong>s travaux adroits<br />
D'un habile ouvrier a façonné les doigts :<br />
Ainsi <strong>de</strong>s combattans les <strong>de</strong>ux lignes s'éten<strong>de</strong>nt r<br />
S'attaquent tour à tour, tour à tour se défen<strong>de</strong>nt.<br />
Hector fond <strong>sur</strong> Ajax : théâtre <strong>de</strong> terreur ,<br />
Un seul vaisseau résiste à leur double foreur ;<br />
L'un ne peut Fembraser, <strong>et</strong> l'autre en vain aspire<br />
A chasser le rival qu'un Dieu lui-même inspire.<br />
Par l'intrépi<strong>de</strong> Ajax frappé d'un javelot ,<br />
Le fils <strong>de</strong> CJytïus , Galétor aussitôt<br />
Roule avec un long bruit 1 <strong>et</strong> <strong>la</strong> torche bril<strong>la</strong>nte<br />
Echappe, dans sa chute, à sa main défail<strong>la</strong>nte.<br />
Lorsque dans <strong>la</strong> poussière Hector voit son parent •<br />
Devant le noir vaisseau succomber expirant,<br />
Emu d'un tel spectacle , il s'indigne , <strong>et</strong> s'écrie :<br />
« Peuple <strong>de</strong> Dardanus 7 enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie ,<br />
Ne cé<strong>de</strong>z point encore, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout n'allez pas<br />
Dans c<strong>et</strong> espace étroit déserter les combats.<br />
Protégez Galétor ; sauvez sa riche armure,<br />
Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s Grecs épargnez-lui l'injure. »<br />
Il dit j <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Ajax <strong>la</strong>nce un trait meurtrier ;<br />
Le trait en s'égarant atteint son écuyer,
CHANT QUINZIEME. i73<br />
Lycopliron qui , souillé d f un forfait sanguinaire,<br />
Avait fui dès long-temps <strong>la</strong> divine Cythère.<br />
Debout auprès d'Ajax , par Fairain acéré<br />
Lycopliron sent frémir son crâne déchiré j<br />
Quand, privé <strong>de</strong> sa force, obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />
Du faîte <strong>de</strong> <strong>la</strong> proue il roule dans le sable,<br />
Le grand Ajax frissonne : « O généreux Teucer !<br />
Viens : le .fils <strong>de</strong> Mastbr, notre ami le plus cher?<br />
Ce héros dont jadis <strong>la</strong> jeunesse exilée _<br />
Se vit dans nos pa<strong>la</strong>is reçue <strong>et</strong> consolée ,<br />
Lycopbron, comme un père honoré parmi nous y<br />
Meurt,., le terrible Hector l'immole sous ses coups.<br />
Où sont ces traits légers <strong>et</strong> c<strong>et</strong> arc redoutable ,<br />
Remis par Apollon- à ton bras indomptable ? »<br />
Teucer comprend Ajax ; il accourt à sa voix 7<br />
Portant son arc flexible <strong>et</strong> son pesant carquois f<br />
Et <strong>de</strong> ses traits siff<strong>la</strong>ns les pointes menaçantes<br />
Contre les rangs troyens s'agitent frémissantes.<br />
Le fils <strong>de</strong> Pisénor, Glitus, noble guerrier ,<br />
Qui f <strong>de</strong> Polydamas généreux écuyer ,<br />
Sur le char f ba<strong>la</strong>nçait dans ses mains intrépi<strong>de</strong>s<br />
Le pressant aiguillon <strong>et</strong> les flottantes gui<strong>de</strong>s,
174 . L'ILIADE.<br />
Et <strong>de</strong>s fougueux chevaux, pour secon<strong>de</strong>r Hector j<br />
Aux rangs les plus épais précipitait l'essor,<br />
. Tombe ; ses compagnons, embrassant sa défense ,<br />
Du trépas loin <strong>de</strong> lui n'écartent point l'offense.<br />
Dès que le dard cruel dans son cou traversé<br />
Se plonge, loin du char il roule renversé;<br />
L'atte<strong>la</strong>ge se cabre, <strong>et</strong> dans sa fuite entraîne<br />
Le char r<strong>et</strong>entissant qui bondit <strong>sur</strong> l'arène.<br />
De l'effroi <strong>de</strong>s coursiers Polydamas témoin<br />
Aux mains d'Astinoûs en a remis le soin ;<br />
À ne pas s'éloigner sa pru<strong>de</strong>nce l'exhorte,<br />
Et lui-même il s'é<strong>la</strong>nce où sa valeur l'emporte.<br />
Maïs soudain par le bras <strong>de</strong> Teucer courroucé<br />
Sur Hector au beau casque un second trait poussé<br />
Terminait'le combat, <strong>et</strong> peut-être <strong>la</strong> vie<br />
A ce héros vainqueur aurait été ravie,<br />
Si, protégeant Hector , le pru<strong>de</strong>nt Jupiter<br />
D'un exploit glorieux n'avait privé Teucer.<br />
La cor<strong>de</strong> s'est rompue <strong>et</strong> <strong>la</strong> flèche s'égare.<br />
L'arc échappe à ses mains; dans sa rage barbare,<br />
Teucer frémit : « O ciel ! sans doute un Dieu jaloux<br />
S'oppose à nos <strong>de</strong>sseins, <strong>et</strong> détournant mes coups,
CHANT QUINZIEME. i75<br />
Brise avec tous mes dards c<strong>et</strong>te cor<strong>de</strong> nouvelle<br />
Qui <strong>de</strong>vait les gui<strong>de</strong>r dans leur course mortelle. »<br />
Ajax répond : « Ami ! puisqu'un Dieu Fa voulu 7<br />
Abandonne c<strong>et</strong> arc , instrument superflu.<br />
Saisis un bouclier 7 prends une forte <strong>la</strong>nce,<br />
Et cours <strong>de</strong> tes soldats réchauffer <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />
Marchons ! Si le Troyen envahit nos vaisseaux,<br />
Qu'il ne triomphe au moins qu'après <strong>de</strong> longs assauts.»<br />
Pour déposer son arc, Teucer vole à sa tente ;<br />
Un casque f <strong>sur</strong>monté d'une aigr<strong>et</strong>te flottante 7<br />
Sur sa tête guerrière a resplendi ; sa main<br />
Porte une <strong>la</strong>nce énorme à <strong>la</strong> pointe d'airain ;<br />
Un épais bouclier <strong>sur</strong> son dos se ba<strong>la</strong>nce,<br />
Et vers Ajax soudain à grands pas il s'é<strong>la</strong>nce.<br />
Hector qui <strong>de</strong> Teucer voit les traits ïmpuissaiis ,<br />
Fait résonner au loin ces superbes accens :<br />
« Trojens <strong>et</strong> Lyciensf soyez hommes! courage !<br />
Que vos hardis exploits illustrent ce rivage.<br />
Oui, j'ai vu Jupiter f je Fai vu <strong>de</strong> mes yeux<br />
Briser les javelots d'un homme audacieux.<br />
Par <strong>de</strong>s signes certains envers <strong>la</strong> race humaine<br />
Ce Dieu <strong>la</strong>isse éc<strong>la</strong>ter son amour ou sa haine.
iy6 L'ILIADE.<br />
S'il affaiblit les Grecs f c'est pour nous secourir.<br />
Contre leur flotte, amis ! hâtez-vous <strong>de</strong> courir.<br />
Sous leur <strong>la</strong>nce ou leurs dards si l'un <strong>de</strong> vous succombe f<br />
Mourant pour le pays, avec honneur il tombe ;<br />
Sa veuve, ses enfans, opulens héritiers,<br />
Gar<strong>de</strong>ront ses pa<strong>la</strong>is <strong>et</strong> ses'biens tout entiers,<br />
Lorsque, <strong>sur</strong> leurs vaisseaux regagnant <strong>la</strong> patrie,<br />
Les Grecs revoleront vers leur terre chérie. »<br />
Àjax, tandis qu'Hector' enf<strong>la</strong>mme les héros ,<br />
Parmi ses compagnons fait r<strong>et</strong>entir ces mots :<br />
« Argiens ! choisissez <strong>la</strong> chute ou <strong>la</strong> victoire.<br />
Le salut <strong>de</strong> <strong>la</strong>'flotte importe à notre gloire.<br />
Si l'intrépi<strong>de</strong> Hector s'empare <strong>de</strong>s vaisseaux,<br />
Vos pieds s'ouvriront-ils un chemin <strong>sur</strong> les eaux?<br />
Ne l'enten<strong>de</strong>z-vous pas <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> Pergame<br />
Animer contre nous <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme?<br />
Son courage, à leur tête ar<strong>de</strong>nt à s'é<strong>la</strong>ncer,<br />
Les excite à combattre <strong>et</strong> non point à danser.<br />
Un seul espoir nous reste ; oui, qu'en trépas fécon<strong>de</strong> 7<br />
Avec notre fureur leur fureur se confon<strong>de</strong>.<br />
Il vaut mieux une fois triompher ou périr}<br />
Que <strong>de</strong> toujours lutter <strong>et</strong> ne jamais mourir ;
CHANT QUINZIÈME. 177<br />
De moins braves guerriers près <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte agile<br />
R<strong>et</strong>iennent trop long-temps notre armée inutile. »<br />
Le fils <strong>de</strong> Të<strong>la</strong>mon par ces acceos vainqueurs r<br />
Du feu <strong>de</strong> son courage embrase tous les cœurs.<br />
Le chef <strong>de</strong>s Phocéens, l'enfant <strong>de</strong> Périmè<strong>de</strong>,<br />
Schédius brave Hector , le combat <strong>et</strong> lui cè<strong>de</strong>.<br />
Ajax plonge à son tour dans <strong>la</strong> nuit du trépas<br />
L'héritier d'Anténor, le fier Laodamas.<br />
Prince <strong>de</strong>s Epéens, Otus, né dans Gyllène,<br />
A vu Polydamas Fétendre <strong>sur</strong> l'arène.<br />
Mégès , son compagnon ,' indigné <strong>de</strong>', son sort,<br />
Sur le fils <strong>de</strong> Panthée accourt venger sa mort.<br />
Sauvé par Apollon , Polydamas s'incline,<br />
Et le trait, <strong>de</strong> Gresmus va frapper <strong>la</strong> poitrine ; •<br />
Tandis que <strong>sur</strong> un sol, <strong>de</strong> carnage'souillé,<br />
Gresmus tombe, avec bruit, par Mégès dépouillé,<br />
Un guerrier qui, joignant le talent à l'audace,<br />
Jusqu'à Laomédon fait remonter sa race,<br />
Un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Lampus , Dolops sans s'effrayer<br />
Fond <strong>sur</strong> Mégès ; son dard perce le bouclier j<br />
Le héros à <strong>la</strong> mort qui déjà le menace,<br />
Oppose c<strong>et</strong>te épaisse <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> cuirasse »<br />
2. 1*
178 L'ILIADE.<br />
Que Phylée apporta <strong>de</strong>s bords du SeUéïs 7<br />
Gomme un ferme rempart contre les ennemis f<br />
Lorsque le roi puissant d'Éphyre hospitalière,<br />
Euphète en décora sa jeunesse guerrière.<br />
Armé d'un fer aiguT Mégès frappe à l'instant<br />
Du casque <strong>de</strong> Dolops le cimier éc<strong>la</strong>tant;<br />
Ce cimier, dont <strong>la</strong> pourpre est nouvellement teinte^<br />
Ébranlé tout entier par <strong>la</strong> rapi<strong>de</strong> atteinte 7<br />
Roule dans <strong>la</strong> poussière ? <strong>et</strong> le vail<strong>la</strong>nt Mégès f<br />
Toujours ferme à son poste, espère le succès-<br />
A l'insu <strong>de</strong>.Dolops 7 Méné<strong>la</strong>s en silence<br />
Agite contre lui sa redoutable <strong>la</strong>nce ;<br />
Il le blesse à l'épaule, <strong>et</strong> l'airain furieux<br />
Dans sa <strong>la</strong>rge poitrine entre victorieux.<br />
Dolops tombe ; il expire, <strong>et</strong> le couple intrépi<strong>de</strong> 7<br />
Pour ravir son armure, accourt d'un pas rapi<strong>de</strong>. ,<br />
Hector, <strong>de</strong> ses parens enf<strong>la</strong>mmant le courroux f<br />
Excite Mé<strong>la</strong>nippe à les prévenir tous ;<br />
Ce fils d'Hicétaon f qui <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s bords paisibles<br />
Vit Percote nourrir ses bœufs aux pieds flexibles 7<br />
Vint signaler son bras 7 quand <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong> les eaux<br />
Les <strong>de</strong>ux rangs <strong>de</strong> rameurs poussèrent les vaisseaux ;
CHANT QUINZIÈME. i79<br />
Priant dans son pa<strong>la</strong>is accueillit sa jeunesse,<br />
Et d'un père envers lui déploya <strong>la</strong> tendresse.<br />
Hector s'indigne : « Eh quoi ! d'un oeil indifférent<br />
Pourras-tu contempler <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> ton parent?<br />
Vois autour <strong>de</strong> Dolops quelle foule se presse.<br />
N'attaquons plus <strong>de</strong> loin les peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />
Triomphons, ou vainqueurs dansles hauts murs troyens,<br />
Qu'ils <strong>la</strong>ncent le trépas'<strong>sur</strong> noë concitoyens! »<br />
À ces mots, tel qu'un Dieu, le fougueux Mé<strong>la</strong>nippe<br />
L'accompagne <strong>et</strong> bientôt sa terreur se dissipe.<br />
« Amis ! s'écrie Ajax; dans ce combat cruel, .<br />
Gar<strong>de</strong>s pour votre honneur un respect mutuel.<br />
Aux périls^ au trépas <strong>la</strong> valeur nous arrache ;<br />
Mais il n'est ni salut ni gloire pour le lâche. »<br />
H dit : l'essaim <strong>de</strong>s Grecs, impatient dû frein ,<br />
Protège les vaisseaux par un rampait d'airain. .<br />
Guidé par Jupiter, le Troyen les provoque,<br />
Quand Méné<strong>la</strong>s s'écrie : ce O superbe" Antiloque ! '<br />
Parmi tous nos guerriers un 'seul ne brille pas<br />
Plus rapi<strong>de</strong> à <strong>la</strong> course ou plus brave aux combats.<br />
Eh quoi ! ne saurais4u <strong>de</strong> ta main vengeresse<br />
Immoler un Troyen au salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce-? »<br />
12.
i8o ' ' L'ILIADE.<br />
Il s'éloigne : Antiloque accourt aux premiers rangs,<br />
Rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tous côtés ses regards dévorans.<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens se r<strong>et</strong>ire tremb<strong>la</strong>nte.<br />
D'un trait <strong>la</strong>ncé par lui <strong>la</strong> pointe étince<strong>la</strong>nte<br />
Vole. Atteint près du cœur? au moment où son bras<br />
Cherchait à s'illustrer au milieu <strong>de</strong>s combats,<br />
Me<strong>la</strong>nïppe avec bruit roule dans <strong>la</strong> poussière ,<br />
Et l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort pèse <strong>sur</strong> sa paupière.<br />
Gomme, auprès <strong>de</strong> son antre, un limier agresseur<br />
Fond <strong>sur</strong> le daim blessé par les traits du chasseur y<br />
O Mé<strong>la</strong>nippe ! ainsi f pour conquérir tes armes,<br />
Antiloque, affrontant les sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes,<br />
Accourt : à c<strong>et</strong>te vue, Hector, le g<strong>la</strong>ive en main f<br />
S'ouvre à travers <strong>la</strong> foule un périlleux chemin.<br />
Quoique jeune <strong>et</strong> vaiHant, le Grec n'ose Fattendre ;<br />
D'une soudaine crainte il ne peut se défendre ;<br />
Il fuit : tel à regr<strong>et</strong> l'animal <strong>de</strong>structeur<br />
Qui nagea dans le sang du chien ou du pasteur f<br />
Des nombreux vil<strong>la</strong>geois prévenant <strong>la</strong> poursuite 7<br />
S'échappe , secondé par sa légère fuite.<br />
Hector <strong>et</strong> les Troyens} avec <strong>de</strong>s cris affreux,<br />
L'accablent f à <strong>la</strong> fois, <strong>de</strong> leurs traits douloureux j
CHANT QUINZIEME. 181<br />
Enfin' il se r<strong>et</strong>ourne ; il s'arrête immobile ,<br />
Et les Grecs en leurs rangs lui donnent un asyle.<br />
Les Troyens /remplissant l'ordre <strong>de</strong> Jupiter,<br />
Lions impétueux , voient jusqu'à <strong>la</strong> mer j<br />
Jupiter le$ conduit, les excite au carnage ,<br />
Et ravissant aux Grecs leur gloire <strong>et</strong> lçur courage ,<br />
Il <strong>la</strong>issera d'Hç<strong>et</strong>or le bras victorieux *<br />
J<strong>et</strong>er <strong>sur</strong> leurs vaisseaux d'infatigables feux.<br />
Pour exaucer Thétis , d'une proue enf<strong>la</strong>mmée<br />
Quand H verra dans Pair ondoyer <strong>la</strong> fumée-,,<br />
C'est fijors qu'éloignant, les Troyens éperdus ,<br />
D, rendra <strong>la</strong> victoire aux fils <strong>de</strong> Danaiis.<br />
Hector, guidé par lui , vers <strong>la</strong>" flotte s'é<strong>la</strong>nce :<br />
Tel frémit le Dieu Mars en. agitant sa <strong>la</strong>nce :<br />
Sur <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s monts tel.un feu dévorant<br />
Eavage les.forêts <strong>et</strong> grandit en, courant*<br />
De sa, bpuclie à longs flots l'écume au loin ruisselle,<br />
Et sous d'épais.sourcil^ son. regard étincelle-,<br />
Tandis que <strong>sur</strong> son front-, qu'enf<strong>la</strong>mme <strong>la</strong> fureur,<br />
Son casque, en s'ébran<strong>la</strong>nt, disperse <strong>la</strong> terreur.<br />
Parmi tant <strong>de</strong> guerriers, le Dieu qui le protège><br />
Du triomphe à lui seul gar<strong>de</strong> le .privilège ;
i8a L'ILIADE.<br />
H vivra peu <strong>de</strong> jours ; Fheure approche où Pal<strong>la</strong>s<br />
A <strong>la</strong> valeur d'Achille a promis son trépas.<br />
Cependant le héros, pour semer <strong>la</strong> déroute 7<br />
Bans Fëpaisseur <strong>de</strong>s rangs cherche une <strong>la</strong>rge route ;<br />
Mais les Grecs réunis lui résistent partout 7<br />
Et formés en colonne , ils <strong>de</strong>meurent <strong>de</strong>bout :<br />
TeUe j dressée aux tords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante,<br />
Une roche escarpée, énorme, menaçante,<br />
Brave le vent sonore <strong>et</strong> les flots turbulens<br />
Qui gron<strong>de</strong>nt <strong>sur</strong> sa tête ou sifflent <strong>sur</strong> ses f<strong>la</strong>ncs,<br />
De toutes parts, Hector 7 ivre <strong>de</strong> son courage,<br />
Etince<strong>la</strong><strong>et</strong> <strong>de</strong> feux <strong>et</strong> bouilonnant <strong>de</strong> rage?<br />
S ? é<strong>la</strong>nce, comme on voit <strong>sur</strong> un léger vaisseau<br />
Les flots précipiter leur liqui<strong>de</strong> monceau ;<br />
LVcume'au loin b<strong>la</strong>nchît ; <strong>la</strong> voile gémissante<br />
Sous les fougueux autans s'agite frémissante,<br />
Et les pâles nochers ont tremblé <strong>sur</strong> leur sort?<br />
Par un espace étroit séparés <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort.<br />
Lorsqu f un lion terrible , altéré <strong>de</strong> carnage,<br />
Sur les humi<strong>de</strong>s bords d'un vaste marécage<br />
Paraît, pour détourner ses efforts meurtriers,<br />
Toujours <strong>de</strong>s premiers rangs passant jusqu'aux <strong>de</strong>rniers^
CHANT QUINZIÈME. i83<br />
L'inhabile pasteur court; mais le monstre avi<strong>de</strong>,<br />
Se j<strong>et</strong>ant au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule timi<strong>de</strong>-,<br />
Dévore une génisse f <strong>et</strong> voit <strong>de</strong> tout côté<br />
L^innombraHe troupeau s*enfuir épouvanté :<br />
Tels les Grecs, démentant leur courage ordinaire 1<br />
Cè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>vant Hector <strong>et</strong> le Bieu du tonnerre.<br />
Pourtant un seul guerrier <strong>de</strong>scend dans le tombeau;<br />
Périphète est son nomf Mjcéne son berceau.<br />
Fils <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ho.mme obscur qui jadis près d'AIci<strong>de</strong><br />
D'Eurysthée accomplit le message perfi<strong>de</strong> y<br />
Ce hérosi , <strong>de</strong> Coprée illustre rej<strong>et</strong>on,<br />
A force <strong>de</strong> vertus ennoblissant son nom?<br />
Signa<strong>la</strong>it au Conseil son cœur pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sage,<br />
Sa vigueur à <strong>la</strong> course, au combat son courage.<br />
Hector <strong>de</strong> son trépas s^app<strong>la</strong>udit maintenant.<br />
Contre le bouclier son pied en se tournant<br />
Heurte... il tombe captif dans c<strong>et</strong>te vaste armure ><br />
Et son casque brisé prolonge un sourd murmure,<br />
Quand <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce homici<strong>de</strong>- immole sa valeur<br />
Aux yeux <strong>de</strong> ses amis,. qui , malgré leur douleur ><br />
N ? osentni secourir ni venger <strong>la</strong> victime,<br />
Tant Hector leur, inspire-un effroi légitime l
m L'ILIADE. "<br />
Vers les premiers vaisseaux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge alignés<br />
Les Grecs ? en frémissant ? reculent indignés ;<br />
Devant les pavillons leur pha<strong>la</strong>nge éperdue<br />
Jusques jau fond du camp ne s'est pas répandue.<br />
La honte <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur les r<strong>et</strong>iennent encor ;<br />
Ils s'excitent ensemble f <strong>et</strong> le pru<strong>de</strong>nt Nestor y<br />
Au nom <strong>de</strong> leurs parens? au nom <strong>de</strong> leur patrie ,.•<br />
Embrassant leurs genoux, les exhorte <strong>et</strong> s'écrie :<br />
a Soyez hommes, amis! Eh quoi! braverezrvous<br />
Du reste <strong>de</strong>s humains les reproches jaloux?<br />
Rappelez-vous chacun dans le fond <strong>de</strong> vos âmes<br />
Vos trésors ? vos enfans, vos pères <strong>et</strong> vos femmes.<br />
Absens <strong>de</strong> vos regards, tous, ou vivans ou morts ,<br />
Espèrent 7 par ma voix? vous sauver <strong>de</strong>s remords ;<br />
Repoussez <strong>de</strong>s Troyens le choc <strong>et</strong> <strong>la</strong> poursuite,<br />
Et rej<strong>et</strong>ez Fespoir d'une honteuse fuite. »<br />
Dans tous les cœurs <strong>de</strong>s Grecs ces mots ont r<strong>et</strong>enti;<br />
Sur leurs yeux aveuglés le voile appesanti<br />
Tombe ; grâce à Minerve une c<strong>la</strong>rté soudaine<br />
Leur montre les vaisseaux <strong>et</strong> <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine,<br />
Le magnanime Hector <strong>et</strong> ses nombreux soldats<br />
Qui marchent vers <strong>la</strong> flotte ou ne combattent pas.
CHANT QUINZIEME. i85<br />
Indigné <strong>de</strong> <strong>la</strong>nguir .à c<strong>et</strong>te même p<strong>la</strong>ce<br />
Où les Grecs <strong>de</strong>s combats avaient fui <strong>la</strong> menace,<br />
Ajax court à grands pas <strong>sur</strong> les ponts <strong>de</strong>s vaisseaux,<br />
Et du g<strong>la</strong>ive ennemi repoussant les assauts ,<br />
Une -massue énorme 1 à son bras suspendue 7<br />
De ses pointes <strong>de</strong> fer présente l'étendue.<br />
Sur le chemin poudreux d'une gran<strong>de</strong> cité,<br />
Un ..souple voltigeur , bril<strong>la</strong>nt d'agilité,<br />
De ses quatre chevaux dirigeant <strong>la</strong> vitesse ,<br />
Passe <strong>de</strong> l'un à l'autre avec <strong>la</strong> même adresse,<br />
Tandis qu'un peuple avi<strong>de</strong> accourt <strong>de</strong> toutes parts<br />
De l'aspect <strong>de</strong> ces jeux amuser ses regards :<br />
De navire en navire ainsi son vol s'é<strong>la</strong>nce.<br />
Des fils <strong>de</strong> Danaus ranimant <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />
Ses cris frappent les cieijx; pourtant du noble Hector<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens n'enchaîne point l'essor.<br />
Tel l'aigle aux plumes d'or poursuit du haut <strong>de</strong>s nues<br />
Les cygnes aux longs cous <strong>et</strong> les sauvages grues,<br />
Dont le vo<strong>la</strong>ge ess.aim butine les trésors<br />
Qu'un fleuve pur nourrit <strong>sur</strong> ses fertiles bords :<br />
Tel, Hector, se frayant une route as<strong>sur</strong>ée ,<br />
Attaque les vaisseaux à <strong>la</strong> poupe azurée r
i86 L'ILIADE.<br />
Et <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> main Jupiter le poussant<br />
Entraîne <strong>sur</strong> ses pas un peuple frémissant.<br />
Près <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste flotte où le carnage fume,<br />
Plus redoutable encor <strong>la</strong> guerre se rallume.<br />
On croirait voir soudain commencer un combat,<br />
Tant une mâle ar<strong>de</strong>ur enf<strong>la</strong>mme le soldat!<br />
D'un espoir différent chaque peuple s'anime.<br />
Le Grec ne cherche plus qu'un trépas magnanime ?<br />
Et IWgueilleux Troyen sous leurs vaisseaux brûlés<br />
Espère ensevelir tous les Grecs immolés.<br />
Lar<strong>de</strong>nt Hector s'attache au superbe navire,<br />
Qui 7 sillonnant <strong>de</strong>s mers l'impétueux empire,<br />
Porta vers Dion, mais ne doit point, hé<strong>la</strong>s !<br />
Aux foyers paternels rendre Protési<strong>la</strong>s.<br />
Les Grecs^ <strong>et</strong> les Troyens que ce vaisseau rassemble 7<br />
Se frappant à Penvi, s'exterminent ensemble.<br />
Les javelots <strong>de</strong> loin ne sifflent plus dans Pair ;<br />
Chaque guerrier <strong>de</strong> près résiste armé du fer.<br />
De toutes parts, le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> noire poignée,<br />
La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans <strong>et</strong> <strong>la</strong> hache indignée<br />
De l'épaule ou <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> ces vail<strong>la</strong>ns héros<br />
Tombent, <strong>et</strong> d'un sang noir <strong>la</strong> terre boit les flpts.
CHANT QUINZIÈME. 187<br />
Mais lé fils <strong>de</strong>' Priam, poureuivant m conquête ,<br />
De <strong>la</strong> proue ennemie ébranle encorle feîte : *<br />
H s'écrie : *0 Troyens ! revolez aux combats.<br />
Que vos f<strong>la</strong>mbeaux ard<strong>et</strong>is dispersent le trépas.<br />
Jupiter fait briller c<strong>et</strong>te heureuse journée,<br />
Où , du g<strong>la</strong>ive vengeur trop long-temps détournée,<br />
Notre main détruira ces coupables vaisseaux,<br />
Malgré l'arrêt du ciel, auteurs <strong>de</strong> tous nos maux.<br />
Sans l'indigne conseil <strong>de</strong> nos vieil<strong>la</strong>rds.timi<strong>de</strong>s,<br />
Dont <strong>la</strong> voix r<strong>et</strong>enait les Troyens intrépi<strong>de</strong>s,<br />
Déjà ce fer terrible eût frappé les vainqueurs.<br />
Si Jupiter alors aveug<strong>la</strong>it nos grands cceurs,<br />
C'est lui qui maintenant nous gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> nous enf<strong>la</strong>mme. »<br />
A ces mots , <strong>sur</strong> les Grecs les peuples <strong>de</strong> Pergame<br />
Courent plus ferreux; accablé <strong>de</strong> leurs dards,<br />
Ajax voit les Troyens fondre <strong>de</strong>. toutes parts,<br />
Et contraint <strong>de</strong> lâcher <strong>la</strong> poupe du navire ,<br />
Jusqu'au banc <strong>de</strong>s rameurs lentement se r<strong>et</strong>ire.<br />
Quand jusqu'à lui <strong>la</strong> mort va s'ouvrir un chemin,<br />
Observant l'ennemi, <strong>de</strong>bout, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main,<br />
Immobile, il s'oppose au vainqueur formidable<br />
Qui s'avance, agitant <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme infatigable,
ï88 L'ILIADE.<br />
ce O compagnons!. dit-il, d disciples <strong>de</strong> Mars!<br />
Soyez hommes ; sachez maîtriser les hasards.<br />
Trouverez-vous un camp, une armée , une ville ,<br />
Où contre le trépas il vous reste unasjle?<br />
Non, non ; je n'aperçois ni murailles ni tours «<br />
Qui <strong>de</strong> leurs défenseurs nous gar<strong>de</strong>nt le, secours.<br />
Adossés à <strong>la</strong> mer, loin <strong>de</strong> notre patrie,<br />
Des belliqueux Troyens nous bravons <strong>la</strong> furie.<br />
O Grecs ! notre salut repose dans nos bras ;<br />
Il n'est plus dans <strong>la</strong> paix, il dépend <strong>de</strong>s combats. *<br />
Il dit, <strong>et</strong> furieux, en brandissant sa <strong>la</strong>nce,<br />
Frappe chaque ennemi dont il voit <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />
Les f<strong>la</strong>mbeaux à <strong>la</strong> main, docile aux vœux d'Hector.,<br />
Jusqu'aux vaisseaux profonds diriger son essor, .<br />
Et <strong>de</strong>vant ces vaisseaux, vaincus par son courage,<br />
Douze guerriers troyens meurent <strong>sur</strong> le rivage.<br />
FIN DU QUINZIÈME CHANT.
CHANT SEIZIEME.
SOMMAIRE DU CHANT SEIZIEME.<br />
Achille perm<strong>et</strong> à Patrocle <strong>de</strong> revêtir aoa armure <strong>et</strong> <strong>de</strong> conduire sestroupes<br />
au combat. — Libations <strong>et</strong> prière d'Achille à Jupiter. —<br />
Déroute <strong>de</strong>s Troyeas. — Mort <strong>de</strong> Sarpédoa. —Patrocle, défarmé par<br />
Apollon <strong>et</strong> blessé par Euphorbe , est immolé par Hector.
L'ILIADE.<br />
CHANT SEIZIÈME.<br />
Tandis que le combat autour du fort navire<br />
Se prolonge, un héros que <strong>la</strong> douleur déchire,<br />
Patrocle vers Achille accourt silencieux,<br />
Et mille pleurs brû<strong>la</strong>ns ont roulé dans ses yeux :<br />
Telle! <strong>de</strong> ses flots noirs précipitant <strong>la</strong> course,<br />
Bu haut d'un roc s'échappe une profon<strong>de</strong> source.<br />
A c<strong>et</strong> aspect , Achille, ému par <strong>la</strong> pitié,<br />
Fait parler en ces mots <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Famitié :.<br />
« 0 Patrocle ! d'où naît c<strong>et</strong>te douleur amère?<br />
Tu pleures , comme on voit près <strong>de</strong> sa tendre mère<br />
La fille qu'à son sein elle vient d'arracher,<br />
Se suspeàdre à mm voile, à ses. pas s'attacher,
iga L'ILIADE.<br />
Et vers elle tournant <strong>de</strong>s jeux baignés d.e <strong>la</strong>rmes r<br />
Du baiser maternel re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r les charmes.<br />
«Quels maux ont menacé les Myrmidons ou moi ?'<br />
Quel message <strong>de</strong> Phthie a causé ton effroi ?<br />
Pourtant le fils d'Actorf Ménétius respire,<br />
Et plein <strong>de</strong> jours, Pelée habite son empire.<br />
Si nous perdions l'un d'eux 7 à quel juste regr<strong>et</strong><br />
Ce trépas déplorable, ô ciel ! nous livrerait !<br />
Gémis-tu <strong>sur</strong> les Grecs qui? d'un tjrran complices 7<br />
Meurent, en expiant leurs propres injustices?<br />
Parle : ouvre-moi ton cœur ; tu me dois tes aveux.<br />
Quel que soit le danger ? connaissons-le tous <strong>de</strong>ux. »<br />
Un long soupà* échappe à ton âme accablée,<br />
Patrocle ! tu réponds :, « Héros, fils <strong>de</strong> Pelée,<br />
Ne t'irrite donc pas, quand un affreux malheur<br />
Des Grecs désespérés accable <strong>la</strong> valeur.<br />
. Malgré les soins d'un art en remè<strong>de</strong>s fertile ,<br />
'Ulysse^ Agamemnon1 Diomè<strong>de</strong>, Eurypyle?<br />
Les chefs les plus fameux, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte <strong>la</strong>issés,<br />
Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ou les traits y <strong>la</strong>nguissent-blesses.<br />
Tu sais leurs maux , Achille! <strong>et</strong> ta haine te reste!<br />
Me préservent les Dieux <strong>de</strong> ce courroux funeste !
CHANT SEIZIEME. i93<br />
iPour qui veux-tu gar<strong>de</strong>r tes superbes secours^ . ,<br />
SI les Grecs à ton fer ont vainement recours? "<br />
Non, barbare! un héros jamais ne fut ton père. .<br />
Non, barbare ! Thëtis jamais ne fut ta mère,<br />
Et le noir Océan <strong>de</strong> son gouflre ennemi<br />
Sur <strong>de</strong>s rocs escarpés en grondant t'a vomi.<br />
SI ta mère, <strong>de</strong>s Dieux te révé<strong>la</strong>nt l'oracle,<br />
Enchaîne ta valeur par un jaloux obstacle ,<br />
Ordonne; accompagné <strong>de</strong> tes nombreux soldats,<br />
J'emprunte ton armure <strong>et</strong> je vole aux combats.<br />
Que je ren<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Grèce un rayon d'espérance !<br />
Les Troyens, artisans <strong>de</strong> sa longue souffrance,<br />
En croyant te revoir , fuiront, <strong>et</strong> ses héros<br />
Goûteront', dans leur peine, un moment <strong>de</strong> repos.<br />
Oui, les <strong>de</strong>rniers débris d'une armée épuisée<br />
Vont cé<strong>de</strong>r à nos coups une victoire aisée,<br />
Et loin <strong>de</strong> nos vaisseaux, leurs bataillons épars<br />
Cacheront leur terreur au fond <strong>de</strong> leurs remparts. »<br />
Ainsi lfe malheureux supplie, <strong>et</strong> sa prière ••.<br />
Appelle aveuglément <strong>la</strong> Parque meurtrière. .<br />
Achille aux pieds légers soupire : « Que dis-tu ?<br />
Par <strong>de</strong> lâches terreurs je serais abattu !...<br />
2. i3
i94 L'ILIADE.<br />
Non; le maître <strong>de</strong>s Dieux, par <strong>la</strong> voix
CHANT SEIZIÈME. tgS<br />
Tous fuiraient !... Etles Grecs, par leurs g<strong>la</strong>ives frappés,<br />
De leur essaim vengeur tombent enveloppés. _<br />
Pour défendre Farmée, aux mains <strong>de</strong> Diomè<strong>de</strong><br />
Je ne vois plus frémir sa <strong>la</strong>nce à qui tout cè<strong>de</strong> ;<br />
Du fier Agamemnon, c<strong>et</strong> ennemi <strong>de</strong>s rois.<br />
Je n'entends plus rugir <strong>la</strong> détestable voix.<br />
Oui f d'Hector seulement les c<strong>la</strong>nieurs r<strong>et</strong>entissent ;<br />
Les Troyens dont partout les rangs nous investissent,<br />
Excités par Hector, en poussant <strong>de</strong> grands cris,<br />
Des Grecs, le fer en main , achèvent les débris.<br />
Qu'en ces pressans dangers , ton audace affermie<br />
Délivre nos vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ennemie ,<br />
Patrocle ! <strong>et</strong> que les Grecs, triomphans à leur tour,<br />
Doivent à ta valeur l'espoir <strong>de</strong> leur r<strong>et</strong>our.<br />
Vole, mais à leurs yeux loin <strong>de</strong> trahir ma cause,<br />
Remplis fidèlement l'ordre que je t'impose :<br />
Si tu veux que les Grecs, pour effacer leurs torts,<br />
Ren<strong>de</strong>nt ma belle esc<strong>la</strong>ve <strong>et</strong> m'offrent leurs trésors ?<br />
Si tu veux as<strong>sur</strong>er ma vengeance <strong>et</strong> ma' gloire,<br />
Reviens, quand nos vaisseaux te <strong>de</strong>vront <strong>la</strong> victoire.<br />
Dût l'époux <strong>de</strong> Junon veiller encor <strong>sur</strong> toi,<br />
Ne cause pas ma honte en triomphant sans moi.<br />
i3.
i96 L'ILIADE; •<br />
Dans ta fougueuse ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> batailles-j<br />
Ne va point T sous leurs murs semant les funérailles 7<br />
Poursuivre lesTroyens; tremble qu'un <strong>de</strong> leursDieuxt<br />
De POlympe é<strong>la</strong>ncé, ne combatte pour eux ;<br />
Ils sont chers à Phébus? dont <strong>la</strong> main redoutable _<br />
Fait voler dans les airs £a flèche inévitable.<br />
Sauveur <strong>de</strong> nos vaisseaux7 fuis lin nouveau danger,<br />
Et <strong>la</strong>isse chaque peuple à Fenvi s'égorger.<br />
Jupiter! Apollon! <strong>et</strong> toi, fière Déesse,<br />
Pal<strong>la</strong>s ! que les guerriers <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Expirent tous? <strong>et</strong> seuls, échappés aux hasards. 7<br />
Puissions-nous d'Ilion briser les saints remparts ! »<br />
Ils par<strong>la</strong>ient: mais Ajax7 ce guerrier formidable,<br />
Cè<strong>de</strong> aux traits ennemis dont <strong>la</strong> grêle l'accable ;<br />
Vaincu par Jupiter, sous les braves Troyens<br />
Il succombe ; son casque aux superbes liens ?<br />
Son casque? dont les clous s'entré-choquent ensemble^<br />
R<strong>et</strong>entit sour<strong>de</strong>ment <strong>sur</strong> sa tête qui tremble 7<br />
Et le -vaste far<strong>de</strong>au du riche bouclier<br />
Sur son épaule gauche a pesé tout entier.<br />
Pourtant 7 sans l'ëbranler, l'ennemi le harcèle.<br />
Une <strong>la</strong>rge sueur, <strong>de</strong> tout son corps ruisselle ;.
CHANT SEIZIÈME. 197<br />
H gémit, oppressé- dans son sein hal<strong>et</strong>ant;<br />
Le péril au péril succè<strong>de</strong> à'chaque-instant.<br />
Muses!' filles.du ciel!' quelle main vengeresse<br />
La première embrasa les vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce?<br />
Armé d'un g<strong>la</strong>ive énorme,- Hector bientôt dans Pair<br />
De <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Àjax'à dispersé le fer.<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon d'une main épuisée<br />
Agite les'<strong>la</strong>mbeaux 1 <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce brisée 1<br />
Et loin <strong>de</strong> lui Pairain, '<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre j<strong>et</strong>é,<br />
Tombe <strong>et</strong> bondit :"son cœur frissonne épouvanté...<br />
Voyant que Jupiter, auteur <strong>de</strong> sa disgrâce,<br />
Des Troyens-triômpkans favorise l'audace,<br />
fl échappe.à leurs traits ; mais leurs bras courageux<br />
Lancent, <strong>sur</strong> le vaisseau d'infatigables feux ;<br />
La proue alors s'embrase, <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme agrandie<br />
En épais tourbillon fait courir Pincendie.<br />
Mais Achille s'écrie en frappant-ses genoux :<br />
« Divin Patroclë ! ami ! lève-toi ! venge-nous !<br />
Je vois <strong>sur</strong> les vaisseaux étinceler <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ;<br />
S'ils tombent au pouvoir <strong>de</strong>s'enfans <strong>de</strong> Pergame,<br />
Plus d'espoir <strong>de</strong> salut : prends mes armes ; je cours<br />
De nos plus-fiers soldats rassembler les secours, >*.
ig8 L'ILIADE.<br />
Patrocle se revêt <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>tante armure.<br />
Deux riches bro<strong>de</strong>quins composent sa chaus<strong>sur</strong>e.<br />
La bril<strong>la</strong>nte cuirasse, ouvrage heureux <strong>de</strong> Part,<br />
Autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> poitrine arrondit son rempart.<br />
Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent <strong>sur</strong> son dos se ba<strong>la</strong>nce f<br />
Et l'épais bouclier protège sa vail<strong>la</strong>nce.<br />
Surmonté <strong>de</strong>s longs crins d'un ondoyant cimier 7<br />
Le casque menaçant couvre son front guerrier.<br />
Armé <strong>de</strong>s javelots, il les soutient sans peine ;<br />
Mais il n'ose toucher c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> frêne,<br />
Instrument <strong>de</strong> carnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction,<br />
Que jadis, aux somm<strong>et</strong>s du vaste Pélion,<br />
Façonna le Centaure, <strong>et</strong> dont l'énorme masse<br />
De tout autre qu'Achille épouvante Paudace.<br />
Le fidèle écuyer que Patrocle toujours<br />
Près <strong>de</strong> lui voit combattre <strong>et</strong> veiller <strong>sur</strong> ses jours,<br />
Son ami le plus cher après le grand Achille,<br />
Automédon paraît ; à ses ordres docile,<br />
De Xanthe <strong>et</strong> <strong>de</strong> Balïe au joug resplendissant<br />
1 a soumis déjà le front obéissant;<br />
Sur les prés que <strong>la</strong> mer arrose <strong>de</strong> ses on<strong>de</strong>s,<br />
Respirant du Zéphyr les caresses fécon<strong>de</strong>s y
CHANT SEIZIÈME. i-99<br />
Podarge avait conçu ces immortels chevaux f<br />
Des vente les plus légers audacieux rivaux.<br />
Ce beau coursier ravi par le fils <strong>de</strong> Pelée<br />
Dans les fumani remparts <strong>de</strong> Thèbes désolée 7<br />
Le généreux Pédase, à son tour amené f<br />
Près du couple divin, mortel, est enchaîné.<br />
Achîlle aux M jrmidons, en parcourant les tentes?<br />
Ordonne <strong>de</strong> saisir leurs armes éc<strong>la</strong>tantes.<br />
Quand <strong>sur</strong> un mont <strong>de</strong>s loups ? encor rouges <strong>de</strong> sang.<br />
D'un grand cerf au long bois ont déchiré le f<strong>la</strong>nc ,<br />
Rassembles <strong>sur</strong> les bords d ? une source profon<strong>de</strong>,<br />
Ces monstres dévorans , se penchant <strong>sur</strong> son on<strong>de</strong> 7<br />
En <strong>la</strong>pent les flots noirs 5 leurs gosiers hal<strong>et</strong>ans<br />
Rej<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair les <strong>la</strong>mbeaux palpitans ;<br />
La fureur se rallume en leurs coeurs intrépi<strong>de</strong>s 1<br />
Et le meurtre a gonflé leurs entrailles avi<strong>de</strong>s :<br />
Ainsi Patrocle a vu se grouper <strong>sur</strong> ses pas<br />
Un innombrable essaim dé chefs <strong>et</strong> <strong>de</strong> soldats f<br />
Et dans Içuw rangs Achille excite tous ensemble<br />
Les coursiers5 les héros que son ami rassemble.<br />
Achille, ce guerrier chéri <strong>de</strong> Jupiter ,<br />
De cinquante vaisseaux avait chargé <strong>la</strong> mer,
aoo L'ILIADE.<br />
Et chacun, <strong>sur</strong> ses bancs, vers ce lointain rivage -<br />
De cinquante soldats transporta le courage ;<br />
Cinq chefs les commandaient; mais Achille a voulu<br />
Se réserver <strong>sur</strong> tous un pouvoir absolu.<br />
Ménesthius, couvert d'une riche cuirasse,<br />
Du premier bataillon gui<strong>de</strong> <strong>la</strong> noble audace ;<br />
Le divin Sperchîus, <strong>de</strong> Jupiter issu,<br />
Lui transmit le pur sang qu'il en avait reçu.<br />
La beHePolydore, une simple mortelle,<br />
Aima le Sperchîus, qui s'unit avec elle,<br />
Et cependant Borus, fier d'obtenir sa main,<br />
Avait au poids <strong>de</strong> For achète son hymen.<br />
La <strong>de</strong>uxième pha<strong>la</strong>nge <strong>et</strong> s'empresse <strong>et</strong> s'honore<br />
De marcher sous les lois du belliqueux Eudore»,<br />
La jeune Polymèle, enfant du vieux Phy<strong>la</strong>s,<br />
Me<strong>sur</strong>ant avec art-ses accens <strong>et</strong> ses pas,<br />
Célébrait, en montrant sa grâce enchanteresse,<br />
Diane aux flèches d'or, Diane chasseresse ;<br />
Attendri par sa voix, par sa beauté séduit,<br />
Le Dieu, vainqueur d'Argus, dans un secr<strong>et</strong> réduit,<br />
Sur sa couche entraînant c<strong>et</strong>te vierge charmante,<br />
S'unit avec mystère à sa nouvelle amante,
CHANT SEIZIEME. soi<br />
Qui lui donna pour' fils ce guerrier généreux ,<br />
Invincible.à <strong>la</strong> course, aux combats valeureux.<br />
Mais à peine Ilithye à sa jeune paupière<br />
Fit briller du soleil <strong>la</strong> divine lumière,<br />
Epoux <strong>de</strong> Polynïèle , Échéclus, fils.d'Actor,<br />
Bans ses riches foyers, lui prodigua son or,<br />
Et Phy<strong>la</strong>s ? qui d*Eudore éleva <strong>la</strong> jeunesse,<br />
Gomme un père attentif f l'entoura <strong>de</strong> tendresse.<br />
Pisandre vient après : toujours, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce au bras?<br />
Pisandre a <strong>sur</strong>passé les plus hardis soldats ;<br />
Sur lui l'ami d'Achille est le seul qui l'emporte.<br />
Le vieux Phénix paraît r suivi <strong>de</strong> sa cohorte.<br />
Enfin 7 aux <strong>de</strong>rniers rangs se montre Alcimédon,<br />
Du noble Laé'rcès illustre rej<strong>et</strong>on.<br />
Avec ces chefs divers lorsque chaque pha<strong>la</strong>nge.<br />
D'après Fordre d'Achille <strong>et</strong> s'assemble <strong>et</strong> se range ,<br />
Ce guerrier leur adresse, un sévère discours :<br />
* Soldats ! <strong>de</strong> ma fureur tant qu'a duré le cours,<br />
Sur vos légers vaisseaux votre superbe audace<br />
Prodiguait aux Troyens l'injure <strong>et</strong> <strong>la</strong> menace.<br />
N'allez pas l'oublier ; dans votre fier courroux,<br />
Vous m'accusiez sans cesse : Achille ! disiez-vous,
*02 L'ILIADE.<br />
Cruel fils <strong>de</strong> Pelée ! Ah ! sans doute ta mère<br />
Nourrit tes jeunes ans du fiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère.<br />
Tes soldats , enchaînés par tes ordres vengeurs,<br />
Languissent ; que du moins nos vaisseaux voyageurs<br />
Revolent <strong>sur</strong> les mers vers <strong>la</strong> douce patrie ,<br />
Puisque rien ne fléchit ton aveugle furie.<br />
Tels étaient vos discours... Eh bien! il est venu<br />
Ce grand jour du combat f par vos vœux obtenu.<br />
Plein d'une mâle ar<strong>de</strong>ur 1 que chacun avec joie<br />
Coure se signaler contre les fils <strong>de</strong> Troie. *<br />
Les héros, enf<strong>la</strong>mmés d'un transport beËiqueux,<br />
Raffermissent les rangs <strong>et</strong> se pressent entr'eux.<br />
Tel un homme > <strong>de</strong>s vents pour braver <strong>la</strong> menace,<br />
Des pierres d'un pa<strong>la</strong>is consoli<strong>de</strong> <strong>la</strong> masse :<br />
Ainsi le bouclier s'unit au bouclier,<br />
Le soldat au soldat, le cimier au cimier ;<br />
Ornés <strong>de</strong> crins épais, les casques étinceEent,<br />
Et, partout confondus, les guerriers s'amoncellent.<br />
Les armes à <strong>la</strong> main, Patrocle, Automédon<br />
S'é<strong>la</strong>ncent les premiers <strong>de</strong>vant leur bataillon ; •<br />
D'une égale fureur leur âme palpitante<br />
Vole aux dangers. Achille est rentré sous sa tente.
CHANT SEIZIÈME. »o3<br />
Dans le eoffire superbe ou , d'un soin diligent s<br />
Le jour <strong>de</strong> son départ, Thétïs aux pieds d'argent<br />
Renferma les tissus <strong>de</strong>s tapis magnifiques 1<br />
Les soli<strong>de</strong>s manteaux <strong>et</strong> les riches tuniques,<br />
Il prend <strong>la</strong> belle coupe où pour le roi <strong>de</strong>s Dieux<br />
Seul il puisa toujours le vin religieux,<br />
D f abord, puriiant c<strong>et</strong>te coupe splendi<strong>de</strong>,<br />
Quand le soufre s ? allume, il verse une eau limpi<strong>de</strong> 1<br />
Et <strong>la</strong>vant ses <strong>de</strong>ux mains, au monarque éternel<br />
Consacre d'un vin noir l'hommage solennel.<br />
Les yeux levés au ciel, au milieu <strong>de</strong> l'enceinte,<br />
Debout <strong>et</strong> proférant une prière sainte f<br />
Jusqu'au Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre il fait monter sa voix :<br />
« O toi dont le Pe<strong>la</strong>ge a reconnu les lois f<br />
Immortel Jupiter, qui du haut <strong>de</strong> ton trône<br />
Soum<strong>et</strong>s à ton pouvoir c<strong>et</strong>te froi<strong>de</strong> Dodone 1<br />
Où les Selles pieux 7 à ton culte attachés ^<br />
Demeurent 5 les pieds nus, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre couchés t<br />
Si déjà ton courroux frappa <strong>la</strong> Grèce entière,<br />
Daigne, daigne exaucer ma nouvelle prière.<br />
Je reste dans mon camp , tandis que mes soldats ,<br />
Guidés par mon ami f s'é<strong>la</strong>ncent aux combats,.
ao4 • L'ILIADE.<br />
Jupiter dont <strong>la</strong> vue embrasse au loin le mon<strong>de</strong> !<br />
Rends le vainqueur; <strong>sur</strong> toi tout son espoir se fon<strong>de</strong> *<br />
Raffermis son courage ; apprends au fier Hector<br />
Si Patrocle sans moi peut triompher encor,<br />
Ou s'il faut près <strong>de</strong> lui que je vole aux batailles f<br />
Pour voir son bras fougueux <strong>la</strong>ncer les funérailles.<br />
Quand sa noble valeur aura loin <strong>de</strong>s vaisseaux<br />
Repoussé le combat <strong>et</strong> les bruyans assauts,<br />
Puisse-t-il revenir vivant <strong>et</strong> sans bles<strong>sur</strong>e<br />
Avec tous mes guerriers <strong>et</strong> toute mon armure ! »,<br />
Tel priait le héros ; maïs l'inflexible Dieu<br />
Exauce seulement <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> son vœu ;<br />
Si Patrocle à <strong>la</strong> flotte épargne le ravage %<br />
Il ne doit point lui-même échapper au carnage,.<br />
Content d'avoir offert au souverain <strong>de</strong>s Dieux<br />
Sa fervente prière <strong>et</strong> ses tributs pieux,<br />
Achille se r<strong>et</strong>ire, <strong>et</strong> dans le coffire antique<br />
Ses mains ont déposé <strong>la</strong> coupe'magnifique.<br />
Devant sa tente assis, ses avi<strong>de</strong>s regards<br />
Sur les sang<strong>la</strong>ns combats p<strong>la</strong>nent <strong>de</strong> toutes parts.<br />
Patrocle a commandé ; tous les soldats en armea<br />
Marchent, impatiens <strong>de</strong> semer les a<strong>la</strong>rmes.
CHANT SEIZIÈME. *o5<br />
Lorsqu'on voit, <strong>sur</strong> les bords d'un grandchemin poudreux,<br />
Les abeiEes voler , <strong>et</strong> leur essaim' nombreux ,<br />
Irrité par les jeux d'une troupe enfantine./<br />
Sortir en bourdonnant <strong>de</strong> <strong>la</strong> ruche voisine ;<br />
Si , troub<strong>la</strong>nt leur repos, l'impru<strong>de</strong>nt voyageur<br />
Les menace, soudain brille leur dard vengeur,<br />
Et toutes , opposant le courage à l'offense,<br />
De leur jeune famille embrassent <strong>la</strong> défense :<br />
Les vail<strong>la</strong>ns Myrmidons, non moins impétueux,<br />
S'avancent, frappant l'air <strong>de</strong> cris tumultueux.<br />
Patrocle à haute voix au combat les anime :<br />
« O dignes compagnons d'un guerrier magnanime,<br />
Soyez hommes'; amis! sachez, comme autrefois, •<br />
De votre chef illustre imiter les exploits.<br />
Armant en sa faveur votre main vengeresse,<br />
Honorez tous en lui le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Et puisse Agamemnon pleurer dans sa douleur<br />
L'affront qui du plus brave a flétri <strong>la</strong> valeur! »<br />
D dit j tous les soldats, qu'enf<strong>la</strong>mme ce <strong>la</strong>ngage,<br />
Contre les ennemis précipitent leur rage.<br />
D'un tumulte confus <strong>la</strong> flotte a r<strong>et</strong>enti.<br />
Dans sa fougueuse ar<strong>de</strong>ur le Troyen ralenti,
ao6 L'ILIADE.<br />
L'âme d'étonnement <strong>et</strong> d'effroi palpitante ,<br />
S'ébranle ; au seul aspect <strong>de</strong> l'armure éc<strong>la</strong>tante,<br />
Il pense avec terreur que dan6 son cœur jaloux<br />
Achille aux pieds légers a dompté son courroux,<br />
Et loin <strong>de</strong> provoquer un danger inutile,<br />
Partout contre <strong>la</strong> mort, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un asyle.<br />
Sur <strong>la</strong> rive, à l'endroit où <strong>de</strong> nombreux soldais<br />
Assiègent le vaisseau du grand Pratési<strong>la</strong>s,<br />
D'abord Patrocle <strong>la</strong>nœ une flèche mortelle ,<br />
Et blesse <strong>de</strong> son fer Pyrèchine, dont le zèle,<br />
Des remparts d'Amjdone aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong>s combats,<br />
Loin du <strong>la</strong>rge Axius a guidé sm soldats.<br />
Son épaule a reçu l'atteinte meurtrière;<br />
Pyrèchme gémissant dans l'ari<strong>de</strong> poussière<br />
Tombe ; privés du chef sous leurs yeux abatte,<br />
Les soldats ont cédé , sans avoir combattu ,<br />
Et déjà <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poupe, à <strong>de</strong>mi consumée.<br />
Des feux étince<strong>la</strong>ns <strong>la</strong> fureur s'est calmée.<br />
Quand le* Troyens ont fui , les fik <strong>de</strong> Danaûs<br />
S'é<strong>la</strong>ncent vers leur flotte avec <strong>de</strong>s cris confus.<br />
Lorsque le Dieu tonnant, que <strong>la</strong> foudre accompagne,<br />
Sur le faîte élevé d'une gran<strong>de</strong> montagne,
CHANT SEIZIÈME. %o7<br />
Chasse un nuage épais, tout à coup dans les cièux<br />
Le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s coteaux se dresse radieux 5<br />
Les forêts f les vallons à nos yeux te découvrent ^<br />
Et <strong>de</strong> Pair épure les viastes champs s'<strong>et</strong>ita^ouvrent :<br />
Ainsi les Argiens, loin <strong>de</strong> leur» noirs vaisseaux<br />
De <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ennemie écartant les assaut» 5<br />
Respirent ; mais bientôt <strong>la</strong> guerre recommence,<br />
Et, sans offirir l'aspect d'une déroute immense,<br />
Devant les Grecs vainqueurs les Trojens recu<strong>la</strong>nt,<br />
En résistant toujours, s'éloignent à pas lent.<br />
De toutes parts s'étend <strong>la</strong> scène'du carnage ;<br />
Chaque héros immole un héros k sa rage.<br />
Aréïlyce fuit j Patroele furieux<br />
Enfonce dans sa cuisse un trait victorieux;<br />
L'airain a brisé Pos , <strong>et</strong> <strong>la</strong> victime tombe.<br />
Sous l'ar<strong>de</strong>nt Ménéks ici Thoas succombe.<br />
Et son sein découvert, privé du bouclier,<br />
Laisse un libre passage à l'homici<strong>de</strong> acier.<br />
Là, Mégès, d'Amphiclus craignant l'essor rapi<strong>de</strong>,<br />
Sur sa jambe dirige une flèche intrépi<strong>de</strong> ;<br />
Les nerfs sont déchirés; <strong>la</strong> nuit couvre ses jeux.<br />
Plus loin, du vieux Nestor les fils audacieux
*o8 L'ILIADE.<br />
Marchent : d f Atymnius cherchant les funérailles 1<br />
La <strong>la</strong>nce d*Antiloque a percé ses entraiEes ;<br />
D tombe <strong>et</strong> meurt. Maris, avec célérité,<br />
Du trépas fraternel noblement irrité,<br />
Pour sauver le cadavre, accourt; mais à sa rage '<br />
Thrasymè<strong>de</strong> opposant un plus ferme courage,<br />
Tranche le nerf puissant qui joint Pépaule au bras^<br />
Et voit son os brisé voler en mille éc<strong>la</strong>ts; •<br />
Sur les yeux <strong>de</strong> Maris une ombre funéraire<br />
S^étend <strong>et</strong> dans sa chute il ébranle <strong>la</strong> terre.<br />
Par <strong>de</strong>ux frères ainsi <strong>de</strong>ux héros égorgés<br />
Dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> PErèbe ensemble sont plongés ;<br />
Témoin <strong>et</strong> compagnon d'une valeur si rare ,<br />
Sarpédon les aimait; leur père Amisodare<br />
Jadis avait nourri <strong>de</strong> ses vail<strong>la</strong>ntes mains<br />
La Chimère indomptable <strong>et</strong> terrible aux humains.<br />
Gléobule combat; Ajax, fils d'Oïlée,<br />
Court le saisir vivant au fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> mêlée*,<br />
Et dans le cou lui plonge un g<strong>la</strong>ive radieux,<br />
Qu'il r<strong>et</strong>ire fumant <strong>de</strong> son sang odieux;<br />
Bientôt <strong>la</strong> sombre Mort <strong>et</strong> <strong>la</strong> Parque infernale<br />
Eten<strong>de</strong>nt <strong>sur</strong> ses yeux leur ombre sépulcrale.
CHANT SEIZIÈME. so9<br />
Lycon <strong>et</strong> Pénélée, intrépi<strong>de</strong>s héros,<br />
L'un <strong>sur</strong> l'autre ont en vain <strong>la</strong>ncé leurs javelots ;<br />
Mais tandis que Lycon <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive homici<strong>de</strong><br />
Sur le casque ennemi décharge un coup rapi<strong>de</strong>,<br />
La poignée est rompue, <strong>et</strong> son fougueux rival,<br />
Le blessant k son tour, lui porte un coup fatal ;<br />
Le g<strong>la</strong>ive dans sa gorge <strong>et</strong> s'enfonce <strong>et</strong> s'arrête,<br />
Et <strong>la</strong> peau seule encore a r<strong>et</strong>enu sa tête ;<br />
Il expire. Acamas , au carnage échappé,<br />
Par l'adroit Mérion à l'épaule frappé,<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son char tombe au loin; <strong>sur</strong> sa vue-<br />
D'un nuage profond <strong>la</strong> nuit s'est répandue.<br />
Par le chef <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois Érimas est blessé ;<br />
Bientôt l'acier cruel, dans sa bouche <strong>la</strong>issé,<br />
Tout entier disparaît, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe mortelle<br />
Pénètre en frémissant jusques à <strong>la</strong> cervelle,<br />
Brise les os d'ivoire, <strong>et</strong>, fracassant les <strong>de</strong>nts,<br />
D'un sang noir en âes yeux répand les flots ar<strong>de</strong>ns ;<br />
Le sang découle aussi <strong>de</strong> sa bouche entrouverte ;<br />
Des ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort sa paupière est couverte.<br />
Les Argiens, d'un bras par <strong>la</strong> haine affermi,<br />
Frappent, <strong>et</strong> chacun d'eux immole un ennemi :<br />
2. i4
aïo ' L'ILIADE.<br />
Ainsi <strong>de</strong> loups cruels une ban<strong>de</strong> intrépi<strong>de</strong><br />
Fond <strong>sur</strong> <strong>la</strong> jeune chèvre ou <strong>sur</strong> l'agneau timi<strong>de</strong>,<br />
Que l'impru<strong>de</strong>nt pasteur <strong>sur</strong> un mont écarté<br />
Laissa loin du troupeau bondir en liberté.<br />
Le Troye», effrayé <strong>de</strong> leur vive poursuite,<br />
Oubliant sa valeur, songe à l'horrible fuite.<br />
Ajax, dont <strong>la</strong> fureur ne connaît plus <strong>de</strong> frein,<br />
S'é<strong>la</strong>nce contre Hector au grand casque d'airain ;<br />
Hector, le dos couvert du bouclier soli<strong>de</strong>,<br />
Au choc siff<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s traits prête une oreille avi<strong>de</strong>.<br />
S'il ne peut maîtriser le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s combats.<br />
Il sauvera du moins ses fidèles soldats;'<br />
Dans le péril encor il <strong>de</strong>meure indomptable.<br />
Quand Jupiter saisit sa foudre inévitable,<br />
Après un jour serein , comme un nuage obscur<br />
S'élève, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Olympe enveloppe l'aznr :<br />
Tels du- fond <strong>de</strong>s vaisseaux s'é<strong>la</strong>ncent vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
Les Troyens dispersés que <strong>la</strong> frayeur entraîne.<br />
Hector, qu'ont emporté ses chevaux vigoureux,<br />
S'échappe, abandonnant ses peuples malheureux :<br />
Dans le <strong>la</strong>rge fossé qui seul r<strong>et</strong>ient leur foule, ><br />
Le coursier hal<strong>et</strong>ant chancelle, tombe , roule,
CHANT SEIZIEME. an<br />
Et sous les traits rompus, sous les timons brisés<br />
Laisse les chars <strong>de</strong>s rois F un par Fautre écrasés.<br />
Le vengeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong> Troie ,<br />
Patrbcle avec fureur s f acliarne <strong>sur</strong> sa proie ;<br />
Les chevaux <strong>de</strong>s vaincus courant vers Dion<br />
Font monter jusqu'au ciel un poudreux tourbiUon ;<br />
Des débris <strong>de</strong> leur fuite ils ont semé <strong>la</strong> route ,<br />
Et Patrocle, en criant, achève leur déroute.<br />
Du faite <strong>de</strong> leurs chars en éc<strong>la</strong>ts dispersés,<br />
Tous? le front sous l'essieu, succombent renversés';<br />
Ensemble confondus, ils mor<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> poussière.<br />
Mais du fossé déjà franchissant <strong>la</strong> barrière ,<br />
Bondissent les coursiers, comme un don glorieux,<br />
À Pelée autrefois accordés par les Dieux.<br />
Patrocle <strong>sur</strong> Hector soudain se précipite;<br />
Emporté par son char, Hector fuit <strong>et</strong> Févite.<br />
Si Jupiter punit les juges criminels ,<br />
Insolens contempteurs <strong>de</strong> ses droits éternels,<br />
Et dans un jour d f automne, armé <strong>de</strong> son tonnerre,<br />
Sous <strong>la</strong> pluie abondante ensevelit <strong>la</strong> terre,<br />
Loin du faîte <strong>de</strong>s monts, les fleuves débordés<br />
Jusqu f au noir Océan dans les champs inondés<br />
,4.
ai» L'ILIADE.<br />
Roulent <strong>et</strong> sous le choc <strong>de</strong>s flots qui r<strong>et</strong>entissent,<br />
Du tremb<strong>la</strong>nt <strong>la</strong>boureur les travaux s'engloutissent :<br />
Tels les chevaux troyens, <strong>de</strong> fureur écumans,<br />
Volent j frappant les airs <strong>de</strong> sourds mugïssemens.<br />
Fier d'un premier succès , Patrocle vers <strong>la</strong> rive<br />
'Chasse <strong>de</strong>s ennemis <strong>la</strong> troupe fugitive,<br />
Et f loin <strong>de</strong> Troie , oppose à leurs efforts rivaux<br />
Le fleuve7 d'une part, <strong>de</strong> l'autre, les vaisseaux.<br />
Là f <strong>de</strong> ses compagnons son bras vengeantles ombres,<br />
J<strong>et</strong>te plus d'un Troyen dans les royaumes sombres.<br />
Pronoûs avant tous frappe d'un trait vainqueur<br />
A l'endroit où l'airain ne défend pas son cœur ,<br />
Tombe expirant ; son poids fait r<strong>et</strong>entir l'arène.<br />
Courbé <strong>sur</strong> le beau char où <strong>la</strong> terreur l'enchaîne ,<br />
Thestor , enfant d'Enops, <strong>de</strong>meuré sans appui ,<br />
Se trouble <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains les rênes d'or ont fui.<br />
Patrocle , brandissant <strong>la</strong> pique meurtrière ,<br />
Dans sa joue aussitôt l'enfonce tout entière ,<br />
Brise ses <strong>de</strong>nts, l'enlève <strong>et</strong> du'siège éc<strong>la</strong>tant<br />
Sur le sol ennemi le j<strong>et</strong>te palpitant,<br />
Comme un pêcheur, assis <strong>sur</strong> un roc dont <strong>la</strong> masse<br />
De l'immense Océan domine au loin l'espace,
CHANT SEIZIEME. »i3<br />
Du fond <strong>de</strong>s mers r<strong>et</strong>ire un énorme poisson<br />
Suspendu par l'acier du perfi<strong>de</strong> hameçon.<br />
La bouche ouverte encor 7 Thestor roule <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie<br />
Avec le <strong>de</strong>rnier souffle à son âme est ravie.<br />
Le Grec vainqueur, voyant Eryale approcher 7<br />
L'attaque <strong>et</strong> <strong>sur</strong> "son front <strong>la</strong>nce un vaste rocher ;<br />
Sous le casque pesant tout son crâne s'entr'ouvre f<br />
Et Pimp<strong>la</strong>cable Mort <strong>de</strong> ses- ombres le couvre.<br />
Bientôt Pyrïs 9 Epalte, Iphée 9 Amphotérus f<br />
Evippef Tlépolème, Erymasf Echius^<br />
Polymèle ? étendus <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> 7<br />
S'entassent <strong>et</strong> leur sang à flots épais l'inon<strong>de</strong>.<br />
Mais Sarpédon frémit d'un généreux courroux ?<br />
Lorsque <strong>de</strong>vant Patrocle il a vu sous ses coups<br />
Périr les. Lyciens aux légères tuniques :<br />
« Quelle terreur saisit vos âmes héroïques ?<br />
O honte ! où fuyez-vous ? Revenez aux combats.<br />
Moi je'cours affronter ce vainqueur dont le bras,<br />
Auteur pour les Troyens d'un immense ravage f<br />
De tant d'hommes fameux a brisé le courage, »<br />
Il dit <strong>et</strong> <strong>de</strong> son char s'é<strong>la</strong>nce tout arméf<br />
Patrocle marche aussi, <strong>de</strong> vengeance enf<strong>la</strong>mmé.
ai4 L'ILIADE.<br />
Gomme, en frappant les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> leurs c<strong>la</strong>meurs aigiies,<br />
Deux vautours, au somm<strong>et</strong> d'un roc voisin <strong>de</strong>s nues^<br />
Aiguisent <strong>et</strong> leur serre <strong>et</strong> leurs becs recourbés :<br />
L'un <strong>sur</strong> l'autre, à grands cris, ces héros sont tombés.<br />
Jupiter a<strong>la</strong>rmé s'adresse à son épouse :<br />
« Malheur à moi ! le Sort, en sa haine jalouse,<br />
S'apprête à renverser'sous ce Grec odieux<br />
Sarpédon, <strong>de</strong>s mortels le plus cher à mes yeux.<br />
Je ba<strong>la</strong>nce incertain dans mon âme attendrie,<br />
Si je dois jusqu'aux bords <strong>de</strong> sa riche patrie<br />
Le ramener vivant, ou bien dans les combats<br />
Laisser à son vainqueur l'honneur <strong>de</strong> son trépas, »<br />
Junon aux <strong>la</strong>rges yeux palpite <strong>de</strong> colère :<br />
« Dieu terrible ! quels mots ton audace profère !<br />
Et quoi donc ! ce mortel, esc<strong>la</strong>ve du Destin,<br />
Tu prétends l'affranchir <strong>de</strong> son trépas certain !<br />
Va ; si tu satisfais ce désir qui me blesse,<br />
Ne crois pas que les Dieux approuvent ta faiblesse.<br />
Dans le fond <strong>de</strong> ton cœur grave bien mes discours :<br />
Tu chéris Sarpédon ; si par un prompt secours<br />
Ton pouvoir le ramène, avant sa <strong>de</strong>rnière heure ,<br />
Dans le foyer natal <strong>de</strong> sa douce <strong>de</strong>meure,
CHANT SEIZIEME. »i5<br />
Songe que loin du choc <strong>de</strong>s combats désastreux<br />
Les autres Dieux voudront sauver leurs fils nombreux,<br />
Ces fils qui, signa<strong>la</strong>nt leur valeur immortelle, •<br />
Entourent <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> cita<strong>de</strong>lle.<br />
Mais? envers Sarpédon quel que soit ton amour,<br />
Perm<strong>et</strong>s, que le Destin lui ravisse le jour.<br />
Pour calmer tes douleurs, quand <strong>la</strong> Parque inhumaine<br />
D'une si chère vie aura brise <strong>la</strong> chaîne,<br />
La Mort j le doux Sommeil dans les champs lyciens<br />
Porteront sa dépouille à ses concitoyens j<br />
Et là, <strong>sur</strong> un tombeau, ses amis <strong>et</strong> ses frères<br />
Pourront lui décerner les honneurs funéraires. »<br />
Le père <strong>de</strong>s mortels <strong>sur</strong> le sol rougissant<br />
Fait pleuvoir en rosée un nuage <strong>de</strong> sangf<br />
Pour honorer son fils qui? loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie 7<br />
Doit bientôt <strong>de</strong> Patrocle assouvir <strong>la</strong> furie.<br />
Les hardis combattans se rapprochent tous <strong>de</strong>uxf<br />
Quand y du roi Sarpédon Fécuyer valeureux,<br />
Thrasymèle vaincu cè<strong>de</strong> à <strong>la</strong> javeline<br />
Dont <strong>la</strong> main <strong>de</strong> Patrocle a frappé sa poitrine.<br />
Sarpédon ? à son tour, <strong>la</strong>nce un trait acéré ;<br />
Mais le trait, loin du but dans les airs égarée
ai6 L'ILIADE.<br />
Vient traverser le dos <strong>de</strong> Pédase qui tombe<br />
Et, couché <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre , en gémissant succombe;<br />
Sa force le trahit. Les coursiers bondissaes<br />
A ce terrible aspect se cabrent frémissans ;<br />
Le timon a crié; les rênes qui s'en<strong>la</strong>cent<br />
Sous les pieds <strong>de</strong>s chevaux captives s'embarrassent<br />
Automédon , armé du g<strong>la</strong>ive étince<strong>la</strong>nt<br />
Qui toujours se ba<strong>la</strong>nce à son robuste f<strong>la</strong>nc,<br />
Brise les traits ; alors, re<strong>de</strong>venus dociles,<br />
Les coursiers sous le joug se p<strong>la</strong>cent immobiles.<br />
La lutte recommence, <strong>et</strong>Patrocle aussitôt<br />
Sur son dos a senti glisser un javelot,<br />
Quand Sarpédon, atteint d'une flèche plus sûre,<br />
Reçoit au fond du cœur une <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e.<br />
Tel <strong>sur</strong> une montagne au faîte sourcilleux,<br />
Le peuplier, le chêne, ou le pin orgueilleux,<br />
Promis à l'Océan, tombe, futur navire,.<br />
Sous les haches d'airain dont l'effort le déchire :<br />
Ainsi ce combattant, indigné <strong>de</strong> son sort,<br />
Roule <strong>de</strong>vant son char, victime <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort;<br />
H presse <strong>de</strong> sa main une fumante arène.<br />
Comme parmi <strong>de</strong>s bœufs égarés dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,
CHANT SEIZIÈME. 217<br />
Un taureau mugissant 7 au cœur fierf aux poils roux,<br />
Sous <strong>la</strong> <strong>de</strong>nt du lion meurt rempli <strong>de</strong> courroux :<br />
Tel le chef lyoien frémit ; sa voix appelle<br />
De ses anciens exploits le compagnon fidèle.<br />
« Cher <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt G<strong>la</strong>ucus! dit-il, voici l'instant<br />
De signaler pour moi ton courage éc<strong>la</strong>tant.<br />
Que <strong>de</strong>s sang<strong>la</strong>ns combats le seul désir t'enf<strong>la</strong>mme.<br />
Va, cours : si <strong>la</strong> valeur respire dans ton âme,<br />
Exhorte tous les chefs à venger Sarpédon<br />
Et ne me <strong>la</strong>isse pas périr dans l'abandon.<br />
Pour toi dans l'avenir quelle éternelle injure,<br />
Si les Grecs trïomphans ravissent mon armure !<br />
Demeure inébran<strong>la</strong>ble... excite mes soldats... »<br />
Il parle encor : ses yeux? voilés par le trépas ,<br />
Se ferment; son vainqueur} le pied <strong>sur</strong> sa poitrine,<br />
R<strong>et</strong>ire <strong>de</strong> son corps <strong>la</strong> lour<strong>de</strong> javeline ;<br />
D. arrache son âme avec le fer sang<strong>la</strong>nt,<br />
Et voit ses intestins s'échapper <strong>de</strong> son f<strong>la</strong>nc,<br />
Tandis que les soldats du fougueux atte<strong>la</strong>ge<br />
Ont arrêté <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> comprimé <strong>la</strong> rage.<br />
G<strong>la</strong>ucus ? en écoutant <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> son ami,<br />
Sans pouvoir le venger, <strong>de</strong> douleur a gémi ;
ai8 L'ILIADE.<br />
Son bras est tourmenté d f une vive souffrance :<br />
Car f tandis qu'il marchait 7 enivré d'espérance 7<br />
En secourant les Grecs f l'intrépi<strong>de</strong> Teucer<br />
Sur lui du haut <strong>de</strong>s murs a décoché son fer.<br />
G<strong>la</strong>nais adresse alors ces accens <strong>la</strong>mentables<br />
Au Dieu qui fait voler <strong>de</strong>s traits inévitables :<br />
« Phébus! exauce-moi! dans les remparts troyensj<br />
Ou dans les champs féconds <strong>de</strong>s riches Ljciensf<br />
Partout du malheureux ton cœur entend <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! d'un fer cruel <strong>la</strong> redoutable atteinte<br />
Me blesse, <strong>et</strong> rien encor ne peut tarir mon, sang ;<br />
Mon épaule fléchit, <strong>et</strong> mon bras <strong>la</strong>nguissant f<br />
Ni <strong>de</strong> près ni <strong>de</strong> loin, aux champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />
Ne saurait agiter ou f épée ou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce.<br />
Le fils <strong>de</strong> Jupiter 7 Sarpédon égorgé<br />
Tombe, puisque ce Dieu ne Fa point protégé.<br />
Toi j daigne ranimer ma vigueur renaissante :<br />
Apaise mes tourmens, divinité puissante !<br />
Et que mes compagnons, partageant mes efforts,<br />
Défen<strong>de</strong>nt ce héros, <strong>et</strong> protègent son corps. »<br />
Phébus entend ses vœux ; sa douleur s'est calmée ;<br />
Le sang ne noircit plus sa bles<strong>sur</strong>e fermée.
