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l'iliade. - Comptes rendus sur la littérature ancienne et moderne de ...

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Notes du mont Royal<br />

www.notesdumontroyal.com<br />

Ceci est une œuvre tombée<br />

dans le domaine public, <strong>et</strong><br />

hébergée <strong>sur</strong> « Notes du mont<br />

Royal » dans le cadre d’un exposé<br />

gratuit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>.<br />

Source <strong>de</strong>s images<br />

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I>"(i(f<br />

L'ILIADE,<br />

TRADUCTION NOUVELLE EN VERS FRANÇAIS,


IMPRIMERIE DE J. GRATÏOT,<br />

RUE BU FOIN SAINT-JACQUES, MAISON DE LA REINE BLANCHE.


i^mlmcfwtt mweïïe m nts français,<br />

PRECEDEE<br />

D'UN ESSAI SUR L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE,<br />

PAR A. BIGNAN.<br />

TOME SECOND.<br />

BELIN - M AND AR, LIBRAIRE ,<br />

Rue Saiot-Andrc-<strong>de</strong>s-Arcs | n" 55.<br />

1830.<br />

SO1206


SOMMAIRE DU CHANT ONZIEME.<br />

Agamemnon se revêt <strong>de</strong> ses armes, conduit les Grecs au combat9 <strong>et</strong><br />

se r<strong>et</strong>ire blessé, après avoir immolé un grand nombre <strong>de</strong> Troyens.—<br />

Triomphe d'Hector. — Diomê<strong>de</strong> <strong>et</strong> Ulysse sont secourus par Ajax.<br />

*— Machaon blessé est ramené au camp par Nestor. — Nestor exhorte<br />

Patrocle à fléchir le courroux. d'Achille.


LILIADE.<br />

CHANT ONZIÈME.<br />

—saocs»<br />

Quand l'Aurore, éc<strong>la</strong>irant les mortels <strong>et</strong> les dieux,<br />

Quitte le beau Tithon pour monter vers les cieux,<br />

Jupiter a parlé ; dans sa main sanguinaire<br />

La Discor<strong>de</strong> agitant le signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre ,<br />

Sur le grand vaisseau noir par Uljsse amené<br />

S'arrête menaçante, <strong>et</strong> sa voix a tonné<br />

Jusqu'aux <strong>de</strong>ux bouts du catnp où d'Ajax <strong>et</strong> d'Achille<br />

Les navires lointains trouvent un <strong>sur</strong> asjle :<br />

Là, «Fun seul <strong>de</strong> ses cris les effrayans éc<strong>la</strong>ts<br />

J<strong>et</strong>tent au <strong>et</strong>eiir <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s combats ,<br />

Et les Grecs, oublieux <strong>de</strong> leur rive chérie,<br />

Préfèrent ces <strong>et</strong>oobats à leur douce patrie.


4 L'ILIADE.<br />

Agamemnori comman<strong>de</strong> f <strong>et</strong> soumis à sa voix 1<br />

Les nombreux Àrgiens s'arment tous à <strong>la</strong> fois.<br />

Lui-même , le premier f le magnanime Atri<strong>de</strong> f<br />

Impatient, saisit l'appareil homici<strong>de</strong>.<br />

D'abord par le secours <strong>de</strong>s agrafes d'argent<br />

Le bro<strong>de</strong>quin s'attache à son pied "diligent ;<br />

Sa poitrine revêt <strong>la</strong> cuirasse guerrière f<br />

De Cinyre dans Gypre offran<strong>de</strong> hospitalière ,<br />

Lorsque le bruit courut que les Grecs <strong>sur</strong> les eaux<br />

Vers les murs d'Ilion dirigeaient leurs vaisseaux :<br />

L'or j l'étain <strong>et</strong> Pacier, j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> vives f<strong>la</strong>mmes,<br />

Par un savant accord y confondaient leurs <strong>la</strong>mes ,<br />

Et <strong>sur</strong> les <strong>de</strong>ux côtes serpentaient trois dragons,<br />

Dont les replis d'azur imitaient ces rayons ,<br />

Signes étince<strong>la</strong>ns ? tuté<strong>la</strong>ires présages ,<br />

Gravés par Jupiter <strong>sur</strong> le front <strong>de</strong>s nuages»<br />

Son g<strong>la</strong>ive , étoile d'or <strong>et</strong> ceint du baudrier ?<br />

Dans le fourreau d'argent repose, prisonnier 1<br />

Et son lourd bouclier, vaste <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> armure,<br />

Dont dix cercles d'airain composent <strong>la</strong> bordure 7<br />

Sur l'acier rembruni présente <strong>la</strong> Terreur,<br />

La Fuite, <strong>et</strong> <strong>la</strong> Gorgone aux regards pleins d'horreur?


CHANT ONZIÈME. S<br />

Tandis qu'un noir dragon <strong>sur</strong> <strong>la</strong> souple courroie ,<br />

Fier <strong>de</strong> sa triple tête, en rampant se déploie.<br />

Le casque radieux <strong>et</strong> d'aigr<strong>et</strong>tes orné,<br />

B f un panache ondoyant s'élève couronné ,<br />

S*agite f <strong>et</strong> dispersant le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> l'épouvante ,<br />

Vomit à flots épais sa crinière mouvante.<br />

Enfin <strong>de</strong>ux javelots, munis d'un <strong>la</strong>rge fer,<br />

De leurs feux jusqu'au ciel font rejaillir l'éc<strong>la</strong>ir,<br />

Et Minerve <strong>et</strong> Junon par leurs c<strong>la</strong>meurs soudaines-<br />

Honorent le grand roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> riche My cènes.<br />

A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> leurs chefs , les pru<strong>de</strong>ns écuyers<br />

Près du fossé profond r<strong>et</strong>iennent les coursiers.<br />

Suivis <strong>de</strong>s cavaliers, les fantassins en armes<br />

Marchent ; un bruit <strong>de</strong> guerre annonce les a<strong>la</strong>rmes.<br />

Jupiter 5 excitant <strong>de</strong>s transports furieux 1<br />

D'une épaisse rosée ensang<strong>la</strong>nte les cieux ;<br />

Car, en ce jour fatal, dans les sombres abymes<br />

Son courroux plongera d'innombrables victimes.<br />

Cependant les Troyens 7 respirant les combats ,<br />

Autour du grand Hector se pressent à grands pas ;<br />

C<strong>et</strong> Enée , honoré comme un dieu tuté<strong>la</strong>ire 7<br />

Ce fier Polydamas que <strong>la</strong> sagesse éc<strong>la</strong>ire ,


6 L'ILIADE.<br />

Ces trois fils généreux <strong>de</strong> l'illustre Anténor,<br />

Acamas, <strong>et</strong> Polybe, <strong>et</strong> le noble Agénor,<br />

Accourent , <strong>et</strong> près d'eux <strong>la</strong> docile pha<strong>la</strong>nge<br />

Sur <strong>la</strong> haute colline avec ar<strong>de</strong>ur se range.<br />

Hector vole à leur tête , <strong>et</strong> son corps tout entier<br />

Se couvre du rempart d'un vaste bouclier.<br />

Gomme un astre ennemi, messager <strong>de</strong>s orages,<br />

Brille ou voile son front chargé d'épais nuages ,<br />

Tel le rapi<strong>de</strong> Hector, enf<strong>la</strong>mmant ses guerriers ,<br />

Se montre aux premiers rangs ou se cache aux <strong>de</strong>rniers^<br />

Et l'œil voit resplendir son armure homici<strong>de</strong><br />

Comme l'éc<strong>la</strong>ir <strong>la</strong>ncé par le dieu <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong>.<br />

Quand d'un homme opulent parcourant les sillons ,<br />

Les ar<strong>de</strong>ns moissonneurs forment <strong>de</strong>ux bataillons i<br />

L'un vers l'autre s'avance , <strong>et</strong> l'active faucille<br />

Coupe <strong>de</strong>s blonds épis <strong>la</strong> flottante famille :<br />

Tels, plongés dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> l'infernal séjour,<br />

Les divers combattans succombent tour à tour.<br />

A leur perte acharnés, comme <strong>de</strong>s loups avi<strong>de</strong>s ,<br />

Sans trembler ni sans fuir, ces héros intrépi<strong>de</strong>s<br />

Expirent, <strong>et</strong> toujours fécon<strong>de</strong> en maux nombreux .<br />

La discor<strong>de</strong> jouit <strong>de</strong> ce spectacle affreux :


CHANT ONZIÈME. y<br />

Elle seule prési<strong>de</strong> aux scènes du carnage ;<br />

Car tous les autres Dieux, loin <strong>de</strong>s champs du courage,<br />

Aux somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'Olympe assis tranquillement,<br />

Dans leurs pa<strong>la</strong>is f du ciel radieux ornement f<br />

Accusent Jupiter, qui, paisible en sa gloire ,<br />

En faveur <strong>de</strong>s Troyens fait pencher <strong>la</strong> victoire.<br />

Mais , r<strong>et</strong>iré loin d'eux <strong>sur</strong> son trône divin ,<br />

Opposant le silence à leur reproche vain ,<br />

Le roi <strong>de</strong> Funivers contemple f ivre <strong>de</strong> joie, 4<br />

Là les vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs , ici les murs <strong>de</strong> Troie ,<br />

Partout l'airain guerrier qui brille dans les rangs ,<br />

Et partout les soldats ou vainqueurs ou mourans.<br />

L'astre sacré du jour vers POlympe s'élève ,<br />

Et chaque peuple expire immolé par le g<strong>la</strong>ive ;<br />

Mais quand le bûcheron qui vit sous ses <strong>de</strong>ux bras<br />

Les arbres orgueilleux tomber avec fracas,<br />

Lassé d'un long travail, dans <strong>la</strong> forêt obscure 1<br />

Apprête <strong>sur</strong> les monts sa douce nourriture,<br />

Les Grecs , s'encourageant par un commun effort ?<br />

Aux pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie ont renvoyé <strong>la</strong> mort.<br />

La vail<strong>la</strong>nce d'Atri<strong>de</strong> éc<strong>la</strong>te signalée ;<br />

Biénor a péri ; l'intrépi<strong>de</strong> Oïlée


8 • L'ILIADE.<br />

S'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> court d'Argos braver le souverain ;<br />

Maïs le fer, dirigé <strong>sur</strong> son casque d f airain ,<br />

Jusques à Fos pénètre , <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe mortelle<br />

Dans le crâne fendu disperse sa cervelle.<br />

Quand Fun <strong>et</strong> l'autre expire, Atri<strong>de</strong> en même temps<br />

Laissant à nu leurs seins <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncheur éc<strong>la</strong>tans ,<br />

Fier d'avoir détaché leur superbe tunique ,<br />

Se j<strong>et</strong>te avec fureur <strong>sur</strong> un couple héroïque ;<br />

Conçus j Fun par l'hymen , <strong>et</strong> l'autre par l'amour ,<br />

Tous les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> Priam avaient reçu le jour :<br />

Isus guidait le char ; fameux dans les batailles , .<br />

Antiphus près <strong>de</strong> lui <strong>la</strong>nçait les funérailles.<br />

Lorsque jadis , an sein d'un perfi<strong>de</strong> repos,<br />

Ils paissaient <strong>sur</strong> l'Ida leurs dociles troupeaux-,<br />

Avec <strong>de</strong>s nœuds d'osier serrant leurs mains captives 7<br />

Achille , leur vainqueur, les traîna <strong>sur</strong> ces rives :<br />

Une forte rançon avait brisé leurs fers ;<br />

Mais leur âme est promise au courroux <strong>de</strong>s enfers.<br />

Le trait d'Agamemnon , parti d'une main sûre ,<br />

Enfonce au cœur dTsus sa rapi<strong>de</strong> bles<strong>sur</strong>e.<br />

Antiphus, par le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> tempe percé ,<br />

Expire , <strong>et</strong> <strong>de</strong> son char succombe renversé.


CHANT ONZIÈME. 9<br />

Atri<strong>de</strong> les dépouille -, <strong>et</strong> son œil immobile<br />

S ? étonne-<strong>de</strong> revoir les prisonniers d f Achille.<br />

Lorsqu'un lion , <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> d f ëcume couvertr<br />

Ravit <strong>de</strong>s faons craintifs à leur antre désert,<br />

Brise leur jeune vie <strong>et</strong> leurs forces naissantes 9<br />

Et fait craquer leurs os entre ses' <strong>de</strong>nts puissantes,<br />

La biche, <strong>de</strong> leur mort inutile témoin ?<br />

Sans pousser un seul cri? se précipite au loin ,<br />

Echappe au monstre <strong>et</strong> court! <strong>de</strong> sueur dégouttante,<br />

Cacher dans les forêts sa frayeur hal<strong>et</strong>ante :<br />

Tels les Troyens ont vu succomber <strong>et</strong> mourir<br />

Le couple que leur fer n'ose pas secourir.<br />

Comme un lion fougueux 7 Agamemnon attaque<br />

Les belliqueux enfans du perfi<strong>de</strong> Antimaque ,<br />

Hippoloque <strong>et</strong> Pïsandre. Antimaque autrefois ,<br />

Elevant pour Paris sa mercenaire voix ,<br />

Ne permit pas qu'Hélène , à Méné<strong>la</strong>s rendue ?<br />

Pour son nouvel époux fut sans r<strong>et</strong>our perdue.<br />

Le Grec impatient trouve ces <strong>de</strong>ux guerriers<br />

Sur un seul char traîné par d'agiles coursiers ;<br />

D f un palpitant effroi leurs âmes sont frappées ,<br />

Et <strong>de</strong> leurs faibles mains les rênes échappées


io L'ILIADE.<br />

Glissent ; tous <strong>de</strong>ux alors se j<strong>et</strong>tent à genoux :<br />

« Grâce ! épargne nos jours, Atri<strong>de</strong> ! sauve-nous.<br />

Une immense rançon <strong>de</strong>viendra ton sa<strong>la</strong>ire.<br />

Tous ces monceaux d'airain qu'amassa notre père ,<br />

Tout mn fer, tout son or, tous ses biens sont à toi ,<br />

Si nous vivons du moins enchaînes sous ta loi. »<br />

Ils pleurent: insensible à leur voix humble <strong>et</strong> douce,<br />

Par ce refus terrible Atri<strong>de</strong> les repousse :<br />

« Quand le divin Ulysse, escortant Méné<strong>la</strong>s,<br />

Ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s Grecs, porta chez vous ses pas,<br />

Antimaque voulut le meurtre <strong>de</strong> mon frère....<br />

C'est aux fils à payer les attentats du père. »<br />

Sous sa <strong>la</strong>nce, à ces mots, Pisandre a succombé,<br />

Et du haut <strong>de</strong> son char son cadavre est tombé.<br />

Hippoloque <strong>de</strong>scend; Atri<strong>de</strong>, qui l'arrête,<br />

Lui tranche avec le fer les <strong>de</strong>ux mains <strong>et</strong> <strong>la</strong> tête,<br />

Et parmi les soldate, le front ensang<strong>la</strong>nté,<br />

Gomme un mortier <strong>de</strong> pierre, au loin est rej<strong>et</strong>é.<br />

Aux rangs les plus épais , pour venger ses injures,<br />

Accompagné <strong>de</strong>s Grecs aux bril<strong>la</strong>ntes chaus<strong>sur</strong>es,<br />

Il s'é<strong>la</strong>nce , <strong>et</strong> soudain , fantassins , écuyers<br />

S'attaquent en croisant leurs g<strong>la</strong>ives meurtriers,


CHANT ONZIÈME. n<br />

Et sous leurs pas bruyans une épaisse poussière<br />

Tourbillonne, envahit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine toute entière.<br />

Atri<strong>de</strong>, inébran<strong>la</strong>ble au milieu <strong>de</strong>s hasards,<br />

Anime ses soldat» <strong>et</strong> presse les fuyards, t<br />

Sur l'aile <strong>de</strong>s autans quand <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme emportée<br />

Ravage une forêt par le fer respectée,<br />

Se disperse , <strong>et</strong> partout <strong>de</strong> son fougueux torrent<br />

Roule avec un long bruit le courroux dévorant,<br />

Les arbres consumés, que le vent déracine ,<br />

De leurs brû<strong>la</strong>ns débris étalent <strong>la</strong> ruine :<br />

Tels les nombreux Troyens, dans leur fuite immolés,<br />

Sous les coups du vainqueur tombent amoncelés.<br />

Par <strong>de</strong>s chemins'sang<strong>la</strong>ns les chevaux intrépi<strong>de</strong>s<br />

Ont entraîné les chars r<strong>et</strong>entissans <strong>et</strong> vi<strong>de</strong>s,<br />

Gomme s'ils regr<strong>et</strong>taient leurs pru<strong>de</strong>ns conducteurs,<br />

Qui, promis à <strong>la</strong> faim <strong>de</strong>s vautours <strong>de</strong>structeurs,<br />

Pour leurs femmes en <strong>de</strong>uil obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />

Gisent défigurés dans un tombeau <strong>de</strong> sable.<br />

Tandis que Jupiter, loin du meurtre <strong>et</strong> du sang,<br />

Loin du théâtre impur d'un combat menaçant,<br />

R<strong>et</strong>ient Hector, <strong>de</strong>s Grecs enf<strong>la</strong>mmant le courage,<br />

Atri<strong>de</strong> dans les rangs précipite sa rage.


<strong>la</strong> L'ILIADE.<br />

Près du figuier sacré, vers le tombeau d'Ilus,<br />

De c<strong>et</strong> ancien mortel, enfant <strong>de</strong> Dardanus,<br />

Les Troyens, empressés <strong>de</strong> rentrer dans leur ville,<br />

De leurs foyers sauveurs re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt Fasyle ;<br />

Leur vol franchit l'espace avec célérité.<br />

Terrible, l'œil en feu, le vainqueur irrité,<br />

Poursuivant <strong>de</strong> ses cris leur troupe'épouvantée,<br />

Baigne encor <strong>de</strong> leur sang sa main ensang<strong>la</strong>ntée.<br />

Lorsqu'aux portes <strong>de</strong> Seée ils parviennent enfin,<br />

La foule, s'arrétant sous le hêtre' divin,<br />

Attend ses compagnons, qu'au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

Egare en longs détours une fuite incertaine.<br />

Un troupeau, mugissant dans l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit,<br />

A l'aspect d'un lion se disperse <strong>et</strong>'s'enfuit,<br />

Quand le monstre saisit une génisse errante,<br />

Lui présente <strong>la</strong> mort terrible <strong>et</strong> dévorante,<br />

Brise sa jeune tête <strong>et</strong> ses flexibles os,<br />

Et s'abreuve du sang qui ruisselle à grands flots :<br />

Ainsi chaque Troyen cè<strong>de</strong> au courroux d'Atri<strong>de</strong>,<br />

Qui frappe le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong>,<br />

Et tous, précipités du faîte <strong>de</strong> leurs chars,<br />

Jonchent le sol poudreux <strong>de</strong> leurs membres épars.


CHANT ONZIÈME. - i5<br />

Quand Pergâme déjà sous ses hautes murailles<br />

Le voyait promener <strong>de</strong> vastes funérailles ,<br />

Le père <strong>de</strong>s mortels.<strong>de</strong>scend <strong>sur</strong> les,'coteaux<br />

De l'Ida, rafraîchi par <strong>de</strong> nombreux -ruisseaux ,<br />

Et c'est là qu'il appelle, armé, <strong>de</strong> son tonnerre,<br />

Iris aux ailes d'or, sa jeune messagère :<br />

€ Iris ! cours près. d'Hector 5 que ta docile voix<br />

Lui porte sans dé<strong>la</strong>is mes souveraines lois.<br />

Tant que ses yeux verront le héros <strong>de</strong> Mycène<br />

Du meurtre <strong>de</strong>s Troyens.ensang<strong>la</strong>nter l'arène,<br />

Qu'il s'éloigne, content d'exciter les soldats<br />

A soutenir le choc <strong>de</strong> ces ar<strong>de</strong>ns combats.<br />

Si, blessé d'une flèche ou frappé d'une <strong>la</strong>nce,<br />

Sur son char fugitif Agamemnon s'é<strong>la</strong>nce,<br />

Hector reprend sa gloire, <strong>et</strong> sa juste fureur<br />

Aux vaisseaux ennemis renverra <strong>la</strong> terreur j<br />

Jusqu'à l'heure où, couché dans Fempire <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s,<br />

Le soleil fera p<strong>la</strong>ce aux ténèbres profon<strong>de</strong>s* »<br />

Prompte comme les vents, Iris auprès d'Hector,<br />

Des hauteurs "<strong>de</strong> l'Ida, dirige son essor,<br />

Et le trouve , <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> son char magnifique,<br />

Observant les combats d'un regard pacifique.


i* L'ILIADE.<br />

« Hector ? fils <strong>de</strong> Priam, mortel semb<strong>la</strong>ble auxDieexf<br />

Dit-elle , apprends Parrét du souverain <strong>de</strong>s cieux :<br />

Tant que tes yeux verront le héros <strong>de</strong> Mycène<br />

Du meurtre <strong>de</strong>s Troyens ensang<strong>la</strong>nter Parène,<br />

Éloigne-toi, content d'exciter les soldats •<br />

À soutenir le choc <strong>de</strong> ces ar<strong>de</strong>ns combats.<br />

Si, blessé d'une flèche ou frappé d'une <strong>la</strong>nce 7<br />

Sur son char fugitif Agamemnon s'é<strong>la</strong>nce ,<br />

Tu reprendras ta gloire , <strong>et</strong> ta juste fureur<br />

Aux vaisseaux ennemis renverra <strong>la</strong> terreur ,<br />

Jusqu'à Fheure ou , couché dans Fempire <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s,<br />

Le soleil fera p<strong>la</strong>ce aux ténèbres profon<strong>de</strong>s. »<br />

Iris parle <strong>et</strong> s'enfuit : par sa voix enf<strong>la</strong>mmé 1<br />

Hector loin <strong>de</strong> son char s'é<strong>la</strong>nce tout armé,<br />

Et, brandissant ses traits j dans chaque âme réveille<br />

Une ar<strong>de</strong>ur belliqueuse à son ar<strong>de</strong>ur pareille.<br />

Tous s'attaquent <strong>de</strong> front : <strong>de</strong>s Grecs tumultueux<br />

Le Troyen court braver le choc impAueux;<br />

Leurs rangs sont redoublés ^ <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant eux Atri<strong>de</strong><br />

Provoque <strong>de</strong>s combats <strong>la</strong> fureur homici<strong>de</strong>.<br />

Habitantes <strong>de</strong>s cieux , Muses ! dites le nom<br />

Du premier ennemi qu'égorge Agamemnon.


CHANT ONZIÈME. i5<br />

Élevé dans <strong>la</strong> Thrace en troupeaux iorissante 7<br />

Un <strong>de</strong>s fils d'Antenor, à <strong>la</strong> taille imposante,<br />

Iphidamas périt : son aïeul maternel ?<br />

Cissès l'environna d'un amour paternel!<br />

Et, quand son front bril<strong>la</strong> <strong>de</strong>s feux <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse T<br />

A Théano sa file il unit sa tendresse 5<br />

Dès qu'il vit <strong>de</strong> l'hymen s'allumer le <strong>la</strong>mbeau,<br />

Arraché par <strong>la</strong> gloire à son bonheur nouveau,<br />

Ce guerrier, <strong>de</strong>s combats en respirant <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme 7<br />

Traversa les pays qui menaient à Pergame ;<br />

Car aux douze vaisseaux qu'il guida vers ce bord T<br />

Percote avait offert l'asyle <strong>de</strong> son port.<br />

Un léger intervalle à peine les sépare,<br />

Atri<strong>de</strong> <strong>la</strong>nce un trait dont <strong>la</strong> pointe s'égare.<br />

Iphidamas s'indigne T <strong>et</strong> d'un dard meurtrier<br />

Son bras avec vigueur atteint le baudrier ;<br />

Mais les <strong>la</strong>mes d'argent'dont s'enrichit l'armure T<br />

Du trait qui serecouïbe ont écarté Finjure.<br />

Ar<strong>de</strong>nt comme un lion 1 Agamemnon bientôt.<br />

Aux mains dlphidamas ravit le javelot ;<br />

D'un seul coup <strong>de</strong> son fer l'envoyant dans <strong>la</strong> tombe 7<br />

U le frappe à <strong>la</strong> tête... Iphidamas succombe;


16 L'ILIADE.<br />

Un froid sommeil d'airain .charge ses yeux pesans...<br />

L'infortuné périt dans <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> ses ans?<br />

Loin <strong>de</strong> sa chaste épouse, avant que sa tendresse<br />

Du bonheur nuptial ait savouré l'ivresse.<br />

Au Jour <strong>de</strong> son hymen, un si noble héros<br />

Lui donna pour sa dot cent superbes taureaux,<br />

Et lui promit encor mille chèvres sauvages,<br />

Mile brebis, honneur <strong>de</strong> ses gras pâturages...<br />

Atri<strong>de</strong> le dépouille <strong>et</strong> s'éloigne! emportant<br />

Aux yeux <strong>de</strong> tous les Grecs son butin éc<strong>la</strong>tant.<br />

Alors le premier né d'un trop malheureux père,<br />

L'intrépi<strong>de</strong> Goon, qui voit mourir son frère 7<br />

Pftlej les yeux couverts d'un voile <strong>de</strong> douleur,<br />

Contre le meurtrier déployant sa valeur ><br />

Se glisse à ses côtés, se dérobe à sa vue, -<br />

Et lui perce le bras d'une' atteinte imprévue.<br />

Atri<strong>de</strong> a frissonné 9 sans reculer d'un pas :<br />

Toujours impatient <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> trépas,<br />

Armé d'un trait léger ? <strong>sur</strong> Goon il s'é<strong>la</strong>nce ;<br />

Tandis que, pour son frère illustrant sa vail<strong>la</strong>nce,<br />

Goon parmi les morts entraînait ses débris,<br />

Et <strong>de</strong> loin appe<strong>la</strong>it ses guerriers à grands cris?


CHANT ONZIÈME. 17<br />

Par l'airain ennemi sa tête .déchirée<br />

Sur le corps fraternel roule défigurée.<br />

Tel ce couple, égorgé <strong>de</strong>s mains d f Agamemnon 7<br />

Accomplit son <strong>de</strong>stin <strong>et</strong> <strong>de</strong>scend chez Pluton.<br />

Atrï<strong>de</strong> cependant sème un nouveau carnage ;<br />

G<strong>la</strong>ive, <strong>la</strong>nce f rochers, tout secon<strong>de</strong> sa ragé.<br />

Mais du sang tiè<strong>de</strong> encor quand <strong>la</strong> source tarit,<br />

La p<strong>la</strong>ie en se séchant s'envenime <strong>et</strong> s'aigrit;<br />

La souffrance a brisé sa force anéantie.<br />

La fille <strong>de</strong> Junon, <strong>la</strong> cruelle Ilithye<br />

Enfonce un trait aigu dans le sein tourmenté<br />

Par les longues douleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternité :<br />

Tel un mal déchirant jusques au cœur d'Atri<strong>de</strong><br />

Plonge les aîguiEons <strong>de</strong> sa flèche rapi<strong>de</strong> ;<br />

H monte <strong>sur</strong> le charf <strong>et</strong> le char en fuyant<br />

Vers <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs tourne son vol bruyant.<br />

Alors, d'une voix forte Agamemnon s'écrie :<br />

« Amis! enf<strong>la</strong>mmez-vous d'une juste furie.<br />

Repoussez le carnage, <strong>et</strong> que vos bras vengeurs<br />

Sauvent dans ce péril .nos vaisseaux voyageurs.<br />

Jupiter ne veut pas que <strong>sur</strong> les fils <strong>de</strong> Troie<br />

Durant le jour entier ma valeur se déploie. »


18 L'ILIADE.<br />

Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge j à ces mots , l'écuyer presse encor<br />

Des coursiers aux beaux crins l'impétueux essor,<br />

Et, les f<strong>la</strong>ncs tout b<strong>la</strong>nchis d'écume <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière ,<br />

Ils enlèvent leur maître à <strong>la</strong> lice guerrière.<br />

Hector, lorsqu'il a vu s'enfuir Agamemnon , •<br />

Appelle à ses cotés un nombreux bataillon :<br />

« Enfans <strong>de</strong> Dardanus, soldats <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie,<br />

O peuples, que toujours le péril associe 7<br />

Soyez hommes, amis ! Atri<strong>de</strong> s'est enfui f<br />

Et le grand Jupiter m'accor<strong>de</strong> son appui j<br />

Gourez : illustreÉ-vous. » Ce <strong>la</strong>ngage ranime<br />

. Dans le cœur <strong>de</strong>s guerriers une ar<strong>de</strong>ur unanime.<br />

Aux accens du chasseur, comme <strong>de</strong>s chiens ar<strong>de</strong>ns<br />

Arment contre un lion Pivoire <strong>de</strong> leurs' <strong>de</strong>nts ?<br />

Ou, les yeux enf<strong>la</strong>mmés , d'un sanglier sauvage<br />

Poursuivent, <strong>sur</strong> les monts,. <strong>la</strong> bondissante rage :<br />

Tels par les cris d'Hector les combattons poussés<br />

Sur les Grecs fugitifs fon<strong>de</strong>nt à coups pressés. •<br />

Hector, rival du^Dieu qui fait tonner <strong>la</strong> guerre ,<br />

Dép<strong>la</strong>ie au premier rang sa valeur sanguinaire :<br />

Ainsi par les autans un orage excité<br />

Bouleverse <strong>de</strong>s mers <strong>la</strong> sombre immensité.