CHANT SEIZIÈME. 1119<br />
Le cœur rempli <strong>de</strong> force, il s'avance-à grands pas,<br />
Et reconnaît qu'un Dieu le ramène aux combats.<br />
Il palpite d'orgueil ; <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir il tressaille ;<br />
Ar<strong>de</strong>nt à parcourir tout le champ <strong>de</strong> bataille,<br />
Il comman<strong>de</strong> ; à sa voix , les pas <strong>de</strong>s Lyciens '<br />
Autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime ont volé <strong>sur</strong> les siens.<br />
Dans les rangs <strong>de</strong>s Troyens sa valeur transportée<br />
Trouve Polydamas, noble fils <strong>de</strong> Panthée,<br />
Le superbe Agénor, formé du sang <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Énée, enfin Hector au casque radieux :<br />
« As-tu donc oublié tes alliés fidèles ?<br />
Brave Hector ! S'exi<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s rives maternelles,<br />
Tous, loin <strong>de</strong> leurs amis, pour toi viennent mourir,<br />
Et ton courage oisif tar<strong>de</strong> à les secourir!<br />
Ce chef, dont <strong>la</strong> Lycie avec orgueil révère<br />
L'héroïque valeur <strong>et</strong> l'équité sévère,<br />
Mars, le terrible Mars l'immole à son courroux ;<br />
Il tombe sous Patrocle... Amis! accourez tous ;<br />
Trembles ! ces Myrmidons, maîtres <strong>de</strong> son armure,<br />
Imprimant à son corps une éternelle injure,<br />
Pourraient venger les Grecs, qui <strong>de</strong>vant leurs vaisseaux<br />
En foule ont expiré sous nos fougueux assauts. »
220 L'ILIADE.<br />
Les Troyens , accables d'un <strong>de</strong>uil inconso<strong>la</strong>ble,<br />
Pleurent tous ce héros , naguère inébran<strong>la</strong>ble ,<br />
C<strong>et</strong> étranger 'qui Tint, par <strong>la</strong> gloire excité,<br />
Avec tous ses soldats défendre leur cité.<br />
-Dirigés par Hector, que <strong>la</strong> vengeance enf<strong>la</strong>mme,<br />
Sur les Grecs poursuivis les enfans <strong>de</strong> Pergame<br />
S'é<strong>la</strong>ncent. Animé d'une noble chaleur,<br />
Patrocle <strong>de</strong>s Ajax redouble <strong>la</strong> valeur :<br />
« Ajax! braves amis! qu'en ce péril extrême,<br />
Votre vail<strong>la</strong>nce encor se <strong>sur</strong>passe elle-même.<br />
H' n'est plus, ce héros qui franchit le premier<br />
L'orgueilleuse hauteur <strong>de</strong> ce rempart guerrier,<br />
Sarpédon !... Puissions-nous, pour <strong>de</strong>rnière victoire,<br />
Lui ravir son armure, outrager sa mémoire,<br />
Et d'un airain cruel frapper l'audacieux<br />
Qui nous disputerait ce butin précieux ! »<br />
A ces mots, <strong>de</strong> courroux les <strong>de</strong>ux Ajax palpitent,<br />
Et <strong>de</strong>s peuples rivaux les rangs se précipitent.<br />
Ici, les Myrmidons avec les Argiens,<br />
Là, les guerriers <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> les fiers Lyciens '<br />
Autour du corps sang<strong>la</strong>nt se pressent ; leurs armures<br />
Répon<strong>de</strong>nt à leurs cris par <strong>de</strong> rauques murmures,
CHANT SEIZIÈME. aai<br />
Quand soudain Jupiter <strong>sur</strong> ce champ <strong>de</strong> terreur<br />
D'une profon<strong>de</strong> nuit répand <strong>la</strong> sombre horreur,<br />
Et rendant plus affreux le choc <strong>de</strong> ces batailles ?<br />
De son fils bien-aïmé venge les funérailles.<br />
D'abord tous les Troyens ? affrontant les hasards,<br />
Sur les Grecs aux yeux noirs fon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> toutes parts.<br />
Une illustre victime est bientôt égorgée ;<br />
Fils du noble Agaelès~7 le divin Épigée 7<br />
Dans Budie autrefois roi d'un peuple nombreux,<br />
Tua dans un parent un mortel généreux;<br />
Thétis aux pieds d'argent <strong>et</strong> l'auguste Pelée<br />
Accueillirent près d'eux sa misère exilée,<br />
Et <strong>de</strong>puis il vo<strong>la</strong> vers Troie aux beaux coursiers<br />
Porter avec leur fils les combats meurtriers.<br />
Il saisissait déjà <strong>la</strong> dépouille ennemie ,<br />
Lorsque le grand 'Hector d'une main affermie<br />
Lui j<strong>et</strong>te dans le front un roc inattendu ?<br />
Qui sous le casque épais tout'entier Fa fendu.<br />
A peine <strong>sur</strong> le corps 7 que ses bras abandonnent f<br />
H tombe, du trépas les ombres l'environnent.<br />
De <strong>la</strong> mort d'un ami Patrocle furieux<br />
S'é<strong>la</strong>nce aux premiers rangs. Comme du haut <strong>de</strong>s cieux
aaâ<br />
L'ILIADE.<br />
Le farouche épervier presse d'un vol rapi<strong>de</strong><br />
Ou le geai fugitif ou Fétourneau timi<strong>de</strong> :<br />
Brave Patrocle! ainsiy dans ton noble courroux,<br />
Tu poursuis les Trojens , qui se dispersent tous.<br />
Un roc f <strong>la</strong>nce par toi, d'une atteinte soudaine<br />
Frappe Sthéné<strong>la</strong>ûs f fils chéri dlthémène j<br />
Le nerf du cou se brise ; il meurt, <strong>et</strong> les fuyards<br />
Précipitent au loin leurs bataillons épars.<br />
Hector lui-même, Hector sent fléchir son audace.<br />
Autant un javelot peut me<strong>sur</strong>er d'espace ?<br />
Lorsqu'il vole? j<strong>et</strong>é par un bras courageux f<br />
Dans les bruyans combats ou les paisibles jeux :<br />
Autant ses compagnons s'éloignent dans leur fuite.<br />
G<strong>la</strong>ucus j contre les Grecs ar<strong>de</strong>ns à sa poursuite 7<br />
Le premier se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> frappe sans dé<strong>la</strong>is<br />
Un enfant <strong>de</strong> Ghalcon f le vail<strong>la</strong>nt Bathyclés,<br />
Qui, passant dans Hel<strong>la</strong>s les jours <strong>de</strong> sa jeunesse f<br />
Entre les Myrmidons bri<strong>la</strong> par sa richesse.<br />
H poursuivait G<strong>la</strong>ucus 7 quand par un prompt r<strong>et</strong>our<br />
G<strong>la</strong>ucus le blesse au cœur <strong>et</strong> lui ravit le jour ;<br />
H roule avec fracas; pour <strong>la</strong> Grèce <strong>et</strong> pour Troie<br />
Sa mort est un signal <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie.
CHANT SEIZIÈME. âa3<br />
Les Grecs, <strong>de</strong> leur valeur se souvenant eneor,<br />
S f avancent, <strong>et</strong> le fils du pieux Onétor,<br />
Qui <strong>sur</strong> le mont Ida, comme un Dieu qu'on vénère,<br />
Servait <strong>de</strong> prêtre auguste au maître du tonnerre,<br />
Laogon, vers Foreille, à <strong>la</strong> joue est blessé<br />
Par un trait que <strong>sur</strong> lui Mérion a <strong>la</strong>ncé;<br />
De ses membres nerveux il a perdu l'usage,<br />
Et tombe enseveli dans un sombre nuage.<br />
Pour frapper Mérion , c<strong>et</strong> agile guerrier,<br />
Qui s'avançait couvert du <strong>la</strong>rge bouclier,<br />
Enée est accouru; Mérion qui s'incline,<br />
Evite adroitement sa longue javeline,<br />
Dont le bois dans <strong>la</strong> terre en tremb<strong>la</strong>nt r<strong>et</strong>entit,<br />
Et, par Mars arrêté, soudain se ralentit.<br />
Indigné d'avoir vu c<strong>et</strong>te flèche impuissante<br />
S'échapper vainement <strong>de</strong> sa main frémissante,<br />
D'un plus ar<strong>de</strong>nt courroux le Troyen excité<br />
S'écrie : « Homme orgueilleux <strong>de</strong> ton agilité,<br />
Si mon fer t'eût frappé, quoique danseur habile,<br />
Ta vigueur à jamais <strong>la</strong>nguirait immobile. »<br />
Par sa <strong>la</strong>nce fameux, le brave Mérion<br />
Réplique : « O le plus fier <strong>de</strong>s héros dUion !
aa4 L'ILIADE.<br />
C'est en vain que ta force espérerait abattre<br />
Chaque ennemi nouveau qui viendra te combattre.<br />
Va, tu n'es qu'un mortel ; dans ma terrible main<br />
Si mon fer jusqu'à toi se frayait un chemin,<br />
Bientôt tu cé<strong>de</strong>rais, malgré ton insolence ,<br />
Ton âme au Dieu <strong>de</strong>s morts, <strong>la</strong> victoire à ma <strong>la</strong>nce. »<br />
Patrocle à son dépit <strong>la</strong>issant un libre cours :<br />
« O Mérion! pourquoi ces frivoles discours?<br />
Pourchasser les Troyens, pour dompter leurs courages.<br />
Il nous faut <strong>de</strong>s exploits <strong>et</strong> non pas <strong>de</strong>s outrages.<br />
On discute au conseilf on agit au combat;<br />
Ne sois plus orateur, <strong>et</strong> re<strong>de</strong>viens -soldat.' »<br />
Mérion , tel qu'un Dieu, s'avance <strong>sur</strong> sa trace.<br />
Un vaste bruit s'étend dans un. lointain espace,<br />
Lorsque les bûcherons sous leurs coups redoublés<br />
Font gémir les échos <strong>de</strong>s vallons ébranlés :<br />
Tel dans ses f<strong>la</strong>ncs profonds le sol s'agite <strong>et</strong> tremble)<br />
Tandis qu'en se heurtant ' r<strong>et</strong>entissent ensemble<br />
Les grands casques d'airain, les riches boucliers,<br />
La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans, les" g<strong>la</strong>ives meurtriers.<br />
Pour un ami lui-même obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />
Des pieds jusqu'à <strong>la</strong> tête englouti dans le sable,
CHANT SEIZIEME. ' *»5<br />
Le divin Sarpédon traîné <strong>de</strong> toutes parts,<br />
Reste couvert <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong> poussière <strong>et</strong> <strong>de</strong> dards. •<br />
Les guerriers , dont les rangs à Fenvi se remp<strong>la</strong>cent,<br />
Autour <strong>de</strong> son cadavre en frémissaiit s'amassent,<br />
Comme , aux jours du printemps, <strong>de</strong>s bataillons ailés ,<br />
Sous le toit d'un-pasteur en foule amoncelés,<br />
Bourdonnent, quand, versé par une main agile,<br />
Le <strong>la</strong>it coule à flots purs dans les vases d'argile.<br />
Cependant Jupiter <strong>sur</strong> ces combats sang<strong>la</strong>ns<br />
Ne cesse d'attacher ses yeux étince<strong>la</strong>ns.<br />
Entre un double proj<strong>et</strong> son âme se partage :<br />
Sur ce cadavre même, au milieu du carnage ,<br />
Lïvrera-t-il Patrocle à <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Hector,<br />
Ou <strong>de</strong> nombreux guerriers-périront-ils encor?<br />
Pour ce <strong>de</strong>rnier parti Jupiter se déci<strong>de</strong>,<br />
Et le fier compagnon du terrible Eaci<strong>de</strong>,<br />
Vers les murs d'Ilion précipitant ses pas,<br />
Sur les Troyens vaincus <strong>la</strong>ncera' le trépas.<br />
Il ordonne j <strong>et</strong> déjà d'une soudaine crainte<br />
L'âme du grand Hector a ressenti l'atteinte.<br />
Son char l'entraîne ; alors, sans gui<strong>de</strong>, sans appui,<br />
Les bataillons troyens s'éloignent comme lui ;<br />
2. i5
a26 L'ILIADE.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! il reconnaît vers quel peuple s'incline<br />
Du puissant Jupiter <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce divine,<br />
Loin <strong>de</strong> leur roi, couché dans <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s morts<br />
Que le fils <strong>de</strong> Saturne envoie aux sombres bords f<br />
Les Lytiens ? fuyant les sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes ?<br />
Cè<strong>de</strong>nt ; à <strong>la</strong> victime on enlève ses armes,<br />
. Et Patroclef à Finstant f jusqu'aux profonds-vaisseaux<br />
. De ces armea d'airain fait porter les monceaux.<br />
Jupiter j Dieu tonnant qui déchaîne Forage,<br />
Au bri<strong>la</strong>nt Apollon adresse- ce <strong>la</strong>ngage :<br />
« Va , <strong>de</strong>scends <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre! ô mon char Apollon !'<br />
Et du milieu <strong>de</strong>s traits, arrache Sarpéâon.<br />
Enlève le sang noirf dont <strong>la</strong> rive s f abreuve j<br />
Loin du champ <strong>de</strong>s combats, dans le courant d» fleuve<br />
Purifie à l'écart ses membres dégouttai,<br />
Et j<strong>et</strong>te <strong>sur</strong> son corps <strong>de</strong>s voiles ée<strong>la</strong>tans.<br />
Que tes main» à longs flots lui versent Fambroïsie. •<br />
Jusqu'aux fertiles bords <strong>de</strong> fat vaste Ljcie<br />
La Mort <strong>et</strong> le Sommeil, ces fidèles jumeaux,<br />
Porteront ses débris n<strong>et</strong>toyés par les. eaux^<br />
Et là f <strong>sur</strong> un tombeau f ses amis <strong>et</strong> ses, frères<br />
Pourront lui déeenter le& hoaneurs fiuéraircft. » "
CHANT SEIZIÈME. »a7<br />
Aux ordres paternel* Phébus obéissant ,<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> FIda vers Sarpédon <strong>de</strong>scend,<br />
Enlève le sang noir dont <strong>la</strong> rive s'abreuve,<br />
Loin du champ <strong>de</strong>s combats} dans le courant du fleuve<br />
Purifie à l'écart ses membres dégouttans.<br />
Et j<strong>et</strong>te <strong>sur</strong> son corps <strong>de</strong>s voiles ée<strong>la</strong>tans.<br />
Quand ses mains à longs flots lui versent l'ambroisie,<br />
Jusqu'aux fertiles bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste Lycie ,<br />
La Mort <strong>et</strong> le Sommeil, ces fidèles jumeaux}<br />
Déposent ses débris n<strong>et</strong>toyés par les eaux.<br />
Patroele r s'é<strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s fuyards timi<strong>de</strong>s,<br />
Anime Automédon <strong>et</strong> ses coursiers rapi<strong>de</strong>s ;<br />
Téméraire guerrier! il ne se doute pas<br />
Qu'il appelé <strong>sur</strong> lui le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le trépas.<br />
La Mort, s'il eût d!Achil@ écouté <strong>la</strong> sagesse,<br />
Ne l'aurait point frappé <strong>de</strong> sa main vengeresse;<br />
Mais j toujours dominant les esprits <strong>de</strong>s mortels,<br />
Jupiter accomplit ses <strong>de</strong>sseins éternels;<br />
Dispensateur suprême <strong>et</strong> d'opprobre <strong>et</strong> <strong>de</strong> gloire,<br />
Jupiter seul refuse ou donne <strong>la</strong> victoire.<br />
O Patroele ! c'est lui qui, décidant ta mort 1<br />
Excita dans ton âme un aveugle transport,<br />
i5.
aa8 L'ILtADË.<br />
Quelle victime alors sous ta fureur guerrière<br />
La première mourut ou tomba <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière ?<br />
Echéclus , Epistor y Àdraste ? Autonoûs ,<br />
Périme, Mé<strong>la</strong>nippe, E<strong>la</strong>se 7 Mulius,<br />
Immoles par ton bras? <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> tombe<br />
Et Py<strong>la</strong>rtej'après euxf Py<strong>la</strong>rte enfin succombe.<br />
Les autres combattans 7 par <strong>la</strong> fuite sauvés f<br />
S f -éehappent ; dans Pergaiïiê aux remparts élevés<br />
Les Grecs entraient vainqueurs, <strong>et</strong> guidant leur vai<strong>la</strong>nce 1<br />
Patrocle brandissait sa formidable <strong>la</strong>nce,<br />
Quand, s'artnant contre lui 7 <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s tours ,<br />
Apollon' aux Trojens accor<strong>de</strong> un prompt secours}<br />
Trois fois vers les remparts le héros intrépi<strong>de</strong><br />
S'est é<strong>la</strong>ncé; trois'fois par un effort rapi<strong>de</strong><br />
Apollon le repousse ? <strong>et</strong> <strong>de</strong> son bras divin<br />
Frappe le bouclier qu'il fait briller en vain.<br />
Mais 7 comme un Dieu terrible 7 il reprend sa furie ;<br />
Il vole 7 quand Phébus en menaçant s'écrie :<br />
« 0 généreux Patrocle ! éloigne-toi ! ton bras<br />
Des remparts. dHion ne triompherait pas.<br />
Un plus brave héros ? Achille même 7 Achille<br />
Ne doit pas ravager c<strong>et</strong>te superbe ville. »
CHANT SEIZIÈME. 229<br />
Ainsi tonne le Dieu qui porte an loin, ses coups,<br />
Et Patro<strong>de</strong> en fuyant évite son courroux..<br />
Mais Hector , parvenu jusqu'aux portes <strong>de</strong> Scée7<br />
S*arréte j. <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s roulent dans sa pensée :<br />
Doit-il se confier à <strong>de</strong> nouveaux hasards 9<br />
Ou rappeler <strong>la</strong> foule au sein <strong>de</strong> ses" remparts?<br />
Tandis, que flotte encor son âme irrésolue y<br />
Tout à coup Apollon se présente à sa vue^<br />
Un <strong>de</strong>s frères dHéeube , un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Dymas?.<br />
Un jeune homme 7 Asius, vail<strong>la</strong>nt dans les combats,.<br />
Loin <strong>de</strong>s bords du Sangare, a quitté <strong>la</strong> Phrygie^<br />
Et du sang grec long-temps sa <strong>la</strong>nce s'est rougie.-<br />
Apollon | empruntant sa figure <strong>et</strong> sa voix :<br />
« Hector ! pourquoi cesser le cours <strong>de</strong> tes exploits ?<br />
Si mon bras <strong>sur</strong> le tien remportait en courage,<br />
Bientôt pour ton malheur tu fuirais le carnage.<br />
Maïs viens , <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Patrocle 7 en rival généreux,<br />
Pousse tes <strong>de</strong>ux coursiers aux ongles vigoureux*.<br />
Sa mort sera peut-être un fruit <strong>de</strong> ta victoire ?<br />
Et peut-être Apollon te gar<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gloire. »,<br />
Dans l'épaisse mêlée, au milieu du danger ^<br />
Apollon, à. ces, mots ? r<strong>et</strong>ourne, se plongerv
23o L'ILIADE.<br />
Hector a commandé : Cébrion dans <strong>la</strong> foule<br />
Précipite son char qui s f éloigne <strong>et</strong> qui roule.<br />
Le Dieu , favorisant Hector <strong>et</strong> les Troyens ,<br />
Sème un désordre affreux dans les rangs argiens.<br />
Hector a respiré <strong>la</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>la</strong> guerre ;<br />
Son courroux f dédaigneux d'un ennemi vulgaire,<br />
Ne cherche que Patrocle, -<strong>et</strong> Patrocle , à Fïnstant,<br />
Descendu <strong>de</strong> son char, le menace <strong>et</strong> l'attend.<br />
Dans Fune <strong>de</strong> ses mains, il agite une <strong>la</strong>nce ;<br />
Un b<strong>la</strong>nc rocher que l'autre avec force ba<strong>la</strong>nce ,<br />
Vient effleurer Hector, <strong>et</strong> trancher le <strong>de</strong>stin<br />
De Cébrion, enfant d'un amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin ;<br />
Il guidait les coursiers , quand sa tête fendue<br />
Reçoit du roc pesant <strong>la</strong> masse inattendue;<br />
A peine <strong>de</strong>s sourcils le sang a découlé,<br />
L'os éc<strong>la</strong>te , <strong>et</strong> ses yeux dans <strong>la</strong> poudre ont roulé.<br />
Tombé, comme un plongeur, loin du char magnifique,<br />
Il meurt; <strong>la</strong> vie échappe à son cœur héroïque.<br />
Tu Foutrages, Patrocle ! avec tranquillité :<br />
« Quelle adresse , grands Dieux ! <strong>et</strong> quelle agilité !<br />
Oh ! comme <strong>de</strong> son char il roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre !<br />
'Si ce guerrier, du haut d'une barque légère,
CHANT SEIZIÈME. »3i<br />
De <strong>la</strong> sombre tempête affrontant <strong>la</strong> fureur f<br />
Dans les flots poissonneux se j<strong>et</strong>tait sans terreur,<br />
Ses mains ramasseraient assez <strong>de</strong> coquil<strong>la</strong>ges<br />
Pour en nourrir long-temps les peuples <strong>de</strong> ces p<strong>la</strong>ges.<br />
Qu'il est prompt à sauter ! Les Troyens pour vengeurs,<br />
A défaut <strong>de</strong> soldats, ont d'habiles plongeurs. »<br />
Le vainqueur, à ces mots 9 s'é<strong>la</strong>nce avec furie :<br />
Tel un fougueux lion dans une bergerie<br />
Exerce un long ravage, <strong>et</strong> blessé près du f<strong>la</strong>nc 1<br />
A son propre courroux doit un trépas sang<strong>la</strong>nt.<br />
Loin <strong>de</strong> son char -superbe Hector se précipite.<br />
Gomme 9 au faite d'un mont, quand <strong>la</strong> faim les excite,<br />
Deux lions, <strong>de</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>de</strong> meurtre altérés 7<br />
Se disputent d'un cerf les <strong>la</strong>mbeaux déchirés :<br />
Tels ces chefs belliqueux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce <strong>et</strong> <strong>de</strong> Troie,<br />
Brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> s'égorger pour conquérir leur proie f<br />
Penchés <strong>sur</strong> Gébrion, <strong>de</strong> ses membres meurtris<br />
Par les pieds ou <strong>la</strong> tête entraînent les débris,<br />
Tandis que 9 partageant les transports <strong>de</strong> leur rage,<br />
Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens s'échauffent au carnage. '<br />
Quand le fougueux Notus, FEurus impétueux f<br />
L'un à l'autre opposant leur vol tumultueux,
%%% L'ILIADE.<br />
S'engoulfrent à grand bruit dans le creux <strong>de</strong>s vallées,<br />
Du hêtre <strong>et</strong> du sapin les cimes ébranlées<br />
Se heurtent ? <strong>et</strong> le choc <strong>de</strong> leurs rameaux épais<br />
Des bois r<strong>et</strong>entissans trouble <strong>la</strong> longue paix:<br />
De chaque peuple ainsi les pha<strong>la</strong>nges pressées<br />
Sous leurs coups mutuels expirent entassées ;<br />
Aucun ne songe à fuir. On voit <strong>de</strong> toutes parts<br />
Auprès <strong>de</strong> Gébrion s'amonceler les dards,<br />
Les javelots ailés <strong>et</strong> les flèches nombreuses<br />
Qu'ont fait voler les arcs sous <strong>de</strong>s mains vigoureuses;<br />
Les roches dont <strong>la</strong> masse accable ces guerriers,<br />
Autour du corps sang<strong>la</strong>nt brisent leurs boucliers ,<br />
Et Gébrion, privé <strong>de</strong> talens <strong>et</strong> d'audace,<br />
Immense, est étendu dans un immense espace.<br />
Tant que <strong>sur</strong> l'horizon l'astre éc<strong>la</strong>tant du jour<br />
N'a point encor rempli <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> son tour,<br />
Les flèches dans les airs sifflent, volent <strong>et</strong> tombent, •<br />
Etsousleurscoups nombreuxles <strong>de</strong>ux peuples succombent;<br />
Mais lorsque le soleil, vers l'Océan penché,<br />
Voit <strong>de</strong> son joug pesant le taureau détaché^<br />
Les Argiens au choc <strong>de</strong>s pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie<br />
Arrachent Gébrion <strong>et</strong> dépouillent leur proie.
CHANT SEIZIÈME. â33<br />
Semb<strong>la</strong>ble à Mars, Patrocle avec <strong>de</strong>s cris affreux<br />
Accable les Troyens en se j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> eux ;<br />
Trois fois <strong>de</strong> neuf guerriers il renverse l'audace.<br />
Il s'é<strong>la</strong>nçait encore... Inutile menace !<br />
Sa <strong>de</strong>rnière heure approche. Apollon à.grands pas,<br />
Terrible, est accouru dans les sang<strong>la</strong>ns combats ;<br />
Entouré d'un nuage , il s'arrête invisible ,<br />
Et lui frappe le dos <strong>de</strong> son bras invincible. _<br />
Un vertige confus <strong>sur</strong> ses yeux se répand ;<br />
Délié par Phébus, le casque , en s f échappant,<br />
Jusqu'aux pieds <strong>de</strong>s chevaux dans l'impure poussière<br />
Roule ; tant que les flots <strong>de</strong> Pépaisse crinière<br />
Du divin Eaci<strong>de</strong> ombragèrent le front ?<br />
D'une chute jamais il ne subit l'affront ;<br />
Aujourd'hui, Jupiter perm<strong>et</strong> que <strong>sur</strong>' sa tête<br />
Hector 1 , près <strong>de</strong> mourir,'en .p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> conquête.<br />
Patrocle a vu pourtant se -briser dans sa main<br />
lia longue <strong>et</strong> forte <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> pointe d'airain ;<br />
Du vaste bouclier <strong>la</strong>issant tomber <strong>la</strong> masse ,<br />
Son dos fléchit ; Phébus enlève sa cuirasse.<br />
Tandis que le héros dont l'esprit s'est troublé ,<br />
Egaré .par l'effroi," <strong>de</strong>" fatigue accablé 9
a34 L'ILIADE.<br />
S'eorréte... Eupfeorbe accourt -; <strong>de</strong>s kimmes <strong>de</strong> son âge<br />
Ce fils <strong>de</strong> Panfhois <strong>sur</strong>passait le courte T<br />
S'il fal<strong>la</strong>it décocher un javelot guerrier f<br />
Ou voler <strong>sur</strong> l'aràne, ou gui<strong>de</strong>r un coursier..<br />
Lorsque 7 taisant Jadis Fessai <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire 7<br />
Pour <strong>la</strong> première foai il marchait à <strong>la</strong> gloire,<br />
Vingt soldats valeureux f renverses <strong>de</strong> leurs chars f<br />
Tombèrent sous ses traits dans les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars.<br />
Euphorbe le premier te porte un coup rapi<strong>de</strong>,<br />
Patrocle ! Sans dompter ton audace intrépi<strong>de</strong> 7<br />
11 r<strong>et</strong>ire sa <strong>la</strong>nce f <strong>et</strong> pâle <strong>de</strong> terreur,<br />
Cache au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule une vaine foreur.<br />
Patrocle <strong>de</strong>sarmé reste encor formidable.<br />
Toutefois ce héros que le <strong>de</strong>stin accable 1<br />
Par ApoHon vaincu 1 par Euphorbe frappé 1<br />
Parmi ses compagnons 7 au trépas échappé1<br />
Fuit : mais Hector le voit ; Hector <strong>sur</strong> lui s'é<strong>la</strong>nce ;<br />
Jusques ait fond du cœur 'il lui plonge sa <strong>la</strong>nce ?<br />
Et dans le sable impur rou<strong>la</strong>nt avec fracas,<br />
Patrocle a consterné tous ses vail<strong>la</strong>ns soldats.<br />
Gomme, au faîte <strong>de</strong>s monte, aux borcbd'nne fontaine,.<br />
JLe théâtre <strong>et</strong> l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur lutte incertaine,
' CHANT SEIZIÈME, a35<br />
Un lion vigoureux , <strong>de</strong> carnage fumut ,<br />
Terrasse un sauver -qui rugit Remuant :<br />
Hector frappe un rival , qur<strong>sur</strong> les rives sombres<br />
D'innombrables Troyens précipita les ombres..<br />
D'une voix orgueiMeuse insultant le héros,<br />
L'ar<strong>de</strong>nt fils <strong>de</strong> Priait <strong>la</strong>isse -échapper ces mot».:<br />
« 0 Patrocle ! 'en -espoir ravageant ma patrie r<br />
Tu pensais nous ôter <strong>la</strong> liberté -chérie ,<br />
Et tu voyais déjà tes vaisseaux ravisseurs<br />
Vers <strong>la</strong> Grèce entraîner nos femmes <strong>et</strong> nos sœurs!'. ...<br />
Insensé ! vois d'Hector le rapi<strong>de</strong> atte<strong>la</strong>ge<br />
Voler, impatient <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> 'Carnage ;<br />
Chef <strong>de</strong>s héros troyens, je leur dois moa secours--,.<br />
Et toi j tu serviras <strong>de</strong> pâture aux vautours.<br />
Malheureux ! l f amitié du courageux Achille<br />
N'offrit à ta valeur qu'un soutien inutile.<br />
Va combattre, a-t-il dit ; <strong>sur</strong>tout ne reviens pas,.<br />
Que l'homici<strong>de</strong> Hector n'ait reçu le trépas ;<br />
Déchire <strong>sur</strong> son cœur sa sang<strong>la</strong>nte tunique.<br />
Ces mots ont égaré ton audace héroïque. »<br />
Patrocle ! tu réponds 7 à peine respirant :<br />
« Eh bien ! trioùphe ! Hector ! tu me vois expirant.
a36 L'ILIADE. '<br />
Apollon, Jupiter, auteurs <strong>de</strong> ta victoire ?<br />
M'arrachent mon armure <strong>et</strong> te donnent <strong>la</strong> gloire.<br />
Vingt guerriers comme toi, s'exposant à mes coups f<br />
Par ma <strong>la</strong>nce domptés, auraient succombé tous...<br />
Fatal à ma valeur, le sort qui m'abandonne ,<br />
M'accable sous Euphorbe <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Latone-;<br />
Hector est seulement mon troisième vainqueur.<br />
Pourtant 7 grave ces mots dans le fond <strong>de</strong> ton cœur :<br />
Tu ne fourniras plus une longue carrière.<br />
L'inflexible Destin 7 <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />
S'avancent... Eaci<strong>de</strong>... » Il parle, <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ses yeux<br />
La sombre mort étend ses voiles odieux ;<br />
Son âme , en déplorant c<strong>et</strong>te mort vengeresse<br />
Qui brise sa vigueur <strong>et</strong> frappe sa jeunesse,<br />
Jusqu'au fond <strong>de</strong>s enfers se précipite. Hector<br />
Parle au Grec expiré pour l'insulter encor :<br />
« Pourquoi me présager un trépas <strong>la</strong>mentable ?•<br />
De <strong>la</strong> belle Thétis ce fils si redoutable, -<br />
C<strong>et</strong> Achille, avant moi 7 vaincu par mes efforts,<br />
Peut-être <strong>de</strong>scendra dans l'empire <strong>de</strong>s morts. »<br />
Hector, fou<strong>la</strong>nt aux pieds <strong>la</strong> victime sang<strong>la</strong>nte,<br />
R<strong>et</strong>ire <strong>de</strong> son fer <strong>la</strong> pointe étince<strong>la</strong>nte^
CHANT SEIZIEME. ^3y<br />
Repousse le cadavre, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce arméf<br />
Poursuit Automédon qui s f enfuit a<strong>la</strong>rmé ;<br />
Ce divin écuyer du fougueux Eaei<strong>de</strong> -<br />
Evite sa fureur 7 grâce à Fessor rapi<strong>de</strong><br />
Des immortels coursiers dont <strong>la</strong> bonté <strong>de</strong>s Dieux<br />
A fait au roi Pelée un présent glorieux.<br />
FIN DU SEIZIEME CHANT.
CHANT DIX-SEFUÈME.
SOMMAIRE DU CHANT DIX-SEPTIEME.<br />
Combat autour du corps <strong>de</strong> Pttrocle.— Euphorbe est tué par Méné<strong>la</strong>s. -<br />
Hector revêt les armes d 9 ÂcMlle. — Méné<strong>la</strong>s envoie Antilocpiê vers<br />
Achille pour lui annoncer <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>'son'ami. — Méné<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Mérion<br />
emportent le cadavre <strong>de</strong> Patrocle.
LILIADE.<br />
CHANT DIX-SEPTIÈME.<br />
La chute <strong>de</strong> Patroclè <strong>et</strong> son cruel trépas<br />
Réchappent point aux jeux du vail<strong>la</strong>nt Méné<strong>la</strong>s;<br />
Eblouissant d'airain, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> lice<br />
Il vole. Gomme on voit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>intive génisse<br />
Inquiète f entourer d'un vigi<strong>la</strong>nt secours<br />
Le premier rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> ses jeunes amours :<br />
Tel le blond Méné<strong>la</strong>s impatient s'é<strong>la</strong>nce j<br />
Armé du bouclier, du g<strong>la</strong>ive, <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ,<br />
H présente <strong>la</strong> mort aux Trojens éperdus.<br />
Mais Euphorbe, ce fils du noble Panthous,<br />
Loin d'oublier Patroclè étendu <strong>sur</strong> l'arène,<br />
Accourt vers Méné<strong>la</strong>s, <strong>et</strong> d'une voix hautaine :<br />
â. 16
*4* L'ILIADE.<br />
a Chef <strong>de</strong>s peuples , Atri<strong>de</strong> ! enfant <strong>de</strong> Jupiter,<br />
Cè<strong>de</strong>-moi ce cadavre ou redoute mon fer.<br />
Devant tous les Troyens, ma <strong>la</strong>nce meurtrière<br />
Aux f<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> ce héros s'enfonça <strong>la</strong> première ;<br />
Son armure est mon bien ; jusque dans mon foyer<br />
Laisse-moi remporter mon honneur tout entier,<br />
De peur qu*en te frappant, ma trop juste furie<br />
Ne t'arrache du jour <strong>la</strong> lumière chérie. »<br />
« Jupiter ! tant d'orgueil n'a rien <strong>de</strong> généreux ,<br />
Répond en frémissant le Grec aux blonds cheveux.<br />
Le farouche lion, <strong>la</strong> sauvage panthère,<br />
Le sanglier au cœur bouillonnant <strong>de</strong> colère,<br />
Des fils <strong>de</strong> Panthoîîs, dans leur courroux ar<strong>de</strong>nt,<br />
N'égalent point l'audace <strong>et</strong> l'orgueil impu<strong>de</strong>nt.<br />
Pourtant Hypérénor qui, fier <strong>de</strong> son jeune âge ,<br />
Provoqua ma fureur, insulta mon courage,<br />
Ne consolera plus par son heureux r<strong>et</strong>our<br />
L'épouse elles parens, obj<strong>et</strong>s d'un tendre amour;<br />
C'est moi qui l'ai frappé, moi qu'il nommait sans cesse<br />
Le moins brave héros <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> .<strong>la</strong> 'Grèce. !<br />
Ma force, dé tes jours brisera les liens,<br />
Si tu marches <strong>sur</strong> moi... Mais fuis parmi les tiens;
CHANT DIX-SEPTIEME. ^<br />
Frémis <strong>de</strong> hasar<strong>de</strong>r une attaque importune.<br />
L'insensé seulement s'instruit par l'infortune. »<br />
Euphorbe le méprise : « Orgueilleux Méné<strong>la</strong>s I<br />
Tremble I tu Tas d'un frère expier le trépas.<br />
Dans <strong>la</strong> chambre d'hymen sa veuve solitaire<br />
Gémira ; nos parens pleureront leur misère ;<br />
Maïs le vieux Panthoùs , <strong>la</strong> divine Phrontis<br />
Verraient bientôt ces pleurs séchés ou ralentis ?<br />
Si je venais y chargé d'une illustre conquête 7<br />
Déposer <strong>de</strong>vant eux tes armes <strong>et</strong> ta tété.<br />
Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards ! marchons <strong>et</strong> luttant sans terreur f<br />
Disputons à <strong>la</strong> fois d'audace <strong>et</strong> <strong>de</strong> fureur. »<br />
A ces mots, <strong>de</strong> son trait <strong>la</strong> pointe courroucée<br />
• Sur le rond bouclier se recourbe émoussée.<br />
Méné<strong>la</strong>s, invoquant le père <strong>de</strong>s humains,.<br />
Terrible f armé du fer que ba<strong>la</strong>ncent ses mains f<br />
Poursuit le noble Euphorbe f <strong>et</strong> sa force guerrière<br />
Lui plonge dans le cou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce tout entière.<br />
Ses armes en rou<strong>la</strong>nt ren<strong>de</strong>nt un bruit affreux :<br />
Il tombe ; un sang impur souille ses beaux cheveux^<br />
Dont les boucles, jadis par les Grâces tressées ?<br />
Dans un réseau d'argent se rassemblent pressées.<br />
16.
^44 . L'ILIADE.<br />
Gomme, aux bords d'une source, un superbe olivier,<br />
Solitaire , grandit dans un champ nourricier,<br />
Aux caresses <strong>de</strong>s vents mollement s'abandonne<br />
Et <strong>de</strong> ses b<strong>la</strong>nches fleurs ba<strong>la</strong>nce <strong>la</strong> couronne,<br />
Lorsque Forage accourt <strong>de</strong> ses rameaux flétris<br />
Sur <strong>la</strong> terre en grondant disperser les débris :<br />
Tel dans sa chute Euphorbe exhale un long murmure<br />
Et cè<strong>de</strong> à Méné<strong>la</strong>s sa vie <strong>et</strong> son armure.<br />
Quand f.nourri <strong>sur</strong>les monts, au milieu d'un troupeau,<br />
Un lion, saisissant le plus jeune taureau-.<br />
Brise son cou nerveux <strong>et</strong> d'une <strong>de</strong>nt puissante<br />
Déchire les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> sa chair frémissante,<br />
Tous les bergers, <strong>de</strong> loin, en palissant d'horreur,<br />
Par leurs-cris seulement combattent sa'fureur :<br />
Tel au fond'dcson cœur'nul Troyen n'a l'audace<br />
D'affronter du héros l'insolente menace.<br />
Tandis que Méné<strong>la</strong>s, ivre <strong>de</strong> son succès,<br />
S'enorgueillit, Phébus, sous l'aspect <strong>de</strong> Mentes<br />
Dont les Giconïens ont suivi le courage,<br />
D'Hector, rival <strong>de</strong> Mars, anime ainsi <strong>la</strong> rage :<br />
« Hector ! ne poursuis plus ces chevaux ennemis<br />
Que jamais à leur joug les hommes n'ont soumis ;
CHANT DIX-SEPTIÈME. i^<br />
Achille , rej<strong>et</strong>on d'une mère Immortelle,<br />
Seul a pu maîtriser leur audace rebelle.<br />
Cependant , Méné<strong>la</strong>s, c<strong>et</strong> insolent vainqueur ,<br />
De l'intrépi<strong>de</strong> Euphorbe a dompté-le-grand cœur. ».<br />
A ces 'mots, dans <strong>la</strong> foule Apollon se replonge<br />
Et <strong>la</strong>isse Hector-en proie au chagrin qui le range.<br />
Hector, au loin portant son regard éperdu,<br />
Voit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre Euphorbe expirer étendu,<br />
Méné<strong>la</strong>s enlever sa glorieuse armure ,<br />
Et tout son sang jaillin par sa <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e ;<br />
Il court aux premiers rangs, étince<strong>la</strong>nt d'aitaiti,<br />
Egale dans son vol <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong> Vulcain, •<br />
Et <strong>de</strong> ses cris aigus frappe le fils d'Atrée<br />
Qui dit en gémissant dans son âme éplorée :<br />
« Malheur, malheur à moi, si je ne venge pa&.<br />
Le héros dont ma gloire a causé le trépas?!<br />
Qui ! moi, trahir. Patrocle <strong>et</strong>-cé<strong>de</strong>r sa dépouille !<br />
Qu'aux yeux <strong>de</strong> tous les Grecs tant d'opprobre me souille!<br />
Mais si j'affronte seul Hector <strong>et</strong> les Tro jens,<br />
Leurs efforts réunis triompheront <strong>de</strong>s miens.;<br />
Ce guerrier au beau casque, Hector qui les exliorte,<br />
Entraîne <strong>sur</strong> ses pas leur nombreuse cohorte.
^46 L'ILIADE.<br />
Pourquoi donc ba<strong>la</strong>ncer? Tout homme audacieux<br />
Qui combat un rival protégé par les' cieuxf<br />
Bravant <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> volonté divine,<br />
Appelé <strong>sur</strong> sa tête une gran<strong>de</strong> ruine.<br />
Les Grecs pardonneront^ si ma crainte s'enfuit<br />
Devant Hector vainqueur par Jupiter conduit.<br />
Que ne puis-je d'Ajax obtenir l'assistance !<br />
Dussions-nous contre un Dieu lutter avec constance^<br />
Nos efforts 7 <strong>de</strong>Patrocle en sauvant les <strong>la</strong>mbeaux ?<br />
Consoleraient Achille <strong>et</strong> vengeraient nos maux. »<br />
Tandis que dans son âme il roule ces pensées.<br />
Des guerriers d'Ilion les pha<strong>la</strong>nges pressées ,<br />
Conduites par Hectorf s'avancent; Méné<strong>la</strong>s<br />
Loin à\i corps dé<strong>la</strong>issé précipite ses pas.<br />
Comme un fougueux lion à <strong>la</strong> crinière épaisse 7<br />
Comprimant dans son cœur sa rage v<strong>et</strong>tgeresse 9<br />
Fuît, quand <strong>de</strong> ses assauts les chiens <strong>et</strong> les bergers<br />
Par leurâ cris <strong>et</strong> leurs dards repoussent les dangers :<br />
Tel le blond Méné<strong>la</strong>s que le regr<strong>et</strong> dévore 7<br />
Contre les ennemis se r<strong>et</strong>ournant encore ?<br />
S'arrête <strong>et</strong> 7 parvenu jusqu'au milieu <strong>de</strong>s rangs,<br />
Portant <strong>de</strong> tous côtés ses regards pénétrans, -
CHANT DIX-SEPTIÈME. *47<br />
Trouve à <strong>la</strong> gauche Ajax qui, parcourant l'armée,<br />
Ras<strong>sur</strong>ait <strong>de</strong>s soldats <strong>la</strong> valeur a<strong>la</strong>rmée ;<br />
Eifrayés par Phébus, ils avaient tous frémi j<br />
Quand Méné<strong>la</strong>s s'approche : « Ajax ! ô mon ami !<br />
Viens, accours sans dé<strong>la</strong>is : en c<strong>et</strong> affreux tumulte,<br />
Epargnons à Patrocle une <strong>de</strong>rnière insulte.<br />
Puisque <strong>de</strong> son armure Hector s'est emparé,<br />
Qu'Achille <strong>de</strong> son corps ne soit plus séparé. »<br />
Ajax, dont ce <strong>la</strong>ngage eniamme <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce ,<br />
Suivi <strong>de</strong>'Méné<strong>la</strong>s, aux premiers rangs s'é<strong>la</strong>nce.<br />
Hector, enorgueilli d'un triomphe certain,<br />
Des armes <strong>de</strong> Patrocle emportant le butin,<br />
A<strong>la</strong>ît trancher sa tête, <strong>et</strong>, pour comble d'injure,<br />
Aux dogues dHion le livrer en pâture 7<br />
Quand l'intrépi<strong>de</strong> Ajax paraît; son bouclier,<br />
Large comme une tour, le couvre tout entier.<br />
Hector frissonne; Hector que <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce inspire ,<br />
Parmi ses compagnons <strong>sur</strong> son char se r<strong>et</strong>ire,<br />
Tandis que les Troyens enlèvent promptement<br />
Ces armes, <strong>de</strong> sa gloire immortel monument.<br />
Ajax, du corps meurtri que le carnage souille f '<br />
Avec son bouclier protège <strong>la</strong> dépouille.
a48 L'ILIADE.<br />
Lorsqu'un lion ar<strong>de</strong>nt pour <strong>la</strong> première fois<br />
Conduit ses nourrissons c<strong>la</strong>ns l'épaisseur <strong>de</strong>s bois f<br />
Si <strong>de</strong> nombreux chasseurs menacent sa famille 7<br />
Dans ses yeux irrités <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme roule <strong>et</strong> brille,<br />
Et, penchés vers le sol, ses immenses sourcils<br />
Couvrent d'un voile épais ses regards obscurcis :<br />
Ainsi frémit Ajax ; dans sa douleur profon<strong>de</strong>,<br />
L'illustre Méné<strong>la</strong>s l'escorte <strong>et</strong> le secon<strong>de</strong>.<br />
Le chef <strong>de</strong>s Lyciens , G<strong>la</strong>ucus au même instant<br />
Lance au fils <strong>de</strong> Priam un regard insultant :<br />
« Hector, lâche en eff<strong>et</strong>, <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt en parole,<br />
Vil fuyard ! tu n'obtins qu'une gloire frivole.<br />
Seul avec tes soldats, comment défendras-tu<br />
La haute cita<strong>de</strong>lle <strong>et</strong> ton peuple abattu,<br />
Puisqu'aucun d'entre nous n'ira, dans les batailles7<br />
Au salut <strong>de</strong>s Troyens vouer ses funérailles?<br />
Ingrat! tu nous trahis... Les combattans obscurs<br />
T'auront-ils pour vengeurs en défendant tes murs,<br />
Quand ton hôte chéri, Sarpédon, <strong>de</strong>vant Troie,<br />
Devient <strong>de</strong>s Grecs vainqueurs <strong>la</strong> conquête <strong>et</strong> <strong>la</strong> proie^.<br />
Et qu'aux chiens dévorans tu <strong>la</strong>isses sans secours<br />
C<strong>et</strong> ami qui sauvait tes remparts <strong>et</strong> tes jours?
CHANT DIX-SEPTIEME;
25o L'ILIADE.<br />
Nourri dans les périls, je ne redoute pas<br />
Lé vain bruit <strong>de</strong>s coursiers, ni le choc <strong>de</strong>s combats ;<br />
Je respecte <strong>de</strong>s Dieux <strong>la</strong> faveur <strong>et</strong> <strong>la</strong> haine,<br />
Soumis à Jupiter dont <strong>la</strong> loi souveraine<br />
Des plus braves héros excite <strong>la</strong> fureur,<br />
Pour semer dans leurs rangs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur,<br />
G<strong>la</strong>ucus ! viens près <strong>de</strong> moi juger si je suis lâche 7<br />
Ou si, fier <strong>de</strong> remplir ma glorieuse tâche,<br />
Je saurai, du vainqueur arrêtant les efforts 1<br />
De Patrocle immolé lui disputer le corps. »<br />
Tourné vers ses soldats, Hector au loin s'écrie :<br />
« Enfans <strong>de</strong> Dardanus, peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycief<br />
Soyez hommes, amis ! gar<strong>de</strong>z à l'avenir<br />
D'une mâle valeur le noble souvenir.<br />
Moi j je cours revêtir l'armure glorieuse<br />
Qu'à Patrocle enleva ma main victorieuse. »<br />
Des combats meurtriers s'éloignant, à ces mots 7<br />
Dans son rapi<strong>de</strong> é<strong>la</strong>n l'intrépi<strong>de</strong> héros .<br />
Atteint ses compagnons, dont le zèle docile<br />
Vers Pergame emportait <strong>la</strong> dépouille d'Achille.<br />
Libre <strong>de</strong> son armure 7 il <strong>la</strong>isse aux écuyers<br />
Le soin <strong>de</strong> <strong>la</strong> suspendre à ses riches foyers,
CHANT DIX-SEPTIEME. 231<br />
Et revêt c<strong>et</strong> airain, présent cher <strong>et</strong> funeste ,<br />
Que Pelée accepta <strong>de</strong> <strong>la</strong> faveur céleste*<br />
Achille j jeune encor} s'en couvrit, mais hé<strong>la</strong>s!<br />
Sous l'armure d'un père il ne vieillira pas.<br />
Ce spectacle attendrit le roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ,<br />
Qui se dit dans son cœur 7 en agitant sa tête :<br />
« Malheureux ! ta vail<strong>la</strong>nce f incapable d'effroi ,<br />
N'aperçoit pas <strong>la</strong> mort qui marche près <strong>de</strong> toi.<br />
D'un guerrier dont Faspect sème au loin les a<strong>la</strong>rmes,<br />
Pourquoi donc revêtir les immortelles armes?<br />
Heureux d'avoir conquis ce superbe ornement 7<br />
Ton bras vainqueur dépouille ? immole indignement<br />
Son ami ? qui joignait par un noble assemb<strong>la</strong>ge<br />
La douceur <strong>la</strong> plus tendre au plus mâle courage.<br />
Mais je veux que ta mort brille d'un grand éc<strong>la</strong>t,<br />
Puisque ton Andromaque, au r<strong>et</strong>our du combat}<br />
Ne recevra jamais l'éblouissante armure ,<br />
De ce fils <strong>de</strong> Pelée orgueilleuse parure. s» ¥<br />
Sur son trône, à ces mots, le roi du mon<strong>de</strong> assis ><br />
Confirmant son arrêt f fronce <strong>de</strong> noirs sourcils.<br />
Quand l'armure étincelle ? à sa taille adaptée ,<br />
Prompt à remplir Hector d'une audace indomptée*,
a5a L'ILIADE.<br />
En doub<strong>la</strong>nt sa vigueur, au cœur <strong>de</strong> ce guerrier<br />
Mars, le terrible Mars a passé tout entier.<br />
En j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> grands cris7 Hector se précipite j<br />
Des nombreux aHîés parcourt <strong>la</strong> noble élite f<br />
Et, <strong>de</strong>s armes d'Achille au loin resplendissant 1<br />
Gomme Achille lui-même apparaît menaçant;<br />
De toutes parts il vole; il encourage, il nomme<br />
Phorcys? Astéropée <strong>et</strong> le <strong>de</strong>vin Ennome?<br />
Ghromius-9 Disénor, Médonf Hîppothoûs',<br />
Thersiloque , Mesthlâs <strong>et</strong> le noble G<strong>la</strong>ucus.<br />
« Ecoutez 7 alliés , dont les tribus voisines<br />
Entourent d'Ilion les fertiles collines,<br />
Vous ai-je appelés tous du sein <strong>de</strong> vos foyers<br />
Pour <strong>la</strong>nguir, spectateurs <strong>de</strong> nos travaux guerriers?<br />
Non ; je veux que vos mains? <strong>de</strong> notre honneur jalouses^<br />
Préservent du trépas nos fils <strong>et</strong> nos épouses.<br />
Dans c<strong>et</strong> heureux espoir, pour payer vos efforts 7<br />
De mes propres suj<strong>et</strong>s j*épuise les trésors.<br />
Marchez; <strong>et</strong> <strong>de</strong>s combats défiez <strong>la</strong> colère.<br />
Triompher ou périr 7 c'est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />
Si l'un- <strong>de</strong> vous repousse Ajax épouvanté 7<br />
Et traîne dans nos murs ce corps ensang<strong>la</strong>nté.
CHANT DIX-SEPTIÈME. a53<br />
Je daignerai , <strong>la</strong>issant un prix à sa victoire,<br />
Partager avec lui c<strong>et</strong>te armure <strong>et</strong> ma gloire. -»<br />
Tous, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en arrêt, les javelots tendus,<br />
Tournent contre les 'Grecs leurs efforts confondus,<br />
Et chacun d'eux espère en sa crédule joie<br />
Dépossé<strong>de</strong>r Ajax <strong>de</strong> sa sang<strong>la</strong>nte proie.<br />
Les insensés ! son fer <strong>sur</strong> ces pâles <strong>la</strong>mbeaux<br />
De leurs corps palpïtans j<strong>et</strong>tera les monceaux.<br />
Ajax vers Méné<strong>la</strong>s --se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> s'écrie : •<br />
« Ne crois pas <strong>de</strong>s Troyens éviter <strong>la</strong> furie,<br />
Ami ! <strong>la</strong>issons ce corps qui, malgré nous , enfin,<br />
Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours assouvira <strong>la</strong> faim...<br />
Je tremble pour nos jours; comme un sombre nuage,<br />
Hector seul envahit tout le champ du carnage.<br />
Sur nous p<strong>la</strong>ne <strong>la</strong> mort. Que nos chefs toutefois<br />
Accourent réunis aux accens <strong>de</strong> ta voix. »<br />
Méné<strong>la</strong>s obéit : « 0 princes intrépi<strong>de</strong>s! •<br />
Amis, qui, partageant les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s Atrï<strong>de</strong>s,<br />
Savourez le vin pur <strong>de</strong> leurs pompeux festins,<br />
Et <strong>de</strong>-peuples nombreux gouvernez les <strong>de</strong>stins,<br />
Puisque Jupiter seul, dans sa munificence,<br />
Distribue aux mortels <strong>la</strong> gloire <strong>et</strong> <strong>la</strong> puissance,
^54 L'ILIADE.<br />
En vain je chercherais à vous distinguer tous 9<br />
Tant <strong>la</strong> guerre en fureur éc<strong>la</strong>te, autour <strong>de</strong> nous !<br />
Vener; ne souffrez pas qu f aux dogues <strong>de</strong> Pergame<br />
Patrocle soit j<strong>et</strong>é comme un jou<strong>et</strong> infâme. »<br />
L'ar<strong>de</strong>nt fils d'ûïlée accourt, <strong>et</strong> le premier 7<br />
Parmi les bataillons se frayant un sentier 7<br />
Amène Idoménée <strong>et</strong> Mérion semb<strong>la</strong>ble<br />
Au Dieu MarSj <strong>de</strong>s combats arbitre formidable.<br />
De ces nobles héros les nombreux compagnons<br />
S'assemblent. Quel mortel répéterait les noms<br />
De tant d'autres soldats f dont l'audace rivale<br />
Pour rallumer <strong>la</strong> guerre f à F envi se signale ?<br />
Cependant les Troyens <strong>sur</strong> les traces d'Hector<br />
De leurs pas enhardis accélèrent l'essor ;<br />
Leurs confuses c<strong>la</strong>meurs <strong>de</strong> toutes parts <strong>sur</strong>gissent :<br />
Ainsi d'un brpit lointain les rivages mugissent,<br />
Quand <strong>la</strong> vague en'courroux vient <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute mer<br />
Se dresser contre un fleuve 1 issu <strong>de</strong> Jupiter ;<br />
Sur le flot opposé le flot se précipite,<br />
Et le vaste Océan a franchi sa limite.<br />
Pleins d'une égale ar<strong>de</strong>ur, les Grecs an même instant<br />
Près du corps <strong>de</strong> Patrocle ensemble s'arrétant,
CHANT DIX-SEPTIÈME. a55<br />
Serrent leurs boucliers, <strong>et</strong> le roi <strong>de</strong> Forage<br />
Sur leurs casques luisans verse un épais nuage.<br />
Dans <strong>la</strong> peur qu'un héros qu'il a toujours chéri,<br />
Par les chiens d'Ilïon ne soit encor flétri,<br />
Au cœur <strong>de</strong> ses amis ce Dieu se fait entendre,<br />
Et leur inspire à tous l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> le défendre.<br />
Mais les Grecs aux yeux noirs, <strong>la</strong>ssés <strong>de</strong> longs efforts,<br />
Du malheureux Patrocle abandonnent le corps ;<br />
Quel que soit le courroux <strong>de</strong>s vail<strong>la</strong>ns fils <strong>de</strong> Troie f<br />
Sur aucun ennemi leur fer ne se déploie;<br />
Ils saisissent Patrocle <strong>et</strong> <strong>la</strong>issent aux combats<br />
L'impétueux Ajax ramener ses soldats f<br />
Ajax qui, par sa taille, <strong>et</strong> sa force indomptable,<br />
Des Grecs après Achille est le plus redoutable.<br />
Comme le sanglier f <strong>sur</strong> les monts, dans les boisl<br />
Disperse les chasseurs <strong>et</strong> les chiens aux abois 7<br />
Il voit fuir les Troyens? dont l'audace unanime<br />
Croyait vers Bion emporter <strong>la</strong> victime.<br />
Pour accomplir les vœux d'Hector <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens,<br />
En attachant Patrocle avec <strong>de</strong> forts liens,<br />
Un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Léthus? ce prince'<strong>de</strong>s Pe<strong>la</strong>ges,<br />
Hippotlioûs pensait le ravir aux outrages ;
a56 . L ? ILIADE. •<br />
H traînait par les pieds le cadavre ennemi,<br />
Et d'un superbe espoir .tout son cœur a frémi.<br />
Mais, hé<strong>la</strong>s ! c<strong>et</strong> espoir dont son orgueil s'enivre,<br />
Au malheur imprévu sans défense le livre,<br />
Âjax j parmi <strong>la</strong> foule accouru le premier f.<br />
Du grand casque d'airain brise l'épais cimier;<br />
Loin du crâne fendu.<strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte cervelle<br />
•Jaillit ; Hippothoûs dont <strong>la</strong> force chancelle f<br />
Abandonne 'Patrocle, <strong>et</strong> par <strong>la</strong> mort g<strong>la</strong>cé,<br />
Le front <strong>sur</strong> le cadavre, expire terrassé.<br />
Sous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Ajax le sort veut qu'il périsse<br />
Bien loin <strong>de</strong>s champs féconds <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Larisse ;<br />
Il vécut peu <strong>de</strong> jours 3 <strong>et</strong> ses paréos chéris<br />
Jamais <strong>de</strong> leurs doux soins ne recevront le prix.<br />
Hector décoche un trait ; le grand Ajax l'évite,<br />
Et le trait court frapper un <strong>de</strong>s enfans dlphite,<br />
Ce SchédiuSi qui, roi d'un état populeux 7<br />
Habitait dans Panope aux remparts orgueilleux.<br />
Schédius j jeune encorf l'honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Phocï<strong>de</strong>,<br />
Atteint dans le gosier par <strong>la</strong> pointe homici<strong>de</strong> f<br />
Succombe , <strong>et</strong> par'son dos l'airain est ressorti t<br />
Tandis que son armure au loin a r<strong>et</strong>enti.<br />
'
CHANT DIX-SEPTIÈME. *57<br />
Àjax plonge à son tour dans <strong>la</strong> nuit éterneRe<br />
Du corpa d'Hippothoûs le défenseur fidèle ,<br />
Phorcys ? fils <strong>de</strong> Phénops , qui tout à coup^. blessé<br />
Par l'airain ennemi dans son .ventre enfoncé, ••<br />
Rou<strong>la</strong>nt avec fracas f <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre se traîne *, •<br />
Et presse <strong>de</strong> ses mains une sang<strong>la</strong>nte arène.* '<br />
Hector même recule,' <strong>et</strong> les (Grecs à grands cris<br />
Avec Hippothoiis ont dépouillé Phorcys.<br />
Maïs les Troyens? vaincus par leur propre faiblesse ,<br />
Montaient dans Ilion renfermer leur détresse ,<br />
Et j malgré Jupiter , les Grecs audacieux<br />
Reprenaient <strong>la</strong> victoire <strong>et</strong> triomphaient <strong>de</strong>s cieux 7<br />
Si lui-même ÂpoMon n'eût emprunté l'image<br />
Du héraut Périphas qui , chargé d'un long âge?<br />
Dans le pa<strong>la</strong>is d'Anehisef heureux <strong>de</strong> son emploi,<br />
Signa<strong>la</strong>it son vieux zèle <strong>et</strong> sa constante foi.<br />
« Ne combattrez-vous pas , dit-il , vail<strong>la</strong>nt Enée !<br />
Lorsqu'llion périt malgré <strong>la</strong> Destinée?<br />
J'ai vu jadis, j'ai vu <strong>de</strong>s guerriers valeureux<br />
Triompher, confians en leurs peuples nombreux. 1<br />
Et vous , quand Jupiter vous offre <strong>la</strong> victoire, '<br />
Vous fuyez sans combat <strong>et</strong> succombez sans gloire!»,<br />
a. 17
258 L'ILIADE. •<br />
Enée , en s'avançant , a reconnu les traits<br />
Du Dieu qui fait voler d'inévitables traits :<br />
ic Noble Hector, <strong>et</strong> vous, cheife ! quelle éternelle honte,<br />
Si notre lâch<strong>et</strong>é dans Pergame remonte,<br />
Si tous les Grecs !„, Mais non ; l'arbitre <strong>de</strong>s combats,<br />
Le puissant 'Jupiter arme pour nous son bras ;<br />
Debout à mes côtés, un Dieu vint m'en instruire.<br />
Contre nos ennemis je saurai vous conduire ;<br />
Marchons jusqu'aux vaisseaux : que leurs mains sans efforts<br />
De Patrocle immolé n'entraînent pas le corps. »<br />
Aces mots, sa valeur aux premiers rangs l'emporte,<br />
Et <strong>sur</strong> les Argiens dirige sa cohorte.<br />
Sa <strong>la</strong>nce d'un seul coup plonge dans le trépas<br />
Léocrite, ce fils du puissant-Arisbas.<br />
Un <strong>de</strong> ses compagnons, que <strong>la</strong> douleur irrite,<br />
Lycomè<strong>de</strong> se p<strong>la</strong>ce auprès <strong>de</strong> Léocrite,<br />
Et le trait, décoché par ses adroites mains,<br />
Atteint Apisaon, ce pasteur <strong>de</strong>s humains,<br />
Qui dans <strong>la</strong> Péonie , après Astéropée ,<br />
A vu <strong>de</strong> plus d f exploits sa valeur occupée. .<br />
s A peine te trépas a brisé ses genoux,<br />
Astéropée, ému <strong>de</strong> pitié, <strong>de</strong> courroux,
CHANT DIX-SEPTIÈME. a5g<br />
S'é<strong>la</strong>nce ; maïs les Grecs qu'un même zèle anime ,<br />
Sous leure grands boucliers abritent <strong>la</strong> victime j<br />
Leurs piques en arrêt lui forment un rempart.<br />
L'impétueux Ajax vole <strong>de</strong> toute part ;<br />
Sans fuir ? sans avancer 7 il veut que sa pha<strong>la</strong>nge,<br />
Debout près du héros , le protège <strong>et</strong> le venge.<br />
Bientôt ? par ses avis le soldat secondé,<br />
De <strong>la</strong> pourpre du sang voit le sol inondé.<br />
Grecs, Troyens ? alliés, chaque parti succombe ;<br />
Mais les Grecs moins nombreux <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> tombe ;<br />
Car tous j pour soutenir un combat si cruel,<br />
Se prêtent l'un à l'autre un appui mutuel.<br />
Partout <strong>de</strong> <strong>la</strong> bataille on voit les feux renaître.<br />
La lune <strong>et</strong> le soleil ont semblé disparaître f<br />
Tant les sombres replis d'un nuage profond<br />
Entourent ces guerriers dont l'aspect se confond I<br />
Ailleurs un jour serein , du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s montagnes,<br />
Répand son vif éc<strong>la</strong>t <strong>sur</strong> les vastes campagnes,<br />
Et les Troyeos, les Grecs aux bro<strong>de</strong>quins guerriers,<br />
Se dérobent sans peine à leurs dards meurtriers ;<br />
Ici j dans <strong>la</strong> mêlée, un ténébreux nuage<br />
Des plus vai<strong>la</strong>ns héros redouble le carnage.<br />
*7-
36o L'ILIADE.<br />
Thrasymè<strong>de</strong> , Antiloque, intrépi<strong>de</strong>s soldats f<br />
De Fillustre Patrocle ignorant le trépas ,<br />
Croyaient qu f aux premiers rangs, Patrocle 7 plein <strong>de</strong> vie,<br />
Immo<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> foule poursuivie ;<br />
Loin <strong>de</strong> leurs compagnons y accables par le sort,<br />
Tous les <strong>de</strong>ux détournaient <strong>et</strong> <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort 7<br />
Soumis au vieux Nestor ? qui dirigea leur <strong>la</strong>nce<br />
Du fond <strong>de</strong>s vaisseaux noirs aux-champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />
Jusqu'au déclin du jour, les guerriers hal<strong>et</strong>ans ,<br />
Par <strong>la</strong> lutte épuisés , <strong>de</strong> sueur dégouttans ,<br />
Les pïeds'f les mains, les yeux souillés d'un sang livi<strong>de</strong> ?<br />
Se disputent f ami du fougueux Eaci<strong>de</strong>.<br />
Quand d'un homme opulentles serviteurs nombreux,<br />
En cercle disposés f sous leurs bras vigoureux<br />
Tirent d'un grand taureau <strong>la</strong> dépouille sang<strong>la</strong>nte<br />
Que pénètre à flots purs une huile étince<strong>la</strong>nte,<br />
L'eau s'écoule, <strong>et</strong>, docile à leurs constans efforts f<br />
La peau multipliée étend ses <strong>la</strong>rges bords :<br />
Tels les Grecs , les Troyens, qu'un noble espoir enf<strong>la</strong>mme!<br />
Tantôt vers le rivage <strong>et</strong> tantôt vers Pergame<br />
Dans un étroit espace entraînant ces débris,<br />
Font r<strong>et</strong>entir les airs d'épouvantables cris}
CHANT DIX-SEPTIÈME. »6r<br />
Et Mars, Dieu <strong>de</strong>s combats, Pal<strong>la</strong>s f malgré sa rage f<br />
Ne pourraient accuser leur généreux courage.<br />
Tandis que les guerriers, tandis que les chevaux 1<br />
Livrés par Jupiter à <strong>de</strong> sang<strong>la</strong>ns travaux f<br />
Confon<strong>de</strong>nt leur fureur, Achille sous sa tente '<br />
Espère , hé<strong>la</strong>s ! trompé dans sa crédule attente ,<br />
Que jusqu'aux murs troyens, vivant <strong>et</strong> glorieux f<br />
Patrocle aura tourné ses pas victorieux ;<br />
S'il apprit <strong>de</strong> Thétis, dont <strong>la</strong> bouche indiscrète-<br />
Trahit <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> volonté secrète,<br />
Que f même aidé par lui , son compagnon jamais<br />
Ne pourra d'Ilion renverser les somm<strong>et</strong>s,<br />
H ignore du moins, pour comble <strong>de</strong> misère 1<br />
Que <strong>la</strong> mort doit frapper une tête si chère»<br />
Les <strong>de</strong>ux peuples ? armés du fer étince<strong>la</strong>nt ,<br />
Luttaient avec ar<strong>de</strong>ur autour du corps sang<strong>la</strong>nt.<br />
« Compagnons ! n'allons point par une fuite prompte<br />
Dans nos profonds vaisseaux renfermer notre honte f<br />
S'écriait l'un <strong>de</strong>s Grecs aux cuirasses'd'airain.<br />
Qu'un sol noir, entrouvrant son goulre souterrain^<br />
Nous engloutisse avant que les guerriers <strong>de</strong> Troîfe-<br />
Se couronnant <strong>de</strong> gloire, enlèvent c<strong>et</strong>te proie ! *
26a L'ILIADE.<br />
Les Troyens à leur tour s'écriaient : « Mes amis !<br />
Contre tant <strong>de</strong> périls que nos bras affermis<br />
Résistent, dussions nous f expirant tous ensemble 7<br />
Tomber <strong>sur</strong> ce cadavre où le sort nous rassemble ! '»<br />
Tels les peuples rivaux s'exhortent à Fenvi :<br />
D'un combat furieux ce <strong>la</strong>ngage est suivi,<br />
Et 5 dans l'air infécond répandant les a<strong>la</strong>rmes,<br />
Jusques au ciel d'airain monte le bruit <strong>de</strong>s armes.<br />
Les chevaux d'Eaci<strong>de</strong>, éloignés <strong>de</strong>s combats,<br />
Pleurent , quand <strong>de</strong> Patrocle Es ont su le trépas ;<br />
En vain Automédon en menaces éc<strong>la</strong>te j<br />
En vain son fou<strong>et</strong> les presse, en vain sa voix les f<strong>la</strong>tte ;<br />
Ils ne r<strong>et</strong>ournent plus 1 dans leur chagrin profond,<br />
Vers <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine ou le vaste Hellespont.<br />
Comme on voit s'élever <strong>la</strong> colonne funèbre<br />
Au tombeau d'une femme ou d'un mortel célèbre f<br />
Immobiles , les yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes sillonnés,<br />
A leur char magnifique ils restent enchaînés ;<br />
Leur front penche <strong>et</strong> les flots <strong>de</strong> leur belle crinière<br />
Sur le joug arrondi traînent dans <strong>la</strong> poussière.<br />
Le Dieu, fils <strong>de</strong> Saturne 9 ému <strong>de</strong> leur malheur f<br />
A secoué sa tête en signe <strong>de</strong> douleur ;
CHANT DIX-SEPTIEME. • ^ a63<br />
« Infortunés , ô vous, qui brillerez sans cesse<br />
Affranchis du trépas <strong>et</strong> libres <strong>de</strong> vieillesse ,<br />
Vous ai-je donc remis à <strong>de</strong> mortelles mains,<br />
Pour vous associer aux peines <strong>de</strong>s humains ?<br />
L'homme en lui seul rassemble , hé<strong>la</strong>s ! plus <strong>de</strong> misère<br />
Que tout ce qui respire <strong>et</strong> rampe <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.<br />
Pourtant <strong>sur</strong> votre char je ne souffrirai pas<br />
Que l'orgueilleux Hector ose porter ses pas.<br />
Ne triomphe-t-il point sous les armes d'Achille ?<br />
C'en est assez : je veux que d'un essor agile<br />
Votre vigueur , courant vers les profonds vaisseaux ,-<br />
Arrache Automédon à <strong>de</strong>s périls nouveaux ;<br />
Car les Troyens vainqueurs sèmeront le ravage,<br />
Jusqu'à l'heure où leure pieds toucheront ce rivage,.<br />
Lorsqu'enfin le soleil, désertant l'univers ,<br />
Devant l'ombre sacrée aura fui dans les mers. »-<br />
Les chevaux, animés d'une force indomptable r<br />
En secouant leurs crins qui flottent dans le' sable ,.<br />
Entre les bataillons, sans effort, sans danger,<br />
Ont emporté le char <strong>de</strong>venu plus léger.<br />
Comme un ar<strong>de</strong>nt vautour dans Pair se précipite,<br />
Le triste Automédon qui <strong>de</strong> fureur palpite ,
264 L'ILIADE.<br />
Vole ; aux coups <strong>de</strong>s Troyens s'il échappe aisément,<br />
Il n'en ïmûaole aucun à son ressentiment.<br />
Seul , <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> le char, <strong>de</strong> ses mains incertaines<br />
H ne peut diriger ni les dards ni les rênes.<br />
Le fils <strong>de</strong> Laërcès aperçoit le héros,<br />
Derrière lui s'arrête <strong>et</strong> s'exprime en ces mots :<br />
« Automédon ! quel Dieu dans ton âme insensée<br />
Du parti le plus sage étouffa <strong>la</strong> pensée?<br />
Quoi! seul parmi les Grecs, aux Troyens menaçans<br />
Tu prétends opposer tes efforts impuissans !<br />
Seul !... Ton ami n'est plus ; <strong>la</strong> lutte est inutile.<br />
Hector s'enorgueillit <strong>de</strong> l'armure d'Achille. »<br />
Mais le fils <strong>de</strong> Dïore : ci O sage Alcimédon !<br />
Puisque le sort m'enlève 'un si cher compagnon,<br />
Quel autre mieux que toi <strong>de</strong> ce couple rebelle<br />
Saurait ou réveiller ou ralentir le zèle ?<br />
• Tant qu'il vécut, hé<strong>la</strong>s! Patrocle, égal aux Dieux,<br />
Guida <strong>de</strong> ces coursiers les pas victorieux;<br />
Le Destin l'a vaincu ; <strong>la</strong> mort vient <strong>de</strong> l'abattre...<br />
Prends l'aiguillon <strong>et</strong> moi je m'apprête à combattre. »<br />
Alcimédon, armé du fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant,<br />
A monté <strong>sur</strong> le char d'où son ami <strong>de</strong>scend.