CHANT ONZIEME. 19<br />

Tant que le roi <strong>de</strong>s cieux protège son audace,<br />

Quel Grec est le premier ? le <strong>de</strong>rnier qu f il terrasse ?<br />

Âséus , Opitès j Dolops, Àutonoûs,<br />

Âgé<strong>la</strong>iis j Esjrmne 1 Ophelte ,'Hipponoûs<br />

Succombent 7 <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule avec ces chefs expire.<br />

Lorsque , long-temps captif, Fimpétueux Zéphire<br />

Souffle <strong>et</strong> dissipe au loin les nuages g<strong>la</strong>ces<br />

A <strong>la</strong> Toix du Notus dans les airs amassés ,<br />

La vague s^enfle} roule , <strong>et</strong> l'écume rapi<strong>de</strong><br />

De flocons b<strong>la</strong>nchissans couvre <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine humi<strong>de</strong> :<br />

Tel sous son g<strong>la</strong>ive ar<strong>de</strong>nt Hector vainqueur abat<br />

Les têtes <strong>de</strong>s héros frappés dans le combat.<br />

Spectateur indigné d f uti immense carnage }<br />

Ulysse s J amië enfin pour borner ce ravage 9<br />

Lorsque ,* <strong>de</strong> leurs vaîâséàiix implorant les abris ?<br />

Les 'Grecs déjà coiiraieftt y cacher leurs débris.<br />

« Diomè<strong>de</strong> ! a-t-fl dît, quelle terreur nèus g<strong>la</strong>ce ? •<br />

Qu f est <strong>de</strong>venu lé feu <strong>de</strong> hbtitë antique audace ?<br />

Viens-combattre avec moi;- quel opprobre pour nous5<br />

Si jusque <strong>sur</strong> là flotte Hector portait ses coups ! *<br />

« Je reste ^ lui répond le vail<strong>la</strong>nt Diomè<strong>de</strong> ;<br />

Mais je tf<strong>et</strong>tible qt/a«x Dieux notre valeur ne cè<strong>de</strong>.


ao L'ILIADE.<br />

Jupiter, repoussant tes efforts <strong>et</strong> les miens ?<br />

Fixera <strong>la</strong> victoire en faveur <strong>de</strong>s Troyens. »<br />

En achevant ces mots , <strong>de</strong> sa pique acérée<br />

Au-<strong>de</strong>ssus du sein gauche il court frapper Thymbrée,<br />

Et du char avec lui Molion renversé<br />

Sous le g<strong>la</strong>ive d'Ulysse expire terrassé.<br />

Laissant ces ennemis en proie aux funérailles 9<br />

L'un <strong>et</strong> l'autre a semé l'effroi dans les batailles :<br />

Ainsi <strong>de</strong>ux sangliers <strong>sur</strong> les dogues chasseurs<br />

Fon<strong>de</strong>nt 7 réunissant leurs efforts agresseurs.<br />

Hector se ralentit, <strong>et</strong> les fils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Respirent, quelque temps sous sa main vengeresse.<br />

Mais voilà, que soudain <strong>de</strong>ux guerriers généreux<br />

Se présentent ? montés <strong>sur</strong> un char tout poudreux ;<br />

Le couple triomphant à leur course s'oppose.<br />

Leur père infortuné que vit naître Percose ^<br />

Mérops, fameux dans Fart <strong>de</strong> prédire le .sort,<br />

Tenta pour les sauver un impuissant effort ;<br />

Vers les cruels combats leur jeunesse entraînée<br />

Suivit aveuglément sa noire <strong>de</strong>stinée :<br />

Diomè<strong>de</strong> vainqueur, les frappant tour à tour,<br />

Leur arrache à <strong>la</strong> fois leurs armes <strong>et</strong> le jour}


CHANT ONZIÈME. ai<br />

Tandis qu'Ulysse immole au courroux qui l'enf<strong>la</strong>mme<br />

Le vail<strong>la</strong>nt Hypiroque <strong>et</strong> le noble Hippodame.<br />

Jupiter, <strong>sur</strong> Plda tranquillement assis,<br />

Ba<strong>la</strong>nce entre ses mains le combat indécis ,<br />

Quand Diomè<strong>de</strong> , armé <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce homici<strong>de</strong> f<br />

Renverse <strong>de</strong> Péon un enfant intrépi<strong>de</strong> ,<br />

Àgastrophus 7 qui seul 7 à pied } sans nul appui,<br />

Privé <strong>de</strong> ses coursiers r<strong>et</strong>enus'loin <strong>de</strong> lui*,<br />

Bril<strong>la</strong>it aux premiers rangs jusqu'à l'Heure fatale<br />

Qui le précipita' dans <strong>la</strong> nuit infernale.<br />

Hector voit les <strong>de</strong>ux Grecs ; il accourt : <strong>de</strong>s Troyens.<br />

Les pas dans <strong>la</strong> mêlée ont volé <strong>sur</strong> les siens.<br />

Diomè<strong>de</strong> aussitôt sent frémir son courage :<br />

« Ulysse ! contre nous vois rouler c<strong>et</strong> orage...<br />

C'est Hector :'bannissant une lâche terreur 7<br />

Restons ,-<strong>et</strong> <strong>de</strong> son ehoc soutenons <strong>la</strong> fureur. »<br />

Il dit : sa javeline atteint bientôt le faîte<br />

Du casque dont Hector couvrit sa noble tête ;<br />

Par trois <strong>la</strong>mes d'airain son airain repoussé ,<br />

Sans atteindre le front du Troyen courroucé,<br />

S'éloigne <strong>de</strong> ce casque à l'aigr<strong>et</strong>te flottante<br />

Dont Phébus lui donna' <strong>la</strong> parure éc<strong>la</strong>tante..


22 L'ILIADE.<br />

En recu<strong>la</strong>nt ? Hector , à <strong>la</strong> foule mêlé ,<br />

Sur ses tremb<strong>la</strong>ns genoux a soudain chancelé ;<br />

Sa main , sa forte main cherche à presser <strong>la</strong> terre,<br />

Et ses yeux sont chargés d'un voile funéraire.<br />

Tandis qu'à ses regards son rival se soustrait,<br />

Et du sable profond court arracher le trait 7<br />

É<strong>la</strong>ncé <strong>sur</strong> le char, Hector enfin respire}<br />

Victime dérobée au ténébreux empire.<br />

Mais, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main, son vainqueur le poursuit :<br />

« Misérable ! à cé<strong>de</strong>r te voilà donc réduit !<br />

La mort te menaçait <strong>et</strong> p<strong>la</strong>nait <strong>sur</strong> ta tête ;<br />

Apollon protecteur lui ravit sa conquête f<br />

Apollon que sans cesse invoque ton effroi ?<br />

Quand tu braves les dards siff<strong>la</strong>ns autour <strong>de</strong> toi.<br />

Si quelque dieu puissant me secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> m'anime 1<br />

Ma <strong>la</strong>nce un jour saura ressaisir sa victime ;<br />

Le Troyen me réc<strong>la</strong>me , <strong>et</strong> je gar<strong>de</strong> mes coups<br />

Pour quiconque osera défier mon courroux, »<br />

Caché près du tombeau dont l'enceinte funèbre<br />

Renferme c<strong>et</strong> Mus , héros jadis célèbre ,<br />

Paris y ce jeune époux d'Hélène aux beaux cheveux}<br />

Ban<strong>de</strong> son arc docile à ses efforts nerveux.


CHANT ONZIEME. *3 .<br />

Tandis que Diomè<strong>de</strong> , en sa barbare joie ?<br />

Entraîne Agastrophus 7 <strong>et</strong>, penché <strong>sur</strong> sa proie ,<br />

Lui ravit <strong>la</strong> cuirasse <strong>et</strong> l'épais bouclier<br />

Et le casque pesant au superbe cimier 1<br />

Par le Troyen <strong>la</strong>ncée , une flèche légère<br />

Lui frappe le pied droit <strong>et</strong> Attache à <strong>la</strong> terre.<br />

Loin <strong>de</strong> son embusca<strong>de</strong> alors le fier Paris<br />

S'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> <strong>sur</strong> sa bouche éc<strong>la</strong>te le souris :<br />

« Je t'ai blessé !... Puissé-je 1 en perçant tes entrailles ,<br />

De leur cruel fléau délivrer nos murailles !<br />

Des Troyens <strong>de</strong>vant toi le pâle bataillon<br />

Frémit comme <strong>la</strong> chèvre à l'aspect du lion. »<br />

Le Grec sans s'émouvoir répond par c<strong>et</strong>te injure :<br />

« Lâche qu'enorgueillit ta belle chevelure ,<br />

Infime séducteur <strong>et</strong> méprisable archer !<br />

Si contre moi ta haine avait osé marcher j<br />

C<strong>et</strong> arc, ces javelots 7 ces armes d'un perfi<strong>de</strong>-<br />

Ne t'auraient pas soustrait à ma rage homici<strong>de</strong>.<br />

Tu m'effleures le pied, <strong>et</strong> ton cœur triomphant<br />

S'app<strong>la</strong>udit d'un succès ou <strong>de</strong> femme ou d'enfant !...<br />

La flèche est-sans pouvoir dans une main débile.<br />

Ton bras est impuissant ? <strong>et</strong> le mien est habile.


a4 L'ILIADE.<br />

Dès que mon trait s'échappe , il <strong>la</strong>nce le trépas.<br />

L'ennemi renversé ne se relève pas ;<br />

< Son épouse en pleurant se meurtrit le visage ;<br />

Ses fils sont orphelins : son sang rougit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge 1<br />

Et Ton voit se presser autour <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>mbeaux<br />

Moins <strong>de</strong> femmes en <strong>de</strong>uil que d'avi<strong>de</strong>s corbeaux. »<br />

A ces mots , signa<strong>la</strong>nt son héroïque audace 1<br />

Le brave Ulysse accourt <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant lui se p<strong>la</strong>ce j<br />

Diomè<strong>de</strong> ? abrité par ce vivant rempart 1<br />

De son pied tout sang<strong>la</strong>nt a r<strong>et</strong>iré le dard.<br />

Vaincu par <strong>la</strong> douleur 1 il déserte l'arène,<br />

Et son rapi<strong>de</strong>,char vers <strong>la</strong> flotte l'entraîne.<br />

Par les Grecs fugitifs Ulysse abandonné<br />

Dans son cœur gémissant se dit : « Infortuné !<br />

Quel sera mon <strong>de</strong>stin ? Si je fuis , l'infamie !<br />

Si je combats , <strong>la</strong> mort dans l'armée ennemie !<br />

En ce double péril que résoudrai-je ? Hé<strong>la</strong>s !<br />

Jupiter loin <strong>de</strong> moi disperse nos soldats.<br />

Mais d'où vient que mon cœur se consulte <strong>et</strong> ba<strong>la</strong>nce?<br />

Le lâche seul s'enfuit <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce ,<br />

Tandis qu'inébran<strong>la</strong>ble aux menaces du sort,<br />

Le brave en résistant donne ou reçoit <strong>la</strong> mort. »


CHANT ONZIÈME. »5<br />

Quand son âme rou<strong>la</strong>it ces funestes pensées 1<br />

Les pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie , à grands pas é<strong>la</strong>ncées ,<br />

Entourent sa valeur , <strong>et</strong> leur cercle guerrier<br />

Enferme dans leur sein leur propre meurtrier.<br />

À <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s chasseurs lorsqu'une meute agile ,<br />

Dans l'épaisseur <strong>de</strong>s bois, à son obscur asyle<br />

Arrache un sanglier qui les menace tous,<br />

Et <strong>de</strong> ges <strong>de</strong>nts d'ivoire aiguise le courroux ,<br />

La foule , méprisant sa fureur éoumante ?<br />

A frénii <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prise <strong>et</strong> non pas d'épouvante :•<br />

Tels les guerriers Troyens , en agitant leur fer 1<br />

Assiègent ce héros chéri <strong>de</strong> Jupiter.<br />

Ulysse dans leurs rangs soudain se précipite 1<br />

Et sa <strong>la</strong>nce à Fépaule atteint Déïopite.<br />

Ennome suit Thoon dans <strong>la</strong> nuit du trépas ;<br />

Frappé près du nombril, l'ar<strong>de</strong>nt Ghersidamas 7<br />

Du faîte <strong>de</strong> son char en rou<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine 7<br />

De ses mourantes mains déchire encor l'arène.<br />

Ulyssç j abandonnant <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s vaincus ,<br />

Court immoler Gharops, quand son frère Socus ,<br />

S'é<strong>la</strong>nçant, comme un Dieu, pour braver sa furie,<br />

Debout en sa présence <strong>et</strong> s'arrête <strong>et</strong> s'écrie :


26 L'ILIADE. '<br />

« Terrible Ulysse ! ô toi qui pour notre malheur<br />

As signalé toujours ta ruse <strong>et</strong> ta valeur,<br />

Donne aujourd'hui 1Q mort aux <strong>de</strong>ux enfans d*Hippase,<br />

Ou'crains que sous ses coups ma fureur ne t'écrase. »<br />

Socus menace Ulysse , <strong>et</strong> le dard meurtrier,<br />

Traversant sa cuirasse <strong>et</strong> son grand bouclier,<br />

Vient déchirer sa penu , lorsque Minerve empêcha<br />

Que <strong>la</strong> mort dans son f<strong>la</strong>nc pénètre avec <strong>la</strong> flèche.<br />

Ulysse ras<strong>sur</strong>é s'écrie en recu<strong>la</strong>nt :<br />

« Malheureux ! <strong>sur</strong> ton front p<strong>la</strong>ne un trépassang<strong>la</strong>nt..<br />

Ton bras a vaipement suspendu le ravage<br />

Que dans les rangs troyens exerçait mon courage ;<br />

Je le déc<strong>la</strong>re ici : frappé du coup certain<br />

Qui termine en ce jour ton funeste <strong>de</strong>stin f<br />

Tu vas enfin cé<strong>de</strong>r 1 <strong>sur</strong> les rivages sombres 1<br />

La victoire à mon fer ? Ion âme au roi <strong>de</strong>s. ombres. »<br />

Socus épouvanté se r<strong>et</strong>ourne f. <strong>et</strong> bientôt<br />

Le Grec dans son épaule enfonce un javelot,<br />

Dont ses regards .ont vu <strong>la</strong> pointe meurtrière<br />

Par le. sein déchiré ressortir tout entière.<br />

H tombe avec fracas ; Ulysse triomphant<br />

L'insulte :. « Eh bien ! d'Hippase ô belliqueux enfant J


CHANT ONZIEME. vj.<br />

Tu croyais m'éohapper ; ar<strong>de</strong>nte k ta poursuite 1<br />

La mort, <strong>la</strong> prompte mort te saisit dans ta fuite.<br />

Ton père ni ta mère } au jour <strong>de</strong> top trépas ,<br />

Pour te fermer les yeux ici ne viendront pas ,<br />

Et les cruels vautours, te frappant <strong>de</strong> leurs ailes , -<br />

S'apprêtent à ronger tes dépouilles mortelles. •<br />

Pour moi, quand <strong>de</strong> mes jours s'éteindra le f<strong>la</strong>mbeau,<br />

Les Grecs m'accor<strong>de</strong>ront lep donneurs du tombeau. »<br />

Il dit <strong>et</strong> <strong>de</strong> son corps avec douleur r<strong>et</strong>ire<br />

La <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Socus dont l'airain le déchire ;<br />

Tout à coup à longs flots un sang noir a jailli.<br />

D'un cercle <strong>de</strong> Troyens il se trouve assailli ?<br />

Et sans leur opposer sa vaine résistance ,<br />

De tous ses compagnons réc<strong>la</strong>me l'assistance.<br />

Autant que d ? un mortel peut r<strong>et</strong>entir <strong>la</strong> voix,<br />

Autant dans sa r<strong>et</strong>raite il a crié trois fois.<br />

Méné<strong>la</strong>s près <strong>de</strong> lui voit Ajax dans <strong>la</strong> lice :<br />

« 0 fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon ! j'entends le brave Ulysse.<br />

Accablé par le nombre, <strong>et</strong> privé <strong>de</strong> soutien,<br />

Peut-être il périrait sous le g<strong>la</strong>ive troyen...<br />

Secourons-le : quel <strong>de</strong>uil,- si du fils <strong>de</strong> Laërte'<br />

Les Argïens pleuraient l'irréparable perte ! »


28 L'ILIADE.<br />

Vers Ulysse, à ces mots, en suivant Méné<strong>la</strong>s,<br />

Âjax , égal aux Dieux, précipite ses pas.<br />

Le cerf aux pieds légers, à <strong>la</strong> haute ramure ,<br />

Atteint par le chasseur d'une adroite bles<strong>sur</strong>e ,<br />

De sa fuite incertaine égare au loin l'essor,<br />

Tant que le sang s'échappe <strong>et</strong> coule tiè<strong>de</strong> encor ;<br />

Mais, quand <strong>sur</strong> ses genoux sa faiblesse chancelle,<br />

Il s'arrête, vaincu par <strong>la</strong> flèche mortelle,<br />

Et, dans les bois profonds, <strong>de</strong> cruels loups-cerviers<br />

Unissent contre lui leurs efforts meurtriers,<br />

Lorsqu'un fougueux lion, que le hasard envoie,<br />

Terrible , les disperse <strong>et</strong> dévore leur proie :<br />

Tels, nombreux <strong>et</strong> vaiUans, les Troyens amassés<br />

Portent vers le héros leurs bataillons pressés ;<br />

Mais, agitant sa <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> fort <strong>de</strong> son audace,<br />

Ulysse <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort repousse <strong>la</strong> menace :<br />

Armé du bouclier <strong>la</strong>rge comme une tour,<br />

Ajax accourt vers lui ; les Troyens à leur tour<br />

Reculent; <strong>et</strong>, guidant sa démarche incertaine,<br />

Méné<strong>la</strong>s vers son char loin <strong>de</strong>s combats l'entraîne.<br />

Fils <strong>de</strong> Priam, issu d'un amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,<br />

Doryclus sous Ajax voit finir son <strong>de</strong>stin,


CHANT ONZIÈME. »g<br />

Et dans <strong>la</strong> sombre nuit Ajax a fait <strong>de</strong>scendre<br />

Pjrase <strong>et</strong> Pandocus, Py<strong>la</strong>rte avec Lysandre.<br />

Enivre <strong>de</strong> carnage, il triomphe -, <strong>et</strong> son bras<br />

Sur les coursiers mourans ^orge-les soldats :<br />

Tel un fleuve à pleins bords envahit les campagnes,<br />

Déracine le chêne <strong>et</strong> le pin <strong>de</strong>s montagnes 7<br />

Les emporte7 <strong>et</strong>, grossi <strong>de</strong>s eaux <strong>de</strong> Jupiter,<br />

Roule un épais limon dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> mer.<br />

Hector, à l'aile gauche, illustrant son courage 5<br />

N'est pas encore instruit <strong>de</strong> ce vaste carnage ;<br />

Le Scamandre le voit^ ensang<strong>la</strong>ntant ses bords,<br />

Plonger <strong>de</strong>s Grecs vail<strong>la</strong>ns dans l'empire <strong>de</strong>s morts.<br />

Autour du grand Nestor, du fier Idoménée,<br />

La fureur <strong>de</strong>s combats 'éc<strong>la</strong>te déchaînée}<br />

Et 7 sa <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main, Hector' sous ses chevaux<br />

Des plus jeunes guerriers écrase les <strong>la</strong>mbeaux.<br />

Jamais les Grecs vainqueurs n'eussent quitté <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />

Si Paris f c<strong>et</strong> 'époux <strong>de</strong> <strong>la</strong> superbe Hélène,<br />

Arrêtant Machaon, au dos <strong>de</strong> ce guerrier<br />

D'une flèche à trois dards n'eût 'dirigé l'acier.<br />

A c<strong>et</strong> aspect, les'Grecs? malgré tout leur courage,<br />

Tremblent que l'ennemi, reprenant l'avantage,


3o « L'ILIADE.<br />

N'immole Machaon à sa prompte fureur,<br />

Et leurs cœurs généreux ont connu <strong>la</strong> terrjeur.<br />

Le prinœ <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète au vieux Nestor s'adresse 2 .<br />

« Nestor, fflb <strong>de</strong> Nélée, ô gloire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce I<br />

Hâte-toi} que ton char ren<strong>de</strong> à nos pavillons<br />

Ce mortel3 qui vaut seul <strong>de</strong> nombreux bataillons^<br />

Ce Machaon 7 dont fart aux bles<strong>sur</strong>es cuisantes<br />

Verse les sucs heureux <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes bienfaisantes. »<br />

A peine le monarque a terminé ces mots?<br />

Le char léger reçoit le vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> Pylos,<br />

Et les coursiers f soumis à sa main qui les frappe 1<br />

Ont emporté l'enfant du divin Escu<strong>la</strong>pe ;<br />

De p<strong>la</strong>isir <strong>et</strong> d'orgueil tous <strong>de</strong>ux étince<strong>la</strong>ns<br />

Dirigent vers <strong>la</strong> mer leurs rapi<strong>de</strong>s é<strong>la</strong>ns.<br />

Impatient témoin d'une affreuse déroute 1<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son char} qui poursuivait sa route 7<br />

Le compagnon d'Hector f le noble Cébrion<br />

Voyait partout s'enfuir les guerriers d'IHon :<br />

« Hector! tandis qu'ici.notre main vengeresse f<br />

Loin du centre, combat les enfkns <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ,<br />

Ne vois-tu pas aileurs les Troyens éperdus,<br />

Ecuyero, fantassin^ expirer confondus?


CHAUT ONZIÈME. 3i<br />

Je reconnais Ajax, qui <strong>sur</strong> son dos présente<br />

Son <strong>la</strong>rge bouclier à <strong>la</strong> masse pesante.<br />

C'est là qu'il faut voler; les cris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fureur<br />

D\m mutuel carnage ont révélé l'horreur* »<br />

Les coursiers aux beaux crins, frappe's du fou<strong>et</strong> sonore,<br />

S'é<strong>la</strong>ncent dans-les rangs plus rapi<strong>de</strong>s encore;<br />

Le char foule en passant les héros immolés,<br />

Les boucliers rompus, les dards amoncelés,<br />

Et, sous les pieds ar<strong>de</strong>ns <strong>de</strong>s chevaux qui bondissent,<br />

Sur <strong>la</strong> roue <strong>et</strong> l'essieu <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> sang jailissent.<br />

Hector, impatient d*un belliqueux transport^<br />

J<strong>et</strong>te parmi les Grecs <strong>la</strong> terreur <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort;<br />

Si contre l'ennemi tour à tour il ba<strong>la</strong>nce<br />

Ou d'énormes rochers, ou son g<strong>la</strong>ive ou sa <strong>la</strong>nce,<br />

Sauvé par-Jupiter d f un combat inégal,<br />

Il n 1 ose dans Ajax affronter un rivale<br />

Le père <strong>de</strong>s mortels, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son trône,<br />

Au cœur d ? Ajax inspire un effroi qui Pétonne;<br />

Le bouclier, tissu du cuir <strong>de</strong> sept taureaux,<br />

Charge <strong>de</strong> tout son poids l'épaule du héros,<br />

Qui, les yeux égarés, en r<strong>et</strong>ournant <strong>la</strong> tête,<br />

Fait un pas, puis un autre, <strong>et</strong> quelquefois s*arréte.


3â L'ILIADE.<br />

Dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> nuit, si <strong>de</strong> nombreux chasseurs,<br />

D'un bercail menacé vigi<strong>la</strong>ns défenseurs,<br />

Lancent contre un lion <strong>et</strong> leurs flèches siff<strong>la</strong>ntes<br />

Et les fumans débris <strong>de</strong> leurs torches brû<strong>la</strong>ntes,<br />

Le monstre épouvanté, mais altéré <strong>de</strong> sang,<br />

En vain <strong>sur</strong> le troupeau se j<strong>et</strong>te en rugissant,<br />

Et quand F aurore a lui, frustré <strong>de</strong> son carnage,<br />

D, s'échappe, emportant sa douleur <strong>et</strong> sa rage :<br />

Ainsi recule Ajax par le nombre accablé ;<br />

Pour <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs sa pru<strong>de</strong>nce a tremblé.<br />

Lorsqu'un âne obstiné dans sa marche tranquille<br />

Bavage les épis d'une moisson fertile,<br />

Une troupe d'enfans en criant'l'investit,<br />

Et le bâton brisé <strong>sur</strong> ses f<strong>la</strong>ncs r<strong>et</strong>entit ;<br />

Mais <strong>de</strong> leurs coups fréquens il méprise l'insulte,<br />

Résiste, <strong>et</strong>, toujours calme au milieu du tumulte,<br />

Se r<strong>et</strong>ire à pas lents, quand ces vastes guér<strong>et</strong>s<br />

De sa faim dévorante ont émoussé les traits :<br />

Ainsi les alliés <strong>et</strong> les peuples <strong>de</strong> Troie<br />

Poursuivent ce-héros sans atteindre leur proie j<br />

Un déluge siff<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> pierres <strong>et</strong> <strong>de</strong> dards<br />

Sur son grand bouclier tombe <strong>de</strong> toutes parts.


. . CHANT ONZIÈME. 33<br />

Tantôt, se rappe<strong>la</strong>nt sa belliqueuse audace,<br />

Il se r<strong>et</strong>ourne f <strong>et</strong> court affronter leur menace ;<br />

Tantôt il fuit encor, mais le fer dans ses mains *<br />

De <strong>la</strong> flotte aux vainqueurs ferme tous les chemins.<br />

Invincible, <strong>de</strong>bout entre <strong>la</strong> double armée,<br />

Seule il brave <strong>la</strong> foule à sa perte animée';<br />

Contre son bouclier les javelots poussés<br />

Sur le soli<strong>de</strong> airain expirent émoussés,<br />

Ou, sans toucher son corps que cherchait leur colère,<br />

Gourent en frémissant se plonger dans <strong>la</strong> terre. .<br />

Eurypyle, ce fils <strong>de</strong> l'illustre Evémon,<br />

Contemp<strong>la</strong>nt ses dangers, p<strong>la</strong>ignant son. abandon,<br />

A ses côtés se p<strong>la</strong>ce, <strong>et</strong> d'une main vail<strong>la</strong>nte<br />

Rapi<strong>de</strong>ment décoche une flèche bril<strong>la</strong>nte,<br />

Qui blesse Apisaon, issu <strong>de</strong> Phausias,<br />

Et, brisant ses genoux, lui donne le trépas.<br />

Le Grec dépouille encor Fennemi qu'il immole,<br />

Lorsque le beau Paris tend son arc : un trait vole,<br />

Atteint <strong>la</strong> cuisse droite, <strong>et</strong> le roseau cassé<br />

Laisse un <strong>de</strong> ses débris dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie enfoncé.<br />

Eurypyle, cédant au mal qui le déchire,<br />

Pour éviter <strong>la</strong> mort, dans les rangs se r<strong>et</strong>ire,<br />

a. 3


34 L'ILIADE.<br />

Et là , d'une voix- forte, il s'écrie : « Arrêtez !<br />

Amis, ô vous <strong>de</strong>s Grecs rois <strong>et</strong> chefs redoutés!<br />

Repoussez loin d'Ajax, frappé <strong>de</strong> traits sans nombre.<br />

L'heure qui dans l'enfer verra plonger son ombre.<br />

Je frémis pour ses jours... <strong>de</strong>meures près <strong>de</strong> lui ;<br />

Le fils <strong>de</strong> Tâamon réc<strong>la</strong>me votre appui. »<br />

Ainsi parle Eurypyle, <strong>et</strong> les Grecs se rallient;<br />

Soudain autour d'Ajax leurs rangs se multiplient;<br />

Tous, <strong>la</strong> pique en arrêt, le bouclier baissé,<br />

Accueillent dans leur sein ce héros empressé,<br />

Qui, d'un nouveau courage aiguillonnant leur âme,<br />

Les voit tous s'é<strong>la</strong>ncer, ar<strong>de</strong>ns comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme.<br />

L'atte<strong>la</strong>ge écumant, dans son agile essor,<br />

Ramenait aui vaisseaux Machaon <strong>et</strong> Nestor,<br />

Tandis que seul, <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> son <strong>la</strong>rge navire,<br />

Achille a vu les Grecs <strong>de</strong>scendre au sombre empire ;<br />

Immobile témoin <strong>de</strong> ces sang<strong>la</strong>ns hasards,<br />

Il appelle Patrocle; <strong>et</strong>, semb<strong>la</strong>ble au Dieu Mars,<br />

Patrocle accourt du fond <strong>de</strong> sa tente déserte...<br />

Hélâs ! ce premier pas le conduit à sa perte.<br />

Il commence en ces mots : « AchiEe ! auprès <strong>de</strong> toi •<br />

Pourquoi m'appelles-tu? qu'exiges-tu <strong>de</strong> moi ?»


CHANT ONZIÈME. 35<br />

Achille aux pieds légers répond : « Ami fidèle !<br />

Fils <strong>de</strong> Ménétius ! j'ai besoin <strong>de</strong> ton zèle.<br />

Les Grecs cè<strong>de</strong>nt enfin , <strong>et</strong> je les verrai tous<br />

D'une main Suppliante embrasser mes genoux.'<br />

Cours auprès <strong>de</strong> Nestor; parle-lui : qu'il t'apprenne<br />

Quel héros dans le camp son amitié ramène ;<br />

C'est le fils d'Escu<strong>la</strong>pe, ou mes yeux m'ont séduit,<br />

Tant le char <strong>de</strong>vant moi rapi<strong>de</strong>ment s'enfuit ! %<br />

Patrocle, impatient d'accomplir son message,<br />

Yole aux vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs <strong>et</strong> parcourt le rivage.<br />

Lorsqu'avec Machaon dans sa tente rendu ,<br />

Sur le fécond terrain Nestor est <strong>de</strong>scendu,<br />

Soudain Eurymédon, son écuyer docile,<br />

Entraîne les coursiers loin du char immobile ;<br />

Les héros fatigués sèchent leurs vétemens ,<br />

Humi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> carnage, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sueur fumans,<br />

Et, s'arrétant aux bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer frémissante<br />

Respirent d'un vent frais l'haleine caressante;<br />

Dans le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente ils reviennent tous <strong>de</strong>ux<br />

Et reposent assis <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s sièges moelleux.<br />

Hécamè<strong>de</strong>, à leur voix, <strong>la</strong> coupe en main arrive.<br />

Fille d'Arsinoûs, c<strong>et</strong>te jeune captive,<br />

"3.


36 L'ILIADE.<br />

Belle <strong>de</strong>s longs cheveux qui flottent <strong>sur</strong> son dos T<br />

Quand Achille à ses lois eut soumis Ténédos,<br />

Par le commun avis <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Échut au vieux Nestor pour prix <strong>de</strong> sa sagesse.<br />

La table, que polit un zèle industrieux ?<br />

Sur ses trois pieds d'azur se dresse, <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant eux-<br />

Dans un bassin d'airain Hécamè<strong>de</strong> présente<br />

Du miel <strong>et</strong> du froment <strong>la</strong> richesse récente.<br />

Ses soins officieux leur apportent encor<br />

La coupe à double fond, où huit colombes d'or,<br />

Sur une anse quadruple avec art façonnée,<br />

Ten<strong>de</strong>nt vers le breuvage une tête inclinée ;<br />

Quand le vin à longs flots <strong>la</strong> remplit jusqu'aux bords?<br />

Le bras seul du vieil<strong>la</strong>rd l'enlève'sans efforts.<br />

Soudain <strong>la</strong> belle esc<strong>la</strong>ve à <strong>la</strong> coupe bril<strong>la</strong>nte<br />

Prodigue <strong>de</strong> Pramné <strong>la</strong> liqueur pétil<strong>la</strong>nte , •<br />

Et <strong>sur</strong> <strong>la</strong> b<strong>la</strong>nche fleur d'un froment généreux<br />

Sème d'un <strong>la</strong>it durci- le mé<strong>la</strong>nge poudreux*<br />

Lorsque ce doux breuvage, offert par Hécamè<strong>de</strong>,<br />

A sou<strong>la</strong>gé <strong>la</strong> soif dont l'ar<strong>de</strong>ur les possè<strong>de</strong>,<br />

Tous les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s prolongent les p<strong>la</strong>isirs,<br />

Et par mille discours amusent leurs loisirs.


CHANT ONZIÈME. 3y<br />

Jusqu'au seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente où Patrocle se. montre,<br />

Nestor ? en se levant, s'avance à sa rencontre 1<br />

Prend sa main, l'introduit, <strong>et</strong> l'engage à s^asseoir.<br />

Mais Patrocle : « 0 vieil<strong>la</strong>rd ! j'accomplis un <strong>de</strong>voir.<br />

Un héros ! qu'à <strong>la</strong> fois je crains <strong>et</strong> je révère,<br />

Te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-quel chef tu ravis à <strong>la</strong> guerre...<br />

C'est lui j c'est Machaon ; je ne m'abuse pas...<br />

Vers Achille aussitôt je r<strong>et</strong>ourne à grands pas :<br />

Tu sais , divin Nestor} qu'en sa colère extrême 1<br />

Ses soupçons pèseraient <strong>sur</strong> l'innocent lui-même. »<br />

« Pourquoi, répond Nestor, dans son inimitié,<br />

Achille est-il sensible au cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié ?<br />

Il ignore quels maux <strong>sur</strong> toute notre armée<br />

Appesantit du sort <strong>la</strong> haine envenimée.<br />

Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce blessés, nos chefs les plus vail<strong>la</strong>ns,<br />

An fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux reposent tout sang<strong>la</strong>ns ;<br />

Diomè<strong>de</strong>f Eurypylcj Agamemnon^ Ulysse,<br />

Frappés <strong>de</strong> traits aigus, ont déserté <strong>la</strong> lice,<br />

Et du champ <strong>de</strong>s combats Machaon r<strong>et</strong>iré,<br />

Par le fer <strong>de</strong> Paris lui-même est déchiré.<br />

Achille furieux j désarmant son courage ,<br />

Sans p<strong>la</strong>indre les vaincus 1 contemple leur carnage.


38 L'ILIADE.<br />

Attend-il que les Grecs succombent écrases<br />

Sous les débris épars <strong>de</strong>s vaisseaux embrasés ?<br />

Mes membres ont perdu leur agile souplesse.<br />

Dieux! que ne suis-je encore aux jours <strong>de</strong> ma jeunesse,<br />

Lorsqu f excité par moi, le peuple <strong>de</strong> Pylos<br />

Des enfans <strong>de</strong> l'Eli<strong>de</strong> enleva les troupeaux !<br />

Fils d'Hypïroque 7 alors le brave Itymonée<br />

Vit par ce bras vengeur sa valeur moissonnée f<br />

Et 1 tombé sous les coups <strong>de</strong> mon dard meurtrier,<br />

Devant ses compagnons expira le premier.<br />

L'ennemi regagna ses tentes pastorales.<br />

Pour prix d'un tel succès , cent cinquante cavales .<br />

Qui j dressant leurs crins d'or, voyaient à leur côté .<br />

Bondir leurs nourrissons rayonnans <strong>de</strong> beauté ?<br />

Cinquante essaims <strong>de</strong> porcs <strong>et</strong> <strong>de</strong> chèvres sauvages,<br />

Tous les taureaux paissant dans les verts pâturages,<br />

Composaient le butin, durant <strong>la</strong> sombre nuit 7<br />

Par nos soins vigi<strong>la</strong>ns dans Pylos introduit.<br />

Nelée, en admirant c<strong>et</strong>te superbe proie 7<br />

Tressaillit dans son cœur <strong>et</strong> d'orgueil <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie,<br />

Puisque 7 bien jeune encor 7 parti pour les combats,<br />

D'un butin glorieux j'avais chargé mon bras,


CHANT ONZIEME. 39<br />

Quand Pylos, au r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>la</strong> prochaine aurore,<br />

Entendit <strong>de</strong>s hérauts frémir <strong>la</strong> voix sonore f '<br />

Les princes <strong>et</strong> les chefs ? venus <strong>de</strong> toute part,<br />

De ces trésors conquis réc<strong>la</strong>mèrent leur part.<br />

Plus d'un acte insolent 7 plus d'un proj<strong>et</strong> perfi<strong>de</strong><br />

Signa<strong>la</strong> contre nous <strong>la</strong> haine <strong>de</strong> FEli<strong>de</strong> ,<br />

Depuis que , déso<strong>la</strong>nt nos malheureux états,<br />

Alcï<strong>de</strong> avait tué nos plus braves soldats.<br />

Moi seul j <strong>de</strong>s douze enfans du vertueux Nélée f<br />

Je <strong>sur</strong>vécus ; par moi sa douleur consolée<br />

Se réserva, parmi les troupeaux étrangers,<br />

Trois cents jeunes brebis que guidaient leurs bergers.<br />

Jamais ressentiment ne fut plus légitime ;<br />

Car il vengeaitTaflront dont il gémit victime.<br />

Quatre <strong>de</strong> ses coursiers, dans <strong>la</strong> divine Élis ?<br />

Du trépied solennel avaient brigué le prix ;<br />

Âugéas les r<strong>et</strong>int, <strong>et</strong> pour <strong>de</strong>rnier outrage<br />

Benvoya Fécuyer pleurant son atte<strong>la</strong>ge.<br />

Nélée , encor blessé <strong>de</strong> ce vol insolent ,<br />

Conserva pour sa part un butin opulent ;<br />

Le reste , divisé par un égal partage ?<br />

En conso<strong>la</strong>nt le peuple, honora son courage..


4o L'ILIADE. '<br />

Mais, le troisième jourf lorsqu'aux autels <strong>de</strong>s Dieux<br />

Notre respect offrait les dons religieux,<br />

En foule <strong>sur</strong> leurs chars les Eléens parurent ,<br />

Et les <strong>de</strong>ux Molions à leur tête accoururent ;<br />

Tous <strong>de</strong>ux 5 encore enfans 7 novices aux combats,<br />

Pour <strong>la</strong> première fois armaient leurs jeunes bras.<br />

Elevée au somm<strong>et</strong> d'une haute colline ,<br />

Une antique cité, Thryoesse domine<br />

Les rives que PAJphée arrose <strong>de</strong> ses flots<br />

Et les champs sablonneux <strong>de</strong> l'ari<strong>de</strong> Pylos.<br />

Nos ennemis, jaloux <strong>de</strong> <strong>la</strong> réduire en cendre ,<br />

Vers ses tremb<strong>la</strong>ns remparts s'empressent <strong>de</strong> se rendre ;<br />

Ils traversent <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à pas silencieux ;<br />

Mais, dans l'ombre <strong>de</strong>s nuits, Pal<strong>la</strong>s du haut <strong>de</strong>s .eîeux<br />

Descend ; les Pyliens qu'elle éveille <strong>et</strong> rassemble,<br />

Sont prêts à triompher comme à périr ensemble.<br />

Tout marche : cependant Nélée à mes regards<br />

A soustrait mon armure <strong>et</strong> dérobé mes chars ;<br />

Il ne vit pas encore un noble apprentissage<br />

Aux travaux belliqueux façonner mon jeune âge... .<br />

Vain obstacle! je pars ; <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt fantassin,<br />

Des nombreux cavaliers je r<strong>et</strong>rouve l'essaim ;


CHANT ONZIÈME. 4<<br />

ISous les yeux <strong>de</strong> PaUas dont <strong>la</strong> faveur m'entoure,<br />

Parmi tous nos héros illustrant ma bravoure ?<br />

Je vole près d-Arène, <strong>et</strong> <strong>sur</strong> le bord <strong>de</strong>s mers<br />

Dont le pur M inyas grossit les flots amers ;<br />

A l'heure où le soleil sous <strong>la</strong> céleste voûte<br />

A parcouru déjà <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> sa route ?<br />

Ensemble confondus , nos divers bataillons -<br />

Des rives <strong>de</strong> FAlphée inon<strong>de</strong>nt les sillons ?<br />

Et dans ces Meuxf témoins d'un pompeux sacrifice 7<br />

De superbes taureaux , une b<strong>la</strong>nche génisse 7<br />

Frappés <strong>sur</strong> les autels, honorent Jupiter 1<br />

PaUas j le fleuve Alphée f <strong>et</strong> le Eoi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer.<br />

Là j le repas du soir nous prodigue ses charmes ;<br />

Chaque soldat s f endort chargé du poids <strong>de</strong>s armes.<br />

Aux yeux <strong>de</strong>s Éléens les rayons du soleil<br />

Ont découvert <strong>de</strong> Mars le terrible appareil ?<br />

Quand déjà <strong>la</strong> cité, promise aux funérailles ,<br />

Voyait leurs bataillons menacer ses murailles.<br />

Implorant à <strong>la</strong> fois Jupiter <strong>et</strong> PaUas,<br />

Aux premiers feux du jourf nos valeureux soldats<br />

Volent à leur rencontre f <strong>et</strong> Pylûs <strong>et</strong> FÉli<strong>de</strong><br />

Allument les f<strong>la</strong>mbeaux d'une guerre homici<strong>de</strong>.


4« • L'ILIADE.<br />

Le premier f Mulius sous mes eoups meurtriers<br />

Succombe , <strong>et</strong> je saisis ses vigoureux coursiers.<br />

Instruite à distinguer <strong>la</strong> vertu salutaire<br />

Des végétaux nourris dans les f<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre , .<br />

La fille aux blonds cheveux du monarque Âugéas ,<br />

Agamè<strong>de</strong> à son sort vivait unie.. f Hé<strong>la</strong>s !<br />

Son époux tombe <strong>et</strong> meurt ; <strong>sur</strong> le char je m'é<strong>la</strong>nce,<br />

Et cours aux premiers rangs déployer ma vail<strong>la</strong>nce.<br />

Tandis qu'au seul aspect <strong>de</strong> son chef renversé f<br />

L'ennemi s'épouvante <strong>et</strong> s'enfuit dispersé,<br />

Je le poursuis , semb<strong>la</strong>ble à <strong>la</strong> noire tempête :<br />

Cinquante chars bril<strong>la</strong>ris <strong>de</strong>meurent ma conquête- ;<br />

Sur chacun <strong>de</strong> ces chars <strong>de</strong>ux Éléens montés<br />

Mor<strong>de</strong>nt le sol poudreux, par ma <strong>la</strong>nce domptés.<br />

Les jeunes Molions^ faibles enfans d'Actore,<br />

Sous mon courroux vainqueur al<strong>la</strong>ient tomber encore,<br />

Si Neptune à l'essor <strong>de</strong> mes rapi<strong>de</strong>s traits<br />

Dans un nuage obscur ne les eût pas soustraits.<br />

Alors , nous couronnant d'une immortelle gloire ><br />

Jupiter à Pylos accorda <strong>la</strong> victoire ;<br />

Nos bataillons, fou<strong>la</strong>nt les soldats égorgés,<br />

Marchaient, <strong>de</strong> sang couverts <strong>et</strong> <strong>de</strong> butin chargés ;


CHANT ONZIÈME. 43<br />

¥ers Buprase, non loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> roche. d'Olène,<br />

Misée 7 aux confins <strong>de</strong> son immense p<strong>la</strong>ine,<br />

Vit Pal<strong>la</strong>s arrêter notre fougueux courroux j<br />

Et le <strong>de</strong>rnier fuyard expirer sous mes coups.<br />

Dans les murs <strong>de</strong> Pylos tous ces Grecs intrépi<strong>de</strong>s<br />

Eentrèrent , emportés par leurs coursiers rapi<strong>de</strong>s f<br />

Et le peuple honora dans ses chants glorieux<br />

Nestor chez les mortels, Jupiter chez les Dieux.<br />

Tel je bril<strong>la</strong>is jadis, <strong>et</strong> l'inflexible Achille<br />

Jouira toujours seul d'un courage inutile !<br />

Ah ! combien nos soldats, quand ils ne vivront plus,<br />

Lui coûteront <strong>de</strong> pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleurs superflus !<br />

Ami ! rappèle-toi ce jour où ton vieux père<br />

T'envoya près d'Atri<strong>de</strong> aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre :<br />

J'entendis ses conseils, lorsqu'Ulysse avec moi<br />

Accouru vers Pelée, aux pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> ce roi<br />

Venait pour rassembler une troupe hardie<br />

Des peuples qu'enfanta <strong>la</strong> fertile Achaïe : .<br />

Pour <strong>la</strong> première fois c'est là que je te vis.<br />

Près <strong>de</strong> Ménétius <strong>et</strong> du fils <strong>de</strong> Thétis.<br />

Dans l'enceinte.<strong>de</strong>s cours j d'une grasse génisse<br />

Pelée à Jupiter vouant le sacrifice,


44 L'ILIADE.<br />

Avec sa coupe d'or, <strong>de</strong>s prémices du vin<br />

Arrosait à flots noirs l'holocauste divin.<br />

Vous dressiez du banqu<strong>et</strong> l'appareil pacifique,<br />

Lorsqu'arrétés <strong>de</strong>bout sous le riche portique<br />

Nous paraissons... Soudain AchiEe à notre aspect<br />

Se lève, à ses côtés -nous p<strong>la</strong>ce avec respect,<br />

Et nous offire les m<strong>et</strong>s dont 7 par un noble usage f<br />

Un hôte aux étrangers doit cé<strong>de</strong>r le partage.<br />

Noire faim apaisée, en vos cœurs valeureux<br />

J'allume <strong>de</strong>s combats le désir généreux ;<br />

Vous brûles <strong>de</strong> nous suivre, <strong>et</strong> <strong>la</strong> voix paternelle<br />

Ajoute à nos conseils plus d'un avis fidèle.<br />

Pelée exhorte Achille à vaincre ses rivaux<br />

Par l'immortel éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses hardis travaux ;<br />

Ménétius te dit : Si par droit <strong>de</strong> naissance<br />

Achille 1 ô mon enfant ! te <strong>sur</strong>passe en puissance,<br />

Tu dois f moins courageux , mais plus âgé que lui,<br />

De tes pru<strong>de</strong>ns discours lui prodiguer l'appui.<br />

Patrocle I oublieras-tu les ordres <strong>de</strong> ton père ?<br />

Eevole à ton ami ; si quelque dieu t'éc<strong>la</strong>ire ,<br />

Tu fléchiras peut-être un fier ressentiment...<br />

Le conseil d'un ami persua<strong>de</strong> aisément.


CHANT ONZIÈME. 45<br />

Si Thétis, à ses vœux opposant un obstacle ,<br />

Du puissant Jupiter lui révé<strong>la</strong> l'oracle ,<br />

Que <strong>la</strong> Grèce du moins puisse encore entrevoir<br />

A travers ses malheurs un doux rayon d'espoir ;<br />

Qu'il te <strong>la</strong>isse, chargé <strong>de</strong> sa bril<strong>la</strong>nte armure ,<br />

Dans le sang <strong>de</strong>s Troyens effacer notre injure.<br />

Les Troyens abusés croiront fuir ce héros ,<br />

Et les Grecs jouiront d'un instant <strong>de</strong> repos.<br />

Oui, loin <strong>de</strong> nos vaisseaux que le péril menace,<br />

Tes robustes soldats, r<strong>et</strong>rouvant leur audace,<br />

Jusqu'au fond <strong>de</strong> ses mure, par un.triomphe aisé,<br />

Repousseront bientôt le Troyen épuisé. »<br />

H a dit, <strong>et</strong> Patrocle, ému <strong>de</strong> son <strong>la</strong>ngage,<br />

Pour rejoindre un ami, s'é<strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge.<br />

Aux lieux même où, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant les saints autels,<br />

Les juges proc<strong>la</strong>maient leurs arrêts solennels,<br />

Près <strong>de</strong>s vaisseaux d'Ulysse il s'arrête immobile,<br />

Quand le fils d'Evémon, le vail<strong>la</strong>nt Eurypyle,<br />

Percé d'un trait cruel, d'un sang noir dégouttant,<br />

Loin du champ <strong>de</strong>s combats se traînait en boitant.<br />

Une épaisse sueur <strong>de</strong> tout son corps ruisselle,<br />

Maïs son âme résiste'à sa douleur mortelle.


46 L'ILIADE.<br />

Dès que Patrocle a YU ce guerrier généreux ?<br />

H le p<strong>la</strong>int ? il s'écrie : « O princes malheureux !<br />

Loin du sol paternel 9 sous les remparts <strong>de</strong> Troie $<br />

Aux dogues affamés servirez-vous <strong>de</strong> proie?<br />

Les Grecs j brave Eurypyle ! espèrent-ils encor<br />

Échapper au courroux <strong>de</strong> ce terrible Hector? »<br />

« O Patrocle ! répond le pru<strong>de</strong>nt Eurypyle f<br />

Les Grecs n'ont plus d'espoir, les Grecs n'ont plus'd'asyle ,<br />

Et tandis que nos chefs 9 blessés <strong>et</strong> gémissans?<br />

Au fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux reposent <strong>la</strong>nguissans,<br />

Le Troyen qui combat, impatient <strong>de</strong> gloire,<br />

Poursuit avec ar<strong>de</strong>ur sa sang<strong>la</strong>nte victoire.<br />

Gui<strong>de</strong>-moi vers <strong>la</strong> flotte, <strong>et</strong> f d'un bras empressé ,<br />

Viens r<strong>et</strong>irer le fer dans ma cuisse <strong>la</strong>issé ;<br />

Etanche avec les flots d'une on<strong>de</strong> tiè<strong>de</strong> <strong>et</strong> pure<br />

Le sang noir qui jaillit <strong>de</strong> ma <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e,<br />

Et répands <strong>sur</strong>'ma chair ce baume bienfaisant<br />

Dont Achille en tes mains déposa le présent ?<br />

Achille, à qui jadis <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes salutaires<br />

Le centaure Ghiron révé<strong>la</strong> les mystères.<br />

Machaon, que menace un semb<strong>la</strong>ble danger,<br />

A lui-même besoin-d'un secours étranger,


CHANT ONZIEME. 47<br />

Et l'ar<strong>de</strong>nt Podalïre, au mfliea <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine , "<br />

Soutient le choc fougueux <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur troyenne. »<br />

Patrocle a §oupïré : « Prévois-tu notre sort?<br />

Que résoudre? Gomment échapper à <strong>la</strong> mort?<br />

Je courais vers Achille accomplir le message<br />

Bont m'a chargé Nestor f ce vieil<strong>la</strong>rd juste <strong>et</strong> sage ;<br />

Mais je vois ta douleur ; je ne te quitte pas. »<br />

Jusqu'au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente il l'emporte en ses bras ,<br />

Et les peaux que déroule un serviteur docile 9<br />

De leurs replis moelleux entourent Eurypyle.<br />

Morsf armé d'un g<strong>la</strong>ive, à sa sang<strong>la</strong>nte chair<br />

De <strong>la</strong> flèche homici<strong>de</strong> il arrache le fer.<br />

' La racine broyée au mal qui le consume<br />

De ses sucs bienfaïsans prodigue l'amertume ;<br />

L'on<strong>de</strong> tiè<strong>de</strong> a coulé <strong>sur</strong> son membre meurtri ;<br />

La bles<strong>sur</strong>e se ferme j <strong>et</strong> le sang est tari.<br />

FIN DU ONZIEME CHAUT.


CHANT DOUZIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT DOUZIEME.<br />

Les Troyens, divisés en cinq bataillons, attaquent le r<strong>et</strong>ranchement<br />

<strong>de</strong>s Grecs. — Apparitioe d'an aigle. — Terreur <strong>de</strong> Polydamas. —<br />

Reproches d'Hector. — Sarpedon excite G<strong>la</strong>ucas à combattre. —<br />

Triomphe d'Hector 9 <strong>et</strong> faite <strong>de</strong> l'armée grecque. '


L'ILIADE.<br />

CHANT DOUZIÈME.<br />

Le généreux Patrocle7 en son zèle empressé 7<br />

Entourait <strong>de</strong> secours Eurypyle blessé 7<br />

Tandis que Fun <strong>sur</strong> Fautre au milieu <strong>de</strong>s batailles<br />

Les <strong>de</strong>ux peuples rivaux <strong>la</strong>nçaient les funérailles.<br />

Maïs les murs7 les fossés 7 dans leur vaste <strong>la</strong>rgeur?<br />

N'offriront plus aux Grecs leur asyle vengeur ;<br />

En dressant ces remparts7 leur main religieuse<br />

Ne voua point aux Dieux d'hécatombe pieuse 7<br />

Dans l'espoir d'apprêter un refuge certain<br />

Aux rapi<strong>de</strong>s vaisseaux 7 à l'immense butin.<br />

Aussi 7 pour les punir 7 <strong>la</strong> colère divine<br />

D'un travail insolent résolut <strong>la</strong> ruine.<br />

4-


5a L'ILIADE, ( '<br />

Tant qu'Hector respira , tant qu'Achille irrite<br />

Épargna <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> superbe cité ?<br />

C<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> muraille, asyle invio<strong>la</strong>ble,<br />

Ne vit pas renverser sa masse inébran<strong>la</strong>ble.<br />

Mais quand les fils nombreux <strong>de</strong> Pergame <strong>et</strong>.d'Argœ<br />

Expirèrent, frappés du trépas <strong>de</strong>s héros ,<br />

Lorsque, dix ans passés, les Grecs, vainqueurs <strong>de</strong> Troie,<br />

Dans leur douce patrie emmenèrent leur proie,<br />

Apollon <strong>et</strong> Neptune , ensemble réunis ,<br />

Poussèrent vers ces murs , jusqu'alors impunis ,<br />

Les fleuves mugïssans qui dans les mers profon<strong>de</strong>s<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Ida précipitent leurs on<strong>de</strong>s,<br />

Le rapi<strong>de</strong> Granique avec le Rhodius 7<br />

L'Esèpe j le Garèse <strong>et</strong> le bruyant Rhésus 7<br />

Le fougueux Heptapore, <strong>et</strong> le divin Scamandre,<br />

Enfin le Simoïs où Mars a fait <strong>de</strong>scendre<br />

Avec leurs javelots 7 leurs casques <strong>et</strong> leurs dards<br />

De tant d'hommes divins les cadavres épars.<br />

Phébus j durant neuf jours, détourna <strong>de</strong> leur source<br />

De ces fleuves nombreux l'impétueuse course y<br />

Jupiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie épancha les torrens ;<br />

Le tri<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> main j dans ses flots dévorans


CHANT DOUZIEME. 53.<br />

Neptune ensevelit ce sacrilège ouvrage<br />

Dont <strong>la</strong> pierre <strong>et</strong> le bois composaient l'assemb<strong>la</strong>ge»;<br />

11 ap<strong>la</strong>nit ces bords f <strong>et</strong> le vaste Hellespont<br />

Recouvrit les débris <strong>de</strong> son sable profond f<br />

Lorsque Neptune-enfin vit ces fleuves rapi<strong>de</strong>s-<br />

Dans leur lit comprimé rouler leurs eaux limpi<strong>de</strong>s.<br />

Ces murs, déjà promis aux vengeances <strong>de</strong>s Dieuxf<br />

R<strong>et</strong>entissent f témoins d'un combat furieux ;<br />

Sous les coups ennemis le bois <strong>de</strong>s tours résonne.<br />

Les Grecs que <strong>la</strong> terreur <strong>sur</strong> leur flotte emprisonne r<br />

Abattus sous le fou<strong>et</strong> du puissant Jupiter ,<br />

Tremblent <strong>de</strong>vant Hector qui r non loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer.<br />

Dans son rapi<strong>de</strong> essor f rival <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ,<br />

Poursuit, le g<strong>la</strong>ive en main f sa sang<strong>la</strong>nte conquête<br />

Quand <strong>de</strong>s hommes chasseurs^ en cercle rassemblés y<br />

Accablent un Mon <strong>de</strong> leurs traits redoublés r<br />

Le monstre leur oppose un. farouche courage,<br />

Se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> > les yeux enf<strong>la</strong>mmés par <strong>la</strong> rage , t<br />

Voyant ses ennemis.reculer à grands pas ,<br />

Dans son audace même il trouve son trépas :<br />

Tel, suivi <strong>de</strong>s guerriers que son exemple excite K<br />

Ar<strong>de</strong>nt, impétueux r Hector se précipite.


54 L'ILIADE.<br />

A l'aspect du fossé f les coursiers hennissans<br />

Sur l'abyme entr'ouvert s'arrêtent frémissans j<br />

Ils n'oseraient franchir c<strong>et</strong>te épaisse barrière<br />

Que <strong>de</strong> longs pieux -aigus hérissent tout entière.<br />

Vers ces bords que les chars ne traverseraient pas ><br />

Le fantassin s'é<strong>la</strong>nce ; alors Polydamas :<br />

« Hector, chefs <strong>et</strong> guerriers ! quel aveugle courage<br />

Au milieu <strong>de</strong>s périls sans espoir vous engage ?<br />

Ces fossés, entourés <strong>de</strong> pieux <strong>et</strong> <strong>de</strong> remparts,<br />

Ne <strong>la</strong>issent pas d'entrée à l'essor <strong>de</strong> nos chars ;<br />

Dans ce passage étroit nous ne pouvons combattre, •<br />

Et nous verrions les Grecs sous leurs coups nous abattre,<br />

Si Jupiter les livre aux vengeances du sort ?<br />

Puisse à l'instant <strong>sur</strong> eux s'appesantir <strong>la</strong> mort !<br />

Qu'ils tombent loin d'Argos5 <strong>et</strong> qu'ils tombent sans gloire !<br />

Mais du fond <strong>de</strong>s vaisseaux ramenant <strong>la</strong> victoire,<br />

S'ils combattent encor f pour conter nos trépas ,<br />

Un seul <strong>de</strong> nos guerriers ne nous <strong>sur</strong>vivrait pas. -<br />

Suivez j ô mes amis ! <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> ma sagesse:<br />

Des chevaux <strong>sur</strong> ces bords r<strong>et</strong>enons <strong>la</strong> vitesse ?<br />

Et guidés par Hector 7 <strong>de</strong> nos armes couverts 7<br />

Faisons aux Grecs vaincus expier nos revers ;


CHANT DOUZIEME. 55<br />

Bs ne soutiendront plus notre lutte acharnée,<br />

Si le <strong>de</strong>stin fixa leur <strong>de</strong>rnière journée, »<br />

Il dit : Hector, charmé <strong>de</strong> ce pru<strong>de</strong>nt conseil t<br />

De ses armes d'airain déployant l'appareil, .,<br />

S'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>-son char ;,<strong>la</strong> foule le. contemple<br />

Et s'empresse à Fenvi d'imiter son exemple.<br />

Tous parlent : à'leur vôixj-Fêssaim <strong>de</strong>s éçuyers<br />

Sur le bord <strong>de</strong>s -remparts arrêté les coursiers,<br />

Et près <strong>de</strong>s chefs divers l'innombrable pha<strong>la</strong>nge<br />

En cinq corps séparés se divise <strong>et</strong>-se range-<br />

Sous lés ordres. d'Hector .<strong>et</strong> <strong>de</strong> Polydamas,<br />

Les plus vaiïans hérosyles plus nombreux soldats<br />

Contre le <strong>la</strong>rge mur-<strong>et</strong> les vaisseaux rapi<strong>de</strong>s<br />

Brûlent <strong>de</strong> diriger leurs assauts intrépi<strong>de</strong>s ;<br />

Tous respirent ieiimeurtre <strong>et</strong>'<strong>la</strong> <strong>de</strong>struction,<br />

Et leur troisième chef est le fier Géhrion,<br />

Puisqu'He<strong>et</strong>or <strong>de</strong> son char a <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> conduite<br />

Au moins brave éeûyer qui marchait à sa suite.<br />

Paris, : AJeathofis 7 secondés d'Agénor,<br />

De <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième troupe ont gouverné F essor.<br />

Déïphobe, Hélénus , fils du roi <strong>de</strong> Pergame 9<br />

Gui<strong>de</strong>nt d'autres guerriers que leur ar<strong>de</strong>ur enf<strong>la</strong>mme.