CHANT DIX-SEPTIÈME. *65<br />
Hector abor<strong>de</strong> Énéej il l'exhorte, il l'enf<strong>la</strong>mme :<br />
« 0 sage conseiller <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> Pergame !<br />
Je vois le char d'Achille <strong>et</strong> ses coursiers ar<strong>de</strong>ns<br />
Dirigés par les mains d'éçuyers impru<strong>de</strong>ns.<br />
Marchons ! ils sont à nous ; car <strong>de</strong> notre vail<strong>la</strong>nce<br />
Ces guerriers trembleront d'affronter l'alliance. »<br />
Le noble fils d'Anchise obéit ; tous les <strong>de</strong>ux<br />
Précipitent au. loin leur essor hasar<strong>de</strong>ux ,<br />
Et leurs grands boucliers , munis <strong>de</strong> fortes <strong>la</strong>mes,<br />
Ba<strong>la</strong>ncés <strong>sur</strong> leur dos, j<strong>et</strong>tent d'ar<strong>de</strong>ntes f<strong>la</strong>mmes.<br />
Accourus <strong>sur</strong> leurs pas, Chromïusf Arétus<br />
Espèrent immoler leurs rivaux abattus;<br />
Des superbes coursiers ils rêvent <strong>la</strong> conquête...<br />
Insensés ! <strong>de</strong> Fun d'eux c'est <strong>la</strong> mort qui s'apprête.<br />
Quand il a supplié le souverain <strong>de</strong>s cïeux,<br />
Automédon, rempli d'un zèle audacieux,<br />
S'écrie : s Mcimédon ! en marchant dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine 7<br />
Des coursiers <strong>sur</strong> mon dos je veux sentir l'haleine.<br />
Viens ; <strong>la</strong> fureur d'Hector ne s'apaisera pas ,<br />
S'il ne <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> nous <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas :<br />
Qu'il meure, ou <strong>sur</strong> nos corps que «a rage guerrière<br />
Ravisse ces chevaux à <strong>la</strong> belle crinière. »
a66 L'ILIADE.<br />
Puîs? appe<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s chefs fameux dans les combats :<br />
« 0 vous j puïssans Ajax ? <strong>et</strong> toi, fier Méné<strong>la</strong>s^<br />
Confiez sans terreur aux mains les plus vai<strong>la</strong>ntes<br />
Le soin <strong>de</strong> protéger ces dépouilles sang<strong>la</strong>ntes.<br />
Venez nous secourir f nous qui vivons encor.<br />
Ah ! redoutez l'approche <strong>et</strong> d'Énée <strong>et</strong> d'Hector.<br />
Sur les genoux <strong>de</strong>s Dieux notre avenir repose ;<br />
Je combats : <strong>de</strong> mon sort que Jupiter dispose ! »<br />
Automédon se tait <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />
Ebranle d'Arétusle vaste bouclier,<br />
S'enfonce dans l'airain} traverse <strong>la</strong> cuirasse}<br />
Et jusque dans ses f<strong>la</strong>ncs s'ouvre une <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>ce.<br />
Comme on voit dans les champs un sauvage taureau<br />
Tomber, se relever <strong>et</strong> tomber <strong>de</strong> nouveau,<br />
Lorsqu'un jeune homme j armé <strong>de</strong> <strong>la</strong> hache acérée f<br />
Frappe au milieu du front sa tête séparée :<br />
Tel par l'acier tranchant Arétus traversé<br />
Houle avec un long bruit <strong>et</strong> bondit renversé,<br />
Tandis que? messager <strong>de</strong> promptes funérailles 7<br />
Le dard r<strong>et</strong>entissant tremble dans ses entrailles.<br />
Hector décoche un trait ; Automédon le voit ;<br />
En évitant le coup par un détour adroit,
CHANT DIX-SEPTIÈME. a6y<br />
H s'incline <strong>et</strong> l'airain s'agite dans <strong>la</strong> terre ?<br />
Jusqu'à l'instant où Mars ralentit sa colère.<br />
Déjà , pour se frapper , le g<strong>la</strong>ive armait leurs bras^<br />
Quand les Ajax vers eux accourent à grands pas ,<br />
Et le beau Ghroniiusf le noble Hector, Enée<br />
Ont <strong>la</strong>issé dans le sang <strong>la</strong> victime baignée.<br />
De l'armure ennemie Automédon vainqueur<br />
S'écrie : « Un tel exploit console un peu mon cœur.<br />
Fils <strong>de</strong> Ménétius ! que <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive, sombre<br />
Un ennemi vulgaire apaise au moins ton ombre ! »<br />
Automédon, les pieds <strong>et</strong> les mains dans le sang^<br />
Couvre <strong>de</strong> son butin lé char éblouissant,<br />
Et part comme un lion, qui souillé <strong>de</strong> carnage ?<br />
De <strong>la</strong> chair d'un taureau vient d'assouvir sa rage.<br />
Maïs autour <strong>de</strong> Patrocle un combat désastreux<br />
S'allumait plus ar<strong>de</strong>nt, s'étendait plus affreux.<br />
Car le fils <strong>de</strong> Saturne a changé <strong>de</strong> pensée ;<br />
11 comman<strong>de</strong> : Pal<strong>la</strong>s 9 <strong>de</strong> l'Olympe é<strong>la</strong>ncée,<br />
Excite <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> sa puissante voix<br />
Encourage les Grecs à <strong>de</strong> ' nouveaux exploits.<br />
Comme le roi <strong>de</strong>s airs sous <strong>la</strong> voûte éthérée<br />
Laisse flotter d'Iris l'écliarpe colorée,
*68 L'ILIADE.<br />
Lorsque, g<strong>la</strong>çant <strong>de</strong> crainte <strong>et</strong> bergers <strong>et</strong> troupeaux, '<br />
Des champs du <strong>la</strong>boureur il suspend les travaux ,<br />
Et punit les mortels, en <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> leurs têtes<br />
Ou <strong>la</strong> guerre homici<strong>de</strong> ou les froi<strong>de</strong>s tempêtes':<br />
Telle, du haut <strong>de</strong>s cieux, l'invincible PaUas<br />
D'un nuage <strong>de</strong> pourpre enveloppe ses pas ,<br />
Et , <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce animant le courage ,<br />
Imite <strong>de</strong> Phénix les traits <strong>et</strong> le <strong>la</strong>ngage :<br />
« Cours près <strong>de</strong> tes soldats} dissipe leur effroi.<br />
Méne<strong>la</strong>s ! quels regr<strong>et</strong>s , quel opprobre pour toi,<br />
Si les chiens dévoraient, sous les murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville ,.<br />
Ce noble compagnon <strong>de</strong> l'intrépi<strong>de</strong> Achille ! »<br />
« 0 vieil<strong>la</strong>rd ! ô Phénix ! réplique Méné<strong>la</strong>s ;<br />
Que Pal<strong>la</strong>s loin <strong>de</strong> moi détourne le trépas ;<br />
Qu'elle embrase mon sein <strong>de</strong> ses f<strong>la</strong>mmes célestes,<br />
Et, d'un guerrier si cher pour défendre les restes,<br />
Je combattrai ; sa mort a déchiré mon cœur.<br />
Mais prompt comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme, Hector toujours vainqueur,<br />
Hector, sans ralentir <strong>la</strong> fureur du carnage,<br />
Vole, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jupiter son triomphe est l'ouvrage. »<br />
Minerve aux yeux d'azur, par ce héros pieux<br />
Fière d'être implorée avant les autres Dieux,
CHANT. DIX-SEPTIÈME. â69<br />
Rend son dos plus nerveux, son genou plus soli<strong>de</strong> ,<br />
Et lui donne l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> c<strong>et</strong> insecte avi<strong>de</strong> ,<br />
Qui toujours repoussé 7 mais toujours menaçant ?<br />
S'acharne contre nous pour boire notre sang.<br />
Méné<strong>la</strong>s, animé d'une force divine,<br />
VersPatrocle accouru, <strong>la</strong>nce une javeline.<br />
Parmi leurs rangs nombreux les peuples d'Ilion<br />
Voyaient combattre un fils du noble Eétion ;<br />
Miche <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt guerrier, Podèsf ami fidèle,<br />
Qui partageait d'Hector <strong>la</strong> table fraternelle ,<br />
Podès fuit en courant 1 quand le blond Méné<strong>la</strong>s<br />
. Perce son baudrier ; il tombe avec fracas,<br />
Et vers ses compagnons, loin <strong>de</strong>s peuples <strong>de</strong> Troie?<br />
Le fils d'Atrée alors cherche à traîner sa proie.<br />
Un enfant d'Asius^ dans Abydos* nourri,<br />
Phénops j du grand Hector l'hôte le plus chéri ,<br />
Combattait; Apollon, empruntant son visage,<br />
S'approche <strong>et</strong> du Troyen redouble le courage :<br />
« Hector ! quel Grec jamais tremblera <strong>de</strong>vant toi?<br />
Un guerrier sans valeur t'aura g<strong>la</strong>cé d'effroi,<br />
Et tu fuis Méné<strong>la</strong>s dont <strong>la</strong> rage inhumaine *<br />
Immole ton ami, le dépouille <strong>et</strong> l'entraîne !
a7o L'ILIADE.<br />
Podès a succombé. » Sur le front du héros<br />
Un voile <strong>de</strong> douleur se répand à ces mots ;<br />
Etince<strong>la</strong>nt d'airain, il vole <strong>et</strong> son audace f<br />
En guidant ses soldats f franchit un vaste espace»<br />
Alors 7 le roi <strong>de</strong>s cieux5 <strong>de</strong> Plda tout entier<br />
Sous un nuage épais cache le front altier ;<br />
L'éc<strong>la</strong>ir brille : <strong>la</strong> foudre au loin r<strong>et</strong>entissante<br />
Éc<strong>la</strong>te j <strong>et</strong> dans ses mains l'égi<strong>de</strong> éblouissante,<br />
Secouant avec bruit ses terribles liens,<br />
Rend l'épouvante aux Grées, <strong>la</strong> victoire aux Troyens.<br />
Le premier ? un héros, chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> Béotie?<br />
Pénélée à <strong>la</strong> fuite en tremb<strong>la</strong>nt se confie ;<br />
Polydamas l'atteint ; un <strong>de</strong> ses javelots,<br />
En lui frappant Fépaule, a glissé jusqu'à l'os.<br />
Hector blesse à <strong>la</strong> main le généreux Léïte :<br />
Ce fils d'Alectryon que <strong>la</strong> douleur agite,<br />
Rou<strong>la</strong>nt partout ses yeux, se r<strong>et</strong>ire <strong>et</strong> son bras<br />
N'espère plus porter <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s combats.<br />
Comme Far<strong>de</strong>nt Troyen , dans sa rage effrénée f<br />
Le poursuivait encor? le fer d'Idoménée<br />
L'atteint à <strong>la</strong> cuirasse ; il chancelle ; le dard<br />
Se brise f repoussé par ce ferme rempart.
CHANT DIX-SEPTIÈME. 371<br />
Un cri joyeux s'élève ; Hector d'un j<strong>et</strong> Rapi<strong>de</strong><br />
Lance <strong>sur</strong> le Cr<strong>et</strong>ois, une flèche homici<strong>de</strong> ;<br />
L'ami <strong>de</strong> Mérïon qui suivit ce héros<br />
Loin <strong>de</strong>s murs opulens <strong>de</strong> l'heureuse Lectos,<br />
CéranuSj renversé par le trait qui s'égare ,<br />
Périt sans assouvir sa vengeance barbare,<br />
A pied , loin <strong>de</strong>s vaisseaux à <strong>de</strong>ux rangs <strong>de</strong> rameursf<br />
Le Cr<strong>et</strong>ois du combat vint braver les c<strong>la</strong>meurs ;<br />
Pergame à son trépas eût app<strong>la</strong>udi sans doute ;<br />
Mais Céranus 1 vers lui se frayant une route}<br />
Conduit le char léger, prévient son jour fatal,<br />
Et tombe sous les coups d'un terrible rival.<br />
Par <strong>la</strong> pointe d'airain dans sa joue enfoncée<br />
Son oreille est fendue <strong>et</strong> sa <strong>la</strong>ngue percée ;<br />
Ses '<strong>de</strong>nts avec fracas se brisent <strong>et</strong> soudain<br />
Les rênes 1 l'aiguillon s'échappent <strong>de</strong> sa main.<br />
L'agile Mérion se penche <strong>et</strong> les relève :<br />
« Ami ! jusqu'aux vaisseaux que ce char nous enlève.<br />
Tu le vois ; pour les Grecs tout espoir est perdu. »<br />
A ces mots , le Cr<strong>et</strong>ois, <strong>de</strong> terreur éperdu,<br />
Des coursiers qu'embellit leur crinière ondoyante,<br />
Pousse vers les vaisseaux <strong>la</strong> fuite impatiente.
a7» L'ILIADE.<br />
En faveur <strong>de</strong>s Troyens Ajax <strong>et</strong> Méné<strong>la</strong>s<br />
Sentent quel 'bras puissant fait pencher les combats :<br />
« Grands Dieux! s'écrie Ajax , qui pourrait méconnaître<br />
L'arrêt <strong>de</strong> Jupiter 1 notre souverain maître ?<br />
Lâche ou vail<strong>la</strong>nt, toujours le Troyen voit son fer<br />
Parvenir jusqu'au but 9 conduit par Jupiter y<br />
Et nos traits ïmpuissans , nos flèches inutiles,<br />
S'enfonçant dans <strong>la</strong> terre , y restent immobiles.<br />
Mais qu'en notre pouvoir Patrocle soit remis ,<br />
Et par un prompt r<strong>et</strong>our ras<strong>sur</strong>ons nos amis :<br />
Tous frémissent qu'Hector sous ses mains meurtrières<br />
N'immole d'un seul coup nos pha<strong>la</strong>nges entières.<br />
Puisse l'un d'entre nous f rapi<strong>de</strong> messager f<br />
Conter au fils <strong>de</strong>s Dieux notre pressant danger I<br />
Achille du trépas <strong>de</strong> son ami fidèle<br />
Ne reçut pas encor <strong>la</strong> terrible nouvelle.<br />
Personne n'apparaît; <strong>la</strong> nuit à mes regards<br />
Dérobe nos coursiers, nos combattans, nos chars.<br />
Daigne, ô grand Jupiter ! dissiper les ténèbres<br />
Qui couvrent tous les Grecs <strong>de</strong> leurs voiles funèbres,<br />
Et j si notre trépas est fixé sans r<strong>et</strong>our, _ '<br />
Du moins fais-nous périr à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté du jour. »
CHANT DIX-SEPTIÈME.- ' 2y3<br />
Jupiter que ses vœux <strong>et</strong> ses <strong>la</strong>rmes implorent,<br />
Ordonne : <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit les ombres s'évaporent';<br />
Le soleil se rallume, <strong>et</strong> ce champ meurtrier<br />
D'une vive splen<strong>de</strong>ur s'éc<strong>la</strong>ire tout entier.<br />
« Méné<strong>la</strong>s ! dit Àjax ; cours chercher Antiloque ;<br />
S'il <strong>sur</strong>vit aux dangers que sa valeur provoque ,<br />
De son plus cher ami qu'Antiloque à grands pas<br />
Au belliqueux Achille annonce le trépas. »<br />
Méné<strong>la</strong>s obéit <strong>et</strong> s'éloigne , semb<strong>la</strong>ble<br />
Au lion qui dans l'ombre envahit une étable j<br />
Où les chiens, les chasseurs autour <strong>de</strong> leurs troupeaux<br />
Durant <strong>la</strong> nuit entière ont veillé sans repos.<br />
Le monstre hal<strong>et</strong>ant, avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> carnage ,<br />
Consume en longs efforts son impuissante rage ,<br />
Se précipite <strong>et</strong> voit, les torches <strong>et</strong> les dards ,<br />
S'amassant contre lui, voler <strong>de</strong> toutes parts ;<br />
Le jour se lève, il fuit ; le chagrin le dévore<br />
Et, malgré sa- fureur, il s'épouvante encore.<br />
Méné<strong>la</strong>s craint <strong>de</strong> voir tout un peuple tremb<strong>la</strong>nt<br />
Cé<strong>de</strong>r aux ennemis le cadavre sang<strong>la</strong>nt,<br />
ce 0 noble Mérion ! Ajax ! chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce !<br />
Dit-il 5 rappelez-vous ce cœur plein <strong>de</strong> tendresse :<br />
2. 18
a74 L'ILIADE.<br />
Qu'il était généreux, tandis qu'il a vécu !<br />
Maintenant le Destin <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort Font vaincu. »<br />
A ces mots, Méné<strong>la</strong>s se r<strong>et</strong>ire <strong>et</strong> sa vue<br />
Des nombreux bataillons embrasse l'étendue.<br />
Lorsqu'au fond d'un taillis , l'aigle au perçant regard<br />
Voit le lièvre léger qui • se tient à l'écart,<br />
Son vol impétueux librement se déploie ,<br />
Et vainqueur, il saisît,
CHANT DÏX-SEPTIÈME. *75<br />
Et sa tremb<strong>la</strong>nte voix <strong>sur</strong> ses lèvres expire.<br />
Dans sa morne stupeur , mu<strong>et</strong> 7 il se r<strong>et</strong>ire,<br />
Et j docile aux avis <strong>de</strong> M éné<strong>la</strong>s reçus,<br />
Rem<strong>et</strong> sa bêle armure au fier Laodocus ,<br />
Qui près <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>bout, en maniant les gui<strong>de</strong>s,<br />
Dirigeait les chevaux munis d'ongles soli<strong>de</strong>s.<br />
Tel Antiloque en pleurs 7 loin du champ <strong>de</strong>s combats y<br />
Sinistre messager , précipite ses pas.<br />
Pour gui<strong>de</strong>r les soldats qu f Antiloque abandonne,<br />
Thrasymè<strong>de</strong> est le chef que Méné<strong>la</strong>s leur donne ;<br />
Ce roi, leur refusant son tuté<strong>la</strong>ïre appui ,<br />
Défenseur <strong>de</strong> Patrocle, accourt auprès <strong>de</strong> lui.<br />
D. rejoint les Ajax : « Vers <strong>la</strong> flotte d'Achille<br />
Antiloque f à ma voix , marche d'un pas docile ;<br />
Mais Àdhille', malgré sa fureur contre Hector,<br />
Viendra-t-il nous défendre <strong>et</strong> nous venger encor ?<br />
H ne-combattra point, puisqu'il n'a plus ses armes.<br />
Wespérons qu'en nous seuls, <strong>et</strong> bravant les a<strong>la</strong>rmes ,<br />
Songeons par quels moyens nos généreux efforts<br />
De Patrocle expiré pourront sauver le corps,<br />
Et j trompant <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> fureur obstinée,<br />
Lutter contre <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> fuir <strong>la</strong> Destinée. »<br />
18.
â7Ô L'ILIADE.<br />
« O Méné<strong>la</strong>s^ ! reprend le fils <strong>de</strong> Te<strong>la</strong>mon ;<br />
Ton <strong>la</strong>ngage est toujours dicté par <strong>la</strong> raison.<br />
Vole avec Mérion à ces combats funestes<br />
Arracher d'un héros les déplorables restes ,<br />
Tandis qu'à vos côtés, <strong>de</strong>s Troyens <strong>et</strong> d'Hector<br />
Tous <strong>de</strong>ux mon frère <strong>et</strong> moi nous détournons l'essor.<br />
Du même nom parés, fiers du même courage,<br />
Ensemble du Dieu Mars nous affrontons <strong>la</strong> rage. » »<br />
A peine les <strong>de</strong>ux chefs dans leurs bras vigoureux<br />
Ont enlevé du corps le far<strong>de</strong>au douloureux,<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens, en sa fureur subite,<br />
Avec <strong>de</strong>s cris confus au loin se précipite.<br />
Quand <strong>de</strong>s limiers ar<strong>de</strong>ns les efforts agresseurs<br />
Pressent un sanglier atteint par les chasseurs,<br />
Tous, altérés <strong>de</strong> sangf tous, b<strong>la</strong>ncliissans d'écume r<br />
Volent; mais le vaincu dont l'ar<strong>de</strong>ur se rallume,<br />
, Terrible, se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> <strong>la</strong> meute aux abois<br />
Se, disperse en fuyant dans l'épaisseur- <strong>de</strong>s bois :<br />
Telle, agitant le g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>la</strong> piquç acérée,<br />
S'é<strong>la</strong>nçait <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge serrée j<br />
Mais lorsque <strong>de</strong>s Ajax l'immobile valeur<br />
Résiste, leur visage a changé <strong>de</strong> couleur,
CHANT, DIX-SEPTIÈME. 277<br />
Et pas un n'ose alors au couple qui s'arrête<br />
Disputer plus long-temps sa sang<strong>la</strong>nte conquête.<br />
Lorsque les <strong>de</strong>ux guerriers vers les profonds vaisseaux<br />
Marchent ^ <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime emportant les <strong>la</strong>mbeaux 7<br />
Le combat 7 prolongé jusqu'au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />
Plus furieux encorf s'étend <strong>et</strong> se déchaîne :<br />
Ainsi j dans les remparts d'une vaste cité,<br />
Ec<strong>la</strong>te un feu soudain par les vents excité ;<br />
Chaque maison s'écroule, <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme hardie<br />
De débris en débris disperse l'incendie.<br />
Les fougueux combattans, les chars impétueux<br />
Confon<strong>de</strong>nt à grand bruit leur choc tumultueux.<br />
Comme <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mul<strong>et</strong>s le couple infatigable<br />
Que baigne <strong>la</strong> sueur , que <strong>la</strong> chaleur accable ,<br />
Dans un âpre sentier traîne loin d'un coteau<br />
La poutre d'un pa<strong>la</strong>is ou le mât d'un vaisseau :<br />
Mérion , Méné<strong>la</strong>s, dans leurs mains en<strong>la</strong>cées 7<br />
Emportent d'un ami les dépouilles g<strong>la</strong>cées. '<br />
Telle, pour ralentir dans les champs inondés<br />
Les rapi<strong>de</strong>s courans <strong>de</strong>s fleuves débordés,<br />
Une haute colline oppose à leur menace<br />
De ses arbres touffus l'irrésistible masse,
a78 L'ILIADE..<br />
Et, refou<strong>la</strong>nt au loin leurs liqui<strong>de</strong>s monceaux,<br />
S'oppose inébran<strong>la</strong>ble au choc bruyant <strong>de</strong>s eaux :<br />
Ainsi <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Ajax <strong>la</strong> valeur aguerrie<br />
Derrière eux <strong>de</strong>s Troyens comprime'<strong>la</strong> furie.<br />
Pourtant le fils d'Anchise <strong>et</strong> Fintrëpi<strong>de</strong> Hector,<br />
Acharnés <strong>sur</strong> les Grecs, les poursuivent encor ;<br />
Parmi tous les héros ils signalent leur rage..<br />
Gomme le geai timi<strong>de</strong> <strong>et</strong> Fétourneau sauvage<br />
S'envolent j en criant, à Faspect du vautour 7<br />
Ce vorace ennemi <strong>de</strong>s oiseaux d'alentour :<br />
Telles, <strong>de</strong> leurs c<strong>la</strong>meurs épouvantant ces rives ?<br />
Des fils <strong>de</strong> Danaûs les pha<strong>la</strong>nges craintives<br />
Devant les <strong>de</strong>ux Troyens précipitent leurs pas ,<br />
S'éloignent en désordre <strong>et</strong> cè<strong>de</strong>nt sans combats*<br />
Le fossé se remplit <strong>de</strong> leurs superbes armes,<br />
Et <strong>la</strong> guerre jamais n'interrompt ses a<strong>la</strong>rmes.<br />
FIN DU DIX-SEPTIEME CHANT.
CHANT DIX-HUITIÈME.
. SOMMAIRE DU CHANT DIX-HUITIEME.<br />
Achille apprend <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Patrocle j son désespoir. — Thétis cherche<br />
à le consoler; <strong>et</strong> lui défend <strong>de</strong> combattre jpsqu'à ce qu'elle lui<br />
apporte <strong>de</strong>s armes. — Achille désarmé m<strong>et</strong> les TYoyens en fuite. —<br />
Conseil <strong>de</strong>s Troyens. — Discours <strong>de</strong> Polydamas <strong>et</strong> d'Hector. —<br />
Achille rend les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>¥oirs à Patrocle. — Thétis <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />
Vulcain «ne armure pour son fils. — Description du bouclier <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />
armes 4*Achille.
L'ILIADE.<br />
CHANT DIX-HUITIÈME.<br />
Les peuples combattaient comme un feu dévorant ,<br />
Quand, messager rapi<strong>de</strong>, Antiloque en pleurant<br />
Accourt jusqu'à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce aux vaisseaux réservée ,<br />
Où seul f <strong>de</strong>vant sa flotte à <strong>la</strong> poupe élevée,<br />
Méditant du Destin les décr<strong>et</strong>s rigoureux ,<br />
Achille gémissait dans son cœur généreux :<br />
<strong>et</strong> O douleur ! pourquoi donc, en leur fuite soudaine,<br />
Les Grecs aux longs cheveux désertent-ils <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ?<br />
Puissé-je j ô justes Dieux ! voir enfin démentis<br />
Les présages cruel* révélés par Thétis !<br />
Sous le g<strong>la</strong>ive troyçn, lorsque je vis encore ><br />
Le plus brave guerrier dont mon pays s'honore,
a8â L'ILIADE.<br />
Fermera-t-il ses yeux à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté du jour ?<br />
Sans doute il est plongé dans l'infernal séjour.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! je l'exhortais à repousser <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />
Mais sans combattre Hector f sans marcher <strong>sur</strong> Pergame.<br />
Tandis que dans le fond <strong>de</strong> son cœur incertain<br />
Achille roule encor les arrêts 'du Destin,<br />
Le fils du vieux Nestor, s'approchant tout en <strong>la</strong>rmes,<br />
Par ce cruel récit confirme ses a<strong>la</strong>rmes :<br />
s Digne enfant <strong>de</strong> Pelée ! ô ciel ! malheur à moi !<br />
Je t'apporte un message <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> d'effroi.<br />
Les Dieux ne <strong>de</strong>y aient pas t'accabler <strong>de</strong> leur haine.<br />
Infortuné ! Patrocle est couché <strong>sur</strong> l'arène ;<br />
Du sang <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis son cadavre est souillé 7<br />
Et <strong>de</strong> sa riche armure Hector l'a dépouillé. »<br />
Antiloque se tait : un ténébreux nuage<br />
D'Achille pâlissant obscurcit le visage.<br />
De rage <strong>et</strong> <strong>de</strong> douleur à <strong>la</strong> fois transporté,<br />
Il déchire ce front, siège <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté ;<br />
Dans un sable brû<strong>la</strong>nt, dans une cendre épaisse ,<br />
De sa longue tunique il traîne <strong>la</strong> richesse f<br />
Arrache ses cheveux, <strong>et</strong>, consumé d'efforts 5<br />
Sur l'ari<strong>de</strong> poussière étend son vaste cofps.
CHANT DIX-HUITIEME, a83<br />
Bientôt, frappant les airs <strong>de</strong> leurs e<strong>la</strong>meurs pkinti vesf<br />
D'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Patrocle accourent les captives ;<br />
Leur bras désespéré meurtrit leurs cœurs sang<strong>la</strong>ns, •<br />
Et le sol voit fléchir leurs membres chance<strong>la</strong>ns.<br />
Les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs, Antiloque immobile<br />
Gémit, <strong>et</strong> dans ses mains r<strong>et</strong>ient les mains d'Achille,<br />
De crainte qu'égaré par un fatal transport,<br />
Ce héros à son fer ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort.<br />
Dans le gouffre où 7 <strong>de</strong>s mers Déesse vénérée}<br />
Thétis <strong>de</strong>meure assise auprès du vieux Nérée 7<br />
Aux douloureux sanglots <strong>de</strong> son fils éperdu<br />
Par <strong>de</strong>s gémissemens son cœur a répondu.<br />
A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thétis, dans ces pa<strong>la</strong>is humi<strong>de</strong>s<br />
S'assemblent à Fenvi les jeunes Néréi<strong>de</strong>s,<br />
G<strong>la</strong>ucé, Gallianire, Amphinome , Doris 7<br />
Halie au regard fier 7 Mélite au doux souris ,<br />
Apséu<strong>de</strong>, Proto 9 l'illustre Ga<strong>la</strong>tée ,<br />
<strong>la</strong>nasse} Orithye <strong>et</strong> <strong>la</strong> belle Amathée,<br />
Doto j Cymodocée} Agave 7 Amphithoè 7<br />
Némerte , Maïra, Spéïo, Cymothoè*,<br />
Jaïre avec Phéruse, Actée <strong>et</strong> Dynamène ,<br />
La légère Thalie <strong>et</strong> <strong>la</strong> tendre Glymène ,
284 L'ILIADE.<br />
Panope, Limnorie <strong>et</strong> mille autres encor<br />
Qui, <strong>de</strong> leur sein d'ivoire offensant le trésor 7<br />
De <strong>la</strong> grotte argentée envahissent l'enceinte ,<br />
Quand Thétis en ces mots <strong>la</strong>isse échapper sa p<strong>la</strong>inte :<br />
« Néréi<strong>de</strong>s ! silence ! apprenez quels malheurs<br />
De mon cœur déchiré nourrissent les douleurs.<br />
Déesse infortunée <strong>et</strong> déplorable mère,<br />
Sur moi le Sort jaloux fait peser sa colère.<br />
Au plus vail<strong>la</strong>nt héros j'avais donné le jour ;<br />
Entourant son enfance <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins <strong>et</strong> d'amour,<br />
Gomme une belle p<strong>la</strong>nte', honneur d'un sol fertile ,<br />
Joyeuse, je voyais s'élever mon Achille.<br />
C'est moi qui l'envoyai <strong>sur</strong> ses profonds vaisseaux<br />
De <strong>la</strong> guerre aux Troyens apporter les fléaux ;<br />
Mais il ne viendra plus sous le toit <strong>de</strong> Pelée<br />
Charmer par son r<strong>et</strong>our sa mère inconsolée.<br />
Dieux ! tandis qu'il respire <strong>et</strong> tandis que ses yeux<br />
Contemplent du soleil le f<strong>la</strong>mbeau radieux,<br />
La tristesse l'accable, <strong>et</strong> je ne puis encore<br />
Sou<strong>la</strong>ger ces chagrins que ma tendresse ignore.<br />
Allons ! ce fils chéri, je veux enfin le voir ;<br />
J'apprendrai quel suj<strong>et</strong> cause son désespoir. »
CHANT DIX-HUITIÈME. 285<br />
Aussitôt7 dé<strong>la</strong>issant sa grotte r<strong>et</strong>irée 7<br />
De ses nymphes en pleurs <strong>la</strong> Déesse entourée<br />
Part. Du vaste Océan les flots respectueux<br />
Suspen<strong>de</strong>nt 7 à sa voix 7 leur cours impétueux7<br />
S'ouvrent 7 <strong>et</strong> lui cédant un facile passage 7<br />
La transportent sans bruit vers <strong>la</strong> fécon<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ge<br />
Où tous les Myrmîdons7 oisifs au bord <strong>de</strong>s eaux 7<br />
Près <strong>de</strong>s vaisseaux d'Achille ont p<strong>la</strong>cé leurs vaisseaux.<br />
Vers son fils gémissant eUe vole <strong>et</strong> s'arrêle 7<br />
Mollement <strong>de</strong> ses bras environne sa tête 7<br />
Le regar<strong>de</strong> 7 soupire 7 <strong>et</strong> 7 parmi les sanglots 7<br />
D'une tremb<strong>la</strong>nte voix <strong>la</strong>isse tomber ces mots : •<br />
« Mon fils ! pourquoi pleurer ? quel chagrin te consume ?<br />
Ne puis-je en adoucir <strong>la</strong> cruelle amertume ?<br />
Parle : au fond <strong>de</strong> mon âme épanche tes aveux.<br />
Tu le sais ; Jupiter réalisa tes vœux ^<br />
Quand 7 les bras élevés f pour venger ton offense 7<br />
Naguère tu priais que le Grec sans défense 7<br />
Privé <strong>de</strong> ton appui 7 jusqu'aux mers repoussé 7<br />
Expirât sous les traits <strong>de</strong> ce Dieu courroucé. »<br />
Achille aux pieds légers 7 dans sa douleur amère7<br />
Répond çn soupirant : « O mon auguste mère I
a86 L'ILIADE.<br />
Si le roi <strong>de</strong> l'Olympe exauça mes souhaits y<br />
A quel prix je payai ses perfi<strong>de</strong>s bienfaits I<br />
Ce héros dont toujours je cherchai, l'assistance,<br />
Ce compagnon , pour moi cher comme Fexistence ?<br />
Mon plus fidèle ami, Patrocïe enfin est mort.<br />
C'était peu d'envoyer son âme au sombre bord :<br />
Hector s'est emparé <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te riche armure<br />
Dont Pelée a reçu <strong>la</strong> divine parure ,<br />
Le jour? le jour funeste où les Dieux ont permis<br />
Qu'au lit d'une Déesse un mortel fut admis.<br />
Plût au ciel que, <strong>de</strong>s flots tranquille souveraine 7<br />
Tu n'eusses pas formé c<strong>et</strong>te fatale chaîne !<br />
Quelle source éternelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil !<br />
Ta douleur va bientôt gémir <strong>sur</strong> mon cercueil.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! par mon r<strong>et</strong>our les foyers <strong>de</strong> mon père<br />
Ne me reverront pas consoler ta misère.<br />
Au nombre <strong>de</strong>s humains si je <strong>de</strong>meure encor,<br />
C'est pour venger Pàtrocle en immo<strong>la</strong>nt Hector, »<br />
La Déesse répond , les yeux baignés <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes :<br />
« Tu sais trop le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mes vives a<strong>la</strong>rmes j<br />
Mon fils ! si tu combats, ton trépas est certain j<br />
Suivre Hector au cercueil 7 tel sera ton <strong>de</strong>stin. »
CHANT DIX-HUITIÈME. 287<br />
« Eh bien ! mourons, reprend Achille au piedrapi<strong>de</strong>^<br />
Mourons, puisqu'il n'est plus, ce héros intrépi<strong>de</strong>,<br />
Qui j loin <strong>de</strong> son pays frappé dans les combats,<br />
A sans doute imploré le secours <strong>de</strong> mon bras.<br />
3e ne rentrerai pas dans ma douce patrie ;<br />
Car je n f ai pu d'Hector enchaîner <strong>la</strong> furie,<br />
Et j'ai <strong>la</strong>issé Patrocle avec mile guerriers<br />
Tomber impunément sous ses coups meurtriers.<br />
Assis près <strong>de</strong> ma flotte, en mon camp solitaire,<br />
Trop long-temps f ai <strong>la</strong>ngui, vain far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />
Moi qui seul, <strong>de</strong>s combats arbitre souverain,<br />
Éclipsais tous les Grecs aux cuirasses d 5 airaïn ;<br />
Dansle sein <strong>de</strong>s Conseils d'autres chefs me <strong>sur</strong>passent,<br />
Mais a n'est pas d'exploits que mes exploits n'effacent.<br />
Ah ! parmi les humains, parmi les immortels ,<br />
Périssent <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> ses feux criminels !<br />
Périsse <strong>la</strong> colère I En vain au cœur du sage,<br />
Plus douce que le miel, sa voix s'ouvre un passage ;<br />
Son <strong>la</strong>ngage bientôt distille le poison,<br />
Et ses noires vapeurs corrompent <strong>la</strong> raison.<br />
Ainsi, le roi <strong>de</strong>s Grecs, Atrï<strong>de</strong> a dans mon âme<br />
Allumé du courroux l'impétueuse f<strong>la</strong>mme.
288 L'ILIADE.<br />
Plus <strong>de</strong> ressentiment ! qu'en un profond oubli<br />
Le passé désormais <strong>de</strong>meure enseveli.<br />
Je cherche l'ennemi dont le bras sanguinaire<br />
Ravit à ma tendresse une tête si chère,<br />
Hector. Soumis aux Dieux, je ne me p<strong>la</strong>indrai pas f<br />
Lorsque viendra le jour marqué pour mon trépas.<br />
L'ami <strong>de</strong> Jupiter} le généreux Alci<strong>de</strong><br />
N'a pu se dérober à <strong>la</strong> Parque homici<strong>de</strong> ;<br />
La haine <strong>de</strong> Junon <strong>et</strong> les arrêts du sort<br />
L'ont vaincu ; je suis prêt à recevoir <strong>la</strong> mort ;<br />
Mais je veux me couvrir d'une <strong>de</strong>rnière gloire.<br />
Chaque belle Troyenne, abhorrant ma victoire,<br />
Meurtrira son visage, <strong>et</strong> y vouée aux douleurs ?<br />
Lèvera ses <strong>de</strong>ux mains pour ésâuyer ses pleurs ;<br />
Le cœur gros <strong>de</strong> soupirs, toutes vont reconnaître<br />
Que long-temps aux combats je cessai <strong>de</strong> paraître.<br />
Loin <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars ne crois pas m'enchaîner ;<br />
Tonamour^ quel qu'il sôit, ne p<strong>et</strong>it m'en détourner. »<br />
Thétis aux pieds- d'argent en ces mots* lui réplique :<br />
« Oui, j'approuve 1 ô mon fils 1 ce transport héroïque ;<br />
Venger <strong>et</strong> secourir ses amis malheureux f<br />
C'est le <strong>de</strong>voir sacré d'un guerrier généreux.
CHANT DIX-HUITIÈME. *89<br />
Maïs Hector, éta<strong>la</strong>nt sa conquête nouvelle,<br />
Triomphe , <strong>et</strong> <strong>sur</strong> son dos ton armure étincelle ;<br />
L'insensé paîra cher c<strong>et</strong> orgueil d'un moment,<br />
Et le trépas vers lui marche rapi<strong>de</strong>ment*<br />
Avant <strong>de</strong> t'exposer aux hasards <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre 1<br />
Attends encore ici le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> ta mère ;<br />
Car j au soleil levant, tu recevras <strong>de</strong>main<br />
Une éc<strong>la</strong>tante armure ? œuvre du roi Vulcain. »<br />
En achevant ces mots 7 Fimmortelle Déesse 7<br />
S'éloignant <strong>de</strong> son fils f à ses nymphes s'adresse :<br />
« Omes sœurs ! plongez vous dans le gouffre <strong>de</strong>s merS|<br />
Et r<strong>et</strong>rouvant Nérée en ses pa<strong>la</strong>is déserts 7<br />
Contez-lui mes douleurs. Sous <strong>la</strong> céleste voûte 7<br />
Vers l'habile Vulcain me frayant une route,<br />
Je cours solliciter <strong>de</strong> son art comp<strong>la</strong>isant<br />
Des armes <strong>de</strong> mon fils le glorieux présent. »<br />
Elle dit : à sa voix , les belles Néréi<strong>de</strong>s<br />
Se replongent au fond <strong>de</strong> leurs grottes humi<strong>de</strong>s f<br />
Et 7 pour en rapporter un trésor précieux 7<br />
Thétis aux pieds d'argent s'élève jusqu'aux cieux.<br />
La flotte <strong>et</strong> FHeUespont vers les rives tremb<strong>la</strong>ntes<br />
Ont vu s'enfuir les Grecs aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes ;<br />
a. *i9
29o L'ILIADE.<br />
Par Fliomici<strong>de</strong> Hector poursuivis, accablés ,<br />
Tous ébranlent les airs <strong>de</strong> leurs cris redoublés.<br />
Leur valeur 7 <strong>de</strong> Patrocle embrassant <strong>la</strong> défense 1<br />
En vain <strong>de</strong>s traits nombreux croit détourner Poffense ;<br />
Sous le poids <strong>de</strong>s coursiers, sous <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s chars<br />
Le cadavre sang<strong>la</strong>nt roule <strong>de</strong> toutes parts ;<br />
Trois fois l'illustre Hector 7 ar<strong>de</strong>nt comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ,<br />
L'entraîne , en excitant les peuples <strong>de</strong> Pergame ,<br />
Et tous <strong>de</strong>ux revêtus d'un courage indompté ,<br />
Les Ajax triomphans Font trois fois écarté.<br />
flector, qui se confie en sa mâle vail<strong>la</strong>nce,<br />
S'arrête 7 ou dans <strong>la</strong> foule impatient s'é<strong>la</strong>nce ;<br />
Sans jamais reculer ? il <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>bout,<br />
Et ses cris furieux r<strong>et</strong>entissent partout.<br />
Tel j bravant les pasteurs 7 dans son avi<strong>de</strong> joie 7<br />
Un lion affamé ne lâche pas sa proie :<br />
Ainsi dans son courroux le Trojen affermi<br />
S'acharne obstinément <strong>sur</strong> son pâle ennemi.<br />
Peut-être <strong>de</strong> Patrocle il se fût rendu maître ;<br />
Un éternel honneur l'eût couronné peut-être 7<br />
Si j trompant Jupiter <strong>et</strong> tous les autres Dieux 7<br />
A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Junon 7 <strong>la</strong> courrière <strong>de</strong>s cieux 7
CHANT DIX-HUITIÈME.. *gi<br />
Iris n'eût <strong>de</strong> ses pas porté l'essor agile<br />
Des hautçurs <strong>de</strong> l'Olympe aux navires d'Achille.<br />
« Debout , fils <strong>de</strong> Pelée , invincible héros !<br />
Viens délivrer Patrocle ; à l'aspect <strong>de</strong>s vaisseaux ,<br />
Deux peuples, pour lui seul rallumant les batailles,<br />
L'un <strong>sur</strong> l'autre à l'envi <strong>la</strong>ncent les funérailles.<br />
Tous les Troyens voudraient par leurs efforts constans<br />
L'entraîner dans Pergame exposée aux autans ;<br />
L'illustre Hector, jaloux d'une horrible conquête, •<br />
Loin du cou délicat va séparer <strong>la</strong> tête ;<br />
A quelque vil poteau ses mains <strong>la</strong> suspendront...<br />
Lève-toi donc ! agis <strong>et</strong> préviens c<strong>et</strong> affront.<br />
Quel opprobre pour toi dans <strong>la</strong> race future,<br />
Si <strong>de</strong>s chiens dHion ce corps est <strong>la</strong> pâture ! »<br />
Achille l'interrompt : « Parle, ô divine Iris !_<br />
Quel Dieu t'a fait quitter les célestes <strong>la</strong>mbris ? »<br />
Iris reprend : « Junon <strong>de</strong>s ombres du mystère<br />
Entourant avec art mon départ solitaire ,<br />
A trompé son époux <strong>et</strong> ces Dieux immortels,<br />
De l'Olympe neigeux habitans éternels. »<br />
« Eh ! comment <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre affronter les.a<strong>la</strong>rmes?<br />
S'écrie alors Achille ; ils possè<strong>de</strong>nt mes armes.<br />
l 9-
292 L'ILIADE.<br />
Une mère adorée ici r<strong>et</strong>ient mes pas 1<br />
Et jusqu'à son r<strong>et</strong>our m'interdit les combats ;<br />
Des pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Vulcain avant que sous ma tente<br />
Tliétis m'ait apporté mon armure éc<strong>la</strong>tante f<br />
Quel ami me pourrait cé<strong>de</strong>r son bouclier ?<br />
Le grand Ajax lui seul ; mais ce hardi guerrier<br />
Pour Patrocle, j'espère ? illustre son courage,<br />
Et sème aux premiers rangs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le carnage. »<br />
« Nous savons, dit <strong>la</strong> nymphe aux pieds aériens 7<br />
Que ta divine armure enrichit les Troyens.<br />
Mais viens jusqu'au fossé ; parais : que ta vail<strong>la</strong>nce<br />
Réprime <strong>de</strong>s vainqueurs <strong>la</strong> superbe insolence ;<br />
Tous fuiront éperdus 7 <strong>et</strong> les Grecs satisfaits<br />
D'un instant <strong>de</strong> repos goûteront les bienfaits. »<br />
Dès qu'il voit s'échapper Iris au vol rapi<strong>de</strong> f<br />
H se lève ; PaHas le couvre <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong>,<br />
Et d'un nuage d'or son front environné<br />
De feux inattendus resplendit couronné.<br />
Souvent, <strong>de</strong>s bords lointains d'une île étince<strong>la</strong>nte 7<br />
Monte jusques aux cieux <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme vigi<strong>la</strong>nte ;<br />
Le jour 9 les habitans, sortis <strong>de</strong> leurs remparts ?<br />
Volent, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s combats provoquent les hasards.
CHANT DIX-HUITIÈME. 293<br />
Mais lorsque le soleil termine sa carrière ,<br />
De leurs nombreux signaux <strong>la</strong> nocturne lumière<br />
Ec<strong>la</strong>te 1 dans l'espoir qu'ils verront <strong>sur</strong> les eaux<br />
Des alliés voisins accourir les vaisseaux :<br />
Ainsi <strong>de</strong> mille feux étincelle sa télé.<br />
Sur les bords du fossé son courage s'arrête ;<br />
Aux ordres maternels avec respect soumis f<br />
H ne se j<strong>et</strong>te pas dans les rangs ennemis.<br />
C'est là que seul f <strong>de</strong>bout f il pousse un cri terrible,<br />
Et Pal<strong>la</strong>s lui répond par un cri plus horrible.<br />
Parmi tous les Troyens le désordre s'étend *<br />
Partout règne l'effroi. Comme- une viflte entend<br />
La tromp<strong>et</strong>te sonner le signal <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes,<br />
Rassembler tout un peuple <strong>et</strong> l'appeler aux armes :<br />
Ainsi sa voix d'airain rugit ; <strong>de</strong> toutes parts<br />
Les superbes coursiers 7 les écuyers, les chars<br />
Reculent à l'aspect <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme rapi<strong>de</strong><br />
Dont PaHas couronna <strong>la</strong> tète d'Éaci<strong>de</strong>.<br />
Trois fois Achille crie ; aux accens <strong>de</strong> sa voix ,<br />
Les Troyens effrayés se dispersent trois fois ;<br />
Parmi leurs alliés douze chefs qui succombent,<br />
Sousleurs<strong>la</strong>nces?leurscharss'embarrassentefe-toiribent?
294 L'ILIADE. •<br />
Par les Grecs cependant à <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s traits<br />
Les débris <strong>de</strong> Patrocle aisément sont soustraits,<br />
Et d'un torrent <strong>de</strong> pleurs ses compagnons arrosent<br />
La couche funéraire où leurs mains le déposent.<br />
Achille qui les suit, d'un oeil désespéré<br />
Voit par l'airain cruel son ami déchiré ;<br />
Il le baigne à longs flots <strong>de</strong> ses brû<strong>la</strong>ntes <strong>la</strong>rmes.<br />
Naguère il l'envoya, revêtu <strong>de</strong> ses aVmes,<br />
Sur son rapi<strong>de</strong> char combattre... Mais hé<strong>la</strong>s !<br />
Au moment du r<strong>et</strong>our il ne le reçut pas.<br />
L'infatigable Dieu qui brille <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>,<br />
Par Junon aux grands yeux précipité dans Fon<strong>de</strong>7<br />
Ne s'éteint qu'à regr<strong>et</strong> j dans le champ <strong>de</strong>s combats 7<br />
Les Grecs cessent alors <strong>de</strong> semer le trépas.<br />
Les Troyens, à leur tour, s'éloignent <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
Et délivrent du joug les coursiers hors d'haleine.<br />
Avant que <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s on dresse l'appareil,<br />
Tous forment à <strong>la</strong> hâte un nocturne Conseil.<br />
Chaque soldat f <strong>de</strong>bout, en silence, immobile 7<br />
Frappé du même effroi, pense revoir Achille 7<br />
Achille j dont long-temps le courage indigné<br />
Languit dans le repos ? <strong>de</strong>s combats éloigné.
CHANT' DIX-HUITIEME. a95<br />
Enfin 7 Polydamas , sage fils <strong>de</strong> Pantliée,<br />
Ras<strong>sur</strong>e le premier <strong>la</strong> foule épouvantée j<br />
Ce qui fut autrefois, ce qui n*est pas encor,<br />
Seul il a tout connu ; ce noble ami d'Hector ?<br />
Ce compagnon <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> son adolescence<br />
Durant <strong>la</strong> "même nuit a reçu <strong>la</strong> naissance 9<br />
Et tous <strong>de</strong>ux, signa<strong>la</strong>nt ou leur 'voix ou leur bras,<br />
Brillent, Fun aux Conseils, Fautre dans les combats.<br />
Polydamas se lève : 4 Amis ! que <strong>la</strong> sagesse,<br />
Présente à vos esprits, vous dirige sans cesse ,<br />
Et loin <strong>de</strong> vos remparts, n'allez point jusqu'au jour<br />
De <strong>la</strong> divine Aurore attendre le r<strong>et</strong>our.<br />
Pour trouver dans Pergame un abri tuté<strong>la</strong>ire 7<br />
Partez : tant que c<strong>et</strong> homme a gardé sa colère,<br />
Enivré d'un triomphe aisément obtenu ,<br />
Moi-même , nuit <strong>et</strong> jour ,-<strong>sur</strong> ces bords r<strong>et</strong>enu ,<br />
Je veil<strong>la</strong>is, dans l'espoir que mon hardi courage<br />
Sur <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong>ncerait le ravage ;<br />
Maïs le fils <strong>de</strong> Pelée excite ma terreur.<br />
Troyens ! n'espérez pas, dans votre vaine erreur,<br />
Que son brû<strong>la</strong>nt courroux seulement nous dispute<br />
C<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ine , l'obj<strong>et</strong> d'une terrible lutte ;
a96 L'ILIADE.<br />
Bientôt il vous faudra <strong>de</strong> ses coups triomphans<br />
Garantir vos maisons, vos femmes , vos enfans.<br />
Gourez donc à vos murs <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un asyle ;<br />
Croyez-en mes terreurs <strong>et</strong> redoutez Achille.<br />
Achille encor sommeille , <strong>et</strong> seule à son courroux<br />
La Nuit divine oppose un obstacle jaloux ;<br />
Mais <strong>de</strong>main, <strong>sur</strong> ces bords s'il nous voit reparaître ,<br />
Son g<strong>la</strong>ive dans ses mains se fera reconnaître.<br />
Heureux qui , par <strong>la</strong> fuite évitant le trépas ,<br />
Dans nos remparts sacrés aura porté ses pas !<br />
Que <strong>de</strong> Troyens , grandsDïeux ! détournez c<strong>et</strong> augure,<br />
Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours <strong>de</strong>viendront <strong>la</strong> pâture !<br />
Si, domptant vos regr<strong>et</strong>s, cédant à mon conseil,<br />
C<strong>et</strong>te nuit, <strong>de</strong>s combats vous hâtez l'appareil.<br />
L'audace renaîtra dans nos âmes guerrières ;<br />
Hion, entouré d'invincibles barrières,<br />
Peut <strong>de</strong> ses hauts remparts <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>rges tours<br />
A <strong>la</strong> fureur d'Achille opposer le secours.<br />
Dès le réveil du jour, <strong>de</strong>main, <strong>sur</strong> nos murailles<br />
Nous paraîtrons , <strong>de</strong>bout, armés pour les batailles;<br />
Qu'Achille jusqu'à nous s'avance, <strong>et</strong> le Destin<br />
Réserve à son audace un châtiment certain,
CHANT DIX-HUITIEME. 297<br />
Loin <strong>de</strong> poursuivre encor sa route périlleuse<br />
En <strong>la</strong>ssant ses coursiers à <strong>la</strong> tête orgueilleuse 7<br />
D fuira sans nous vaincre^ <strong>et</strong> les chiens dévorans<br />
S'arracheront plutôt ses membres expirans. »<br />
Hector roule <strong>de</strong>s yeux étïnce<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> rage :<br />
ce Un semb<strong>la</strong>ble conseil me <strong>sur</strong>prend <strong>et</strong> m'outrage,<br />
Polydamas ! Faut-il dans l'ombre <strong>de</strong> nos murs<br />
Ensevelir toujours nos courages obscurs 1<br />
Et <strong>de</strong>vons-nous souffi-ir que, <strong>de</strong>puis tant d'années,<br />
Nos troupes au repos <strong>la</strong>nguissent condamnées ?<br />
Jadis tous les mortels vantaient notre gran<strong>de</strong>ur ;<br />
Maintenant 5 Ilion 1 déchu <strong>de</strong> sa splen<strong>de</strong>ur,<br />
Voit les champs phrygiens enrichis <strong>de</strong> ses pertes,<br />
Ses remparts dépouillés <strong>et</strong> ses maisons désertes ;<br />
La guerre a dévoré tout l'airain <strong>et</strong> tout For<br />
Dont une paix fécon<strong>de</strong> amassa le trésor.<br />
Lorsqu'enfînf désarmant sa trop longue vengeance,<br />
Jupiter avec moi combat d'intelligence ?<br />
Quand les Grecs <strong>sur</strong> ces bords périssent sans secours 7<br />
Insensé ! ne va point semer <strong>de</strong> tels discours.<br />
Repoussez le conseil dicté par ses a<strong>la</strong>rmes ,<br />
Mes amisï conservez <strong>et</strong> vos rangs <strong>et</strong> vos armes;
acjg L'ILIADE.<br />
Préparez les festins ; gar<strong>de</strong>s ! <strong>de</strong> toute part<br />
Portez autour <strong>de</strong> vous un vigi<strong>la</strong>nt regard.<br />
S'il est quelque guerrier qu'en secr<strong>et</strong> importune<br />
Le soin embarrassant <strong>de</strong> sa vaste fortune,<br />
S'il tremble ? qu'aussitôt rassemb<strong>la</strong>nt tous ses biens 7<br />
Par un juste partage il les livre aux Troyens,<br />
Et que le Grec , déçu dans son espoir avare,<br />
A l'en dépossé<strong>de</strong>r vainement se prépare.<br />
Demain, lorsque le jour brûlera dans les airs?<br />
Gourons éveiller Mars <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers.<br />
Si le divin Achille, altéré <strong>de</strong> carnage,<br />
Reparaît à nos yeux , je brave son courage ;<br />
Dans les combats sang<strong>la</strong>ns je ne le fuirai pas.<br />
Ce jour doit éc<strong>la</strong>irer sa chute ou mon trépas.<br />
Mars est le Dieu commun , <strong>et</strong> privé <strong>de</strong> sa gloire 7<br />
Quelquefois le vainqueur périt dans sa victoire. »<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens lui répond par <strong>de</strong>s cris.<br />
Les insensés ! Minerve égare leurs esprits ;<br />
En vain Polydamas au départ les exhorte;<br />
L'avis fatal d'Hector est l'avis qui l'emporte.<br />
Le banqu<strong>et</strong> terminé f les Grecs ? baignés <strong>de</strong> pleurs 7<br />
Consacrent à Patrocle une nuit <strong>de</strong> douleurs j
CHANT DIX-HUITIÈME. 299<br />
Achille, le premier 1 dans sa main homici<strong>de</strong><br />
Pressant <strong>de</strong> son ami <strong>la</strong> poitrine livi<strong>de</strong> ,<br />
Trahit son désespoir par <strong>de</strong>s sanglots bruyans.<br />
Le lion 1 orgueilleux <strong>de</strong> ses crins ondoyans,<br />
En cherchant <strong>la</strong> famille, à sa sombre r<strong>et</strong>raite<br />
Par- <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s chasseurs adroitement soustraite f<br />
Dans les vallons lointains <strong>et</strong> dans les bois profonds<br />
Précipite ses pas ar<strong>de</strong>ns <strong>et</strong> vagabonds,<br />
Partout du ravisseur interroge <strong>la</strong> trace,<br />
Se <strong>la</strong>mente <strong>et</strong> rugit 9 se désole <strong>et</strong> menace :<br />
Tel Achille, entouré <strong>de</strong>s soldats gémissans,<br />
Exhale sa douleur en lugubres accens :<br />
« Grands Dieux! Ménétïus, trompé dans sa tendresse,<br />
Espérait 9><strong>sur</strong> <strong>la</strong> foi d'une fausse promesse,<br />
Que dans Oponte un jour son fils victorieux<br />
Reparaîtrait, chargé d'un butin glorieux.<br />
Mais Jupiter, rebelle à nos prières vaines,<br />
Waccomplit pas toujours les volontés humaines.<br />
Patrocle a succombé; <strong>de</strong> son sang <strong>et</strong> du mien<br />
Le Destin rougira le rivage troyen.<br />
Le vieux guerrier Pelée <strong>et</strong> ma divine mère<br />
Ne me reverront plus sous leur toit solitaire.
3oo L'ILIADE.<br />
Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our ; ici mon sort va s ? accomplïr<br />
Et <strong>la</strong> terre en ses f<strong>la</strong>ncs m'y doit ensevelir.<br />
Si les Dieux <strong>sur</strong> ces bords veulent que je succombe,<br />
S'il me faut le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>scendre dans <strong>la</strong> tombe 7<br />
Patroele ! ô tendre obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>s éternels !<br />
Avant <strong>de</strong> t'accor<strong>de</strong>r les honneurs solennels 9<br />
De ton ombre irritée apaisant le murmure,<br />
Je te prom<strong>et</strong>s d'Hector <strong>et</strong> <strong>la</strong> tête <strong>et</strong> l'armure, •<br />
Et douze beaux Troyens 9 égorgés par mon bras?<br />
Sur ton bûcher fumant vengeront ton trépas.<br />
Toi, jusqu'à ce moment <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong> ces rives. ;<br />
Les femmes d'Ilïon 1 tant <strong>de</strong> jeunes captives,<br />
Soumises à nos lois, lorsqu'on nos fortes main&<br />
La <strong>la</strong>nce ravageait les cités <strong>de</strong>s humains r<br />
Pleurant à tes côtés , <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>uil unanime<br />
T'offriront nuit <strong>et</strong> jour le tribut légitime. »<br />
A ces mots? il comman<strong>de</strong> <strong>et</strong> les nombreux guerrriers<br />
Éten<strong>de</strong>nt à Fenvï <strong>sur</strong> les ar<strong>de</strong>ns brasiers<br />
Un trépied où leurs mains versent Fon<strong>de</strong> limpi<strong>de</strong> 1<br />
Qui doit <strong>la</strong>ver le corps <strong>de</strong> l'ami d'Eaci<strong>de</strong>..<br />
On entasse le bois ; le feu qui resplendit ?<br />
Autour du <strong>la</strong>rge vase <strong>et</strong> s'élève <strong>et</strong> grandit %
CHANT DIX-HUITIEME. 3oi<br />
Tandis que Peau s'échauffe <strong>et</strong> dans Pairain sonore<br />
Tourbillonne, s'apaise <strong>et</strong> tourbillonne encore.<br />
Quand les Grecs empressés aux membres du héros<br />
D'une huile adoucissante ont prodigué les flots,<br />
Un baume <strong>de</strong> neuf ans , arrosant ses bles<strong>sur</strong>es,<br />
De son impur cadavre enlève les souillures ,<br />
Et couvert du linceul, <strong>sur</strong> un lit parfumé<br />
Dans un voile éc<strong>la</strong>tant il repose enfermé.<br />
Durant toute <strong>la</strong> nuit, <strong>la</strong> foule consternée<br />
Déplore du héros <strong>la</strong> triste <strong>de</strong>stinée.<br />
Jupiter blâme ainsi son épouse <strong>et</strong> sa sœur :<br />
« Eh bien ! Achille aux Grecs prom<strong>et</strong> un défenseur.<br />
Tes désirs sont remplis... Sans doute à ta puissance<br />
Ces Grecs aux longs cheveux doivent tous <strong>la</strong> naissance, »<br />
« Cruel fils <strong>de</strong> Saturne ! ô mon terrible époux !<br />
Reprend Junon; pourquoi ce superbe courroux?<br />
Un mortel dont le sort borna l'intelligence.,<br />
Sur un autre mortel assouvit sa vengeance ,<br />
Et moi, qu'on voit marcher souveraine <strong>de</strong>s cîeux,<br />
Moi, que l'hymen attache au monarque <strong>de</strong>s Dieux?<br />
Je ne peux, apaisant ma colère divine,<br />
Des Troyens abhorrés méditer <strong>la</strong> ruine ! »
3o3<br />
L'ILIADE.<br />
Comme ils par<strong>la</strong>ient, Thétis monte au pa<strong>la</strong>is d'airain^<br />
Chef-d'œuvre étince<strong>la</strong>nt du ciseau <strong>de</strong> Vulcain.<br />
Ce boiteux ouvrier, près <strong>de</strong> <strong>la</strong> forge ar<strong>de</strong>nte<br />
D f où les vents font sortir leur haleine grondante f<br />
Achève en hal<strong>et</strong>ant vingt trépieds radieux f<br />
Qui doivent tous, promis aux <strong>de</strong>meures <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Sur <strong>de</strong> grands cercles d'or, 6 prodiges suprêmes !<br />
Se mouvoir, s'avancer <strong>et</strong> reculer d'eux-mêmes.<br />
Le métal, r<strong>et</strong>iré <strong>de</strong>s immenses fourneaux f<br />
Docile , se façonne en flexibles anneaux.<br />
Tandis qu'avec ar<strong>de</strong>ur sa main <strong>la</strong>borieuse<br />
Des anses arrondit <strong>la</strong> forme industrieuse,<br />
Thétis aux pieds d'argent se présente ; soudain<br />
L'élégante Charis, l'épouse <strong>de</strong> Vulcain}<br />
La première , à grands pas s'é<strong>la</strong>nce au <strong>de</strong>vant d'elle,<br />
D f abord, lui prend <strong>la</strong> main, puis <strong>la</strong> nomme <strong>et</strong> FappeHe :<br />
« Obj<strong>et</strong> cher <strong>et</strong> sacré d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> respect !<br />
Déesse au <strong>la</strong>rge voile ! à ton auguste aspect,<br />
Je <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong>prise... Après ta longue absence ,<br />
Pourquoi dans ce pa<strong>la</strong>is nous rendre ta présence?<br />
Parle, afin qu'à l'envi notre zèle excité<br />
Te prodigue les dons <strong>de</strong> l'hospitalité. »
CHANT DIX-HUITIÈME. 3o3<br />
Thétis <strong>sur</strong> un beau trône où Fargent étincelle,<br />
Se p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> sous ses pieds s'élève une escabelle.<br />
Qiaris dit à Vulcain : « O mon époux ! accours.<br />
Thétis même, Thétis implore ton secours. »<br />
« Oui, réplique Vulcain ; oui 7 que c<strong>et</strong>te Déesse<br />
Soit comblée en ces lieux d'honneur <strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse !<br />
Seule , elle m'a sauvé 9 le jour où Jupiter<br />
Précipitant mes pas du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> Féther 7<br />
M'aurait plongé mourant dans le fond du Tartare ?<br />
Par le fatal conseil d'une mère barbare 1<br />
Qui vou<strong>la</strong>it <strong>de</strong> son fils chance<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> boiteux<br />
Cacher aux immortels le spectacle honteux.<br />
Eurynome <strong>et</strong> Thétis, filles du roi <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s ?<br />
Entrouvrirent pour moi leurs <strong>de</strong>meures profon<strong>de</strong>s ;<br />
C'est là j qu'environné <strong>de</strong>s flots r<strong>et</strong>entissans 1<br />
Aux mortels comme aux Dieux caché durant neuf ans 7<br />
Pour orner les attraits <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>ux bienfaitrices f<br />
D'un art novice encor leur vouant les prémices,<br />
Je vis For sous mes mains en anneaux se plier 1<br />
Se courber en agrafe <strong>et</strong> s'étendre en collier.<br />
Thétis aux beaux cheveux par un juste sa<strong>la</strong>ire<br />
Verra récompenser sa bonté tute<strong>la</strong>ire.
3o4 L'ILIADE.<br />
Offre-lui nos présens; moi, je vais à l'écart<br />
Déposer ces obj<strong>et</strong>s -7 instrumens <strong>de</strong> mon art. »<br />
Loin <strong>de</strong> l'enclume, alors ? <strong>sur</strong> sa jambe incertaine<br />
Avec <strong>de</strong>s efforts lents l'énorme Dieu se traîne,<br />
Repousse les souffl<strong>et</strong>s <strong>et</strong> d'un bras diligent<br />
Renferme les marteaux dans un coffre d'argent.<br />
L'éponge aux f<strong>la</strong>ncs poreux, qu'entre ses doigts il pressef<br />
Lave son front noirci d'une fumée épaisse,<br />
Son cou nerveux ? son sein <strong>de</strong> longs poils hérissé.<br />
Quand le'manteau <strong>de</strong> pourpre 7 à son corps en<strong>la</strong>cé, '<br />
Flotte j pour soutenir ses forces abattues<br />
S'avancent près <strong>de</strong> lui ces vivantes statues y<br />
Ce <strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves d'or qui <strong>de</strong>s Dieux autrefois<br />
Reçurent <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> force <strong>et</strong> <strong>la</strong> voix.<br />
A peine , armé du sceptre, en sa marche indécise,<br />
Il parvient jusqu'au trône où Thétis est assise,<br />
H prend sa main : ce Déesse f obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> notre amour !<br />
Quel intérêt nouveau t'amène en ce séjour?<br />
Dès long-temps nos regards appe<strong>la</strong>ient ta présence.<br />
Parle : qu'exiges-tu <strong>de</strong> mon obéissance?<br />
Explique-toi ; soudain f mon art officieux,<br />
S'il peut les accomplir 7 accomplira tes vœux* »
CHANT DIX-HUITIÈME. 3o5<br />
Mais Thétis dont les pleurs inon<strong>de</strong>nt le visage :<br />
« O Vulcain 1 <strong>de</strong> quels maux j'ai fait Fâpprentissage !<br />
Est-il une Déesse f habitante du ciel,<br />
Qu'ait jamais accablée un malheur plus cruel ?<br />
Seule 1 <strong>de</strong> Jupiter victime infortunée 7<br />
Seule au lit d'un mortel je me vis enchaînée ?<br />
Et ce mortel y courbé sous le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s ans7<br />
Traîne dans son pa<strong>la</strong>is ses <strong>de</strong>stins <strong>la</strong>nguissans.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! c'est peu ; du ciel <strong>la</strong> jalouse colère<br />
A tant <strong>de</strong> maux passés joint une autre misère*<br />
Au plus vail<strong>la</strong>nt héros j'avais donné le jour ; ><br />
Entourant son enfance <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins <strong>et</strong> d'amour 1<br />
Gomme une belle p<strong>la</strong>nte, honneur d'un sol fertile 1<br />
Joyeuse j-je voyais s'élever mon Achille.<br />
C'est moi qui Fenvoyai <strong>sur</strong> ses. profonds vaisseaux<br />
De <strong>la</strong> guerre aux Troyens. apporter les fléaux ;<br />
Maisil ne viendra plus sous le toit <strong>de</strong> Pelée<br />
Charmer par son r<strong>et</strong>our sa mère inconsolée.<br />
Dieux'I tandis qu'il respire <strong>et</strong> tandis que ses yeux<br />
Contemplent du soleil le f<strong>la</strong>mbeau radieux,<br />
La tristesse l'accable <strong>et</strong> je ne puis encore<br />
Sou<strong>la</strong>ger ce chagrin qui toujours le dévore,<br />
a. ao
3o6 L'ILIADE.<br />
Agamemnon l'outrage 5 il arrache à ses lois<br />
L'esc<strong>la</strong>ve dont les Grecs payèrent ses exploits,<br />
Et bientôt dans son camp <strong>la</strong> Grèce prisonnière<br />
Sous l'effort <strong>de</strong>s Troyens va périr tout entière.<br />
Les plus fameux héros implorent son appui ;<br />
La prière <strong>et</strong> les dons ne peuvent rien <strong>sur</strong> lui.<br />
Pour délivrer les Grecs <strong>de</strong> ce péril extrême,<br />
Il ne veut ni marcher , ni triompher lui-même,<br />
Et prête à son ami qui r<strong>et</strong>ourne aux combats,<br />
Son armure, son char <strong>et</strong> ses nombreux soldats.<br />
Entre les <strong>de</strong>ux partis 1 tout un jour ba<strong>la</strong>ncée 7<br />
La victoire hésita sous les portes <strong>de</strong> Scée;<br />
Enfin 7 les Grecs vainqueurs renversaient Mion,<br />
Si le terrible Hector 7 poussé par Apollon,<br />
Du malheureux Patrocle immo<strong>la</strong>nt le courage 7<br />
N'eût arrêté le cours d'un immense carnage.<br />
Mon fils mourra bientôt. Forge pour ce guerrier<br />
Une belle cuirasse, un casque, un bouclier,<br />
Deux riches bro<strong>de</strong>quins ; c'est moi qui t'en conjure ;<br />
Avec son cher Patrocle il perdit son armure,<br />
Et maintenant, hé<strong>la</strong>s ! <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre étendu,<br />
Dans un sombre chagrin il gémit éperdu. »
CHANT DIX-HUITIÈME. 5o7<br />
Le Dieu répond : « Abjure une crainte inutile.<br />
Tes vœux seront remplis, <strong>et</strong> je vais pour Achille<br />
Façonner une armure , ouvrage précieux,<br />
Qui <strong>de</strong> tous les mortels étonnera les yeux.<br />
Puissé-je* également, à son heure <strong>de</strong>rnière,<br />
Détourner loin <strong>de</strong> lui <strong>la</strong> Parque meurtrière ! »<br />
S'éloignant à ces mots, vers les feux éc<strong>la</strong>tans<br />
Lorsqu'il a dirigé ses souffl<strong>et</strong>s hal<strong>et</strong>ons,<br />
Vingt fourneaux allumés brillent ; le vent docile<br />
Mugît impétueux ou s'apaise tranquille.<br />
Dans le vaste brasier l'industrieux Vulcain<br />
J<strong>et</strong>te un vaste monceau d'or , d'argent <strong>et</strong> d'étoin,<br />
Et dès qu'il voit rougir leur masse encore informe 7<br />
Ses mains, <strong>sur</strong> un rocher p<strong>la</strong>çant l'enclume énorme,<br />
Saisissent, pour forger un merveilleux présent,<br />
.La tenaille mordante <strong>et</strong> le marteau pesant.<br />
D'abord le bouclier, <strong>la</strong>rge <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> ouvrage,<br />
Dont cinq <strong>la</strong>mes d'airain composent l'assemb<strong>la</strong>ge,<br />
S'arrondit, entouré <strong>de</strong> trois cercles bril<strong>la</strong>ns<br />
Où pend le baudrier aux nœuds étïnce<strong>la</strong>ns ;<br />
Par un savant travail <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face polie,<br />
De tableaux variés avec art embellie,<br />
20.