56 L'ILIADE.<br />

Près d'eux vole Asius, noble enfant d'Hyrtacés f "<br />

Qui fuyant d'Arisbé les fertiles guér<strong>et</strong>s ,<br />

Avec .ses grands coursiers à <strong>la</strong> rousse crinière,<br />

Quitta du SéHéis <strong>la</strong> rive nourricière.<br />

Les <strong>de</strong>ux fils d^Anténor, Archëloque , Aoamas,<br />

Instruits dès leur jeunesse aux secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong>s combats ,<br />

S'avancent sous les lois <strong>de</strong> l'invincible Énée,<br />

Et <strong>la</strong> foule s'amasse à leurs pas enchaînée.<br />

Enfin., aux <strong>de</strong>rniers rangs, l'illustre Sarpédon<br />

Des peuples alliés conduit le bataillon ;<br />

Deux autres chefs, que seul en vail<strong>la</strong>nce il <strong>sur</strong>passe,<br />

G<strong>la</strong>ucus , Astéropée , ont volé <strong>sur</strong> sa trace.<br />

Ainsi tous ces Troyens, intrépi<strong>de</strong>s guerriers,<br />

Gontr'eux mêmes serrant leurs épais boucliers,<br />

S'é<strong>la</strong>ncent, dans l'espoir qu'au fond du sombre empire<br />

Chaque Grec tombera près <strong>de</strong> son noir navire.<br />

Si les peuples <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lointains climats<br />

Adoptent les conseils du- grand Polydamas,<br />

Le seul fils d'Hyrtacès suit un parti contraire }<br />

Vers <strong>la</strong> -rapi<strong>de</strong> flotte il marche... Téméraire !<br />

Dans <strong>la</strong> haute Pergame où r<strong>et</strong>entit le vent,<br />

Son beau char ne doit pas le ramener vivant.


. CHANT DOUZIEME.<br />

Le trépas <strong>sur</strong> son front étend ses mains fatales,<br />

Et bientôt, instrument <strong>de</strong>s Parques infernales,<br />

Idoménée, issu du vieux Deucalion ,<br />

Fermera <strong>de</strong>vant lui le chemin d'Ilion.<br />

À <strong>la</strong> gauche du camp , où les soli<strong>de</strong>s portes<br />

S'ouvrent pour recevoir <strong>et</strong> sauver les cohortes,<br />

Les débris confondus d'un peuple <strong>de</strong> fuyards •<br />

Accourent, emportés <strong>sur</strong> leurs rapi<strong>de</strong>s chars.<br />

Là s'é<strong>la</strong>nce Asius, <strong>et</strong> sa fidèle troupe<br />

Avec <strong>de</strong>s cris perçans autour <strong>de</strong> lui se groupe ;<br />

Chaque soldat espère , en son aveugle orgueil ,<br />

Que <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs <strong>de</strong>viendra leur cercueil-<br />

Insensés I quand <strong>la</strong> foule au loin se précipite ,•<br />

Deux nobles <strong>de</strong>scendans du belliqueux Lapithe,<br />

Debout <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> porte, en défen<strong>de</strong>nt l'accès;<br />

Fils <strong>de</strong> Pirithous, l'un est Poljpétès ;<br />

L'autre , semb<strong>la</strong>ble à Mars, est le fier Léontée j<br />

Et ce couple, enhardi par sa force indomptée,<br />

Résiste, comme on voit <strong>de</strong>ux chênes spacieux<br />

E<strong>la</strong>ncer <strong>sur</strong> un mont leur tête jusqu'aux cieux ,<br />

Et plongeant dans le sol leurs racines profon<strong>de</strong>s ><br />

Péfier <strong>la</strong> 'colère <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vents <strong>et</strong> <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s.


58 " L'ILIADE.<br />

Les soldats escortant Adamas, Asius,<br />

<strong>la</strong>mène, Thoon ,• Oreste,. Ëoomaûs,<br />

Lèvent leurs boucliers, marchent vers les murailles,<br />

Et leur vive c<strong>la</strong>meur prélu<strong>de</strong> aux funérailles.<br />

Les Lapithes, captifs dans l'enceinte <strong>de</strong>s tours,<br />

Des Grecs pour les vaisseaux imploraient le secours ;<br />

Mais, quand ils les ont vus, dans leur .soudaine fuite,<br />

Des Trojens à grands cris éviter <strong>la</strong> poursuite,<br />

Hors <strong>de</strong>s portes du camp ils s'é<strong>la</strong>ncent tous <strong>de</strong>ux-<br />

Tels qu'au faîte <strong>de</strong>s monts, <strong>de</strong>ux sangliers fougueux<br />

Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bergers repoussent les offenses,<br />

Aiguisent en grondant leurs bruyantes défenses,<br />

Et, franchissant les bois, <strong>de</strong>s arbres ébranlés<br />

Déracinent les troncs au loin amoncelés,<br />

Lorsqu'enfîn, <strong>de</strong> leur sang à longs flots assouvie,<br />

La flèche du chasseur les renverse sans vie :<br />

Ainsi les <strong>de</strong>ux héros <strong>sur</strong> leur sein frémissant<br />

Enten<strong>de</strong>nt r<strong>et</strong>entir l'airain rebondissant ;<br />

L'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> leurs soldats, leur propre expérience,<br />

De leurs cœurs généreux doublent <strong>la</strong> confiance.<br />

Du haut <strong>de</strong>s tours, les Grecs, pour sauver les vaisseaux,<br />

Des rochers dans les airs dispersent les monceaux.


CHANT DOUZIÈME. 59<br />

Comme on voit, quand l'hiver rassemble les orages ,<br />

La neige s'échapper du noir, f<strong>la</strong>nc <strong>de</strong>s nuages,<br />

Bouler au bruit <strong>de</strong>s vents 9 <strong>et</strong> <strong>sur</strong> les champs féconds<br />

Dans sa- chute entasser ses b<strong>la</strong>nchissans flocons :<br />

Ainsi les combattons y assouvissant leur haine 1<br />

D'une grêle <strong>de</strong> traits ont inondé <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ; -<br />

L'un par l'autre heurtés, casques <strong>et</strong> javelots<br />

D'un bruit lugubre <strong>et</strong> rauque ébranlent les échos.<br />

Le péril d'Asius enf<strong>la</strong>mme sa furie ; .- .<br />

En se frappant <strong>la</strong> cuisse, il s'indigne <strong>et</strong> s'écrie :<br />

« Tu n'es qu'un Dieu trompeur f ô maître <strong>de</strong>s humains !<br />

Car <strong>la</strong> Grèce résiste à nos terribles mains.<br />

Comme l'ar<strong>de</strong>nte.guêpe au corsage mobile 7<br />

Sur les bords escarpés d'une route stérile,<br />

Veille auprès <strong>de</strong> sa ruche, <strong>et</strong> loin- <strong>de</strong> ses enfans<br />

Repousse du chasseur lés assauts triomphans :<br />

Tels ces fougueux guerriers, pleins d'un Même courage^<br />

Atten<strong>de</strong>nt sans effroi- <strong>la</strong> mort ou l'esc<strong>la</strong>vage. »<br />

H a dit : Jupiter, qui ne l'exauce! pas 1<br />

Réserve au seul Hector tout l'honneur dès combats.<br />

Partout règne le meurtre ? <strong>et</strong> le feu <strong>de</strong>s batailles<br />

S'allume avec fureur jusqu'aux pieds <strong>de</strong>s murailles.


60 ^ L'ILIADE.<br />

Mais, comme si d'un Dieu je possédais <strong>la</strong> voix T<br />

Pourrais-je célébrer d'innombrables exploits?<br />

Par le sort abattus, les peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Arment pour les vaisseaux leur fureur vengeresse-,<br />

Et ces Dieux , dont l'amour protégea leur valeur,<br />

Languissent dans l'Olympe, accablés <strong>de</strong> douleur•<br />

Le couple impétueux <strong>de</strong> toutes parts s'é<strong>la</strong>nce.<br />

Polypétès, muni <strong>de</strong> son énorme <strong>la</strong>nce,<br />

Court frapper Damasus, qui lui présente en vain<br />

Le soli<strong>de</strong> rempart <strong>de</strong> son casque d'airain ; •<br />

L'os se brise, <strong>et</strong> bientôt <strong>la</strong> pointe meurtrière<br />

Dans le crâne sang<strong>la</strong>nt pénètre tout entière.<br />

Lorsqu'Ormène <strong>et</strong> Pylon, en même temps vaincus t<br />

Dans <strong>la</strong> nuit infernale ont suivi Damasus,<br />

Le divin Léontée avec ar<strong>de</strong>ur attaque<br />

Le fils d'Antimachus, l'intrépi<strong>de</strong> Hippomaque ,<br />

Perce son baudrier, s'éloigne en menaçant,<br />

Et, tirant du fourreau le g<strong>la</strong>ive éblouissant,<br />

Vole dans <strong>la</strong> mêlée, où sa fureur éc<strong>la</strong>te ;<br />

Bientôt Ménon, Oreste, <strong>la</strong>mène, Antiphate<br />

Sous son fer meurtrier écrasés, confondusr<br />

Sur <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> expirent étendus.


CHANT DOUZIÈME. 61<br />

Mais, à peine d'un bras que le carnage souille,<br />

Les vainqueurs, <strong>de</strong>s Troyens ont ravi <strong>la</strong> dépouille 7<br />

Sur les. traces d'Hector <strong>et</strong> <strong>de</strong> Polydamas<br />

Vole un nombreux essaim <strong>de</strong>s plus jeunes soldats;<br />

Leurs mains contre <strong>la</strong> flotte ont ba<strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme 7<br />

Quand un soudain prodige épouvante leur âme. .<br />

Chacun d'eux immobile, <strong>et</strong> par l'effroi g<strong>la</strong>cé, . -<br />

S'arrête, en hésitant 7 <strong>sur</strong> les bords du fossé 2<br />

A <strong>la</strong> gauche du camp un aigle aux <strong>la</strong>rges ailes .<br />

P<strong>la</strong>ne ; un serpent, captif dans ses serres cruelles ?<br />

Se plie en longs anneaux, se débat tout sang<strong>la</strong>nt,<br />

Lui dar<strong>de</strong> près du cou son aiguillon brû<strong>la</strong>nt,<br />

Le blesse ? le déchire 9 <strong>et</strong> l'oiseau du tonnerre 7<br />

Irrité <strong>de</strong> douleur ^ le j<strong>et</strong>te "<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 1<br />

Et dans les airs ? remplis <strong>de</strong> ses cris furieux ? .<br />

Emporté par les vents, monte au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s cieux,<br />

A l'aspect du serpent 1 frappés d'un noir présage,<br />

Les Troyens ont senti frissonner leur courage.<br />

Polydamas s'écrie : « Hector ! tous mes avis<br />

De ton blâme hautain furent toujours suivis.<br />

Citoyen <strong>et</strong> soldat, aux conseils, dans <strong>la</strong> guerre,' '<br />

Je dois à.ma patrie un <strong>la</strong>ngage sincère j


6a ' ' L'ILIADE.<br />

Pour f<strong>la</strong>tter ton orgueil ou ton autorité,<br />

Je ne trahirai pas l'auguste vérité.<br />

N'attaquons point <strong>la</strong> flotte... Oui 7 s'il est véritable,<br />

Un tel augure, amis ! semble trop redoutable :<br />

Un grand aigle emporta dans son fougueux essor<br />

Ce serpent monstrueux qui respirait eneor 9<br />

Et rentré dans son aire en rej<strong>et</strong>ant sa proie,<br />

Priva ses nourrissons d'une homici<strong>de</strong> joie :<br />

Ainsi, dussent les Grecs} trembkns <strong>et</strong> dispersés,<br />

S'enfuir loin <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> leurs murs renversés 9<br />

Sur ces mêmes sentiers une prompte déroute<br />

Des corps <strong>de</strong> nos soldats joncherait h notre route*<br />

Voilà ce que dirait un augure pieux,<br />

Bévéré par le peuple, inspiré par les cieux. »<br />

Hector ? rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s yeux enf<strong>la</strong>mmés <strong>de</strong> colère :<br />

« Polydamas ! ces mots n'ont pas droit <strong>de</strong> me p<strong>la</strong>ire.<br />

Oui j si ta bouche ici fait parler <strong>la</strong> terreur,<br />

Le ciel répand <strong>sur</strong> toi le vertige <strong>et</strong> l'erreur.<br />

L'arrêt <strong>de</strong> Jupiter ne sera pas frivole j<br />

Un signe <strong>de</strong> sa tête a scelé sa parole f<br />

Et j'irais 7 au mépris d'un présage certain ,<br />

Consulter <strong>de</strong>s oiseaux <strong>sur</strong> mon futur <strong>de</strong>stin !


CHANT DOUZIÈME. 63<br />

Qu'importe si leur vol que le vulgaire adoré 7<br />

Se tourne àgaiiehe 7 à droite, au couchant, à Faurore?<br />

N'obéissons jamais 7 mortels religieux 1 ><br />

Qu'au maître- souverain <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux :<br />

Défendre <strong>la</strong> patrie est le plus sûr oracle.<br />

Mais pourquoi : te forger un périlleux obstacle ? •<br />

Auprès <strong>de</strong>s' noirs vaisseaux dussions-nous tous mourir 7<br />

Ta propre lâch<strong>et</strong>é viendra te secourir ;<br />

Tu fuiras... Si pourtant ton perfi<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage<br />

Du soldat incertain amollit le courage,<br />

Si Fun <strong>de</strong>-nos guerriers déserte les combats 1<br />

Ma <strong>la</strong>nce au-même instant te donne le-trépas*.».<br />

A peine' les- Troyens que son exemple entraîne,<br />

De leurs longues c<strong>la</strong>meurs font r<strong>et</strong>entir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine y<br />

Un vent impétueux qu'excite Jupiter 7 v<br />

Du faîte <strong>de</strong> FIda dans les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Fair<br />

Descend 7 <strong>et</strong>, parvenu jusqu'au camp <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Roule les tourbillons d'une poussière épaisse.'" "<br />

Les Grecs en ont tremblé ; <strong>de</strong>s Troyens <strong>et</strong> d'Hector<br />

Le courage enhardi prend un nouvel essor.<br />

Gonfians dans le biel , <strong>et</strong> forts <strong>de</strong> leur audace 7<br />

Les Troyens 7 <strong>de</strong>s remparts ont assiégé <strong>la</strong> masse ;


'64 L'ILIADE.<br />

Us ébranlent les tours 7 enlèvent les créneaux,<br />

Et <strong>de</strong>s rocs-entassés arrachent les monceaux ;<br />

Le levier dans.leurs mains cause un affreux ravage*<br />

Mais les Grecs 7 pour défendre un dangereux passage 1<br />

Dressent <strong>sur</strong> le rempart leurs épais boucliers }<br />

Et décochent au loin mille dards meurtriers.<br />

Les <strong>de</strong>ux Ajax 9 <strong>de</strong>s tours parcourant l'étendue,<br />

Raniment leur audace un moment suspendue ; .<br />

L'éloge <strong>et</strong> le reproche 9 employés avec art 9<br />

Encouragent le brave 7 arrêtent le fuyard :<br />

« O toi, chef valeureux 9 ô toi 9 soldat vulgaire f<br />

Car vous n'êtes pas tous <strong>de</strong>s héros dans <strong>la</strong> guerre9<br />

Le .<strong>de</strong>voir vous appelle à <strong>de</strong>s périls égaux ;<br />

Loin <strong>de</strong> chercher Fabri <strong>de</strong> vos profonds vaisseaux9<br />

Méprisez ces c<strong>la</strong>meurs 9 <strong>et</strong> que votre constance<br />

Se prête 9 en «'exhortant 7 une noble assistance.<br />

Puisse enfin Jupiter 1 ce roi tonnant <strong>de</strong>s cieux9<br />

Chasser dans Dion <strong>de</strong>s vainqueurs odieux ! »<br />

• Lorsque 9 <strong>de</strong>s vents fougueux apaisant le murmure,<br />

Jupiter a <strong>la</strong>ncé les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> froidure9<br />

Sur les monts escarpés r où Fhiver <strong>la</strong> suspend 9<br />

En immenses flocons <strong>la</strong> neige se répand9 . •


CHANT DOUZIÈME. 65-<br />

Couvre du <strong>la</strong>boureur les fertiles campagnes,<br />

Couronne les forêts 7 <strong>la</strong> cime <strong>de</strong>s montagnes,<br />

Et roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer ? dont les flots mugissans<br />

Dissipent loin <strong>de</strong>s ports ses monceaux b<strong>la</strong>ncliissans f<br />

Tandis que dans les airs <strong>la</strong> tempête amassée<br />

Tombe <strong>de</strong> tout son poids <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre g<strong>la</strong>cée :<br />

Tel <strong>de</strong> mille rochers l'un <strong>et</strong> l'autre parti<br />

Se frappe, <strong>et</strong> les remparts ont partout r<strong>et</strong>enti.<br />

Jamais Hector, jamais ses terribles cohortes<br />

N'eussent brisé du camp <strong>la</strong> barrière <strong>et</strong> les portes ,<br />

Si, pareil au lion qui fond <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s taureaux,<br />

.Guidé par Jupiterf Sarpédon , un héros<br />

N'eût pris ce bouclier, vaste <strong>et</strong> superbe ouvrage,<br />

Dont les cuirs en<strong>la</strong>cés recouvrent l'assemb<strong>la</strong>ge,<br />

Et que Fart prévoyant d'un adroit ouvrier<br />

De fortes <strong>la</strong>mes d'or a garni tout entier.<br />

Dans sa vail<strong>la</strong>nte main <strong>de</strong>ux javelots s'agitent ;<br />

Au-<strong>de</strong>vant du péril ses pas se précipitent :<br />

Tel, loin du mont natal 7 un lion courroucé,<br />

Par une longue faim dans <strong>la</strong> -p<strong>la</strong>ine poussé,<br />

Ennemi <strong>de</strong>s agneaux , <strong>sur</strong>prend leur bergerie,<br />

Des pasteurs tout armés provoque <strong>la</strong> furie,<br />

a. 5


66 L'ILIADE.<br />

Et, j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> sa prt)ie un regard dévorant 1<br />

Se r<strong>et</strong>ire vainqueur ou tombe au premier rang,<br />

Abattu sous les coups <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche rapi<strong>de</strong><br />

Qu'un berger lui <strong>la</strong>nça d'une main intrépi<strong>de</strong>.<br />

Opposant au danger un cœur audacieux,<br />

Le noble Sarpédon, mortel égal aux Dieux 7<br />

Pour briser les 'remparts <strong>et</strong> leur porte rebelle ,<br />

Court du fils d'Hippoloque encourager le zèle ;<br />

Il s'écrie : « O G<strong>la</strong>ucus I si chaque Lycien,<br />

Fêtant dans les banqu<strong>et</strong>s ton courage <strong>et</strong> le mien,<br />

Nous offre, comme au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste troupe,<br />

Les m<strong>et</strong>s les plus exquis <strong>et</strong> <strong>la</strong> plus <strong>la</strong>rge coupe ,<br />

Si <strong>sur</strong> les bords du Xanthe ? à nous seuls <strong>de</strong>stiné,<br />

Fleurit un soi, <strong>de</strong> pampre <strong>et</strong> d'épis couronné,<br />

C'est pour qu'aux premiers rangs notre invincible audace<br />

De ces brû<strong>la</strong>ns combats affronte <strong>la</strong> menace.<br />

Les peuples se diront : « Nos princes satisfaits<br />

Des banqu<strong>et</strong>s opulëns savourent les bienfaits ;<br />

Le vin coule à longs flots dans leur coupe royale,<br />

Mais leur mâle valeur parmi nous se -signale, s»<br />

Ami ! si nous pouvions} évitant les combats f<br />

Conserver <strong>la</strong>,jeunesse f échapper au trépas,


CHANT DOUZIÈME, 67<br />

Je me gar<strong>de</strong>rais bien d'exciter ta vail<strong>la</strong>nce<br />

A quitter pour <strong>la</strong> guerre une heureuse indolence j<br />

' Mais quand mille hasards, nous menant à <strong>la</strong> mort,<br />

Ren<strong>de</strong>nt tous les humains les esc<strong>la</strong>ves du sort ,<br />

Marchons ; sous notre fer qu'un ennemi succombe<br />

Ou nous plonge vaincus dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tombe. »<br />

G<strong>la</strong>ucus à ces conseils obéit 7 <strong>et</strong> tous <strong>de</strong>ux<br />

Gui<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Lyciens le bataillon nombreux.<br />

Le fils <strong>de</strong> Pétéus, le noble îfénesthée<br />

Tout à coup sent frémir son âme épouvantée f<br />

Quand aux pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour que sa valeur défend,<br />

H a vu s'avancer k couple triomphant<br />

Ses regards inqui<strong>et</strong>s <strong>de</strong> toutes parts s'éten<strong>de</strong>nt<br />

En cherchant le vengeur que ses amis atten<strong>de</strong>nt,<br />

Lorsqu'enfin les Ajax f avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> trépas ,<br />

Et Teucer, <strong>de</strong> son camp revo<strong>la</strong>nt aux combats,<br />

Paraissent •: vainement ses c<strong>la</strong>meurs les appellent,<br />

Tant les casques , les traits 9 les boucliers se mê<strong>la</strong>it,<br />

Tant l'airain qui se brise <strong>et</strong> jaillit en éc<strong>la</strong>irs,<br />

D'un tumulte confus épouvante les airs !<br />

Tandis que les Troyensf dans leur rage guerrière,<br />

Des portes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s murs assiègent <strong>la</strong> barrière,<br />

5.


68 L'ILIADE. '<br />

A l'aspect du péril Ménesthée a frémi.<br />

Il appelle un héraut : « Divin Thoos ! ami !<br />

Va <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong>s Ajax réc<strong>la</strong>mer <strong>la</strong> bravoure 7<br />

Ou plutôt jusqu'à moi que l'un <strong>et</strong> l'autre accoure ;<br />

Les chefs <strong>de</strong>s Lyciens 7 connus par tant d'exploits 7<br />

Sur nous <strong>de</strong> leur fureur font r<strong>et</strong>omber le poids.<br />

Si le même danger les menace <strong>et</strong> les presse7<br />

Du moins 7 que me prêtant sa valeur vengeresse 7<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon arrive avec Teucer<br />

' Qui 7 son arc à <strong>la</strong> main 7 <strong>la</strong>nce un rapi<strong>de</strong> fer. »<br />

Il dit : le héraut part 7 <strong>et</strong> son zèle docile<br />

Vers les remparts <strong>de</strong>s Grecs marche d'un pas agile :<br />

« Nobles Ajax 7 ô vous 7 princes <strong>de</strong>s Argiens !<br />

Le Jpils <strong>de</strong> Pétéus réc<strong>la</strong>me vos soutiens. '<br />

Oui 7 que l'un <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>ux signale'sa bravoure 7<br />

Ou plutôt jusqu'à lui que l'un'<strong>et</strong> l'autre accoure ;<br />

Les chefs <strong>de</strong>s Lyciens 7 connus par tant d'exploits 7<br />

Sur lui <strong>de</strong> leur fureur font r<strong>et</strong>omber le poids.<br />

Si le même danger vous' menace <strong>et</strong> vous presse 7<br />

Du moins 7 que lui prêtant «a valeur vengeresse 7<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon arrive avec Teucer<br />

Qui 7 son ajc à <strong>la</strong> main 7 <strong>la</strong>nce un rapi<strong>de</strong> fer. »


CHANT DOUZIÈME. 69<br />

« Fils d'Oïlée, <strong>et</strong> toi , généreux Lycomè<strong>de</strong> !<br />

S'écrie Ajâx>, <strong>la</strong>- Grèce a besoin <strong>de</strong> votre ai<strong>de</strong> ;<br />

Restez ici : je cours au poste du danger,<br />

Et mon bras' triomphant revient vous protéger. »<br />

Il s'éloigne : Teucer7 ce héros invincible y<br />

L'escorte ,-<strong>et</strong> Pandion porte son arc flexible.<br />

Gomme on voit s'élever <strong>de</strong>s nuages obscurs 7<br />

Les chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie esca<strong>la</strong><strong>de</strong>nt les murs,<br />

Lorsque <strong>de</strong>s trois héros <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce indomptée<br />

Parvient jusqu'à <strong>la</strong> tour que gar<strong>de</strong> Ménesthée ;<br />

Tout à coup le combat renaît plus furieux 7<br />

Et mille cris confus ont monté vers les cieux.<br />

L'ami <strong>de</strong> Sarpédon, le fougueux Épiclée<br />

Sent fléchir 'sous Ajax sa valeur ébranlée ;<br />

Saisissant un.rocher que, fort <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux bras T<br />

Un jeune homme aujourd'hui ne soulèverait pas ?<br />

Le Grec près <strong>de</strong>s créneaux en détache <strong>la</strong> masse 7<br />

La roule.sans effort y <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te dans l'espace r .<br />

Brise le casque orné d'un panache bril<strong>la</strong>nt,<br />

Et frappe dans le front son rival chance<strong>la</strong>nt ;<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour le héros qu'il immole<br />

Tombe comme un plongeur, <strong>et</strong> son âme s'envole.


7o L'ILIADE.<br />

Teucer, Far<strong>de</strong>nt Teucer ^ au faîte <strong>de</strong>s remparts,<br />

Sur le brave G<strong>la</strong>ueus décoche un <strong>de</strong> ses dards ;<br />

G<strong>la</strong>ucus , atteint au bras, réluit à <strong>la</strong> r<strong>et</strong>raite ? '<br />

Emportant sa bles<strong>sur</strong>e à tous les yeux soustraite,<br />

S'éloigne 7 dans <strong>la</strong> peur que les Grecs furieux<br />

N'accueillent ses revers <strong>de</strong> cris injurieux.<br />

Privé <strong>de</strong> son atai qui cè<strong>de</strong> <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ire 1<br />

L'illustre Sarpédon , que <strong>la</strong> douleur déchire,<br />

Ne fuit point le combat 1 mais redoutable encor)<br />

Court frapper Alcmaon f c<strong>et</strong> enfant <strong>de</strong> Thestor ;<br />

Dès qu'il plonge en son cœur <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce meurtrière ,<br />

Alcmaon abattu roule dans <strong>la</strong> poussière ;<br />

Son armure résonne , <strong>et</strong> Sarpédon soudain<br />

Porte <strong>sur</strong> un créneau sa vigoureuse main 1<br />

L'arrache, <strong>et</strong> le rempart, dont le front se dégage t<br />

Aux nombreux Lyciens ouvre un <strong>la</strong>rge passage.<br />

Alors j Teucer, Ajax , unissant leur courroux,<br />

Ont <strong>sur</strong> lui tous les <strong>de</strong>ux précipité leurs coups ;<br />

Teucer ban<strong>de</strong> son arc 7 <strong>et</strong> le trait qu'il envoie<br />

Du vaste bouclier déchire <strong>la</strong> courroie.<br />

Mais auprès <strong>de</strong>s vaisseaux Jupiter ne veut pas '<br />

Que son fils en ce jour subisse le trépas.


CHANT DOUZIEME. 71<br />

Ajax vole, <strong>et</strong> son fer, avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> bles<strong>sur</strong>e ,'<br />

Frappe <strong>de</strong> Sarpédon Pétinee<strong>la</strong>nte armure ;<br />

Le Lycien , qui voit son bouclier fendu,<br />

Dans son fougueux essor s'arrête suspendu ,<br />

Et, s'éloignant sans fuir, toujours ivre <strong>de</strong> gloire,<br />

Espère dans son cœur ressaisir <strong>la</strong> victoire*<br />

Bientôt sa forte voix ranime ses soldats :<br />

« Lyciens ! pourquoi donc redouter les combats?<br />

Qu'est <strong>de</strong>venu le feu <strong>de</strong> votre antique audace ?<br />

Puis-je seul <strong>de</strong> ces murs franchir le vaste 'espace ?<br />

Suiveg-moi ; secon<strong>de</strong>z mon noble empressement-.<br />

Des héros réunis triomphent aisément. »<br />

11 dit : les Lyciens, sensibles à <strong>la</strong> honte,<br />

Revolent aux périls que leur monarque affronte,<br />

Et les Grecs, menacés d'un assaut désastreux,<br />

Se pressant à Fenvi, s'encouragent entr'eux.<br />

Les uns, quoique leurs pas aient franchi les murailles,<br />

N'ont pu jusqu'aux vaisseaux <strong>la</strong>ncer les funérailles ;<br />

Les autres, dont le g<strong>la</strong>ive arme les bras vail<strong>la</strong>ns,<br />

Ne sauraient loin <strong>de</strong>s murs chasser les assail<strong>la</strong>ns.<br />

Un seul créneau s'oppose à leur fureur rivale :<br />

Tels on voit, séparés par un faible intervalle f


72 L'ILIADE.<br />

Deux ar<strong>de</strong>ns <strong>la</strong>boureurs, <strong>de</strong> leur.double terrain<br />

Contester <strong>la</strong> limite, une me<strong>sur</strong>e en main.<br />

Partout contre leur sein , que le trépas menace, ' •<br />

De leurs ronds boucliers s'entre-choque <strong>la</strong> masse;<br />

Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens, <strong>sur</strong> le dos, dans les f<strong>la</strong>ncs.<br />

Reçoivent à grands coups les javelots siff<strong>la</strong>ns,<br />

Et <strong>la</strong> tour,qui gémit, les remparts qui chancellent,<br />

Se baignent <strong>de</strong> leur sang, dont les flots noirs ruissellent.<br />

On cè<strong>de</strong> ; on ne fuit pas... Les .bassins étendus<br />

Entre <strong>de</strong>ux poids égaux hésitent suspendus,<br />

Lorsque dans.sa ba<strong>la</strong>nce une femme indigente<br />

Long-temps pèse avec soin <strong>la</strong> <strong>la</strong>ine diligente, '<br />

Et , d'une main active en tournant les fuseaux,<br />

Consacre à ses enfans le prix <strong>de</strong> ses travaux :<br />

Telle on voyait flotter <strong>la</strong> douteuse victoire,<br />

Quand Jupiter enfin voulut combler <strong>de</strong> gloire-<br />

Hector, fils <strong>de</strong> Priam, Hector, qui, le premier,<br />

S'ouvre <strong>sur</strong> les remparts un périlleux sentier.<br />

Hector crie aux Troyens : « Revolez aux batailles ;<br />

Embrasez ces vaisseaux, franchissez ces murailles.<br />

Courage! » Les guerriers, qu'enf<strong>la</strong>mme le héros,<br />

Armés d'un fer aigu, montent <strong>sur</strong> les créneaux.