3o8 L'ILIADE.<br />
Offre au milieu <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> <strong>la</strong> mer <strong>et</strong> les cieux,<br />
Le soleil qui répand d'infatigables feux,<br />
La lune tout entière <strong>et</strong> <strong>la</strong> vaste couronné<br />
Des astres ée<strong>la</strong>tans dont l'Olympe rayonne f<br />
Les Pléia<strong>de</strong>s en chœur, le puissant Orion,<br />
Et POunse qui, du Char acceptant le <strong>sur</strong>nom,<br />
Fidèle m tour prescrit, vers Orion penchée f<br />
Seule dans l'Océan ne s'est jamais couchée.<br />
Vulcain. a <strong>sur</strong> les. borck ciselé <strong>de</strong> ses mains<br />
Deux villes, noble ouvrage <strong>et</strong> séjour <strong>de</strong>» humains.<br />
La première en ses murs d^ toutes parts étale<br />
Des banqu<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeux <strong>la</strong> pompe nuptiale f<br />
Et voit jusqu'aux pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> leurs époux nouveaux<br />
Les vierges s'avancer, aux c<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong>s. f<strong>la</strong>mbeaux.<br />
Tout répète les chants f les chants <strong>de</strong> Fhyménée ;<br />
L'élite <strong>de</strong>s danseurs, <strong>sur</strong> leurs pas amenée f<br />
S'en<strong>la</strong>ce en chœurs légers ; pour régler se* transports.<br />
Les flûtes <strong>et</strong> <strong>la</strong> lyre unissent leurs accords ;<br />
Et les femmes,, <strong>de</strong>boutf à.l'ombre <strong>de</strong>s portiques,<br />
Admirent en riant ces fêtes magnifiques.<br />
Non loin , <strong>de</strong>ux citoyens, dans leur jaloux débatf<br />
D'un meurtre avec ar<strong>de</strong>ur contestent le rachat:
CHANT DIX-HUITIEME. 3o9<br />
L'un dit avoir payé ; mais d'une voix altière<br />
L'autre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encor <strong>la</strong> somme tout entière.<br />
Les témoins ont paru; les spectateurs nombreux<br />
Entre les <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs <strong>la</strong>issent flotter leurs vœux,<br />
Lorequ'enfîn <strong>de</strong>s hérauts les voix r<strong>et</strong>entissantes<br />
Calment du peuple ému les c<strong>la</strong>meurs frémissantes.<br />
Sur <strong>la</strong> pierre polie f en un cercle sacré,<br />
Les vieil<strong>la</strong>rds, ba<strong>la</strong>nçant le sceptre révéré,<br />
Se lèvent <strong>et</strong> chacun par un noble <strong>la</strong>ngage<br />
Refuse tour à tour <strong>et</strong> donne son suffrage.<br />
L'enceinte offre à leurs yeux <strong>de</strong>ux talents d'or promis<br />
Au juge le plus sage inspiré par Thémïs.<br />
La secon<strong>de</strong> cité voit près <strong>de</strong> ses murailles<br />
Deux peuples méditant <strong>sur</strong> le sort <strong>de</strong>s batailles :<br />
L'un voudrait <strong>la</strong> détruire, <strong>et</strong> l'autre <strong>de</strong> son or<br />
En un partage égal diviser le trésor ;<br />
Mais bien loin <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux horreurs d'un long siége?<br />
L'ennemi leur prépare un homici<strong>de</strong> piège.<br />
Les femmes, les vieil<strong>la</strong>rds <strong>et</strong> les enfans craintifs<br />
Promènent <strong>sur</strong> les murs leurs regards attentiô;<br />
Avec ordre <strong>et</strong> sans bruit <strong>la</strong> troupe se rassemble :<br />
Elle part ; à sa tête on voit marcher- ensemble
3io L'ILIADE.<br />
La superbe PaUas <strong>et</strong> le terrible Mars<br />
Dont les tuniques d'or frappent tous les regards ;<br />
Dans leur maintien respire une fierté divine<br />
Et <strong>sur</strong> les fronts mortels leur noble front domine.<br />
Sous ses armes d'airain cacbée à tous les yeux, •<br />
L'embusca<strong>de</strong> se glisse à pas mystérieux<br />
Jusqu'aux bords r<strong>et</strong>irés ou dans le lit d'un fleuve<br />
La foule <strong>de</strong>s troupeaux <strong>et</strong> <strong>de</strong>scend <strong>et</strong> s'abreuve.<br />
Là, <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>bout, se postant près <strong>de</strong>s eaux,<br />
Atten<strong>de</strong>nt les brebis avec les noirs taureaux.<br />
Tout à coup, <strong>de</strong>ux pasteurs, mê<strong>la</strong>nt leurs voix légères<br />
Aux sons mélodieux <strong>de</strong>s flûtes bocagères,<br />
S'approchent lentement <strong>et</strong> ne se doutent pas<br />
Quelle embûche perfi<strong>de</strong> on dresse sous leurs pas.<br />
Au signal, convenu, <strong>la</strong> cohorte s'é<strong>la</strong>nce ;<br />
Brebis, taureaux, bergers, tout périt sous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce.<br />
Quand le tumulte arrive au Conseil <strong>de</strong>s guerriers,<br />
Ils montent <strong>sur</strong> leurs chars <strong>et</strong> pressent leurs coursiers:<br />
A peine <strong>de</strong> ce fleuve ils touchent le rivage,<br />
Leur bouil<strong>la</strong>nte fureur redouble le carnage ;<br />
On donne tour à tour , on reçoit le trépas<br />
Et les <strong>la</strong>nces d'airain ne'se reposent pas.
CHANT DIX-HUITIEME. 3n<br />
Le Tumulte frémit ; <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> effrénée<br />
Vole f <strong>et</strong> % parmi les rangs , l'avi<strong>de</strong> Destinée<br />
Traîne dans les combats <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s monceaux confus<br />
L'homme qui vit encor 7 le guerrier qui n'est plus.<br />
Tandis que secouant sa robe ensang<strong>la</strong>ntée,<br />
Hi<strong>de</strong>use, elle parcourt <strong>la</strong> rive épouvantée,<br />
Gomme s'ils respiraient, on voit <strong>de</strong> toutes parts<br />
Les soldats s'arracher les cadavres épars.<br />
Là se déploie un champ où trois fois <strong>la</strong> charrue<br />
R<strong>et</strong>ourna <strong>de</strong>s guér<strong>et</strong>s <strong>la</strong> fertile étendue»<br />
Lorsque les <strong>la</strong>boureurs, <strong>de</strong>s taureaux mugissans<br />
Ont conduit jusqu'au bout les pas obéissans 7<br />
Le maître f ranimant le zèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> troupe 7<br />
Verse un vin doux <strong>et</strong> pur dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> coupe r<br />
Et, jaloux d'arriver au terme du siMon 7<br />
Chacun avec ar<strong>de</strong>ur ressaisit l'aiguillon.<br />
La terre où <strong>la</strong> charrue a <strong>la</strong>issé son empreinte,<br />
à l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> son or mêle une sombre teinte.<br />
Tel est d'un art savant l'ouvrage gracieux.<br />
Ici brille un terrain fécond <strong>et</strong> spacieux.:<br />
Dès que les moissonneurs, armés <strong>de</strong>là faucilley<br />
Des gerbes ont tranché l'ondoyante famille,
3ia L'ILIADE.<br />
Dans le creux <strong>de</strong>s sillons les débris ramassés,<br />
Avec <strong>de</strong> forts liens l'un à l'autre en<strong>la</strong>ce, _<br />
S'élèvent, <strong>et</strong> soudain <strong>de</strong> ces moissons nouvelles<br />
Trois hommes en faisceaux unissent les javelles!<br />
Tandis que les enfans, accourus <strong>sur</strong> leurs pas,<br />
Leur ten<strong>de</strong>nt les épis ba<strong>la</strong>ncés dans leurs bras.<br />
Debout, son sceptre en main , le monarque en silence<br />
De ses-vastes guér<strong>et</strong>s admire l'opulence ;<br />
Il jouit dans son cœur! <strong>et</strong> du festin joyeux<br />
Les hérauts consacrant les prémices aux Dieux,<br />
Autour d'un chêne épais , sijr <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme brû<strong>la</strong>nte<br />
J<strong>et</strong>tent d'un grand taureau <strong>la</strong> dépouille sang<strong>la</strong>nte.<br />
Par les femmes broyé, le b<strong>la</strong>nc <strong>et</strong> pur froment<br />
Prépare aux moissonneurs un utile aliment.<br />
Plus loin, avec orgueil une vigne présente<br />
De ses longs raisins noirs <strong>la</strong> grappe éblouissante f<br />
Ses <strong>la</strong>rges rameaux d'or, en festons s'allongeant ,<br />
S'é<strong>la</strong>ncent, protégés par <strong>de</strong>s soutiens d'argent ;<br />
De sa couleur bleuâtre un fossé ïa couronne,<br />
Et d'un buisson d'étain l'épaisseur l'environne.<br />
A travers les détours d'un chemin tortueux<br />
Accourt <strong>de</strong>s vendangeurs Pessaim tumultueux j
CHANT DIX-HUITIÈME. 3i3-<br />
Les vierges 1 les garçons dans l'osier <strong>de</strong>s corbeilles<br />
Portent <strong>de</strong> leurs doux fruits les richesses vermeiles ;<br />
Un enfant les précè<strong>de</strong>; à ses tendres aecens<br />
S'unissent <strong>de</strong> son luth les accords ravissaas j<br />
Les couples en chantant entre<strong>la</strong>cent leur danse<br />
'Et leurs pieds <strong>sur</strong> le sol bondissent en ca<strong>de</strong>nce.<br />
Près <strong>de</strong> là ? <strong>de</strong>s taureaux au front majestueux,<br />
Formés d'or <strong>et</strong> d'étain, d'un pas impétueux<br />
S'avancent vers un fleuve <strong>et</strong> sonore <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong><br />
Qui parmi les roseaux promène une eau limpi<strong>de</strong> 7<br />
Et tous f en mugissant , avec quatre bergers<br />
•Que suivent à Fenvi neuf chiens aux pieds légers ,<br />
Pour les prés verdoyans d'une p<strong>la</strong>ge fertile<br />
De leur paisible étable abandonnent l'asyle.<br />
Mais soudain, é<strong>la</strong>ncés au-<strong>de</strong>vant du troupeau ?<br />
Deux terribles lions saisissent un taureau,<br />
Et, gorgeant d'un sang noir leurs gueules écumaotes?<br />
Déchirent à grands coups ses entrailles fumantes.<br />
Vainement les pasteurs , les dogues vigoureux ?<br />
En poussant <strong>de</strong> longs oris? se rassemblent contr'eux.<br />
Dans un tableau voisin savamment ciselée ,<br />
Une délicieuse <strong>et</strong> fertile vallée,
3i4 L'ILIADE.<br />
Voit <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>nches brebis <strong>la</strong> foule au loin bondir<br />
Et <strong>de</strong>s toits du bercail les ombrages verdir.<br />
Vulcain figure encore une danse pareille<br />
A celle dont Dédale inventa <strong>la</strong> merveille ,<br />
Quand dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>rge Gnosse il célébra <strong>de</strong>s jeux<br />
En l'honneur d'Ariane aux longs <strong>et</strong> beaux cheveux.<br />
Une couronne au front, mille vierges pudiques ,<br />
Déployant le tissu <strong>de</strong> leurs souples tuniques ,<br />
Mille danseurs , armés <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ives éc<strong>la</strong>tans,<br />
Et mollement vêtus du lin aux plis flottans,<br />
S'en<strong>la</strong>cent, Gomme on voit, pour façonner l'argile7<br />
Un adroit ouvrier tourner sa roue agile :<br />
Tels leurs dociles pas, dans leur-prompt mouvement,<br />
S'arrondissant en chœur, volent légèrement.<br />
Quand le cercle est rompu, chaque couple avec grâce<br />
Se chasse tour à tour, tour à tour se remp<strong>la</strong>ce ;<br />
La foule les admire : un chantre, aimé <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Les anime aux accords du luth mélodieux,<br />
Et <strong>de</strong>ux sauteurs, aux yeux du peuple qui se presse,<br />
De mille tours divers ont déployé l'adresse.<br />
Enfin, <strong>sur</strong> tous les bords <strong>de</strong> ces riches tableaux<br />
Le grand fleuve Océan roule ses vastes eaux.
CHANT DIX-HUITIÈME. 3i5<br />
Fier d'avoir terminé ce bouclier soli<strong>de</strong>,<br />
Vulcain forge avec soin pour le front d'Eaci<strong>de</strong><br />
Le casque précieux qui <strong>de</strong> son cimier d'or<br />
Ba<strong>la</strong>nce à flots épais le mobile trésor.<br />
De feux éblouissans <strong>la</strong> cuirasse remplie<br />
Brille <strong>et</strong> l'étain flexible en cothurnes se plie.<br />
Quand Fouvrage est fini, l'immortel ouvrier<br />
A <strong>la</strong> mère d'Achille offre ce don guerrier y<br />
Et l'Olympe neigeux voit l'agile Déesse<br />
Partir, <strong>et</strong> du vautour éga<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> vitesse ?<br />
Emporter dans les airs c<strong>et</strong>te armure d'airain,<br />
C<strong>et</strong>te armure 7 chef-d'œuvre <strong>et</strong> présent <strong>de</strong> Vulcain.<br />
FIN DU DIX-HUITIEME CHANT.
CHANT DIX-NEUVIÈME.
SOMMAIRE BU CHANT DIX-NEUVIEME.<br />
Thétis apport© à Achille l'armure fabriquée parVulcain. — Assemblée<br />
<strong>de</strong>s Grecs. — Réconciliation d'Agamemnon <strong>et</strong> d'Achille. — P<strong>la</strong>intes<br />
d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Briséïs <strong>sur</strong> le corps <strong>de</strong> Patrocle. — Achille s'arme<br />
pour le combat ; Xanthe ? un <strong>de</strong> ses coursiers, lui prédit sa mort. •
L'ILIADE.<br />
CHANT DIX-NEUVIÈME.<br />
Au moment où l'Aurore aux voiles radieux<br />
Sortait <strong>de</strong> l'Océan pour éc<strong>la</strong>irer les Dieux,<br />
Thétis, les bras chargés <strong>de</strong> l'armure éc<strong>la</strong>tante!<br />
Court vers son fils chéri qui f non loin <strong>de</strong> sa tente,<br />
Sur le corps <strong>de</strong> Patrocle? obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses douleurs,<br />
Ne cesse <strong>de</strong> verser un long torrent <strong>de</strong> pleurs.<br />
Ses nombreux compagnons gémissent ; <strong>la</strong> Déesse<br />
L'embrasse avec bonté f lui parle avec tendresse :<br />
« Mon fils ! <strong>la</strong>issons Patrocle étendu <strong>sur</strong> ce bord?<br />
Puisque l'arrêt <strong>de</strong>s Dieux a décidé sa mort.<br />
Loin <strong>de</strong> borner ta gloire à répandre <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes,<br />
Vole aux combats; revêts ces immortelles armes:
3so L'ILIADE.<br />
Vulcain en est Fauteur} <strong>et</strong> d'un présent si beau<br />
Aucun homme jamais ne porta le far<strong>de</strong>au. »<br />
Quand Thétk a pariéT <strong>la</strong> merveilleuse armure, .<br />
Tombée aux pieds d'Achille avec un sourd murmure^<br />
G<strong>la</strong>ce d'un prompt effroi l'immobile soldat<br />
Qui détourne les yeux <strong>de</strong> son terrible éc<strong>la</strong>t.<br />
Mais Achille respire une fureur nouvelle ,<br />
Et sous d'épais sourcils son regard étincelle ;<br />
Lorsqu'il a promené <strong>sur</strong> ces divins présens<br />
Une main curieuse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s yeux comp<strong>la</strong>isans ,<br />
Il s'écrie : «O ma mère! un si bril<strong>la</strong>nt ouvrage<br />
Du ciseau d'un mortel n'e§t point l'apprentissage.<br />
Tu l'ordonnes : eh bien! je consens à m'armer;<br />
Mais excuse un ami facile à s'a<strong>la</strong>rmer.<br />
Je crains quef pour ronger ces dépouilles livi<strong>de</strong>s i<br />
Les vers impurs , formés par les mouches avi<strong>de</strong>s,<br />
Sur Patrocle acharnés 1 <strong>de</strong> ses- membres meurtris<br />
Ne corrompent les chairs, ne souillent les débris. »<br />
Thétis aux pieds d'argent lui répond : ce Je réc<strong>la</strong>me<br />
Le <strong>de</strong>voir importun qui trouble en vain ton âme j<br />
Mes soins écarteront ces mouches dont l'essaim<br />
Vole auprès <strong>de</strong>s héros pour dévorer leur sein,
,CHANT DIX-NEUVIÈME. 3ai<br />
Et dût Patrocle un an <strong>la</strong>nguir sans sépulture,<br />
De <strong>la</strong> corruption il bravera l'injure.<br />
Toi, rassemb<strong>la</strong>nt les Grecs f dépose aux yeux <strong>de</strong> tous<br />
Contre leur chef puissant ton superbe courroux ;<br />
Arme-toi pour <strong>la</strong> guerre <strong>et</strong> revêts ton courage. »<br />
Par ce discours Tbétis excite encor sa rage f<br />
Et les flots rougissans d'un' nectar parfumé<br />
Embaument du héros le corps inanimé.<br />
Achille <strong>sur</strong> les bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer frémissante<br />
Fait entendre à grands cris sa voix r<strong>et</strong>entissante ;<br />
D. ordonne : soudain ces fidèles guerriers<br />
Qui me<strong>sur</strong>ent au camp les tributs nourriciers,<br />
Ces pilotes nonibreux qui, d'une main habile,<br />
Dirigent <strong>de</strong>s vaisseaux le gouvernail mobile,<br />
Tous volent au Conseil , pour revoir ce héros<br />
Dont <strong>la</strong> valeur long-temps <strong>la</strong>nguit'dans le repos.<br />
Disciples- du Dieu Mars , Ulysse <strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong><br />
Trahissent en boitant le mal qui les obsè<strong>de</strong> j<br />
Sur leur <strong>la</strong>nce appuyés , avec un lent effort<br />
Tous <strong>de</strong>ux au premier rang viennent s'asseoir d'abord.<br />
Atri<strong>de</strong> <strong>sur</strong> leurs pas <strong>la</strong>nguissamment se traîne;<br />
La douleur a rendu sa démarche incertaine,<br />
2. 21
'3M , . L'ILIADE.<br />
Et <strong>la</strong>ncé par Goon, par ce fils d'Anténor,<br />
L'airain qui le blessa le fait gémir encor.<br />
Dans le Conseil partout quand <strong>la</strong> foule est entrée f<br />
'Achille aux pieds légers se levé : « Fils d'Atrée !<br />
O regr<strong>et</strong>s ! fal<strong>la</strong>it-il qu'un orgueil délirant<br />
Nous livrât aux transports d'un courroux dévorant?<br />
Une esc<strong>la</strong>ve excita notre ar<strong>de</strong>ur vengeresse.<br />
Plût au ciel que le jour où7 maître <strong>de</strong> Lyrnesse,<br />
Sur mes légers vaisseaux je l'entraînai vainqueur ,<br />
Les flèches <strong>de</strong> Diane eussent frappé son cœur!<br />
Jamais <strong>de</strong> l'ennemi <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce meurtrière<br />
N'eût réduit tant <strong>de</strong> Grecs à mordre <strong>la</strong> poussière.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! à ma fureur quand je donnais l'essor ,<br />
Mon repos as<strong>sur</strong>ait le triomphe d'Hector.<br />
Sans doute d'une longue <strong>et</strong> fatale querelle<br />
Les Grecs conserveront <strong>la</strong> mémoire éternelle.<br />
Quels que soient nos chagrins , négligeant le passé T<br />
Etouffons le courroux dans nos cœurs amassé.<br />
La nécessité parle <strong>et</strong> sa voix souveraine<br />
Me défend <strong>de</strong> nourrir une imp<strong>la</strong>cable haine.<br />
Atri<strong>de</strong>! sans dé<strong>la</strong>is, pour accomplir mes vœux,<br />
Pousse vers le combat les Grecs aux longs cheveux.
CHANT DIX-NEUVIEME. 3a3<br />
Marchons , <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens punissons l'insolence.<br />
Va , crois-moi, l'ennemi qu'épargnera ma <strong>la</strong>nce,<br />
Heureux , loin <strong>de</strong>s périls, d'échapper à mes coups,<br />
Pour reposer enfin , fléchira les genoux. »<br />
Tandis que le guerrier, oubliant ses. injures,<br />
Réjouit tous les Grecs aux superbes chaus<strong>sur</strong>es,<br />
Atri<strong>de</strong>, sans marcher au milieu <strong>de</strong>s héros,<br />
Ne quitte pas son siège <strong>et</strong> s'exprime en ces piots :<br />
« 0 Disciples <strong>de</strong> Mars ! braves fils "<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce!<br />
Mes amis ! comprimez ces transports d'allégresse.<br />
Vos confuses c<strong>la</strong>meurs ne doivent pas troubler<br />
L'orateur qui s'apprête <strong>et</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à parler ;<br />
La voix <strong>la</strong> plus sonore aux cris <strong>de</strong> <strong>la</strong> licence<br />
S'efforcerait en vain d'opposer sa puissance.<br />
Achille ! c'est à toi que je m'adresse , <strong>et</strong> vous,<br />
Grecs! pesez mes discours pour les r<strong>et</strong>enir tous.<br />
Souvent <strong>de</strong>s Argiens le courroux unanime<br />
Sur moi <strong>de</strong> nos débats a rej<strong>et</strong>é le crime.<br />
Seul, je n'ai pu causer tant <strong>de</strong> maux réunis.<br />
Jupiter, le Destin <strong>et</strong> <strong>la</strong> sombre Erinnys<br />
Versèrent leurs poisons dans mon âme irritée,<br />
Lorsque, <strong>de</strong>vant les Grecs , ma fureur excitée<br />
21.
3^4 L'ILIADE.<br />
Du prix <strong>de</strong> sa valeur dépouil<strong>la</strong> mon rival..*<br />
Mais que pouvais-je alors? Un Dieu fit tout le maL<br />
Até m'égarait seule <strong>et</strong> seule était coupable f<br />
Até, <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> fille inexorable ?<br />
Até qui sème au loin <strong>la</strong> haine <strong>et</strong> les affronts 7<br />
Ne touche pas le sol <strong>et</strong> marche <strong>sur</strong> nos'fronts.<br />
Des mortels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux le monarque suprême<br />
Aux traits <strong>de</strong> son courroux fut exposé lui-même.<br />
Employant l'artifice, à défaut du pouvoir f<br />
Une femme , Junon confondit son espoir f<br />
Lorsqu'Alci<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait .naître <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>ncs d'Alcmène<br />
Dans les murs orgueilleux <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité tliébaine.<br />
Jupiter convoqua ses immortels suj<strong>et</strong>s :<br />
« Déessesf <strong>et</strong> vous , Dieux! apprenez mes proj<strong>et</strong>s.<br />
En ce jour Ilithye entr'ouvre à <strong>la</strong> lumière<br />
D'un héros triomphant <strong>la</strong> naissante paupière 7<br />
Et les peuples voisins 7 les rois nés <strong>de</strong> mon sang?<br />
Courberont <strong>de</strong>vant lui leur front obéissant. »<br />
« Tu m'abuses 7 répond <strong>la</strong> perfi<strong>de</strong> Déesse ;<br />
Ta promesse est toujours une.vaine'promesse.<br />
Mais si tu ne mens pas , qu'un serment solennel<br />
T'enchaîne sans r<strong>et</strong>our par son nœud éternel :
CHANT BÏX-NEUYIEME. 3*5'<br />
Jure que c<strong>et</strong> enfant qui du 'sein <strong>de</strong> sa mère<br />
A ses pieds aujourd'hui doit tomber <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 1<br />
Gouvernera les rois <strong>et</strong> les peuples nombreux t<br />
De ton auguste sang rej<strong>et</strong>ons généreux. »<br />
Sans <strong>de</strong>viner sa ruse <strong>et</strong> sans craindre sa haine,<br />
Le Dieu par un serment impru<strong>de</strong>mment s'enchaîne.<br />
Serment fatal ! Junon s'é<strong>la</strong>nce au même instant<br />
Des somm<strong>et</strong>s élevés <strong>de</strong> l'Olympe éc<strong>la</strong>tant 7<br />
Court dans Argosf fidèle à sa fureur jalouse-,<br />
Trouver <strong>de</strong> Sthénélus <strong>la</strong> magnanime épouse7<br />
Avant le jour marqué f fait naître le mortel<br />
Captif <strong>de</strong>puis sept mois dans le sein maternel,<br />
S'éloigne," <strong>et</strong> dHithye enchaînant <strong>la</strong>-puissance ,<br />
Du jeune Alci<strong>de</strong> encor r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance.<br />
Puis ? remontant aux cieux <strong>et</strong> d'un air triomphant :-<br />
« 0 maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre ! il est né c<strong>et</strong> enfant<br />
A qui ta voix promit l'empire "<strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ;<br />
Eurysthée est son nom, Sthénélus est son père.<br />
Ton sang divin l'anime f <strong>et</strong>' ce vail<strong>la</strong>nt héros<br />
Méritera l'honneur <strong>de</strong> régner <strong>sur</strong> Argos. »<br />
Accablé <strong>de</strong> douleur 1 pour venger son injure-^<br />
Le Dieu saisit d'Até <strong>la</strong> belle chevelure,
3*6 • L'ILIADE.<br />
Atteste avec serment que POlympe étoile<br />
Par ses pieds criminels ne sera plus foulé,<br />
Et bientôt, loin <strong>de</strong>s cieux, d'une main irritée ,<br />
Sur le sol <strong>de</strong>s humains il l'a précipitée.<br />
Mais il gémit <strong>de</strong> voir son fils sans défenseur<br />
Subir dans Eurysthée un cruel oppresseur.<br />
Terrible Até ! mon cœur n'a pu <strong>la</strong> méconnaître<br />
A c<strong>et</strong> ar<strong>de</strong>nt courroux dont il n'était plus maître ,<br />
Lorsqu'Hector au beau casque, auprès <strong>de</strong> nos vaisseaux ,<br />
De nos guerriers mourans entassait les-monceaux.<br />
Jupiter m'aveug<strong>la</strong>, le repentir m'éc<strong>la</strong>ire;<br />
J'espère avec mes dons désarmer ta colère.<br />
Achille ! lève-toi! que nos vaiMans soldats,<br />
Par ta voix enf<strong>la</strong>mmés, s'é<strong>la</strong>ncent aux combats.<br />
Je t'accor<strong>de</strong> les biens dont hier, sous ta tente,<br />
Ulysse te promit <strong>la</strong> richesse éc<strong>la</strong>tante,<br />
Ou , si tu veux dompter tes belliqueux transports ,<br />
Du fond <strong>de</strong> mon navire apportant ces trésors ,<br />
Mes nombreux serviteurs prouveront à <strong>la</strong> Grèce<br />
Que j'aspire à calmer ta haine vengeresse, »<br />
Achille aux pieds légers répond : « Plus <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>is !<br />
Atri<strong>de</strong> ! accor<strong>de</strong>-moi ces dons ou r<strong>et</strong>iens-les ;
CHANT DIX-NEUVIÈME. 3a7<br />
Il n'importe ! aujourd'hui ne songeons qu'au carnage;<br />
Le sort à ma valeur impose un grand ouvrage.<br />
Oui , Fon verra bientôt Achille, aux premiers rangs,<br />
Frapper, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main, les Troyens expiransr<br />
Qu'à mon exemple, amis ! chacun <strong>de</strong> vous combatte! »<br />
La pru<strong>de</strong>nce d'Ulysse en ce discours éc<strong>la</strong>te :<br />
« Achille égal aux Dieux ! qu'un aveugle transport<br />
N'entraîne pas les Grecs vers les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ;<br />
Si leur fer d f Ilion menace les murailles,<br />
Rien n'arrêtera plus <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s batailles ,<br />
Et <strong>de</strong>s peuples rivaux ou vaincus ou. vainqueurs<br />
Long-temps un Dieu cruel embrasera les cœurs.<br />
Va ; suspendons encor le signal <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />
Laisse tous nos soldats , <strong>sur</strong> leur flotte légère,<br />
Savourer ce froment <strong>et</strong> ce vin généreux<br />
Qui procurent leur force aux guerriers vigoureux.<br />
Jusqu'au soleil couchant quel mortel intrépi<strong>de</strong> , .<br />
S'il ne s'est pas nourri d'un aliment soli<strong>de</strong> ,<br />
Dévoré par <strong>la</strong> soif, consumé par <strong>la</strong> faim ,<br />
Debout, dans les combats , en attendrait <strong>la</strong> fin?<br />
Quoique .dans ses regards <strong>la</strong> valeur étincelle,<br />
Sa force l'abandonne <strong>et</strong> son genou chancelle.
3^8 L'ILIADE.<br />
Mais un homme , au sortir d'un festin abondant f<br />
Gar<strong>de</strong> dans sa poitrine un cœur toujours, ar<strong>de</strong>nt T<br />
Résiste aux ennemis , <strong>et</strong> , ferme en son courage ,<br />
Ne se <strong>la</strong>sse jamais qu'après un long carnage..<br />
Sépare tes guerriers <strong>et</strong> qu'Atri<strong>de</strong> en ces lieux<br />
Etale <strong>de</strong> ses dons l'appareil orgueilleux.<br />
Ton cœur tressaillera d'une douce allégresse,<br />
Quand il aura juré, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Grèce,<br />
Qu'il n'a pas, écoutant une insolente ar<strong>de</strong>ur,<br />
De sa jeune captive outragé <strong>la</strong> pu<strong>de</strong>ur,<br />
Et qu'il n'a point osé, comme un maître farouche 7<br />
S'unir à B'riséïs en montant <strong>sur</strong> sa couche. .<br />
De <strong>la</strong> haine en ton sein étouffe le transport,<br />
Et pour solenniser un mutuel accord,<br />
La table <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s, sous ses tentes dressée,<br />
Verra conclure enfin l'union commencée. .<br />
Atri<strong>de</strong> ! désormais comman<strong>de</strong> à ta fureur;<br />
Un roi peut sans opprobre expier une erreur. »<br />
Agamemnon reprend : « Sage fils <strong>de</strong> Laërte !<br />
Toujours pour l'équité ta bouche s'est ouverte.<br />
Tu le veux; enchaîné par un serment pieux,<br />
Je ne <strong>de</strong>viendrai point parjure envers les Dieux.
CHANT DIX-NEUVIÈME. 3a9<br />
C'est là tout mon désir. Qu'Achille encor modère<br />
Ce généreux é<strong>la</strong>n qui l'entraîne à <strong>la</strong> guerre ;<br />
Grecs ! atten<strong>de</strong>s aussi que mes divers trésors<br />
Soient du fond <strong>de</strong> ma tente apportés sui* ces bords,<br />
Et que le sang versé <strong>de</strong>s nombreuses victimes<br />
Cimente nos sermens par <strong>de</strong>s nœuds légitimes.<br />
Ulysse ! qu'avec toi l'élite <strong>de</strong>s soldats<br />
Jusque-vers mon vaisseau précipite ses pas;<br />
Cours chercher les présens , amène les captives.,<br />
Et que Talthybïus conduise <strong>sur</strong> ces rives<br />
Le sanglier qui doit , immolé par mon fer,<br />
Honorer le Soleil <strong>et</strong>'fléchir Jupiter. »<br />
« Roi <strong>de</strong>s hommes, Atrï<strong>de</strong>! un-pareil sacrifice<br />
Deman<strong>de</strong>.f a dit Achille, une heure plus propice.<br />
Attends que le Dieu Mars, rassasié <strong>de</strong>. sang,<br />
Ait apaisé l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> mon cœur frémissant.<br />
Hector , quand Jupiter lui donnait <strong>la</strong> victoire,<br />
Immo<strong>la</strong> nos guerriers; ik dorment tous sans gloire,<br />
Et l'on pense aux festins ! Grecs ! suivez mon conseil :<br />
Oui, courez, <strong>de</strong>vançant <strong>la</strong> fuite du soleil,<br />
Illustrer sans r<strong>et</strong>ard vos généreux courages ;<br />
Dans le sang <strong>de</strong>s Troyens effacez nos outrages,
33o L'ILIADE.<br />
Et TOUS viendrez après, <strong>rendus</strong> aux doux loisirs,<br />
D'un nocturne festin savourer les p<strong>la</strong>isirs.<br />
Pour moi,' <strong>de</strong> vos banqu<strong>et</strong>s je refuse les charmes.<br />
Quand Patrdcle, entouré <strong>de</strong> mes soldats en <strong>la</strong>rmes,<br />
Pâle <strong>et</strong> sang<strong>la</strong>nt, les pieds étendus vers le seuil,<br />
Repose sous ma tente <strong>et</strong> réc<strong>la</strong>me un cercueil,<br />
Mon âme n'a besoin , pour assouvir sa rage,<br />
Que <strong>de</strong> gémissemens , <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> carnage. »<br />
Ulysse au cœur pru<strong>de</strong>nt lui répond en ces mots :<br />
« Fils <strong>de</strong> Pelée ! Achille ! invincible héros I<br />
Tu sais , <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main , défendre mieux <strong>la</strong> Grèce.<br />
Je te cè<strong>de</strong> en valeur , mais non point en sagesse :<br />
Je naquis le premier, <strong>et</strong> dans mon souvenir<br />
Des faits bien plus nombreux viennent se réunir.<br />
Souffre donc que ma voix te conseille <strong>et</strong> t'instruise.<br />
Aisément <strong>de</strong>s mortels le courage s'épuise ;<br />
Si d'abord, les héros, en foule exterminés ,<br />
Par l'homici<strong>de</strong> airain succombent moissonnés,<br />
Un sang moins abondant ruisselé sous les <strong>la</strong>nces",<br />
A l'heure où Jupiter incline ses ba<strong>la</strong>nces,<br />
Le puissant Jupiter qui, maître <strong>de</strong>s humains,<br />
Voit le sort <strong>de</strong>s combats reposer dans ses mains.
CHANT DIX-NEUVIÈME. 33i<br />
Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> nos regr<strong>et</strong>s quel sera donc le terme 1<br />
Si oous pleurons les morts que <strong>la</strong> tombe renferme ?<br />
Faut-il les honorer par le jeûne <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uil ?<br />
Non? non : adm<strong>et</strong>tons-les aux honneurs du cercueil;<br />
Mais Touant un seul jour à <strong>de</strong> trop justes <strong>la</strong>rmes,<br />
Oublions leur trépas <strong>et</strong> reprenons*les armes.<br />
Pour nous, dans les combats à <strong>la</strong> mort échappes 1<br />
Quand les soins <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s nous auront occupés,<br />
Revêtus <strong>de</strong> l'airain , sans -dé<strong>la</strong>i 1 sans relâche T<br />
Courons tous accomplir notre intrépi<strong>de</strong> tâche.<br />
Un seul ordre suffit ; honte aux lâches guerriers!<br />
Attaquons les Troyens 1 ces dompteurs <strong>de</strong> coursiers.<br />
Réveillons le Dieu Mars. » Vers <strong>la</strong> tente d'Atri<strong>de</strong><br />
D. s'avance ; avec lui marchant d'un pas rapi<strong>de</strong>,<br />
Mé<strong>la</strong>nîppe <strong>et</strong> Mégès , Thoas <strong>et</strong> Mérïon,<br />
Les enfans <strong>de</strong> Nestor, <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Gréonf<br />
Lycomè<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s Grecs prompts à remplir l'attente y<br />
Ont apporté du fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> rop<strong>de</strong> tente<br />
Vingt vases éc<strong>la</strong>tans5 sept trépieds merveilleux ;<br />
Douze fougueux coursiers bondissent auprès d'eux.<br />
On voit paraître encor sept captives dociles,<br />
En <strong>de</strong>s travaux divers également habiles ;
33^ .. L'ILIADE.<br />
La fille <strong>de</strong> Brisés s'avance à leur côte ;<br />
Elle offre à tous les yeux l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> sa beauté ;<br />
Et le divin Ulysse à leur tête s'é<strong>la</strong>nce 7<br />
Portant dix talens d'or pesés dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce. •<br />
Quand les jeunes guerriers dans le sein du Conseil<br />
Ont <strong>de</strong>s nombreux trésors déposé l'appareil,<br />
Au pasteur <strong>de</strong>s humains Talthybius présente<br />
Du sanglier sacré <strong>la</strong> tête obéissante.<br />
Agamemnon se lève ; il saisit le couteau<br />
Qui brille suspendu près du vaste fourreau 1<br />
Dépouille <strong>la</strong> victime 7 <strong>et</strong> <strong>de</strong> son poil sauvage<br />
Au puissant Jupiter offre un premier hommage.<br />
Bientôt, environné <strong>de</strong>s Grecs silencieux,<br />
Sur <strong>la</strong> voûte céleste il attache ses yeux :<br />
« 0 Jupiter ! du ciel dominateur suprême !<br />
Déesses <strong>de</strong>s enfers, terribles au b<strong>la</strong>sphème 7<br />
Et vous j Terre! Soleil ! je vous prends à témoins<br />
QueBrïséisf obj<strong>et</strong>-<strong>de</strong> respects <strong>et</strong> <strong>de</strong>" soins,<br />
Jamais f- entre mes bras esc<strong>la</strong>ve profanée 1<br />
A <strong>de</strong> honteux emplois ne gémit condamnée.<br />
Dieux justes ! si ma voix prononce un faux serment^<br />
Frappez ! j'attends <strong>de</strong> vous un cruel châtiment. »
CHANT DIX-NEUYIÈME. 333<br />
En achevant ces mots, le héros magnanime<br />
Plonge son fer tranchant au cou <strong>de</strong> <strong>la</strong>- victime ;<br />
Soudain, Talthybius, l'agitant dans les airs,<br />
La <strong>la</strong>nce au vaste sein <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>nchissantes mers?<br />
Et <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te en pâture à leurs monstres avi<strong>de</strong>s,<br />
Lorsqu'AchiUe^ entouré <strong>de</strong>s soldats intrépi<strong>de</strong>s y<br />
Se lève : « 0 Jupiter ! tes imp<strong>la</strong>cables mains<br />
D'infortunes sans nombre accablent les humains.<br />
Si tu n'avais frappé les Grecs <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te rive? ><br />
Jamais Agamemnon, m'arrachant ma captive ,<br />
N'eût commencé le cours <strong>de</strong>-nos sang<strong>la</strong>ns débats...<br />
Grecs ! volez aux festins, <strong>de</strong>s festins aux combats ;<br />
Séparez-vous. » Il dit, <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule docile<br />
De ses <strong>la</strong>rges vaisseaux a regagné l'asyle.<br />
On se disperse ; alors les braves Mjrmïdons<br />
Sous les tentes d'Achille ont déposé les dons ;<br />
Chaque esc<strong>la</strong>ve s'assied ; les serviteurs fidèles<br />
Conduisent les chevaux vers.leurs crèches nouvelles.<br />
Belle comme Vénus 1 Briséïs en tremb<strong>la</strong>nt<br />
De Patrocle expiré voit le corps tout sang<strong>la</strong>nt ?<br />
Le presse entre ses bras ^ avec ses mains outrage<br />
Sa gorge délicate <strong>et</strong> son charmant visage 7
334 L'ILIADE.<br />
Et , mortelle semb<strong>la</strong>ble aux habitans <strong>de</strong>s cieux ,<br />
Le cœur gros <strong>de</strong> soupirs , <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes dans les yeux :<br />
« Ami d'une captive <strong>et</strong> d'une infortunée ,<br />
Patrocle I loin d'ici quand je fus entraînée,<br />
Je te <strong>la</strong>issai vivant,., je te r<strong>et</strong>rouve mort...<br />
Chef <strong>de</strong>s peuples ! combien je dois pleurer mon sort !<br />
La misère pour moi succè<strong>de</strong> à <strong>la</strong> misère.<br />
L'époux que me choisit ma vénérable mère ,<br />
Mourut sous nos remparts ; j'eus trois frères chéris,<br />
Formés du même sang , du même <strong>la</strong>it nourris ;<br />
Je les vis expirer... Quand le fougueux Achille<br />
De Mynès, fils <strong>de</strong>s Dieux, incendia <strong>la</strong> ville ,<br />
Et du plus tendre époux priva mon jeune amour ,<br />
Prompt à sécher mes pleurs, tu me disais qu'un jour,<br />
Achille , jusqu'à Phthie emmenant sa conquête,<br />
D'un pompeux hyménée ordonnerait <strong>la</strong> fête.<br />
Toujours me rappe<strong>la</strong>nt mon noble défenseur ,<br />
Je pleurerai ta mort, ami plein <strong>de</strong> douceur! »<br />
A ce touchant discours les captives répon<strong>de</strong>nt.<br />
On dirait que leur sort <strong>et</strong> leurs maux se confon<strong>de</strong>nt ;<br />
Mais lorsque <strong>sur</strong> Patrocle elles versent <strong>de</strong>s pleurs,<br />
Leur cœur secrètement p<strong>la</strong>intleurs propres malheurs.
CHANT DIX-NEUVIÈME. 335<br />
Auprès if Achille, en vain tous les rois <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Veulent dans le* banqu<strong>et</strong>s consoler sa tristesse,<br />
« Ah ! si je vous suis cher, dit-il en soupirant ,<br />
Respectez <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>uil le suj<strong>et</strong> déchirant.<br />
Pour moi point d'alimens , pour moi point <strong>de</strong> breuvage^<br />
Tant que l'astre du jour éc<strong>la</strong>ire ce rivage.<br />
Partes. » On obéit; près du héros eoeor<br />
Restent Idoménée , <strong>et</strong> Phénix <strong>et</strong> Nestor ,<br />
Ulysse égal aux Dieux, <strong>et</strong> le» <strong>de</strong>ux fils d'Atrée.<br />
D'un chagrin non moins vif son ame est pénétrée ;<br />
Sa douleur a besoin <strong>de</strong> carpage <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang.<br />
Plein d'amers souvenirs , il parle en gémissant :<br />
« Ami ! quand aux Troyens nos redoutables armes<br />
Renvoyaient les combats, source <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes 7<br />
C'est toi qui, dans ma tente, apprêtais nos festins ;<br />
Ton zèle m'était cher... Vaincu par les Destins ,<br />
Tu reposes sans vie, <strong>et</strong> moi, j'existe encore !<br />
On m'offre <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s I ma douleur les abhorre.<br />
À n'est plus <strong>de</strong> malheur à mon .malheur égal,<br />
Non , quand même <strong>de</strong> Phthie un message fatal<br />
M'instruirait que <strong>la</strong> Parque enleva mon vieux père :<br />
Traînant dans son pa<strong>la</strong>is le poids <strong>de</strong> sa misère,
336 L'ILIADE.<br />
Il gémit, <strong>et</strong> ses pleurs, versés incessamment,<br />
Re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ce fils 1 obj<strong>et</strong> d ? un long tourment 1<br />
Ce fils qui, <strong>sur</strong> les bords d'une'terre lointaine 1<br />
Doit combattre <strong>et</strong>-mourir pour Fexëcrable Hélène.<br />
Avec moins <strong>de</strong> douleur j'apprendrais que <strong>la</strong> mort<br />
Du beau Néoptolème a terminé le sort....<br />
Qui sait f hé<strong>la</strong>s ! qui sait, si 1 promis à Fempire ,<br />
Elevé dans Scyros, mon fils encor respire ?<br />
Dans le fond <strong>de</strong> mon cœur bercé d'un vain espoir,<br />
Je croyais , noble ami que je ne dois plus voir !<br />
Périr seul , loin d'Argos en beaux coursiers fertile ,<br />
Sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge étrangère où le Destin m'exile.<br />
Patrocle ! j'espérais que <strong>sur</strong> tes noirs vaisseaux<br />
-Avec ce fils chéri t'éloignant <strong>de</strong> Scyros ,<br />
Tu reviendrais dans Phthie offrir à sa jeunesse<br />
Mon superbe pa<strong>la</strong>is, mes captifs 7 ma richesse.<br />
Pelée est mort peut-être, ou sa longue douleur ,<br />
Fléchissant sous le poids <strong>de</strong> Fâge <strong>et</strong> du malheur ,<br />
Pour <strong>de</strong>scendre au séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit éternelle,'<br />
Attend <strong>de</strong> mon trépas <strong>la</strong> sinistre nouvelle. »<br />
Ainsi, frappant les rois d'un cruel souvenir,<br />
Le héros à ses pleurs voyait leurs pleurs s'unir 7
CHANT DIX-NEUVIÈME. 337.<br />
Et chacun 'regr<strong>et</strong>tait <strong>la</strong> famille chérie ,<br />
Laissée , à son départ, dans <strong>la</strong>' douce patrie.<br />
Le Dieu, fils <strong>de</strong> Saturne , ému <strong>de</strong> leurs chagrins ,<br />
Communique à Pal<strong>la</strong>s ses ordres souverains :<br />
« 0 ma fille ! a-t-E dit , c<strong>et</strong> intrépi<strong>de</strong> Achille<br />
Sera-tril donc l'obj<strong>et</strong> d'une,pitié stérile ?<br />
Pleurant son compagnon, ' <strong>et</strong> cédant à ses maux ,<br />
Il gémit seul") assis <strong>de</strong>vant ses grands vaisseaux,<br />
Et seul, quand <strong>de</strong>s festins tous savourent les charmes,<br />
Se nourrit <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>s <strong>et</strong> s'abreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes.<br />
Va , cours le ranimer ; d'un, nectar bienfaisant .<br />
Dans son cœur abattu verse-lui le présent.' »<br />
Comme un mi<strong>la</strong>n 9 du haut <strong>de</strong>s voûtes éternelles,<br />
Pousse <strong>de</strong>s cris aigus, ouvre <strong>de</strong> <strong>la</strong>rges ailes,<br />
Minerve qu'excita" le souverain <strong>de</strong>s Dieux , .<br />
S'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> l'Olympe, <strong>et</strong> traversant les eieux,<br />
Debout, parmi les Grecs , d'une liqueur choisie .<br />
Dans le sein du héros épanche l'ambroisie ; •<br />
Ainsi <strong>la</strong> faim cruelle aux aiguillons pressans<br />
Ne fera point fléchir ses genoux <strong>la</strong>nguissans.<br />
Tandis qu'elle remonte au pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> son père,.<br />
Loin <strong>de</strong>s légers vaisseaux vers les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />
a. aa
338 . L'ILIADE,<br />
On voit <strong>de</strong>s Grecs nombreux marcher les bataillons*<br />
Lorsque gron<strong>de</strong> <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s fougueux aquilons ,<br />
Dans le nuage obscur <strong>la</strong> neige recelée<br />
Roule en flocons épais <strong>et</strong> tombe amoncelée :<br />
Tels les ronds boucliers 1 les cuirasses, les dards,<br />
Les casques menaçans luisent <strong>de</strong> toutes parts ;<br />
L'Olympe s'en éc<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> <strong>la</strong> terre charmée<br />
Sourit aux feux lointains dont resplendit Farmëe.<br />
Sous les pas <strong>de</strong>s guerriers le sol profond gémit.<br />
Entouré <strong>de</strong> soldats , le fils <strong>de</strong>s Dieux frémit;<br />
Ses <strong>de</strong>nts c<strong>la</strong>quent; ses yeux brilent comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme j<br />
Une sombre douleur s'empare <strong>de</strong> son âme,<br />
Et son bras f menaçant les Troyens exécrés f<br />
De Fhabile Vulcain revêt les dons sacrés.<br />
Le riche bro<strong>de</strong>quin à ses jambes s'en<strong>la</strong>ce ;<br />
Sur son corps s'arrondit <strong>la</strong> mobile cuirasse.<br />
Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent; à <strong>la</strong> <strong>la</strong>me d'airain f<br />
S'agite <strong>sur</strong> son dos? <strong>et</strong> dans sa forte main<br />
Du vaste bouclier <strong>la</strong> masse tout entière 7<br />
Gomme <strong>la</strong> lune, envoie une vive lumière :<br />
Tel encore t éc<strong>la</strong>irant FOcéan poissonneux f<br />
Sur un mont solitaire ^ un phare lumineux
CHANT DIX-NEUVIEME. 33g<br />
Apparaît, aux nochers qu'en sa fureur soudaine<br />
Loin <strong>de</strong> tous leurs amis un sombre orage entraîne.<br />
D'un panache flottant par Vulcain embelli,<br />
Le grand casque a couvert son front enorgueilli!<br />
Et <strong>de</strong> ses crins épais ba<strong>la</strong>nçant <strong>la</strong> couronne ?<br />
La chevelure d'or ? comme un astre , rayonne.<br />
Sous ce riche appareil préludant aux combats 7<br />
Achille y en-remuant <strong>et</strong> ses pieds <strong>et</strong> ses bras,<br />
S'avance 7 <strong>et</strong> Fon dirait que ces armes nouvelles<br />
L'enlèvent dans les airs <strong>sur</strong> <strong>de</strong> légères ailes.<br />
Bientôt du vaste frêne il agite le poids j<br />
Loin du haut Pélion le Centaure autrefois<br />
Pour <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s héros apportant c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce ,<br />
De son ami Pelée en arma <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />
Avec <strong>de</strong> forts liens , Alcime? Automédon<br />
P<strong>la</strong>cent les <strong>de</strong>ux coursiers sous le pesant timon ;<br />
Leur bouche mord le frein , <strong>et</strong> Fune <strong>et</strong> Fautre gui<strong>de</strong><br />
S'allonge en s'étendant jusqu'au siège soli<strong>de</strong>.<br />
Le jeune Automédon prend le fou<strong>et</strong> éc<strong>la</strong>tant ;<br />
Le premier <strong>sur</strong> le char il monte ; au même instant,<br />
Achille Fa suivi j ses armes resplendissent,<br />
Comme Fastre du jour dont les rayons grandissent.<br />
aa.
34o L'ILIADE.<br />
Aux coursiers <strong>de</strong> son père il s'adresse, <strong>et</strong> sa voix<br />
Par ces terribles mots leur a dicté ses lois :<br />
« 0 race <strong>de</strong> Podarge, ô Balie, <strong>et</strong> toi, Xanthe !<br />
Quand <strong>la</strong> guerre pour nous <strong>de</strong>viendra trop pesante ,<br />
Ramenez-moi vainqueur ; courage ! n'allez pas j<br />
Gomme Patrocle, ici, me livrer au trépas. »<br />
Xanthe incline <strong>la</strong> tête, <strong>et</strong> sa crinière épaisse,<br />
En flottant <strong>sur</strong> Je joug , vers <strong>la</strong> terre s'abaisse :<br />
« Achille ! ne crains pas un honteux abandon,<br />
Répond l'ar<strong>de</strong>nt coursier ? inspiré par «lunon.<br />
Nous sauverons tes jours ; mais <strong>la</strong> mort te menace ;<br />
Le Ciel <strong>et</strong> les Destins briseront ton audace.<br />
Si Patrocle périt, dépouillé <strong>sur</strong> ce bord 7<br />
Notre lâche lenteur ne cause pas sa mort ,<br />
Et seul le fils puissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Latone<br />
A <strong>la</strong> fureur d'Hector sans pitié l'abandonne.<br />
Quand même du Zéphyr 1 le plus léger <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Nos pas égaleraient le vol audacieux,<br />
Tu ne peux échapper aux Parques homici<strong>de</strong>s ;<br />
Tremble, Achille ! un mortel, un Dieu... » Les Euméni<strong>de</strong>s<br />
De sa voix prophétique ont étouffé l'accent.<br />
* O Xanthe ! a répondu le héros frémissant :
[<br />
CHANT DIX-NEUVIEME. a/fi<br />
Pourquoi me révéler un funèbre présage ?<br />
Tais-toi ; je le sais trop : <strong>sur</strong> ce cruel rivage,<br />
Loin d'une tendre mère <strong>et</strong> d'un père chéri,<br />
Frappé dans les combats , j'aurai bientôt péri.<br />
J'espère toutefois, avant mes funérailes 7<br />
Fatiguer les Troyens à force <strong>de</strong> batailles. »<br />
En j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> grands cris ? le guerrier valeureux<br />
Dirige aux premiers rangs ses coursiers vigoureux.<br />
FIN DU DIX-NEUVIÈME CHANT.
CHANT VINGTIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT VINGTIEME.<br />
Jupiter rassemble les Dieux dans POlympe * <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre pour faYoriser les Grecs <strong>et</strong> les Troyens. — Apprêts du<br />
combat. — Terreur <strong>de</strong> Pluton. — Énée défie Achille <strong>et</strong> fuit enlevé<br />
dans un nuage par Neptune. — Rencontre d'Hector <strong>et</strong> d'Achille. —<br />
Apollon conseille à Hector <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>irer. «— Triomphe d'Achille; il<br />
immole Polydore <strong>et</strong> d 9 autres guerriers troyeas.
LILIADE.<br />
CHANT VINGTIÈME.<br />
•mm<br />
Devant leurs noirs vaisseaux, ainsi, fils <strong>de</strong> Pelée' !<br />
• Des Grecs impatiens <strong>la</strong> foule amoncelée<br />
S'arme ? <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur côté les guerriers d'Ilion,<br />
Sur le tertre voisin rangent leur bataillon. • t<br />
Du faîte <strong>de</strong> l'Olympe aux cimes innombrables 1<br />
Jupiter a dicté ses ordres vénérables ;<br />
Thémïs s'est é<strong>la</strong>ncée, <strong>et</strong> le divin pa<strong>la</strong>is<br />
Excepté l'Océan, accueille sans, dé<strong>la</strong>is<br />
Les fleuves mugissans, <strong>et</strong> ces njmphes chéries •<br />
Qui peuplent les forêts, les sources , les prairies.<br />
Quand tous les immortels, <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s trônes polis<br />
Que <strong>de</strong> Fadroit Vulcain les soins ont .embellis -f
346 L'ILIADE.<br />
Réunis dans l'Olympe ? atten<strong>de</strong>nt en silence 9<br />
A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thémïs, Neptune enfin s'é<strong>la</strong>nce,<br />
Et, prompt à dé<strong>la</strong>issa* les gouffres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer 7<br />
Assis parmi les Dieux, consulte Jupiter :<br />
« Pourquoi nous convoquer^ monarque <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre ?<br />
Sur chaque peuple ici que veux-tu donc résoudre ?<br />
La guerre se prépare à rallumer ses feux. »<br />
« Oui, répond Jupiter, tu <strong>de</strong>vines mes vœux,<br />
0 toi dont <strong>la</strong> ceinture environne <strong>la</strong> terre !<br />
Je. songe à ces héros moissonnés par <strong>la</strong> guerre.<br />
Tandis qu'assis en paix <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />
De leurs sang<strong>la</strong>ns combats je charmerai mes yeux ,<br />
Allez f <strong>et</strong> qu'envers eux chacun <strong>de</strong> vous signale<br />
Son bienveil<strong>la</strong>nt amour ou sa haine fatale.<br />
Seul contre les Troyens Achille combattant<br />
Remporterait sans peine un triomphe éc<strong>la</strong>tant ;<br />
Si son aspect naguère effrayait leur armée,<br />
Je crains que sa valeurf par <strong>la</strong> haine enf<strong>la</strong>mmée,<br />
Au mépris <strong>de</strong>s Destins, frappant <strong>de</strong>s coups trop sûrs?<br />
D'Bion aujourd'hui ne renverse les murs. »<br />
La Discor<strong>de</strong>, à ces mots, dans son aveugle rage f<br />
Précipite les Dieux vers'les champs du carnage 9
CHANT VINGTIÈME. %<br />
Et les voit, animés <strong>de</strong> sentimens diversf<br />
D'un vol impatient se rendre aux bords <strong>de</strong>s mers.<br />
La puissante Junon, Neptune dont les on<strong>de</strong>s<br />
D'une humi<strong>de</strong> ceinture environnent les mon<strong>de</strong>s 7<br />
Mercure , Dieu pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> propice aux humains,<br />
Minerve f <strong>de</strong>s combats ont suivi les chemins ;<br />
Sur leurs traces Vulcain d'une marche inégale<br />
Se traîne, -<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses yeux <strong>la</strong> colère s'exhale.<br />
Mars au casque superbe, en son essor guerrier 1<br />
Parmi les rangs troyens s'avance le premier ;<br />
Latone qui frémit ? le Xantlie qui murmure,<br />
Phébus qui livre aux vents sa longue chevelure 1<br />
Vénus au doux soiiris, Diane aux traits légers<br />
Affrontent avec lui les belliqueux dangers.<br />
En f absence <strong>de</strong>s Dieux, ivres <strong>de</strong> leur victoire 7<br />
Les Grecs au seul Achille ont dû toute leur gloire.<br />
Digne rival <strong>de</strong> Mars, Fintrépi<strong>de</strong> héros<br />
A reparu vainqueur après un long -repos ;<br />
Son armure étincelle 7 <strong>et</strong> les Troyens s-étonnent;<br />
D'une froi<strong>de</strong> terreur tous leurs membres frissonnent.<br />
Mais quand, pour assister au combat menaçant,<br />
Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à <strong>la</strong> fois l'Olympe entier <strong>de</strong>scend,
348 L'ILIADE.<br />
Tout à coup j <strong>de</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>de</strong> meurtres avi<strong>de</strong> ,<br />
La Discor<strong>de</strong> se lève, <strong>et</strong> dans son vol rapi<strong>de</strong> ?<br />
Sur les bords du fosse 1 <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers,<br />
PaUas <strong>de</strong> ses c<strong>la</strong>meurs épouvante les airs.<br />
Tel qu'un sombre ouragan, <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> Pergame<br />
Mars pousse les Troyens que son exemple enf<strong>la</strong>mme,<br />
Ou terrible f parcourt, auprès du, Simoïs,,<br />
Le mont Calicolone branlé par ses cris.<br />
Ainsi les immortels gui<strong>de</strong>nt les <strong>de</strong>ux armées<br />
D'une aveugle fureur, à leur voix, animées ,<br />
Lorsque le roi puissant <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Tonne, sa foudre en main, <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s cieux.<br />
Neptune agite alors l'immensité du mon<strong>de</strong> j<br />
Les monts tremblent; <strong>la</strong> flotte a tressailli <strong>sur</strong> l'on<strong>de</strong> j<br />
Des remparts d'Hion le faîte a chancelé<br />
Et dans ses fon<strong>de</strong>mens ïïda s'est ébranlé.<br />
Monarque <strong>de</strong>s enfers où ce fracas résonne ?<br />
Pluton épouvanté s'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> son trône ;<br />
Il crie, <strong>et</strong>, parcourant son pa<strong>la</strong>is souterrain,<br />
Tremble que d'un seul coup du tri<strong>de</strong>nt souverain 7<br />
Neptune , ouvrant <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> ses cavernes sombres ,<br />
Ne dévoile aux • vivans c<strong>et</strong> empire <strong>de</strong>s ombres,
CHANT VINGTIÈME. 3%<br />
Empire désolé , redoutable , odieux,<br />
Maudit par les.,mortels , abhorré par les Dieux,<br />
Tant <strong>la</strong> céleste armée en sa fureur guerrière<br />
Remplit d'un bruit lointain <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tout entière ! •<br />
Ses flèches à <strong>la</strong> main 9-Apollon irrité<br />
Fond <strong>sur</strong> le roi Neptune avec célérité ;.<br />
Pal<strong>la</strong>s aux yeux d'azur contre Mars se déchaîne,<br />
Et vers elle «lunon voit marcher dans F arène<br />
C<strong>et</strong>te sœur <strong>de</strong> Phébus, Diane, dont les traits .<br />
Par son arc d'or <strong>la</strong>ncés, volent dans les forêts.<br />
Mercure, Dieu sauveur que <strong>la</strong> force environne,<br />
D'un pas précipité s'avance <strong>sur</strong> Latone j<br />
Enfin Vulcain combat ce fleuve audacieux,<br />
Scamandre <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> Xanthe dans les cïeux.<br />
Ainsi contre les Dieux les Dieux luttaient, Achille<br />
S'ouvre parmi les rangs un passage facile ;<br />
Partout il cherche Hector, <strong>et</strong> voudrait dans son sang<br />
Éteindre du Dieu Mars le courroux frémissant.<br />
Témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère où son ame est en proie 1<br />
Pour ranimer l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie,<br />
Issu <strong>de</strong> Jupiter f le bril<strong>la</strong>nt Apollon,<br />
D'un enfant <strong>de</strong> Priam, du jeune Ljcaon
35o L'ILIADE.<br />
Empruntant à <strong>la</strong> fois les traits <strong>et</strong> le <strong>la</strong>ngage f<br />
Debout auprès d'Enée, à combattre l'engage :<br />
s Pru<strong>de</strong>nt chef <strong>de</strong>s Troyens ! où sont-ils ces exploits<br />
Qu'en nos joyeux banqu<strong>et</strong>s tu promis à nos rois ?<br />
Tu défiais Achille. » — « Ami ! répond Enée ;<br />
Ma valeur est en vain contre Achille entraînée.<br />
J'ai connu <strong>sur</strong> l'Ida ce terrible agresseur f<br />
Lorsque-, <strong>de</strong> nos troupeaux insolent ravisseur f<br />
Dans Pédase <strong>et</strong> Lyrnesse il porta le ravage ;<br />
Pal<strong>la</strong>s le conduisait, <strong>et</strong> semant le carnage}<br />
Du belliqueux Lélège <strong>et</strong> <strong>de</strong>s fils d'Hion<br />
L'excitait à frapper le nombreux bataillon ;<br />
Et moi j sans Jupiter , sans ma vigueur agile ,<br />
Je tombais sous les coups <strong>de</strong> Finvincible Achille}<br />
Car nul mortel n'échappe à son. bras <strong>de</strong>structeur.<br />
Sur lui d'un Dieu, puissant le regard protecteur<br />
Toujours veille, <strong>et</strong> jamais sa flèche ne s'arrête<br />
Qu'au sein <strong>de</strong> l'ennemi f sa sang<strong>la</strong>nte conquête.<br />
Si le sort entre nous ba<strong>la</strong>nçait les combats f<br />
Eût-il un corps d'airaia, il ne me vaincrait pas. »<br />
« Brave guerrier ! -<strong>de</strong>s Dieux implore l'assistance f<br />
Dit Phébus ; si Thétis lui donna Pexi$tence ,
CHANT VINGTIÈME. 35i<br />
Tu <strong>la</strong> dois à Vénus, <strong>et</strong> du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer<br />
Le sang n'égale pas le sang <strong>de</strong> Jupiter.<br />
Pour frapper ce héros que ta flèche s'envole j<br />
Marche sans redouter sa menace frivole. •<br />
D\me nouvelle ar<strong>de</strong>ur par Phébus animé<br />
Le pasteur <strong>de</strong>s humains s'é<strong>la</strong>nce tout armé ;<br />
Tandis que, <strong>de</strong>s combats parcourant le théâtre,<br />
Il vole aux premiers rangs , Junon aux bras d'albâtre.<br />
L'aperçoit , à travers <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s soldats 7<br />
Contre son fier rival précipitant ses pas ;<br />
Elle appelle les Dieux : « O Minerve ! ô Neptune !<br />
Dans le fond <strong>de</strong> vos cœurs prévoyez l'infortune ;<br />
Craignez le Sort. Enée , impatient du frein ,<br />
Enée , étince<strong>la</strong>nt sous ses anyies d'airain,<br />
Accourt , mais contre Achille Apollon qui l'entraioe,<br />
Le verra <strong>de</strong>vant nous abandonner l'arène.<br />
Qu'Achille, ceint <strong>de</strong> force <strong>et</strong> grand par notre appui,<br />
Sache quels Dieux puissans s'intéressent à lui 7<br />
Et que les autres ^Dieux, vains défenseurs <strong>de</strong> Troie ,<br />
Au carnage, à <strong>la</strong> mort n'arrachent pas leur proie.<br />
Si, du haut <strong>de</strong> FOlympe à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>scendus ,<br />
Nous venons tous combattre, aux mortels confondus,
35a L'ILIADE.<br />
C'est pour voir triompher ce héros indomptable.<br />
Plus tard, il subira le sort inévitable!<br />
Que les Parques f tournant leur avare fuseau ,<br />
Lui filèrent jadis aux bords <strong>de</strong> son berceau.<br />
S'il ne marche enhardi par quelque voix divine ,<br />
Loin <strong>de</strong> braver les traits qu'Apollon lui <strong>de</strong>stine ,<br />
H fuira sans combat son céleste rival,<br />
Tant l'aspect seul <strong>de</strong>s Dieux aux mortels est fatal ! »<br />
Mais Neptune : « Bannis ces indignes a<strong>la</strong>rmes.<br />
Ne nous excitons pas à ressaisir nos armes,<br />
Et, <strong>sur</strong> un tertre assis , spectateurs du danger,<br />
Laissons tous ces humains combattre <strong>et</strong> s'égorger.<br />
Si Mars <strong>et</strong> si Phébus, .engageant <strong>la</strong> querelle,<br />
Épouvantaient Achille <strong>et</strong> r<strong>et</strong>enaient son zèle,<br />
La.Discor<strong>de</strong> soudain nous enf<strong>la</strong>mmerait tous;<br />
Nous les verrions tous <strong>de</strong>uxsuccomber sous nos coups.<br />
Et tous <strong>de</strong>ux, emportés par une.fuite prompte,<br />
Reviendraient dans FOlympe ensevelir leur honte,®<br />
Neptune.aux verts cheveux les conduit sans r<strong>et</strong>ard<br />
Jusqu'au vaste somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'antique rempart, •<br />
Qui, bâti par Pal<strong>la</strong>s, sauva le grand Alci<strong>de</strong>,<br />
Poursuivi loin <strong>de</strong>s mers par un monstre homici<strong>de</strong>.
CHANT VINGTIEME. 353<br />
Là Neptune s'arrête avec les autres Dieux, '<br />
Qu'un nuage profond dérobe à tous les yeux.<br />
Ailleurs, <strong>sur</strong> le penchant du mont CaUieolone,<br />
Des vengeurs dHion <strong>la</strong> foule t'environne,<br />
Bril<strong>la</strong>nt Phébus ! <strong>et</strong> Mars, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités ,<br />
Pour combattre avec toi, se p<strong>la</strong>ce à tes côtés.<br />
Ainsi , <strong>sur</strong> <strong>la</strong> colline , au faîte <strong>de</strong>s murailles ,<br />
Tous les Dieux différaient les cruelles batailles, .<br />
Lorsqu'assis dans les cieux, Jupiter a tonné ;<br />
Les airs ont r<strong>et</strong>enti ; le signal est donné.<br />
Les armes, les chevaux, les combattans frémissent,<br />
Et du sol ébranlé les entrailles gémissent.<br />
L'airain luit. Tout à coup <strong>de</strong>ux héros, furieux,<br />
Le fils d'Anchise, Enée, Achille, enfant <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Sortent impatiens <strong>de</strong> F une <strong>et</strong> l'autre armée,<br />
Et d\m égal courroux leur âme est enf<strong>la</strong>mmée.<br />
Enée, en s'agitant sous le casque d'airain,<br />
Couvert du bouclier <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main,<br />
S'approche, <strong>et</strong> son rival, fort <strong>de</strong> sa. seule audace,<br />
S'avance, dédaignant une vaine menace.<br />
Le lion que poursuit un peuple <strong>de</strong> chasseurs,<br />
Méprise les efforts <strong>de</strong> leurs traits agresseurs ; •
354 L'ILIADE.<br />
• On le blesse; il s'arrête, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa gueule ar<strong>de</strong>nte<br />
Ruisselle à flots épais une écume abondante ;<br />
Son courage frémit dans son sein généreux ;<br />
Avec sa <strong>la</strong>rge queue il bat ses f<strong>la</strong>ncs poudreux ,<br />
Et les yeux enf<strong>la</strong>mmés, altéré <strong>de</strong> carnage ,<br />
Ou triomphe ou périt en vengeant son outrage :<br />
Tel le fougueux Achille accourt , <strong>et</strong> le premier,<br />
S'adressant au Troyen : <strong>et</strong> Téméraire guerrier !<br />
Réponds : parmi les rangs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te foule immense r<br />
Contre moi quel <strong>de</strong>stin entraîne ta démence?<br />
Crois-tu , si le succès couronne tes efforts ,<br />
Obtenir <strong>de</strong> Priam le sceptre <strong>et</strong> les trésors ?<br />
Priam a <strong>de</strong>s enfans, <strong>et</strong> sa vieille sagesse<br />
N'ira point confier l'empire à ta jeunesse.<br />
Si je tombe expirant sous tes coups ennemis ,<br />
Peut-être les Troyens à tes vœux ont promis<br />
Des vignes, <strong>de</strong>s moissons, un fertile domaine...<br />
Abjure, Enée! abjure une espérance vaine.<br />
Toi, mon vainqueur! jamais... Ce n'est pas d'aujourd'hui<br />
Qu'Achille te verra reculer <strong>de</strong>vant lui.<br />
Ne te souvient-il plus qu'ar<strong>de</strong>nte à ta poursuite,<br />
Ma <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> l'Ida déjà t'a mis en fuite ,
CHANT VINGTIÈME. ' 355<br />
Lorsque, n'osant vers moi reporter tes regards<br />
Ta frayeur <strong>de</strong> Lyrnesse implorait les remparts ?<br />
Secondé <strong>de</strong> Pa<strong>la</strong>s, qui guidait mon courage,<br />
C'est là que dispersant le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le ravage,<br />
Aux femmes qu'enfermait c<strong>et</strong>te vaste cité,<br />
Triomphant ^ j'ai ravi <strong>la</strong> douce liberté.<br />
Jupiter t'a sauvé ; maïs contre ma colère<br />
N'espère plus <strong>de</strong>s Dieux le soutien tuté<strong>la</strong>ire.<br />
Va donc ! r<strong>et</strong>ire-toi ; fuis <strong>la</strong> mort : F insensé<br />
Borne sa prévoyance à juger le passé. »<br />
« Achille ! lui répond le héros immobile,<br />
Crois-tu m'épouvanter comme un enfant débile ?<br />
Tu m'insultes ? <strong>et</strong> moi .je pourrais aisément<br />
Exhaler à mon tour mon fier ressentiment.<br />
Les récits, prononcés par les bouches humaines f<br />
Nous ont appris quel sang circule dans nos veines,<br />
Bien que <strong>de</strong> nos parens le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parts<br />
N'ait présenté jamais l'aspect à nos regards.<br />
Si <strong>la</strong> vie à ton sein par Thétis fut transmise,<br />
J'ai pour mère Vénus <strong>et</strong> mon père est Anchise ;<br />
J'ai droit d'en être fier;... mais Vénus ou Thétis<br />
Va pleurer en ce, jour <strong>sur</strong> le trépas d'un fils ;<br />
23.
356 L'ILIADE. •<br />
Car, sans perdre le temps en menaces frivoles f<br />
Il nous faut <strong>de</strong>s exploits <strong>et</strong> non plus <strong>de</strong>s paroles...<br />
Toutefois , je pourrais te citer mes aïeux,<br />
Qui parmi les mortels marchèrent -glorieux.<br />
'Quand nos remparts sacrés n'existaient pas encore ,<br />
Un -fils du Dieu puissant que l'univers adore,<br />
Ce Dardantis régnait, <strong>et</strong> son pouvoir fonda<br />
L'antique Dhrdanie au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Ida. -<br />
Lorsqu'Erichthonius <strong>de</strong> ses verts marécages<br />
A trois mille jumens livra les pâturages,<br />
Borée aima-, dit-on, leur brgueilleux essaim ;<br />
Coursier aux crins d*azur, il féconda, leur sein<br />
D'où sortirent bientôt douze jeunes cavales,<br />
Qui vo<strong>la</strong>ient, du Zéphyr bondissantes rivaleâ,<br />
Sans courber <strong>de</strong>s épis le somm<strong>et</strong> jaunissant,<br />
Sans incliner les mers <strong>et</strong> leur dos b<strong>la</strong>nchissant.<br />
Fils d'Erichthonius, d'une auguste alliance<br />
Tros obtint <strong>de</strong>s enfans, fameux par leur vail<strong>la</strong>nce,<br />
Ilus, Assaracus, <strong>et</strong> ce mortel si beau,<br />
Ganymè<strong>de</strong>'qui, fier <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin nouveau,<br />
Enlevé par les Dieux à l'amour <strong>de</strong> son.père,<br />
Verse le doux nectar au. maître-du tonnerre*
CHANT VINGTIÈME. 357<br />
Dus donna <strong>la</strong> vie au grand Laomédon,<br />
Et bientôt Qytius, Lampusf Priam, Tïthon?<br />
Hicétaon , <strong>de</strong> Mars rej<strong>et</strong>on redoutable,<br />
Durent tous <strong>la</strong> naissance à ce prince équitable.<br />
Enfin Assaracus engendra ce Gapys<br />
Dont Anchise a reçu le jour qu'il m'a transmis,<br />
Priam fit naître Hector. Telle est mon origine,<br />
Et mon sang s'app<strong>la</strong>udit <strong>de</strong> sa source divine.<br />
Jupiter seul , au gré <strong>de</strong> ses puissantes mains,<br />
Fait décroître ou grandir <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s humains.<br />
Loin <strong>de</strong> nous accabler <strong>de</strong> ces propos infâmes. ?<br />
Dont le poids <strong>la</strong>sserait un navire à cent rames f<br />
Dans les sang<strong>la</strong>ns combats frivoles discoureurs,<br />
N'allons point lâchement exhaler nos fureurs.<br />
La <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s mortels, fertile en impostures ,<br />
Peut d'une <strong>et</strong> d'autre part échanger mille injures j<br />
Maïs pourquoi prolonger ces reproches jaloux %<br />
Gomme, dans les transports d'un mutuel courroux-f<br />
Deux femmes , tour à. tour f au milieu d'une p<strong>la</strong>ce 1<br />
Prodiguent sans pu<strong>de</strong>ur le mensonge <strong>et</strong> Faudace?<br />
Tes insolens discours ne m'épouvantent pas.<br />
Ce fer ya te punir... Ta mort ou mon trépas l
358 L'ILIADE.<br />
Me<strong>sur</strong>ons-nous ! » Il dit : son javelot rapi<strong>de</strong><br />
D'Achille a fait mugir le bouclier soli<strong>de</strong>.<br />
• Achille s'en étonne <strong>et</strong> son bras loin <strong>de</strong> lui<br />
De <strong>la</strong> céleste armure a détourné l'appui.<br />
Du javelot d'Énée il redoute l'atteinte.<br />
L'insensé, dans son cœur aveuglé par <strong>la</strong> crainte ,<br />
Ignore que toujours <strong>sur</strong> un présent divin<br />
Les armes <strong>de</strong>s mortels se dirigent en vain.<br />
La pointe rebondit <strong>et</strong> s'arrête engagée<br />
Dans une <strong>la</strong>me d'or que "Vulcaîn a forgée ;<br />
A peine le Troyen en a traversé <strong>de</strong>uxf<br />
Trois repoussent encor ses efforts hasar<strong>de</strong>ux ;<br />
Le Dieu qui façonna c<strong>et</strong>te pesante armure,<br />
De cinq <strong>la</strong>mes partout revêtit sa structure.<br />
La <strong>la</strong>nce en main ? Achille avec un coup adroit<br />
Frappe le bouclier <strong>et</strong> le frappe à l'endroit<br />
Où Fairaîn moins épais, où le cuir plus fragile<br />
Présentent à son fer un passage facile.<br />
Traversé par ce fer, le bouclier frémît ;<br />
Le Troyen le repousse ; il s'arrête ) il gémit 7<br />
Et sans avoir atteint son épaule effleurée,<br />
Dans-le sol entr'ouvert <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce est <strong>de</strong>meurée.-
CHANT VINGTIÈME. 359<br />
Par un hasard propice à <strong>la</strong> mort échappé ,<br />
D'un morne accablement il reste eecor frappé ;<br />
Quand il voit à ses pieds c<strong>et</strong>te arme meurtrière,<br />
Un voile <strong>de</strong> douleur obscurcit sa paupière.<br />
Poussant un cri terrible <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> main,<br />
Le Grec plus furieux tombe <strong>sur</strong> lui ; soudain<br />
Saississant un rocher que , malgré leur courage f<br />
Ne soulèveraient pas <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong> notre âge,<br />
Sur le casque d'Achille ou <strong>sur</strong> son bouclier<br />
D va d'en bras vainqueur le <strong>la</strong>ncer tout entier.<br />
Achille en s'avançant le menace du g<strong>la</strong>ive,<br />
Quand, témoin du combat, le Dieu <strong>de</strong>s mers se lève,<br />
Et s'écrie : « O douleur ! que je p<strong>la</strong>ins les revers<br />
De ce noble Troyen promis aux noirs enfers !<br />
Malheureux ! Apollon, trahissant sa promesse ?<br />
Pour lui n'armera point sa force vengeresse.<br />
Quoi ! <strong>de</strong>s fautes d'autrai souffrons-nous lâchement<br />
Qu'un héros vertueux porte'le châtiment,<br />
.Lorsqu'il offrit toujours <strong>de</strong>s présens agréables<br />
Aux Dieux f du vaste Olympe habitans vénérables ?<br />
Ses jours sont menacés ; sauvons-les ou <strong>sur</strong> nous<br />
Du puissant Jupiter tombera le courroux.
36o L'ILIADE.<br />
Non : le trépas encor n'atteindra point Enée.<br />
Fidèle à ses arrêts, <strong>la</strong> noire Destinée<br />
Doit respecter en lui l'héritier glorieux<br />
De ce vieux Dardanus qui, cher au roi <strong>de</strong>s cieux y<br />
Parmi tous ses enfans, nés <strong>de</strong> femmes mortelles 7<br />
Le premier mérita ses bontés paternelles.<br />
La race <strong>de</strong> Priama perdu son amour;<br />
Le noble Enée enfin va régner à son tour,<br />
Et ses fils à leurs fils légueront en partage-<br />
Du sceptre <strong>de</strong>s Troyeijs Fïmmortel héritage. »<br />
Junon aux <strong>la</strong>rges yeux lui répond : « Roî <strong>de</strong>s mers {<br />
O toi dont le tri<strong>de</strong>nt ébranle l'univers ,<br />
Délibère en ton sein si <strong>la</strong> valeur d'Enée<br />
Par Achille vainqueur périra moissonnée.<br />
Avec Pal<strong>la</strong>s souvent j'ai juré que mon bras<br />
N'arracherait jamais les Troyens au trépas 7<br />
Dussé-je voir bientôt par les Grecs allumée<br />
La f<strong>la</strong>mme parcourir Pergame consumée. »<br />
La Déesse a parlé : Neptune impatient,<br />
Vers le champ <strong>de</strong>s combats portant son vol bruyantt<br />
S'arrête dans l'endroit où, loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mêlée.<br />
Luttent le fils d'Anchise <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée.
CHANT VINGTIÈME. 36r<br />
Du bouclier d*Enée il arrache soudain<br />
Le long frêne muni d'un éc<strong>la</strong>tant airain ,<br />
J<strong>et</strong>te un nuage épais <strong>sur</strong> les yeux d'Eaci<strong>de</strong>,<br />
Fait tomber à ses pieds son armure homici<strong>de</strong>,<br />
Et parmi les soldats, les chars, les javelots,<br />
D'Hion dans les airs emporte le héros,<br />
Jusques aux <strong>de</strong>rniers rangs, où, saisissant leurs armes,<br />
Les Gaucons s'apprêtaient aox sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes.<br />
« Noble Enée ! a-t-il dit ; qui donc, parmi les Dieux,<br />
Contre Achille a tourné ton bras audacieux?<br />
Plus que toi cher au ciel, c<strong>et</strong> Achille invincible<br />
Dans les combats déploie une audace inflexible.<br />
Tremble que, triomphant malgré l'arrêt du Sort,<br />
Il ne te précipite au séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort;<br />
Evite son'aspect : mais lorsque <strong>de</strong> son âme<br />
L'avare Destinée aura coupé <strong>la</strong> trame,<br />
Reparais dans l'arène <strong>et</strong> combats sans effroi j<br />
Il n'est plus d'ennemi qui l'emporte <strong>sur</strong> toi. »<br />
Neptune auprès d'Achille enlève à sa paupière<br />
Le ban<strong>de</strong>au qui <strong>de</strong>s cieux lui voi<strong>la</strong>it <strong>la</strong> lumière,<br />
Et le héros , frappé d'un jour éblouissant,<br />
Dans son cœur généreux se dit en gémissant :
362 L'ILIADE.<br />
c< O douleur ! qu f ai-je vu ? quel étonnant prodige<br />
A mes yeux tout à coup fait briller son prestige?<br />
Ma <strong>la</strong>nce est <strong>de</strong>vant moi ! je cherche vainement<br />
Ce rival} digne obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon ressentiment.<br />
Oui, sans doute, les Dieux protègent sa vail<strong>la</strong>nce.<br />
Heureux <strong>de</strong> fuir <strong>la</strong> mort 7 qu'il échappe à ma <strong>la</strong>nce !<br />
Moi j contre l'ennemi rassemb<strong>la</strong>nt mes soldats,<br />
Je cours les animer <strong>de</strong> l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s combats. »<br />
Soudain <strong>de</strong> rang en rang il vole, exhorte, enf<strong>la</strong>mme:<br />
« Nobles Grecs ! affrontes les enfans <strong>de</strong> Pergame.<br />
Soldats contre soldats, puisse chacun <strong>de</strong> vous<br />
Réveiller dans son âme un généreux courroux !<br />
Car j malgré les transports <strong>de</strong> ma fureur guerrière ,<br />
Je ne puis marcher seul contre une armée entière.<br />
Non-, Mars, quoique immortel, non? Faîtière Pa<strong>la</strong>s<br />
A tant <strong>de</strong> bataillons ne résisteraient pas.<br />
Quant à moi ? déployant ma force <strong>et</strong> ma souplesse,<br />
De mes pieds 7 <strong>de</strong> mes bras je lutterai sans cesse ;<br />
J f enfoncerai <strong>la</strong> foule f <strong>et</strong> malheur au Troyen<br />
Dont le for impru<strong>de</strong>nt s'approchera du mien ! »<br />
Hector ? environné d\me vail<strong>la</strong>nte élite,<br />
Par ces moto belliqueux l'encourage <strong>et</strong> Fexcite :
CHANT VINGTIEME. 363<br />
« Magnanimes Troyens ! ' qu'Achille <strong>et</strong> sa fureur<br />
Ne vous inspirent pas une indigne .terreur.<br />
Ces Dieux que je pourrais injurier sans doute,<br />
Ces Dieux sont tout-puïssans ; ma <strong>la</strong>nce les redoute.<br />
Achille , dans sa haine à moitié satisfait,<br />
Verra ses vœux cruels <strong>de</strong>meurer sans eff<strong>et</strong>.<br />
Je marche contre lui, prêt à venger Pergame,<br />
Eût-il un cœur <strong>de</strong> fer, eût-ïl un bras <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mme, • »<br />
Les Troyens, confondant leurs efforts valeureux,<br />
Tous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en arrêt, avec <strong>de</strong>s cris affreux,<br />
Accourent; mais soudain Phébus d'un pas agile<br />
Se rapproche d'Hector : « Ne combats point Achille.<br />
Cache-toi ; n'attends pas qu'il plonge dans ton cœur<br />
De loin ses traits légers, <strong>de</strong> près son fer vainqueur, »<br />
A <strong>la</strong> voix d'Apollon, une terreur soudaine,<br />
G<strong>la</strong>çant Pâme d'Hector, dans <strong>la</strong> foule l'entraîne.<br />
D'une force invincible Achille revêtu,<br />
Poursuivant le Troyen sous ses coups abattu,<br />
Pousse <strong>de</strong>s cris perçants : d'abord son fer immole<br />
L'ar<strong>de</strong>nt Iphition, qu'aux pieds neigeux du Tmole,<br />
Dans l'opulente Hyda, l'hymen donna jadis<br />
Au valeureux ûtrynte, à <strong>la</strong> belle Néïs.
364 L'ILIADE.<br />
Le vainqueur, en <strong>de</strong>ux parts faisant rouler sa tête,<br />
Le renverse avec bruit, <strong>et</strong> fier <strong>de</strong> sa conquête :<br />
« O le plus courageux parmi tous les mortels !<br />
Meurs loin du <strong>la</strong>c Gygée <strong>et</strong> <strong>de</strong>s champs paternels,<br />
Où serpente FHermus aux tournoyantes on<strong>de</strong>s f<br />
Ou FHyUus poissonneux roule ses eaux profon<strong>de</strong>s. »<br />
La nuit voile ses yeux ; <strong>de</strong> ses membres meurtris<br />
Les chars grecs en passant écrasent les débris,<br />
Bémoléon s'enfuit ; <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce diaci<strong>de</strong><br />
Lui porte vers <strong>la</strong> tempe une atteinte rapi<strong>de</strong>,<br />
Et du trait acéré .dirigé <strong>sur</strong> son front<br />
Le grand casque d'airain n'écarte pas l'affront ;<br />
La pointe a brisé Fos ; l'armure est traversée<br />
Et <strong>la</strong> cervelle au loin rejaillit dispersée.<br />
Le trépas Fa vaincu. -Tandisqu'Hïppodamas<br />
Du faîte <strong>de</strong> son char précipite ses pas ,<br />
Achille, le frappant d'une <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong> ,<br />
Ouvre dans son épaule une p<strong>la</strong>ie homici<strong>de</strong>.<br />
Comme on voit dans Hélice un taureau mugissant<br />
Tomber <strong>de</strong>vant l'autel arrosé <strong>de</strong> son sang,<br />
Et mourir, sous les coups d'une avi<strong>de</strong> jeunesse,<br />
Aux yeux du roi <strong>de</strong>s mers enivré d'allégresse }
' CHANT VINGTIÈME. 365<br />
L'âme d'Hippodamas, qui s'enfuit promptement ,<br />
Exhale af èc sa vie un sourd gémissement.<br />
Achille, armé du fer , <strong>et</strong> plus terrible encore, ;<br />
Poursuit avec ar<strong>de</strong>ur le divin Polydore,<br />
Dernier fils <strong>de</strong> Priam, à qui son père, hé<strong>la</strong>s !<br />
Interdisait en vain <strong>la</strong> lice <strong>de</strong>s combats ,<br />
Et qui, fier d'avoir vu les héros <strong>de</strong> son âge<br />
A <strong>la</strong> course toujours lui cé<strong>de</strong>r l'avantage ,<br />
S'é<strong>la</strong>nce aux premiers rangs, jusqu'à l'heure où ses yeux<br />
Fermeront leur paupière au doux éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong>s cïeux.<br />
L'impétueux Achille arrête son audace ;<br />
L'or <strong>de</strong> son baudrier, l'airain <strong>de</strong> sa cuirasse<br />
Se brisent; d'un seul coup son dos a r<strong>et</strong>enti ;<br />
Par le nombril sang<strong>la</strong>nt le dard est ressorti ;<br />
Tombé <strong>sur</strong> les genoux, il r<strong>et</strong>ient ses entrailles,<br />
Et <strong>sur</strong> ses yeux s'étend <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s funérailles.<br />
Lorsqu'Hector voit son frère avec un long effort<br />
Rouler , enveloppé <strong>de</strong>s ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort,<br />
D'un voile <strong>de</strong> douleur ses regards s'obscurcissent;<br />
Bientôt, semb<strong>la</strong>ble au feu dont les éc<strong>la</strong>irs jaillissent,<br />
Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> près à braver les hasards,<br />
Et marche <strong>sur</strong> Achille en agitant ses dards.
566 L'ILIADE.<br />
Achille 1 méprisant c<strong>et</strong>te vaine furie,<br />
D'une voix orgueilleuse ? à son aspect, s'écrie :<br />
« Le voilà donc enfin c<strong>et</strong> homme dont le fer<br />
Ravit à ma douleur mon ami le plus cher !<br />
On ne nous verra point <strong>de</strong>vant les funérailles<br />
Fuir tous <strong>de</strong>ux plus long-temps le sentier <strong>de</strong>s batailles.»<br />
Puis j l'œil ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> rage : « Accélère tes pas ;<br />
Approche ; viens toucher aux portes du trépas. »<br />
Le magnanime Hector au casque magnifique f<br />
A <strong>la</strong> crainte étranger , en ces mots lui réplique :<br />
« Achille ! penses-tu 1 par ce <strong>la</strong>ngage altier,<br />
Comme un timi<strong>de</strong> enfant effrayer un guerrier?<br />
Ma voix pourrait te rendre outrage pour outrage.<br />
Mais non; si je n'ai pas ta forcé <strong>et</strong> ton courage ,<br />
Sur les genoux <strong>de</strong>s Dieux repose notre sort,<br />
Et mon dard acéré peut t'envoyer <strong>la</strong> mort, &<br />
Il parle ; <strong>de</strong> son trait <strong>la</strong> pointe courroucée<br />
Qu'un souffle <strong>de</strong> Pal<strong>la</strong>s loin d'Achille a poussée,<br />
Tombe à ses pieds ; Achille avec un cri perçant<br />
Sur le Troyen s é<strong>la</strong>nce, altéré <strong>de</strong> son sang ,<br />
Lorsque dans l'épaisseur d'un ténébreux nuage<br />
Apollon aisément le dérobe à sa rage.
CHANT VINGTIÈME. 367<br />
Trois fois Achille yole <strong>et</strong> ba<strong>la</strong>nce son fer ;<br />
Mais <strong>de</strong> son fer trois fois il ne frappe que Pair.<br />
Terrible comme un Dieu, dans sa fougueuse audace,<br />
La <strong>la</strong>nce encor levée , il s'approche, il menace :<br />
« Misérable! à <strong>la</strong> mort si-tu viens d'échapper,<br />
C'est qu'Apollon r<strong>et</strong>ient mon bras prêt à frapper ?<br />
Apollon que toujours invoque#ton courage, •<br />
Lorsque <strong>de</strong>s traits sïff<strong>la</strong>ns tu cours braver Porage.<br />
Si quelque Dieu puissant daigne me protéger,<br />
Mon g<strong>la</strong>ive dans ton cœur saura bien se plonger.<br />
Maintenant , dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine où mon courage vole ,<br />
Qu'un Troyen se présente <strong>et</strong> soudain je l'immole. »<br />
A ces mots il s'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />
Du malheureux Dryops traverse le gosier ;<br />
Dryops succombe , expire, <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée<br />
Arrête Démuchus dans l'épaisse mêlée ;<br />
Malgré sa taille immense , il brise ses genoux,<br />
Et, Pépée à <strong>la</strong> main , l'accable <strong>de</strong> ses coups.<br />
Laogon, Dardanus dont Bias est le père ,<br />
Renversés <strong>de</strong> leurs chars, vont me<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> terre,<br />
Et d'un coup <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive ou <strong>de</strong> son javelot<br />
Achille triomphant les immole aussitôt.
"568 L'ILIADE;<br />
Un <strong>de</strong>s fils d'A<strong>la</strong>stor, menacé par sa rage,<br />
Tros cherche à l'attendrir en faveur <strong>de</strong> son âge;<br />
D. croit que ce héros, ému par <strong>la</strong> pitié,<br />
Ne l'immolera point à son inimitié.<br />
Mallieureux ! vain espoir! dans son âme insensible<br />
Achille renfermait un courroux inflexible ;<br />
Tandis que le Troyen? pour dompter ce courroux ,<br />
D'une main suppliante embrasse ses genoux,<br />
Achille dans le f<strong>la</strong>nc lui plonge son épée ;<br />
La trame <strong>de</strong> ses jours à l'instant est coupée ;<br />
Sa force l'abandonne; un sang noir a coulé,<br />
Et d'un nuage épais son regard s'est voilé.<br />
Le Grec à Mulius court porter <strong>la</strong> défaite,<br />
Et d'une oreille à l'autre il lui perce <strong>la</strong> tête.<br />
Quand du g<strong>la</strong>ive fumant le tranchant allongé<br />
Dans le front d'Eehéclus tout entier s'est plongé 1<br />
La mort, <strong>la</strong> sombre mort, <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />
Ont fermé toutes <strong>de</strong>ux sa débile paupière.<br />
Contre Deucalion le fer tourné soudain<br />
Lui traverse à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> le cou<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> main ;<br />
Les nerfs sont déchirés ; le Troyen immobile ,<br />
Vaincu par <strong>la</strong> douleur, s'arrête aux pieds d'Achille;
CHANT VINGTIÈME. 36g<br />
B attend le trépas i <strong>et</strong> sous les coups du fer<br />
Sa tête avec son casque au loin v#le dans Pair ;<br />
La moelle <strong>de</strong>-ses- os jaillit, el dans <strong>la</strong> feule<br />
Son corps inanimé tombe , bondit <strong>et</strong> roule.<br />
1 Noble ils <strong>de</strong> Krée , un guerrier valeureux,<br />
Rhigmus, qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thrace- a fki les champs heureux 1<br />
Attaqué par Achille, au fond <strong>de</strong> sa poitrine<br />
Sent pénétrer <strong>la</strong> mort avec <strong>la</strong> javeline ;<br />
H roule loin du char ; sous un dard meurtrier<br />
Tombe Aréïthous^ son fidèle écuyer 7<br />
Tandis que , détourné par sa main défail<strong>la</strong>nte 7<br />
1?atte<strong>la</strong>ge s*enfuit d'une course tremb<strong>la</strong>nte.<br />
Quand le feu , propagé par le souffle <strong>de</strong>s vents %<br />
Ec<strong>la</strong>te <strong>et</strong> se disperse en tourbillons mou vans,<br />
Des ari<strong>de</strong>s coteaux, <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>s vallées<br />
H dévore en courant les forêts ébranlées :<br />
Tel Achille irrité, précipitant son vol ?<br />
Frappe, <strong>et</strong> d'un sang épais noircit partout le sol.<br />
Des bœufs au <strong>la</strong>rge front f dans une aire ap<strong>la</strong>nie,<br />
Inclinant sous le joug leur tête réunie,<br />
Mugissent, <strong>et</strong> leurs pas au loin font voltiger<br />
La paille <strong>et</strong> Porge b<strong>la</strong>nche avec son grain léger :<br />
à. «4
37o L'ILIADE.<br />
Tekf sous leurs pieds fougueux} les <strong>de</strong>ux chevaux célestes,<br />
Des corps 7 <strong>de</strong>s boucliers disséminant les restes,<br />
Sur le siège arrondi, <strong>sur</strong> l'essieu rougissant<br />
Rej<strong>et</strong>tent dans leur course un long fleuve <strong>de</strong> sang?<br />
Et d'Achille qu'au meurtre excite son courage ?<br />
Les invincibles mains se souillent <strong>de</strong> carnage.<br />
FIN DU VINGTIEME CHANT.
CHANT VINGT ET UNIÈME.<br />
M.
SOMMAIRE BU CHANT VINGT ET UNIEME.<br />
Fuite <strong>de</strong>s Troyens vers le Seamandre <strong>et</strong> vers <strong>la</strong> ville. — Achille fait<br />
doute £ris©miîers pour les immoler en Phoniieur cîe Patroclè. — Mort<br />
<strong>de</strong> Lycaon <strong>et</strong> d f Astéropée. — Lutte d $ Achille <strong>et</strong> du Scamaiidre. —<br />
Combat <strong>de</strong>s Dieux. — Apollon, sous les traits d 9 Agénor9 abuse<br />
Achille <strong>et</strong> <strong>la</strong>isse aux Troyeas le temps <strong>de</strong> s $ échapper.
L'ILIADE.<br />
CHANT VINGT ET UNIÈME.<br />
• 4chple r psjryenii jusqu'au lit, spacieux - ; / .<br />
Du XaEjthe ? rjarge flçuve , issu fki -Fpï;<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux r<br />
Terrible '7 impatient <strong>de</strong> vengeance;<strong>et</strong> <strong>de</strong>-Iiainç ,<br />
Disperse les Trojens 'dans c<strong>et</strong>te y&s^e p<strong>la</strong>ine T .<br />
Ou, le jour précé<strong>de</strong>nt y Hectçr loin, dliion<br />
Vit <strong>de</strong>s Grecs éperdus s f enfuir Je bataillon.<br />
Les uns versJ.es remparts ntarchent avec vitesse T<br />
Et Junon <strong>de</strong>vant eux répand une ombre épaisse ;<br />
Les autres dapsle fleuve aux ; gouffres argentés 7<br />
Se pressant , se heurtant , roulent épouvantés ;<br />
Le 3£anthe r<strong>et</strong>entit 7 <strong>et</strong> l'écho <strong>de</strong> ses rives<br />
Répond par un bruit sourd à ses vagues p<strong>la</strong>intives-
374 L'ILIADE.<br />
En ce tumulte ar<strong>de</strong>nt ? les eombattans épars<br />
Sur les rapi<strong>de</strong>s flots nagent <strong>de</strong> toutes parts.<br />
•Gomme un «ssaïm léger d'avi<strong>de</strong>s sauterelles-f<br />
Pour éviter du feu les atteintes mortelles ,<br />
Vers un fleuve prochain vole confusément<br />
Et se plonge à Fenvi dans son sein écumant :<br />
Les soldats ? les coursiers tombent <strong>et</strong> s'engloutissent<br />
Dans le Xanthe profond dont les eaux r<strong>et</strong>entissent.<br />
Auprès d'un tamaris Achille <strong>sur</strong> ces bords<br />
A déposé sa <strong>la</strong>nce , <strong>et</strong> ? redoub<strong>la</strong>nt d'efforts f<br />
Mortel semb<strong>la</strong>ble aux Dieux, le g<strong>la</strong>ive en main, il vole,<br />
Et $ plein d f affreux proj<strong>et</strong>s, poursuit, renverse f immole<br />
Les Troyens dont les'cris ébranlent les échos ?<br />
Les Troyens dont le sang rougit le cours <strong>de</strong>s flots.<br />
Gomme, dans leur effroi, d'un port <strong>sur</strong> <strong>et</strong> tranquille<br />
D'innombrables poissons sollicitent l'asyïe,<br />
A l'aspect imprévu d'un énorme dauphin<br />
Qui s'é<strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> eux 7 irrité par <strong>la</strong> faim :<br />
La foule <strong>de</strong>s Troyens , soustraite à sa colère ,<br />
Trouve au fond <strong>de</strong>s rochers un ahri tuté<strong>la</strong>ire.<br />
Las <strong>de</strong> meurtre , il choisit douze jeunes soldats<br />
Qui doivent <strong>de</strong> Patrocle expier le trépas ;
CHANT VINGT ET UNIEME. 3y5<br />
Tels que <strong>de</strong>s faons craintifs t loin du ieuve il les traîne,<br />
Dans leurs propres liens promptement les enchaîne ,<br />
Comman<strong>de</strong>, <strong>et</strong> les guerriers, à son ordre soumis,<br />
Vers les profonds vaisseaux gui<strong>de</strong>nt ces ennemis.<br />
Bientôt d'un sang nouveau sa colère s'abreuve.<br />
Un enfant <strong>de</strong> Priam s'é<strong>la</strong>nce hors du fleuve ;<br />
C'est Lycaon. Achille ? au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit,<br />
Loin <strong>de</strong>s champs paternels l'avait jadis conduit,<br />
^uand d'un figuier, couvert <strong>de</strong>" son jeune feuil<strong>la</strong>ge ?<br />
Pour façonner un char y il coupait le branchage.<br />
Le héros 7 l'entraînant captif <strong>sur</strong> ses vaisseaux , •<br />
Au fils du vieux Jason le vendit dans Lemnos ;<br />
Un hôte <strong>de</strong> Priam qu'Imbros avait vu naître ,<br />
Éétion 7 jaloux <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir son maître,<br />
Prodigua <strong>de</strong>s trésors, <strong>et</strong> sous les fers courbé , •<br />
Ljcaon habita <strong>la</strong> divine Arisbé.<br />
C'est <strong>de</strong> là qu'en secr<strong>et</strong> fuyant un joug sévère f<br />
Libre enfin , il revit le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> son père :<br />
Onze jours ont brillé <strong>de</strong>puis c<strong>et</strong> heureux jour<br />
Où <strong>de</strong> nombreux amis fêtèrent son r<strong>et</strong>our.<br />
Il s'enivrait <strong>de</strong> joie... A <strong>la</strong> douzième aurore ,<br />
Entre les mains d'Achille un Dieu le j<strong>et</strong>te encore j
376 L'ILIADE.<br />
C<strong>et</strong> Achille',
CHANT VIN'CT ET UNIÈME. 3yy<br />
Pour fuir l'affireux trépas, <strong>la</strong> noire Devinée ,<br />
H se courbe, <strong>et</strong> duCrrec'<strong>la</strong>jpique détournée,<br />
Impatiente encor <strong>de</strong> • répandre du sang,<br />
Dans le soLentr'ouvert se plonge-en frémissant..<br />
D saisit d'une main- c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce : acérée<br />
Dont <strong>la</strong> pointe atteignît son épaule- effleurée ;,<br />
Et <strong>de</strong> l'autre, d'Achille embrassai* les genoux ,<br />
H tente par^ces^mots-<strong>de</strong> flééhïr son-courroux :<br />
« Achille ! épargne-moi : dépose <strong>la</strong> menace ,<br />
Et p<strong>la</strong>ins un-suppliant quï.te -.<strong>de</strong>man<strong>de</strong> grâce.<br />
Tu me vois.à tes.pieds... ô douleur'!.ô regr<strong>et</strong>s !<br />
J'ai goûté près <strong>de</strong>-toi lès doux-fruits* <strong>de</strong> Gérés ,<br />
Le jour où, m'enlevaiit:au~sol héréditaire,<br />
Loin <strong>de</strong> tous mes-amis, 'hé<strong>la</strong>s l <strong>et</strong> <strong>de</strong>>mon.-père,<br />
Joyeux, tu m'entraînas dans maintenant si j'échappe à: <strong>la</strong> tombe,<br />
Je t'offre <strong>la</strong> valeur- d'une-.triple hécatombe.<br />
Depuis douze soleils, après-mes longs, malheurs,<br />
J'espérais dans-Pergame oublier mes^ douleurs ,<br />
Et dans tes mains-, déjà le-Destin me ramène,<br />
Tant <strong>sur</strong> moi.Jupiter «appesantit'sa,haine !
3y8 L'ILIADE.<br />
Pour le perdre si tôt, j f ai donc reçu le jour !<br />
O ma mère! voilà le fruit <strong>de</strong> ton amour!<br />
Epouse <strong>de</strong> Priam 7 fille du vieux Altée,<br />
De ce roi dont encor <strong>la</strong> bravoure indomptée,<br />
Dans <strong>la</strong> haute Pédase, aux bords du Satnios ,<br />
Façonne le Lélége aux belliqueux travaux ,<br />
Laothoé! les fils <strong>de</strong> ton triste hyménée<br />
Devaient donc voir tous <strong>de</strong>ux leur valeur moissonnée-!<br />
Le divin Polydore , aux périls aguerri 9<br />
Devant ses fantassins sdus ta-<strong>la</strong>nce a péri-,<br />
Terrible Achille ! <strong>et</strong> moi, dans <strong>la</strong> nuit éternelle<br />
Je rejoindrai bientôt son ombre fraternelle.<br />
A ta fureur livré par le Sort inhumain,<br />
Je n'éviterai pas ton invincible main.<br />
Ecoute cependant : épargne ma misère ;<br />
Grâce ! je ne dois pas ma naissance à <strong>la</strong> mère<br />
De ce fougueux Hector dont le g<strong>la</strong>ive sang<strong>la</strong>nt<br />
Te priva d'un ami si doux <strong>et</strong> si vail<strong>la</strong>nt. »<br />
Le fils du roi Priam se tait; mais sa prière<br />
N'obtient <strong>de</strong> son rival qu'une réponse altière :•<br />
« Insensé I ne va plus me parler <strong>de</strong> rançon !<br />
Avant que c<strong>et</strong> ami <strong>de</strong>scendît chez Plutori,
CHANT VINGT ET UNIÈME. 379<br />
J'épargnais les vaincus ; ma valeur , <strong>sur</strong> ces rives,<br />
•Pourlesvendref <strong>de</strong>fers chargeait leurs mainscaptives:<br />
Mais malheur à Priam, aux enfans <strong>de</strong> ce roi<br />
^Ju'un Dieu <strong>de</strong>vant ces murs entraînera vers moi !<br />
Mort à tous les Troyens livrés au bras d'Achille !<br />
Ami ! pourquoi former une p<strong>la</strong>inte inutile?<br />
Ce héros qui pourtant t f éclipsait en valeur,<br />
Patrocle est mort,.. Eh bien ! pour calmer ma douleur.<br />
Meurs à ton tour. En vain, florissant <strong>de</strong> jeunesse,<br />
J'ai pour père un héros, pour mère une Déesse ;<br />
En vain à tes regards je parais grand <strong>et</strong> beau ;<br />
Un <strong>de</strong>stin rigoureux me conduit au tombeau.<br />
Victime <strong>de</strong>s Enfers, je franchirai leur porte,<br />
Le matin ou le soir, à toute heure, n'importe,<br />
Lorsqu'armé <strong>de</strong> sa pique ou <strong>de</strong> ses javelots,<br />
Un guerrier, <strong>de</strong> mon sang épanchera les flots. »<br />
A ces mots, Lycaon dans son âme tremb<strong>la</strong>nte<br />
Frémît ; <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce échappe à sa main défail<strong>la</strong>nte :<br />
En étendant les bras, il s'assied ; mais soudain<br />
Achille prend le g<strong>la</strong>ive aux <strong>de</strong>ux tranchans d'airain f<br />
Plonge dans son gosier <strong>la</strong> <strong>la</strong>me tout entière,<br />
L'immole, <strong>et</strong> Lycaon, le front dans <strong>la</strong> poussière,
.38o . L'ILIADE.<br />
Me<strong>sur</strong>e un • sol .baigné <strong>de</strong>s flots noirp.d^ Bpn sang y<br />
Quand 7 d'un nouveau.cquiroux A^hiUe_ frémissfiiit^<br />
Le saisit par un; pjeçl f l'çntjraîne <strong>et</strong> fait ^esqendre :<br />
Ses membrqs jwlpfens j]pqu?au fond 4v iSbafiiftiidre.<br />
Triomphait,, il,f ? 0çrïe;:,« &jKmop6te4p,few&miz<br />
De ton cacjavre ïpipur je/Ujnre.les'l^pobeHW*; : ..<br />
Ils suceront ta p<strong>la</strong>ie,, <strong>et</strong> jjaniaig ;upe. mèf e ... *.. " , •<br />
N'arrogera, 4e pleure ta. couche funéraire. '. . ;<br />
L'impétueux,Scamapdre ^n,ses:flots écuni^n^<br />
Roulera <strong>de</strong> ton«eorps lestdébrfc tpptjupaans ;<br />
L'Océan te réc<strong>la</strong>me, <strong>et</strong>, le-poisoon avi<strong>de</strong>,,<br />
Sur le do^ vajste <strong>et</strong> noir ; <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine -liqui<strong>de</strong>.,<br />
S'é<strong>la</strong>ncera vers.toi. <strong>de</strong> l'abypae <strong>de</strong>s. wers,<br />
Et du bçauJLjcaon. dévorera les chairjs. ; .<br />
Tandis que <strong>sur</strong> -vos. pps je .seine le. carnage, :<br />
Lâches Troyeng, fuyez! vaincus.par mQn coprage^<br />
Périssez tous,aïn$i'f jusqu'au jour,où" ce» qataJLqs ;.<br />
De vos divins .rçmpwjts jS f QuwifQ'ntl^ dhemjuos.:. ' :<br />
N'invoquez pks.ee- fleuve, m% bia»fliis^ptes on<strong>de</strong>s^<br />
Ce, fleuve prëtecteurt dont les. grottes] profon<strong>de</strong> . .<br />
Dans leur gouffre; argenté,virent .j<strong>et</strong>er .souvent<br />
Plus d'un. fougueux : taureau, plus, d'un coursier vivant.
CHANT VINGT ET UNIÈME. 381<br />
Oui f vous itecévtëz tôtis' âûfe.fridti; déplorable ;<br />
C<strong>et</strong>te mort que féWs'dÔitiMa'li&iiié ihe&ôrabïe,<br />
• Satisfera Patrocle <strong>et</strong> le» nomïïrètix Soldât^ ,'<br />
Aux jours <strong>de</strong> mon absence ? iftflHoJKh par vos bras. *<br />
H a dit : pour fxompfer'àk''Êtt'eîiÉ'ée. , lïaiitjÉin6'f<br />
Le-Scamandre en conçoit une M&Vêllè hiûifré,<br />
Et son-cœur fiitieiii songe- par quels' moyens '<br />
l:peut dompter Achille <strong>et</strong> sauter lés Troyenâ.<br />
Abhille -vôle-j armé dé sa <strong>la</strong>ncé'hëMici<strong>de</strong>. '<br />
Issu <strong>de</strong>'Pélégon 1 <strong>de</strong>' éét'homtaè intrépi<strong>de</strong> 7<br />
Qui reconnut jadis pdur auteurs <strong>de</strong> ses jours<br />
Péribe <strong>et</strong> FAxius, ce ICUTC au <strong>la</strong>rge cours f<br />
Astéropée attend, <strong>de</strong>bout sûr le rivage,<br />
Qu ? AchiIle jusqu f à lui précipite' sa rage.<br />
Entre ses mains <strong>de</strong>ut traits , instrument <strong>de</strong> terreur,<br />
S'agitent, <strong>et</strong> le Xanthe enhardit sa fureur ?<br />
Indigné <strong>de</strong>voir vu par le fils <strong>de</strong> Pëléé<br />
D'innombrables Troyens <strong>la</strong> jeunesse immolée.<br />
Le Grec enfin s^approche, <strong>et</strong> commence en ces mots :<br />
« Quel pays fa'vu naitrey ô : 8ùp<strong>et</strong>be hérb^ !<br />
Tu m'oses affronter ! Màlheiir y malheur au père<br />
Dont les fils impru<strong>de</strong>ns provoquent ma colère ! »
38* L'ILIADE.<br />
« Noble Achille ! pourquoi me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mon sort?<br />
Onze soleils ont lui j <strong>de</strong>puis que vers ce bord .<br />
Guidant <strong>de</strong> mes soldats <strong>la</strong> foule réunie,<br />
JPai quitté <strong>la</strong> lointaine <strong>et</strong> riche Péonie.<br />
L f Axius, qui répand <strong>sur</strong> mon pays natal<br />
De ses bril<strong>la</strong>ntes eaux le limpi<strong>de</strong> cristal,<br />
Engendra Pélégon, illustre par sa <strong>la</strong>nce,<br />
Et, fils <strong>de</strong> ce guerrier ? j'imite sa vail<strong>la</strong>nce.<br />
Viens} terrible ennemi ! combattons à présent.- » -<br />
Achille , à ce discours, <strong>de</strong> son frêne pesant<br />
A soulevé <strong>la</strong> masse, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains habiles,<br />
Son rival a <strong>la</strong>ncé <strong>de</strong>ux javelots agiles :<br />
L'un? <strong>sur</strong> le bouclier dirigeant son essor ?<br />
Se recourbe émoussé contre sa <strong>la</strong>me d'or ; • "<br />
L'autre au bras droit lui porte une atteinte légère, •<br />
Et j souillé d'un sang noir, se plonge dans <strong>la</strong> terre;<br />
Brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Fimmoler, Achille en frémissant -<br />
Fait voler à son tour un trait r<strong>et</strong>entissant, "<br />
Qui s'égare en tombant <strong>de</strong>vant Astéropée,<br />
Et s'enfonce'à •<strong>de</strong>mi dans <strong>la</strong> rive escarpée.<br />
Le fils <strong>de</strong> Pélégon' veut arracher le bois ;<br />
D'une main vigoureuse il l'ébranlé trois' fois j
CHANT VINGT ET UNIEME. .383"<br />
Un quatrième effort .ne sera point stérile ;<br />
H Fa courbé... soudain l'impétueux Achille7<br />
Tirant son fer aigu 7 lui déchire le' f<strong>la</strong>nc ;<br />
Le coup a pénétré près du nombril sang<strong>la</strong>nt.<br />
Le sol poudreux reçoit ses brû<strong>la</strong>ntes entrailles<br />
Et <strong>sur</strong> ses yeux s'étend <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s funérailles.<br />
Le vainqueur foule aux pieds son corps tout palpitant7<br />
Arrache son armure <strong>et</strong> crie en l'insultant :<br />
« Meurs ! <strong>la</strong> face d'un fleuve 7 en sa coupable audace 1<br />
De Jupiter en vain n'attaque point <strong>la</strong> race.<br />
Demeure <strong>sur</strong> ces bords étendu sans cercueil !<br />
Si le <strong>la</strong>rge Axius t'inspire tant d'orgueil 7"<br />
Je dois à Jupiter ma naissance divine 7<br />
Puisque Pelée 7 auteur <strong>de</strong> ma noble origine 7<br />
Des nombreux Myrmidons monarque glorieux 7<br />
Eut pour père Eacus 7 enfant du roi <strong>de</strong>s cieùx.<br />
Les fils <strong>de</strong> Jupiter à leur obéissance<br />
Des fils <strong>de</strong> chaque fleuve ont soumis <strong>la</strong> puissance.<br />
Le Xantlie est près <strong>de</strong> toi 7 qu'il cherche à te sauver...<br />
Mais Jupiter l'emporte ; il ne peut le braver.<br />
Jupiter punirait <strong>de</strong> leur vaine démence<br />
Le fort Achélous <strong>et</strong> l'Océan immense ;
384 L'ILIADE.<br />
Ce profond Océan qui nourrit <strong>de</strong> ses- eaux<br />
Les fleuves <strong>et</strong> les tueraT les puits <strong>et</strong> les ruisseaux,<br />
Frémit épouvanté' quand le tonnerre-gron<strong>de</strong>,<br />
Et du haut <strong>de</strong> l'Olympe éc<strong>la</strong>te <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>. »<br />
Loin du bord' escarpé le vainqueur a soudain<br />
R<strong>et</strong>iré sans effort, le javelot d'airain,<br />
Et <strong>de</strong> son ennemi le corps méconnaissable- %<br />
Baigné par Fon<strong>de</strong> obscure <strong>et</strong> couché <strong>sur</strong> le sable,<br />
Laisse mille poissons à ses f<strong>la</strong>ncs attachés<br />
Dévorer ses <strong>la</strong>mbeaux l'un par l'autre arrachés.<br />
Achille, poursuÎTant sa course suspendue,<br />
Voit <strong>de</strong>s Péoniens <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge éperdue,<br />
A l'aspect <strong>de</strong> son chef vaincu dans les combats,<br />
Près du Xanthe fougueux précipiter ses pas.<br />
Là, le héros, couvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> faveur céleste,<br />
Court immoler Mnésus <strong>et</strong> frapper Ophéleste :<br />
Sur le corps <strong>de</strong> Mydon expirent Thrasius, .<br />
Thersiloque, Astypyle, <strong>et</strong> le brave Énïus;<br />
Mille autres succombaient, immolés par sa rtge,<br />
Si gopdaïn, d'un mortel empruntant le visage,<br />
Dans ses antres profonds le fleuve menaçant<br />
Vers lui <strong>de</strong> son courroux n'eât élevé l'accent :
CHANT YINGT ET UNIÈME. 385<br />
« O toiyle plus vail<strong>la</strong>nt, mais le plus redoutable,<br />
O guerrier que le ciel rend toujours indomptable t<br />
Achille ! si tu dois, guidé par Jupiter,<br />
Sur tous les fils <strong>de</strong> Troie appesantir ton fer,"<br />
S'ils périssent, du moins que ta rage inhumaine,<br />
Pour respecter mes bords, s'exerce dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />
De. cadavres sang<strong>la</strong>ns mon on<strong>de</strong> se remplit ;<br />
Resserré dans ma course <strong>et</strong> captif dans mon lit,<br />
Je ne puis, r<strong>et</strong>enu par leur foule entassée,<br />
Rouler jusqu'à <strong>la</strong> mer ma vague embarrassée.<br />
Chef <strong>de</strong>s peuples ! arrête <strong>et</strong> suspends ta fureur*<br />
Frappé d'étonnement, j'ai connu <strong>la</strong> terreur. »<br />
Achille aux pieds légers répond : « Divin Scamandre !<br />
Si, docile à ta voix, je dois un jour l'entendre,<br />
M faut que les Troyens par mes coups obstinés,<br />
En fuyant vers leurs murs, soient tous exterminés,<br />
Et qu'entre Hector <strong>et</strong> moi notre valeur déci<strong>de</strong><br />
Qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tombera sous le g<strong>la</strong>ive homici<strong>de</strong>. »<br />
D'un plus ar<strong>de</strong>nt courroux le héros a frémi,<br />
Et, comme un Dieu terrible, il fond <strong>sur</strong> l'ennemi.<br />
« Phébus à l'arc d'argent ! fils du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre !<br />
Dit le fleuve, pourquoi trahir l'ordre d'un père ?<br />
a. a5
386. L 5 ILIàDË.<br />
Ton père dans ces champs if ordonna d'accourir f<br />
De venger les Troyens <strong>et</strong> <strong>de</strong> les secourir,<br />
Jusqu'à l'heure où du soir le crépuscule sombre<br />
Sur <strong>la</strong> terre fertile aura j<strong>et</strong>é son ombre. »<br />
Il a dit : le héros, loin du bord é<strong>la</strong>ncé,<br />
Se plonge dans le sein du fleuve courroucé,<br />
Qui, pour îensevelir -, <strong>de</strong> toutes parts ramasse<br />
De ses flots tournoyans <strong>la</strong> bouillonnante masse,<br />
S'agite sour<strong>de</strong>ment, mugit comme un taureau ,<br />
Des corps ensang<strong>la</strong>ntés rej<strong>et</strong>te le far<strong>de</strong>au<br />
Et dans ses rocs profonds f dans ses vastes abymes<br />
Cache pour les sauver d'innombrables victimes.<br />
Les flots qu'Achille en vain s'apprête à défier ,<br />
Se dressent en grondant contre son bouclier ;<br />
Son pied chancelle <strong>et</strong> glisse ; en arrachant un orme<br />
Dont un ombrage épais ceignait <strong>la</strong> tête énorme ,<br />
H décliïre <strong>la</strong> rive, <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> l'on<strong>de</strong> étendu,<br />
C<strong>et</strong> arbre lui présente un pont inattendu ;<br />
Alors, d'un saut rapi<strong>de</strong> il le franchit sans peine y<br />
Et j du gouffre 'échappé, s'é<strong>la</strong>nce dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />
Pour arrêter AchiEe <strong>et</strong> venger les Troyens 7<br />
Le redoutable Dieu brise tous ses liens,
CHANT VINGT ET UNIÈME. 387<br />
Bouillonne <strong>et</strong>, dépassant ses rives impuissantes 7<br />
Amoncelle <strong>de</strong>s eaux sombres <strong>et</strong> mugissantes.<br />
Maïs le fils <strong>de</strong> Pelée a parcouru bientôt<br />
L'espace qu'en son vol décrit un javelot :<br />
Tel, franchissant les airs d'une course rapi<strong>de</strong> 7<br />
S'é<strong>la</strong>nce l'aigle noir 7 ce chasseur intrépi<strong>de</strong>.<br />
Tandis qu'en rugissant son rival le poursuit,<br />
Son armure d'airain rend un lugubre bruit.<br />
Lorsqu'un homme, courbé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> bêche pesante,<br />
Ecartant les cailloux qu'un sillon lui présente ?<br />
Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte altérée <strong>et</strong> le frêle arbrisseau<br />
Conduit dans son jardin un limpi<strong>de</strong> ruisseau,<br />
Sur le sol incliné l'on<strong>de</strong> mobile <strong>et</strong> pure<br />
S'échappe <strong>et</strong> le précè<strong>de</strong> avec un sourd murmure :<br />
Tel le fleuve en courroux le presse ? tant les Dieux<br />
Surpassent les mortels abaissés <strong>de</strong>vant eux ï<br />
Achille menacé se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> s'arrête<br />
Pour voir si tout l'Olympe a juré sa défaite j<br />
Mais l'on<strong>de</strong> frémissante élève à gros bouillons<br />
Au <strong>de</strong>ssus du héros ses fougueux tourbillons 1<br />
Et le suivant partout où <strong>la</strong> terreur l'entraîne,<br />
Fait fléchir ses genoux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mouvante arène.<br />
a5.
388 L'ILIADE.<br />
Dirigeant vers les cieux un regard <strong>la</strong>nguissant,<br />
Achille consterné s'écrie en gémissant :<br />
« Jupiter ! si les Dieux m'arrachent à ce fleuve ,<br />
Du sort le plus cruel je peux subir l'épreuve.<br />
Ne më p<strong>la</strong>indront-ils pas? Tous ces Dieux immortels.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! comme Thétis-ne sont point criminels.<br />
Dans ce gouffre ennemi c'est Thétis qui me plonge ;<br />
Oui, sa voix me berça d'un funeste mensonge,<br />
Lorsqu'elle me prédit qu'Ilion <strong>de</strong> mes jours<br />
Par les traits d'Apollon verrait trancher le cours.<br />
Que n'ai-je eu pour vainqueur Hector dont le courage<br />
Sert d'exemple aux guerriers nourris <strong>sur</strong> ce rivage !<br />
Héros ^ j'aurais péri <strong>de</strong> <strong>la</strong> main d'un héros,<br />
Et je vais sans honneur expirer sous les flots,<br />
Gomme un enfant pasteur s'engloutit <strong>et</strong> se noie<br />
Dans le torrent d'hiver qui dévore sa proie. *<br />
Sous un aspect mortel Neptune avec Pal<strong>la</strong>s<br />
Accourt auprès d'Achille <strong>et</strong> saisissant son bras :<br />
« Fils <strong>de</strong> Pelée ! abjure une crainte importune,<br />
Quand Jupiter t'envoie <strong>et</strong> Pal<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Neptune;<br />
Ton <strong>de</strong>stin ne veut pas que ce fleuve écumant,<br />
Rival audacieux, triomphe impunément;
CHANT VINGT ET UNIÈME. 389<br />
Tu verras <strong>de</strong> ses flots expirer <strong>la</strong> colère.<br />
Mais écoute : reçois un conseil tuté<strong>la</strong>ire.<br />
Pour cesser le carnage, attends que les fuyards<br />
Cherchent tous un asjle au fond <strong>de</strong> leurs remparts.<br />
Couvert du sang d'Hector, reviens chargé <strong>de</strong> gloire s<br />
C'est nous qui t'accordons c<strong>et</strong>te illustre victoire. »<br />
En achevant ces mots, les <strong>de</strong>ux divinités<br />
Remontent vers l'Olympe à pas précipités,<br />
Et l'ar<strong>de</strong>ur du héros-, par leur voix secondée ,<br />
S'é<strong>la</strong>nce au même instant dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine inondée,<br />
Où son œil voit flotter <strong>de</strong> mille combattans<br />
Les armures d'airain <strong>et</strong> les corps palpitans.<br />
Animé par Pal<strong>la</strong>s d'une force divine.<br />
Dès qu'il monte au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute colline,<br />
Loin d'imposer un frçïn à ses flots ralentis 7<br />
Le Xanthe roule encor <strong>sur</strong> le fils <strong>de</strong> Thétis,<br />
Soulève en bondissant sa vague bouillonnante<br />
Et vers le Simoïs pousse une voix tonnante :<br />
« O mon frère chéri ! joins tes efforts aux miens.<br />
Arrêtons ce héros qui, vainqueur <strong>de</strong>s Troyens><br />
Bientôt à son courage, à sa haine fidèle,<br />
Détruira <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> cita<strong>de</strong>lle.
%o L'ILIADE.<br />
"Viens donc : franchis tes bords, préte-moi ton secours;<br />
De tes sources sans nombre épanche au loin le cours |<br />
Enfle les noirs torrens, épuise les fontaines ;<br />
Entraîne avec fracas dans ces immenses p<strong>la</strong>ines<br />
Des arbres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s rocs les débris entassés.<br />
Gourons <strong>et</strong> que nos flots, <strong>sur</strong> sa tête amassés,<br />
Etouffent ce mortel dont Faudace rivale<br />
Des Dieux insolemment prétend marcher l'égale.<br />
S'il triomphe un moment, liguons-nous contre lui,<br />
Et, trahi par sa force, il n'aura pour appui,<br />
Ni sa noble beauté, ni sa bril<strong>la</strong>nte armure<br />
Que je vais engloutir dans une fange impure.<br />
Oui, je veux, punissant ce farouche héros,<br />
Sous un épais limon ensevelir ses os.<br />
Là sera son tombeau ; ses dépouilles si chères<br />
N'obtiendront pas <strong>de</strong>s Grecs les honneurs funéraires, n<br />
A peine il a parlé, le Xanthe mugissant<br />
Vomit avec <strong>de</strong>s morts <strong>de</strong> l'écume <strong>et</strong> du sang ;<br />
En rougeâtres bouillons son on<strong>de</strong> amoncelée<br />
Murmure, en se dressant <strong>sur</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée.<br />
Junon , tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> voir ce héros englouti,<br />
Pousse un cri dont l'Olympe au loin a r<strong>et</strong>enti ;
CHANT VINGT ET UNIÈME. 39j<br />
Ele appelle Vulcaïn : « Lève-toi 1 lui dit-elle;<br />
0 mon fils, lève-toi! nous implorons ton zèle.<br />
Pour combattre le Xanthe <strong>et</strong> triompher <strong>de</strong> lui,<br />
De tes feux <strong>de</strong>structeurs accor<strong>de</strong>-nous Pappui.<br />
Je <strong>la</strong>ncerai du fond <strong>de</strong> Forageux empire<br />
Le violent Notus, l'impétueux Zéphire,<br />
Et par Forage encor Fincendie excité<br />
Brûlera <strong>de</strong>s Troyens le camp <strong>et</strong> <strong>la</strong> cité.<br />
Contre le Xanthe armé, dans ta fureur active,<br />
Embrase , anéantis les arbres <strong>de</strong> sa rive;<br />
Consume-le lui-même ; oui, méprise à <strong>la</strong> fois<br />
L'accent <strong>de</strong> son courroux, <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> sa voix,<br />
Et d'un désastre affreux que ta f<strong>la</strong>mme nourrie<br />
Atten<strong>de</strong> mon signal pour calmer sa furie. »<br />
Vulcaïn dar<strong>de</strong> aussitôt ses feux étince<strong>la</strong>ns<br />
Qui volent, dispersés en tourbillons brû<strong>la</strong>ns,<br />
Et consument les corps <strong>de</strong> ces guerriers sans nombre<br />
Qu'Eaci<strong>de</strong> plongea <strong>sur</strong> le rivage sombre ;<br />
L'eau s'arrête ; le sol, <strong>de</strong> cadavres jonché,<br />
Se convertit en cendre <strong>et</strong> <strong>la</strong>nguit <strong>de</strong>sséché.<br />
Gomme on voit, dans les jours <strong>de</strong> Forageuse automne,<br />
Tandis qu'au doux espoir le colon s'abandonne,
392' L'ILIADE.<br />
Le souffle <strong>de</strong> Borée assainir les terrains<br />
Dont les flots <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie ont inondé les grains :<br />
Tel Vulcain , embrasant <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tout entière,<br />
Dirige <strong>sur</strong> le fleuve un vol incendiaire. •<br />
Les joncs, les tamaris, les cyprès ., les ormeaux ,<br />
Le lotos au front vert , le saule aux longs rameaux,<br />
Tant d'arbres, ornement d'un fertile rivage.,<br />
Périssent consumés par son brû<strong>la</strong>nt ravage.<br />
Et le poisson qui fuit', poursuivi par Vulcain ,<br />
Dans les gouffres profonds cherche un refuge vain.<br />
Quand le.Xanthe lui-même--est atteipt par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />
Ces accens douloureux s'exhalent <strong>de</strong> son âme.:<br />
ce Vulcain ! quel Dieu pourrait résister à ton bras ?<br />
Contre tes feux ar<strong>de</strong>ns je «e lutterai pas.<br />
Captive ton courroux <strong>et</strong> qu'en ce jour Achille<br />
Chasse tous les 'Tioyens <strong>de</strong>s •remparts 4e leur ville.<br />
Pourquoi leur-prêterais-je un impuissant secours? »<br />
Ainsi gémit le fleuve, arrêté dans son cours.<br />
Comme d'un -sanglier <strong>la</strong> dépouille bril<strong>la</strong>nte<br />
Agite à flots épais sa graisse succulente<br />
Dans un vase d'airain, <strong>sur</strong> le brasier fumant<br />
Dont un bois -<strong>de</strong>sséché compose l'aliment :
CHANT VINGT ET UNIÈME. 3g3<br />
Il brûle tout entier , <strong>et</strong> son eau qui bouillonne,<br />
En rapi<strong>de</strong>s vapeurs dans les airs tourbillonne.<br />
Lorsque du Xanthe enfin , sous Vulcain écrasé ,<br />
Tous les flots vont tarir dans son lit embrasé.<br />
Il implore Junon : ce 0 puissante Déesse !<br />
Qu'espère <strong>de</strong> ton fils <strong>la</strong> fureur vengeresse ?<br />
Les crimes <strong>de</strong> ces Dieux, protecteurs <strong>de</strong>s Troyens,<br />
Sont-ils donc plus sacrés ou moins grands que les miens ?<br />
Toutefois qu'il s'apaise <strong>et</strong> je cesse <strong>la</strong> lutte ,<br />
Et d'Hion jamais, je n'arrête <strong>la</strong> chute ,<br />
Dussé-je voir ses murs, promptement consumés,<br />
S'écrouler sous les feux par <strong>la</strong> Grèce allumés. »<br />
Junon aux bras d'albâtre <strong>et</strong> l'entend <strong>et</strong> .s'écrie :<br />
« 0 mon illustre fils ! comprime -ta furie ;<br />
La justice défend à tes fougueuses mains<br />
De tourmenter un Dieu pour <strong>de</strong> faibles humains. »<br />
Vulcain éteint <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ; entre ses belles rives<br />
Le Xanthe comprimé roule <strong>de</strong>s eaux captives ;<br />
Ils cessent <strong>de</strong> combattre <strong>et</strong> du couple ja<strong>la</strong>ux<br />
La Déesse indignée -enchaîne le courroux.<br />
Cependant <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong>, imp<strong>la</strong>cable^ inhumaine,<br />
Parmi les autres Dieux court exciter <strong>la</strong> haine,
394 L'ILIADE.<br />
Et tous j en s'attaquant par un choc ennemi 1<br />
Poussent mille c<strong>la</strong>meurs dont <strong>la</strong> terre a frémi.<br />
Bientôt du haut <strong>de</strong>s cïeux <strong>la</strong> tromp<strong>et</strong>te résonne,<br />
Et Jupiter j assis au faîte <strong>de</strong> son trône,<br />
Souriant dans son cœur? dé ce combat fatal<br />
Ecoute avec p<strong>la</strong>isir le terrible signal.<br />
Mars j agitant sa pique au milieu du tumulte f<br />
Sur Minerve é<strong>la</strong>ncé, <strong>la</strong> provoque <strong>et</strong> l'insulte :<br />
« Impu<strong>de</strong>nte ! pourquoi tes transports furieux<br />
Vers le champ <strong>de</strong>s combats poussent-ils tous les Dieux?<br />
Ne te souvïent-ïl plus que le fils <strong>de</strong> Tydée<br />
Par tes célestes mains vit sa <strong>la</strong>nce guidée,<br />
Quand 7 <strong>de</strong> mon corps meurtri déchirant <strong>la</strong> beauté,<br />
Tu répandis le sang d'une divinité ?<br />
Voici j voici l'instant d'expier c<strong>et</strong> outrage.<br />
Tremble ! » La <strong>la</strong>nce en main, Mars f frémissant <strong>de</strong> rage,<br />
Frappe ; Minerve oppose à son fougueux essor<br />
La redoutable égi<strong>de</strong> aux longues franges d'or?<br />
Que Jupiter lui-même, en déchaînant sa foudre.<br />
Chercherait à briser sans <strong>la</strong> réduire en poudre.<br />
Pal<strong>la</strong>s a reculé : <strong>sur</strong> le sol, <strong>de</strong>vant eux,<br />
Gisait un rocher noir7 énorme, raboteux,
CHANT VINGT ET UNIÈME. 395<br />
Que pour seule limite à leurs <strong>de</strong>ux héritages 7<br />
Posèrent <strong>de</strong>s mortels 7 nés dans les anciens, âges :<br />
Sa main qui sans effort j<strong>et</strong>te ce bloc rou<strong>la</strong>nt,<br />
Frappe le cou <strong>de</strong> Mars ; il tombe -défail<strong>la</strong>nt ;<br />
La poussière à longs flots souille sa chevelure<br />
Et le sol r<strong>et</strong>entit sous sa bruyante armure.<br />
Souriant à Faspect <strong>de</strong> ses membres guerriers<br />
Qui cliargent <strong>de</strong> leurs poids sept arpens tout entiers^<br />
Elle s'écrie : « 0 Mars ! Pal<strong>la</strong>s est <strong>la</strong> plus forte.<br />
Ignores-tu combien Pal<strong>la</strong>s <strong>sur</strong> toi l'emporte?<br />
Insensé 1 crains ta mère ; elle a maudit tes jours. •<br />
Ses imprécations te poursuivent toujours ?<br />
Puisqu'au parti <strong>de</strong>s Grecs ta valeur infidèle<br />
Des parjures Troyens embrasse <strong>la</strong> querelle. »<br />
Pal<strong>la</strong>s a détourné ses éc<strong>la</strong>tans regards 7<br />
Lorsque Vénus, tremb<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> les <strong>de</strong>stins <strong>de</strong> Mars,<br />
Vole, saisit sa main, hors <strong>de</strong>s combats Fentraîne,<br />
Et voit en longs soupirs s'exhaler son haleine.<br />
Mais Junon : « 0 Pal<strong>la</strong>s ! fille du roi <strong>de</strong>s cïeux !<br />
Arrête <strong>de</strong> Vénus les pas audacieux ;<br />
L'impu<strong>de</strong>nte ravit aux ar<strong>de</strong>ntes batailles<br />
Mars, ce farouche auteur <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> funérailles. » .
3# L'ILIADE.<br />
Sur le sein-<strong>de</strong> Vénus l'intrépi<strong>de</strong> PaMasf<br />
Ivre <strong>de</strong> joie f accourt appesantir son bras ;<br />
Vénus pâlit , chancelle <strong>et</strong> succombe immobile<br />
Près <strong>de</strong> Mars étendu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre fertile.<br />
Pal<strong>la</strong>s triomphe : « Ainsi puissé-je voir punis<br />
Tous ces coupables Dieux , contre <strong>la</strong> Grèce unis!<br />
Si tous avaient montré <strong>la</strong> confiante audace<br />
Que déploya Vénus en bravant ma menace,<br />
Terminant les combats , nous aurions dès long-temps<br />
Renversé«d'Ilion les remparts -éc<strong>la</strong>tons. »<br />
Junon aux bras d'albâtre a souri d'allégresse.<br />
Cependant à Phébus le roi <strong>de</strong>s mers s'adresse :<br />
« Phébus! quand <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> arme les-Dieux rivaux,<br />
Pourquoi <strong>la</strong>nguir captifs dans l'oubli <strong>de</strong>s travaux ?<br />
Sans avoir combatte, -<strong>de</strong> quel front reparaître<br />
Dans ce pa<strong>la</strong>is d'airain -dont Jupiter est maître ?<br />
Commence donc,. Moins jeune <strong>et</strong> plus sage que toi,<br />
De ne pas attaquer je me fais une loi.<br />
Insensé! dans ton cœur oublieux <strong>de</strong> ta gloire 9<br />
De nos malheurs passés perdcais-tu <strong>la</strong> mémoire,<br />
Quand, seuls <strong>de</strong> touslesDieux, <strong>sur</strong> ces bords <strong>de</strong>scendus.<br />
Prodiguant à vil prix nos services vendus,
CHANT. YINGT ET UNIÈME. 397<br />
Près <strong>de</strong> Laomédon, durant toute une année7<br />
Nous vîmes notre honte à son joug condamnée?<br />
L'ingrat ! je construisis ces murs <strong>la</strong>rges <strong>et</strong> forts<br />
Qui <strong>de</strong>vaient <strong>de</strong>s combats repousser les efforts ;<br />
Je bâtis une ville7 <strong>et</strong> l'Ida qui s'ombrage<br />
D'innombrables forêts au verdoyant feuil<strong>la</strong>ge 7<br />
L'Ida vit sous ta gar<strong>de</strong>, en ses rians coteaux7<br />
Des bœufs au pied flexible errer les noirs troupeaux.<br />
Mais quand Fînstant <strong>de</strong> fuir nos serviles <strong>de</strong>meures<br />
Arriva grâce au vol <strong>de</strong>s bienfaisantes Heures 7<br />
De ces ru<strong>de</strong>s travaux, pour lui seul entrepris 7<br />
Notre maître insolent nous refusant le prix,<br />
Menaça <strong>de</strong> charger tes mains du poids <strong>de</strong>s chaînes 1<br />
De t'exiler captif dans les îles lointaines ;<br />
Et du g<strong>la</strong>ive d'airain 7 levé <strong>sur</strong> notre front,<br />
Nos oreilles peut-être auraient subi l'affront.<br />
De sa<strong>la</strong>ire privés 7 lorsqu'enfîn nous partîmes 7<br />
Associant tous <strong>de</strong>ux nos haines légitimes7<br />
Nous jurâmes sa perte7 <strong>et</strong> tu veux aujourd'hui<br />
A son peuple abhorré prodiguer ton appui !<br />
Extermine plutôt7 pour venger nos injures 7<br />
Les femmes <strong>et</strong> les fils <strong>de</strong> ces Troyens parjures ! »
398 L'ILIADE.<br />
Phébus qui fait voler ses flèches dans les airs,<br />
Répond soudain : « Neptune ! ô puissant Dieu <strong>de</strong>s mers!<br />
Sans doute tu pourrais m f accuser <strong>de</strong> folie ,<br />
Si, bravant le courroux dont ton ame est remplie,<br />
Fier <strong>de</strong> te résister f je soutenais les droits<br />
Des vils mortels 9 pareils à ces feuilles <strong>de</strong>s boisf<br />
Qui <strong>de</strong>s sucs <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre un moment se nourrissent,<br />
Se <strong>de</strong>ssèchent bientôt <strong>et</strong> pour toujours périssent.<br />
Plus <strong>de</strong> guerre ! <strong>la</strong>issons, dans leurs saeg<strong>la</strong>ns débats,<br />
Les humains s'envoyer un mutuel trépas. »<br />
H s'éloigne à ces mots, tant sa crainte vénère<br />
Le frère <strong>de</strong> ce Dieu qui <strong>la</strong>nce le tonnerre !<br />
Mais Diane , sa sœur 7 Diane dont les trait»<br />
Percent l'hôte tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s sauvages forêts :<br />
« Phébus ! pourquoi t'enfuir, <strong>et</strong> cédant <strong>la</strong> victoire f<br />
A Neptune <strong>la</strong>isser une facile gloire ?<br />
Lâche ! c<strong>et</strong> arc en vain a donc armé ton bras?<br />
Ali ! dans l'Olympe encor que je n'enten<strong>de</strong> pas f<br />
En présence <strong>de</strong>s Dieux, ta superbe insolence<br />
De ce fougueux rival mépriser <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce. »<br />
Phébus se tait : alors Junon f reine <strong>de</strong>s cieux f<br />
Exhale son courroux en mots injurieux :
CHANT VINGT ET UNIÈME. 399<br />
« Quoi ! tu m'oses braver, ô Déesse impu<strong>de</strong>nte !<br />
Tu n'échapperas point à ma colère, ar<strong>de</strong>nte.<br />
Contre un sexe impuissant ? du lion indompté<br />
Jupiter t'inspira le courage effronté,<br />
Mais en vain : <strong>sur</strong> les monts que ta flèche poursuive<br />
Le bondissant chevreuil ou <strong>la</strong> biche craintive.<br />
Voilà les seuls exploits à, ta valeur permis.<br />
Ne m'oppose donc plus tes efforts ennemis f<br />
Ou , si tu veux tenter ma haine vengeresse ,<br />
Frémis ! tu connaîtras ma force <strong>et</strong> ta faiblesse. »<br />
A ces mots 9 <strong>de</strong> Diane elle saisit <strong>la</strong> main 7<br />
De son pesant carquois <strong>la</strong> dépouille soudain f<br />
La repousse ? <strong>et</strong> joignant le mépris à l'injure ,<br />
Avec un ris moqueur lui frappe <strong>la</strong> figure.<br />
Les traits tombent épars ; Diane tout en pleurs<br />
Remonte vers les cieux pour cacher ses douleurs.<br />
Comme au bec du vautour <strong>la</strong> colombe soustraite,<br />
Dans le creux d'un rocher trouvant une r<strong>et</strong>raite 1<br />
Se précipite : ainsi dans son rapi<strong>de</strong> vol<br />
Elle fuit <strong>et</strong> ses dards ont bondi <strong>sur</strong> le sol.<br />
Le meurtrier d'Argus , le messager céleste<br />
S'écrie alors : « J'évite une lutte funeste.
4oo L'ILIADE.<br />
Latone ! sans péril on n'attaque jamais<br />
Les épouses du roi <strong>de</strong>s éternels somm<strong>et</strong>s.<br />
Va donc, <strong>et</strong> dans le ciel me prodiguant l'outrage,<br />
Proc<strong>la</strong>me moi Taincu par ton fougueux courage. »<br />
" Latone, rassemb<strong>la</strong>nt Parc flexible <strong>et</strong> les dards<br />
Qui près d'elle rou<strong>la</strong>ient confusément épars 1<br />
Dans <strong>la</strong> poudreuse arène avec soin les ramasse,<br />
Suit sa fille éplorée <strong>et</strong> vole <strong>sur</strong> sa trace.<br />
Diane 1 s'e<strong>la</strong>nçant vers les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Pair,<br />
Dans son pa<strong>la</strong>is d'airain court chercher Jupiter ;<br />
Sur ses genoux assise 1 elle pleure ; autour d'elle<br />
De son voile éc<strong>la</strong>tant <strong>la</strong> parure immortelle<br />
S'agite ; <strong>et</strong> l'accueil<strong>la</strong>nt avec un doux souris.,<br />
Jupiter par ces mots ras<strong>sur</strong>e ses esprits :<br />
« Quel Dieu t'ose outrager, ô ma fille chérie !<br />
As-tu par quelque faute excité sa furie ? » .<br />
a Mon père ! lui répond 7 en gémissant encor 1<br />
La Déesse <strong>de</strong>s bois au diadème d'or,<br />
Je me p<strong>la</strong>ins <strong>de</strong> Junon dont <strong>la</strong> voix téméraire<br />
Allume entre les Dieux <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> guerre. »<br />
Ils par<strong>la</strong>ient : cependant le bril<strong>la</strong>nt Apollon<br />
Pénètre jusqu'au sein du divin Ilion,
CHANT VINGT ET UNIEME. 4ot<br />
Tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> voir les Grecs dans ses belles murailles^<br />
Malgré l'arrêt du Sort, porter les funérailles.<br />
Les autres immortels, remontés dans les cieux,<br />
Autour <strong>de</strong> Jupiter restent silencieux ;<br />
A divers sentimens leur ame flotte en proie,<br />
Et palpite <strong>de</strong> rage ou triomphe <strong>de</strong> joie.<br />
Mais Achille, égorgeant <strong>de</strong>s ennemis nombreux<br />
Sur le corps <strong>de</strong>s coursiers aux ongles vigoureux ?<br />
Vole. Lorsqu'au milieu d'une ville enf<strong>la</strong>mmée,<br />
S'élève jusqu'au ciel une épaisse fumée,<br />
Les Dieux, <strong>de</strong> l'incendie animant <strong>la</strong> fureur,<br />
Avec les maux partout répan<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> terreur s<br />
Ainsi Far<strong>de</strong>nt Achille f ivre <strong>de</strong> son courage,<br />
Lance <strong>sur</strong> les Troyens le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le carnage.<br />
Le vieux Priam, <strong>de</strong>bout au faîte <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour ,<br />
J<strong>et</strong>te un œil consterné <strong>sur</strong> les champs d'alentour f<br />
Où son peuple vaincu , que l'épouvante g<strong>la</strong>ce ,<br />
Fuit d'Achille irrité <strong>la</strong> triomphante audace.<br />
Le monarque p<strong>la</strong>intif s'éloigne à pas tremb<strong>la</strong>ns,<br />
Et va dicter c<strong>et</strong> ordre aux gar<strong>de</strong>s vigi<strong>la</strong>ns :<br />
« Amis ! Achille approche... ouvrez les <strong>la</strong>rges portes ;<br />
Laissez, <strong>la</strong>issez rentrer ces nombreuses cohortes.<br />
2. a6
4o2 L'ILIADE.<br />
Voici le jour fatal... A peine nos soldats<br />
Dans l'enceinte <strong>de</strong>s murs auront fui les combats 7<br />
Fermes à leur vainqueur c<strong>et</strong>te forte barrière.<br />
Que je redoute, hé<strong>la</strong>s ! sa fureur meurtrière ! »<br />
Les portes à sa voix roulent ; un peuple entier<br />
Dans ses foyers sauveurs vient se réfugier ;<br />
Apollon j à <strong>la</strong> mort pour arracher sa proie ,<br />
S'é<strong>la</strong>nce ; <strong>et</strong> les soldats f en se hâtant vers Troie ?<br />
Dévorés par <strong>la</strong> soif, <strong>et</strong> <strong>de</strong> poudre couverts,<br />
Entrent à flots pressés dans les remparts ouverts.<br />
Impatient <strong>de</strong> gloire <strong>et</strong> <strong>de</strong> vengeance avi<strong>de</strong>,<br />
Achille les poursuit <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong>.<br />
En ce moment, <strong>de</strong>s Grecs les beliqueux enfans<br />
Dans les hauts murs troyens accouraient triomphans?<br />
Si Phébus j d'Agénor excitant le courage r<br />
Appuyé <strong>sur</strong> le hêtre <strong>et</strong> voilé d'un nuage 7<br />
De <strong>la</strong> mort loin <strong>de</strong> lui' pour détourner le bras,<br />
Auprès <strong>de</strong> ce guerrier n'eût suspendu ses pas.<br />
Mais le fils d'Anténor r interdit, immobile,<br />
S'arrête , lorsqu'il voit le redoutable Achille ?<br />
Et j <strong>de</strong>vant ce héros , <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités,<br />
Ses esprits, dans son. sein se troublent agités :
CHANT VINGT ET UNIÈME. 4o3<br />
« Malheureux ! en suivant <strong>la</strong> foule gémissante<br />
Que d'Achille poursuit <strong>la</strong> fureur menaçante 9<br />
Je mourrais comme un lâche 9 <strong>et</strong> son g<strong>la</strong>ive irrité<br />
Dans les enfers bientôt m'aurait précipité'.<br />
Mais si j'abandonnais nos troupes fugitives9<br />
L'Ida dans ses vallons, le Xanthe <strong>sur</strong> ses rives<br />
M'offriraient un asyle 9 <strong>et</strong> là 9 hors <strong>de</strong> nos murs9<br />
Je resterais caché dans les buissons obscurs ;<br />
Lorsque j'aurais 9 le soïr9 dans Fon<strong>de</strong> hospitalière<br />
Baigné mon corps fumant <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière y<br />
Je reviendrais à Troie... O proj<strong>et</strong>s incertains !<br />
Gomment au Grec vainqueur dérober mes <strong>de</strong>stins ?<br />
S'il me saisit 9 ma mort <strong>de</strong>vient inévitable ;•<br />
Car <strong>de</strong> tous les humains c'est le plus redoutable.<br />
N'importe ! sous nos murs j'attendrai son courroux ;<br />
Oui 9 l'airain <strong>sur</strong> son corps peut diriger ses coups ;<br />
Mortel j dans sa poitrine il n'enferme qu'une âme 9<br />
Et c'est Jupiter seul qui l'anime <strong>et</strong> l'enf<strong>la</strong>mme. î<br />
A ces mots 9 Agénor 9 à <strong>la</strong> crainte étranger 9<br />
Se r<strong>et</strong>ourne 9 <strong>et</strong> son cœur appelle le danger.<br />
Gomme 9 au fond d'un taillis 9 l'intrépi<strong>de</strong> panthère 9<br />
Loin <strong>de</strong> fuir ou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ou le dard sanguinaire 9_<br />
a6.