CHANT-DOUZIÈME. 73<br />

Devant <strong>la</strong> porte, Hector, dans son essor rapi<strong>de</strong>,<br />

S'empare d'un rocher <strong>la</strong>rge, tranchant', soli<strong>de</strong>,<br />

'Que <strong>de</strong>ux hommes du peuple, en roîdissant leurs bras,<br />

Loin du sol vers un char ne transporteraient pas.<br />

Il Penlève, <strong>et</strong> le Dieu dont Saturne est le père ,<br />

Eend pour ses fortes mains c<strong>et</strong>te masse légère :<br />

Ainsi <strong>de</strong> <strong>la</strong> toison, dépouille d'un agneau,<br />

Le pasteur aisément ba<strong>la</strong>nce le far<strong>de</strong>au.<br />

Hector court ébranler les poutres affermies,<br />

Qu'un nœud <strong>de</strong> fer attache aux portes ennemies ;<br />

Par le choc vigoureux les <strong>de</strong>ux gonds entrouverts<br />

Se brisent; les battans éc<strong>la</strong>tent dans les airs ,<br />

Lorsqu'écartant les pieds , s'attachant à sa p<strong>la</strong>ce ,<br />

Il a du roc pesant précipité <strong>la</strong> masse.<br />

Gomme <strong>la</strong> nuit rapi<strong>de</strong>, il vole en brandissant<br />

Deux traits, dont Fairain brille , au loin resplendissant.<br />

Et quel autre qu'un Dieu <strong>de</strong>s exploits qu'il enfante<br />

Oserait enchaîner <strong>la</strong> course triomphante?<br />

Ses yeux <strong>la</strong>ncent <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme : il comman<strong>de</strong> ; à sa voix,<br />

Les dociles Troyens volent tous à <strong>la</strong> fois,<br />

Envahissent les murs, <strong>et</strong>, franchissant les portes,<br />

Des fils <strong>de</strong> Danaïis dispersent les cohortes ;


74 L'ILIADE.<br />

Le» Grecs dans leurs vaisseaux renferment leur terreur?<br />

Et partout <strong>de</strong>s combats éc<strong>la</strong>te <strong>la</strong> fureur.<br />

FIN BU DOUZIÈME €HANT.


CHANT TREIZIÈME.


SOMMAIRE BU CHANT TREIZIEME.<br />

Ifeptuae ? sous les traits <strong>de</strong> Cakîias , excite les <strong>de</strong>ux Âjax <strong>et</strong> les autres<br />

Grecs. —- Triomphe d'Idoménée. — Exploits <strong>de</strong> Méaé<strong>la</strong>i. — Hector<br />

ramène les Troyeas au combat.


L'ILIADE.<br />

CHANT TREIZIÈME.<br />

Hector <strong>et</strong> les Troyens, conduits par Jupiter,<br />

Accourent triomphans jusqu f aux bords <strong>de</strong>ia mer ,<br />

Et portent le far<strong>de</strong>au' <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre sang<strong>la</strong>nte;,<br />

Quand le Dieu, détournant sa vue étince<strong>la</strong>nte,<br />

Considère <strong>la</strong> Thrace , abondante en chevaux ,<br />

Le Mysien habile aux'beliqueux travaux ,<br />

L'Àbien qui reçut <strong>la</strong> Justice en partage ,<br />

Et rffîppémolgue enfin', nourri d'un pur <strong>la</strong>itage.<br />

Troie est loin <strong>de</strong>.ses yeux ; son cœur ne pense pas<br />

QuepourFun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux campsles Dieux armentleursbras.<br />

Sur un mont qui défend <strong>la</strong> verte Samothrace ,<br />

Neptune, <strong>de</strong>s combats interrogeant <strong>la</strong> trace ,


78^ . L'ILIADE. '<br />

Contemple avi<strong>de</strong>ment dans ce champ meurtrier<br />

Et <strong>la</strong> flotte <strong>et</strong> Pergame <strong>et</strong> l'Ida tout entier ;<br />

Là, déplorant les Gros que le Troye» opprime f<br />

Contre le roi <strong>de</strong>s cieux sa fureur se ranime.<br />

Loin <strong>de</strong> l'âpre somm<strong>et</strong> le Dieu précipité,<br />

Impatient ? .s'avance tvec rapidité ,<br />

Et les hautes forêts, les profon<strong>de</strong>s vallées<br />

Sous ses pieds immortels frémissent ébranlées ;<br />

Il s'é<strong>la</strong>nce trois fois : Aiguë le voit soudain<br />

Au quatrième pas toucher son bord lointain.<br />

Dans l'Océan, au fond <strong>de</strong> ces pa<strong>la</strong>is superbes<br />

' Dont for incorruptible éc<strong>la</strong>te en longues gerbes ,<br />

Du couple aux pieds d'airain ^ à <strong>la</strong> crinière d'or 7<br />

H asservit au joug le diligent essor ;<br />

Dès qu'il a revêtu sa bril<strong>la</strong>nte cuirasse,<br />

Le fou<strong>et</strong> en main, il part, <strong>et</strong> le char fend l'espace.<br />

Les baleines , sortant <strong>de</strong> leurs autres profonds 7<br />

Libres, autour <strong>de</strong> lui précipitent leurs bonds,<br />

Et leurs joyeux regards ont reconnu leur maître.<br />

L'Océan, oiçaeilleux <strong>de</strong> le voir reparaître , •<br />

S'entrouvre d'allégresse , <strong>et</strong> l'essieu mollement<br />

Vole, effleurant Hazur <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong> élément.


CHANT TBEIZIÈME. .79<br />

D'Imbros à Ténédos 7 <strong>de</strong> roches entourée 7<br />

•S f étend au sein <strong>de</strong>s mers une grotte ignorée :<br />

Là s'arrête Neptune ; il offre à ses coursier»<br />

Du céleste aliment les tributs nourriciers ,<br />

Leur enlève le joug , d f une main attentive<br />

Par d'épais cercles d'or'tous les <strong>de</strong>ux lès captive ,<br />

Et, dirigeant ses pas vers les tentes d'Argos,<br />

Jusques à son r<strong>et</strong>our les condamne au repos.<br />

Fougueux comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ou comme <strong>la</strong> tempête^<br />

Les Troyens s'é<strong>la</strong>nçaient : Hector vole à leur -tête ;<br />

Et triomphant <strong>de</strong>s Grecs, leur superbe courroux<br />

Sur <strong>la</strong> flotte en espoir les extermine tout.<br />

Le Dieu qui ceint<strong>la</strong>teire, <strong>et</strong>, TCî <strong>de</strong>s mère profon<strong>de</strong>s,<br />

D'un seul coup <strong>de</strong> tri<strong>de</strong>nt ébranle au loin les mon<strong>de</strong>s,<br />

Prend les traits '<strong>de</strong> Calclias <strong>et</strong> sa paissante vdix,<br />

Et pousse les Ajax à <strong>de</strong> nouveaux exploits :<br />

« Amis 1 sauvez Haimëe è <strong>la</strong> £iite coittraïnte 9<br />

Consultez <strong>la</strong> valeur <strong>et</strong> non <strong>la</strong> froi<strong>de</strong> crainte.<br />

Ouï, je méprise ailleurs les javelots ©bseurs<br />

Des Troyens «but <strong>la</strong> foule «sca<strong>la</strong>dn ces nuire ;<br />

Devant les Âd^ens aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes<br />

Tous foirant 9 mais ici je crains les maint sang<strong>la</strong>ntes


8o L'ILIADE.<br />

De ce fougueux Hector qui, rival <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>ir,<br />

Se proc<strong>la</strong>me le fils du puissant Jupiter.<br />

Ah ! qu'un Dieu , réveil<strong>la</strong>nt votre rage guerrière,<br />

Oppose à ses exploits une ferme barrière !<br />

Hector fuirait lui-même , aveuglé <strong>de</strong> terreur,<br />

Dut le roi <strong>de</strong> l'Olympe exciter sa fureur. »<br />

A ces mots, son tri<strong>de</strong>nt, qui <strong>sur</strong> leurs corps s'incline,<br />

Communique aux Ajax une force divine.<br />

D'un pas agile <strong>et</strong> sûr quand il les voit marcher,<br />

Il part : tel du somm<strong>et</strong> d'un sauvage rocher<br />

Le rapi<strong>de</strong> épervier, dans sa course lointaine ,<br />

Poursuit l'oiseau qui vole égaré dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />

Mais Ajax, d'Oïlée illustre rej<strong>et</strong>on ,<br />

S'adresse le premier au fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon :<br />

« Ami ! quelqu'hahitant <strong>de</strong> l'immortelle voûte<br />

Sous les traits d'un augure est accouru sans doute ;<br />

Ce n'est point là Calchas, ce chef <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>vins,<br />

L'ipterprète pieux <strong>de</strong>s oracles divins.<br />

C'est un Dieu : <strong>de</strong> ses pas <strong>la</strong> trace manifeste<br />

Révèle à mes regards sa démarche céleste ;<br />

La présence <strong>de</strong>s Dieux se trahit aisément.<br />

J'ai besoin <strong>de</strong> combattre ; Ajax ! en ce moment,


CHANT TREIZIÈME. 81<br />

Mon âme a palpité d'un transport sanguinaire ;<br />

Mes pieds^ mesbhtô, mon cœur, toutm'enfraînèà<strong>la</strong>guerre.^<br />

Le grand Ajax répond : « Mon invincible main ,<br />

En agitant ma <strong>la</strong>nce} a tressailli soudain ;<br />

Mes <strong>de</strong>ux pieds ont frémi'; mon Courage s'enf<strong>la</strong>mme:<br />

C'est le terrible Hector que'ma fureur réc<strong>la</strong>me. »<br />

Tel le couple guerrier sent à là voix d'un Dieu<br />

Son cœur enorgueilli brûler d'un noble feu.<br />

Neptune aux <strong>de</strong>rniers rangs, près <strong>de</strong>s vaisseaux rapi<strong>de</strong>s^<br />

Court exciter <strong>de</strong>s Grecs les âmes intrépi<strong>de</strong>s ;<br />

La fatigue a vaincu leurs membres accablés f<br />

Et <strong>de</strong> pleurs abondans leurs regairds sont troublés,<br />

A l'aspect <strong>de</strong>s Troyens 7 qui, maîtres <strong>de</strong>s murailles',<br />

Lancent à coups pressés d'immenses funérailles.<br />

Partout règne l'effroi ; Neptune promptem<strong>et</strong>ït<br />

Ranime par ses cris leur morne" abattement.<br />

Dissipant <strong>la</strong> terreur que <strong>la</strong> mort leur inspire,<br />

D exhorte Teucer, Léïte, Déïpjre y<br />

Mérion , Pénélée , Antiloque 7 Tlioas ?<br />

Ces héros illustrés dans lés bruyans combats :<br />

« Quelle honte ! Argiens ! Fier <strong>de</strong> votre jeunesse ,<br />

J'attendais <strong>de</strong>' vous seuls le salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ;<br />

a. " ' 6


82 L f ILIADE.<br />

Mais puisque vous tremblez f sa perte n'est pas loin,<br />

De quel fatal prodige ? A Dieux ! suïs-je témoin ?<br />

Les Troyens jusqu'à nous ont transporte <strong>la</strong> guerre ;<br />

Les Troyens ! <strong>et</strong> nos yeux les voyaient fuir naguère<br />

Gomme <strong>de</strong>s cerfs' légers qui, dans les bois errans,<br />

Ont peur <strong>de</strong>s léopards <strong>et</strong>' <strong>de</strong>s loups dévorans !<br />

Eli quoi ! sans' résistance, à notre .seule. ¥ue,<br />

Leur pha<strong>la</strong>nge au combat recu<strong>la</strong>it'éperdue ,<br />

Et loin <strong>de</strong> leur cité <strong>sur</strong> nos profonds vaisseaux<br />

Leur g<strong>la</strong>ive insolemment-dirige ses assauts !<br />

Voilà les maux produits par les tristes querelles<br />

De ce chef orgueilleux 9 <strong>de</strong> ces peuples rebelles 7<br />

Qui <strong>sur</strong> leur flotte oisifs ? loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> protéger,<br />

Par le fer ennemi se <strong>la</strong>issent égorger. • •<br />

Mais si les torts d'Atri<strong>de</strong> offensèrent Achille ,<br />

Faut-il que <strong>de</strong>s combat» notre valeur s'exile ?<br />

Apportons à ces'maux un prompt sou<strong>la</strong>gement ;<br />

Les mortels généreux s'apaisent aisément.<br />

O les plus fiers <strong>de</strong>s Grecs ! que dans toutes vos âme»<br />

Votre mâle valeur ressuscite ses f<strong>la</strong>mmes. • . • •<br />

Je ne m'irrite point contre l'obscur .soldat<br />

Qu'un lâche effroi dérobe aux périls du combat j


CHANT TREIZIÈME. 83<br />

C'est TOUS qui méritez tout le poids <strong>de</strong> ma haine.<br />

Impru<strong>de</strong>nsLquels malheurs votre faibles» entraîne!<br />

Ah ! redoutez <strong>la</strong> honte elles soupçons jaloux ; • '<br />

Une guerre terrible éc<strong>la</strong>te autour <strong>de</strong> vous ,<br />

Et du fougueux Hector Paudacè meurtrière<br />

De nos portes" déjà -fènveise <strong>la</strong> barrière, » '<br />

H dit : partout renaît un espoir généreux.<br />

Auprès <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Ajax.<strong>de</strong>s eombattans nombreux<br />

Se pressent tout' à coup 7 <strong>et</strong> .leur noble- courage<br />

De Mars <strong>et</strong> <strong>de</strong>PaUas obtiendrait le suffrage. •<br />

Les chefs ]es plus vail<strong>la</strong>rts j enchaînantleur'essor,<br />

Atten<strong>de</strong>nt les Troyens <strong>et</strong> le ,dïvin "Hector.<br />

La <strong>la</strong>nce en frémissant $e croise avec <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ;<br />

Sur le casque dVirainle casque se ba<strong>la</strong>nce ;<br />

Partout les boucliers-touchent les'boucliers ,<br />

Et les guerriers partout se joignent aux 'guerriers.<br />

Les cimiers d'or, chargés- <strong>de</strong> flottantes crinières ,<br />

Confon<strong>de</strong>nt dans les rangs leurs parures akières ;<br />

Chaque dard étincelle 7 agité par leurs bras,<br />

Et tous ont respiré k f<strong>la</strong>nime <strong>de</strong>s coiàabats. •<br />

. Mais bientôt-les Troyms que le courroux excite,<br />

S'avancent ; à leur tête-Hector se précipite.' • *<br />

6.


84 L 5 ILIADE.<br />

Gomme en un jour d'orage , un énorme rocher t<br />

Bu soiqui le r<strong>et</strong>ient prompt à se détacher,<br />

Roule avec le torrent du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s montagnes T<br />

Bondit, ébranle au loin les forêts, les campagnes 7<br />

Lorsqu'enfin <strong>de</strong>scendu jusqu'au sein du vallon ,<br />

Il <strong>la</strong>nguit immobile au milieu d'un sillon :<br />

Tel Hector, emporté par son aveugle rage,<br />

Brûle vers les vaisseaux <strong>de</strong> s'ouvrir un passage ;<br />

H court j semant partout <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas ;<br />

Mais un soudain obstacle a r<strong>et</strong>enu ses pas.<br />

Dès qu'il a rencontré c<strong>et</strong>te épaisse pha<strong>la</strong>nge 1<br />

11 s'arrête j l'armée autour <strong>de</strong> lui se range 1<br />

Et le double tranchant <strong>de</strong>s <strong>la</strong>nces <strong>et</strong> <strong>de</strong>s dards<br />

Oppose à sa fureur d'invincibles remparts. '<br />

Contraint <strong>de</strong> s'éloigner, il frémit <strong>et</strong> s'écrie :<br />

« Enfans <strong>de</strong> Dardanus 7 peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ljcie ,<br />

Demeurez ; ai<strong>de</strong>z-moi. Ces nombreux ennemis ,<br />

Gomme une <strong>la</strong>rge tour l'un par l'autre affermis f<br />

Tomberont sous mes coups, si le maître du mon<strong>de</strong> ,<br />

Si l'époux <strong>de</strong> Junon m'enf<strong>la</strong>mme.<strong>et</strong> me secon<strong>de</strong>. »<br />

Les Troyens ont frémi d'un transport beUïqueux ,<br />

Lorsqu'un fils <strong>de</strong> Priam , Déïphobe avec eux


CHANT TEEIZIEME. 85<br />

S'avance ivre d'audace 9 <strong>et</strong> d'une main hardie<br />

Ba<strong>la</strong>nce un bouclier à <strong>la</strong> forme arrondie.<br />

Mérion lui décoche un bril<strong>la</strong>nt javelot •<br />

Qui, sans se détourner, le frappant aussitôt,<br />

Atteint ce bouclier, vaste- <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> -armure,<br />

Dont le cuir d'un taureau compose <strong>la</strong> structure.<br />

Mais <strong>la</strong> pointe se>brïse <strong>et</strong> ne le perce pas ; •<br />

Tandis que le Troyen , redoutant le trépas f<br />

L'écarté <strong>de</strong> son sein 7 aux coups <strong>de</strong> Déïphobe<br />

Dans <strong>la</strong> foule à grands pas Mérion se dérobe ;•<br />

Honteux d'avoir perdu sa victoire <strong>et</strong> son fer,<br />

Il revole indigné jusqu'aux bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer,<br />

Sous les tentes <strong>de</strong>s Grecs où sa noble vail<strong>la</strong>nce<br />

Déposa- pru<strong>de</strong>mment une plus-forte <strong>la</strong>nce.<br />

Teucerf quand partout règne un tumulte confus-?<br />

Immole., le premier r l'intrépi<strong>de</strong> Imbrius^<br />

Qui, fils du vieux Mentor riche en coursiers, agiles,<br />

Dans Pédée où jadis ses jours cou<strong>la</strong>ient tranquilles 7<br />

Par un chaste hyménée unit à son <strong>de</strong>stin<br />

Medésicaste 7 enfant d'un, amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin..<br />

. Quand les vaisseaux <strong>de</strong>s Grecs voguèrent vers Pergame f<br />

Parmi tous les Troyens signa<strong>la</strong>nt sa gran<strong>de</strong> âme,


86 . L'ILIADE.<br />

Il combattit : Eriam t près <strong>de</strong>, lui J'tftcueiUa&t f. .,<br />

Lui montra t comme un père, unaifaour bienveil<strong>la</strong>nt.<br />

Sur le faîte d'un mont ) ébranlé pat 1 <strong>la</strong> hache ,<br />

Un jeuné,frêne cè<strong>de</strong> à Pefbrt qui J'arrache ,.<br />

Roule ayee.un brait sourd,, <strong>et</strong> ses raineaiix.flétris<br />

Jonchent le ml natal <strong>de</strong> leurs tendres débris : •<br />

Imbrius ; par, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce atteint près <strong>de</strong> Foreille f<br />

Eprouve à c<strong>et</strong>te chuté mmchute,pareille j.<br />

Son armure frémit. Teueer au même instant<br />

S'apprête A conquérir .ce, trophée- ©datant,<br />

Hector lui <strong>la</strong>nce on trait; Teueer le voit san9 crainte,<br />

Et son Iront détourné fuit l'homici<strong>de</strong> atteinte,<br />

Amphimaque paraît <strong>et</strong> reçoit le .trépas} .<br />

Ses armes en tombant j<strong>et</strong>tent un long, fracas.<br />

A peine Hector s'avance , espérant <strong>la</strong> conquête<br />

Du casque étince<strong>la</strong>nt qui protégeait sa tête ,<br />

Un javelot qu'Ajax décoche à ce guerrier,<br />

Sans traverser l'airain , frappe son bouclier<br />

Hector lâche sa proie <strong>et</strong> renonce à l'attaque ;<br />

Stiehius, Ménésthée enlèvent Amphimaque,<br />

Tandis que les Ajax , dans lètirs fougueux transporte,<br />

D'Imbrius tout sang<strong>la</strong>nt ont entraîné le corps.


• CHANT TREIZIÈME. 87<br />

Tels, vainqueurs d'une Moite à <strong>la</strong> <strong>de</strong>nt dévorante %<br />

Deux tionar saisissant une chèvre expirante r<br />

A travers les taillis t vëm leurs outres déserts<br />

Emportent leur far<strong>de</strong>au wspeiuiii dans les airs :<br />

Ainsi aw <strong>de</strong>ux .gucrriera revoient versleurs tentes,<br />

Enlevant <strong>de</strong>s vaincus les armes éc<strong>la</strong>tantes ,<br />

Et le filsijd ? Oiléè , en acm .courroux ar<strong>de</strong>nt ,<br />

Penché <strong>sur</strong> ImbriuA f c^wpe son front pendant,<br />

Qui roule en.tournoyant dans <strong>la</strong> vaste carrière,•<br />

Et tombe-aéxpiedls dTle<strong>et</strong>or sous <strong>de</strong>s lots poussière.<br />

Neptune.fwffiiix.déplore le trépas .." '<br />

D'Àmphimsqw abattu dans ces sang<strong>la</strong>ns combats ;<br />

Pour inspirer ans Grecs son audace divine ^<br />

Il vole <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Trojens prépare <strong>la</strong> ruine.<br />

L'iUuttre Idoménée à ses regards, paraît,<br />

Quatid «,


88 L'ILIADE.<br />

Neptune avec courroux fait r<strong>et</strong>entir sa voix :<br />

« O sage Idoménée, ô prince <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois,<br />

As-tu donc oublié tant <strong>de</strong> vaines menaces<br />

Qui semb<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s Troyens proe<strong>la</strong>merles disgrâces? »<br />

« O Thoas ! nul guerrier n'est coupable aujourd'hui,<br />

Et tous <strong>de</strong> notre bras nous vous prêtons F appui,<br />

Loin <strong>de</strong> trahir , g<strong>la</strong>cés d'une terreur indigne f<br />

Le poste dangereux que le sort nous assigne.<br />

Accuse Jupiter qui loin <strong>de</strong>s murs d'Argos<br />

Moissonne sans honneur <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> nos héros.<br />

Thoas ! ô toi, <strong>de</strong>s Grecs défenseur magnanime 7<br />

Parle : que leur audace à ta voix se ranime. »<br />

« Puisse le vil guerrier 7 déserteur <strong>de</strong>s combats f<br />

Ne revenir jamais <strong>de</strong> ces lointains climats !<br />

Qu'il meure 1 <strong>et</strong> que son corps, <strong>la</strong>issé sans sépulture ,<br />

Serve aux chiens dévorans <strong>de</strong> sang<strong>la</strong>nte pâture !<br />

Arme-toi : confondons notre mâle valeur,<br />

Et loin du front <strong>de</strong>s Grecs repoussons le malheur.<br />

Si <strong>de</strong>ux guerriers unis combattent moins timi<strong>de</strong>s 7<br />

La victoire est promise à nos bras intrépi<strong>de</strong>s.<br />

Marchons ! » Dans tous les rangs le Dieu qui parle encor<br />

Dirige <strong>de</strong> ses pas l'impétueux essor.


CHANT TREIZIÈME. 89<br />

Idoménée, au'fond <strong>de</strong> sa superbe tente,<br />

Impatient, revêt son armure éc<strong>la</strong>tante ,<br />

Saisit <strong>de</strong>ux javelots, <strong>et</strong> son sein beEiqueux<br />

De l'airain qui le couvre au loin dar<strong>de</strong> les'feux :<br />

Tel l'éc<strong>la</strong>ir, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste voûte,<br />

Lancé par Jupiter , s'ouvre une ar<strong>de</strong>nte route ,<br />

Lorsqu'en j<strong>et</strong>s menaçans sa sinistre c<strong>la</strong>rté<br />

Présage <strong>de</strong>s malheurs au mon<strong>de</strong> épouvanté.<br />

Son fidèle éeuyer, Mérion, à sa vue<br />

Présente tout à coup sa' rencontre imprévue ;<br />

Car alors Mérion , comme son souverain ,<br />

Venait armer son bras d'une <strong>la</strong>nce d'airain.<br />

Le monarque s'étonne. « O vengeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

O toi, digne à mes yeux d'estime <strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse,<br />

Léger fils <strong>de</strong> Molus, cher Mérion, dit-il, ,<br />

Des combats meurtriers pourquoi fuir le péril?<br />

Es-tu blessé? le sort trahit-il ton courage,<br />

Ou viens-tu m'apporter un sinistre message?<br />

Tu le vois; je courais, fuyant un vil repos,<br />

M'arracher à ma tente <strong>et</strong> combatttre en héros. »<br />

«Chef pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois, perm<strong>et</strong>s que ma vail<strong>la</strong>nce<br />

Pans le fond <strong>de</strong> ton camp choisisse une autre <strong>la</strong>nce j


go L'ILIADE. •<br />

La mienne Vert brisée^ <strong>et</strong> air son bouclier " '<br />

L'insolent Deïphébe en a rompu Facier. » ' " :<br />

« Vingt <strong>la</strong>nces f lui répond-le pritice <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète ?<br />

Des <strong>la</strong>mbris <strong>de</strong> ma tente ornent eneèr le faîte,<br />

Puisque toujours ? <strong>de</strong> près affrontant, les combat* *<br />

J'ai dépouilé les chefi. immolés par mon bras^<br />

Et leurs ronds boucliers r leurs ^iManto'cuirasses,<br />

Leurs casques radieux.attestent leurs disgrâces.- »<br />

« Comme toi f dans ma tente <strong>et</strong> Sur mon noir vaisseau,<br />

D'un trophée ennemi je gar<strong>de</strong> le monceau. .<br />

Mais d'ici jusqu'aux mers règne, trop.dè distante.<br />

Certes f auenn'péril ^ n'ébranle ma, constance ;<br />

Quand le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre éc<strong>la</strong>te déchaîné |<br />

Mon gèle au premier-rang est .toujours.entraîné ;•<br />

A défaut d'autres yeux y tes regards f ô .mon maître !<br />

Aux exploits <strong>de</strong> inon g<strong>la</strong>ive ont dû me recoÉnaître. »<br />

« J'admire ta valeur : pourquoi <strong>la</strong> rappeler?<br />

J'ai vu datts tes périls ton bras te.signaler. • .<br />

Lorsqu'il faut tendre un piège r une si ru<strong>de</strong> épreuve<br />

Du lâche <strong>et</strong> du vail<strong>la</strong>nt foutait<strong>la</strong>-doublfe preuve.<br />

Lfe lâéhe à tout mbment pâlit épèuvatité-;<br />

Son eœfcir a tressailli, par l'effroi tourmente;


CHANT TREIZIÈME. QV<br />

Ses <strong>de</strong>nts Fune <strong>sur</strong> l'autre -en c<strong>la</strong>quant r<strong>et</strong>entissent;<br />

Sur ses pieds il chancelle^ <strong>et</strong>-ses' genoux fléchissent.<br />

Mais le brave^ <strong>de</strong>bout^ à<strong>la</strong>chrainté ^étrangerf<br />

Sans changer dé viàagé 1 appelle le danger^ -<br />

S 5 il nous Al<strong>la</strong>it dresser une embûche ennemie 7<br />

Notre audace «vaincrait^- par ta force affermie.<br />

Qui pourrait t&ocuaer? Fidèle au premier rangf<br />

Tu ne reeevmspas^uii tioup- déshonorant j<br />

Et <strong>de</strong>s dards- meurtriers dMfiant <strong>la</strong> tempête •<br />

Tu ne leur offirira&que ton -sein -<strong>et</strong> ta tête.<br />

Pour quhû ne • blâme pas nos frivoles discours,<br />

Hâte-toi, prends taon fer; viens au combat ; j'y conte. »<br />

Mérion tolé; il s'arme^ <strong>et</strong> prè^ dldoméne'e<br />

Sa brû<strong>la</strong>nte valeur est soudain, ramenée.<br />

Quand le Afottéhé Mars 7 <strong>et</strong> l'aveugle- Terreur f<br />

Sa fille ? du -plus brave enchaînant <strong>la</strong> ftâreur f -<br />

Aux eris <strong>de</strong>s combàttans <strong>de</strong> Phlégéë <strong>et</strong> d'Ephyre,<br />

Des fldmm<strong>et</strong>e <strong>de</strong> là Thracfe abandoiitiërit l'étfipirë,<br />

Ces •imp<strong>la</strong>cables-Dieux, <strong>de</strong>ieûfà ariiiëè bouVeits,<br />

Tour à tour invoquëà par <strong>de</strong>à dotlhaïte divers,<br />

Entre ce double peuple arbitre^ <strong>de</strong> <strong>la</strong> glôfrë,<br />

A Fuil donnent <strong>la</strong> mort y à Fautrè <strong>la</strong> victoire :


92 ' L'ILIADE.<br />

Tel le couple héroïque 7 étinee<strong>la</strong>nt d'airain 1<br />

Aux fureurs <strong>de</strong>s combats oppose un front serein..<br />

« Fils <strong>de</strong> Deucalion ! dit Pécuyer fidèle7<br />

Marcherons-nous au centre f à <strong>la</strong> droite 7 à l'autre aile?<br />

Les Grecs aux longs cheveuxf presses par le Troyen r<br />

N'eurent jamais besoin d'un plus-ferme soutien. »<br />

Le monarque répond : « D'autres avec courage<br />

Du centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte écartent le ravage ;<br />

Là sont les <strong>de</strong>ux Ajax, <strong>et</strong> Teucer dont le bras<br />

Ou <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin sait "donner le'trépas.'<br />

Hector7 malgré l'ar<strong>de</strong>ur qui toujours le transporte,<br />

Jamais <strong>de</strong> notre camp ne brisera <strong>la</strong> porte ;<br />

Jamais il ne pourra 7 ni • vaincre ces héros,<br />

Ni franchir nos remparts 7 ni brûler nos vaisseaux 7<br />

A moins que Jupiter <strong>sur</strong> <strong>la</strong>'flotte a<strong>la</strong>rmée<br />

Ne j<strong>et</strong>te ici lui-même une torche enf<strong>la</strong>mmée.<br />

Non j Ajax ne redoute aucun <strong>de</strong> ces mortels<br />

Qui,' nourris jpar Gérés <strong>de</strong> ses "fruits maternels 7<br />

Toiiibent , lorsque les Dieux manquent à leur vail<strong>la</strong>nce,-<br />

Atteints par un rocher ou frappés d'une <strong>la</strong>nce.<br />

C<strong>et</strong> Achille ? à <strong>la</strong> course aujourd'hui sans égal7<br />

Ne saurait <strong>de</strong> pied ferme attendre un tel rival.