4o4 L'ILIADE. *<br />
Debout parmi les traits, calme au milieu <strong>de</strong>s cris 1<br />
De Fairaïn dans ses f<strong>la</strong>ncs conserve les décris 7<br />
Et, du hardi chasseur méprisant <strong>la</strong> menace,<br />
Ne perd qu'en même temps sa vie <strong>et</strong> son audace :<br />
Tel le fils d'Anténor? attendant le héros,<br />
Saisit, pour l'éprouver, ses bril<strong>la</strong>ns javelots ;<br />
Sous le rond bouclier qui lui prête un asyle ,<br />
Il crie à haute voix : « O téméraire Achille !<br />
Sans doute, en ce grand jour^ tu croyais dans ton cœur<br />
Renverser Dion <strong>et</strong>. marcher, son vainqueur.<br />
Insensé ! quels malheurs le sort jaloux t'apprête !<br />
Ces murs dont vainement tu poursuis <strong>la</strong>-conquête,<br />
Conservent <strong>de</strong> nombreux <strong>et</strong> <strong>de</strong> braves guerriers,<br />
Prêts à sauver leurs fils, leurs femmes 1 leurs foyers,<br />
Et toi, bientôt 1 ici f <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />
Frappera ta vail<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> ton audace altière. % .<br />
Un trait aigu, <strong>la</strong>ncé par un bras vigoureux ,<br />
Atteint près du genou son rival généreux ;<br />
Le cothurne d'étain prolonge un sourd murmure ;<br />
Mais le dard rebondit <strong>sur</strong> l'immortelle armure ,<br />
Et, présent <strong>de</strong> Vulcain, le céleste métal<br />
Du soperbe Agénor trompe l'espoir fatal.
CHANT VINGT ET UNIÈME. 4o'5<br />
En vain Achille accourt ; Apollon d'un nuage<br />
Entoure le Troyen qu'il soustrait à sa rage ;<br />
Dans un asyle obscur il Ta le déposer.<br />
Pour éloigner Achille <strong>et</strong> pour mieux Pabuser,<br />
Sous les traits d*Agénor7 par une adroite fuite 7<br />
Le Dieu semble toujours élu<strong>de</strong>r sa poursuite ?<br />
Et l'attire aisément au sein <strong>de</strong>s champs féconds<br />
Où du Xanthe fougueux roulent les flots profonds.<br />
Là j jou<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'erreur, le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Croit sans cesse l'atteindre <strong>et</strong> le manque sans cesse ,<br />
Lorsqu'enfin <strong>de</strong>s vaincus le tremb<strong>la</strong>nt bataillon<br />
Court se réfugier dans le vaste Hion.<br />
La foule <strong>de</strong>s soldats remplit Pergame entière ;<br />
Mais aucun n'oserait, regardant en arrière 7<br />
Attendre ses amis qui, ne revenant pas,<br />
Ont fui hors <strong>de</strong>s remparts, ou trouvé le trépas,<br />
Et leur essaim, sauvé par une course agile}<br />
Se répand à grands flots dans les murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.<br />
FIN DU VINGT ET UNIEME CHANT.
CHANT VINGT-DEUXIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT VINGT-DEUXIEME.<br />
Hector, malgré les conseils <strong>de</strong> Priam <strong>et</strong> d'Hécube * attend Achille<br />
pour le combattre, -r Achille poursuit Hector sous les murs d|e<br />
Troie. — Mort d'Hector. — Chant <strong>de</strong> triomphe d'Achille. — Désespoir<br />
<strong>de</strong> Priam , d'Hécube <strong>et</strong> d'Andromaque,
LILIADE.<br />
CHANT VINGT DEUXIÈME.<br />
•Pareils aux faons légers que disperse <strong>la</strong> crainte 7<br />
Les Troyens <strong>de</strong> leur vile ont regagne' l'enceinte ;<br />
Près <strong>de</strong> leurs beaux remparts7 <strong>de</strong> sueur.tout fumans^<br />
D'une soif dévorante ils calmaient les tourmens ,<br />
Et sous leurs boucliers bravant les funérailles 7<br />
Les Grecs rapi<strong>de</strong>ment s'approchaient <strong>de</strong>s muraiUes.<br />
Hors <strong>de</strong>s portes <strong>de</strong> Scée arrêté par le Sort ,-<br />
Hector seul affrontait les périls <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.<br />
a Achille ! dit Phébus, quelle fureur t'enivre ?<br />
Mortel rival d'un Dieu, pourquoi donc me poursuivre ?<br />
Crois-tu qu'un habitant <strong>de</strong>s célestes pa<strong>la</strong>is<br />
A l'aspect <strong>de</strong>s humains s'épouvante* jamais ?
4io L'ILIADE.<br />
Quoi ! lorsque lesTroyens^ renfermés dans leur ville,<br />
Contre ton bras vainqueur y cherchent un asyle,<br />
Ton aveugle courroux t'égare <strong>sur</strong> mes pas !<br />
Fuis ! je ne suis pas né pour subir le trépas. »<br />
Achille aux pieds légers <strong>et</strong> s'indigne <strong>et</strong> s'écrie :<br />
« Dieu terrible ! c*est toi qui "trompas ma furie.<br />
Sans toi, que <strong>de</strong> Troyens , renversés <strong>de</strong> leurs chars,<br />
Mordraient tous <strong>la</strong> poussière au pied <strong>de</strong> leurs remparts !<br />
Ta ruse 7 quand déjà je me couvrais <strong>de</strong> gloire,<br />
M'enlève impunément ma plus bêle victoire.<br />
Triomphe ! tu n'as plus à craindre mon courroux.<br />
Que ne puis-je à mon gré t'immoler sous mes coups ! »<br />
Il dit 7 <strong>et</strong> sa valeur que <strong>la</strong> colère enf<strong>la</strong>mme f<br />
Précipite ses pas vers les murs <strong>de</strong> Pergame :<br />
Tel un léger coursier 7 vainqueur au sein <strong>de</strong>s jeux ,<br />
S'é<strong>la</strong>nce ? <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> lice entraîne un char poudreux.<br />
Mais Priam le premier dans c<strong>et</strong>te immense p<strong>la</strong>ine<br />
Voit le fougueux Achille accourir hors d'haleine,<br />
Et frissonne à l'aspect <strong>de</strong> l'airain meurtrier<br />
Qui <strong>de</strong> loin resplendit <strong>sur</strong> le cœur du guerrier :<br />
Ainsi l'astre brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste voûte,<br />
Ce fatal Orion que l'automne redoute r
CHANT VINGT-DEUXIEME. 4u<br />
Brille dans <strong>la</strong> nuit sombre, <strong>et</strong> ses feux menaçans<br />
Présagent <strong>de</strong>s fléaux aux mortels frémissans.<br />
Le vieil<strong>la</strong>rd f au combat tandis qu'Hector s'apprête ,<br />
Pousse <strong>de</strong> longs soupirs <strong>et</strong> se frappe <strong>la</strong> tête ;<br />
Suppliant j il l'appelle en lui tendant les bras :<br />
« Cher Hector ! fuis Achille ou plutôt le trépas.<br />
Seul y loin <strong>de</strong> tes guerriers, ta valeur inégale<br />
Ne soutiendra jamais une lutte rivale.<br />
Le cruel ! si les Dieux, dans leur juste fureur,<br />
Partageaient contre lui ma haine <strong>et</strong> mon horreur,<br />
Depuis long-temps son corps ? <strong>la</strong>issé sans sépulture 7<br />
Aux dogues, aux vautours eût servi <strong>de</strong> pâture.<br />
Combien <strong>de</strong> fils vaiUans pleure encor mon amour !<br />
Son g<strong>la</strong>ive les plongea dans l'infernal séjour y<br />
Ou j vendus à prix d'or en <strong>de</strong>s îles lointaines 7<br />
Ils gémissent courbés sous l'opprobre <strong>de</strong>s chaînes.<br />
Lycaop f Poljdore , absens <strong>de</strong> nos remparts 1<br />
Hé<strong>la</strong>s ! ne charment plus mes paternels regards ;<br />
En vain Laothoé*, <strong>de</strong>s femmes <strong>la</strong> plus belle,<br />
Me donna ces <strong>de</strong>ux fruits <strong>de</strong> son amour fidèle.<br />
Dans le camp ennemi s'ils respirent encor,<br />
J'offire pow leur rançon tout l'airain <strong>et</strong> tout l'or
4i2 L'ILIADE.<br />
Dont le vieil<strong>la</strong>rd Altée enrichit ma famille,<br />
Quand j'unis mon <strong>de</strong>stin au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> sa fille.<br />
Mais du tyran <strong>de</strong>s morts s'ils ont subi <strong>la</strong> loi,<br />
Quel <strong>de</strong>uil toujours nouveau pour leur mère <strong>et</strong> pour moi !<br />
Le peuple à consoler sera pourtant facile,<br />
Si tu ne tombes point immolé par Achille.<br />
Viens défendre, ô mon fils ! les femmes <strong>de</strong>s Troy ens;<br />
Viens ! conserve à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> leurs jours <strong>et</strong> les tiens.<br />
Qu f Achille j en te portant une atteinte mortelle f .<br />
Ne se couronne pas d'une gloire éternelle.<br />
Déplore le <strong>de</strong>stin d\m père infortuné f<br />
Qu'aux plus cruels malheurs le ciel a condamné...<br />
Je verrai, sort funeste ! au seuil <strong>de</strong> ma vieillesse ,<br />
Mes filles dans les fers consumant leur jeunesse 7<br />
Mes pa<strong>la</strong>is envahis, sous leurs toits embrasés<br />
Contre le sol fumant les enfans écrasés ,<br />
Et d'un bras furieux les Grecs loin <strong>de</strong> nos rives<br />
Entraînant <strong>de</strong> mes fils les épouses captives !<br />
Dieux.! moi-même , abattu sous le fer meurtrier,<br />
Je dois mourir enfin <strong>et</strong> mourir le <strong>de</strong>rnier !<br />
Quand d'un coup <strong>de</strong> sa' <strong>la</strong>nce ou <strong>de</strong> sa javeline<br />
Un ennemi vainqueur percera ma poitrine >
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4i3<br />
Ces fidèles gardiens que ma table a nourris,<br />
DeVorant <strong>de</strong> ma chair les palpitans débris,<br />
Boiront mon sang <strong>et</strong> puis iront, <strong>la</strong>s <strong>de</strong> carnage 1<br />
Couchés sous le portique ? y reposer leur rage.<br />
Heureux qui jeune encor tombe au champ <strong>de</strong>s combats !<br />
D. paraît toujours beau même dans son trépas.<br />
Mais voir <strong>de</strong>s chiens cruels <strong>sur</strong> une arène impure<br />
D ? un vieil<strong>la</strong>rd expirant souiller <strong>la</strong> chevelure ,<br />
La barbe b<strong>la</strong>nchissante <strong>et</strong> les f<strong>la</strong>ncs tout poudreux ,<br />
Est-il pour les mortels spectacle plus affreux ? »<br />
Le vieux Priam, d*Hector sans fléchir le courage 1<br />
Arrache ses cheveux <strong>et</strong> meurtrit son visage ;<br />
Hécube gémissante , <strong>et</strong> livrée aux douleurs 1<br />
En découvrant son sein, verse un torrent <strong>de</strong> pleurs :<br />
« Hector ! ô mon enfant ! respecte ma misère ,<br />
Dit-elle ; prends pitié , prends pitié <strong>de</strong> ta mère.<br />
Souviens-toi que ce sein , ô toi 7 mon fils chéri !<br />
A <strong>de</strong> tes jeunes ans calmé le premier cri.<br />
Loin <strong>de</strong> hasar<strong>de</strong>r seul c<strong>et</strong>te lutte impossible ,<br />
Du haut <strong>de</strong>s murs repousse un mortel invincible ;<br />
Si tu péris f ta mère <strong>et</strong> ton épouse en <strong>de</strong>uil<br />
Ne pourront <strong>de</strong> leurs pleurs arroser ton cercueil,
4i4 L'ILIADE.<br />
Et les chiens accourront, dans leur fureur ari<strong>de</strong> j<br />
Ronger près <strong>de</strong>s vaisseaux ton cadavre livi<strong>de</strong>. »<br />
Ainsi tous <strong>de</strong>ux en vain, unissant leurs efforts ?<br />
Tentent <strong>de</strong> réprimer ses belliqueux transports ;<br />
Le noble Hector attend le formidable Achille-<br />
Gomme autour <strong>de</strong> son antre 1 un farouche reptile,<br />
Gonflé <strong>de</strong> noirs poisons7 <strong>de</strong> son corps monstrueux<br />
Déroule l'étendue en replis tortueux 7<br />
Et 7 <strong>la</strong>nçant <strong>de</strong>s regards étince<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> rage 7<br />
Du tremb<strong>la</strong>nt voyageur menace le passage :<br />
Sans reculer d'un pas, l'intrépi<strong>de</strong> guerrier<br />
Pose contre <strong>la</strong> tour son bril<strong>la</strong>nt bouclier.<br />
Gémissant f il se dit dans le fond <strong>de</strong> son âme :<br />
« Malheureux I si je cherche un abri dans Pcrgame ,<br />
Bientôt Polydamas 7 le premier 1 <strong>de</strong>vant tous ,<br />
M'accablera du poids d'un trop juste courroux ;<br />
Rebelle à ses conseils ? dans <strong>la</strong> nuit homici<strong>de</strong><br />
Où nous est apparu le divin Éaci<strong>de</strong>,<br />
Je n'ai point rassemblé nos bataillons épare 7<br />
Ni ramené leur foule au sein <strong>de</strong> nos remparts.<br />
Puisqu'hé<strong>la</strong>s! méprisant <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse,<br />
Impru<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>s Troyens j'ai causé <strong>la</strong> détresse,
CHANT YINGT-DEUXIÈME. 4i5<br />
Des femmes au long voile <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs fiers époux<br />
Je crains dans Dion les reproches jaloux.<br />
he$ lâches même, osant flétrir ma renommée,<br />
Diront : l'orgueil d'Hector a perdu notre armée.<br />
Plutôt combattre Achille , <strong>et</strong> par un noble effort<br />
Vaincre pour <strong>la</strong> patrie ou mériter <strong>la</strong> mort !<br />
Mais'non ; si tout-à coup aux pieds <strong>de</strong> ces murailles<br />
Je déposais ma <strong>la</strong>nce, instrument <strong>de</strong>s batailles,<br />
Et mon casque pesant <strong>et</strong> mon fort bouclier ,<br />
Sif courant près d'Achille, à ce héros altier<br />
Je proposais enfin <strong>de</strong> rendre c<strong>et</strong>te Hélène ,<br />
Seul <strong>et</strong> premier auteur d'une guerre-inhumaine,<br />
Et les nombreux trésors qu'en ses profonds Taïsseaux<br />
Paris vers Hion conduisit <strong>sur</strong> les eaux ;<br />
Aux <strong>de</strong>ux rois, fils d'Atxée, aux peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />
Si les Trojens cédaient, une immense richesse,<br />
En jurant <strong>de</strong>vant moi <strong>de</strong> ne leur rien celer<br />
De tout For qu'en leurs murs on vit s'amonceler... !<br />
Qu'ai-jedit ? justes Dieux! quel vain espoir m'égare!<br />
J'irais prier Achille ! aux genoux du barbare<br />
J'irais !... toujours fidèle à son inimitié,<br />
Son cœur étoufferait <strong>la</strong>- voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié,
4*6 L'ILIADE.<br />
Et moi, nu, sans appui, dépouillé <strong>de</strong> mes armesj<br />
Tué comme une femme !... Abjurons nos a<strong>la</strong>rmes !<br />
Deux rivaux tels que nous ne doivent pas clierclier<br />
Ce paisible entr<strong>et</strong>ien du chêne ou du rocher,<br />
Dont le jeune pasteur <strong>et</strong> <strong>la</strong> vierge naïve<br />
. Prolongent les p<strong>la</strong>isirs dans leur journée oisive.<br />
Préférons le combat <strong>et</strong>, grâce au roi <strong>de</strong>s cieux,<br />
Que l'un <strong>de</strong> nous enfin marche victorieux. *><br />
Ces proj<strong>et</strong>s ont roulé dans son âme indomptable,<br />
Lorsque, rival <strong>de</strong> Mars au casque redoutable,<br />
Achille est accouru ; ba<strong>la</strong>ncé dans sa main,<br />
Le bois du Pélion étincelle <strong>et</strong> l'airain,<br />
En bril<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> son cœur, semble effacer encore<br />
La c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ou les feux <strong>de</strong> l'aurore..<br />
Hector, à c<strong>et</strong> aspect, <strong>de</strong> terreur a frémi ;<br />
Hector, loin d'affronter un superbe ennemi,<br />
Fuit les portes <strong>de</strong> Scée, <strong>et</strong> le fougueux Achille<br />
Le poursuit, confiant dans sa vigueur agile :<br />
Ainsi du haut <strong>de</strong>s monts le farouche épervier<br />
Pousse <strong>de</strong>s cris aigus, ouvre un bec meurtrier,<br />
Presse d'un vol ar<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> colombe craintive,<br />
Et suit dahs ses détours sa course fugitive.
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 417<br />
Hector épouvanté <strong>de</strong>vant les murs troyens<br />
Sent les pas ennemis s*ïmprimer <strong>sur</strong> les siens..<br />
Dans <strong>la</strong> publique voie, au pied <strong>de</strong> <strong>la</strong> colline<br />
Que, battu par les vents, le grand figuier dominé^<br />
Courant vers le Scamandre, ils parviennent aux'bords<br />
Où <strong>de</strong> sa double source il verse les trésors :<br />
L'une, durant Fhiver, roule une on<strong>de</strong> enf<strong>la</strong>mmée ,-<br />
Dont <strong>la</strong> vapeur s'exhale en épaisse fumée ;<br />
L'autre , aux jours <strong>de</strong> Fêté , coule en son lit natal,<br />
Froi<strong>de</strong> comme <strong>la</strong> neige ou le bril<strong>la</strong>nt cristal.<br />
Avant que le Troyen ait vu <strong>sur</strong> son rivage<br />
Les enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce apporter le ravage ,<br />
Des vierges d'Ilïon les paisibles essaims ',<br />
Sur le marbre poli <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>rges bassins,<br />
Plongeaient dans <strong>la</strong> fraîcheur <strong>de</strong> ces eaux toujours pures<br />
Leurs voiles précieux <strong>et</strong> leurs belles'parures. .<br />
Là, le vail<strong>la</strong>nt Hector légèrement s'enfuit;<br />
Un héros plus vail<strong>la</strong>nt, Achille le poursuit.<br />
Quels illustres rivaux! quelle bril<strong>la</strong>nte lutte !<br />
Quel sa<strong>la</strong>ire .éc<strong>la</strong>tant leur ar<strong>de</strong>ur se dispute !<br />
Est-ce un taureau superbe, un riche bouclier?<br />
Non ; c ? est le sang d'Hector... A <strong>la</strong> mort d'un guerrier,<br />
2. 27
4i8 • • L'ILIADE.<br />
Deux coursiers généreux , dans l'arène célèbres,<br />
S'é<strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> fois , au sein <strong>de</strong>s jeux funèbres,<br />
Vers le- but qui, pour prix <strong>de</strong> leur rapi<strong>de</strong> essor,<br />
. Offre une jeune esc<strong>la</strong>ve, étale un trépied d'or :<br />
Tel le couple rival qu'un noble espoir excite,<br />
Sous les murs <strong>de</strong> Priam trois fois se précipite.<br />
L'Olympe contemp<strong>la</strong>it ces rivaux furieux,<br />
Quand le" père immortel <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux :<br />
<strong>et</strong> Que vois-je!... Hector s'enfuit, menacé par Achille !<br />
Je le p<strong>la</strong>ins : que <strong>de</strong> fois les hauteurs <strong>de</strong> sa ville ,<br />
Et l'Ida , couronné d'innombrables coteaux,<br />
L'ont vu brûler pour moi <strong>la</strong> graisse <strong>de</strong>s taureaux !<br />
Achille maintenant, à son courroux en proie,<br />
Terrible, le poursuit sous les remparts <strong>de</strong> Troie.<br />
Faut-il <strong>la</strong>isser périr un si cher combattant?<br />
Faut-il le dérober au trépas qui l'attend ?<br />
Divinités du ciel, que <strong>de</strong>vons-nous résoudre? »<br />
Minerve aux yeux d'azur répond: ce Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre<br />
O puissant Jupiter ! ô maître <strong>de</strong>s humains,<br />
Qui ba<strong>la</strong>nces l'orage en tes célestes mains,<br />
Tu veux sauver c<strong>et</strong> homme, <strong>et</strong> par <strong>la</strong> Destinée<br />
Tu sais que dès long-temps sa vie est condamnée 1
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 419<br />
Jamais les autres Dieux n'y pourront consentir.<br />
Abjure ce proj<strong>et</strong> ou crains le repentir. »<br />
« 0 ma fille! reprend le Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête,<br />
Tu parles ; à ta voix ma puissance s'arrête.<br />
Ras<strong>sur</strong>e-toi! du Sort l'arrêt doit s'accomplir ;<br />
J'autorise tes vœux ; pars <strong>et</strong> cours les remplir. »<br />
Minerve , dont l'espoir à ces mots se ranime,<br />
De l'Olympe éc<strong>la</strong>tant abandonne <strong>la</strong> cime.<br />
Furieux contre Hector, le menaçant <strong>de</strong> près,<br />
Achille vole : ainsi, dans les vastes forêts,<br />
Dans le creux <strong>de</strong>s vallons, un limier intrépi<strong>de</strong><br />
A son gîte natal arrache un faon timi<strong>de</strong>,<br />
Sur sa trace é<strong>la</strong>ncé, le presse en hal<strong>et</strong>ant,<br />
Et <strong>de</strong>rrière un buisson le trouve palpitant*<br />
Le Troyen ne saurait par sa légère fuite<br />
Du grand fils <strong>de</strong> Pelée éviter <strong>la</strong> poursuite ;<br />
Des citoyens armés invoquant le secours,<br />
Vers les murs d'Hion <strong>et</strong> vers ses belles tours<br />
Il se dirige en vain ; <strong>de</strong>s remparts dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
Achille incessamment le repousse, l'entraîne,<br />
Et comme, dans un songe enfanté par <strong>la</strong> peur,<br />
On poursuit sa&B Fatteindre un fantôme trompeur,<br />
»7- '
.4ao L'ILIADE.<br />
Le héros 1 redoub<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> vitesse -,<br />
Manque sans cesse Hector qu'il croit saisir sans cessé;<br />
Maïs comment son rival pourra-t-O. échapper<br />
Au courroux du Destin tout prêt à le frapper ^<br />
Si Phébus, l'entourant <strong>de</strong> son appui fidèle ,<br />
Ne vient remplir son corps d'une force nouvelle ?<br />
Achille, désirant porter les premiers coups ^<br />
Fait signe à ses soldats d'enchaîner leur courroux,<br />
Et, du trépas d'Hector se réservant <strong>la</strong> gloire,<br />
D ne veut pas cé<strong>de</strong>r une illustre victoire.<br />
Lorsque les <strong>de</strong>ux guerriers , en redoub<strong>la</strong>nt d'efforts,<br />
Des sources du Scamandre ont regagné les bords,<br />
Dans ses ba<strong>la</strong>nces d'or à <strong>la</strong> fois inclinées<br />
De <strong>la</strong> mort, long sommeil, p<strong>la</strong>çant les <strong>de</strong>stinées,<br />
Jupiter les suspend, <strong>et</strong> par un soin égal<br />
D'Achille <strong>et</strong> du Troyen pèse le sort rival.<br />
Le <strong>de</strong>rnier jour d'Hector vers l'infernal abyme<br />
Penche, <strong>et</strong> soudain Phébus dé<strong>la</strong>isse <strong>la</strong> victime.<br />
Pal<strong>la</strong>s court vers Achille <strong>et</strong> reste près <strong>de</strong> lui ;<br />
Ces mots rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>. ses lèvres ont foi :<br />
« Héros aimé <strong>de</strong>s cieux, ô magnanime Achille 1<br />
Le Destin nous présente une gloire facile f
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4»i<br />
Et, <strong>de</strong>vant les vaisseaux, armés du fer vainqueur ,<br />
De Fintrépi<strong>de</strong> Hector-nous.percerons le-oœur^<br />
Quand même jusqu'aux pieds du maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />
Phébus s'abaisserait pour fléchir sa colère;<br />
Rien ne peut r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le jour fatal d'Hector.<br />
Mais respire un instant ; modère ton essor.<br />
Je te quitte, <strong>et</strong> bientôt je t'amène ta proie. »<br />
Le héros, palpitant d'une orgueilleuse joie,<br />
Appuyé <strong>sur</strong> son frêne à <strong>la</strong> pointe d'airain,<br />
Obéit ; vers Hector* Pal<strong>la</strong>s vole <strong>et</strong> soudain,<br />
Aux traits <strong>de</strong> Déïphobe.offrant <strong>de</strong>s traits semb<strong>la</strong>bles,<br />
Imite <strong>de</strong> sa voix les sons infatigables :<br />
« O mon généreux frère I Achille furieux,<br />
jSous nos murs, te poursuit d'un pas victorieux.,<br />
Suspends ici ta course ; arrêtons-nous... Qu'il tremble<br />
D'attaquer <strong>de</strong>ux héros qui vontcombattre ensemble.»<br />
Maïs Hector au beau casque : « O Déïphobe ! ô toi,<br />
Qui <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Priam es le plus cher pour moi,<br />
Que je te dois d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> reconnaissance'!<br />
Quand mes nouveaux dangers réc<strong>la</strong>ment ta présence ,<br />
Tu viens me secourir, <strong>et</strong> les autres guerriers<br />
, Daps l'enceinte <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong>meurent prisonnier» ! »
4a» L'ILIADE.<br />
Pal<strong>la</strong>s aux yeux d f a<strong>sur</strong> lui répond : « O mon frère !<br />
Tous mes amis? Prïamf ma vénérable mère?<br />
Courbés à mes genoux, <strong>et</strong> g<strong>la</strong>cés <strong>de</strong> terreur,<br />
Vou<strong>la</strong>ient dans Hion r<strong>et</strong>enir ma fureur.<br />
Mais je souffrais ? en proie aux plus vives a<strong>la</strong>rmes.<br />
Unissons nos efforts : point <strong>de</strong> trêve à nos armes.<br />
Yïens ! qu'Achille, couvert <strong>de</strong> butin <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang.<br />
Triomphe ou que ton bras lui déchire le f<strong>la</strong>nc, a<br />
Aussitôt, l'abusant par c<strong>et</strong> espoir perfi<strong>de</strong>,<br />
Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à grands pas k Déesse le gui<strong>de</strong>.<br />
Lorsque les <strong>de</strong>ux rivaux se rapprochent entr'eux î<br />
« Achille ! dit Hector au casque radieux,<br />
Si trois fois sous nos murs j'ai fui <strong>de</strong>vant ta <strong>la</strong>nce,<br />
Mon cœur brûle aujourd'hui d'éprouver ta vail<strong>la</strong>nce,<br />
Mon trépas ou le tien !... mais que <strong>de</strong> nos traités<br />
Tous les Dieux soient ici les témoins respectés.<br />
Si tu dois succomber, ne crains aucune injure ;<br />
Satisfait <strong>de</strong> ravir ta glorieuse armure,<br />
Entre les mains <strong>de</strong>s Grecs je <strong>la</strong>isserai ton corps.<br />
Par un double serment confirmons nos accords. »<br />
Achille aux pieds légers roule un regard farouche :<br />
* Gruel Hector ! quels mots s'échappent <strong>de</strong> ta bouche?
• CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4*3<br />
Par quel traite <strong>de</strong> paix voit-on s'associer<br />
Lés timi<strong>de</strong>s agneaux <strong>et</strong> le loup meurtrier ?<br />
Les hommes, les lions s'unissent-ils ensemble ?<br />
Non3 non : point <strong>de</strong> serment dont <strong>la</strong> foi nous rassemblef<br />
Avant que l'un <strong>de</strong> nous par son sang<strong>la</strong>nt trépas<br />
N'ait apaisé le Dieu qui prési<strong>de</strong> aux combats.<br />
Voici 7 voici l'instant <strong>de</strong> braver ma menace.<br />
Rappelle dans ton sein ta force <strong>et</strong> ton audace.<br />
Tu ne peux par <strong>la</strong> fuite éviter mon courroux :<br />
Plus d'espoir ; c'est Pal<strong>la</strong>s qui dirige mes coups f<br />
Et ta mort vengera mes guerriers magnanimes<br />
Précipités par toi dans les sombres abymes. »<br />
A ces mots, le trait vo<strong>la</strong> Hector qui l'aperçoit,<br />
L ? évite en s'inclïnant par un détour adroit ;<br />
Dans <strong>la</strong> terre plongé, le fer reste immobile r.<br />
Et Pal<strong>la</strong>s le saisit pour en armer- Achille.<br />
Hector s'écrie : « Eh bien ! Achille égal aux Dieux !;<br />
Jupiter te cachait mon <strong>de</strong>stin glorieux..<br />
Va ! perfi<strong>de</strong> artisan <strong>de</strong> superbes paroles,<br />
Ne crois point m'effrayer par tes discours frivoles.<br />
Ta <strong>la</strong>nce dans le dos ne m'atteindra jamais.<br />
Si les Dieux Font voulu7 frappe 1 je me soum<strong>et</strong>»...
4H L'ILIADE.<br />
Non^ évite plutôt ma pique meurtrière.<br />
Puisse-t-dle en ton corps s'enfoncer tout entière !<br />
La guerre <strong>de</strong>viendrait un moins pesant far<strong>de</strong>au,<br />
Si tu mourais, ô toi f notre plus grand fléau! ».<br />
Echappé <strong>de</strong> ses mains, son javelot s ? émousse<br />
Contre le bouclier qui soudain le repousse.<br />
Le frêne belliqueux n'arme plus sa valeur;<br />
Alors, le front penché f frémissant <strong>de</strong> douleur,<br />
D. s'arrête ; ses cris appellent Déïphobe;<br />
A ses yeux consternés le guerrier se dérobe.<br />
Hector d'un doute horrible éprouve le tourment,<br />
Et conçoit dans son âme un noir pressentiment :<br />
« C'en est donc fait! le ciel à ma perte m'entraîne.<br />
Ce héros que ma voix <strong>de</strong>mandait à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />
Mon frère est dans nos murs... <strong>la</strong> mort est <strong>de</strong>vant moi;<br />
Rien ne peut m'arracher à sa terrible loi.<br />
Malheureux ! je vois trop par quelle indigne rase<br />
L'Olympe me trahit <strong>et</strong> Minerve m'abuse.<br />
Ces Dieux qui se p<strong>la</strong>isaient à veiller <strong>sur</strong> mon sort?<br />
Jupiter <strong>et</strong> Phébus me livrent à <strong>la</strong> mort.<br />
Eh bien ! s f il faut mourir ^ ne mourons pas sans gloire^<br />
Et qu'un <strong>de</strong>rnier exploit illustre ma mémoire. ».
CHANT VINGT-DEUXIÈME. ',4*5<br />
A ces mots, saisissant d'un bras désespéré<br />
Son g<strong>la</strong>ive redoutable, éc<strong>la</strong>tant,'acéré ,<br />
Hector l'agite, Hector s'é<strong>la</strong>nce plein <strong>de</strong> rage :<br />
Tel un aigle, à travers un ténébreux nuage,<br />
Fond <strong>sur</strong> le tendre agneau, <strong>sur</strong> le lièvre craintif,<br />
Qui précipite au loin son essor fugitif.<br />
D'une fureur farouche Eaci<strong>de</strong> frissonne ;<br />
Sous le grand bouclier dont l'abri l'environne ,<br />
H vole ; <strong>de</strong> son casque orgueilleux ornement,<br />
Le quadruple cimier flotte légèrement,<br />
Et ba<strong>la</strong>nce à longs flots For <strong>de</strong> <strong>la</strong> chevelure<br />
Dont Vulcain façonna l'habile ciselure. •<br />
Gomme on voit le plus beau <strong>de</strong>s astres radieux ,<br />
LrHespérus matinal sous <strong>la</strong> voûte <strong>de</strong>s cieux<br />
Paraître f <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit perçant les sombres voiles,<br />
Par l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses feux effisicer les étoiles :<br />
Tel, rapi<strong>de</strong> instrument d'un courroux inhumain ,<br />
Brille le trait qu'Achille agite dans sa main.<br />
S'il me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s yeux <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où son courage<br />
Jusqu'au cœur ennemi peut s'ouvrir un passage,<br />
L'armure <strong>de</strong> Patrocle, invincible rempart,<br />
De tou« côtés présente un obstacle à son dard.
4^6 L'ILIADE.<br />
Enfin ? vers c<strong>et</strong> endroit, ou , du cou séparée,<br />
, L'épaule <strong>la</strong>isse au fer une facile entrée,<br />
11 dirige sa <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> Faîrain meurtrier<br />
Dans le cou délicat 7 sans trancher le gosier,<br />
S'enfonce; Hector succombe <strong>et</strong> ses lèvres tremb<strong>la</strong>ntes<br />
Ont encor murmuré quelques paroles lentes.<br />
Achille alors triomphe : « Insensé ! quand ton fer<br />
Précipita Patrocle aux gouifres <strong>de</strong> l'enfer,<br />
Tu croyais que toujours ma valeur inutile<br />
Dans un lâche repos <strong>la</strong>nguirait immobile !<br />
Au fond <strong>de</strong> nos vaisseaux tu ne savais donc pas<br />
Qu'il restait un vengeur armé pour ton trépas?<br />
Oui, j'ai brisé ta force? <strong>et</strong> les vautours avi<strong>de</strong>s,<br />
Les chiens s'arracheront tes dépouilles livi<strong>de</strong>s ,<br />
Tandis qu'à mon ami consacrant un cercueil f<br />
Les Grecs par c<strong>et</strong> hommage attesteront leur <strong>de</strong>uil. »<br />
Hector <strong>la</strong>isse échapper un faible <strong>et</strong> sourd murmure:<br />
« Achille, ô mon vainqueur,- ma douleur t'en conjure ;<br />
Par toi, par tes genoux, au nom <strong>de</strong> tes parens, •<br />
Dérobe mon cadavre à ces chiens dévorans.<br />
Reçois For <strong>et</strong> Fairain que, pour fléchir ta rage,<br />
Les auteurs <strong>de</strong> mes jours t'ofinront en partage ;
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4^7<br />
Eends-leur mon corps sang<strong>la</strong>nt ; qu'à monbûclier du moins<br />
Les femmes <strong>de</strong>s Troyens donnent leurs tristes soins. »<br />
Achille le regar<strong>de</strong> <strong>et</strong> frémit <strong>de</strong> colère :<br />
ce Misérable! tais-toi; n'atteste pas mon père.<br />
Que ne puis-je en mon sein dévorer à l'instant<br />
Ta chair toute vivante <strong>et</strong> ton cœur palpitant!<br />
Grains <strong>de</strong>s chiens affames les fureurs vengeresses ;<br />
Dût-on m'offrir dix fois, vingt fois plus <strong>de</strong> richesses,<br />
Dût Priam apporter <strong>de</strong> vastes monceaux d'or,<br />
M'en prodiguer toujours <strong>et</strong> m'en prom<strong>et</strong>tre encor,<br />
Jamais on ne verra, dans sa douleur amère,<br />
Sur ton funèbre lit pleurer ta vieille mère,<br />
Et ton corps tout entier, dé<strong>la</strong>isse' sans secours,<br />
Assouvira <strong>la</strong> faim <strong>de</strong>s chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours. *><br />
« Cruel! répond Hector en respirant à peine;<br />
Je reconnais ton cœur à sa rage inhumaine...<br />
Ah ! ton cœur est <strong>de</strong> fer... Mais redoute les Dieux.<br />
Quelque soit ton courage, Apollon furieux,<br />
Paris vainqueur, un jour, sous les portes <strong>de</strong> Seée,<br />
T'immoleront*.. » Ces mots <strong>de</strong> sa lèvre g<strong>la</strong>cée<br />
Ont fui... Son œil se ferme à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté' du jour;<br />
Son âme, s'envoknt au ténébreux séjour,
4^8 L'ILIADE.<br />
Déplore sa valeur du ciel abandonnée<br />
Et sa courte jeunesse en sa fleur moissonnée.<br />
« Meurs! dit Achille, <strong>et</strong> moi, prêt à subir mon sort^<br />
J'attends que Jupiter ait ordonné ma mort. »<br />
Aussitôt, arrachant sa pique étince<strong>la</strong>nte, .<br />
H ravit duTroyen l'armure encor sang<strong>la</strong>nte.<br />
Et les enfans <strong>de</strong>s Grecs, à longs flots répandus,<br />
Contemp<strong>la</strong>nt ses débris <strong>sur</strong> le sable étendus,<br />
Son front majestueux, <strong>et</strong> sa haute stature,<br />
De leurs coups redoublés lui prodiguent l'injure.<br />
Tous s'observent entr'eux avec étonnement :<br />
« Certes, Hector paraît plus doux en ce moment<br />
Que dans ces jours' <strong>de</strong> crainte où sa valeur hardie<br />
Lançait <strong>sur</strong> nos vaisseaux le brû<strong>la</strong>nt incendie ! »<br />
Ils disaient, <strong>et</strong> chacun, en outrageant son corps,<br />
D'une rage effrénée écoutait les transports.<br />
Achille foule aux pieds sa dépouille flétrie ;<br />
Debout parmi les Grecs , il triomphe, il s'écrie :<br />
« Amis ! puisque les Dieux frappèrent ce guerrier<br />
Seul plus fatal pour nous qu'un peuple tout entier,<br />
Marchons <strong>sur</strong> les Tro yens : pleins d'une ar<strong>de</strong>ur nouvelle,<br />
Sachons s'ils vont quitter leur haute cita<strong>de</strong>lle,
GHANT VINGT-DEUXIÈME. 4*9<br />
Ou si, privés d'Hector <strong>et</strong> tremb<strong>la</strong>nt pour leurs jours,<br />
D'une vaine défense ils'se f<strong>la</strong>ttent toujours.».<br />
Qu'ai-jedit ? Quekcombats auraient pour nous <strong>de</strong>s charmes,<br />
Quand Patrocle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une tombe <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes?<br />
Tant que s'agiteront mes genoux <strong>et</strong> mes bras,<br />
-Sur le sol <strong>de</strong>s vivans je ne l'oublîrai pas ;<br />
Jusqu'au fond <strong>de</strong>s enfers son image fidèle •<br />
Seule au commun oubli <strong>sur</strong>vivrait immortelle*<br />
Maintenant, fils <strong>de</strong>s Grecs ! <strong>de</strong> ses membres meurtri*<br />
Vers nos profonds vaisseaux entraînons les débris.<br />
Qu'un Péan solennel chante notre victoire.'<br />
L'avenir nous prom<strong>et</strong> une éternelle gloire.<br />
Triomphons ! il n'est plus , c<strong>et</strong> homme audacieux,<br />
C<strong>et</strong> Hector qu'Ilion p<strong>la</strong>çait au rang'<strong>de</strong>s Dieux. »<br />
A ces mots, enivré d'une barbare joie,<br />
Achille furieux s'acharne <strong>sur</strong> sa proie.<br />
Quand les talons d'Hector que son g<strong>la</strong>ive a percés,<br />
Par <strong>de</strong> puissans liens sont tous <strong>de</strong>ux traversés ,<br />
H les suspend au char, y monte <strong>et</strong> <strong>sur</strong> le sable<br />
Laisse rouler au loin son front méconnaissable.<br />
Tandis qu'entre ses mains le fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant<br />
Presse le vol léger du couple hennissant,
43o L'ILIADE.<br />
Dans son épais nuage une poussière impure<br />
Ensevelit d'Hector <strong>la</strong> noire chevelure,<br />
Et sa tête, où naguère "éc<strong>la</strong>tait <strong>la</strong> beauté,<br />
Sillonne sans honneur le sol ensang<strong>la</strong>nté.<br />
Jupiter a permis qu'Hector , dans sa patrie,<br />
De ses cruels vainqueurs assouvît <strong>la</strong> furie.<br />
Sa mère , en exha<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s sanglots douloureux ,<br />
Flétrit son voile d'or , déchire ses cheveux ;<br />
Priam pousse <strong>de</strong>s cris, <strong>et</strong> comme si Pergame<br />
Du haut <strong>de</strong> ses remparts s'écrou<strong>la</strong>it sous <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ,<br />
Les Troyens gémissans <strong>et</strong> leur roi désolé<br />
Frissonnent à l'aspect du héros immolé.<br />
Des portes d'Hion pour franchir <strong>la</strong> barrière ,<br />
En rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>vant eux son front dans <strong>la</strong> poussière,<br />
Tour à tour il les nomme : « Amis ! n'empêchez pas<br />
Que seul jusqu'aux vaisseaux je dirige mes pas.<br />
J'irai , j'implorerai ce vainqueur sanguinaire ,<br />
Et peut-être il p<strong>la</strong>indra mon âge <strong>et</strong> ma misère.<br />
Pelée encor respire.., Achille, à mon aspect,<br />
Croira revoir ce père , obj<strong>et</strong> d'un saint respect,<br />
Ce père qui nourrit, en formant son audace,<br />
Le fléau <strong>de</strong>s Troyens, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong> ma race.
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 431<br />
He<strong>la</strong>s ! combien <strong>de</strong> fils sous ses coups triomphans<br />
Périrent 7 moissonnés dans <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> leurs ans !<br />
Je les chérissais tous, <strong>et</strong> leur perte cruelle<br />
Sans doute a déchiré mon ame paternelle;<br />
Mais le trépas d\in seul est plus horrible encor,<br />
Et je vais au tombeau rejoindre mon Hector.<br />
S'il fût mort dans mes bras, à son heure <strong>de</strong>rnière,<br />
J'aurais uni mon <strong>de</strong>uil aux douleurs <strong>de</strong> sa mère ;<br />
Nous nous serions tous <strong>de</strong>ux rassasiés <strong>de</strong> pleurs.»<br />
Tandis que le vieil<strong>la</strong>rd déplorait ses malheurs 7<br />
La foule autour <strong>de</strong> lui gémissait consternée 1<br />
Et <strong>de</strong>s femmes.<strong>de</strong> Troie Hécube environnée<br />
S'écriait : a 0 mon fils ! puisque je t'ai perdu ,<br />
Qu'importe l'existence à mon cœur éperdu ?<br />
Toi f <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> le jour, mon orgueil <strong>et</strong> ma joie ,<br />
Comme un Dieu protecteur on t'adorait dans Troie.<br />
Vivant^ tous nos guerriers partageaient tes exploits^<br />
Et l'imp<strong>la</strong>cable mort t'asservit à ses lois ! »<br />
Ainsi pleurait Hécube. Andromaque tranquille<br />
Ne savait pas qu'Hector resta hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,<br />
Et dans son haut pa<strong>la</strong>is ses doigts <strong>la</strong>borieux<br />
Façonnaient le tissu d'un voile industrieux,
43â L'ILIADE;<br />
OùL , par un jeu savant ensemble mariées j<br />
Mille couleurs ©liraient mille fleurs variées.<br />
Des femmes 1 à sa voix? le diligent essaim<br />
Sur les foyers brû<strong>la</strong>ns p<strong>la</strong>çait un grand bassin,<br />
Pour que le bain ^ rempli d'une on<strong>de</strong> salutaire i<br />
Reposât son époux <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />
L'insensée ignorait que loin du bain, hé<strong>la</strong>s !<br />
Il périt sous les coups d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pa<strong>la</strong>s.<br />
Quand, du haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour jusque dans sa r<strong>et</strong>raite j<br />
Des c<strong>la</strong>meurs ont frappé son oreille distraite, .<br />
Tous ses membres g<strong>la</strong>cés fléchissent à <strong>la</strong> fois } •<br />
La nav<strong>et</strong>te en tremb<strong>la</strong>nt s'échappe <strong>de</strong> ses doigts.<br />
Ses femmes, qu'embellit leur longue chevelure i-<br />
L'entourent, <strong>et</strong> sa bouche en ces mots les conjure :<br />
« Venez ; suivez mes pas? <strong>et</strong> que <strong>de</strong>ux d'entre vous<br />
Sachent quels maux le Sort déchaînera <strong>sur</strong> nous.<br />
De <strong>la</strong> mère d'Hector <strong>la</strong> douloureuse p<strong>la</strong>inte<br />
Tout à coup a rempli c<strong>et</strong>te paisible enceinte...<br />
Dans mon sein frémissant mon cœur bondit d'effroi^<br />
Et je sens mes genoux se-dérober sous moi.<br />
Sur les fils <strong>de</strong> Priam p<strong>la</strong>ne quelque infortune j<br />
Daignez m'en épargner <strong>la</strong> nouvelle importune 7
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 433<br />
Dieux! Je tremble qu'Hector, par Achille pressé,<br />
Seul'<strong>et</strong> loin <strong>de</strong> nos murs sans appui repoussé,<br />
Ne succombe , trahi par c<strong>et</strong> ar<strong>de</strong>nt courage<br />
Qui le j<strong>et</strong>te en aveugle au <strong>de</strong>vant du carnage.<br />
B n'est pas <strong>de</strong> héros qu'il n'ose défier,<br />
. Et toujours au combat il marche le premier. *<br />
De sa suite fidèle Andromaque escortée,<br />
Telle qu'une ména<strong>de</strong> au hasard emportée,<br />
Perce <strong>la</strong> foule, vole au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s remparts,<br />
Et Peffiroi <strong>de</strong> son cœur passe dans ses regards.<br />
Alors, j<strong>et</strong>ant les jeux <strong>sur</strong> le champ <strong>de</strong>s batailles ,<br />
0 terreur !,.. elle a vu, sous les hautes murailles,<br />
Au char d'un ennemi son époux enchaîné<br />
Par <strong>de</strong>s coursiers fougueux vers <strong>la</strong> flotte entraîné.<br />
Son œil s'éteint, chargé d'une ombre sépulcrale ;<br />
Son âme touche presque à son heure fatale ;<br />
Elle tombe ; autour d'elle on voit rouler ces nœuds.<br />
Ces voiles, ces réseaux, <strong>et</strong> ces ban<strong>de</strong>aux pompeux<br />
Dont <strong>la</strong> blon<strong>de</strong> Vénus l'avait jadis ornée,<br />
Quand, fière d'obtenir les présens d'hyménée,<br />
Laissant d'Eétion le pa<strong>la</strong>is opulent,<br />
Elle suivit Hector au casque étince<strong>la</strong>nt.<br />
2. 28
434 L'ILIADE.<br />
A peine <strong>de</strong> ses sens elle a repris l'usage.<br />
Les <strong>la</strong>rmes à longs flots inon<strong>de</strong>nt son visage f '<br />
Et, <strong>de</strong> ses tendres sœurs rej<strong>et</strong>ant le secours,<br />
Elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux Dieux le terme <strong>de</strong> ses jours.<br />
Les airs ont r<strong>et</strong>enti <strong>de</strong> sa voix douloureuse :<br />
« Hector ! ô mon époux ! que je suis malheureuse !<br />
Nous sommes nés tous <strong>de</strong>ux sous le même <strong>de</strong>stin f<br />
Toi, dans Pergame, <strong>et</strong> moi, dans un pays lointain^<br />
Près <strong>de</strong>s vertes for<strong>et</strong>s dont le P<strong>la</strong>cus s'ombrage 7<br />
A Thèbes où mon père éleva mon jeune âge.<br />
File d'un malheureux, le malheur est mon sort.<br />
Dans l'abyme profond 7 noir séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort f<br />
Tu <strong>de</strong>scends... <strong>et</strong> ta veuve ? hé<strong>la</strong>s ! abandonnée T<br />
Au <strong>de</strong>uil, en ton pa<strong>la</strong>is 1 gémira condamnée.<br />
Ce fils j encore enfant, gage <strong>de</strong> notre amour ,<br />
Ne pourra <strong>de</strong> tes soins te payer le r<strong>et</strong>our.<br />
Dût sa vie .échapper à ce vaste carnage 7<br />
Les travaux <strong>et</strong> les pleurs, voilà son héritage.<br />
Le superbe étranger u<strong>sur</strong>pera ses biens ;<br />
Privé j dans un seul jour, <strong>de</strong> ses plus chers soutiens,<br />
L'orphelin, faible <strong>et</strong> pauvre, errant <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te terre?<br />
Traîne <strong>de</strong> ses ennuis le far<strong>de</strong>au solitaire ,
CHANT VINGT-DEUXIÈME. 435<br />
Les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs7 le front humilié f<br />
Des amis paternels invoque <strong>la</strong> pitié,<br />
Prend l'un par son manteau 7 l'autre par sa tunique^<br />
Et s'il ose abor<strong>de</strong>r leur taHe magnifique 7<br />
Un breuvage7 à regr<strong>et</strong> -offert par le -dédain,<br />
A sa lèvre altérée est arraché soudain.<br />
Le jeune homme, bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> parure <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce ,<br />
Le frappe avec orgueil, avec mépris le chasse.<br />
R<strong>et</strong>ire-toi, dit-il 7 dirige ailleurs tes pas.;<br />
On ne voit plus ton père assis à nos repas.<br />
Mon enfant 7 à ces mots, dans le sein <strong>de</strong> sa mère<br />
Reviendra tout en pleurs rej<strong>et</strong>er sa misère.<br />
0 douleurs !... autrefois ! mon malheureux époux<br />
Berçant avec amour son fils <strong>sur</strong> ses genoux,<br />
Lui prodiguait toujours d'une main comp<strong>la</strong>isante<br />
La graisse <strong>de</strong>s troupeaux <strong>et</strong> leur chair bienfaisante ,<br />
Jusqu'à l'heure où , <strong>la</strong> nuit interrompant ses jeux ,<br />
Tranquillement couché <strong>sur</strong> un duv<strong>et</strong> moelleux,<br />
Paisible, il savourait, auprès <strong>de</strong> sa nourrice,<br />
Les douceurs d'un sommeil innocent <strong>et</strong> propice.<br />
Aujourd'hui , dépouillé du secours paternel ,<br />
Quel avenir l'attend ? un malheur éternel.<br />
»8.
4-36 - L'ILIADE.<br />
"Ce nom d'Astyanax n'est qu'un nom inutile :<br />
C'est toi seul qui sauvais les hauts murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,<br />
Hector! <strong>et</strong>, loin <strong>de</strong> nous, tu seras, près <strong>de</strong>s mers,<br />
Déchiré par les chiens <strong>et</strong> rongé par les vers !<br />
Tes vétemens, tissus par <strong>la</strong> main <strong>de</strong> mes femmes,<br />
Du fond <strong>de</strong> nos pa<strong>la</strong>is apportés dans les f<strong>la</strong>mmes,<br />
En ton honneur, <strong>de</strong>vant les Troyens éplorés,<br />
Grâce à taies soins pieux, périront dévorés ;<br />
Je veux, les consacrant à ces <strong>de</strong>voirs funèbres,<br />
Aux yeux d'un peuple entier les rendre encor célèbres,»<br />
Atidromaque gémit, <strong>et</strong> ses femmes en pleurs<br />
Près d'elle à s'es soupirs unissent leurs douleurs.<br />
FIN BU VINGT-DEUXIEME CHANT.
CHANT VINGT-TROISIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT YINGT-TROISIÈME.<br />
Sommeil d'Achille. — Apparition <strong>de</strong> Fombre <strong>de</strong> Patrocle. — Cpusr<br />
ImctlôB ém bûcher» — Jeux frnèbres.
LILIADE.<br />
CHANT VINGT-TROISIÈME.<br />
On gémît dans <strong>la</strong> ville , <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong> ses rives<br />
I/Hellespont a reçu les troupes fugitives ;<br />
Tous au fond <strong>de</strong>s vaisseaux portent leurs pas errans ;<br />
Mais Achille r<strong>et</strong>ient ses soldats dans leurs rangs :<br />
« Qiers compagnons f ô vous, écuyers intrépi<strong>de</strong>s ,<br />
Avec tous nos chevaux armés d'ongles soli<strong>de</strong>s<br />
Avançons ; que d'abord ce corps inanimé<br />
Accepte le tribut par les morts réc<strong>la</strong>mé.<br />
Rassasions <strong>de</strong> pleurs notre douleur immense ;<br />
Puis j dételons les chars ; que le festin commence, *<br />
Dirigés par leur chef 9 les gémissans guerriers<br />
Autour du corps trois fois gui<strong>de</strong>nt leurs beaux coursiers.
44o L'ILIADE.<br />
Thétis à leurs regr<strong>et</strong>s s'associe 7 <strong>et</strong> leurs <strong>la</strong>rmes<br />
Muissèlent <strong>sur</strong> le sable ou roulent <strong>sur</strong> leurs armes,<br />
Achille ouvre le <strong>de</strong>uil ; Achille étend soudain<br />
Sur le cœur d'un ami sa redoutable main.<br />
« 0 Patrocle ! dit-il7 dans ta <strong>de</strong>meure sombre<br />
Réjouis-toi ! bientôt j'apaiserai ton ombre.<br />
Oui7 les membrea d'Hector7 <strong>sur</strong> ces rives traînés f<br />
Aux dogues dévorans seront abandonnés 7<br />
Et douze fils yail<strong>la</strong>ns <strong>de</strong>s guerriers <strong>de</strong> Pergame7<br />
Frappés <strong>sur</strong> ton bûcher f périront par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme.<br />
Dans mon cœur désolé ma fureur vit encor. »<br />
A ces mots 7 s'acharnant <strong>sur</strong> le divin Hector7<br />
Dans le sable il l'étend près du lit funéraire<br />
Où <strong>la</strong>nguit <strong>la</strong> dépouille à ses douleurs si chère.<br />
Les soldats ont quitté l'airain éblouissant7<br />
Et7 délivrant du joug le coursier hennissant!<br />
Assis près du vaisseau d'Achille au pied rapi<strong>de</strong>,<br />
Partagent le festin que ce héros prési<strong>de</strong>.<br />
Le fer <strong>de</strong>s couteaux brille 7 <strong>et</strong> le porc succulent<br />
Aux <strong>de</strong>nts b<strong>la</strong>nches7 au corps <strong>de</strong> graisse étince<strong>la</strong>nt7<br />
Les chèvres 7 les brebis 7 les taureaux qui mugissent,<br />
Sur les feux <strong>de</strong> Vulcain où leurs membres rougissent,
CHANT VINGT-TROISIÈME. 441<br />
S'entassent, <strong>et</strong> bientôt tout leur sang confond»<br />
Coule autour du cadavre à grands flots répandu.<br />
Des princes argiens Faite rassemblée 7<br />
Accourant à Fenvi près du fils <strong>de</strong> Pelée ,<br />
L'arrache à ce spectacle , obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> pleurs,<br />
Et vers Agamemnon entraîne ses douleurs.<br />
Le monarque <strong>de</strong>s Grecs les reçoit dans sa tente ;<br />
II parle, <strong>et</strong> les hérauts à <strong>la</strong> voix éc<strong>la</strong>tante<br />
Sur le brû<strong>la</strong>nt foyer déposent un bassin<br />
Dont une on<strong>de</strong> limpi<strong>de</strong> emplit le vaste sein.<br />
Mais 1 Achille, souillé <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière 7<br />
D'Atri<strong>de</strong> obstinément rej<strong>et</strong>ant <strong>la</strong> prière ,<br />
Confirme son refus par ce serment pieux :<br />
« J'atteste le meilleur <strong>et</strong> le plus grand <strong>de</strong>s Dieux<br />
Que je ne puis encor <strong>la</strong>ver ma tête impure 7 '<br />
Puisqu'on ne m'a point vu 7 coupant ma chevelure 7<br />
Aux restes <strong>de</strong> Patrocle ériger un tombeau f<br />
Ni du bûcher funèbre allumer le f<strong>la</strong>mbeau.<br />
Non : tant que <strong>de</strong>s vivans j'habiterai le- mon<strong>de</strong> ,<br />
Je ne sentirai pas <strong>de</strong> douleur si profon<strong>de</strong>.<br />
Toutefois, prenons p<strong>la</strong>ce au lugubre festin.<br />
Moi <strong>de</strong>s hommes, Àtri<strong>de</strong> ! au r<strong>et</strong>our du matin ,
44a L'ILIADE.<br />
Bâtîsaons un bûcher à ce guerrier célèbre ;<br />
Que les soldats } choisis pour c<strong>et</strong> emploi funèbre f<br />
Dépouillent les for<strong>et</strong>s <strong>de</strong> leurs arbres nombreux,<br />
Et consolent son ombre au séjour ténébreux.<br />
Quand il ne sera plus qu'une cendre légère 1<br />
Les peuples reprendront les travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. »<br />
L'assemblée obéit, <strong>et</strong> lorsque tous enfin<br />
Calment dans le banqu<strong>et</strong> <strong>et</strong> leur soif <strong>et</strong> leur faim,<br />
Cliacun d'eux pour dormir s'enferme dans sa tente.<br />
Achille <strong>sur</strong> les bords <strong>de</strong> l'on<strong>de</strong> mugissante<br />
Se couche en soupirant près <strong>de</strong> ces rocs déserte<br />
Non souillés <strong>de</strong> carnage <strong>et</strong> <strong>la</strong>vés par les mers.<br />
Le calme bienfaisant qu'un doux sommeil prodigue 9<br />
Se répand dans son corps brisé par <strong>la</strong> fatigue ,<br />
Quand ? poursuivant Hector , il courait épuisé<br />
Sous les murs d'Hion aux autans exposé.<br />
Mais tout à coup Patrocle... ouï f voilà sa figure y<br />
Sa taille, son regard f ses accens 7 sa parure ;<br />
Sur le fils <strong>de</strong> Pelée il se penche, <strong>et</strong> ces mots<br />
L'arrachent au sommeil qui suspendait ses maux :<br />
« Tu dors j Achille ! Eh quoi ! frahiraifr-tu ma gloire?<br />
Vivant, tu m'as chéri ; mort? tu perds ma mémoire i
CHANT VINGT-TROISIEME. 443-<br />
Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards ! qu'enfin 7 bonoré d'un cercueil,<br />
Des portes <strong>de</strong> l'enfer, je franchisse le seuil !<br />
Près du Ieuve <strong>de</strong>s morts , les spectres, les fantômes<br />
M'Interdisent l'accès <strong>de</strong> leurs pâles royaumes, ,<br />
£t mes mânes errans , accusant tes dé<strong>la</strong>is f<br />
Assiègent <strong>de</strong> Pluton les immenses pa<strong>la</strong>is.<br />
Mon ami ! prends pitié <strong>de</strong> mon sort déplorable.<br />
Tends-moi, je te conjure, une main secourable.<br />
Par les feux du bûcher consumé sans r<strong>et</strong>our,<br />
Je ne quitterai plus c<strong>et</strong> infernal séjour ;<br />
Loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule assis , nous n'irons plus confondre<br />
Nos cœurs dont <strong>la</strong> pensée aimait à se répondre.<br />
Le malheur qui <strong>sur</strong> moi pesa dès mon berceau,<br />
Terrible, te menace <strong>et</strong> te pousse au tombeau ;<br />
Achûle égal aux Dieux ! l'avi<strong>de</strong> Destinée<br />
Tranchera sous ces murs ta vie infortunée.<br />
Mais écoute : obéis aux accens <strong>de</strong> ma voix.<br />
Oui j lorsque du trépas tu subiras les- lois-,<br />
Dans un même tombeau qu'un soin pieux rassemble<br />
Nos ossemens heureux d'y reposer ensemble.<br />
Tu le sais : le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> tes aïeux chéris<br />
Près <strong>de</strong>s mêmes foyers nous a tous <strong>de</strong>ux nourris.
444 L'ILIADE. ,<br />
Quand, par Ménétius amené Ters ton père,<br />
J'ai fui le châtiment d'un crime involontaire ;<br />
IMas ! jouant aux <strong>de</strong>s ? le fils d'Amphidamas<br />
De mon bras impru<strong>de</strong>nt reçut un prompt trépas ,<br />
Et loin d'Oponte alors ma jeunesse exilée<br />
Dans son riche pa<strong>la</strong>is intéressa Pelée,<br />
Ce prince belliqueux, qui <strong>de</strong> ton compagnon<br />
Me confia l'emploi, me décerna le nom.<br />
Ah ! puisse Fume d'or, ce présent <strong>de</strong> ta mère,<br />
Gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nos débris le dépôt funéraire ï »<br />
Achille lui répond : « Ami ï pourquoi venir .<br />
Réveiller dans mon sein un si cher souvenir ?<br />
J'ai promis ; il suffit : ne crains pas que mon âme<br />
Trahisse les <strong>de</strong>voirs que ton ombre réc<strong>la</strong>me.<br />
Maïs approche... un moment confondons nos douleurs ;<br />
Laisse-moi t'embrasser <strong>et</strong> .te baigner <strong>de</strong> pleurs. »<br />
Achille étend les bras ; dans le creux <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />
Gomme on voit disparaître une vapeur légère 1<br />
Le fantôme s'échappe <strong>et</strong> fuit rapi<strong>de</strong>ment<br />
En remplissant les airs d'un sourd frémissement.<br />
Achille réveillé s'agite <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive,<br />
Frappe à grand bruit ses mains,, <strong>et</strong> d'une voix p<strong>la</strong>intive :
CHANT VINGT-TROISIÈME. '445<br />
« Dieux ! lorsque le trépas a détruit notre corps 7<br />
Notre âme ou notre image habite aux sombres bords !<br />
Durant <strong>la</strong> nuit entière, à mes regards rendue f<br />
L ? ombre <strong>de</strong> mon ami? désolée, éperdue,<br />
M'a chargé d'accomplir un douloureux <strong>de</strong>voir.<br />
O Patrocle ! c'est toi que je pensais revoir. »<br />
La foule <strong>de</strong>s soldats gémit dans les ténèbres ;<br />
Tandis que tous encor 7 mê<strong>la</strong>nt leurs 'cris funèbres 9<br />
Pleurent' <strong>sur</strong>' le héros, digne d'un long regr<strong>et</strong>f<br />
L'Aurore aux doigts <strong>de</strong> rose à leurs yeux reparaît.<br />
Agamemnon comman<strong>de</strong> ; une nombreuse élite<br />
Vole avec Mérion qui <strong>la</strong> gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'excite ;<br />
Hors du camp é<strong>la</strong>ncés, tous portant avec eux<br />
Et <strong>la</strong> hache tranchante <strong>et</strong> les robustes nœuds,<br />
Dirigent les mul<strong>et</strong>s'dont <strong>la</strong> course docile<br />
S'ouvre dans les ravins un chemin difficile.<br />
Quand leur troupe montant, <strong>de</strong>scendant 7 remontant f<br />
Après un long traj<strong>et</strong> 7 parvient en hal<strong>et</strong>ant<br />
Jusqu'aux bois où l'Ida fait jaillir ses fontaines,<br />
Sous les coups <strong>de</strong> l'airain <strong>la</strong> cime <strong>de</strong>s grands chênes<br />
Avec un sourd fracas succombe ; <strong>sur</strong> son dos<br />
La mule vigoureuse en reçoit les far<strong>de</strong>aux,
446 L'ILIADE,<br />
Creuse du pied <strong>la</strong> terre, <strong>et</strong> son ar<strong>de</strong>ur Fentraîne<br />
A travers les buissons jusqu'au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />
Mérion a parlé ; tout s'empresse à sa voix ;<br />
Les bûcherons actifs ont emporté le bois<br />
Vers ce lieu qui joindra dans un funèbre asjle<br />
La cendre <strong>de</strong> Patrocle à <strong>la</strong> cendre d'Achille.<br />
Quand du vaste bûcher les apprêts sont finis 1<br />
Achille a vu s'asseoir les peuples réunis,<br />
Et soudain il ordonne aux Myrmidons en <strong>la</strong>rmes<br />
D'atteler les coursiers, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ceindre leurs armes j<br />
Des nombreux écujers les diligens essaims<br />
Paraissent <strong>sur</strong> leurs chars, suivis <strong>de</strong>s fantassins.<br />
Au milieu du convoi 7 remplis d'un triste zèle,<br />
Tous portent du héros <strong>la</strong> dépouille mortelle,<br />
Et coupent leurs cheveux, dont les flottans anneaux<br />
Sur ces débris g<strong>la</strong>cés élèvent leurs monceaux ;<br />
.Le fils <strong>de</strong>s Dieux soutient <strong>la</strong> tête qui r<strong>et</strong>ombe...<br />
Hé<strong>la</strong>s ! c'est un ami qu'il conduit vers <strong>la</strong> tombe.<br />
Les Grecs, au lieu fatal s'empressant <strong>de</strong> m'archerT<br />
Déposent le cadavre <strong>et</strong> dressent le bûcher j<br />
Achille seul ? <strong>de</strong>bout^ dans sa douleur profon<strong>de</strong> ?<br />
Arrache en soupirant sa chevelure blon<strong>de</strong> 7
CHANT VINGT-TROISIÈME. 44;t<br />
Qui, nourrie avec soin, <strong>de</strong> ses longs anneaux d'or *<br />
Au fleuve Sperchïus réservait le trésor.<br />
L'œil tourné <strong>sur</strong> les mers, il gémit, il s'écrie :<br />
« O Sperchius ! le jour où j'ai fui ma patrie,<br />
Mon père t'a promis que, docile à ses vœux r<br />
Ma main, à mon r<strong>et</strong>our , t'offrirait mes cheveux ,<br />
Que cinquante béliers , qu'une hécatombe sainte<br />
Rougiraient d'un sang pur <strong>la</strong> solennelle enceinte<br />
Qui, non loin <strong>de</strong> ta source, à ton pieux autel<br />
Prodigue <strong>de</strong> l'encens le tribut immortel.<br />
As-tu donc du vieil<strong>la</strong>rd oublié <strong>la</strong> promesse?...<br />
Si je ne revois plus le doux sol <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Souffre au moins que Patrocle emporte dans l'enfer<br />
Des cheveux d'un ami le trésor toujours cher. » -<br />
Dans les mains du héros dès que sa main fidèle<br />
Dépose avec respect l'offran<strong>de</strong> solennelle,<br />
Tremb<strong>la</strong>nt qu'à son déclin, <strong>de</strong> ces soldats en pleurs<br />
L'astre du jour encor n'éc<strong>la</strong>ire les douleurs,<br />
Il s'écrie : ce O grand roi, sous qui les Grecs fléchissent,<br />
Qu'à ta voix <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>uil les peuples s'affranchissent;<br />
Loin du bûcher funèbre écarte les soldats,<br />
Et que chacun enfin apprête le repas.
'448 L'ILIADE.<br />
Nous, <strong>de</strong> ce corps chéri ne quittons pas <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> j<br />
Eestons avec les chefs ; ce <strong>de</strong>voir nous regar<strong>de</strong>. »•<br />
Atri<strong>de</strong> a commandé; <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s héros<br />
Rentre , en se dispersant, au fond <strong>de</strong> ses vaisseaux.<br />
Le bûcher dont cent pieds embrassent l'étendue ,<br />
A dressé dans les airs sa masse suspendue,<br />
Et, navrés <strong>de</strong> douleur, les soldats ont p<strong>la</strong>cé<br />
Sur le plus haut somm<strong>et</strong> le cadavre g<strong>la</strong>cé.<br />
Qoand les grasses brebis, les bœufs au pied flexible<br />
Expirent égorgés, <strong>sur</strong> le corps insensible<br />
Achille <strong>de</strong> <strong>la</strong> graisse enlevée à leurs f<strong>la</strong>ncs-<br />
Etend <strong>de</strong> toutes parts les plis étince<strong>la</strong>ns.<br />
Vers <strong>la</strong> couche il s'incline <strong>et</strong> ses mains y déposent<br />
Les amphores dont Fhuile <strong>et</strong>'le miel pur l'arrosent ;<br />
Comme une sainte offran<strong>de</strong>, il j<strong>et</strong>te en soupirant<br />
Quatre fougueux coursiers au bûcher dévorant ;<br />
Des neuf chiens qu'ont nourris les restes <strong>de</strong> sa table,<br />
Il en immole <strong>de</strong>ux, <strong>et</strong> son fer redoutable,<br />
Ar<strong>de</strong>nt à satisfaire un barbare courroux,<br />
Frappe douze Troyens <strong>de</strong> ses rapi<strong>de</strong>s coups.<br />
A peine il a <strong>la</strong>ncé l'infatigable f<strong>la</strong>mme, .<br />
De longs gémissemens s'échappent <strong>de</strong> son âme ;
CHANT VINGT-TEOISIÈM.E. 449<br />
Il appelle Patrocle : « 0 toi' qui m'es si cherf<br />
Ami ! réjouis-toi dans <strong>la</strong> nuit "<strong>de</strong> l'enfer.<br />
J'acquitte ma promesse ; oui, douze enfans <strong>de</strong> Troie<br />
Avec toi du bûcher <strong>de</strong>viendront tous <strong>la</strong> proie 7<br />
Et ces p<strong>la</strong>ges d'Hector verront le corps hi<strong>de</strong>ux<br />
Dévoré par les chiens <strong>et</strong> non point par les feux. »<br />
Mais Vénus, loin d'Hector que le vainqueur menace,<br />
De ces chiens, nuit <strong>et</strong> jour, a repoussé l'audace, " '<br />
Et j d'une huile <strong>de</strong> rose épanchant les trésors f<br />
Des outrages d'Achille elle sauve son corps.<br />
Phébus} du haut <strong>de</strong>s cieuxr abaisse <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
D'un nuage d'azur <strong>la</strong> voûte aérienne,<br />
Pour que les membres nus <strong>et</strong> les nerfs détachés<br />
Par l'ar<strong>de</strong>ur du soleil ne soient point <strong>de</strong>sséchés.<br />
Cependant le bûcher ne bril<strong>la</strong>it pas encore.<br />
Debout, seul à l'écart, le noble Achille implore<br />
Borée avec Zéphyr, prom<strong>et</strong>tant à tous <strong>de</strong>ux<br />
Un riche sacrifice <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tributs pompeux,<br />
Si leur souffle^ docile au vœu qu'il leur adresse,<br />
De <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme trop lente éveille <strong>la</strong> paresse.<br />
La coupe d'or en main? le suppliant héros<br />
Leur consacre un vin pur qui s'épanche à grands flots.<br />
2. ag
45o L'ILIADE.<br />
Des habitons du ciel docile messagère,<br />
Iris entend sa voix ; d'une course légère,<br />
L'impatiente Iris s'éloignant sans dé<strong>la</strong>is ,<br />
Du violent Zéphyr abor<strong>de</strong> le pa<strong>la</strong>is 5<br />
Où les rapi<strong>de</strong>s Vents que son ordre rassemble f<br />
Aux douceurs <strong>de</strong>s festins s'abandonnent ensemble.<br />
Quand <strong>sur</strong> le seuil <strong>de</strong> pierre elle arrête ses pas ,<br />
Tous, invitant <strong>la</strong> nymphe à leur joyeux repas,<br />
Se lèvent : « Je ne puis cé<strong>de</strong>r à vos <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s ,<br />
Dit-eUe ; pour goûter <strong>de</strong> pieuses offran<strong>de</strong>s,<br />
Je vole au bout <strong>de</strong>s mers , où les Dieux bîenfaisans<br />
De l'humble Ethiopie acceptent les présens.<br />
O Borée ! ô Zéphyr! s'il obtient vos services,<br />
Achille vous prom<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux sacrifices;<br />
Embrase» le bûcher où Patrocle étendu<br />
Repose sous-les- yeux <strong>de</strong> ce peuple éperdu. »<br />
Elle part ; les- <strong>de</strong>ux Vents, précurseurs <strong>de</strong>s* orages-^<br />
En poussant <strong>de</strong>vant eux les rapi<strong>de</strong>s nuages,<br />
Volent <strong>et</strong> <strong>sur</strong> les mers leur souffle impétueux<br />
Soulève avec fracas les-lots tumultueux.<br />
Dans les champs- dHion Far<strong>de</strong>nt bûcher Rallume j<br />
Le. fèu* pétille, éc<strong>la</strong>te <strong>et</strong> le bois se consume 9
CHANT VïNGT-TEOISIÈME. /pi<br />
Du soir jusqu'au matin, <strong>sur</strong> les ailes <strong>de</strong>s Vents<br />
La f<strong>la</strong>mme se disperse en tourbillons mouvans.<br />
Avec sa <strong>la</strong>rge coupe Achille <strong>sur</strong> le sable<br />
Versant <strong>de</strong> Fume d'or Foffiran<strong>de</strong> intarissable y<br />
Ee<strong>de</strong>man<strong>de</strong> Patrocle <strong>et</strong> FappeUe à grands cris.<br />
Comme un père, au bûcher livrant <strong>de</strong> froids débris,<br />
Pleure un fils qui, privé d'un récent hyménée,<br />
Laisse <strong>de</strong> ses parens <strong>la</strong> foule consternée :<br />
Tel j exha<strong>la</strong>nt au loin <strong>de</strong> sourds gémïssemens,<br />
Achille d'un ami brûle les ossemens,<br />
Se roule autour <strong>de</strong>s feux, dans le sable se traîne<br />
Et ses pleurs par torrens ont coulé <strong>sur</strong> l'arène.<br />
L'étoile matinale annonce à l'univers<br />
L'Aurore dont <strong>la</strong> pourpre enveloppe les mers ;<br />
Le jour brille ; déjà <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme- <strong>la</strong>nguissante<br />
Affaiblit par <strong>de</strong>grés sa lueur pâlissante,<br />
Et les Vents fugitifs par leurs fougueux assauts<br />
De l'océan <strong>de</strong> Thrace enflent les vastes eaux.<br />
Loin <strong>de</strong> tous ses amis AchïEe solitaire<br />
De fatigue épuisé, se couche <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.<br />
A peine un doux sommeil lui verse le repos,<br />
Autour d'Agamemnon l'élite <strong>de</strong>s héros<br />
«9-
45a L'ILIADE.<br />
Accourt; à leur approche Achille se réveille;<br />
Un tumulte confus étonne son oreille.<br />
« Atri<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> vous , chefs ! <strong>sur</strong> ces tisons fumans *<br />
Épanchez d'un vin noir les ruisseaux écumans.<br />
Au centre du bûcher nos yeux sans se méprendre<br />
De Pàtrocle aisément reconnaîtront <strong>la</strong> cendre ;<br />
Des coursiers, <strong>de</strong>s soldats dont f ai brûlé les corps ,<br />
Les restes confondus environnent les bords.<br />
Pour recevoir ses os, que l'urne d'or s'entr'ouvre<br />
Et que <strong>de</strong> ses replis <strong>la</strong> graisse les recouvre.<br />
Jusqu ? au jour <strong>de</strong> ma" mort , élevez seulement<br />
Aux mânes <strong>de</strong> Pàtrocle un simple monument.<br />
Après moi , qu'une tombe, honneur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te' rive ,<br />
Réunisse mon. ombre à son ombre p<strong>la</strong>intive.<br />
Un tel soin vous regar<strong>de</strong>, ô généreux guerriers,<br />
Qui <strong>sur</strong> vos grands vaisseaux combattrez les <strong>de</strong>rniers. »<br />
Il parle : on obéit; <strong>de</strong>s torrens <strong>de</strong> vin coulent;<br />
Bientôt le feu s'éteint <strong>et</strong> les cendres s'écroulent.<br />
Tous, l'œil baigné <strong>de</strong>'pleurs,'<strong>de</strong>s ossemens chéris<br />
P<strong>la</strong>cent dans l'urne d'or les b<strong>la</strong>nchissans débris ,<br />
Et ce trésor, porté sous <strong>la</strong> tente d'Achille,<br />
Couvert d'un léger voile, y repose immobile.