CHANT TREIZIÈME. g3<br />

Marchons vers Faile gauche, <strong>et</strong> qu'une prompte lutte<br />

Déci<strong>de</strong> pour nous-<strong>de</strong>ux le triomphe ou <strong>la</strong> chute. »<br />

Émule du Dieu. Mars , Mérion sans effroi<br />

Séance jusqu'au lieu désigné par son roi ;<br />

Il suit Idoménée : aux lueurs foudroyantes<br />

Que dar<strong>de</strong>nt dans les airs leurs armes Iamboyantes 1<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens en son agile essor .<br />

Accourt j <strong>et</strong> le succès flotte douteux encor.<br />

Dans les jours orageux , quand les routes désertes<br />

D'une ari<strong>de</strong> poussière au loin,restent couvertes 7<br />

On voit s'amonceler ces tourbillons mouvans<br />

Qui volent soutenus par l'haleine <strong>de</strong>s vents :<br />

Telles avec fureur luttent les <strong>de</strong>ux armées,<br />

fiayonnantes d'airain , <strong>de</strong> carnage affamées ;<br />

Ce combat dévorant , hérissé <strong>de</strong> longs dards,<br />

Sous leur choc'meurtrier frémit <strong>de</strong>-toutes parts ,<br />

Et <strong>de</strong>s.grands boucliers , <strong>de</strong>s casques, <strong>de</strong>s cuirasses<br />

Les feux ont semé l'air <strong>de</strong> leurs bril<strong>la</strong>ntes traces.<br />

Quel homme 1 contemp<strong>la</strong>nt ce spectacle d'horreur 7<br />

Palpiterait <strong>de</strong> joie <strong>et</strong> non pas <strong>de</strong> terreur ?<br />

Les <strong>de</strong>ux enfans rivaux} dont Saturne est le père 1<br />

Gar<strong>de</strong>nt à chaque peuple une douleur amère.


94 L'ILIADE.<br />

Si, donnant <strong>la</strong> victoire aux Troyens valeureux ,<br />

II' honore Thétïs <strong>et</strong> son fils généreux,<br />

Jupiter ne veut pas que les Grecs <strong>de</strong>vant Troie<br />

Du courroux <strong>de</strong>s'<strong>de</strong>stins succombent'tous <strong>la</strong> proie.<br />

En secr<strong>et</strong> échappé <strong>de</strong> l'écume <strong>de</strong>s:mers, ' ' *<br />

Neptune <strong>de</strong>s vaincus déploré les revert ,<br />

Allie à leur fureur sa fureur vengeresse*,<br />

Et contre Jupiter vient protéger <strong>la</strong> Grèce j<br />

Mais redoutant son - frère , <strong>et</strong> respectant les droits<br />

Dont Page <strong>et</strong> <strong>la</strong> raison Fermèrent à. <strong>la</strong> fois,<br />

Il n'ose pas braver sa suprême puissance,'<br />

Et sous <strong>de</strong>s traits mortels déguise sa présence.<br />

Entre les <strong>de</strong>ux partis les célestes rivaux -<br />

Eten<strong>de</strong>nt c<strong>et</strong>te chaîne aux immenses anneaux,<br />

De l'aveugle Discor<strong>de</strong> in<strong>de</strong>structible ouvrage ,<br />

Où <strong>de</strong> nombreux guerriers ont brisé leur courage.<br />

Bien qu'à moitié b<strong>la</strong>nchi par l'injure <strong>de</strong>s ans,<br />

Idoménée au loin pousse -<strong>de</strong>s cris perçans ;<br />

Parmi les rangs troyeos sa valeur entraînée<br />

Renverse sous ses" coups le jeune Othr jotîée,<br />

Qui, venu <strong>de</strong> Gabèse aux remparts d'Ilion,'<br />

Croit r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le jour <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>struction.' •


CHANT TEEIZIÈME. o&<br />

Sans offrir une dot, son cœur osa prétendre<br />

A Fhyiïien glorieux -<strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Cassandre f<br />

Si toutefois son-bras par -se$ hardis efforts ,<br />

Chassait les fils <strong>de</strong>s Grecs <strong>de</strong>scendus '<strong>sur</strong> ces borcjs.<br />

Prïam y consentit ; <strong>et</strong> fier <strong>de</strong> pa promesse f<br />

Le héros signa<strong>la</strong>it sa belliqueuse ITT^SG , •><br />

Lorsque le trait aigu- contre lui dirigé<br />

Vole, <strong>et</strong> 7 malgré Fairain ? d'ans son f<strong>la</strong>nc s f est plongé.<br />

Il roule avec fracas 9 <strong>et</strong> le roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète<br />

Par ce <strong>la</strong>ngage altier insulte à sa défaite :<br />

« 0 brave Othrybnée l entre tous les mortels<br />

Je te décernerai -<strong>de</strong>s -'honneurs solennels 7 -<br />

Si ta foi j respectant <strong>la</strong> parole jurée r<br />

Conclut avec PriawFwnion espérée. •<br />

Maïs en vain <strong>de</strong> Gassandre il t'accorda <strong>la</strong>^ main ;<br />

La Grèce-te propose un plus augmste hymen.<br />

Ecoute : Agamemûop te parle par ma bouche j<br />

Sa fille <strong>la</strong> plus belle est promise à ta conche ;<br />

Argos te l'$ayerra , si %n veux ave


96 L'ILIADE.<br />

Le vainqueur le saisit f <strong>et</strong> d'un bras irrite<br />

Traîne parmi les rangs son corps ensang<strong>la</strong>nta<br />

Près <strong>de</strong> son ehar^ non loin du fumant atte<strong>la</strong>ge<br />

Dont l'habile écuyer a captivé <strong>la</strong> rage ,<br />

Asius seul à pied <strong>de</strong> courroux a frémi ;<br />

Il brûle en l'immo<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> venger un ami.<br />

Son rival le prévient, <strong>et</strong> l'airain qu'il allonge<br />

Au-<strong>de</strong>ssous du menton dans sa gorge se plonge.<br />

Sur le mont paternel, comme le pin altier,<br />

Le chêne aux longs rameaux ou le b<strong>la</strong>nc peuplier<br />

Sous les forts bûcherons dont l'acier le déchire<br />

Tombe , prêt à voguer en rapi<strong>de</strong>" navire :<br />

Ainsi <strong>de</strong>vant son char Asius menaçant<br />

Roule <strong>et</strong> presse un terrain inondé <strong>de</strong> son sang ;<br />

Il meurt : son écuyer? que l'épouvante g<strong>la</strong>ce ,<br />

Reste j sans fuir <strong>la</strong> mort 7 immobile à sa p<strong>la</strong>ce.<br />

Mais Antiloque , armé d'un javelot siff<strong>la</strong>nt,<br />

Traverse sa cuirasse <strong>et</strong> lui perce le f<strong>la</strong>nc ;<br />

Loin du char magnifique il tombe ; son sang coule j<br />

Ses vains gémissemens expirent dans <strong>la</strong> foule,<br />

Et le fils <strong>de</strong> Nestor f s'emparant <strong>de</strong>s coursiers,<br />

Les pousse vers les Grecs aux bro<strong>de</strong>quins guerriers.


CHANT TREIZIÈME. 97<br />

Pour venger Asius , Déïphobe s'é<strong>la</strong>nce ,<br />

Et contre Idoménée ose tourner sa <strong>la</strong>nce ;<br />

Mais l'agile Cr<strong>et</strong>ois se cache tout entier<br />

Sous <strong>la</strong> masse d'airain du <strong>la</strong>rge bouclier ,<br />

Où flotte d'un taureau <strong>la</strong> dépouille étendue ,<br />

Par <strong>de</strong>ux anneaux épais à son bras suspendue, ' -<br />

Si l'armure effleurée a soudain r<strong>et</strong>enti,<br />

Ce n'est pas vainement que le fer est parti.<br />

Le- pasteur <strong>de</strong>s humains, Hypsénor, fils d'Hippase f<br />

Fléchit, sans résister, sous le choc qui l'écrase;<br />

Ses genoux défaïl<strong>la</strong>ns se dérobent sous lui ; .<br />

Ses- f<strong>la</strong>ncs s'ouvrent ; son âme en gémissant a fui.<br />

DAphobe vainqueur crie avec arrogance :<br />

« Ah ! du moins Asius n'est pas mort sans vengeance,<br />

Et ce gui<strong>de</strong> nouveau que lui donne mon fer,<br />

Réjouira son âme aux portes <strong>de</strong> l'enfer. »<br />

A ces mots proférés par un orgueil barbare,<br />

D*Antiloque <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Grecs le désespoir s'empare.<br />

Antiloque éperdu <strong>sur</strong> le guerrier chéri<br />

De son grand bouclier vient allonger l'abri,<br />

Tandis que <strong>de</strong>ux amis, A<strong>la</strong>stor, Mécistée<br />

L'emportent, gémissant dans son âme attristée*<br />

a. ' 7


98 • L'ILIADE.<br />

Fidèle à son courroux7 le prince <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois7.<br />

Jaloux <strong>de</strong> s'illustrer par- <strong>de</strong> nouveaux exploits 7<br />

Veut pousser les Troyèns <strong>sur</strong> Finfernale p<strong>la</strong>ge<br />

Ou <strong>de</strong>s Grecs par sa mort r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le carnage.<br />

Il renverse d'abord d'un bras victorieux •<br />

Un <strong>de</strong>s fi<strong>la</strong> d'Ésyète7 enfant du roi <strong>de</strong>s cieux7<br />

Le noble Âlcalhoâs 7 qu'au sein <strong>de</strong> sa famiie<br />

Âncliise avait admis- en lui donnant sa fille ;<br />

La jeune Hippodamie, en son natal séjour,<br />

Pour son père <strong>et</strong> sa mère obj<strong>et</strong> d'un tendre amour 7<br />

De talens7 <strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâces ornée 7<br />

Plus belle que ses sœurs 7 marchait leur sœur aînée j<br />

Âlcathoûs 7 fameux parmi tous les Troyens 7<br />

S'était joint à son sort par- <strong>de</strong> cbastes liens.<br />

Sous le fer du Cr<strong>et</strong>ois- Neptune 1 le terrasse 7<br />

Obscurcit ses regards 7 enchaîne son audace 7<br />

Et tel qu'une colonne 7 ou qu'un arbre élevé 7<br />

Il ne peut fuir. Bientôt <strong>de</strong> son sang abreuvé 7<br />

Le trait a pénétré l'airain <strong>de</strong> son amure<br />

Qui toujours-du trépas a repoussé l'injure ;<br />

Déchiré par ce trait 7 Fakain r<strong>et</strong>entissant<br />

Ec<strong>la</strong>te- 7 <strong>et</strong> le guerrier qui tombe en gémissant^


CHANT TREIZIÈME. m<br />

ï)ans son cœur palpitent sent Parme tout entière<br />

Eallentir par <strong>de</strong>grés sa foreur meurtrière,<br />

A l'aspect du guerrier qui <strong>de</strong>scend au cercueil,<br />

Le Cr<strong>et</strong>ois triomphant s'écrie avec orgueil:<br />

« Déïphobe ! crois-tu qu'une triple victime<br />

Venge un seul Grec plongé dans Finfernal abîme ?<br />

Lâche ! tu f app<strong>la</strong>udis ; eh bien ! attaque-moi ;<br />

Le sang <strong>de</strong> Jupiter te g<strong>la</strong>cera d'effroi.<br />

Oui 7 Jupiter transmit le sceptre <strong>et</strong> <strong>la</strong> naissance<br />

A Minos dont <strong>la</strong> Crète honora <strong>la</strong> puissance.<br />

L'hyménée à Minos donna Deucalion ;<br />

Et moi 1 fils <strong>de</strong> ce prince , aux remparts d'Ilion<br />

J'accourus <strong>sur</strong> ma lotte, armé <strong>de</strong> mon audace ,<br />

Pour consommer te perte <strong>et</strong> ceUe <strong>de</strong> te race. »<br />

Déïphobe incertain ba<strong>la</strong>nce dans son cœur<br />

S'il doit seul provoquer le g<strong>la</strong>ive du vainqueur ;<br />

Mais vers ses compagnons sa pru<strong>de</strong>nce entraînée<br />

R<strong>et</strong>ourne aux <strong>de</strong>rniers rangs où l'intrépi<strong>de</strong> Énée?<br />

Parmi tous les héros dès long-temps illustré ,<br />

Regr<strong>et</strong>te les honneurs dont Priam Fa frustre.<br />

« Conseiller <strong>de</strong>s Troyens, dit-il, secours ton frère';<br />

Qu'à te tendresse encor te famille soit chère.<br />

7-


IOO L'ILIADE.<br />

Vengeons Alcattioûs , c<strong>et</strong> époux <strong>de</strong> ta sœur.<br />

Jadis <strong>de</strong> son amour tu connus <strong>la</strong> douceur ;<br />

Viens lui payer les soins <strong>rendus</strong> à ton enfance ;<br />

Viens : le fer du Cr<strong>et</strong>ois l'immo<strong>la</strong> sans défense. »<br />

Il dit : le fils. d'Ancliïse f ému par <strong>la</strong> douleur,<br />

Palpite 1 étince<strong>la</strong>nt du feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur.<br />

Sans fuir comme un enfant , le pritice <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète<br />

Immobile , résiste aux coups <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête.<br />

Lorsqu'un fort sanglier, dans un bois ténébreux,<br />

Des cliiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s chasseurs attend l'essaim nombreux,<br />

Il aiguise ses <strong>de</strong>nts ; ses longs poils se hérissent,<br />

Et mille ar<strong>de</strong>ns éc<strong>la</strong>irs loin <strong>de</strong> ses yeux jaillissent :<br />

Ainsi 7 ferme à son poste, il appelle, à grands cris<br />

Ses plus chers compagnons au péril aguerris,<br />

Apharès, Déipyre, Asca<strong>la</strong>phe ? Antïloque ,<br />

Mérion


CHANT TREIZIEME. 101<br />

Pleins d'une même ar<strong>de</strong>ur, tousces guerrierss'é<strong>la</strong>iicent,<br />

Et leurs grands boucliers-<strong>sur</strong> leurs dos se ba<strong>la</strong>ncent.<br />

Le fils d'Anchise alors va chercher un appui<br />

Parmi les chefs Troyens qu'il a- vus près'<strong>de</strong> lui ;<br />

Dès qu'Agénor, Paris, Déïpbobe l'entourent, •<br />

Les nombreux bataillons <strong>de</strong> toutes parts accourent.<br />

Quand le bélier- conduit les bondissans troupeaux -<br />

Du sein <strong>de</strong>s prés féconds-<strong>sur</strong>'le bord <strong>de</strong>s ruisseaux,<br />

Le berger'dans son cœur goûte-une douce ivresse-:<br />

Tel j rempli" d'une vive <strong>et</strong> secrète allégresse ?<br />

Enée avec orgueil voit ces hardis soldats<br />

Se réunir en foule <strong>et</strong> marcher <strong>sur</strong> ses pas.<br />

Autour d'Aleathoûs les guerriers s'amoncellent.<br />

Dans leurs- terribles mains les <strong>la</strong>nces étinceUent ;<br />

Ils se heurtent ensemble 7 <strong>et</strong> Fairain gémissant<br />

Se brise 7 entrechoqué <strong>sur</strong> leur sein frémissant.<br />

Mais entre <strong>de</strong>ux héros ta fortune indécise<br />

Hésite ; Idoménée- avec le fils d'Anchise ,<br />

Tous <strong>de</strong>ux rivaux <strong>de</strong> Mars , armés d'un fer cruel,. .<br />

Brûlent <strong>de</strong> se donner un trépas mutuel.<br />

Le Troyen-le premier attaque-Idoménée,<br />

Et <strong>de</strong> son trait d'airain <strong>la</strong> pointe détournée \


102 L'ILIADE.<br />

D'une main vigoureuse inutile instrument 7<br />

Dams le sol entr'ouvert s'enfonce sour<strong>de</strong>ment.<br />

Alors d'Enomaiis, promis aux funérailles,<br />

La <strong>la</strong>nce du Cr<strong>et</strong>ois déchire les entrailles ;<br />

Sa cuirasse est fendue j il tombe en recu<strong>la</strong>nt f<br />

Et <strong>de</strong> sa faible main presse un sable brû<strong>la</strong>nt.<br />

Le vainqueur, r<strong>et</strong>irant son fer <strong>de</strong> <strong>la</strong> bles<strong>sur</strong>e f<br />

En vain cherche à saisir l'étinœ<strong>la</strong>nte armure ;<br />

Accablé sous les dards , il a bientôt senti<br />

Fléchir <strong>sur</strong> ses genoux son corps appesanti ;<br />

S'il repousse <strong>la</strong> mort , par un <strong>de</strong>stin contraire<br />

Ses <strong>de</strong>ux pieds au combat tar<strong>de</strong>nt à le soustraire ;<br />

Il s'éloigne à pas lents. Déïphobe aussitôt<br />

Sans l'atteindre , lui <strong>la</strong>nce un bril<strong>la</strong>nt javelot ;<br />

Car à sa haine ar<strong>de</strong>nte il est toujours fidèle.<br />

" A l'épaule frappé par <strong>la</strong> flèche mortelle,<br />

Asca<strong>la</strong>phe expirant tombe , roule ? <strong>et</strong> soudain<br />

Attache au sol poudreux sa défail<strong>la</strong>nte main.<br />

Mars à <strong>la</strong> forte voix, Mars 7 ce Dieu <strong>de</strong>s batailles,<br />

Ignorant <strong>de</strong> son fils les promptes funérailles ,<br />

Tranquillement assis dans un nuage d'or,<br />

Au repos condamné, <strong>de</strong>meure oisif encor


CHANT TREIZIÈME. io3<br />

Sur le haut <strong>de</strong> POlympfc où le roi du tonnerre<br />

Défend aux immortels ce combat sanguinaire.<br />

Quand d ? un tumulte affreux Dëïphobe entouré<br />

Ravissait son beau casque au héros expiré,<br />

J<strong>et</strong>é par Mérion, un javelot le frappe ;<br />

Son bras cè<strong>de</strong> 5 avec bruit le casque s'en échappe.<br />

Tel qu'un ar<strong>de</strong>nt vautour ^ Mérion é<strong>la</strong>ncé<br />

R<strong>et</strong>ire alors soû fer dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie enfoncé 5<br />

Il s'éloigne. Polite ; aux périls <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

S'empreàsant d'arracher Déïphobe son frère 7<br />

Le conduit jusqu'au char dont les coursiers fougueux<br />

Traînent vers Dion ce héros malheureux ç<br />

Le cœur <strong>de</strong> Déïphobe exhale un sourd murmure y<br />

Et le sang à longs flots jaillit <strong>de</strong> sa bles<strong>sur</strong>e.<br />

Le tumulte redouble ; on combat <strong>de</strong> plus près.<br />

Le fils dç Calétor 1 le. vail<strong>la</strong>nt Apharès<br />

S'ayanœ contre Enée , <strong>et</strong> d'un trait redoutable<br />

Reçoit dans le gosier l'atteinte inévitable.<br />

Son bouclier se brise <strong>et</strong> son front s'est courbé ;<br />

Les ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>sur</strong> ses jeux ont tombé.<br />

Thoon fuit j Antiloque a tranché <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive<br />

Le nerf qui <strong>sur</strong> le dos vers <strong>la</strong> tête s'élève ;


io4 L'ILIADE.-<br />

Thoon frappé chancelle ,. <strong>et</strong>, léseras étendus,<br />

Implore'vainement.ses amis éperdus.<br />

Lorsque , rou<strong>la</strong>nt partout une vue inquiète,<br />

Le Grec , <strong>de</strong> son armure a ravi <strong>la</strong>. conquête ,<br />

Les bataiEons-troyens, prompts à se rallier,<br />

Fatiguent <strong>de</strong>leurs coups son <strong>la</strong>rge bouclier ; ,<br />

Mais leurs traits, vers son cœur sans trouver un passage,<br />

A sa peau délicate ont épargné l'outrage.<br />

Car ce fils <strong>de</strong> Nestor, fier d'un céleste appui,<br />

Brave les dards nombreux, dirigés jusqu'à lui ;<br />

Soutenu par Neptune, il agite sans cesse'<br />

Contre ses ennemis sa, pique vengeresse ,<br />

Incertain si le-fer que ba<strong>la</strong>nce son bras<br />

Doit <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin envoyer le trépas.<br />

Adamas, qui le voit dans l'épaisse mêlée,<br />

Frappe d'un javelot son armure -ébranlée ;<br />

Neptune aux verts cheveux, défenseur <strong>de</strong> ses jours,<br />

A détourné l'airain par- un heureux secours.<br />

Le dard en <strong>de</strong>ux éc<strong>la</strong>ts tout à coup se divise ;<br />

En tombant <strong>sur</strong> le sol une moitié se brise ,<br />

Et l'autre , comme un pieu durci par le foyer,<br />

S'enfonce dans le cuir-<strong>de</strong> l'épais bouclier.


CHANT TREIZIÈME. '• ro5<br />

Adamas, pour tromper l'avare Destinée , -<br />

S'éloigne , <strong>et</strong> Mérion , dans sa rage obstinée- ,<br />

Lui perce le nombril à l'endroit où le sort •<br />

Ouvre pour les. humains un- passage à <strong>la</strong> mort. •<br />

Gomme un taureau, rebelle au bouvier qui l'entraîne,<br />

Sur le faîte d'un-mont se-débat dans sa chaîne :•.<br />

Tel le .héros s'agite, <strong>et</strong> son cœur palpitant,<br />

G<strong>la</strong>cé par le-trépas-, s'arrête au même instant.;<br />

A peine Mérion .r<strong>et</strong>ire son. armure,<br />

Sur les yeux d ? Adamas s'étend une .ombre obscure.<br />

Déïpyre <strong>de</strong>scend dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> l'enfer,<br />

Lorsqu'Hélénus , armé <strong>de</strong> c<strong>et</strong> énorme fer ,<br />

Dont les champs <strong>de</strong>.<strong>la</strong>Thrace ont vu forger <strong>la</strong>-trempe,<br />

S'approche.en menaçant .<strong>et</strong> le .blesse à <strong>la</strong>.tempe.<br />

Le casque <strong>sur</strong>. le, sol roule aux.pieds <strong>de</strong>s. soldats,<br />

Et pour le. relever un Grec .étend ses bras..<br />

Méné<strong>la</strong>s en gémit; son vol.se précipite ;<br />

La longue javolme-entre ses mains s'agite.<br />

Hélénus tend.son,arc, <strong>et</strong>,ces rivaux fougueux.,<br />

L'un contre l'autre armés, s'avancent tous les.<strong>de</strong>ux.<br />

Déjà <strong>sur</strong> Méné<strong>la</strong>s une. flèche <strong>la</strong>ncée<br />

Vient frapper sa cuirasse <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ombe émoussée.


io6 L'ILIADE.<br />

Si dans une aire immense un diligent vanneur<br />

De sa récolte aux vents livre le frêle honneur.,<br />

Le pois qui se détache , <strong>et</strong> <strong>la</strong> fève qui tremble<br />

Dans l'osier ba<strong>la</strong>ncé r<strong>et</strong>entissent ensemble :<br />

Tel le dard acéré rebondit ; Méné<strong>la</strong>s<br />

Avec le javelot décoché par son bras<br />

Frappant Farc d'Hélénuâ , fixe sa main sang<strong>la</strong>nte<br />

Sur le bois déchiré <strong>de</strong> l'arme étince<strong>la</strong>nte.<br />

Pour fuir <strong>la</strong> mort, les pas du tremb<strong>la</strong>nt Hélénus<br />

Dans les rangs <strong>de</strong>s Troyens sont bientôt revenus ;<br />

Il traîne encor le dard, mais Agénor l'arrache ;<br />

Par les soins d'Agénor, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> main qu'elle attache,<br />

La fron<strong>de</strong> que portait l'écuyer valeureux,<br />

De sa <strong>la</strong>ine flexible entre<strong>la</strong>ce les nœuds.<br />

Pisandre est accouru ; <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />

Te charge ? ô Méné<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> borner sa carrière.<br />

Le couple ar<strong>de</strong>nt s'approche 1 <strong>et</strong> le Grec sans terreur<br />

Décoche un, javelot qui trahit sa fureur.<br />

Un trait que le Troyen <strong>la</strong>nce d'un j<strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> 7<br />

Ne peut du bouclier percer l'airain soli<strong>de</strong> ;<br />

La pointe s'est brisée , <strong>et</strong> son cœur cependant<br />

•Se réjouit, bercé d'un espoir impru<strong>de</strong>nt.