CHANT VINGT-TROISIEME. '453<br />
Quand <strong>la</strong> terre, à Fendroit marqué pour le tombeau,<br />
Se creuse en vaste fosse <strong>et</strong> se dresse en monceau,<br />
Grâce à leurs soins pieux , le cercueil se prépare ;<br />
Au moment où déjà leur foule se sépare,<br />
Achille les r<strong>et</strong>ient <strong>et</strong> <strong>de</strong>s funèbres jeux<br />
Dans une <strong>la</strong>rge enceinte offre Faspect pompeux.<br />
Les beaux trépieds 7 le fer aux riches ciselures,<br />
Les femmes, éta<strong>la</strong>nt leurs superbes ceintures 9<br />
Les bœufs au <strong>la</strong>rge front, les mules, les chevaux,<br />
Tels sont les prix divers conduits hors <strong>de</strong>s vaisseaux.<br />
Wabord les chars nombreux vont s f é<strong>la</strong>ncer : Achille<br />
Gar<strong>de</strong> pour le héros jugé le plus habile<br />
Une belle captive, instruite dès long-temps<br />
Dans Fart <strong>de</strong> façonner <strong>de</strong>s travaux éc<strong>la</strong>tant',<br />
Et le vase à trois pieds qui , garni <strong>de</strong> ses anses,<br />
Contient dans sa ron<strong>de</strong>ur vingt me<strong>sur</strong>es immenses*<br />
Pour sa<strong>la</strong>ire il <strong>de</strong>stine au second écujer<br />
Une cavale, encor rebelle au frein guerrier 7<br />
Qui déjà, parvenue à sa sixième année,<br />
Porte en son sein le fruit d'un sauvage hjménée.<br />
Il réserve au troisième un bassin dont toujours<br />
L'approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme épargna les contours.
454 L'ILIADE.<br />
Le héros qui tiendra <strong>la</strong> quatrième p<strong>la</strong>ce f<br />
D'un double talent d'or emportera <strong>la</strong> masse.<br />
Un vase à double fond , par les feux respecte,<br />
Pour <strong>de</strong>rnier prix, enfin, doit être disputé.<br />
Debout parmi les Grecs r par ce noble <strong>la</strong>ngage<br />
A <strong>la</strong> course <strong>de</strong>s chars Achille les engage.<br />
« Fils d'Atrée , <strong>et</strong> vous, chefs aux bro<strong>de</strong>quins brilkns,<br />
Voici les prix nombreux promis à vos talens ;<br />
Si d'un autre guerrier nous fêtions <strong>la</strong> mémoire,<br />
Je les obtiendrais tous par ma seule victoire,<br />
Tant mes coursiers divins 7 entre mile coursiers,<br />
En vitesse toujours se montrent les premiers i<br />
Si) par le Dieu Neptune accordés à mon père,<br />
Avec moi dans, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ils s'é<strong>la</strong>nçaient naguère,<br />
Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te lutte immobiles témoins,<br />
Ils pleurent Fécuyer qui, prodigue <strong>de</strong> soins, .<br />
Sur leur front, arrosé d'une on<strong>de</strong> bienfaisante,<br />
Epanchait le trésor <strong>de</strong> f olive luisante.<br />
La douleur les accable, <strong>et</strong> leurs longs crins épara<br />
Dans <strong>la</strong> poudre à grands lots traînent <strong>de</strong> toutes parts.<br />
Mais entrez dans <strong>la</strong> lice, ô vous, Grecs .intrépi<strong>de</strong>s,<br />
Fiers <strong>de</strong> vos prompts coursiers <strong>et</strong> <strong>de</strong> vos chars soli<strong>de</strong>s. »
CHANT VINGT-TROISIÈME. 455<br />
Un essaim <strong>de</strong> rivaux s'avance au même instant ;<br />
Le premier qui paraît dans ce groupe ''éc<strong>la</strong>tant,<br />
Çest Fhëritier d'Admète, Eumèle dont l'adresse<br />
D'un char avec succès dirige <strong>la</strong> vitesse,<br />
Diomè<strong>de</strong> y accouru <strong>sur</strong> les pas du héros ,<br />
Attache au fort timon les <strong>de</strong>ux coursiers <strong>de</strong> Tros,<br />
DontEnée en fuyant lui céda <strong>la</strong> conquête,<br />
Quand Phébus détourna <strong>la</strong> mort loin <strong>de</strong> sa tétau<br />
Puis, le blond Méné<strong>la</strong>s, <strong>de</strong>bout y avec fierté<br />
Attèle son Podarge <strong>et</strong> <strong>la</strong> fougueuse Etlié ;<br />
Jadis Echépolus f qui , possesseur d'un trône,<br />
Habitait l'opulente <strong>et</strong> vaste Sicyone,<br />
Comblé par Jupiter <strong>et</strong> d'honneurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> biens 7<br />
Loin d'escorter Atrï<strong>de</strong> aux rivages troyens ?<br />
Lui donna pour tribut c<strong>et</strong>te ar<strong>de</strong>nte cavale<br />
Avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> franchir un immense intervalle.<br />
Guidant ces <strong>de</strong>ux coursiers quit nourris dans Pylos,<br />
De leurs crins ondoyans <strong>la</strong>issent errer les flots,<br />
Antiloque se montre, <strong>et</strong>, près <strong>de</strong> lui 7 son père<br />
Fait parler en ces mots sa pru<strong>de</strong>nce sévère :<br />
« Neptune <strong>et</strong> Jupiter, dès tes plus jeunes ans 7<br />
Mon fils ! t'ont prodigué leurs célestes présens 7
456 L'ILIADE.<br />
Et, <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> un char, si tu peux le conduire 1<br />
Dans c<strong>et</strong> art glorieux ils ont daigné t'instruire.<br />
Tu sais autour d'un but tourner rapi<strong>de</strong>ment ;<br />
Mais tes nobles coursiers dont Far<strong>de</strong>ur se dément,<br />
Languissent, <strong>et</strong> je vois tes rivaux moins habiles<br />
Presser <strong>de</strong> l'aiguillon leurs chevaux plus agiles.<br />
Je redoute un revers... Pour <strong>de</strong>venir vainqueur f<br />
De toute ta pru<strong>de</strong>nce arme ton jeune cœur.<br />
L'art dont l'heureux secours double <strong>la</strong> force humaine.<br />
Apprend aux ouvriers à façonner le chêne;<br />
L'art, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer fécon<strong>de</strong> en fougueux tourbillons,<br />
Gui<strong>de</strong> un frêle vaisseau battu <strong>de</strong>s aquilons ;<br />
L'art enfin, dans <strong>la</strong> lice , arbitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire,<br />
Au meilleur écuyer as<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> victoire.<br />
Tandis que l'impru<strong>de</strong>nt qu'emportent ses coursiers ,<br />
Loin du terme , au hasard parcourt divers sentiers ,<br />
Le maître plus adroit d'un moins prompt atte<strong>la</strong>ge<br />
Tient les rênes <strong>de</strong> cuir dans sa main ferme <strong>et</strong> sage ,<br />
Arrive jusqu'au but qu'il effleure avec art,<br />
Dépasse, ses rivaux <strong>et</strong> les <strong>la</strong>isse à l'écart.<br />
Remarque c<strong>et</strong>te borne ; ô mon cher fils ! écoute :<br />
Vois se dresser, au bout <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vaste route ,
CHANT VINGT-TEOISIÈME. 4&7<br />
Le bois d'un chêne ari<strong>de</strong> ou d*un pin allongé ,<br />
Que <strong>la</strong> pluie <strong>et</strong> les ans n'ont pas endommagé ;<br />
Auprès 7 <strong>de</strong>ux b<strong>la</strong>ncs rochers en soutiennent <strong>la</strong> masse,<br />
A l'endroit où <strong>la</strong> lice ap<strong>la</strong>nit sa <strong>sur</strong>face ,<br />
Et dans les anciens jours c<strong>et</strong> énorme monceau<br />
Offrait une limite ou peut-être un tombeau.<br />
Tel est le but fixé par le divin Achille ;<br />
Ton char doit y courir ; qu'avec son cercle agile<br />
La roue obliquement trace un léger sillon :<br />
Sur ton siège élégant , armé <strong>de</strong> l'aiguillon,<br />
Penche-toi vers <strong>la</strong> gauche, <strong>et</strong> d'une main adroite,<br />
Abandonne le frein au coursier <strong>de</strong> <strong>la</strong> droite.<br />
Glisse autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> pierre <strong>et</strong> ne <strong>la</strong> heurte pas 1<br />
Ou tremble que ton char ne vole en mille éc<strong>la</strong>ts.<br />
De tes rivaux vainqueurs si <strong>la</strong> course est plus prompte,<br />
Pour eux quelle allégresse, <strong>et</strong> pour toi quelle honte !<br />
Sois pru<strong>de</strong>nt, mon ami, ! si, dans ton vol heureux,<br />
Tu franchis aisément ce détroit dangereux,<br />
Quels que-soient ses efforts, nul rival n'est à craindre,<br />
Dût-il avec ar<strong>de</strong>ur, dans l'espoir <strong>de</strong> t'atteindre ,<br />
Pousser c<strong>et</strong> Aréion 7 c<strong>et</strong> immortel coursier,<br />
Qui d'Adraste au combat traînait le char guerrier ?
458 L'ILIADE.<br />
Ou le» chevaux hardis dont ce fécond rivage<br />
A vu Laomédon vaincre l'orgueil sauvage. »<br />
Le vieil<strong>la</strong>rd se rassied , <strong>et</strong> par sa voix instruit f<br />
Son fils <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce a recueilli le fruit.<br />
A peine Mérion conduit vers <strong>la</strong> barrière<br />
Ses rapi<strong>de</strong>s coursiers à <strong>la</strong> bêle crinière ,<br />
Sur cinq chars différens les cinq rivaux montés<br />
S'é<strong>la</strong>ncent, <strong>et</strong> les sorts, par Achille agités, -<br />
Arbitres <strong>de</strong> ces jeux que leur ar<strong>de</strong>ur provoque.<br />
D'abord pour concurrens désignent Antiloque,<br />
Eumèle, Méne<strong>la</strong>s, fameux par ses exploits ,<br />
Mérion , écuyer du monarque crétois,<br />
Et Diomè<strong>de</strong> enfin, le premier en audace,<br />
Mais rangé par le sort à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière p<strong>la</strong>ce.<br />
Ils prennent tous leur rang, <strong>et</strong> pleins d'un zèle égal,<br />
De <strong>la</strong> course promise implorent le signal.<br />
Achille à leurs regards montre au bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />
Sur un sol ap<strong>la</strong>ni <strong>la</strong> limite lointaine,<br />
Et <strong>de</strong> ces jeux rivaux, observés avec soin,<br />
Le vieux Phénix doit être un fidèle témoin.<br />
Tous, agitant leurs fou<strong>et</strong>s <strong>et</strong> secouant leurs gui<strong>de</strong>s,<br />
Excitent <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix les coursiers intrépi<strong>de</strong>s,
CHANT VINGT-TROISIÈME. 4%<br />
Qui, dans leur vol léger fuyant loin <strong>de</strong>s vaisseaux:,<br />
D'une épaisse poussière élèvent les monceaux}<br />
Le sable, <strong>de</strong> leurs pieds monte jusqu'à leur tête,<br />
Gomme un sombre nuage ou comme <strong>la</strong> tempête, '<br />
Ils courent, <strong>et</strong> leurs crins, agités par les vents,<br />
Semblent semer les airs <strong>de</strong> leurs anneaux mouvans.<br />
Sur leurs chars qui, tantôt vers <strong>la</strong> terre s'abaissent,<br />
Et" tantôt vers les cieux légèrement se dressent y<br />
Les conducteurs <strong>de</strong>boutr incertains , hal<strong>et</strong>ans,<br />
De crainte <strong>et</strong> d'espérance à <strong>la</strong> fois palpitans,<br />
Animent les coursiers vo<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> carrière<br />
Parmi les tourbillons d'une immense poussière.<br />
En approchant du but, déjà les concurrens ,<br />
Vers <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante, avaient perdu leurs rangs ;<br />
Tous, voisins <strong>de</strong> ce prix que leur zèle dispute 7<br />
Rivalisent d'ar<strong>de</strong>ur en c<strong>et</strong>te noble lutte.<br />
Les cavales d'Eumèle 7 étonnant tous les yeux ><br />
Traînent rapi<strong>de</strong>ment son char audacieux ;<br />
Puis 7 les coursiers <strong>de</strong> Tros, poussés par Diomè<strong>de</strong>^<br />
Gomme s'ils dépassaient ce char qui les précè<strong>de</strong>,<br />
Se penchent <strong>sur</strong> Eumèle , <strong>et</strong> leurs naseaux fumans<br />
L'inon<strong>de</strong>nt tout entier <strong>de</strong> leurs flots écumans.
46o • L'ILIADE.<br />
Le fils du grand Tydée al<strong>la</strong>it, chargé <strong>de</strong> gloire.,<br />
Remporter ou du moins ba<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> victoire,<br />
Lorsque dans sa fureur, tout à coup 7 Apollon<br />
Arrache <strong>de</strong> ses mains l'éc<strong>la</strong>tant aiguillon ;<br />
Ses yeux versent <strong>de</strong>s pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> honte <strong>et</strong> <strong>de</strong> rage.<br />
Car Eumèle avant lui presse son atte<strong>la</strong>ge,<br />
Et ses chevaux, privés du fou<strong>et</strong> étince<strong>la</strong>nt f<br />
Accablés sous le joug, marchent d'un pas plus lent.<br />
Mais Pal<strong>la</strong>s, d'Apollon découvrant l'artifice ,<br />
Présente à Diomè<strong>de</strong> une main protectrice,<br />
Lui rend le fou<strong>et</strong> sonore, <strong>et</strong> <strong>de</strong> transports nouveaux<br />
S'empresse d'animer ses agiles chevaux*<br />
Elle poursuit Eumèle , <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains rivales<br />
Brise dans sa fureur le joug <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux cavales ;<br />
Le couple effarouché s'égare ; le timon<br />
Roule hors du chemin dans un poudreux sillon.<br />
Eumèle chance<strong>la</strong>nt tombe près <strong>de</strong> <strong>la</strong> roue<br />
Qui d'un seul coup meurtrit <strong>et</strong> son bras <strong>et</strong> sa joue ;<br />
Les yeux noyés <strong>de</strong> pleurs, pâle ? défiguré,<br />
La bouche ensang<strong>la</strong>ntée <strong>et</strong> le front déchiré 7<br />
11 veut parler... sa voix <strong>sur</strong> ses lèvres se g<strong>la</strong>ce.-<br />
Diomè<strong>de</strong> , enf<strong>la</strong>mmé d'une nouvelle audace,
CHANT VINGT-TROISIEME. 461<br />
Loin <strong>de</strong> tous ses rivaux précipite les pas<br />
Des chevaux vigoureux que dirige PaUas.<br />
Tandis que Méné<strong>la</strong>s poursuit son adversaire,<br />
Antiloque s'adresse aux coursiers <strong>de</strong> son père :<br />
« É<strong>la</strong>ncez-vous ! hâtez vos bonds impétueux.<br />
Vous ne vaincrez jamais , rivaux présomptueux ,<br />
Ces chevaux excités par Minerve elle-même<br />
Qui réserve à leur maître une gloire suprême.<br />
Mais atteignez du moins le char <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s ;<br />
Que votre noble é<strong>la</strong>n ne se modère pas.<br />
Quel déshonneur ! Ethé 7 c<strong>et</strong>te faible cavale,<br />
L'emporterait !... Non ? non ; franchissez l'intervalle,<br />
Ou craignez que Nestor ^ ce pasteur <strong>de</strong>s humains,<br />
Au soin <strong>de</strong> vous nourrir n'employant plus ses mains,<br />
Ne plonge dans vos f<strong>la</strong>ncs sa <strong>la</strong>nce sanguinaire ?<br />
Si nous ne méritons qu'une gloire ordinaire.<br />
Volez donc ! triomphez ! mon stratagème "adroit<br />
Vous servira tous <strong>de</strong>ux en ce passage étroit, s<br />
Il dit : pour les chevaux que sa menace effraie,<br />
Une route plus vaste en peu d'instans se fraie.<br />
Mais le hardi guerrier n'observe pas en vain<br />
Le chemin qui <strong>de</strong>scend <strong>et</strong> se creuse en ravin ?
4&» • L'ILIADE.<br />
Où les torrens d'hiver, amonce<strong>la</strong>nt leur on<strong>de</strong> ,<br />
Tracèrent dans <strong>la</strong> fange une ornière profon<strong>de</strong>.<br />
Vers ce <strong>la</strong>rge fossé, pour éviter les chars<br />
Qui volent près <strong>de</strong> lui confusément épars f<br />
Méné<strong>la</strong>s se dirige ; au bord <strong>de</strong> ce pasàage<br />
Antiloque a poussé son rapi<strong>de</strong> atte<strong>la</strong>ge j<br />
Loin du ravin son char s'est un peu détourné ,<br />
Et <strong>sur</strong> lui Méné<strong>la</strong>s j<strong>et</strong>te un œil consterné :<br />
« Téméraire ! où vas-tu ? Faudàce qui t f entraîne<br />
S'emparera bientôt d'une plus <strong>la</strong>rge arène ;<br />
Frémis ! si maintenant par un choc hasar<strong>de</strong>ux<br />
Ton char heurte le mien T ils se brisent tous <strong>de</strong>ux. &<br />
Il parle : à c<strong>et</strong> avis Antiloque rebelle<br />
De ses coursiers encore aiguillonne le zèle f<br />
Et les <strong>de</strong>ux chars <strong>de</strong> front parcourent en fuyant<br />
Le chemin que me<strong>sur</strong>e un' disque tournoyant f<br />
Quand un jeune lutteur, Fenvoyant dans Fespace ?<br />
Pour essayer sa force 1 en fait rouler <strong>la</strong> masse.<br />
Méné<strong>la</strong>s furieux tremble que les ehevaux<br />
De leuft chars en tombant ne foulent les <strong>la</strong>mbeaux f<br />
Et qu'Aûtiloque <strong>et</strong> lui ^ s'arr&chant <strong>la</strong> victoire,<br />
Ne tombent dans le sable <strong>et</strong> ntapiront sans gloire}
CHANT VINGT-TROISIÈME. 463<br />
-Il s'écrie : « Antiloque ! est-il quelque mortel<br />
Perfi<strong>de</strong> plus que toi ? plus que toi criminel ?<br />
On eut tort <strong>de</strong> vanter ton cœur pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sage,<br />
Et du parjure seul ton prix sera le gage. »<br />
t O généreux coursiers ! ajoute Méné<strong>la</strong>s}<br />
Malgré votre douleur , ne me r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>z pas.<br />
Les chevaux d'Antiloque , usés par <strong>la</strong> vieillesse,<br />
Verront plus tôt que vous succomber leur faiblesse, *<br />
• H dit ; par ses accens Fatte<strong>la</strong>ge excité<br />
Suit <strong>et</strong> presse Antiloque avec vélocité*<br />
Assis hors <strong>de</strong> l'enceinte où <strong>la</strong> foule guerrière<br />
Considère les chars fuyant dans <strong>la</strong> poussière ?<br />
Le premier avant tous , le prince <strong>de</strong>s. Cr<strong>et</strong>ois<br />
Distingue le- vainqueur <strong>et</strong> reconnaît sa voix ;<br />
P<strong>la</strong>cé seul au penchant d'une haute colline<br />
D'où son vaste regard <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine domine 7<br />
H a vu ce coursier dont le poil rougissant<br />
Rivalise Féc<strong>la</strong>t d'un pourpre éblouissant f<br />
Et dont le front, empreint d'une marque b<strong>la</strong>nchâtre^<br />
A <strong>la</strong> lune arrondie en emprunte r&lb&tm<br />
Il se lève : «-O.guerriers ! vois-je-senl en ces.lieu<br />
Triompher SUF leurs* chars ces héros orgoegUen ?
464 L'ILIADE.<br />
Les cavales d'Eumèle ont éprouvé sans doute<br />
Quelque acci<strong>de</strong>nt fatal au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> route.<br />
D'abord autour du but je les voyais courir.<br />
Où sont-elles? Mon œil ne les peut découvrir,<br />
Quoique , <strong>de</strong> toutes parts en promenant ma vue j<br />
Des vastes champs troyens j'embrasse l'étendue.<br />
Des mains <strong>de</strong> Fécuyer les rênes auront fui,<br />
Et l'atte<strong>la</strong>ge , errant sans gui<strong>de</strong>, sans appui ,<br />
En effleurant <strong>la</strong> borne f aura j<strong>et</strong>é peut-être<br />
Loin du char fracassé son infortuné maître.<br />
Levez-vous, regar<strong>de</strong>z ! Je me trompe ou mes yeux<br />
Ont vu courir vers nous d'un vol victorieux<br />
Ce mortel dont Tydée "éleva <strong>la</strong> jeunesse ?<br />
Qu'enfanta'FElolie <strong>et</strong> qu'admire <strong>la</strong> Grèce. »<br />
Ajax? fils d'Oïlée , à ces mots ïmpru<strong>de</strong>ns<br />
Oppose avec aigreur <strong>de</strong>s reproches mordans :<br />
« Pourquoi ces vains discours ? les cavales d'Eumèle<br />
Toujours au premier rang ont signalé leur zèle.<br />
Tu n'es pas le plus jeune entre les Argiens,<br />
Et tous ont <strong>de</strong>s regards plus perçans que les tiens.<br />
Téméraire ! réprime un frivole <strong>la</strong>ngage.<br />
D'autres guerriers <strong>sur</strong> toi remportent l'avantage.
CHANT VINGT-TROISIÈME. 4«5<br />
Eumèle seul triomphe, <strong>et</strong>, le premier <strong>de</strong> tous ,<br />
Les rênes à <strong>la</strong> main 7 s'avance jusqu'à nous. »<br />
« Âjax ! répond le roi ? transporté <strong>de</strong> colère 1<br />
Habile discoureur f mais guerrier téméraire ,<br />
O le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s Grecs 7 dépose ainsi que moi<br />
Une coupe, un trépied pour gage <strong>de</strong> ta foi.<br />
Qu'Âtri<strong>de</strong> ici nous juge, pt que sa voix déci<strong>de</strong><br />
Quel est <strong>de</strong> tous ces chars le char le plus rapi<strong>de</strong>.<br />
Je veux à tes dépens éc<strong>la</strong>irer ton erreur. » •<br />
Âjax <strong>sur</strong> le Cr<strong>et</strong>ois s'é<strong>la</strong>nce avec fureur.<br />
Tous <strong>de</strong>ux al<strong>la</strong>ient peut-être, aveuglés par <strong>la</strong> haine 7<br />
Dans leurs fougueux transports ensang<strong>la</strong>nter l'arène,<br />
Lorsqu'AchiUe se lève : « Epargnez à nos yeux<br />
De vos jaloux débats l'aspect injurieux ;<br />
Terminez ces discords que dans le cœur <strong>de</strong>s autres<br />
Blâmeraient justement <strong>de</strong>s cœurs tels que les vôtres.<br />
Tranquilles spectateurs , atten<strong>de</strong>z les coursiers.<br />
Oui j vous verrez bientôt accourir nos guerriers,<br />
Et vos yeux T <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte équitables arbitres,<br />
Reconnaîtront leurs rangs <strong>et</strong> jugeront leurs titres. »<br />
Tandis qu'Achille parle, armé du fou<strong>et</strong> mordant,<br />
Diomè<strong>de</strong> soudain frappe le couple ar<strong>de</strong>nt<br />
a. 3o
466 L'ILIADE.<br />
Qui d'un é<strong>la</strong>n fougueux franchissant <strong>la</strong> carrière ,<br />
Le couvre tout entier d'une b<strong>la</strong>nche poussière.<br />
Le char impatient, riche d'or <strong>et</strong> d'étain,<br />
Rapi<strong>de</strong>ment traîné dans son essor lointain,<br />
Fuit 7 <strong>et</strong> <strong>la</strong> roue agile ? en parcourant l'espace y<br />
Sur le sable mouvant <strong>la</strong>isse à peine une trace.<br />
Diomè<strong>de</strong>, vainqueur <strong>de</strong> se§ nombreux rivaux 7<br />
Au milieu <strong>de</strong> l'enceinte apparaît ; ses chevaux<br />
De leur brû<strong>la</strong>nt poitrail, <strong>de</strong> leur tête pendante<br />
Font couler jusqu'au sol <strong>la</strong> sueur abondante,<br />
Et <strong>de</strong> son char bril<strong>la</strong>nt le héros <strong>de</strong>scendu<br />
Pose contre le joug l'aiguillon suspendu,<br />
Tandis que Sthélénus qui tout à coup arrive 7<br />
S'emparant du trépied f saisissant <strong>la</strong> captive ?<br />
Les rem<strong>et</strong> aux soldats <strong>et</strong> lui-même à l'instant<br />
Détache du timon le couple hal<strong>et</strong>ant.<br />
Antiloque, vainqueur, mais.grâce à l'artifice.<br />
Le premier après lui se montre dans <strong>la</strong> lice;<br />
Il s'avance suivi du noble Méné<strong>la</strong>s ;<br />
Une faible distance a séparé leurs pas :<br />
Tel on voit <strong>de</strong>s longs crins <strong>de</strong> sa queue ondoyante<br />
Un cheval effleurer <strong>la</strong> roue impatiente
CHANT VINGT-TROISIÈME. A6j<br />
Qui, le pressant <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong> sdn «cercle fuyant j<br />
A travers <strong>la</strong> campagne emporte un char bruyant.<br />
Le j<strong>et</strong> d'un disque entr'eux ne m<strong>et</strong> plus sa distance 7<br />
Et Far<strong>de</strong>nt Méûé<strong>la</strong>s le suit avec constance ;<br />
Cavale aux crins flottans f Ethé, docile au frein ,<br />
L'eût fait vaincre au milieu d'un plus vaste terrain.<br />
Il n'aurait point <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> victoire incertaine.<br />
Autant un javelot vole au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine j<br />
Autant <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s Mérion séparé<br />
Sur ses traces <strong>de</strong> loin marche désespéré.<br />
Et <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux coursiers <strong>la</strong> lenteur indocile<br />
Résiste aux vains efforts <strong>de</strong> son zèle inhabile.<br />
Enfin, le fils d'Admète avec ses bras meurtris<br />
De son c^har magnifique entraîne les débris.<br />
Debout ? aux Argiens adressant <strong>la</strong> parole,<br />
Sensible à son malheur ^ Achille le console :<br />
« C<strong>et</strong> homme qui dans Fart <strong>de</strong> conduire un cdursï<strong>et</strong> 1<br />
Surpassait tous les Grecs, arrive le <strong>de</strong>rnier.<br />
Diomè<strong>de</strong> <strong>sur</strong> lui remporte l'avantage;<br />
Qu'au moins le second prix <strong>de</strong>vienne son partage. »<br />
Dès qu'Achille a parlé, le peuple entier paraît<br />
Confirmer par ses cris un équitable arrêt.<br />
3o.
468 L'ILIADE.<br />
Aux acc<strong>la</strong>mations d'une foule rivale,<br />
Eumèle recevait l'orgueilleuse cavale,<br />
Quand soudain, se levant pour réc<strong>la</strong>mer ses droits 1<br />
A<strong>et</strong>îloque indigné fait r<strong>et</strong>entir sa voix :<br />
c* Achille ! oses-tu bien accomplir ta promesse?<br />
Tu m'enlèves le prix conquis par mon adresse ,<br />
Pour venger un héros qui, prêt à succomber,<br />
Vit se briser son char <strong>et</strong> ses chevaux tomber !<br />
Que n'a-t-il imploré l'assistance céleste !<br />
S'il t'est cherf si ton cœur p<strong>la</strong>int son <strong>de</strong>stin funeste,<br />
Ton camp a <strong>de</strong>s coursiers, <strong>de</strong>s captifs , <strong>de</strong>s troupeaux,<br />
De l'airain <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'or entassés par monceaux.<br />
Prodigue-luî ees dons... Qu'un prix plus riche encore<br />
Devant les Grecs charmés le console <strong>et</strong> l'honore.<br />
Quant au bien qui m'est dû ? je ne le cè<strong>de</strong> pas ;.<br />
Veut-on- me l'arracher ? le fer arme mon bras-. »<br />
Achille aux pieds légers en souriant approuve<br />
Le dépit généreux que ce héros éprouve :<br />
« Tu le veux , Antiloque ! un autre prix soudain<br />
Par Eumèle obtenu passera dans sa main,<br />
Et je lui donnerai <strong>la</strong> soli<strong>de</strong> cuirasse<br />
Qu'au fier Astéropée enleva mon audace 7
CHANT VINGT-TROISIÈME. 469<br />
Armure dont Fétain <strong>et</strong> l'airain tour à tour<br />
Par leurs cercles unis embrassent le contour.<br />
Sans doute un prix si beau 7 gage <strong>de</strong> mon estime 7<br />
Suffit pour contenter son orgueil légitime. »<br />
Achille a commandé ; le jeune Automédon<br />
Pénètre dans <strong>la</strong> tente <strong>et</strong> rapporte le don;<br />
Des mains d'Achille, Eumèle, en tressail<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> joie.<br />
L'accepte <strong>et</strong> <strong>la</strong> fierté <strong>sur</strong> son front se déploie.<br />
Méné<strong>la</strong>s s'est levé; son cœur triste <strong>et</strong> jaloux<br />
Nourrit contre Antiloque un superbe courroux ; • "<br />
A <strong>la</strong> voix d'un héraut, tous les Grecs font silence ;<br />
Armé du sceptre d'or? qu'en ses mains il ba<strong>la</strong>nce,<br />
Semb<strong>la</strong>ble aux immortels, l'illustre Méné<strong>la</strong>s<br />
Laisse <strong>de</strong> sa douleur échapper les éc<strong>la</strong>ts :<br />
« Antiloque, autrefois <strong>et</strong> si juste <strong>et</strong> si sage,<br />
Qu'as-tu fait? ton orgueil m'humilie <strong>et</strong> m'outrage.<br />
Si plus loin que mon char ton char s'est é<strong>la</strong>ncé,<br />
En blessant mes chevaux tu m'avais <strong>de</strong>vancé.<br />
O vous j princes <strong>et</strong> chefs, assemblés dans l'arène,<br />
Jugez-nous tous les <strong>de</strong>ux sans amour <strong>et</strong> sans haine.<br />
Qu'on ne dise jamais : Méné<strong>la</strong>s irrité<br />
L'emporta par <strong>la</strong> ruse ou par l'autorité;
4yo . L'ILIADE.<br />
Ennemi d f Antiloque , il u<strong>sur</strong>pa sa gloire<br />
Et ne dut qu'au mensonge une indigne victoire.<br />
Oui, si moi-même ici je prononçais l'arrêt,<br />
A ma noble équité chacun app<strong>la</strong>udirait.<br />
O nourrisson <strong>de</strong>s Dieux, <strong>sur</strong> toi je me repose.<br />
Viens : fidèle au serment que le <strong>de</strong>voir t'impose,<br />
Armé du fou<strong>et</strong>, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant ton char d'airain ,<br />
Atteste <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer l'auguste souverain,<br />
Et , touchant tes coursiers, jure que l'artifice<br />
T'a fait , malgré tes vœux, triompher dans <strong>la</strong> liée.»<br />
' Antiloque répond : « O Méné<strong>la</strong>s ! ô roi !<br />
Gomme je suis plus jeune <strong>et</strong> moins puissant que toi,<br />
Pardonne ! tu le sais : <strong>la</strong> jeunesse impru<strong>de</strong>nte<br />
Ne peut <strong>de</strong> ses transports régler <strong>la</strong> fougue ar<strong>de</strong>nte.<br />
L'injustice aisément aveugle les esprits.<br />
Apaise ton courroux; je te cè<strong>de</strong> le prix.<br />
Et s'il te faut encor <strong>de</strong>s richesses plus gran<strong>de</strong>s,<br />
Mon docile respect consent à tes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s.<br />
Je ne veux pas au ciel <strong>de</strong>venir odieux, '<br />
Et, banni <strong>de</strong> ton cœur, perdre l'appui <strong>de</strong>s Dieux. »<br />
11 amène à ces mots <strong>la</strong> cavale indomptée,<br />
Que le fier Dféné<strong>la</strong>s a soudain acceptée ;
CHANT VINGT-TROISIEME. 4?i~<br />
Méné<strong>la</strong>s en son sein goûte un p<strong>la</strong>isir secr<strong>et</strong>;<br />
Il frémit , comme on voit, dans un fécond guér<strong>et</strong> ,<br />
S'agiter les épis, quand <strong>la</strong> fraîche rosée<br />
Ranime <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur <strong>de</strong> leur tige épuisée.<br />
« Antiloque ! a-t-il dit, j'ai perdu mon courroux.<br />
Tu n f étaïs jusqu'alors ni hautain, ni jaloux.<br />
"C'est à moi <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r. Si l'ar<strong>de</strong>nte jeunesse..<br />
De ton cœur un moment a vaincu <strong>la</strong> sagesse,<br />
Plus calme désormais, plus soumis au <strong>de</strong>voir,<br />
Respecte <strong>de</strong>s héros le titre <strong>et</strong> le pouvoir.<br />
Nestor, ton frère <strong>et</strong> toi, pour venger mon outrage,<br />
Vous avez signalé votre noble courage j<br />
Que <strong>de</strong> combats livrés, <strong>de</strong> travaux entrepris !..,<br />
J'exauce donc tes vœuxj je te <strong>la</strong>isse mon prix ,<br />
Et tous les Grecs sauront qu'au repentir sensible,<br />
Mon cœur n'est point armé d'un orgueil inflexible.»<br />
Tandis que sous les lois du brave Noèmon<br />
Qu'Antiloque a nommé son plus cher compagnon,<br />
La cavale s'enfuit, Méné<strong>la</strong>s en partage<br />
Prend le bassin, <strong>de</strong> Fart étince<strong>la</strong>nt ouvrage.<br />
Mérion après lui reçoit <strong>de</strong>ux talents d'or,<br />
Et pour cinquième prix le vase reste encor.
4y^ L'ILIADE.<br />
Alors , le fils <strong>de</strong>s Dieux, traversant rassemblée,<br />
S'adresse au rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> l'auguste Nélée :<br />
ce Vieil<strong>la</strong>rd ! avec ce don puisse dans Pavenir<br />
De Patrocle en ton cœur vivre le souvenir !<br />
Tu ne le verras plus marcher à <strong>la</strong> victoire<br />
Ce liéros dont nos jeux honorent <strong>la</strong> mémoire ;<br />
Mais accepte ce prix, sans avoir combattu ;<br />
Car sous le poids <strong>de</strong>s ans tu <strong>la</strong>nguis abattu-,<br />
Et tu ne peux , captif dans un repos funeste,<br />
Ni paraître aux combats <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte ou du ceste,<br />
Ni décocher un trait, ni d'un pied vigoureux<br />
Dépasser en courant tes rivaux plus heureux. »<br />
Nestor reçoit le prix avec un doux sourire 2 '<br />
« Mon fils ! dans tes discours <strong>la</strong> sagesse respire.<br />
Tu n'as dit que trop vrai;'mes pieds, mes bras, mon corps<br />
Ont perdu <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong> leurs souples ressorts.<br />
Ah ! que ne vois-je encor refleurir ma jeunesse!<br />
Jadis dans Buprasie où-s'assemb<strong>la</strong>it <strong>la</strong> Grèce,<br />
Les fils d'Amaryneée ? autour <strong>de</strong> son cercueil,<br />
Par <strong>de</strong> funèbres jeux solennisaient leur' <strong>de</strong>uil.<br />
Les Épéens, .Pylos, FÉtolie <strong>et</strong> l'Éli<strong>de</strong><br />
Ne purent m'opposer un rival intrépi<strong>de</strong>,
CHANT VINGT-TROISIÈME. 473<br />
Cl y tomè<strong>de</strong> , qu'Énops comptait parmi se3 fils f<br />
En vain au pugi<strong>la</strong>t m'adressa ses défis.<br />
A <strong>la</strong> lutte vainqueur f du généreux Ancée<br />
J'abattis sous mes coups <strong>la</strong> jeunesse insensée.<br />
Je courus dans <strong>la</strong> lice <strong>et</strong> l'agile Iphiclus<br />
S'épuisa pour me vaincre en efforts superflus.<br />
Un couple renommé ? Phylée <strong>et</strong>Polydore<br />
Au prix du javelot me cédèrent encore.<br />
Mais <strong>de</strong>ux guerriers , d'Ator héroïques enfansf<br />
De <strong>la</strong> course <strong>de</strong>s chars sortirent triomphans ;<br />
Car , jaloux d'illustrer <strong>la</strong> lutte <strong>la</strong> plus belle,<br />
Ces jumeaux contre moi réunirent leur zèle ;<br />
L'un dirigeait le frein ; l'autre f armé du fou<strong>et</strong> d'or f<br />
Des chevaux bondissans précipitait l'essor.<br />
Telle éc<strong>la</strong>tait ma force <strong>et</strong> bril<strong>la</strong>it mon adresse...<br />
Hé<strong>la</strong>s ! <strong>et</strong> j'obéis à <strong>la</strong> triste vieillesse ;<br />
Si parmi les héros je marchais autrefois,<br />
Que d'autres maintenant imitent mes exploits.<br />
Noble Achille ! poursuis les jeux que tu célèbres ,<br />
Et console un ami par ces honneurs funèbres.<br />
J'accepte avec p<strong>la</strong>isir ton précieux bienfait ;<br />
Un tel présent, est cher à mon cœur satisfait,
474 L'ILIADE.<br />
Et je me réjouis du solennel hommage<br />
- Que ton juste respect accor<strong>de</strong> à mon vieil âge. •<br />
Pour te récompenser , puissent les Dieux sauveurs<br />
Te prodiguer toujours leurs plus douces faveurs ! »<br />
Achille 5 enorgueilli <strong>de</strong> ce tribut d'éloge<br />
Que Nestor à <strong>la</strong> fois lui décerne <strong>et</strong> s'arroge,<br />
S'avance dans <strong>la</strong> foule, <strong>et</strong>, pour nouveau combat,<br />
Propose à tous les Grecs le cruel pugi<strong>la</strong>t.<br />
Par les mains du héros dans l'enceinte amenée ,<br />
Une mule qui touche à sa sixième année,<br />
Et qui, levant un front du timon- affranchi,<br />
Sous le poids <strong>de</strong>s travaux n'a point encor fléchi,<br />
Paraît , <strong>et</strong>, non loin d'elle , une coupe bril<strong>la</strong>nte<br />
Deviendra du vaincu l'offran<strong>de</strong> conso<strong>la</strong>nte.<br />
Debout parmi les Grecs, l'œil attaché <strong>sur</strong> eux :<br />
« Atri<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> vous, chefs aux bro<strong>de</strong>quins poudreux ,<br />
A-t-il dit , choisissez <strong>de</strong>ux hommes intrépi<strong>de</strong>s f<br />
Qui, prompts à se munir <strong>de</strong> leurs cestes soli<strong>de</strong>s,<br />
Se contrent dans l'arène, <strong>et</strong> luttent accablés<br />
Sous le poids mutuel <strong>de</strong> leurs coups redoublés.<br />
Protégé par Phébus, le plus heureux émule<br />
Obtiendra, <strong>de</strong>vant tous, l'infatigable mule,.
CHANT VINGT-TROISIÈME. ^<br />
Et <strong>la</strong> coupe profon<strong>de</strong> est le tribut promis<br />
Au rival terrassé par ses bras ennemis. »<br />
Ëpéns, fils d'Énopsf chargé <strong>de</strong> son armure,<br />
Confiant dans sa force <strong>et</strong> sa haute stature ,<br />
Se présente j fameux en c<strong>et</strong> art inhumain 7<br />
Sur <strong>la</strong> mule robuste il a porté <strong>la</strong> main ;<br />
Alors j ivre d'orgueil f <strong>et</strong> d'une voix hardie :<br />
« Si quelqu'un désira c<strong>et</strong>te coupe arrondie ,<br />
Qu'il paraisse ! il écoute un espoir suborneur,<br />
S'il croit du premier prix me disputer Flionneur.<br />
La guerre au second rang a p<strong>la</strong>cé mon courage.<br />
Mais l'homme eut-il jamais tous les dons en partage?<br />
Je jure f triomphant du plus fameux héros,<br />
De déchirer son corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> briser ses os.<br />
Ses nombreux compagnons^ à son malheur sensibles,<br />
L'emporteront meurtri par ces mains invincibles. »<br />
On se tait : Eury aie, homme semb<strong>la</strong>ble aux Dieux 7<br />
Porte seul jusqu'à lui ses pas audacieux.<br />
Euryale? ce fils du puissant Mécistée5<br />
Jadis dans les remparts <strong>de</strong> Thèbes attristée,<br />
Sur le cercueil d'OEdipe f honoré par <strong>de</strong>s jeux ,<br />
Dompta du vieux Gadmus le peuple courageux.
4j6 L'ILIADE.<br />
Diomè<strong>de</strong> l'escorte , <strong>et</strong>, désirant sa gloire ,<br />
Par <strong>de</strong> brû<strong>la</strong>ns discours Fexcite à <strong>la</strong> victoire.<br />
D'une <strong>la</strong>rge ceinture il entoure son corps, "<br />
Et lie à ses <strong>de</strong>ux bras, avec <strong>de</strong> longs efforts ,<br />
D'énormes gantel<strong>et</strong>s , impénétrable ouvrage,<br />
Que forma d'un taureau <strong>la</strong> dépouille sauvage.<br />
Lorsque les <strong>de</strong>ux rivaux, par <strong>la</strong> gloire enf<strong>la</strong>mmés,<br />
Lèvent leurs bras nerveux, <strong>et</strong> marchent tout armés ,<br />
La lutte a commencé ; leurs mains qui r<strong>et</strong>entissent<br />
Sous les cestes bruyans déjà s'appesantissent.<br />
Avec un sourd fracas s'entre-choquent leurs <strong>de</strong>nts,<br />
Et leur sueur partout ruisselle à flots ar<strong>de</strong>ns.<br />
Tandis que son rival à <strong>la</strong> fuite s'apprête,<br />
Epéus le poursuit, <strong>et</strong> le frappe à <strong>la</strong> tête ;<br />
Par ses rapi<strong>de</strong>s coups Euryale ébranlé<br />
Frissonne, <strong>et</strong> tout son corps a soudain chancelé.<br />
Quand Borée en fureur a déchaîné Forage,<br />
Repoussé par <strong>la</strong> mer vers Falgue du rivage,<br />
Le poisson se redresse ; il bondit, <strong>et</strong> le flot<br />
Dans le sombre Océan Fa replongé bientôt :<br />
Tel s'agite Euryale étendu <strong>sur</strong> le sable.<br />
Epéus lui présente une main secourahle;
CHANT VINGT-TROISIÈME. 477<br />
11 le relève ; alors, accourant tous vers lui,<br />
Ses fidèles soldats lui prêtent leur appui.<br />
H vomit un sang noir ; ses pieds dans <strong>la</strong> poussière<br />
Traînent ; son front pendant se renverse en arrièreT<br />
Tandis que ses amis l'emmènent gémissant,<br />
Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste coupe emportent le présent.<br />
Achille aux yeux <strong>de</strong>s Grecs montre <strong>la</strong> récompense<br />
Qu'à <strong>la</strong> lutte terrible en espoir il dispense ;<br />
Le grand trépied, promis au plus vail<strong>la</strong>nt héros 7 '<br />
Deux fois par sa valeur égale six taureaux f<br />
Et dans mille travaux une captive habile<br />
Est le don au vaincu proposé par Achille.<br />
Il se lève f il s'écrie : « Approcher , ô vous tous f<br />
Avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> périls <strong>et</strong> <strong>de</strong>-gloire jaloux. »<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon 7 l'adroit fils <strong>de</strong> Laérte,<br />
S'e<strong>la</strong>nçant dans l'arène aux concurrens ouverte ,<br />
D'une forte ceinture entourés seulement,<br />
Unissent <strong>de</strong> leurs corps l'étroit embrassement :<br />
Ainsi dans un pa<strong>la</strong>is dont le faîte se dresse<br />
Par une habile main construit avec adresse f<br />
Deux poutres, en<strong>la</strong>çant leurs <strong>de</strong>ux bois affermis f<br />
Méprisent les assauts <strong>de</strong>s autans ennemis.
478 L'ILIADE.<br />
Sous l'effort <strong>de</strong> leurs bras leurs épaules gémissent }<br />
Leur poitrine se serre <strong>et</strong> leurs muscles frémissent ;<br />
De nombreuses tumeurs ensang<strong>la</strong>ntent leurs f<strong>la</strong>ncs,<br />
Et sillonnent leurs dos <strong>de</strong> sueur raïsse<strong>la</strong>ns.<br />
Tant ce couple , enf<strong>la</strong>mmé d'un espoir héroïque,<br />
Brûle <strong>de</strong> conquérir le trépied magnifique !<br />
Mais Ulysse est trop fort pour se voir terrassé ;<br />
Ajax est trop adroit pour se Toir renversé.<br />
Quand <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s Grecs à <strong>la</strong> belle chaus<strong>sur</strong>e<br />
S'indigne , Ajax propose une épreuve plus sûre :<br />
s L'un <strong>et</strong> l'autre cherchons à soulever nos corps ^<br />
Et <strong>la</strong>issons Jupiter couronner nos efforts. »<br />
A ces mots , dans les airs Ajax suspend Ulysse j<br />
Mais Ulysse à son ai<strong>de</strong> appelle l'artifice ;<br />
Sur ses jarr<strong>et</strong>s plians il pose un pied vainqueur,<br />
Le renverse , le foule <strong>et</strong> pèse <strong>sur</strong> son cœur.<br />
Tout le peuple , immobile <strong>et</strong> frappé <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prise ;<br />
Frémit : en vains efforts Ulysse qui s'épuise f<br />
Loin d'enlever Ajax, lui-même a chancelé<br />
Et tous <strong>de</strong>ux avec bruit dans le sable -ont roulée<br />
Ces rivaux acharnés 7 relevés <strong>de</strong> leur chute,<br />
Déjà recommençaient une troisième lutte 7
CHANT VINGT-TROISIÈME. 47g<br />
Lorsqu'Achile s'approche, <strong>et</strong> r<strong>et</strong>enant leurs bras :<br />
« Gesses , nobles amis ! ces terribles combats.<br />
Dotes du même prix, votre gloire est égale ;<br />
Allez ! <strong>de</strong>s autres Grecs que F ar<strong>de</strong>ur se signale. »<br />
H dit ; les <strong>de</strong>ux héros , <strong>de</strong> sueur tout fumans,<br />
Secouant leur poussière, ont pris leurs vêtemens.<br />
Dans <strong>la</strong> lice bientôt <strong>la</strong> foule considère<br />
Les trois prix éc<strong>la</strong>tans <strong>de</strong> <strong>la</strong> course légère.<br />
Le premier prix offert est c<strong>et</strong>te urne d'argent<br />
Que forgea dans Sidon un art intelligent,<br />
Et dont les <strong>la</strong>rges f<strong>la</strong>ncs, renfermant six me<strong>sur</strong>es,<br />
S'arrondissent, ornés <strong>de</strong> belles ciselures.<br />
Quand les Phéniciens, parcourant tous les ports,<br />
Sur le noir Océan promenaient leurs trésors,<br />
C<strong>et</strong>te urne qu'à Thoas leur chef avait donnée,<br />
Passa comme un présent entre les mains d'Eunée ,<br />
Et Patrocte l'obtint, quand ce fils <strong>de</strong> Jason<br />
De Lyeaon captif lui paya <strong>la</strong> rançon ;<br />
Achille, d'un ami célébrant <strong>la</strong> mémoire,<br />
La propose en ce jour pour prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire.<br />
Un gras <strong>et</strong> fort taureau, For d'un <strong>de</strong>mi talent<br />
Offriront aux vaincus leur tribut conso<strong>la</strong>nt.
48o L'ILIADE.<br />
« Accourez , dit Achille aux enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ;<br />
Venez dans ce combat montrer votre souplesse. »<br />
Antiloque, ce fils du vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> Pylos,<br />
Qui toujours à <strong>la</strong> course éclipsa ses rivaux ,<br />
L'ar<strong>de</strong>nt fils d'Oïlée <strong>et</strong> le pru<strong>de</strong>nt Ulysse,<br />
Tous trois p<strong>la</strong>ces <strong>de</strong>'front, paraissent dans <strong>la</strong> lice*<br />
Le signal r<strong>et</strong>entit <strong>et</strong> le but éloigné<br />
Par Achille lui-même à peine est désigné,<br />
Ils s'é<strong>la</strong>ncent : Ajax , signa<strong>la</strong>nt sa vitesse , •<br />
Court le premier ; Ulysse avec ar<strong>de</strong>ur le presse ,<br />
Et le sable dans Pair ne tourbillonne pas,<br />
Tant <strong>sur</strong> ses pas légers il imprime ses pas !<br />
Comme on voit, par les soins d'une ouvrière habile^<br />
Pour former un tissu, <strong>la</strong> nav<strong>et</strong>te mobile<br />
De Fune à l'autre main passer à tout moment,<br />
Et dans ses tours croisés courir adroitement :<br />
Tel , poursuivant Ajax qui vole dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ,<br />
Il semble l'humecter <strong>de</strong> sa brû<strong>la</strong>nte haleine,<br />
Et <strong>de</strong>s Grecs , étonnés d'un si rapi<strong>de</strong> essor,<br />
Les app<strong>la</strong>udissemens l'encouragent encor.<br />
Ils vont toucher le but, quand le pru<strong>de</strong>nt Ulysse<br />
Implore dans son cœur Minerve protectrice :
CHANT VINGT-TBOISIËME. 481<br />
« Déesse ! exauce-moi ! <strong>de</strong>scends du haut <strong>de</strong>s cieux<br />
Et soutiens <strong>de</strong> mes pas l'é<strong>la</strong>n audacieux. »<br />
Minerve entend sa voix 7 <strong>et</strong> <strong>de</strong>s forces nouvelles<br />
A ses pieds, k ses mains semblent prêter <strong>de</strong>s ailes;<br />
Impatient, il vole , <strong>et</strong> lorsque tous les trois f<br />
Pour s'emparer du prix 5 s'é<strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> fois,<br />
Frappé par <strong>la</strong>. Déesse, Ajax chancelle <strong>et</strong> glisse<br />
Sur l'humi<strong>de</strong> terrain , témoin du sacrifice 7<br />
A l'endroit où le fer dans les mains du héros<br />
En l'honneur <strong>de</strong> Patrocle égorgea les taureaux ;<br />
Il tombe renversé dans une fiente impure<br />
Dont <strong>la</strong> noire épaisseur lui souille <strong>la</strong> figure.<br />
Le noble Ulysse ? ar<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>vancer ses pas,<br />
Sur l'urne étïnce<strong>la</strong>nte ose porter son bras ;<br />
Mais Ajax se relève , <strong>et</strong> palpitant <strong>de</strong> rage,<br />
Par <strong>la</strong> corne aussitôt saisit le bœuf sauvage.<br />
De sa bouche il rej<strong>et</strong>te <strong>et</strong> <strong>la</strong> fange <strong>et</strong> le sang y<br />
Etj <strong>de</strong>s Grecs entouréf s'écrie en gémissant:<br />
« 0 sort cruel ! Minerve est Fauteur <strong>de</strong> ma perte ;<br />
Vouant tout son amour au fils du vieux Laerte,<br />
Comme une tendre mère ? elle veille <strong>sur</strong> lui 7<br />
Et toujours lui prodigue un tuté<strong>la</strong>ire appui. »<br />
a. Si
48s L'ILIADE.<br />
Au seul aspect d'Ajax, dans <strong>la</strong> bruyante enceinte.<br />
Un rire universel accueille c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>inte.<br />
Antiloque s'avance avec un doux souris ,<br />
Et d'un air satisfait reçoit le <strong>de</strong>rnier frat:<br />
« Amis ! vous le voyez: attjmmHiiii même encore,<br />
Les vieil<strong>la</strong>rds sont chéris du ciel qui les honore.<br />
Je suis moi»» vieux qu'Ajax ; Ulysse <strong>de</strong> ses jours<br />
Dans Page précé<strong>de</strong>nt vit commencer le cours.<br />
Mais sa vigueur est souple <strong>et</strong> sa vieillesse agile j.<br />
Son vainqueur, s'il en est, ne peut être qu'Achille. »<br />
Charmé d'un tel discours 7 Achille ainsi répond :<br />
« Antiloque ! à ton prix j'en ajoute tut second.<br />
Par ce nouveau sa<strong>la</strong>ire f apprends combien me touche<br />
Le bienveil<strong>la</strong>nt éloge échappé <strong>de</strong> ta bouche. »<br />
Antiloque, à ces-mots 7 d'un <strong>de</strong>mi-talent d'or •<br />
Reçoit avec p<strong>la</strong>isir Fétince<strong>la</strong>nt trésor.<br />
Achille dans l'arène à tous les yeux présente<br />
Le bouclier , le casque <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce pesante,<br />
Belliqueux ornement que Patrocle en courroux<br />
Ravit à Sarpédon immolé par ses coups.<br />
« Nobles héros ! dït-il ; que <strong>de</strong>ux Grecs intrépi<strong>de</strong>s f<br />
Revêtant 1 parmi vous, leurs armes homici<strong>de</strong>s,
CHANT ' VINGT-TROISIÈME. 483<br />
Aux regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule , osent 1 en s'approchant,<br />
Décliirer leur poitrine avec l'airain tranchant.<br />
Je <strong>de</strong>stine au premier dont l'heureuse vail<strong>la</strong>nce<br />
Des flots d'un sang rival aura noirci sa <strong>la</strong>nce f<br />
Ce fer d'Astéropée en Thrace façonné 5<br />
Et da grands clous d'argent <strong>de</strong> toutes parte orné.<br />
Tous <strong>de</strong>ux, <strong>de</strong> Sarpédon se partageant les armes ,<br />
Des festins dans mon camp viendront goûter les charmes, i<br />
A ces mots f <strong>de</strong>ux guerriers qui s'arment à l'écart,<br />
Se j<strong>et</strong>ant l'un <strong>sur</strong> l'autre un foudroyant regard,<br />
Ajax <strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> accourent; leur audace<br />
Etonne tous les Grecs que l'épouvante g<strong>la</strong>ce.<br />
Le couple impatient s'approche sans terreur ;<br />
En s'é<strong>la</strong>nçant trois fois, trois fois avec fureur •<br />
Ils s'attaquent... La rage à <strong>la</strong> rage succè<strong>de</strong>.<br />
Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon qui fond <strong>sur</strong> Diomè<strong>de</strong>, •<br />
Frappe le bouclier, sans atteindre le corps<br />
Dont Fépaîsse cuirasse arrête ses efforts.<br />
Diomè<strong>de</strong>, agitant <strong>la</strong> pique menaçante,<br />
Dirige vers son cou <strong>la</strong> pointe éblouissante.<br />
Tous les Grecs f effrayés <strong>de</strong> ce combat fatal,<br />
Aux <strong>de</strong>ux fougueux rivaux offrent un prix égal,<br />
3i.
484 V ILIADE.<br />
Et pour le sort d f Ajax leur âme intimidée<br />
Redoute le guerrier, Tail<strong>la</strong>nt fils <strong>de</strong> Tydée ;<br />
Le magnanime Achille accor<strong>de</strong> à ce guerrier<br />
Le g<strong>la</strong>ive étince<strong>la</strong>nt 7 le riche baudrier. * .<br />
Dans <strong>la</strong> lice bientôt paraît un disque énorme ;<br />
Eétion jadis rou<strong>la</strong>it sa masse informe,<br />
Et 7 vainqueur <strong>de</strong> ce roi <strong>de</strong>scendu chez les morts T<br />
Achille a joint le disque à ses nombreux trésors.<br />
Il se lève : cl Argïens! vous dont le noble zèle<br />
Veut mériter le prix d'unelutte nouvelle ,<br />
Approchez ! le vainqueur , durant plus <strong>de</strong> cinq ans?<br />
De ses féconds guér<strong>et</strong>s sillonnera les f<strong>la</strong>ncs ,<br />
Sans voir ses <strong>la</strong>boureurs déserter son domaine<br />
Pour ach<strong>et</strong>er du fer d^ns <strong>la</strong> cité prochaine. »<br />
Polypétès^ si ferme au milieu <strong>de</strong>s combats,<br />
S'avance ; Léontée arrive -<strong>sur</strong> ses pis.<br />
Le fils <strong>de</strong> Tékmon accourt bouil<strong>la</strong>nt d'audace<br />
Et le noble Epéus à leurs côtés se p<strong>la</strong>ce.<br />
Par Epéus <strong>la</strong>ncé , le disque tournoyant<br />
D'abord parmi <strong>la</strong> foule excite un ris bruyant. .<br />
Le rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> Mare, le divin JLéontée 7<br />
Soulevant c<strong>et</strong>te masse avec lenteur portée ,
GHANT VINGT-TROISIÈME. 485<br />
L'agite j mais Ajax qui <strong>la</strong> saisit après,<br />
Vers le terme fisc <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te encor plus près.<br />
Enfin Pol jpétès, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce dans l'espace ,<br />
Devant ses trois rivaux que sa vigueur dépasse ,<br />
Gomme un adroit berger au milieu d'un troupeau<br />
Du frêne- pastoral fait voler le far<strong>de</strong>au.<br />
Un cri joyeux s'élève <strong>et</strong> les Grecs app<strong>la</strong>udissent 7<br />
Tandis que les soldats dont les bras se roidissent!<br />
Traînent jusqu'aux vaisseaux le présent glorieux<br />
Que vient <strong>de</strong> conquérir leur roi victorieux.<br />
L'acier d'un noir métal est promis par Achille<br />
Aux guerriers dont les mains courberont Parc docile!<br />
Et le héros dépose aux jeux <strong>de</strong>s concurrens<br />
Vingt haches d'un travail <strong>et</strong> d'un poids différens.<br />
Quand du mât d'un navire à <strong>la</strong> proue azurée «<br />
Dans le sable profond <strong>la</strong> base est as<strong>sur</strong>ée ,<br />
Attachée au somm<strong>et</strong> avec un nœud léger 9<br />
Une colombe en vain cherche k s'en 'dégager;<br />
Tremb<strong>la</strong>nte ? eUe s'agite , <strong>et</strong> c'est là qu'JÉaci<strong>de</strong><br />
Ordonne <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer le javelot rapi<strong>de</strong> :<br />
a Si l'un <strong>de</strong> vous atteint ce timi<strong>de</strong> ramier f<br />
Qu'il emporte avec lui les dix haches d'acier ;
486 L'ILIADE.<br />
S'il touche seulement c<strong>et</strong>te cor<strong>de</strong> flottante,<br />
Que du prix le moins beau son orgueil se contente.»<br />
Teucer <strong>et</strong> Mérion se présentent ; alors<br />
Dans un casque d'airain ils agitent les sorts.<br />
Désigné le premier, Teucer d f un bras agile<br />
Décoclie avec vigueur une flèche inutile ;<br />
Gomme il n'a point promis aux autels <strong>de</strong> Phébus<br />
Des agneaux premiers nés les précieux tributs ,<br />
H manque <strong>la</strong> colombe, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe acérée<br />
Coupe aux pieds <strong>de</strong> l'oiseau <strong>la</strong> cor<strong>de</strong> déchirée ;<br />
L'oiseau craintif s'envole , <strong>et</strong> , glissant près du mât ,<br />
Le flexible lien se détache <strong>et</strong> s'abat.<br />
Mérion , enlevant Parc aux mains <strong>de</strong> Teucer ,<br />
Prêt à <strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> flèche , en ajuste le fer,<br />
Et prom<strong>et</strong> à Phébus une illustre hécatombe,<br />
Si <strong>de</strong> ses coups vainqueurs il frappe <strong>la</strong> colombe.<br />
Tandis que le héros, Pœil tourné vers les cieux 7<br />
Suit dans ses tours divers son vol capricieux f<br />
Il <strong>la</strong> vise, <strong>la</strong> blesse ? <strong>et</strong> sa flèche légère<br />
Revient jusqu'à ses pieds se plonger dans <strong>la</strong> terre.<br />
Au faîte du long mât un instant suspendu 1<br />
Faible 1 agitant son aile, <strong>et</strong> le corps étendu %
CHANT VINGT-TROISIÈME. 487<br />
L'oiseau tombe ; <strong>la</strong> foule , immobile <strong>et</strong> ravie,<br />
Le contemple exha<strong>la</strong>nt le souffle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie f<br />
Et Mérïon, Teucer f aux yeux <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong>pris ,<br />
Dans leurs profonds vaisseaux vont déposer leurs prix.<br />
Une <strong>la</strong>nce d'airain, par Achille apportée ,<br />
Au milieu <strong>de</strong>-<strong>la</strong> lice est enfin présentée ;<br />
Achille apporte encore un vase riche <strong>et</strong> beau %<br />
Respecté par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>et</strong> du prix d'un taureau.<br />
Le javelot en main, on voit d'un pas rapi<strong>de</strong><br />
Accourir Mérion <strong>et</strong> le puissant Atri<strong>de</strong> f<br />
Quand le divin Achille :. « O roi ! nous savons tous<br />
Qu'en adresse, en vigueur tu remportes <strong>sur</strong> nous.<br />
Que ce prix mérité <strong>sur</strong> ta flotte repose ;<br />
Mais apprends ce qu*ici ma bouche te propose :<br />
Docile à mes désirs, perm<strong>et</strong>s que notre main.<br />
Accor<strong>de</strong> à Mérion c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce d'airain. »<br />
Le grand Agamemnon, charmé d'un tel partage,<br />
De <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce au Cr<strong>et</strong>ois fait accepter l'hommage ,<br />
Parle, <strong>et</strong> Talthybius, marchant vers son vaisseau f<br />
Du vase magnifique emporte le far<strong>de</strong>au.<br />
FIN DU VINGT-TROISIEME CHANT.
CHANT VINGT-QUATRIÈME.
SOMMAIRE DU CHANT VINGT-QUATRIEME.<br />
Jupiter envoie Thétis auprès d f AcMlle ' pour l'engager à rendre à<br />
Priam le cadavre d'Hector. — Priam, averti par Iris 9 <strong>et</strong> conduit<br />
par Mercure, marche vers le camp <strong>de</strong>s Grées. — Priam dans <strong>la</strong><br />
tente d'Achille. — Funérailles d'Hector.
L'ILIADE.<br />
CHANT VINGT-QUATRIÈME.<br />
Les jeux sont terminés <strong>et</strong> les nombreux soldats f<br />
Dispersés <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte, y prennent leur repas ;<br />
Tout dort ; maisdusommeilf douxTainqueur<strong>de</strong><strong>la</strong>terre^<br />
Loin <strong>de</strong> goûter encor le calme salutaire 7<br />
Le noble Achille f en proie à sa sombre douleur,<br />
D'un compagnon chéri regr<strong>et</strong>te <strong>la</strong> valeur;<br />
La fidèle amitié rappelle à sa mémoire<br />
Les exploits <strong>de</strong> Patrocle <strong>et</strong> leur commune gloire,<br />
Leurs travaux ? leurs combats <strong>et</strong> ces flots orageux<br />
Que franchit tant <strong>de</strong> fois leur zèle courageux.<br />
Les <strong>la</strong>rmes dans les yeux , les sanglots à <strong>la</strong> bouche,<br />
Sur le dos il s'étend} <strong>sur</strong> le f<strong>la</strong>nc il se couche j
49^ L'ILIADE.<br />
Il se lève, <strong>et</strong>, le cœur plein <strong>de</strong> chagrins amers ,<br />
Se promène, en pleurant, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers :<br />
" C'est là qu'errant dans l'ombre, il gémit, <strong>et</strong> l'Aurore<br />
Auprès <strong>de</strong> l'Océan l'entend gémir encore.<br />
Enfin, lorsqu'à sa voix les coursiers bondissans<br />
Inclinent sous le joug leurs fronts obéissans,<br />
- Quand trois fois, d'une main par <strong>la</strong> rage affermie,<br />
H a traîné d'Hector <strong>la</strong> dépouille ennemie,<br />
H part , <strong>et</strong>, s'arrachant à ce fatal cercueil,<br />
Dans le fond <strong>de</strong> sa tente ensevelit son <strong>de</strong>uil.<br />
Mais jaloux d'épargner l'affront d'une souillure<br />
Au Troyen étendu dans une arène impure,<br />
Apollon s'attendrit, <strong>et</strong> j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> Hector<br />
L'étince<strong>la</strong>nt rempart <strong>de</strong> son bouclier d'or,<br />
Empêche qu'un vainqueur, dans sa barbare joie,<br />
Déchire en vils <strong>la</strong>mbeaux <strong>et</strong> flétrisse sa proie.<br />
kTel au divin. Hector Achille furieux<br />
"Prodigue encor l'outrage. A c<strong>et</strong> aspect, les Dieux<br />
Veulent que, pour charmer <strong>la</strong> douleur qui les navre,<br />
Le vigi<strong>la</strong>nt Mercure enlève le cadavre ;<br />
Neptune s'en indigne, <strong>et</strong> d'un secr<strong>et</strong> <strong>la</strong>rcin<br />
Pal<strong>la</strong>s avec Junon condamne le <strong>de</strong>ssein.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 493<br />
Contre Ilion f Priam <strong>et</strong> son peuple rebelle<br />
Toutes <strong>de</strong>ux nourrissaient une haine immortelle 1<br />
Depuis qu'ivre d'amour! par d'insolens mépris<br />
Paris <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté leur refusa le prix.<br />
L'Olympe douze fois <strong>de</strong>s feux du jour s'éc<strong>la</strong>ire^<br />
Et Phébus en ces mots fait parler sa colère :<br />
« Dieux cruels ! lorsqu'Hector brû<strong>la</strong> <strong>sur</strong> vos. autels<br />
Des chèvres, <strong>de</strong>s taureaux les tributs solennels,<br />
Son épouse, son ils <strong>et</strong> sa mère éperdue f<br />
Loin <strong>de</strong> voir sa dépouille à leur amour rendue,<br />
N'accor<strong>de</strong>ront jamais à ses tristes <strong>la</strong>mbeaux<br />
Les honneurs du bâcher ni <strong>la</strong> paix <strong>de</strong>s tombeaux !<br />
Son vainqueur vous est cher! ...Tel qu'un lion sauvage<br />
Dont un troupeau nourrit l'insatiable rage f<br />
Achille ne connaît f dans sa farouche ar<strong>de</strong>ur ^<br />
Ni <strong>la</strong> sainte équité, ni l'austère pu<strong>de</strong>ur ,<br />
La pu<strong>de</strong>ur qui? propice ou redoutable au mon<strong>de</strong>,<br />
Des biens comme <strong>de</strong>s maux est <strong>la</strong> sourœ fécon<strong>de</strong>.<br />
Non ; les hommes toujours ne pleurent pas le sort<br />
Ou d'un frère on d'un fik moissonné par <strong>la</strong> mort ;<br />
Le Destin les console , <strong>et</strong> pour borner leurs peines,<br />
P<strong>la</strong>ce un cœur patient dans les âmes humaines.
494 ' L'ILIADE..<br />
Mais Achille, irrité <strong>sur</strong> les débris d'Hector ,<br />
S'acharne plus cruel <strong>et</strong> plus terrible encor ;<br />
H l'attache à son char <strong>et</strong> traîne dans le sable<br />
Autour <strong>de</strong> ce tombeau son corps méconnaissable.<br />
0 rage téméraire ! ô lâches attentats !<br />
Oui j malgré sa valeur, qu'il redoute nos bras !<br />
Le barbare ! il outrage une terre insensible ! »<br />
Junon exhale ainsi son courroux inflexible :<br />
• Phébus à Parc d'argent ! Achille <strong>et</strong> son rival<br />
A déshonneurs pareils ont-ils un droit égal?<br />
Va, ne Pespère pas; d'une femme mortelle<br />
Tu sais qu'Hector enfant a sucé <strong>la</strong> mamelle;<br />
Mais au pur sapg <strong>de</strong>s Dieux Achille doit le jour ;<br />
Thétis que j'entourai <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> mon amour,<br />
Partagea, grâce aux nœuds d'un auguste hjménée,<br />
D'un prince cher au ciel <strong>la</strong> noble <strong>de</strong>stinée.<br />
L'Olympe en fut témoin ; toi-même dans tes chants.<br />
Toi-même, Dieu cruel, protecteur <strong>de</strong>s méchans,<br />
Tu daignas, <strong>de</strong> ce jour célébrant les merveilles,<br />
Des accords <strong>de</strong> ta lyre enivrer nos oreilles. »<br />
Mais Jupiter : * Abjure un <strong>la</strong>ngage hautain.<br />
Ces héros n'auront pas un semb<strong>la</strong>ble <strong>de</strong>stin.
CHANT VIlfGT-QUATRIÈlf E. - 495<br />
Parmi tousl»Troyens Hector savait me p<strong>la</strong>ire;<br />
Toujours f sollicitant ma bonté tutâaire,<br />
H m'offirait c<strong>et</strong> encens, ces doua religieux f<br />
Et ce» HifllM»r iott psl^ ifliBîeoac.<br />
fiâas ! nous <strong>la</strong>isserai» pw un rapt inutile<br />
Soustraire son cadavre à <strong>la</strong> Itaiiit d'Achille ;<br />
Car Thétis 9 nuit <strong>et</strong> jour, <strong>sur</strong> ce guerrier chéri<br />
Ne cesse d'attacher un regard attendri ;<br />
Bans l'Olympe du moins si Fun <strong>de</strong> vous FappeUtt<br />
A mes sages conseils Thétis sera fidèle ;<br />
Nous verrons ? par sa voix Achille désarmé,<br />
Eendre à. For <strong>de</strong> Priam un fils inanimé. »<br />
Iris, prompte à remplir le céleste message,<br />
Dans sa bruyante course émule <strong>de</strong> Forage,<br />
Passe entre les rochers dlmbros <strong>et</strong> <strong>de</strong> Samos,<br />
Effleure mollement <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong>s flots f<br />
S'é<strong>la</strong>nce, <strong>et</strong>, se plongeant au sein <strong>de</strong>s noires on<strong>de</strong>s f<br />
Fait gémir <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer les cavernes profon<strong>de</strong>s :<br />
Ainsi le plomb pécheur dont le léger far<strong>de</strong>au<br />
Se suspend <strong>et</strong> s'attache aux cornes d'un taureau f<br />
Disparaît à nos yeuxf lorsqu'au poisson avi<strong>de</strong><br />
Il se présente armé <strong>de</strong> l'hameçon perfi<strong>de</strong>.
496 L'ILIADE.<br />
Dans sa grotte, au milieu <strong>de</strong>s njmphes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer,<br />
Thétis pleure le fils à son amour si cher^ -<br />
Ce généreux guerrier qui 7 loin <strong>de</strong> sa patrie,<br />
Doit bientôt du trépad assouvir <strong>la</strong> furie ;<br />
Quand vers Thétis, au fond <strong>de</strong> l'humi<strong>de</strong> pa<strong>la</strong>is ,<br />
L'impatiente Iris accourt : « Point <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>is !<br />
Déesse ! lève-toi ; viens : Jupiter t'appelle 9<br />
Jupiter dont tu sais <strong>la</strong> sagesse éternelle. »<br />
« Qu'as-tu dit? lui répond Thétis aux pieds d'argent*<br />
Pourquoi réc<strong>la</strong>me-t-il MOU zèle diligent?<br />
Je crains <strong>de</strong> présenter à l'empire céleste<br />
D'un front chargé d'ennuis Fkspect toujours funeste*..<br />
N'importe! Jupiter n'ordonne pas en vain?<br />
Et je dois me soum<strong>et</strong>tre à son arrêt divin. *<br />
A ces mots, au départ <strong>la</strong> Déesse s'apprête;<br />
Du voile le plus sombre enveloppant sa téte?<br />
Sur les traces d'Iris elle vole <strong>et</strong> les eaux<br />
S'empressent d'écarter leurs liqui<strong>de</strong>s monceaux.<br />
Bientôt toutes les <strong>de</strong>ux dans une course égale<br />
Du rivage à l'Olympe ont franchi l'intervalle 9<br />
Et trouvent au somm<strong>et</strong> d'un trône radieux<br />
Jupiter 1 entouré <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s Dieux.
CHANT YINGT-QUATEIÈME. 497<br />
Tout entière au chagrin qui constamment Fobsè<strong>de</strong>,<br />
Sur le siège désert que Minerve lui cè<strong>de</strong> *<br />
Thétis s'assied. Junon dans une coupe d'or<br />
Lui verse du nectar le savoureux trésor ;<br />
Consolée un moment, Thétis lui rend <strong>la</strong> coupe*<br />
Alors le souverain <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste troupe :<br />
« 0 divine Thétis! ton amour maternel<br />
Gémit sous le far<strong>de</strong>au d'un malheur éternel;<br />
Je le sais : mais apprends l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon message*<br />
En <strong>de</strong>ux partis rivaux tout le ciel se partage;<br />
Pour Hector , pour ton fils, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités j<br />
Entr'eux, <strong>de</strong>puis neuf jours, les Dieut sont agités*<br />
Achille aurait perdu le prix <strong>de</strong> sa victoire ;<br />
Mais, par amour pour toi, je veille <strong>sur</strong> sa gloire.<br />
Cours ; dis-lui que les Dieux condamnent ses transports,<br />
Qu'il m'offense <strong>sur</strong>tout en profanant les morts ^<br />
Et qu'il doit, prévenant ma trop juste colère,<br />
Restituer un fils à <strong>la</strong> rançon-d'un père.<br />
Priam ira bientôt, excité par Iris,<br />
D'Hector, au camp <strong>de</strong>s Grecs, rach<strong>et</strong>er les débris. »<br />
Thétis aux pieds d'argent, k c<strong>et</strong> ordre docile,<br />
Court du haut <strong>de</strong> l'Olympe à <strong>la</strong> tente d'Achille;<br />
a. 3a
4gB ' L'ILIADE. ' -<br />
Là9 par d'amers soupirs ce héros oppressai<br />
Gémit, <strong>et</strong> ses soldats f en leur zèle empressé y<br />
Frappant un grand bélier "à <strong>la</strong> toison épaisse j<br />
Préparent le festin dont <strong>la</strong> table se dresse.<br />
Auprès <strong>de</strong> lui , Thétis, pour consoler ses maux^<br />
Le f<strong>la</strong>tte <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>et</strong> lui parle en ces mots :<br />
« Jusques à quand le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> les sombres a<strong>la</strong>rmes<br />
Rongeront-ils ce cœur qui se nourrit <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes?<br />
O mon fils 1 ton jeune âge a-t-ïl fui sans r<strong>et</strong>our<br />
Les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s f le sommeil <strong>et</strong> l'amour?<br />
Le repos est si doux dans les bras d'une femme !.. *<br />
La Parque, <strong>de</strong> tes jours prête à couper <strong>la</strong> trame,<br />
S'approche... écoute moi: du monarque <strong>de</strong>s cieux<br />
Je t'apporte en ton camp l'arrêt impérieux,<br />
L'Olympe est irrité ; ta fureur inhumaine<br />
De Jupiter <strong>sur</strong>tout a provoqué <strong>la</strong> haine.<br />
Souffre donc que Priam, te proposant son or f<br />
Re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce fils que tu r<strong>et</strong>iens encor, »<br />
« Eh bien ! a répondu le héros magnanime,<br />
Qu'on m'apporte c<strong>et</strong> or, <strong>et</strong> je rends ma victime ;<br />
Ne bravons point les Dieux par d'insolens défis. »<br />
Ainsi par<strong>la</strong>ient ensemble <strong>et</strong> <strong>la</strong> mère <strong>et</strong> le fils.
CHANT VINGT-QUATRIEME. 490<br />
Cependant Jupiter du haut <strong>de</strong>s cieux envoie<br />
Sa messagère ailée aux murs sacres <strong>de</strong> Troie :<br />
s Iris ! vers Eion abaisse ton essors<br />
A mes ordres -soumis, pour Cach<strong>et</strong>er fiecior,<br />
Que Priam, <strong>de</strong> ses dons prodiguant <strong>la</strong> richesse,<br />
Se ren<strong>de</strong>, près d'Achille, aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Que le peuple troyen ne l'accompagne pas.<br />
Un héros vénéré ,- seul escortant ses pas,<br />
Sur son rapi<strong>de</strong> char conduira dans <strong>la</strong> ville<br />
Le héros immolé par le divin Achille.<br />
Le meurtrier d'Argus protégera son sort;<br />
Guidé par lui, qu'il marche <strong>et</strong> méprise <strong>la</strong> mort.<br />
Achille, respectant sa misère <strong>et</strong> son âge,<br />
Loin du front d'un vieil<strong>la</strong>rd repoussera Foutrage ;<br />
Ce n'est point un impie , un traître, un furieux j-<br />
Le mortel suppliant sera cher à ses yeux. »<br />
D. parle : dans son vol, rival <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête r<br />
Au pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Priam Iris bientôt s'arrête ;<br />
Partout elle alrouvé.les soupirs <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uiL<br />
Couvert d'un long manteau, le vieil<strong>la</strong>rd, près du seuil,<br />
Dans le sable se roule, <strong>et</strong> d'une cendre épaisse<br />
Déshonore ce front b<strong>la</strong>nchi par <strong>la</strong> vieillesse.-<br />
3*.
5oo L'ILIADE.<br />
Assis autour du roi1 ôës fils à tous momens<br />
De <strong>la</strong>rmes à grands flots mouillent leurs vêtemens ;<br />
Courant dans le pa<strong>la</strong>is ^ leurs femmes désolées<br />
Frappent <strong>de</strong> cris p<strong>la</strong>intifs les voûtes ébranlées,<br />
Et pleurent ces guerriers si vail<strong>la</strong>nsf si nombreux, •<br />
Envoyés par les Grecs au séjour ténébreux.<br />
A l'aspect <strong>de</strong> Prïam que l'épouvante g<strong>la</strong>ce, *<br />
La Déesse s'approche <strong>et</strong> lui parle à voix basse ;<br />
a 0 fils <strong>de</strong> Dardanus, vieil<strong>la</strong>rd ! ras<strong>sur</strong>e-toi. •<br />
Je ne viens pas ici redoubler ton effroi f<br />
Puisque le roi <strong>de</strong>s cieux, sensible à ta misère,<br />
D'un ordre bienveil<strong>la</strong>nt me rend <strong>la</strong> messagère.<br />
Accomplisses arrêts ; pour rach<strong>et</strong>er Hector!<br />
Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s mers dirige ton essor;<br />
De tes dons opulens prodigue <strong>la</strong> richesse<br />
Et marche, près d'Achille, aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce*<br />
Que le peuple troyen ne t'accompagne pas.<br />
Un héraut vénéré, seul escortant tes pas,<br />
Sur ton rapi<strong>de</strong> char conduira dans <strong>la</strong> ville<br />
Le héros immolé par le divin Achille.<br />
Le meurtrier d'Argus protégera ton sort;<br />
Guidé par lui, va donc <strong>et</strong> méprise <strong>la</strong> mort.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5.oi<br />
Achille, respectant ta misère <strong>et</strong> ton âge ,<br />
Loin du front d'un vieil<strong>la</strong>rd repoussera l'outrage *%<br />
• Ce n'est point un impie f un traître, un furieux}:<br />
Le mortel suppliant sera cher à ses yeux. »<br />
En achevant ces motsf dans son agile route,<br />
Iris a remonté vers <strong>la</strong> céleste voûte,<br />
Et les fils du monarque attachent sans dé<strong>la</strong>is<br />
Au char étince<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>ux robustes mul<strong>et</strong>s.<br />
L'infortuné Priam marche 7 loin <strong>de</strong>s portiques f<br />
Vers <strong>la</strong> chambre embaumée où les <strong>la</strong>mbris antiques!<br />
De cèdre revêtus , offrent <strong>de</strong> toute part<br />
Mille obj<strong>et</strong>s précieux, le chef-d'œuvre <strong>de</strong> Fart.<br />
H appelle ; à sa voix son épouse est venue.<br />
« Malheureuse ! dit-il, le maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> nue<br />
Veut qu'au superbe Achille apportant <strong>de</strong>s trésors f<br />
De mon fils bien aimé je rachète le corps.<br />
Parle 1 6 ma chère épouse ! explique toi sans feinte.<br />
Pour moi, du camp <strong>de</strong>s Grecs je veux franchir l'enceinte ;<br />
C'est là Punique espoir qui reste à mes douleurs. »<br />
Hécube ainsi répond? les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs :<br />
a Eh bien ! <strong>la</strong> voilà donc c<strong>et</strong>te sagesse austère<br />
Que célébrait ton peuple <strong>et</strong> qu'admirait <strong>la</strong> terre ?
5oa L'ILIADE.<br />
Quoi ! seul jusqu'aux vaisseaux tu porterais tes pas !<br />
Tu pourrais 9 sans terreur provoquant le trépas ?<br />
Affronter l'ennemi dont <strong>la</strong> valeur fatale<br />
Plongea tes fils nombreux dans <strong>la</strong> nuit sépulcrale !<br />
Va... ton cœur est <strong>de</strong> fer. Si le Destin jaloux<br />
Présente ta faiblesse aux traits <strong>de</strong> son courroux,<br />
Penses-tu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> homme, <strong>et</strong> cruel <strong>et</strong> perfi<strong>de</strong>,<br />
Désarmer par tes pleurs <strong>la</strong> vengeance homici<strong>de</strong>?<br />
Ah ! plutôt ? renfermés dans nos réduite secr<strong>et</strong>s,<br />
Donnons un libre cours à nos justes regr<strong>et</strong>s.<br />
Quand <strong>la</strong> Parque a d'Hector filé <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée 9<br />
Elle a voulu f bornant sa vie infortunée f<br />
Que, sous l'œil d'un barbare <strong>et</strong> loin <strong>de</strong> ses parens f<br />
Il servît <strong>de</strong> pâture aux dogues dévorans.<br />
Que ne puïs-je 9 éga<strong>la</strong>nt le supplice à l'outrage,<br />
Sur Achille immolé satisfaire ma rage,<br />
Avec mes propres mains lui déchirer le f<strong>la</strong>nc,<br />
Me nourrir <strong>de</strong> son cœur., m'abreuver <strong>de</strong> son sang?<br />
Hector, loin <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s terreurs infâmes,<br />
Mourut pour lesTroyens <strong>et</strong> pour leurs belles femmes.<br />
Sans le fuir, .sans le craindre f il reçut le trépas. »<br />
Mais le divin' Priam : « Non ; ne me r<strong>et</strong>iens pas.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o3<br />
Tu ne saurais, oiseau <strong>de</strong> sinistre présage.<br />
Dans mon sein paternel ébranler mon courage.<br />
Nous pourrions <strong>de</strong> mensonge accuser un <strong>de</strong>vin f<br />
Un prêtre ou tout mortel qui parlerait en vain ;•<br />
Mais puisque 9 du ciel même en ces lieux <strong>de</strong>scendue.<br />
Une divinité s'est offerte à ma vue,<br />
Je pars ; j'accomplirai son ordre souverain.<br />
Sur <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs aux cuirasses d'airain,<br />
D'Achille contre moi que le fer se déploie ;<br />
Menacé du trépas, j'y consens avec joie ,<br />
Quand j'aurai pu du moins pleurer <strong>sur</strong> mon Hector,<br />
L'embrasser <strong>et</strong> mourir en l'embrassant encor. ».<br />
Le vieil<strong>la</strong>rd dans le fond <strong>de</strong> ses coffres antiques.<br />
Choisissant avec-soin douze longues tuniques,<br />
En tire un nombre égal <strong>de</strong> tapis fastueux,<br />
De voiles parfumés , <strong>de</strong> manteaux somptueux /<br />
Deux trépieds éc<strong>la</strong>tons, quatre vases immenses,<br />
Dix talens d'or pesés dans les. <strong>la</strong>rges ba<strong>la</strong>nces,<br />
Et c<strong>et</strong>te coupe enfin que, noble ambassa<strong>de</strong>ur 9<br />
Il reçut dans <strong>la</strong> Tlirace au temps <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong>ur, .<br />
Pour rach<strong>et</strong>er d'un fils <strong>la</strong> dépouille mortelle ,<br />
Quels dons n'offrirait pas sa douleur paternelle !
5o4 L'ILIADE.<br />
Par ces mots outrageans le monarque a chassé<br />
Aux portes du pa<strong>la</strong>is le peuple ramasse i<br />
« Misérables, fuyez ! dans vos maisons désertes<br />
Que n'allezrvous gémir <strong>sur</strong> vos communes pertes ?<br />
Quand c<strong>et</strong> Hector, obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse <strong>et</strong> d'orgueil,<br />
Expire, venez-vous insulter à mon <strong>de</strong>uil ?<br />
Déchus <strong>de</strong> son appui, tremblez ! sa mort vous <strong>la</strong>isse<br />
Livrés aux coupa vengeurs <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />
Mes remparts ravagés... mon peuple dans les fers...<br />
Dieux ! plongez-moi plutôt dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s enfers. »<br />
Armé du sceptre, il frappe <strong>et</strong> par sa prompte fuite<br />
La foule, du vieil<strong>la</strong>rd évite <strong>la</strong> poursuite.<br />
Puis <strong>sur</strong> Dion, Paris ? Pammon, Hippothoûs ?<br />
Déïpliobe , Polite , Agathon, Héiénus,<br />
Il tourne sa colère <strong>et</strong> <strong>la</strong>nce <strong>la</strong> menace :<br />
« Enfans dégénérés, <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> ma race,<br />
Approchez ! plût au ciel que, juste en son courroux,<br />
La Grèce au lieu d 3 Hector vous eût immolés tous !<br />
Quel <strong>de</strong>uil 1 , quel désespoir succè<strong>de</strong>nt à ma joie I<br />
Pavais <strong>de</strong>s fils vail<strong>la</strong>ns dans c<strong>et</strong>te immense Trofe.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! j'ai vu tomber le généreux Mestorf<br />
L'intrépi<strong>de</strong> Troïle, Hector, <strong>sur</strong>tout Hector,
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5O5<br />
Ce mortel qui d'un Dieu semb<strong>la</strong>it offrir l'image...<br />
Précipites par Mars <strong>sur</strong> l'infernale p<strong>la</strong>ge,<br />
Les braves ont péri ; mais ils sont tons restés<br />
Ces Toleurs <strong>de</strong> troupeaux, ces menteurs détestés ?<br />
Qui 1 nourris dans les jeux 9 les danses <strong>et</strong> Fivresse,<br />
De mon peuple épuisé ravissent <strong>la</strong> richesse.<br />
Eh bien ! que tar<strong>de</strong>z-vous à préparer mes chars ?<br />
Hatez-vousl rassemblez tous ces trésors épars, »<br />
Il a parlé : ses fils , redoutant sa colère,<br />
S'empressent d'obéir à son ordre sévère.<br />
Lorsque, prêt à rouler pour <strong>la</strong> première fois f<br />
Le char, du <strong>la</strong>rge coffre a supporté le poids,<br />
Le joug dont <strong>la</strong> longueur t habilement polie 7<br />
D 1 un buis éblouissant étincelle embeEïe ,<br />
Fortement attaché par trois, liens égaux,<br />
Du soli<strong>de</strong> timon joint les <strong>de</strong>rniers anneaux.<br />
Par leurs soins dEïgens les: rênes étendues<br />
Sur le siège élevé sont bientôt suspendues.f<br />
Et du fond <strong>de</strong>s. pa<strong>la</strong>is,, pour le rachat. d'Hector ><br />
Us apportent les dons briHans <strong>de</strong> pourpre <strong>et</strong> d'or ;<br />
Leurs mainsf quand le beau char reçoit ces donsspkndi<strong>de</strong>sf<br />
Attellent les mul<strong>et</strong>s armés d'ongles soli<strong>de</strong>s,
5o6 L'ILIADE.<br />
Magnifique présent au monarque troyen<br />
Offert par Famitié du peuple mysïen.<br />
Enfin, les <strong>de</strong>ux coursiers ar<strong>de</strong>ns, infatigables,<br />
Que le vieil<strong>la</strong>rd nourrit dans ses riches étables,<br />
Sur les pas d ? un héraut dans <strong>la</strong> cour amenés,<br />
Au joug du second char s'accouplent enchaînés. ]<br />
Hécube <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> crainte palpite ;<br />
Au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> Priam l'effroi <strong>la</strong> précipite,<br />
Et dans <strong>la</strong> coupe d'or, pour implorer le ciel,<br />
Epanchant un vin pur <strong>et</strong> doux comme le miel :<br />
«Tiens, ô mon cher époux ! consacre ce breuvage ;<br />
Si tu veux, malgré moi, marcher vers le rivage,<br />
Daigne au moins, en l'honneur du monarque éternel,<br />
Répandre <strong>de</strong> ce vin le tribut solennel j<br />
Dans le camp étranger si <strong>la</strong> mort te menace,<br />
D'un r<strong>et</strong>our sans péril sollicite <strong>la</strong> grâce.<br />
Que le grand Jupiter dont les vastes regards<br />
Des hauteurs <strong>de</strong> l'Ida p<strong>la</strong>nent <strong>sur</strong> nos remparts ,<br />
D'un signe protecteur réjouissant ta vue,<br />
A <strong>la</strong> droite <strong>de</strong>s cieux, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>là nue<br />
Abaisse <strong>de</strong>vant toi Foiseau le plus aimé,<br />
L'aigle, <strong>de</strong> ses décr<strong>et</strong>s ministre accoutumé.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o7<br />
Si l'aigle t'apparaît, sous c<strong>et</strong> heureux auspice 1<br />
Entreprends sans terreur un voyage propice.<br />
Sinon, malgré ton zèle, ô mon époux, frémis!<br />
Et ne va point cliercber les vaisseaux ennemis. »<br />
« Femme ! je remplirai ce <strong>de</strong>voir vénérable,<br />
Répond le vieux Priam, aux Dieux mêmes semb<strong>la</strong>ble j<br />
Pour attendrir son cœur, tous les mortels pieux<br />
Doivent lever les mains vers le maître <strong>de</strong>s cieux. »<br />
A ces mots, du pa<strong>la</strong>is l'active <strong>sur</strong>veil<strong>la</strong>nte<br />
Avec le bassin d'or <strong>et</strong> l'aiguière bril<strong>la</strong>nte,<br />
S'approche <strong>de</strong> Priam, <strong>et</strong> quand du flot lustral<br />
A coulé <strong>sur</strong> ses doigts le limpi<strong>de</strong> cristal,<br />
En regardant le ciel, au milieu <strong>de</strong> l'enceinte,<br />
Le monarque <strong>de</strong>bout verse l'offran<strong>de</strong> sainte :<br />
« O Jupiter ! dit-ïl, ô le premier <strong>de</strong>s Dieux,<br />
Qui règnes <strong>sur</strong> l'Ida puissant <strong>et</strong> glorieux,<br />
En faveur d'un vieil<strong>la</strong>rd daigne attendrir Achille.<br />
A <strong>la</strong> droite <strong>de</strong>s cieux, si, dans son vol agile,<br />
Ton grand aigle parcourt le séjour azuré,<br />
- Vers les Grecs belliqueux je marche ras<strong>sur</strong>é. »<br />
Tel le vieil<strong>la</strong>rd supplie, <strong>et</strong> le roi du tonnerre<br />
Par le signe imploré console sa misère.
5o8 L'ILIADE.<br />
L'aigle, infaiEible augure t intrépi<strong>de</strong> cliasseur,<br />
De son vaste plumage éta<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> noirceur,<br />
S'envole f <strong>et</strong> 7 ba<strong>la</strong>ncé <strong>sur</strong> lç faîte <strong>de</strong>s nues,<br />
Déploie avec orgueil ses ailes étendues 7<br />
Gomme le beau pa<strong>la</strong>is d'un mortel opulent<br />
Voit <strong>de</strong>ux portes d'airain s'écarter en rou<strong>la</strong>nt.<br />
Tandis que Faîgle altier p<strong>la</strong>ne au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Troie 7<br />
Tous les cœurs ont frémi d'espérance <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie.<br />
Bientôt le vieux Priam franchit les longs détours<br />
Du portique sonore <strong>et</strong> <strong>de</strong>s immenses cours.<br />
Tandis que par les soins du vénérable Idée<br />
Des mul<strong>et</strong>s au pied <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vitesse est guidée f<br />
Sur ses traces, Priam à travers <strong>la</strong> cité<br />
Pousse <strong>de</strong> ses chevaux l'essor précipité ;<br />
Il part ; à ses côtés <strong>la</strong> foule répandue 7<br />
Les yeux noyés <strong>de</strong> pleurs, l'accompagne éperdue ;<br />
On dirait qu'il s'é<strong>la</strong>nce au <strong>de</strong>vant du trépas.<br />
Lorsqu'enfin vers <strong>la</strong>i p<strong>la</strong>ine il dirige ses pas,<br />
Ses gendres <strong>et</strong> ses fils r<strong>et</strong>ournent dans Pergame<br />
Renfermer <strong>la</strong> douleur qui dévore leur âme.<br />
Alors, <strong>de</strong> ces héros contemp<strong>la</strong>nt le départ}<br />
Jupiter attendri prend pitié du vieiUajd ;
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o9<br />
ïi s'adresse à Mercure : « O toi, Dieu secourable,<br />
Qui tends aux malheureux un appui favorable f<br />
E<strong>la</strong>nce-toi ; <strong>de</strong>s airs franchis l'immensité ;<br />
Gui<strong>de</strong> aux vaisseaux Priam par ta voix excité ,<br />
Et que, <strong>de</strong> tous les jeux trompant <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce,<br />
Jusqu'au fils <strong>de</strong> Pelée il parvienne en silence. »<br />
Le meurtrier d'Argus prend les <strong>de</strong>ux ailes d'or<br />
Qui 1 <strong>de</strong> ses pieds légers favorisant l'essor ,<br />
Ou <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre immense ou. <strong>sur</strong> l'humi<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ine ,<br />
Rivalisent <strong>de</strong>s vents l'impétueuse haleine.<br />
Tour à tour endormant , réveil<strong>la</strong>nt les humains ,<br />
La bagu<strong>et</strong>te s ? agite en ses puissantes mains ;<br />
Bientôt, impatient d'accomplir son message,<br />
Du rapi<strong>de</strong> HeEespont il touche le rivage f<br />
Descend aux champs troyens <strong>et</strong> marche sous les traits<br />
D'un jeune roi, bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> fraîcheur <strong>et</strong> d'attraits.<br />
Au grand tombeau d'Ilus, dans le courant du fleuve<br />
Le fougueux atte<strong>la</strong>ge <strong>et</strong> se plonge <strong>et</strong> s'abreuve;<br />
La nuit voile les cieux ; le héraut cependant<br />
A découvert Mercure, <strong>et</strong> plein d'un soin pru<strong>de</strong>nt :<br />
n O fils <strong>de</strong> Dardanus 1 consulte ta sagesse.<br />
Un ennemi s'avance ; ouï, le danger nous presse.
5id " L'ILIADE.<br />
SI pour nous immoler il marche contre nous?<br />
Viens ; fuyons} ou plutôt embrassons ses genoux* *<br />
L'immobile vieil<strong>la</strong>rd dont les membres frémissent^<br />
S 9 arréte ; <strong>sur</strong> son corps tous ses poils se hérissent j.<br />
Pour bannir <strong>de</strong> son cœur <strong>la</strong> crainte du péril,<br />
Mercure prend sa main : « 0 mon père! dit-il 7-<br />
Aux charmes du repos quand <strong>la</strong> terre livrée<br />
Goûte un sommeil profond durant <strong>la</strong> nuit sacrée 7«<br />
Où volent ces coursiers, ces mules <strong>et</strong> ces chars?<br />
Ne crains-tu pas les Grecs , errans <strong>de</strong> toutes parts i<br />
Les Grecs qui, respirant le meurtre <strong>et</strong> <strong>la</strong> rapine',-<br />
De ta patrie en <strong>de</strong>uil ont juré <strong>la</strong> ruine ?<br />
Si leurs yeux ennemis découvraient ces trésors,<br />
Gomment tromperais-tu leurs avi<strong>de</strong>s efforts ?<br />
Hé<strong>la</strong>s ! tu n'es plus jeune ; un seul vieil<strong>la</strong>rd f escorte ;'<br />
Si l'un <strong>de</strong>s Grecs paraît, c'est <strong>la</strong> mort qu'il t'apporte.. .•<br />
Mais je te défendrai ; je crois, à ton aspect,<br />
Revoir le père 1 obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon tendre respect. »<br />
Le monarque répond : « Mon fils ! un Dieu sans doute<br />
T'envoya <strong>sur</strong> ces bords pour protéger ma route.<br />
Je ne redoute rien, fort d'un pareil secours.<br />
La bonté, <strong>la</strong> sagesse inspirent tes discours.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5u<br />
Quel port majestueux ! <strong>sur</strong> ton front quelle' grâce !<br />
Heureux, heureux cent fois les auteurs <strong>de</strong> ta race! »<br />
« Oui, tu dis vrai ; les Dieux t'accor<strong>de</strong>nt leur soutien.<br />
Mais parle , <strong>et</strong> dans mon cœur daigne épancher le tien.<br />
Pour sauver ces trésors échappés à <strong>la</strong>* guerre,<br />
Deman<strong>de</strong>s-tu l'abri d'une p<strong>la</strong>ge étrangère 1<br />
Ou <strong>de</strong>s nombreux Troyens les bataillons épars<br />
Vont-ils fuir Dion <strong>et</strong> ses divins remparts,<br />
Depuis qu'Hector n'est plus , Hector dont le courage<br />
A nul d'entre les Grecs ne cédait l'avantage? »<br />
f Guerrier! qui donc es-tu ? <strong>de</strong> mon fils généreux<br />
Tu semblés déplorer les <strong>de</strong>stins malheureux. »<br />
« En me par<strong>la</strong>nt d'Hector, tu veux son<strong>de</strong>r mon âme.<br />
Eh bien ! je l'admirais, quand du fond <strong>de</strong> Pergame<br />
Je le voyais, terrible <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> main,<br />
S'ouvrir jusqu'à <strong>la</strong> flotte un glorieux chemin.<br />
Oisif, je frémissais ; <strong>la</strong> colère d'Achille<br />
R<strong>et</strong>enait dans le camp ma valeur immobile.<br />
Sur le même vaisseau, <strong>de</strong> ces bords étrangers<br />
Je vins avec Achille affronter les dangers ;<br />
Entre les Myrmidons fameux par sa puissance,<br />
Le riche Polyctor me donna <strong>la</strong> naissance ;
5ia L'ILIADE*<br />
Accablé comme toi sous le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s anH^<br />
De <strong>la</strong> couche d'hymen il obtint sept enfans.<br />
Et pour suivre un héros, par le sort désignée,<br />
Ma valeur aborda c<strong>et</strong>te rive éloignée.<br />
Quand tu m'es apparu, d'un regard curieux<br />
Je venais en silence interroger ces lieux ; .<br />
Car les Grecs aux yeux noirs, <strong>de</strong>main, sonates murailles<br />
Vainqueurs, reporteront <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s batailles ;<br />
Le repos les indigne, <strong>et</strong> leurs rois vainement<br />
Tenteraient d'enchaîner leur noble empressement. »<br />
« Tu sers Achille, eh bien I parle-moi sans contrainte|<br />
Sur le sort <strong>de</strong> mon fils daigne éc<strong>la</strong>irer ma crainte*<br />
Est-il près <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte ? Achille a-t-il j<strong>et</strong>é<br />
A nos chiens dévorans son corps ensang<strong>la</strong>nté ? »<br />
€ Noble vieil<strong>la</strong>rd! d'Hector, couché sans^sépulture,<br />
Les dogues, les vautours n'ont point fait leur pâture.<br />
Le douzième soleil dans les airs a brillé<br />
Du jour où les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> son corps dépouillé<br />
Reposent, garantis <strong>de</strong> ces vers homici<strong>de</strong>s<br />
Qui dévorent <strong>de</strong> Mars les victimes livi<strong>de</strong>s.<br />
Achille, dès l'aurore, autour <strong>de</strong> ce tombeau<br />
Du cadavre ennemi traîne encor le far<strong>de</strong>au j
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5i5<br />
Vains efforts! Il ne peutj dans son aveugle rage 1<br />
Imprimer <strong>sur</strong> ces chairs le plus léger outrage. •<br />
Toi-même admirerais ce corps dont <strong>la</strong> b<strong>la</strong>ncheur<br />
Gar<strong>de</strong> tout son éc<strong>la</strong>t <strong>et</strong> toute sa fraîcheur §<br />
Le sang noir qu'épanchaient les nombreuses bles<strong>sur</strong>es^<br />
S'arrête enfin, tari dans ses sources impures 7<br />
Et les Dieux bienveil<strong>la</strong>ns 1 le chérissant toujours i<br />
A son cadavre même accor<strong>de</strong>nt leurs secours. »<br />
Il dit} pour un moment 1 une douce allégresse<br />
Dissipe du vieil<strong>la</strong>rd <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> tristesse.<br />
« O mon fils ! répond-41 j les présens <strong>de</strong>s mortels<br />
Ne chargent pas en vain les célestes autels.<br />
Hector, dans son pa<strong>la</strong>is} quand il vivait encore 1<br />
N'oubliait pas les Dieux que tout l'Olympe adore 7<br />
Et ces Dieux protecteurs, par un juste r<strong>et</strong>our ?<br />
Se souviennent d'Hector dans l'infernal séjour.<br />
Mais reçois, ô guerrier ! c<strong>et</strong>te coupe éc<strong>la</strong>tante.<br />
Conduis-moi près d'Achille? <strong>et</strong> marchons vers sa tente, »<br />
« Tu voudrais} ô vieil<strong>la</strong>rd! tenter mes jeunes ans.<br />
Moi, sans l'aveu d'Achille, accepter <strong>de</strong>s présens !<br />
Je respecte à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> redoute mon maître,<br />
Qui, lâchementtrompéf me punirait peut-être,<br />
33
54 L'ILIADE.<br />
Mais , dirigeant tes pas jusqu'à l'illustre Argos,<br />
Faut-il franchir <strong>la</strong> terre ou sillonner les flots?<br />
Ordonne : je suis prêt ; <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> ton gui<strong>de</strong><br />
Préservera tes jours d'une attaque homici<strong>de</strong>. »<br />
L'immortel, <strong>sur</strong> le char tout à coup s'é<strong>la</strong>nçant,<br />
Prend les rênes , saisit le fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant,<br />
Souffle aux ar<strong>de</strong>ns coursiers une nouvelle audace,<br />
Des fossés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tours franchit le vaste espace.<br />
Et vole jusqu'aux lieux où les premiers soldats ,<br />
Tranquilles, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit achevaient le repas.<br />
Là, d'un profond sommeil il charge leurs paupières.<br />
Et <strong>de</strong>s portes d'airain repousse les barrières 5 •<br />
A peine, dirigé par ses soins comp<strong>la</strong>isans,<br />
Le vieux Priam s'avance avec les beaux présens,<br />
Les chars sont parvenus 1 vers <strong>la</strong> tente d'Achille,<br />
Vers ce haut pavillon, impénétrable asyle,<br />
Qui, construit d'un sapin avec art façonné,<br />
Par un toit <strong>de</strong> roseaux s'élève couronné<br />
Et voit <strong>de</strong> pieux serrés un rempart inflexible<br />
Entourer <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour l'enceinte inaccessible.<br />
Une poutre soli<strong>de</strong> en interdit l'abord ;<br />
Le bras d'Achille seul l'emporte sans effort,
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5i5<br />
Et trois Grecs ont besoin <strong>de</strong> leur vigueor puissante'<br />
Pour lever ou baisser c<strong>et</strong>te masse pesante.<br />
Mercure ouvre là porte, introduit le héros ,<br />
S'é<strong>la</strong>nce loin du char, <strong>et</strong>' s'explique en ces mots :<br />
ce Priam ! je suis un Dieu ; vois le divin Mercure,<br />
Descendu <strong>de</strong> l'Olympe avec <strong>la</strong> nuit obscure ;<br />
Jupiter m'envoya pour te servir d'appui.<br />
J'ai rempli mon message <strong>et</strong> remonte vers lui.<br />
Les Dieux ne doivent pas <strong>sur</strong> <strong>la</strong> race mortelle<br />
Etendre ouvertement leur faveur solennelle.<br />
Je pars ; aux yeux d'Achille il faut me dérober.<br />
Toi , marche ; à ses genoux ne crains pas <strong>de</strong> tomber;<br />
Ne crains pas d'attester, pour fléchir sa colère,<br />
Sa mère aux beaux cheveux, son enfant <strong>et</strong> son père. »<br />
Dans FOlympé à grands pas le Dieu monte, <strong>et</strong> bientôt,<br />
Confiant les coursiers au fidèle héraut,<br />
Priam <strong>de</strong>scend du char , <strong>et</strong> marche d'un pas ferme<br />
Vers <strong>la</strong> tente d'AchiEe où son <strong>de</strong>uil se renferme,<br />
Où , loin <strong>de</strong> ce guerrier cher au maître <strong>de</strong>s cieux,<br />
Les soldats à l'écart restent silencieux.<br />
Deux nobles écuyers, Automédon , Alcime,<br />
Alcime, du - Dieu Mars rej<strong>et</strong>on magnanime,<br />
33. "
5i6 L'ILIADE*<br />
L'entourent , <strong>et</strong> servi par leur soin empressa,<br />
11 achève un banqu<strong>et</strong> à peine commencé ;<br />
Du <strong>de</strong>rnier appareil dont leur main <strong>la</strong> décore<br />
La table <strong>de</strong>s festins paraît chargée encore ,<br />
Lorsque le grand Priam, trompant leurs yeux jaloux,<br />
S'approche du héros , se j<strong>et</strong>te à ses genoux ,<br />
Et baise c<strong>et</strong>te main terrible f meurtrière ,<br />
Qui <strong>de</strong> ses fils nombreux a borné <strong>la</strong> carrière.<br />
Quand le pâle assasin par un arrêt fatal<br />
Condamné pour jamais à fuir le sol natal ,<br />
Dans un riche pa<strong>la</strong>is vient chercher un asyle ,<br />
D entre <strong>et</strong> voit frémir rassemblée immobile :<br />
Tels, portant l'un <strong>sur</strong> l'autre un rapi<strong>de</strong> regard,<br />
Les compagnons d'Achille , à Faspèct du'vieil<strong>la</strong>rd.<br />
S'étonnent; le héros admire aussi lui-même<br />
De son port, <strong>de</strong> ses traits <strong>la</strong> majesté suprême.<br />
Alors Priam supplie un vainqueur odieux :<br />
« Souviens-toi <strong>de</strong> ton père , Achille égal aux Dieux!<br />
Ton père est <strong>de</strong> mon âge , hé<strong>la</strong>s ! <strong>et</strong> sa faiblesse<br />
Se traîne vers le seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong> triste vieillesse.<br />
Peut-être en ce moment, sans vengeur', sans appui,<br />
D combat <strong>de</strong>s voisins conjurés contre lui j
CHANT VINGT^QUATRIÈME. S17<br />
Si le g<strong>la</strong>ive ennemi désole son empire ,<br />
Seul, mais instruit du moins qu'Achille encor respïrCj<br />
H jouit dans son cœur 9 espérant chaque Jour<br />
De son fils bïen-aïmé le 'fortuné r<strong>et</strong>our ;<br />
Et moi 9 lorsque j'ai vu <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong>- <strong>la</strong> Grèce<br />
Abor<strong>de</strong>r dans nos porta <strong>la</strong> flotte vengeresse,<br />
J'avais cinquante fils , cinquante I ô malheureux !<br />
Je crois avoir perdu tous ces fils généreux.<br />
Dix-neuf au même-sein ont puisé <strong>la</strong> naissance;<br />
Lés femmes qu'à mon lit soum<strong>et</strong>tait ma puissance,<br />
Ont enfanté le reste, <strong>et</strong> Mars dans son courroux<br />
Déjà du plus grand nombre a brisé les genoux.<br />
Un seul encor, un seul, vengeur <strong>de</strong> sa patrie ,<br />
"Vient <strong>de</strong> mourir pour nous 7 vaincu par-ta furie ,<br />
Hector !... maïs un espoir me- conduit <strong>sur</strong> ces bords ;<br />
En échange d'un fil» prends mes vastes trésors.<br />
Daigne apaiser ta haine <strong>et</strong> p<strong>la</strong>indre ma misère;<br />
Achille ! crains les Dreux ; souviens-toi <strong>de</strong> ton père.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! plus malheureux f je fais ce qu'avant moi*<br />
Jamais aucun mortel n'eût tenté sans effroi.<br />
Du meurtrier d'un fils que ma douleur implore,<br />
Ma bouche ose presser <strong>la</strong> main sang<strong>la</strong>nte encore, »
5i8 L'ILIADE.<br />
Achille 9 au souvenir <strong>de</strong> son père chéri 9<br />
Repousse faiblement le vieil<strong>la</strong>rd attendri ;<br />
Us confon<strong>de</strong>nt tous <strong>de</strong>ux leur p<strong>la</strong>itfte involontaire,<br />
Et tandis que Priam, prosterné <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre!<br />
Pleure le brave Hector f Achille désolé<br />
Pleure Pelée absent <strong>et</strong> Patrocle immolé.<br />
Enfin j le fils <strong>de</strong>s Dieux f rassasié <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes ,<br />
Se lève f <strong>et</strong> du vieil<strong>la</strong>rd pour bannir les a<strong>la</strong>rmes 7<br />
Lui tend <strong>la</strong> main <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un regard douloureux<br />
Sur c<strong>et</strong>te barbe b<strong>la</strong>nche <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ces b<strong>la</strong>ncs cheveux :<br />
< Infortuné ! quels, maux endura ton courage !<br />
Gomiiient , jusqu'en ces lieux te frayant un passage,<br />
Yiens-tu f seul f implorer ce mortel dont le bras<br />
Te ravit tant <strong>de</strong> fils fameux dans les combats?<br />
Oui, ton cœur est <strong>de</strong> fer... Mais assieds-toi ; comprime<br />
L'excès d'une douleur, hé<strong>la</strong>s ! trop légitime.<br />
Pourquoi toujours gémir ? Tel est l'arrêt <strong>de</strong>s Dieux :<br />
La souffrance pour nous , <strong>et</strong> le bonheur pour eux.<br />
Sur le seuil habité par le roi du tonnerre<br />
Reposent <strong>de</strong>ux tonneaux qui , penchée vers <strong>la</strong> terre.<br />
Nous versent tour à tour ou le bien ou le mal ;<br />
Quand <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux tributs le partage est égal ,
CHANT VINGT-QUATRIEME. 5ig<br />
Notre sort à <strong>la</strong> fois est propice <strong>et</strong> fun'este ;<br />
Le malheureux! déchu <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté céleste 7<br />
Sur <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> faim condamné 9<br />
Dans l'opprobre <strong>et</strong> l'exil <strong>la</strong>nguit abandonné^<br />
Et, promenant partout son errante- misère7<br />
Des hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux éprouve <strong>la</strong> colère.<br />
Ainsi, <strong>de</strong>s le berceau 7 comblé <strong>de</strong> tous les dons. f<br />
Mon père commandait aux nombreux Myrmîdons ;<br />
H bril<strong>la</strong>it en gran<strong>de</strong>ur, en pouvoir, en richesse y<br />
Et mortel 7 il reçut <strong>la</strong> foi d'une Déesse.<br />
Mais Jupiter permit qu'il connut les revers.<br />
H gémit sans enfans dans ses foyers déserts;<br />
Seul espoir <strong>de</strong> sa race 7 hé<strong>la</strong>s ! <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ge 7<br />
Je périrai bientôt à <strong>la</strong> fleor <strong>de</strong> mon âge 7<br />
Et je ne peux encore au. déclin db ses ans.<br />
Prodiguer le secours <strong>de</strong> mes soins conso<strong>la</strong>ns ;<br />
Loin <strong>de</strong>s champs paternels 7 ma valeur meurtrière-<br />
Désolera Priam <strong>et</strong> sa famille entière. ' v<br />
Quel prince était jadis plus fortuné que toi ?<br />
Le Midi, l'Orient t'ont vu dicter <strong>la</strong> loi<br />
A Lesbos 7 que Macare autrefois a régie ,<br />
A l'immense HellespontT à <strong>la</strong> riche Phrygïe.,
5ao • L'ILIADE.<br />
Roi d'états iorissans f • père d'enfans nombreux ,<br />
Parmi tous les mortels on te nommait heureux,<br />
Et les Dieux ennemis jusque sous tes muraille» •<br />
Ont traîné les combats f le <strong>de</strong>uil , les funérailles.<br />
Vieil<strong>la</strong>rd! sois-patient ; supporte tes douleurs.<br />
Vainement <strong>sur</strong> Hector tes yeux versent <strong>de</strong>s pleurs ;<br />
Tu ne peux <strong>de</strong> ton fils ranimer l'existence.<br />
Pour <strong>de</strong> nouveaux malheurs réserve ta constance.' ><br />
Mais le divin Priam : ci O nourrisson <strong>de</strong>s Dieux !<br />
Je ne veux pas m'asseoir, tant que loin <strong>de</strong> mes yeux<br />
Hector, mon cher Hector^ <strong>sur</strong> une couche impure f<br />
Bestera dans ton 'camp privé <strong>de</strong> sépulture.<br />
Accepte mes présens, <strong>et</strong> souffre qu'à prix d'or<br />
J'achète le bonheur <strong>de</strong> 1© revoir encor.<br />
Puisses-tu, r<strong>et</strong>ournant au paternel rivage f<br />
Emporter <strong>la</strong> rançon digno <strong>de</strong> ton courage f<br />
O toi, qui m'accordas le bienfait précieux<br />
De contempler toujouis <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong>s cieux ! 9<br />
Achille <strong>sur</strong> Priam j<strong>et</strong>te un regard sévère :<br />
« Vieil<strong>la</strong>rd! n'irrite plus ma terrible colère.<br />
Je dois te rendre Hector ; Jupiter m'a dicté t<br />
Par <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thétis, c<strong>et</strong> ordre respecté,
CHANT ,VINGT-QUATRIÈME. 5ai<br />
Je sais, Priam ! je sais qu'aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> -Grèce<br />
Un Dieu même a pris soin <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r ta vieillesse.<br />
Jamais, fut-il encore à <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> ses ans.<br />
Trompant <strong>de</strong> mes soldats les regards vigi<strong>la</strong>ns,<br />
Un mortel n ? eût osé , parmi tant <strong>de</strong> cohortes f<br />
Franchir c<strong>et</strong>te barrière <strong>et</strong> soulever- nos portes.<br />
Gar<strong>de</strong>-toi dans mon cœur d'éveiller, mon courroux ;<br />
Je te vois vainement embrasser mes genoux.<br />
Crains quef <strong>de</strong> Jupiter méprisant <strong>la</strong> menace 7<br />
De mon 'camp sans r<strong>et</strong>our ma fureur ne te chasse. »<br />
A ces mots? le vieil<strong>la</strong>rd se trouble, <strong>et</strong> loin <strong>de</strong> lui,<br />
Tel qu'un fougueux lion ? Achille s'est enfui.<br />
Le noble Automédon <strong>et</strong> le fidèle Alcïme,<br />
Qu'entre tous ses amis honore son estime,<br />
Accompagnent Achille! <strong>et</strong> ces <strong>de</strong>ux éeuyers^<br />
Affranchissant du joug les mules 7 les coursiers,<br />
Vers un siège bril<strong>la</strong>nt conduisent sous <strong>la</strong> tente<br />
Le vénérable Idée à <strong>la</strong> voix éc<strong>la</strong>tante ;<br />
Puïs? enlevant au char ces vastes monceaux d'or 7<br />
C<strong>et</strong>te immense rançon <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête d'Hector,<br />
Pour couvrir ses débris, <strong>sur</strong> le char magnifique<br />
Ils <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>ux manteaux, une riche tunique.
5»» L'ILIADE.<br />
Achille a commandé ; <strong>sur</strong> le corps du héros<br />
L'huile <strong>et</strong> les doux parfums s'épanchent à grands flots ;<br />
Les femmes, l'emportant loin <strong>de</strong>s regards d'un père,<br />
Remplissent en secr<strong>et</strong> ce pieux ministère.<br />
Le noble Achille a peur qu'un vieil<strong>la</strong>rd malheureux<br />
Ne s'indigne, irrité d'un aspect douloureux,<br />
Et que , <strong>de</strong> Jupiter bravant l'ordre suprême,<br />
Soudain contre ses jours il ne s'arme lui-même.<br />
Quand , revêtu <strong>de</strong> lin, <strong>de</strong> parfums abreuvé,<br />
Sur le char par ses soins le corps est élevé f<br />
Il appelle Patrocle, <strong>et</strong> d'une voix p<strong>la</strong>intive :<br />
« Pardonne, ô mon ami ! <strong>sur</strong> l'infernale rive ;<br />
Pardonne, si, d'un père acceptant les trésors,<br />
D'Hector à sa douleur j'ai dû rendre le corps.<br />
La rançon que j'obtiens suffit à ma colère,<br />
Et je gar<strong>de</strong> à ton ombre une part du sa<strong>la</strong>ire. »<br />
A peine il a parlé, le héros, sans r<strong>et</strong>ard,<br />
Rentre dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure où l'attend le vieil<strong>la</strong>rd ;<br />
Vers son siège élégant, impatient, il vole,<br />
Et, regardant Priam , en ces mots le console :<br />
« Tes vœux sont accomplis, <strong>et</strong> ton fils t'est rendu j<br />
Sur le lit funéraire il repose étendu.
.CHANT VINGT-QUATRIEME. 5a3<br />
Demain^ tes yeux pourront Finon<strong>de</strong>r <strong>de</strong> leurs<strong>la</strong>rmes ;<br />
Maintenant 7 <strong>de</strong>s festins goûte avec moi les charmes-<br />
La belle Niobé? dans un pareil malheur $<br />
Au milieu <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s oublia sa douleur,<br />
Quand elle vit <strong>la</strong> mort ravir à sa tendresse<br />
Six vierges <strong>et</strong> six fils, iorissans <strong>de</strong> jeunesse.<br />
Niobé se vantait avec témérité<br />
De <strong>sur</strong>passer Latone eu sa fécondité ;<br />
Mais <strong>de</strong>ux vengeurs, armés <strong>de</strong> flèches homici<strong>de</strong>s,<br />
Phébus à l'arc d'argent, Diane aux traits rapi<strong>de</strong>s,<br />
Contre ses douze enfans déchaînant leur courroux ?<br />
Dans sa propre maison les immolèrent tous ?<br />
Et neuf jours 9 sans tombeau, ces victimes g<strong>la</strong>cées<br />
Dans leur sang confondu nagèrent entassées ;<br />
Jupiter, défendant aux peuples d'approcher ?<br />
Semb<strong>la</strong>it donner à tous une âme <strong>de</strong> rocher.<br />
Enfin, les habitons <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures célestes<br />
Vinrent dans le cercueil ensevelir leurs restes,<br />
Et 5 <strong>de</strong> son désespoir interrompant le cours}<br />
Wmbê <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s accepta le secours.<br />
Parmi <strong>de</strong>s rocs déserts, au faîte du Sipyle,<br />
Où les Nymphes , dit-on, choisissent un asyle >
5»4 L'ILIADE.<br />
Lorsque leurs pas , réglés par <strong>de</strong> bruyans accords^<br />
Du fleuve Aehélous viennent fouler les bords 7<br />
C<strong>et</strong>te mère p<strong>la</strong>intive, en pierre transformée,<br />
Pour pleurer <strong>et</strong> souffrir semble encore animée.<br />
Divin vieil<strong>la</strong>rd ! comme elle oublions nos <strong>de</strong>stins,<br />
En nous livrant tous <strong>de</strong>ux aux p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s festins j<br />
Hïon te verra <strong>de</strong> tes <strong>la</strong>rmes amères<br />
Inon<strong>de</strong>r à loisir ces dépouilles si chères. »<br />
A ces mots? il se lève, <strong>et</strong>, d f un bras diligent7<br />
Immole une brebis b<strong>la</strong>nche comme F argent ;<br />
Ses amis , détachant <strong>la</strong> toison éc<strong>la</strong>tante,<br />
Etalent les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair palpitante 7<br />
Et par le fer <strong>de</strong>s dards ces <strong>la</strong>mbeaux suspendus<br />
Sur le vaste foyer rougissent étendus.<br />
Les corbeilles} <strong>de</strong> Fart ingénieux ouvrage,<br />
Font circuler les pains qu'Automédon partage.<br />
Quand <strong>sur</strong> les m<strong>et</strong>s servis tous étendant <strong>la</strong> main f<br />
Ont étanché leur soif 7 ont apaisé leur faim,<br />
Prïam admire Achille, • <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un œil avi<strong>de</strong><br />
Sur ce front où <strong>de</strong>s Dieux <strong>la</strong> majesté rési<strong>de</strong> ;<br />
Le héros à son tour admire le vieil<strong>la</strong>rd,<br />
Sa profon<strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> son noble regard ;
CHANT YINGT-QUATRIÊME. 5^5 •<br />
L'un <strong>sur</strong> l'autre long-temps ils attachent leur vue<br />
Et d'un égal p<strong>la</strong>isir leur gran<strong>de</strong> âme est émue.<br />
Prïam enfin s'écrie : « 0 rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong>s Dieux !<br />
Laisse-nous savourer un sommeil précieux.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong>puis le jour où ta <strong>la</strong>nce guerrière<br />
A mon fils malheureux arracha <strong>la</strong> lumière,<br />
Le doux sommeil encor n'a point fermé mon œil ;<br />
Le front souillé <strong>de</strong> cendre <strong>et</strong> flétri par le <strong>de</strong>uil,<br />
Dévorant mes douleurs t me rou<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 7<br />
Dans l'enceinte <strong>de</strong>s cours j'ai <strong>la</strong>ngui solitaire ;<br />
Ma lèvre <strong>de</strong>sséchée aujourd'hui seulement<br />
A goûté ce vin noir <strong>et</strong> pris c<strong>et</strong> aliment. »<br />
De nombreux serviteurs une troupe docile,<br />
Pour apprêter <strong>de</strong>ux lits, court à <strong>la</strong> voix d'Achille ;<br />
Les captives 7 portant d'étince<strong>la</strong>ns f<strong>la</strong>mbeaux-,<br />
S'avancent sans dé<strong>la</strong>is, <strong>et</strong> les riches manteaux,<br />
Les tapis ondoyans, les moelleuses tuniques<br />
S'éten<strong>de</strong>nt à longs plis sous les vastes portiques.<br />
Mais le cœur du héros se déguise avec art : '<br />
« Couche hors <strong>de</strong> ma tente, ô-généreux vieil<strong>la</strong>rd !<br />
Nuit <strong>et</strong> jour, <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s conçus par leur pru<strong>de</strong>nce<br />
Nos princes dans' mon sein versent <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>nce j
5*6 L'ILIADE.<br />
Peut-être ils'te verraient; peut-être Agamemnon<br />
Gar<strong>de</strong>rait à <strong>la</strong> fois Hector <strong>et</strong> sa rançon.<br />
Parle ! combien <strong>de</strong> jours veulent lés funérailles ?<br />
Mon ordre suspendra <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s batailles. »<br />
« Si je peux à mon fils élever un tombeau 7<br />
Tu combleras mes vœux par ce bienfait nouveau.<br />
Mais Feffroi dans nos murs tient le peuple immobile ;<br />
' Un grand traj<strong>et</strong> sépare <strong>et</strong> nos bois <strong>et</strong> <strong>la</strong> ville.<br />
Qu'après neuf jours <strong>de</strong> pleurs, le dixième soleil<br />
Du funèbre banqu<strong>et</strong> contemple l'appareil ;<br />
Une tombe 7 dressée à <strong>la</strong> onzième aurore,<br />
Recevra le héros que Pergame déplore. '<br />
Alors ? si du Destin tel est l'ordre fatal 9<br />
Nous pourrons <strong>de</strong>s combats redonner le signal. »<br />
« Eh bien ! oui , j'y consens ; je veux te satisfaire ;<br />
Priam ! en ta faveur je suspendrai <strong>la</strong> guerre, »<br />
Achille, du vieil<strong>la</strong>rd dissipant tout l'effroi f<br />
Lui saisit <strong>la</strong> main droite en gage <strong>de</strong> sa foi.<br />
Tandis que le monarque <strong>et</strong> son héraut s'empressent<br />
De marcher vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où leurs couches se dressent,<br />
Briséïs suit Achille, <strong>et</strong> <strong>la</strong> jeune beauté<br />
Dans un réduit secr<strong>et</strong> repose à son côté.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 527<br />
Les Dieux <strong>et</strong> les guerriers t durant <strong>la</strong> nuit entière ,<br />
Laissent le doux sommeil enchaîner leur paupière;<br />
Mercure dans son cœur médite le moyen<br />
D'écarter <strong>de</strong>s vaisseaux le monarque troyen ,<br />
En abusant les yeux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gar<strong>de</strong> sainte<br />
Qui j près du camp postée, en protège l'enceinte.<br />
Incliné <strong>sur</strong> sa tête 7 il l'éveille en ces mots :<br />
« O vieil<strong>la</strong>rd ! loin <strong>de</strong> toi ce perfi<strong>de</strong> repos !<br />
Le péril t'environne <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> foi d'Achille ,<br />
Entouré d'ennemis, tu sommeilles tranquille I<br />
Sans doute tu livras d'innombrables trésors ;<br />
Mais si le chef <strong>de</strong>s Grecs te trouvait <strong>sur</strong> ces bords,<br />
Pour t'arracher vivant à ses mains vengeresses 9<br />
Tes fils auraient besoin <strong>de</strong> tripler leurs <strong>la</strong>rgesses. »<br />
Le monarque tremb<strong>la</strong>nt réveille son héraut;<br />
Par Mercure attelé, le char vole <strong>et</strong> bientôt,<br />
Par;mî les rangs épais <strong>de</strong> l'armée étrangère,<br />
Franchit le vaste camp dans sa fuite légère ;<br />
Ce fleuve sinueux, <strong>de</strong> Jupiter issu,<br />
Le Xanthe aux flots profonds <strong>sur</strong> ses bords Fa reçu.<br />
Là j Mercure , emporté par ses rapi<strong>de</strong>s ailes 7<br />
Regagne le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s voûtes éternelles,
5^8 L f ILtADË.<br />
Au moment où l'Aurore , éc<strong>la</strong>irant Funivers,<br />
De son voile <strong>de</strong> pourpre enveloppait les airs.<br />
Cependant les vieil<strong>la</strong>rds s'avançaient vers Pergame<br />
Et <strong>de</strong> fréquens soupirs s'exha<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> leur ftrne,<br />
Tandis que <strong>sur</strong> leurs pas les mul<strong>et</strong>s aux pieds sûrs<br />
Conduisaient le cadavre <strong>et</strong> s'approchaient <strong>de</strong>s murs.<br />
A <strong>la</strong> blon<strong>de</strong> Vénus une femme pareille,<br />
Cassandre, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tour où sa tendresse veille,<br />
La première, <strong>de</strong> loin découvre au même instant<br />
Son vieux père <strong>de</strong>bout dans le char éc<strong>la</strong>tant,<br />
Le héraut dont <strong>la</strong> voix dans Pergame est célèbre,<br />
Et le corps étendu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> couche funèbre.<br />
Tout Dion frémit du bruit <strong>de</strong> ses sanglots :<br />
ce Troyennes <strong>et</strong> Troyens ! le voici ce héros,<br />
C<strong>et</strong> Hector qui, jadis, plein <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> gloire,<br />
Dans nos joyeux remparts ramenait <strong>la</strong> victoire.<br />
Accourez !» A sa voix, les femmes, les soldats<br />
Hors <strong>de</strong>s murs en tremb<strong>la</strong>nt précipitent leurs pas.<br />
Précédant vers le char une foule innombrable,<br />
La veuve du héros 7 sa mère vénérable<br />
S'arrachent les cheveux, <strong>et</strong> d'un époux f d'un fils<br />
Touchent <strong>la</strong> tête pâle <strong>et</strong> les sang<strong>la</strong>ns débris.
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5a9<br />
Autour d'elles f le peuple , à <strong>la</strong> douleur "en .proie,<br />
Jusqu'au soleil couchant 7 sous les portes <strong>de</strong> Troie ?<br />
Des Kgules <strong>de</strong> Priam eût arrête l'essor,<br />
Et baigné <strong>de</strong> ses pleurs le cadavre d'Hector ;<br />
Mais du haut <strong>de</strong> son char le monarque s'écrie :<br />
« Troyens ! quand <strong>de</strong> mon fils <strong>la</strong> dépouille chérie<br />
Rentrera dans nos murs, autour <strong>de</strong> son cercueil<br />
On verra sans contrainte éc<strong>la</strong>ter votre <strong>de</strong>uil.<br />
R<strong>et</strong>irez-vous. » La foule, à c<strong>et</strong> ordre docile ?<br />
Au char} en s*éeartant ? <strong>la</strong>isse un chemin facile $<br />
Le char entre les flots du peuple divisé<br />
Passe : quand <strong>sur</strong> un lit le cadavre est posé,<br />
L'hymne <strong>de</strong> mort, formant une-funèbre p<strong>la</strong>inte , .<br />
Des pa<strong>la</strong>is dHion fait r<strong>et</strong>entir l'enceinte ;<br />
Lorsqu'aux sons ca<strong>de</strong>ncés <strong>de</strong>s chanteurs gémissans<br />
Les femmes ont uni leurs douloureux accens f<br />
Pour ouvrir par son <strong>de</strong>uil c<strong>et</strong>te lugubre fête 7<br />
Du héros dans ses mains pressant <strong>la</strong> noble tête f<br />
Ândrotë&jSs: s'écrie :. « O cher époux ! <strong>la</strong> mort<br />
A <strong>la</strong> fleur v <strong>de</strong>)-tes'àhs& terminé ton sort.<br />
Dans nos pa<strong>la</strong>is déserts <strong>de</strong>stinée au veuvage ,<br />
La misèrç <strong>et</strong> le&kjkurs ? voilà mon héritage I<br />
• iï^ vi /' : ~ a,
53o L f ILIADE.<br />
Ce gage infortuné <strong>de</strong> nos tristes amours 1<br />
Ce fils, je vais le perdre au matin <strong>de</strong> ses jours.<br />
Hé<strong>la</strong>s ! toi seul étais, dans nos <strong>de</strong>stins prospères ,<br />
Le soutien <strong>de</strong>s enfans <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs chastes mères.<br />
Mais tu péris... bientôt, vaincu <strong>de</strong> toutes parts,<br />
Ilion tombera du haut <strong>de</strong> ses remparts.<br />
Aux douleurs 7 à l'opprobre 9 à l'exil condamnées ?<br />
Sur les profonds vaisseaux nous seront entraînées ;<br />
Tu m'y suivras , mon fils ! tes vainqueurs inhumains<br />
-A <strong>de</strong> honteux emplois exerceront tes mains ;<br />
Peut-être , dans ton sang leur fureur assouvie<br />
Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour te j<strong>et</strong>tera sans vie 9<br />
Et ta mort vengera les mânes outragés<br />
Des frères ou <strong>de</strong>s fils par Hector égorgés ;<br />
Car ^ terrible au combat, ton invincible père<br />
A <strong>de</strong> nombreux guerriers fit mordre <strong>la</strong> poussière.<br />
Dans un <strong>de</strong>uil éternel il plonge les Trojens.<br />
Mais Hector ! quels regr<strong>et</strong>s égaleront les miens ?<br />
Sur ta couche <strong>de</strong> mort, d'une main défail<strong>la</strong>nte<br />
Tu ne m'as point cherchée, <strong>et</strong> ta lèvre tremb<strong>la</strong>nte<br />
Ne m'a point dit, hé<strong>la</strong>s ! ces paroles d'amour,<br />
Dont ta fidèle épouse , <strong>et</strong> <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> le jour,
CHANT VINGÎ-QUATEIÈME.- 53i<br />
Dans ses malheurs du moins éprouvant quelques charmes,<br />
Se souviendrait sans cesse en répandant <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. »•<br />
Ainsi <strong>de</strong> sa douleur les airs r<strong>et</strong>entissaient<br />
Et ses femmes près d'elle en pleurant gémissaient.<br />
Hécube alors s'approche ; inconso<strong>la</strong>ble mère ,<br />
Hécube à leurs regr<strong>et</strong>s unit sa p<strong>la</strong>inte amère :<br />
« Hector ! <strong>de</strong> mes enfans ô le plus cher pour moi 1-<br />
Ces Dieux dont <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong>scend toujours <strong>sur</strong> toi, •<br />
Ont protégé ta vie , <strong>et</strong>, vengeant ta mémoire-,<br />
Jusque dans ton trépas ils respectent ta gloire.<br />
Pour gémir sous les fers, dans Imbros, dans Samos, "<br />
Sur les sauvages bords <strong>de</strong> l'ari<strong>de</strong> Lemnos ,<br />
Mes autres fils, vendus par le fougueux Achille ,<br />
Captifs , ont sans r<strong>et</strong>our franchi <strong>la</strong> mer stérile.<br />
Mais toi, comme un héros, tu reçus le trépas.<br />
Sans ranimer Patrocle immolé par ton bras,<br />
Autour <strong>de</strong> son tombeau, dans sa rage inhumaine ,<br />
Un vainqueur sans pitié te traîna <strong>sur</strong> l'arène.<br />
Pourtant dans ce pa<strong>la</strong>is ton cadavre apporté<br />
Conserve sa fraîcheur, <strong>et</strong> gar<strong>de</strong> sa beauté ;<br />
On dirait qu'Apollon, t'enlevant <strong>la</strong> lumière,<br />
De ses traits les plus doux a touché ta paupière. »<br />
34.
53a L'ILIADE.<br />
Ainsi pleurait Hécube ; un <strong>de</strong>uil universel<br />
Répond aux cris p<strong>la</strong>intifs <strong>de</strong> son cœur maternel.<br />
Au cadavre d'Hector Hélène enfin s'adresse :<br />
« Hector ! toi qui d'un frère eus pour moi-<strong>la</strong> tendresse,<br />
Que n'ai-je pu mourir, avant le jour fatal<br />
Où, loin <strong>de</strong>s bords chéris <strong>de</strong> mon pays natal,<br />
Paris, semb<strong>la</strong>ble aux Dieux, vers fhymen <strong>et</strong>le crime<br />
Entraîna dans ces murs sa crédule victime !<br />
Depuis vingt ans, jamais mon orgueil n'a gémi<br />
Sous le poids flétrissant <strong>de</strong> ton blâme ennemi.<br />
Dans nos pa<strong>la</strong>is (Priam <strong>de</strong>vint mon second père)<br />
Quand tes sœurs au beau voile , ou ton auguste mère<br />
M'adressaient <strong>de</strong>vant toi leurs reproches jaloux,<br />
Ta voix douce <strong>et</strong> propice apaisait leur courroux.<br />
Je pleure <strong>sur</strong> ton sort; je pleure spr moi-même.<br />
Il n'est plus un Troyen qui me p<strong>la</strong>igne ou qui m'aime j<br />
Mon seul aspect, du peuple irritant <strong>la</strong> fureur ,<br />
Dans l'immense Ilïon le fait frémir d'horreur. »<br />
Hélène gémissait , <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule assemblée<br />
Mê<strong>la</strong>it à ces accens sa p<strong>la</strong>inte redoublée,<br />
Lorsque Priam : « Troyens ! courez vers nos forêts,<br />
Sans redouter les Grecs ni leurs pièges secr<strong>et</strong>s ;
CHANT VINGT-QUATRIÈME. 533<br />
Car <strong>sur</strong> ses noirs vaisseaux Achille oisif encore<br />
Attendra le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>la</strong> douzième aurore. »<br />
Il comman<strong>de</strong> ; on s'empresse <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant les remparts<br />
Les mules 7 les taureaux traînent les vastes chars ;<br />
Le bois ? durant neuf joursf s'amasse^ <strong>et</strong> lorsqu'au inon<strong>de</strong><br />
Le dixième soleil rend sa c<strong>la</strong>rté fécon<strong>de</strong>,<br />
Les Troyens, en pleurant le héros valeureux ,<br />
Apportent ses débris qu'ils j<strong>et</strong>ent dans les feux.<br />
L'Olympe a vu briller l'Aurore aux doigts <strong>de</strong> rose ;<br />
Près du foyer brû<strong>la</strong>nt où le guerrier repose,<br />
Ils s'assemblent ; leurs mains du bûcher tout entier<br />
Dans les flots d'un vin noir éteignent le brasier.<br />
Ses frères 7 ses amïs? regr<strong>et</strong>tant son courage,<br />
Gémissent^ <strong>et</strong> les pleurs ont baigné leur visage;<br />
Leur soin religieux au fond <strong>de</strong> Punie d'or<br />
Des ossemens b<strong>la</strong>nchis recueille le trésor ;<br />
La pourpre aux doux replis l'enveloppe ; <strong>la</strong> terre<br />
En reçoit dans ses f<strong>la</strong>ncs le dépôt funéraire,<br />
Et 5 quand <strong>de</strong> rocs épais un rempart l'a scellé,<br />
Le tertre du tombeau s'élève amoncelé.<br />
Là j tandis que <strong>de</strong>s Grecs aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes<br />
Les gar<strong>de</strong>s redoutant les attaques vail<strong>la</strong>ntes ,
534 L'ILIADE.<br />
Veillent <strong>de</strong> toutes parts, loin du cercueil pieux ?<br />
Dociles à Priai» ? ce nourrisson <strong>de</strong>s Dieux 1<br />
Le peuple <strong>et</strong> les guerriers cjue son pa<strong>la</strong>is rassemble 7<br />
Au- banqu<strong>et</strong> solennel vont assister ensemble.<br />
. Ainsi tous les Troyens pleuraient dans leurs foyers<br />
Le magnanime Hector, ce dompteur <strong>de</strong> coursiers.<br />
FIN BU yiNGT-QUATRIEME Ef DERNIER CHANT.
TABLE.<br />
CHANT ONZIEME i<br />
Agamemnon se revêt <strong>de</strong> ses armes, conduit les Grecs au combat, <strong>et</strong><br />
se r<strong>et</strong>ire blessé, après avoir immolé un grand nombre <strong>de</strong> Troyens.—<br />
Triomphe d'Hector. — Dïomé<strong>de</strong> <strong>et</strong> Ulysse sont secoures par Ajax.<br />
*— Machaon blessé est ramené au camp par Nestor. — Nestor exhorte<br />
Patrocle à fléchir le courroux d'Achille.<br />
CHANT DOUZIÈME 49<br />
Les Troyens, divisés en cinq bataillons, attaquent le r<strong>et</strong>ranchement<br />
<strong>de</strong>s Grecs. — Apparition d'un aigle. — Terreur <strong>de</strong> Polydamas. —<br />
Reproches d'Hector. — Sarpedon excite G<strong>la</strong>ucus à combattre. —<br />
Triomphe d'Hector, <strong>et</strong> faite <strong>de</strong> l'armée grecque.<br />
CHANT TREIZIÈME ?5<br />
Neptune} sous les traits <strong>de</strong> Calchas 9 excite les <strong>de</strong>ux A|ax <strong>et</strong> les autres<br />
Grecs. — Triomphe d'Idoménée. — Exploits <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s. — Hector<br />
ramène les Troyens au combat.<br />
CHANT QUATORZIÈME 119<br />
Agamemnon propose encore <strong>la</strong> fuite ; Ulysse combat c<strong>et</strong>te proposition,<br />
<strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> conseille <strong>de</strong> revoler au combat. — Junon se pare <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
ceinture <strong>de</strong> Vénus. — Jupiter <strong>et</strong> Junon <strong>sur</strong> le mont Ida. —Neptune<br />
vole au secours <strong>de</strong>s Grecs. — Massacre <strong>et</strong> déroute <strong>de</strong>s Troyens.<br />
CHANT QUINZIÈME 4g<br />
Réveil <strong>et</strong> foreur <strong>de</strong> Jupiter <strong>sur</strong> le mont Ida. — Junon remonte dans<br />
l'Olympe. — Mars est désarmé par Minerve. — Iris ©rdonneà Nep**<br />
tune <strong>de</strong> quitter le combat. — Apollon ranime Hector f excite les<br />
Troyens, <strong>et</strong> détroit le rempart <strong>de</strong>s Grecs. — Exploits d'Hector. —<br />
Intrépidité d'Ajax.
536 TABLE.<br />
CHANT SEIZIÈME 189<br />
Achille perm<strong>et</strong> à Patroclc <strong>de</strong> revêtir son armore <strong>et</strong> <strong>de</strong> conduire ses<br />
troupes au combat. — Libations <strong>et</strong> prière d'Achille à Jupiter. —<br />
Déroute <strong>de</strong>s Troyens. — Mort <strong>de</strong> Sarpédon. —Patrocle, désarmé par<br />
Apollon <strong>et</strong> blessé par Euphorbe, est immolé par Hector.<br />
CHANT DIX-SEPTIÈME 239<br />
Combat autour du corps <strong>de</strong> Patrocle. — Euphorbe est tué par Méné<strong>la</strong>s.<br />
Hector revêt les armes d'Achille. — Méné<strong>la</strong>s envoie Antiloque vers<br />
Achille pour lui annoncer <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son ami. — Méné<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Mérion<br />
emportent le cadavre <strong>de</strong> Patrocle.<br />
CHANT DIX-HUITIÈME 279<br />
Achille apprend <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Patrocle 5 son désespoir. — Thétis cherche<br />
à le consoler, <strong>et</strong> lui défend <strong>de</strong> combattre jusqu'à ce qu'elle lui<br />
apporte <strong>de</strong>s armes. — Achille désarmé m<strong>et</strong> les Troyens en fuite. —<br />
Conseil <strong>de</strong>s Troyens. — Discours <strong>de</strong> Polydamas <strong>et</strong> d'Hector. —<br />
Achille rend les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs à Patrocle. — Thétis <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />
Vulcaiii une armure pour son fils. — Description du bouclier <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />
armes d'Achille.<br />
CHANT DIX-NEUVIÈME 5i7<br />
Thétis apporte à Achille l'armure fabriquée parVuîcain. «— Assemblée<br />
<strong>de</strong>s Grecs. — Réconciliation d'Agamemnon-<strong>et</strong> d'Achille. — P<strong>la</strong>intes<br />
d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Briséis <strong>sur</strong> le corps <strong>de</strong> Patroclc. — Achille s'arme<br />
pour le combat ; Xanthe , un <strong>de</strong> ses coursiers ? lui prédit sa mort.<br />
CHANT VINGTIÈME 545<br />
' Jupiter rassemble les Dieux, dans POlympe, <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre pour favoriser les Grecs <strong>et</strong> les Troyens. — Apprêts du<br />
combat. — Terreur <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton. — Ésée défie Achille <strong>et</strong> fuît enlevé<br />
dans un nuage par Neptune. — Rencontre d'Hector <strong>et</strong> d'Achille. —<br />
Apollon conseille à Hector <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>irer. — Triomphe d'Achille $ il<br />
immolé Polydore <strong>et</strong> d'autres guerriers troyens.
TABLE. 537<br />
CHANT VINGT ET UNIÈME 37i<br />
Faite <strong>de</strong>s Troyens vers le Scamandre <strong>et</strong> vers <strong>la</strong> ville. — Achille fait<br />
douze prisonniers pour les immoler en l'honneur <strong>de</strong> Patrocle. — Mort<br />
<strong>de</strong> Lyeaon'<strong>et</strong> d'Astéropée. — Lutte d'Achille <strong>et</strong> du Scamandre. —<br />
Combat <strong>de</strong>s Dieux. — Apollon 9 sous les traits d'Agénor, abuse<br />
Achille <strong>et</strong> <strong>la</strong>isse aux Troyens le temps <strong>de</strong> s'échapper.<br />
CHANT VINGT-DEUXIÈME ;.. 4©7<br />
Hector, malgré les conseils <strong>de</strong> Priam <strong>et</strong> d'Hécubêj attend Achille<br />
pour le combattre. — Achille poursuit Hector sous les murs <strong>de</strong><br />
Troie. —Mort d'Hector. — Chant <strong>de</strong> triomphe d'Achille. — Désespoir<br />
<strong>de</strong> Priam , d'Hécube <strong>et</strong> d'Andromaque.<br />
CHANT VINGT-TROISIÈME 457<br />
Sommeil d'Achille. — Apparition <strong>de</strong> l'ombre <strong>de</strong> Patrocle. — Construction<br />
du bêcher. — Jeux funèbres.<br />
CHANT VINGT-QUATRIÈME 489<br />
Jupiter envoie Thétis auprès d'Achille pour l'engager à rendre à<br />
Priam le cadavre d'Hector. — Priam, averti par Iris, <strong>et</strong> conduit<br />
par Mercure > marche vers le camp <strong>de</strong>s Grecs. — Priam dans <strong>la</strong><br />
tente d'Achille. — Funérailles d'Hector.<br />
FIN BU SECONB ET BERNIER VOLUME.