CHANT TREIZIÈME. 107<br />

Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent arme le fils d'Atrée ;<br />

Il vole , <strong>et</strong> son rival ? d'une main as<strong>sur</strong>ée ,<br />

S'emparant <strong>de</strong> Pacier, qui, par Part embelli,<br />

S'attache au long rameau d'un olivier poli t<br />

Sous les coups redoublés <strong>de</strong> sa pesante hache<br />

Abat du casque épais le mobile panache.<br />

Maïs le front <strong>de</strong> Pisandre est fendu jusqu'à Pos ;<br />

Ses yeux roulent ; le sang en jaillit à grands flots.<br />

Il tombe ; Ménéks 1 palpitant <strong>de</strong> furie 7<br />

Les <strong>de</strong>ux pieds <strong>sur</strong> son cœur? le dépouille <strong>et</strong> s'écrie :<br />

c< Ainsi ) lâches Troyens ! vous fuirez les vaisseaux<br />

Des fils <strong>de</strong> Danaûs aux rapi<strong>de</strong>s chevaux !<br />

Peuple ingrat <strong>et</strong> parjure ! est-il un seul outrage<br />

Que vous n'ayez rendu mon douloureux partage ?<br />

O dogues insolens ! vous avez irrité<br />

Le Dieu, vengeur <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'hospitalité,<br />

Jupiter qui, bientôt <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> vous sa foudre,<br />

Renversera les murs d'Ilion mis en poudre.<br />

Accueillis sous mon toit 1 vous m'avez sans remords<br />

Ravi ma chaste épouse <strong>et</strong> mes nombreux trésors 7<br />

Et vous osez prom<strong>et</strong>tre 7 en vos fureurs sang<strong>la</strong>ntes 7<br />

Nos vaisseaux voyageurs à vos torches brû<strong>la</strong>ntes !


io8 L'ILIADE.<br />

Mais non : tous vos soldats, déchus d'un vain orgueil,<br />

Fuiront sans nous plonger dans <strong>la</strong> nuit du-cercueil.<br />

Père du mon<strong>de</strong> , ô toi dont <strong>la</strong> sagesse' austère<br />

Triomphe dans le ciel <strong>et</strong> règne <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre,.<br />

Tu soutiens ces pervers, artisans <strong>de</strong> forfaits T<br />

Que le meurtre <strong>et</strong> le sang n'assouvissent jamais !<br />

Eh quoi ! le doux sommeil <strong>la</strong>sse enfin nos paupières ;<br />

Les amours prolongés durant les-nuits entières,<br />

Les chants harmonieux, <strong>la</strong> danse aux nobles choeurs,<br />

Plus chère encor pour nous que <strong>la</strong> guerre aux vainqueurs,<br />

Tout fatigue.nos sens, .<strong>et</strong>, constans dans leur, rage,<br />

Les Troyens seuls toujours respirent le carnage ! »<br />

Méné<strong>la</strong>s, achevant ce <strong>la</strong>ngage hautain,<br />

De <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte armure enlève le butin,<br />

Le rem<strong>et</strong> aux soldats ,. <strong>et</strong> court ivre <strong>de</strong> joie<br />

Déployer sa. fureur contre les fils-<strong>de</strong> Troie.<br />

En ce. moment .vers lui s'é<strong>la</strong>nce Harpalion,<br />

Qui, guidé par un père, aux rives d'Hion,<br />

Ne-doit plus, terrassé sous <strong>la</strong> Parque inhumaine ,<br />

Saluer son pays, ni revoir Pylémène.<br />

Un trait que-ce héros <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong>. Méné<strong>la</strong>s ,<br />

Frappe le bouclier, mais ne le brise pas j


CHANT TREIZIÈME. 109<br />

Rou<strong>la</strong>nt partout ses yeux j honteux <strong>de</strong> -sa défaite ,<br />

Contre les dards mortels il cherche une r<strong>et</strong>raite<br />

Et fuit vers'ses soldats} quand par un -coup adroit.<br />

Un trait <strong>de</strong>'Mérion lui perce le .'f<strong>la</strong>nc droit-;<br />

L'os se brise ; étendu comme un impur reptile ,<br />

Parmi ses compagnons" il <strong>la</strong>nguit immobile.<br />

Son sang coule à flots noirs ; lorsque son âme a fui.<br />

Les Paph<strong>la</strong>goniens 7 pressés autour <strong>de</strong>:lui 7<br />

Font r<strong>et</strong>entir les cieux <strong>de</strong> leurs p<strong>la</strong>intes amères ,<br />

Et p<strong>la</strong>cent <strong>sur</strong> un char <strong>de</strong>s dépouilles si chères ;<br />

Le cortège s'éloigne , <strong>et</strong> dans ses murs sacrés .<br />

Dion.a reçu les soldats éplorés.<br />

L'œil en pleurs, à pas lents f Pylémène s'avance*<br />

Hé<strong>la</strong>s ! le sang d'un fils restera sans vengeance.<br />

Paris en'frémissant p<strong>la</strong>int ce jeune guerrier<br />

Qui signa<strong>la</strong> jadis son zèle ' hospitalier 9<br />

Lorsqu'un même foyer vit leur jeunesse unie<br />

Dans les champs populeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Paph<strong>la</strong>gonie ;<br />

Son noble cœur s'indigne , <strong>et</strong> sa rapi<strong>de</strong> main<br />

Fait voler une flèche à <strong>la</strong> pointe d'airain.<br />

Parmi les Grecs bril<strong>la</strong>it un mortel intrépi<strong>de</strong>,<br />

Un fils riche <strong>et</strong> puissant du <strong>de</strong>vin Polyi<strong>de</strong> ?


no , L'ILIADE.<br />

Euchénor. Dans Gorintlie où s'ouvrirent ses yeux f<br />

Son père, instruit du sort que lui gardaient les Dieux?<br />

Lui prédisait souvent qu'aux remparts <strong>de</strong> Gorintlie<br />

Sa jeunesse mourrait, d'un mal cruel atteinte,<br />

Ou que j <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> flotte , au rang <strong>de</strong>s morts compté 1<br />

Il tomberait un jour par les Troyens dompté.<br />

D'une affreuse douleur pour détourner l'approche,<br />

Pour fuir <strong>de</strong> ses amis le sévère reproche ,<br />

Au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> son sort Euchénor é<strong>la</strong>ncé,<br />

Par le trait <strong>de</strong> Paris à <strong>la</strong> gorge blessé,<br />

Roule en se débattant ; ses forces l'abandonnent 1<br />

Et d'une épaisse nuit ses regards s'environnent.<br />

Ainsi les <strong>de</strong>ux partis , Fun <strong>sur</strong> l'autre accourant 7<br />

Combattent 1 déchaînés comme un feu dévorant.<br />

Non instruit que <strong>la</strong> Grèce , au succès animée ?<br />

A <strong>la</strong> gauche du camp moissonne son armée,<br />

Et que-le Dieu <strong>de</strong>s mers, propice aux Grecs vainqueurs,<br />

D'une force immortelle a rempli tous leurs oœurs 1<br />

Hector gar<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où, franchissant les portes 7<br />

Son audace a rompu les épaisses cohortes ,<br />

Où les vaisseaux d'Ajax <strong>et</strong> <strong>de</strong> Protésiks<br />

Près <strong>de</strong>s flots b<strong>la</strong>nchissans restent loin <strong>de</strong>s combats,


CHANT TREIZIÈME. tu<br />

Ou les peuples f autour <strong>de</strong>s plus humbles murailles,<br />

Se livrent aux fureurs <strong>de</strong>s sang<strong>la</strong>ntes batailles,<br />

lia les guerriers partis <strong>de</strong>s champs béotiens ,<br />

Des campagnes <strong>de</strong> Phthie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bords locriens,<br />

L'Ionien j vêtu <strong>de</strong> sa longue tunique ?<br />

L'Epéen enf<strong>la</strong>mmé d'un courage héroïque 7<br />

S'opposent vainement à t» divin Hector,<br />

Emule <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre en son rapi<strong>de</strong> essor.<br />

L'élite <strong>de</strong>s héros envoyés par Athènes<br />

Paraît aux premiers rangs ; leurs vail<strong>la</strong>ns capitaines 7<br />

Phéidas/Stichius, Ménesthée <strong>et</strong> Bks<br />

Embrasent -tous les coeurs <strong>de</strong> l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s combats.<br />

Mégès a commandé ; sous ses ordres se range<br />

Des nombreux Épéens l'intrépi<strong>de</strong> pha<strong>la</strong>nge ;<br />

Dracius 1 Amphion secon<strong>de</strong>nt ses efforts.<br />

Les combattant que Phthie enfanta <strong>sur</strong> ses bords ,<br />

Reconnaissent Médon <strong>et</strong> Podarcès pour gui<strong>de</strong>s.<br />

Podareèsi <strong>de</strong>scendait du sang <strong>de</strong>s Phjkci<strong>de</strong>s ;<br />

Fik d'Oïlée7 issu d'un hymen c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,<br />

Médon vit dans Phy<strong>la</strong>ce accueillir son <strong>de</strong>stin,<br />

Loin ëe& champs paternels oè m main meurtrière<br />

Osa d'Ériopis assassiner le frère.


ua L'ILIADE. -<br />

Tandis que ces <strong>de</strong>ux chefs 7 postés près <strong>de</strong>s vaisseaux y<br />

Espèrent du Troyen repousser les assauts j<br />

Unis par les liens d'une amitié fidèle ?<br />

Les Ajax ont armé leur valeur fraternelle :<br />

Ainsi <strong>de</strong>ux taureaux noirs 7 ensemble hal<strong>et</strong>ant,<br />

Seulement séparés par le joug éc<strong>la</strong>tant ,<br />

Traînant dW pas égal <strong>la</strong> pesante charrue ,<br />

Des fertiles guér<strong>et</strong>s déchirent l'étendue ;<br />

La sueur les inon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs fronts pendans<br />

Vers le- creux <strong>de</strong>s sillons coule à flots abondans.<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon f quand ses forces brisées<br />

Sous les travaux <strong>de</strong> Mars succombent épuisées,<br />

A ses vaiUans soldats peut du moins confier<br />

Le poids -embarrassant <strong>de</strong> son fort bouclier.<br />

Mais le fils d'Oïlée en vain pour -son escorte ;<br />

Cherche <strong>de</strong>s Loerïens <strong>la</strong> légère cohorte.<br />

Du combat <strong>de</strong> pied ferme ils détournent leurs pas^<br />

Le casque aux poils touffus ne les ombrage pas ;<br />

Jamais on ne les voit manier dans l'arène<br />

Ni le rond bouclier, ni <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> frêne j<br />

Mais, agitant leur fron<strong>de</strong> <strong>et</strong> leurs dards meurtriers,<br />

Us ont souvent rompu <strong>de</strong>s bataillons entiers.


CHANT TREIZIÈME. n3<br />

Ainsi, quand leurs amis, en marchant à <strong>la</strong> guerre,<br />

Des Troyens <strong>et</strong> d'Hector provoquent <strong>la</strong> colère ,<br />

Cachés par ces soldats d'airain étince<strong>la</strong>ns,<br />

Us décochent partout leurs javelots siff<strong>la</strong>ns ,<br />

Qui, <strong>de</strong>s nombreux Troyens ébran<strong>la</strong>nt le courage,<br />

Dispersent dans leurs rangs, le trouble <strong>et</strong> le carnage.<br />

Loin <strong>de</strong>s tentes alors le Troyen épuisé<br />

Fuyait vers Hion, aux autans exposé,<br />

Lorsqu'au vail<strong>la</strong>nt Hector Polydamas s'adresse :<br />

« 0 toi,- dont <strong>la</strong> fierté brave notre sagesse,<br />

Hector ! si <strong>de</strong> ton g<strong>la</strong>ive un Dieu* gui<strong>de</strong> les coups,<br />

Ton <strong>la</strong>ngage au Conseil l'emporte-t-il <strong>sur</strong> nous?<br />

Peux-tu <strong>de</strong> tous les dons réunir l'assemb<strong>la</strong>ge?<br />

Les Dieux ont <strong>de</strong>s talens divisé le partage.<br />

L'un, illustre son fer par d'immortels exploits ;<br />

L'autre en<strong>la</strong>ce ses pas, <strong>et</strong> module sa voix,<br />

Ou doit à Jupiter c<strong>et</strong> esprit <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce,<br />

Qui <strong>de</strong>s peuples nombreux prévient <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce,<br />

Et, d'utiles conseils leur prodiguant les fruits,<br />

Jouit <strong>de</strong>s biens féconds par lui-même produits.<br />

Ecoute le parti que <strong>la</strong> sagesse ordonne :<br />

De son cercle brû<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> guerre l'environne ; •<br />

a. " 8


• u4 L*IL1ADE.<br />

Les Troyena, dont Fandaee * franchi ce rempart,<br />

Les armés à <strong>la</strong> main 7 <strong>de</strong>meurent à Féeart,<br />

Ou, <strong>de</strong>vant les vaisseaux dispersés avec gloire,<br />

A <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s 'Grecs disputent <strong>la</strong> victoire. '<br />

Gwm donc un instant em transports belliqueux ;<br />

Rassepjble tcws les dbe& j Mibère- avec eux,<br />

S f îl nous fm%f ehowwsant l'attaque ou <strong>la</strong> r<strong>et</strong>raite}<br />

Marcher contre <strong>la</strong> flotte ? ou lâcher sa conquête.<br />

Peutrêtre 7 "hé<strong>la</strong>s l les. Grecs nous feront payer cher<br />

Leur opprobre réee&t, <strong>et</strong> nos exploits d'hier.<br />

Dan» le fend <strong>de</strong> leur camp un homme reste encore ,<br />

Que <strong>la</strong> mi£ "4u cannage mctaB/mamùak dévore j<br />

Il a besoin <strong>de</strong> v«iW£FeT <strong>et</strong> je ne pemafe pas<br />

Qu'il <strong>la</strong>nguie lonjj-tefï^B» exâé <strong>de</strong>s combats- »<br />

Le.-wUe Hector iipproui^e mu consel sdtttçâr<strong>et</strong><br />

Et du haut 4e- mm shm s'éfewce <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre r<br />

ce Polydama»! r^tienu Je* i ?be& kg» plus vai<strong>la</strong>wf<br />

La.gpçr?e me, fajppeUe à ses. 1mYwaL.m$n&i<br />

J'y eou?p7j <strong>et</strong> je reviens^ tawpfr mes Ma fiAàfo,<br />

Chacun d^ iwye^siddat&niWra prouvé son ièk- »<br />

Il s'éloigne, $, ces w4&: ses-cuis» wiikipliéi<br />

Enf<strong>la</strong>mment le* Troyem,. les peuples allié»!


CHANT TREIZIÈME. n5<br />

Et <strong>de</strong> son casque épais le panache rayonne,<br />

Comme un mont b<strong>la</strong>nchissant que <strong>la</strong> neige couronne.<br />

Quand les chefs, rassembles aux aecens <strong>de</strong> sa voix,<br />

Près <strong>de</strong> Polydamas accourent à <strong>la</strong> fois,<br />

D tremble qu?à ses yeux <strong>la</strong> foule ne dérobe<br />

Hélénus, Aidamas, Asius T Déïphobe ;<br />

Atteints, ma le rempart, <strong>de</strong> nombreux javelots,<br />

Les uns ont vu leur sang couler à <strong>la</strong>rges flots j<br />

D'autres, près <strong>de</strong>s vaisseaux que menaçait <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />

Immolés par les Grecs, ont exhalé leur âme.<br />

Paris, divin époux d'Hélène aux beaux cheveux,<br />

A l'aile gauche, assiste au combat désastreux ;<br />

Tandis que <strong>de</strong>s Troyens il excite Paudace ,<br />

Hector s'approche, Hector l'outrage <strong>et</strong> le menace :<br />

« Paris ! vS séducteur, si fier <strong>de</strong> ta beauté,<br />

Femme par ta faiblesse <strong>et</strong> par ta lâch<strong>et</strong>é,<br />

La valeur d'Hélénus estelle moissonnée ?<br />

Déïphobe,. Adamas, le noble Othryonée,<br />

Asius, ou sont-Us? Va! Pergame aujourd'hui<br />

Du faîte <strong>de</strong> ses murs croulera sans appui j<br />

L'inévitable atout a p<strong>la</strong>né <strong>sur</strong> ta tête. »<br />

Pâlis., beau» comme un Dieu^ répond : « Hector ! arrête !<br />

8.


n6 _ "L ? ILIADE.<br />

Ta bouche injustement accuse ma froi<strong>de</strong>ur.<br />

Je ne brû<strong>la</strong>i jamais cFune plus noble ar<strong>de</strong>ur;<br />

Non , le sein maternel n'enfanta point un lâche.<br />

Nous avons combattu'sans crainte <strong>et</strong> sans relâche,<br />

Depuis que ta'valeur f rassemb<strong>la</strong>nt nos soldats,<br />

Cherche auprès dés vaisseaux <strong>la</strong> gloire ou le trépas.<br />

Seuls • <strong>de</strong> tous les amis dont le sort t'intéresse ,<br />

Déïphobe, Héléûus échappent à <strong>la</strong> Grèce; '<br />

Sauvés par Jupiter, mais blessés à Ja main,<br />

Ils ont fui <strong>de</strong>s combats le théâtre inhumain.<br />

Conduis-nous sans dé<strong>la</strong>is où ton'grand cœur t'appelle;<br />

Nos forces seulement borneront notre zèle.<br />

Quand sa vigueur trahit ses efforts superflus,<br />

Le plus brave guerrier ne résistera plus. »<br />

Paris, du noble Hector a désarmé<strong>la</strong> haine.<br />

Et tous <strong>de</strong>ux vont chercher dans <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine<br />

Polyphète,;Orfchéus, Polydamas, Pàlmys,<br />

Cébrïon' <strong>et</strong> Phalcès,' Ascagne avec Morys,<br />

Ces fils d'Hippotion, dont <strong>la</strong> bravoure unie,<br />

'La veille, loin <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> riche Ascanie,<br />

Docile à Jupiter, accourut <strong>sur</strong> ces bords<br />

Remp<strong>la</strong>cer les guerriers <strong>de</strong>scendus chez les morts.


CHANT TREIZIÈME. 117<br />

Lorsqu'avec Faquilon' s'échappant <strong>de</strong>s nuages , .<br />

La foudre dans les airs- déchaîne les orages,<br />

L'océan -agité se gonfle b<strong>la</strong>nchissant , - - .<br />

Et les flots <strong>sur</strong> les flots roulent en mugissant :<br />

Ainsi , fiers d'imiter.les chefs qui les précè<strong>de</strong>nt,'<br />

Aux bruyans bataillons les bataillons succè<strong>de</strong>nt.<br />

Fougueux rival <strong>de</strong> Mars, Hector, le grand Hector<br />

Les gui<strong>de</strong> ; <strong>sur</strong> son front rayonne un casque d'or ;<br />

Eblouissant d'airain, tissu <strong>de</strong> peaux soli<strong>de</strong>s,<br />

Le bouclier, porté par ses mains intrépi<strong>de</strong>s,<br />

Le cache tout entier: il court, mais sa fureur<br />

Ne peut aux cœurs <strong>de</strong>s Grecs inspirer <strong>la</strong> terreur*.<br />

Ajax"s'avance <strong>et</strong>-crie : « Approche, téméraire b<br />

Crois-tu les Argiens sans talent pour <strong>la</strong> guerre ?*<br />

Mais, hé<strong>la</strong>s ! Jupiter, déployant son courroux,<br />

Sous son -terrible fou<strong>et</strong> les- extermine tous.<br />

Tu penses triompher <strong>sur</strong> notre-flotte en cendre...<br />

Tremble ! il nous reste encor <strong>de</strong>s bras pour <strong>la</strong> défendre,<br />

Et tu verras plutôt tes- remparts assiégés<br />

Succomber, par nos,mains conquis <strong>et</strong> ravagés.<br />

Il va luire ce Jour, où, souillé <strong>de</strong> poussière,<br />

Traîné par tes coursiers à <strong>la</strong> belle crinière t


iiB L'ILIADE.<br />

Tu prieras tous les Dieux que cm ar<strong>de</strong>ns .coursiers<br />

Dépassent en fuyant le vol dos éperviers. »<br />

Tandis qu'il parle, -un aigle, au* ailes étendues,<br />

P<strong>la</strong>ne du haut <strong>de</strong>s cieux à <strong>la</strong> droite d^s nues.<br />

A ce présage lueur eux f par lm soldats poussé ,f<br />

Un cri joyeux frémit^ mais Hector : « Inséré !<br />

Quels outrageans discours ton audace profère !<br />

Noble enfant <strong>de</strong> Junon <strong>et</strong> du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

Que ne puïs-je, doté <strong>de</strong>s honneurs immortels!<br />

D'Apollon, <strong>de</strong> Pgljas partager les autels,<br />

Gomme c<strong>et</strong>te journée, à tous les Grecs fatale,<br />

Les plongera vaincus dans <strong>la</strong> nuit infernale !<br />

En affrontant ma <strong>la</strong>nce, avec eux tu mourras ;<br />

Déchirant <strong>de</strong> ta peau les tissus délicats,<br />

Ce fer va te punir, <strong>et</strong> dans ta chair impure<br />

Les chiens <strong>et</strong> les vautours chercheront leur pâture. »<br />

11 vole ; ses soldats le suivent en çpurajit,<br />

Et leur voix r<strong>et</strong>entit jusques au <strong>de</strong>rnier rang.<br />

Les Grecs, loin d'oublier lepr force <strong>et</strong> leur courage,<br />

Bravent <strong>de</strong>s chefs troyens l'impétueuse rage.<br />

Et partout <strong>de</strong> grands cris, é<strong>la</strong>ncés jusqu'aux cieux,<br />

Frappent <strong>de</strong> Jupiter Je pa<strong>la</strong>is radieux.<br />

FIN DU TREIZIEME CHANT.


CHANT QUATORZIÈME.


SOMMAIRE BU CHANT QUATORZIEME.<br />

Agamemnon propose encore 1a fuite ; Ulyise combat c<strong>et</strong>te proposition,<br />

<strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> conseille <strong>de</strong> revoler au combat. — Junon se,pare <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ceinture <strong>de</strong> Ténus'. — Jupiter <strong>et</strong> Junon <strong>sur</strong> le mont Ida. — Neptune<br />

?ole au secours <strong>de</strong>s Grecs. — Massacre <strong>et</strong> déroute <strong>de</strong>s Troyens.


L'ILIADE.<br />

CHANT QUATORZIÈME.<br />

A peine ces c<strong>la</strong>meurs ont 'effrayé Nestor ,<br />

Qui," buvant dans sa tente, y reposait encor ;<br />

« O divin Machaon ! dit-il, quel sort s'apprête?<br />

Entends près <strong>de</strong>s vaisseaux redoubler <strong>la</strong> tempête.<br />

Cependant reste assis; bois ce vin généreux,<br />

Et <strong>la</strong> jeune Hécamè<strong>de</strong>, esc<strong>la</strong>ve aux beaux cheveux,<br />

Echauffera le bain, qui dans son on<strong>de</strong> pure<br />

Te <strong>la</strong>issera <strong>la</strong>ver ta sang<strong>la</strong>nte bles<strong>sur</strong>e.<br />

Je cours vers <strong>la</strong> hauteur ; si^r les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars<br />

Rabaisserai <strong>de</strong> loin mes vïgi<strong>la</strong>ns regards. »<br />

A ces mots, <strong>de</strong> son fils, écuyer intrépi<strong>de</strong>,<br />

Il prend le bouclier éc<strong>la</strong>tant <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> ;


iaa y ILIADE.<br />

Car Far<strong>de</strong>nt Thrasymè<strong>de</strong>, en vo<strong>la</strong>nt aux combats y •<br />

De Farmure d'un père avait chargé son bras.<br />

Use pLji*e d'oinûa dans sm maâm m ba<strong>la</strong>nce.<br />

Il part ; hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> tente il sWéte en silence...<br />

O terreur ! qu Vt-ïl vu ? Près <strong>de</strong>s murs renverses 9<br />

Les TVoyens triomphons , <strong>et</strong> les Grecs dispersés.<br />

Quand FOcéan noircit son humi<strong>de</strong> étendue,<br />

L f on<strong>de</strong> silencieuse <strong>et</strong> toujours suspendue<br />

Attend l'heure où, docile aux lois <strong>de</strong> Jupiter f<br />

Le fougueux aquilon tourmentera <strong>la</strong> mer :<br />

Ainsi flotte Nestor ; ira-t-il vera Atrï<strong>de</strong>?<br />

Eejoindra-t-il <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge intrépi<strong>de</strong>?<br />

Son cœur ^ toujours pru<strong>de</strong>nt 7 sans être intimidé,<br />

Pour ce premier parti s'est enfin décidé,<br />

Et cependant il voit périr les <strong>de</strong>ux années 7<br />

IFune rivale ar<strong>de</strong>ur au carnage animées ;<br />

La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive en courroux<br />

Sur le sein <strong>de</strong>s guerriers font r<strong>et</strong>entir leurs «xiups.<br />

Au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> Nestor f pour venir à son ai<strong>de</strong>}<br />

Ulysse, Agamemnon} <strong>et</strong> le fier Diomè<strong>de</strong>,<br />

Les rois 7 enfans <strong>de</strong>s Dieux, blessés <strong>et</strong> chanœ<strong>la</strong>ns ,<br />

J)u fond <strong>de</strong> leurs vaisseaux portent leurs pas tremb<strong>la</strong>ns.


CHANT QUAT01ZIÈME. ia5<br />

Leur flotte., <strong>sur</strong> k» bords <strong>de</strong> k mer Manchiwwnte,<br />

N'entend point <strong>de</strong>s combats k fiurazr menaçante;<br />

La p<strong>la</strong>ine dans son sein vit traîner les vaisseaux,<br />

Accourus les premiers <strong>sur</strong> l'àbyme <strong>de</strong>s eaux f<br />

Et, par un mur soli<strong>de</strong> avec art protégées,<br />

Jusque vos IDcéan leurs poupes dirigées<br />

S'éten<strong>de</strong>nt; le rivag<strong>et</strong> en son immensité.,<br />

Saurait pu contenir leur nombre illimité.<br />

D'un promontoire .à l'autre occupant c<strong>et</strong> espace ,<br />

Que du camp populeux tout l'intervalle embrasse,<br />

Sur divers échelons les vaisseaux alignés<br />

Des champs sangkns <strong>de</strong> Mars reposent éloignés.<br />

Les chefs 1 impatiens <strong>de</strong> revoir les batailles,<br />

Sur leur pique appuyés , loin <strong>de</strong>s hautes murailles,<br />

S'avancent lentement : à l'aspect <strong>de</strong> Nestor,<br />

La douleur dans leur sein renaît plus vive encor.<br />

« O toi, l'honneur <strong>de</strong>s Grecs , Nestor , fik <strong>de</strong> Nélée,<br />

Pourquoi donc <strong>la</strong>isses-tu k sang<strong>la</strong>nte mêlée ?<br />

S'écrie Agamemnon ; tout mon cœur a frémi.<br />

Si, parmi les Troyens, ce terrible ennemi,<br />

Ce fier Hector jura <strong>de</strong> n'entrer dans Pergame,<br />

Qu'au jour où , dévorés par le fer <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme f


ia4 L'ILIADE.<br />

Les navires nombreux sous leurs fumans monceaux<br />

Auront vu notre'sang couler à longs ruisseaux,<br />

Le barbare accomplit ces menaces altières.<br />

Dieux ! tous les Âchéens aux chaus<strong>sur</strong>es guerrières,<br />

Gomme Achille irrites, veulent donc mon trépas,<br />

Puisque <strong>sur</strong> leurs vaisseaux ils ne combattent pas ! »<br />

s Hé<strong>la</strong>s ! reprend Nestor f notre perte est prochaine ;<br />

Jupiter <strong>de</strong> nos maux ne peut briser <strong>la</strong> chaîne.<br />

Il est tombé ce mur, dont le puissant secours<br />

Protégeait, notre flotte, <strong>et</strong> défendait nos jours,<br />

Et déjà le Troyen <strong>sur</strong> nos légères poupes<br />

Précipite à F envi ses invincibles troupes.<br />

On ne peut découvrir' <strong>de</strong> quel côté le sort<br />

Disperse davantage <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.<br />

Quels-cris frappent les cieux ! Partout le sang ruisselle,<br />

Et <strong>de</strong>s Grecs expirans <strong>la</strong> foule s'amoncelle.<br />

Délibérons j peut-être 7 en' un danger pareil,<br />

Il est pour nous encore un utile conseil.<br />

Ce n'est plus aux exploits que ma bouche t'invite j<br />

Blessé dans les combats f un héros les évite. »<br />

Mais Atri<strong>de</strong> : « O vieil<strong>la</strong>rd ! puisque <strong>sur</strong> les vaisseaux<br />

L'ennemi, <strong>de</strong> nos morts entasse les monceaux,


CHANT "QUATORZIÈME. i»5<br />

Puisque ces longs fosses <strong>et</strong> ces <strong>la</strong>rges murailles<br />

N'offrent plus un rempart contre les funérailles,<br />

Jupiter j dont le bras pèse <strong>sur</strong> notre front ?<br />

Du trépas loin-d'Argos nous réserve l'affront.<br />

JPattendais son secours... espérance inutile !<br />

Il enchaîne <strong>de</strong>s Grecs le courage immobile,<br />

Et veut que les Troyens ? tous à l'égal <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Au chemin <strong>de</strong>s combats marchent victorieux.<br />

Obéissez : rendons à <strong>la</strong> liqui<strong>de</strong> p<strong>la</strong>îiue<br />

Les navires voisins y 'étendus <strong>sur</strong> l'arène ;<br />

Que l'ancre les r<strong>et</strong>ienne , <strong>et</strong> quand <strong>la</strong> sombre nuit<br />

Suspendra le courroux dû fer qui nous poursuit 7<br />

0 Grecs ! en" l'arrachant à ces p<strong>la</strong>ges funestes,<br />

De. notre flotte au 'moins -sauvons les <strong>de</strong>rniers restes.<br />

Partons ; sans déshonneur nous franchirons les mers.<br />

La fuite est préférable à- l'opprobre <strong>de</strong>s fers. »<br />

Ulysse lui.répond par un regard farouche :<br />

« Atri<strong>de</strong>! quel discours s ? échappe <strong>de</strong> ta bouche?<br />

- Malheureux ! que n'as-tu ? pour leur dicter <strong>la</strong> loi ?<br />

Des peuples avilis <strong>et</strong> lâches'comme toi !<br />

Quoi! tu règnes• <strong>sur</strong> nous j illustrés dans <strong>la</strong> guerre f<br />

Sur nous r à qui le .Dieu du ciel <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,


is6 LmiADE.<br />

Depuis nos premiers ans jusque notre tombeau 9<br />

Des terribles, combats imposa le far<strong>de</strong>au !<br />

Âpres tant <strong>de</strong>- malheurs, ni» troupes disparues<br />

Vont-elles donc s'enfi<strong>la</strong>* <strong>de</strong> Troie aux <strong>la</strong>rges mes ?<br />

Silence ! loin <strong>de</strong> toi ce <strong>la</strong>ngage abhorré 9<br />

Indigne d'an mortel dn sceptre décoré ,<br />

D'un roi sage <strong>et</strong> pru<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>nt k vaste puissance<br />

Range m> peuple nombreux sons Mm obéissance.<br />

Je te blâme : veux-tu, prescrivant le départ,<br />

Quand un taaralte 1 ar<strong>de</strong>nt frémit <strong>de</strong> toute part ,<br />

Enivrer le» Troyew d l orgueE <strong>et</strong> d'allégresse,<br />

Et ver» Pabyme enêm précipiter k Grèce ?<br />

Dès le premier signal, to verrais tes soldats,<br />

Pcrar fuir <strong>sur</strong> les- vaiwaux, déserter tes combats.<br />

Notee perte,, ô douleur! cfast toi


CHANT QUAT01ZIÈME. 1*7<br />

Me voici ! N'ai» points nrfprisont ma journae,<br />

Par un dédain «uperbe accueillir ma sagesse.<br />

Laissez-moi, c<strong>et</strong>. orgueil sans, doute m f «i permis.,<br />

Vanter le sang fameux à mes veines transmis.<br />

Mom père fit Tydée ; une terre lointaine<br />

L'ensevelit aux. pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité tfeânaine*.<br />

Dans les murs <strong>de</strong> PleiirôBt f au s<strong>et</strong>» <strong>de</strong> CaJydbnf<br />

Oïnée, illustré pnr f éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> aon oonob f<br />

Agrïus <strong>et</strong> Mê<strong>la</strong>s, ces- trok fik <strong>de</strong> Portibée^<br />

Virent régner long-temps- leur race- respectée.<br />

Ty«dée m plus, vail<strong>la</strong>nt dnt k sceptre <strong>et</strong>.le jour;<br />

Lui-même il s'exi<strong>la</strong>, d» paternel séjour ; .<br />

Tel fut Farzét 4<strong>et</strong> Diew : après <strong>de</strong> bug» voyages f<br />

D'Aiîgw hospiiaMère il aborda les p<strong>la</strong>ges.<br />

Dans- u» ri<strong>et</strong>e* paki% Vhymm f cffmUUot. ses: vœux *<br />

à <strong>la</strong> file dfàdftste unît mm sort fceweuxj<br />

Il posôéd*: <strong>de</strong>s. dùonpa féconds, en bêles gerbes f<br />

Mille vastes jasriiMi, p<strong>la</strong>ntés: d'arbres sapote»$<br />

Dms ses p<strong>la</strong>ia<strong>et</strong>. eiraient d%ni»iilffalilei troupeai!»!<br />

Et k koce- à k wmn f ïï n'en* point <strong>de</strong> rivaus.<br />

Ces fidèles récita, gravés damk mémoire f<br />

Vonftapproeafc.sa&s doute <strong>et</strong> ma race <strong>et</strong>. ma gloire.


i»8 L'ILIADE.<br />

Compagnons ! honorez <strong>de</strong> votre assentiment<br />

Les conseils que ma voix propose hardiment :<br />

Si <strong>la</strong> nécessité nous rappelle aux batailles,<br />

Loin <strong>de</strong>s' traits, messagers <strong>de</strong> promptes funérailles 7<br />

Blessés <strong>de</strong> coups nombreux , craignons-en <strong>de</strong> nouveaux,<br />

Et restons spectateurs <strong>de</strong> ces sang<strong>la</strong>ns travaux ;<br />

Là, du moins nous pourrons, par un hardi <strong>la</strong>ngage,<br />

Des soldats ïndolens ranimer le" courage. »<br />

H parle ; on obéit. Le monarque d'Argos<br />

S'avance , accompagné <strong>de</strong>s chefs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s héros.<br />

Témoin <strong>de</strong> leurs transports, pour venger leur injure,<br />

Neptune , d'un vieil<strong>la</strong>rd emprunte <strong>la</strong> figure.<br />

Paraît aux yeux d'Atrï<strong>de</strong>, <strong>et</strong> saisissant sa main :<br />

« Achille, triomphant dans son cœur inhumain,<br />

D'une horrible allégresse a tressailli sans doute,<br />

En contemp<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s Grecs le meurtre <strong>et</strong> <strong>la</strong> déroute I<br />

Le cruel n'a point d'âme... Ah ! puisse-t-il périr !<br />

Puisse le ciel vengeur <strong>de</strong> honte le couvrir'!<br />

Mais tous les Dieux <strong>sur</strong> toi n'épuisent pas leur rage ;<br />

En <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> poussière, en <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> carnage ,<br />

Bientôt les chefs troyens, fuyant <strong>de</strong> toutes parts,<br />

Cacheront leur opprobre au fond <strong>de</strong> leurs remparts, »


CHANT QUATORZIEME. i»g<br />

Il vole <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un cri dont <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tressaille.<br />

Tek dix mille guerriers , armés pour <strong>la</strong> bataille 7<br />

Confon<strong>de</strong>nt leurs c<strong>la</strong>meurs : ainsi le Dieu <strong>de</strong>s mers<br />

Du fond <strong>de</strong> sa poitrine a poussé dans les airs<br />

Une voix qui partout rallume dans les âmes • ,<br />

Des combats meurtriers les dévorantes f<strong>la</strong>mmes.<br />

Junon au trône d'or <strong>sur</strong> les sang<strong>la</strong>ns hasards<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> FOlympe abaisse ses regards ;<br />

Son cœur se réjouit à l'aspect <strong>de</strong> son frère<br />

Qui ranime les Grecs dans les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />

Mais <strong>sur</strong> ïïda , fertile en limpi<strong>de</strong>s ruisseaux,<br />

Furieuse •, elle voit Partisan <strong>de</strong> leurs maux,<br />

Jupiter, De ce Dieu qui ba<strong>la</strong>nce F égi<strong>de</strong> 7<br />

Ne peut-elle tromper <strong>la</strong> vengeance homici<strong>de</strong> ?<br />

De parure <strong>et</strong> d'attraits bril<strong>la</strong>nte tour à tour,<br />

Junon veut qu'avec elle il s'unisse d'amour,<br />

Et <strong>la</strong>isse le sommeil par une molle ivresse<br />

Assoupir sa paupière , endormir sa sagesse.<br />

Triomphante en espoir, elle vole soudain<br />

Vers le réduit superbe 7 ouvrage <strong>de</strong> Vulcain ;<br />

Dès qu'elle a refermé c<strong>et</strong>te porte secrète<br />

Dont sa main seule encor tourna <strong>la</strong> clef discrète,<br />

' 2 * 9


i3o L'ILIADE.<br />

Sur ses membres divins, ; éd<strong>la</strong>tans <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncheur ,<br />

Une douce ambroisie épanche 'sa fraîcheur,<br />

•Et les flots onctueux d'une huile parfumée ,<br />

Exhalent autour d'elle une o<strong>de</strong>ur' embaumée<br />

Qui, remplissant <strong>de</strong>s eieux les <strong>la</strong>mbris éternels..<br />

Enivre le séjour <strong>de</strong>s Dieux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mortels.<br />

Tandis que ses cheveux,•peignés en longues tresses,<br />

Dispersent <strong>sur</strong> son cou leurs flottantes richesses,<br />

Lié près <strong>de</strong> son cœur par <strong>de</strong>s agrafes d'or,<br />

Brille ce vêtement, magnifique trésor,<br />

Où <strong>de</strong> son art, fécond en merveilleux prestiges,<br />

L'aiguille <strong>de</strong> PaUas rassemb<strong>la</strong> tes* prodiges.<br />

Son oreille a reçu les anneaux radieux<br />

Qui <strong>de</strong> trois diamans font resplendir les-feux.<br />

Lorsqu'autour <strong>de</strong> son cofps l'élégante ceinture<br />

De ses franges sans nombre arrondit <strong>la</strong> parure,<br />

B<strong>la</strong>nc comme le soleil, <strong>sur</strong> son front éc<strong>la</strong>tant<br />

Pour <strong>la</strong> première fois un long voile s'étend ;<br />

A ses pieds délicats <strong>la</strong> chaus<strong>sur</strong>e s'en<strong>la</strong>ce.<br />

Enfin, belle d'atours, <strong>de</strong> charmes <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce,<br />

Elle court, échappant aux regards curieux,<br />

Adresser à Yénus ces mots mystérieux :


'CHANT QUATORZIEME. i3i<br />

« Voudras-tu m'exaucer^ ô -fille aimable <strong>et</strong> chère,<br />

Ou seras-tu -rebelle aux désirs <strong>de</strong> ta mère 1<br />

Et d'un œil irrite 1 quand.tu sers le Trojen,<br />

Me vois4u~done aux^Grecs «accor<strong>de</strong>r mon soutien ? »<br />

« Fille du grand ^Satarne 7 «ô Déesse immortelle,<br />

Répond Vénus ; -vers-moi iqmel intérêt t'appelle ?<br />

Te p<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> d'obéir 7 tel est «non-seul-<strong>de</strong>voir.<br />

J'accomplirai tes vœux 7 --si j'en ai le pouvoir. »<br />

La perfi<strong>de</strong> Junon réplique avec adresse' :<br />

« O Vénus 1 donne-moi ta grâce enchanteresse 7 •<br />

Ces désirs , c<strong>et</strong> amour dont-les -charmes .vainqueurs<br />

Des. hommes «<strong>et</strong> <strong>de</strong>s tDieux séduisent .tous les cœurs.<br />

Tétliys <strong>et</strong> l'Océan ? premiers auteurs*du mon<strong>de</strong> ,<br />

Reposent aux confins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> ;•<br />

Je cours les visiter ; dans leurs pa<strong>la</strong>is lointains,<br />

Rhée à leurs soins jadis confia mes <strong>de</strong>stins,<br />

Quand sous <strong>la</strong> mer stérile 7 au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre 7<br />

Jupiter irrité précipita son père.<br />

J'ai vu <strong>de</strong>puis long-teihps <strong>de</strong> leurs -chastes amours<br />

La jalouse Discor<strong>de</strong> interrompre le cours ;<br />

Si je peux 7 les rendant à leur première ivresse,.<br />

Sur le lit nuptial réunir leur tendresse,<br />

9-


i3a L'ILIADE.<br />

Je <strong>de</strong>viendrai, pour prix d'un bienfait précieux 1<br />

Plus respectable encore <strong>et</strong> plus chère à leurs jeux. »<br />

« O Déesse ! répond Vénus au doux sourire ,<br />

Ton cœur n'ignore pas son invincible empire.<br />

Que te refuserais-je , ô toi, reine <strong>de</strong>s cieux,<br />

Qui dors entre les bras du souverain <strong>de</strong>s Dieux ? »<br />

Vénus a détaché <strong>la</strong> ceinture chérie<br />

Dont Fart avait tissu <strong>la</strong> riche bro<strong>de</strong>rie :<br />

Là reposent l'amour, ces charmes séducteurs,<br />

Ces désirs enivrans , ces aveux enchanteurs ,<br />

Et ces doux entr<strong>et</strong>iens dont l'âme du plus sage<br />

N'entend pas sans danger l'insidieux <strong>la</strong>ngage.<br />

« Tiens, dit-elle à Junon , prends ce divin tissu ;<br />

Dans ton cœur en secr<strong>et</strong> qu'il reste inaperçu ;<br />

Tout ce qui peut charmer, ses replis le contiennent.<br />

Il n'est pas <strong>de</strong> succès que tes désirs n'obtiennent. »<br />

La Déesse sourit, <strong>et</strong> souriant encor 7<br />

Renferme dans son sein le magique trésor.<br />

Maïs tandis que Vénus disparaît à sa vue,<br />

Du haut <strong>de</strong>s cieux Junon, dans les airs suspendue,<br />

Abaissant <strong>de</strong> son vol l'essor précipité ,<br />

Des champs piériens franchit l'immensité ,


CHANT QUATORZIÈME. i33<br />

La riante Emathie, <strong>et</strong> ces monts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thrace<br />

Qui s'élèvent b<strong>la</strong>nchis par <strong>la</strong> neige <strong>et</strong> <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce.<br />

De FAthos <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer <strong>de</strong>scendue à grands pas,<br />

EUe arrive à Lemnos 7 <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Tlioas ;.<br />

Ses pieds aériens ne touchent pas <strong>la</strong> terre.<br />

C'est là que <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mort elle abor<strong>de</strong> le frère r<br />

Et lui prenant <strong>la</strong> main : a Divin Sommeil ! ô toi-,<br />

Des Dieux'<strong>et</strong> <strong>de</strong>s mortels le vainqueur <strong>et</strong> le- roi,<br />

Si jamais à" mes vœux tu soumis ta puissance T<br />

Eternise tes droits à ma reconnaissance.<br />

Quand je F aurai rempli <strong>de</strong> mes désirs brû<strong>la</strong>ns,<br />

Ferme <strong>de</strong> Jupiter les .yeux étïnce<strong>la</strong>ns.<br />

Je te prom<strong>et</strong>s un trône f ouvragç in<strong>de</strong>structible ,<br />

Qui j forgé par Vulcain d'un or incorruptible,<br />

De sa riche escabelle 7 au moment <strong>de</strong>s repas ?<br />

Prêtera le soutien à tes pieds délicats. »<br />

Le doux Sommeil répond : ce Déesse respectable?,<br />

Junon ! du grand Saturne ô fille redoutable,<br />

Si toujours sans obstacle à mes lois je soum<strong>et</strong>s<br />

Tous les Dieux, habitans <strong>de</strong>s célestes somm<strong>et</strong>s ,<br />

Et le vaste Océan dont <strong>la</strong> source divine<br />

Nous fit puiser à tous une même origine %


,34 L'ILIADE.<br />

Docile à Jupiter, je tenterais en vain<br />

D'assoupir ses regards sans mu ordre divin.<br />

Je servis autrefois ta fureur vengeresse,<br />

Et mon propre danger m'enseigna <strong>la</strong> sagesse ;<br />

Quand Alci<strong>de</strong> vainqueur loin d'Hion détrait<br />

Yoguait^ <strong>de</strong> sa conquête emportant l'heureux fruit 7<br />

Crédule, j'enivrai d'une vapeur perfi<strong>de</strong><br />

Le Dieu qui fait briller sa formidable égi<strong>de</strong> ;<br />

Soulevant <strong>et</strong> les flots <strong>et</strong> les vents ennemis,<br />

Ta haine conspira <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> son fils<br />

Qui j loin <strong>de</strong> ses soldats, poussé par les orages 7<br />

De <strong>la</strong> superbe Gos aborda les rivages.<br />

A l'heure du réveil 7 Jupiter furieux<br />

Dans l'Olympe ébranlé poursuivit tous les Dieux ?<br />

Et dans les mers son bras que l'univers redoute<br />

M'eût j<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> l'immortelle voûte1<br />

Si , d'un voilé profond mè prêtant le secours 7<br />

La Nuit à son courroux n ? eût dérobé mes jours ;<br />

Il craignit d f irriter c<strong>et</strong>te dgile Déesse 7<br />

De <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> du ciel souveraine maîttesse.<br />

0 Junon ! maintenant c'est à toi <strong>de</strong> songer<br />

Dans quel nouveau malheur tu voudrais me plonger. »


CHANT QUATORZIÈME. i35<br />

Junon aux <strong>la</strong>rges yeux ajoute ces paroles :<br />

c« Pourquoi livrer ton âme à <strong>de</strong>s terreurs frivoles ? ,<br />

Crois-tu que Jupiter aux vigï<strong>la</strong>ns regards T<br />

Pour sauver les Troy ens dans leurs tremb<strong>la</strong>ns remparts ,<br />

S'irriterait encor, comme au jour où d'Alci<strong>de</strong><br />

Le péril alluma sa vengeance homici<strong>de</strong> ?<br />

"Viens : Pasithée , obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ton amour constant f<br />

A ton sort fortuné s'unit au même instant,<br />

Et tu vas, épousant <strong>la</strong> plus jeune <strong>de</strong>s Grâces 7<br />

Enchaîner pour jamais le bonheur <strong>sur</strong> tes traces. »<br />

A ces mots, le Sommeil <strong>de</strong> joie a palpité :<br />

a Eh bien ! jure, a-t-il dit, par le Styx redouté ;<br />

Jure au nom <strong>de</strong> ces Dieux dont Penfer est Fasyle ;<br />

Sur <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante <strong>et</strong> <strong>la</strong> terre fertile<br />

Déesse ! étends les mains , <strong>et</strong> jure qu'en ce jour<br />

L'hymen à Pasithée unira mon amour. »<br />

Junon aux bras d'albâtre 7 à ses vœux favorable ?<br />

Proférant sans dé<strong>la</strong>i le serment vénérable ,<br />

Atteste tous ces Dieux appelés les Titans 1<br />

Ces -Dieux, du noir Tartare éternels habitans.<br />

Bientôt, enveloppés d'un ténébreux nuage 7<br />

D'Imbros <strong>et</strong> <strong>de</strong> Lemnos dé<strong>la</strong>issant le rivage ,


i36 L'ILIADE.<br />

Ba<strong>la</strong>ncés dans les airs, <strong>sur</strong> les flots suspendus f<br />

Tous <strong>de</strong>ux près <strong>de</strong> Lectos s'arrêtent <strong>de</strong>scendus..<br />

La terre les reçoit ; <strong>de</strong>s forêts verdoyantes<br />

S'agitent sous leurs pieds, les cimes ondoyantes.<br />

Au faîte <strong>de</strong> FIda qui voit <strong>sur</strong> ses coteaux<br />

Les animaux errer <strong>et</strong> jaillir les ruisseaux r<br />

Le Sommeil, se cachant parmi l'épais feuil<strong>la</strong>ge<br />

D'un sapin élevé qui j<strong>et</strong>te un vaste ombrage ?<br />

Ressemble à c<strong>et</strong> oiseau , chantre mélodieux ?<br />

Gymindis spr <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> Chalcis. dans les cieux.<br />

Sur le Gargare à peine il voit Junon paraître r<br />

Dans son cœur agité Jupiter sent renaître<br />

De violens désirs, comme en ce jour heureux<br />

Où <strong>sur</strong> <strong>la</strong> même couche ils s'unirent tous <strong>de</strong>ux, ,<br />

Quand 1 loin <strong>de</strong> leurs parens , un furtif hyménée.<br />

Pour <strong>la</strong> première fois lia leur <strong>de</strong>stinée.<br />

Il s'approche : « 0 Junon ! sans char <strong>et</strong> sans coursiers f<br />

Pourquoi du haut Olympe as-tu fui les sentiers.?<br />

Parle : Où vas-tu ? » Junon répond avec mystère ;<br />

« Je dirige mes pas aux confins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ;<br />

Je cours y visiter notre mère Téthys<br />

Et Fantique Océan d'où les Dieux sont sortis ;,


CHANT QUATORZIÈME. i3y<br />

Tous <strong>de</strong>ux en leurs pa<strong>la</strong>is, où leurs soins m'ont nourrie,<br />

Ont vu croître <strong>et</strong> grandir mon enfance chérie.<br />

La discor<strong>de</strong> , élevée entre ces <strong>de</strong>ux époux ,<br />

Remplit, hé<strong>la</strong>s ! leurs cœurs <strong>de</strong> ses transports jaloux ;<br />

Ils s'abstiennent d'amour... Puissé-je dans leur âme<br />

Etouffer leur colère <strong>et</strong> réveiller leur f<strong>la</strong>mme !<br />

Mon char, prêt à voler <strong>sur</strong> les flots ou dans Pair,<br />

M'attend aux pieds du mont. 0 puissant Jupiter !<br />

Auprès <strong>de</strong> POcéan avant que je <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>,<br />

Loin <strong>de</strong> l'Olympe ici j'accours vers toi ; comman<strong>de</strong>.<br />

J'ai craint <strong>de</strong> t'offenser, si, bravant tes décr<strong>et</strong>s ,<br />

Je pénétrais au fond <strong>de</strong> ses gouffres secr<strong>et</strong>s. »<br />

« Junon ! reprend le Dieu qui déchaîne Forage 7<br />

Choisis d'autres momens pour ce lointain voyage...<br />

Unissons-nous 'd'amour y- viens combler mon désir ;<br />

Viens : cè<strong>de</strong> entre mes bras aux charmes du p<strong>la</strong>isir.<br />

Il n'est pas <strong>de</strong> mortelle, il n'est pas <strong>de</strong> Déesse<br />

Qui m'ait encor rempli d'une si douce ivresse :<br />

L'épouse dlxion dont le sein glorieux<br />

Nourrit Pïrithoûs, c<strong>et</strong> homme "égal aux Dieux,<br />

La belle Danaé qui <strong>de</strong> son fils Persée<br />

Vit <strong>la</strong> "gloire partout s'étendre dispersée ,


i38 L'ILIADE.<br />

La fille <strong>de</strong> Phénix qui conçut <strong>de</strong>ux héros,<br />

Le divin Bhadamanthe <strong>et</strong> le puissant Minos 7<br />

Alcmène <strong>et</strong> Sémélé dont <strong>la</strong> couche fécon<strong>de</strong><br />

Porta le grand McMe <strong>et</strong> Bacchus cher au mon<strong>de</strong> ?<br />

Latone au • cœur altier5 Gérés'aux beaux cheveux<br />

N'ont jamais dans mon sein allumé tant <strong>de</strong> feux.<br />

Jamais 7 toi-même f enfin 7 grâce à ton doux empire 1<br />

Tu n'as plongé mes sens dans un pareil délire. »<br />

ce Fils <strong>de</strong> Saturne ! eh quoi ! faut-il que sans pu<strong>de</strong>ur<br />

Ec<strong>la</strong>te à tous les yeux notre amoureuse ar<strong>de</strong>ur 7<br />

Et qu'un <strong>de</strong>s immortelsT témoin <strong>de</strong> notre hante,<br />

Pour <strong>la</strong> conter aux Dieux, dans l'Olympe remonte ?<br />

Non : je n'oserais plus 1 en sortant <strong>de</strong> tes bras T<br />

Montrer dans ton pa<strong>la</strong>is mon pudique embarras.<br />

Mais j s'il faut te cé<strong>de</strong>r f un réduit solitaire,<br />

Chef-d'œuvre <strong>de</strong> Vulcaïn, asyle du mystère,<br />

Peut seul au mon<strong>de</strong> entier dérober notre amour :<br />

Viens dormir avec moi dans c<strong>et</strong> obscur séjour. »<br />

« Junon ! répond le Boi que l'Olympe révère,<br />

Des mortels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux ne crains pas Fœil sévère.<br />

Dans un nuage d'or aux immenses replis<br />

Nous resterons long-temps tous <strong>de</strong>ux ensevelis ,


CHANT QUATORZIÈME. i3g<br />

Et les jeux du Soleil, étendus <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>,<br />

PPen perceront jamais Fobscurité profon<strong>de</strong>. »•<br />

Dans ses bras amoureux le Dieu presse Junon ;<br />

La terre fait éclore un jeune <strong>et</strong> doux gazon ;<br />

D'un beau nuage d ? or l'impénétrable enceinte<br />

Les cache à Funivers, <strong>et</strong> <strong>la</strong> mole hyacinthe,<br />

L'humi<strong>de</strong> <strong>et</strong> vert lotos, le safran parfumé<br />

Soulèvent les époux <strong>sur</strong> un lit embaumé ,<br />

Tandis que <strong>la</strong> rosée en <strong>la</strong>rmes argentines<br />

Tombe légèrement <strong>sur</strong> leurs têtes divines.<br />

Tel 1 exempt <strong>de</strong> soupçons , Jupiter tour à tour<br />

S'enivre <strong>sur</strong> llda <strong>de</strong> sommeil <strong>et</strong> d f amour.<br />

Bientôt le doux Sommeil , messager d'allégresse 7<br />

S'éloigne, vole 1 arrive aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce :<br />

« O Neptune ! a-t-il dit, <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Danaûs<br />

Secours pour un moment les bataillons vaincus.<br />

Hâte-toi ; que ton bras s f arme enfin pour leur cause f<br />

Tandis que Jupiter tranquillement repose ;<br />

J'ai su l'envelopper <strong>de</strong> mes douces vapeurs f<br />

Et Junon le r<strong>et</strong>ient dans ses p<strong>la</strong>isirs trompeurs. »<br />

Il dit, s'envoie <strong>et</strong> court prodiguer <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tore<br />

Aux tribus <strong>de</strong>s mortels son charme salntaire.


i4o L'ILIADE.<br />

Neptune aux premiers rangs, plus furieux encor r<br />

S'é<strong>la</strong>nce : « Enfans d'Argos ! <strong>la</strong>isserez-vous Hector<br />

Envahir notre flotte, <strong>et</strong> se couvrir <strong>de</strong> gloire ?<br />

Si son avi<strong>de</strong> orgueil se prom<strong>et</strong> <strong>la</strong> victoire ,<br />

C'est que <strong>sur</strong> ses vaisseaux il voit d'Achille oisif<br />

Languir obscurément le courage captif.<br />

Achille est irrite : qu'importe sa vengeance,<br />

Si tout le camp <strong>de</strong>s Grecs combat d'intelligence ?<br />

Cé<strong>de</strong>z à mes conseils ; en vo<strong>la</strong>nt aux combats<br />

Des plus grands boucliers, amis ! chargeons nos brasf<br />

Que les cimiers épais , que les <strong>la</strong>nces bril<strong>la</strong>ntes<br />

S'élèvent <strong>sur</strong> nos fronts, arment nos mains vail<strong>la</strong>ntes.<br />

Vers le champ meurtrier si je gui<strong>de</strong> vos coups 7<br />

Hector, fils <strong>de</strong> Priant, s'enfuira <strong>de</strong>vant nous.<br />

Que le faible , affranchi du poids qui le <strong>sur</strong>charge,<br />

Cè<strong>de</strong> au plus vigoureux un bouclier plus <strong>la</strong>rge ! »<br />

Ces ordres à <strong>la</strong> fois sont donnés <strong>et</strong> remplis.<br />

Malgré les coups récens qui les ont affaiblis, • '.<br />

Ulysse , Diomè<strong>de</strong> <strong>et</strong> le puissant Atri<strong>de</strong><br />

Parmi les bataillons marchent d'un pas rapi<strong>de</strong> ;<br />

Plus légers ou plus forts , les traits , les boucliers,<br />

Echangés l'un pour l'autre, arment tous les guerriers^


CHANT QUATORZIÈME. 4i<br />

L'airain resplendissant entoure leur poitrine."<br />

Terrible-, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens méditant <strong>la</strong> ruine,<br />

Neptune le premier se présente , <strong>et</strong> le fer "<br />

Etincelle en sa main , émule <strong>de</strong> Féc<strong>la</strong>ir.<br />

Dans.les sang<strong>la</strong>ns combats ? Faspect seul <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce<br />

Des plus hardis guerriers enchaîne <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />

Par le fils <strong>de</strong> Priam les peuples ras<strong>sur</strong>és<br />

S'avancent y <strong>et</strong> Neptune aux cheveux azurés ,<br />

L'illustre Hector, armés pour <strong>la</strong> Grèce ou pour Troie,<br />

A <strong>la</strong> même fureur marchent tous <strong>de</strong>ux en proie.<br />

Tout le camp dans son sein voit débor<strong>de</strong>r <strong>la</strong> mer,<br />

Et mille hurlemens se confon<strong>de</strong>nt dans Fair.<br />

Ni les flots révoltés qu'en sa grondante rage<br />

L'impétueux Borée a J<strong>et</strong>és vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge,<br />

Ni le feu <strong>de</strong>structeur dans le creux <strong>de</strong>s vallons<br />

Lançant <strong>sur</strong> les forêts ses brû<strong>la</strong>ns tourbillons ,<br />

Ni le vent qui secoue avec un sourd murmure<br />

Des chênes agités <strong>la</strong> haute chevelure,<br />

Eien n'égale les cris que poussent vers les cieux<br />

Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens dans leur choc furieux.<br />

Mais Hector, le premier <strong>la</strong>nçant sa javeline,<br />

Du fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon a frappé <strong>la</strong> poitrine


i4» L ? IL1ADE.<br />

Vers l'endroit où fie gkive <strong>et</strong> le jrond .bouclier<br />

Croisent les nœuds épais du double.baudrier ;<br />

C<strong>et</strong> obstacle à ; <strong>la</strong> mort interdit tout.passage.<br />

Tandis que.,, maudissant son stérile* courage.,<br />

Le * noble Hector s'indigner <strong>et</strong>, spour.fttir le trépas,<br />

Parmi'ses compagnons ^précipitasses ,pas -,<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon près <strong>de</strong>s vaisseaux ramasse<br />

Un immense rocher-dont <strong>la</strong>.pesante masse,<br />

Frappant auprès du cou <strong>la</strong> poitrine d'Hector,<br />

Tourbillonne en rou<strong>la</strong>nt dans son rapi<strong>de</strong> essor.<br />

Lorsqu'un chêne orgueilleux ,-sous-les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre,<br />

Atteint par Jupiter, tombe réduit en poudre,<br />

Le bitume , exhalé -<strong>de</strong> ses f<strong>la</strong>ncs entr'ouverts,<br />

D'une vapeur immon<strong>de</strong> empoisonne les airs,<br />

Et le mortel, témoin <strong>de</strong> sa- vaste • raine ,<br />

Contemple avec- effroi <strong>la</strong>'colère divine :<br />

Tel le-puissanti'Hector:a-succombé ; soudain<br />

Le bouclier, <strong>la</strong>-<strong>la</strong>nce-ont glissé <strong>de</strong> sa main ;<br />

Son casque se détache, «<strong>et</strong> l'armure pesante<br />

Sur <strong>la</strong> terre^en tombant bondit*-r<strong>et</strong>entissante.<br />

Tous les Grecs à grands cris se rassemblent ; leurs-dards<br />

Sur le fils <strong>de</strong> -Priara pleuvent <strong>de</strong> toutes parts ;<br />

1


CHANT QUATORZIEME. iP<br />

Mais <strong>la</strong> victime 'échappe à leur rage effrénée.<br />

Le brave Sarpédon, -Polydamas , Eiiée ,<br />

Le divin Agénor <strong>et</strong> leiioble'G<strong>la</strong>ucus<br />

Près d'Hector menacé déjà sont ! accoura8' ;<br />

En cercle <strong>de</strong>vant lui leurs boucliers s'élèvent.<br />

La foule dont les bras ! sans- f r<strong>et</strong>ards le soulèvent,<br />

L'emporte aux-<strong>de</strong>rniers rangs' où ses-fougueux- coursiers<br />

Reposent à Fabri <strong>de</strong>s 'conibats meurtriers<br />

Et tandis que le char l'entraîne vers Pergame ,<br />

De longs gémissemens s'exhalent <strong>de</strong> son âme.<br />

Issu <strong>de</strong> Jupiter, le Xanthe sinueux<br />

Sur ses p<strong>la</strong>ges reçoit le char impétueux.<br />

C'est là que ses amis à Fenvi le <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt ;<br />

Quand <strong>de</strong>s flots bienfaisans <strong>sur</strong> son front se répan<strong>de</strong>nt.<br />

Rouvrant au jour se3 yeux qui tremblent <strong>de</strong> le voir,<br />

Assis <strong>sur</strong> ses genoux , il vomit un sang-noir ;<br />

Puis il chancelle encor <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ombe en arrière ;<br />

Une .profon<strong>de</strong> nuit entoure sa-paupière.<br />

La force l'abandonne, '<strong>et</strong> -sa vive douleur<br />

A g<strong>la</strong>cé dans son sein un reste <strong>de</strong> chaleur.<br />

Hector a fui : les ? Grecs, rappe<strong>la</strong>nt leur courage,<br />

S'é<strong>la</strong>ncent, enf<strong>la</strong>mmés d'une nouvelle- rage ;


i44 L'ILIADE.<br />

Leur fer porte <strong>la</strong> mort? <strong>et</strong> ? le premier <strong>de</strong> tous 1<br />

Ar<strong>de</strong>nt à signaler son belliqueux courroux,<br />

Ajax j fils d'Oïlée , armé d'un trait rapi<strong>de</strong> 7<br />

Court frapper Satnius 7 ce héros intrépi<strong>de</strong> y<br />

Que le pasteur Enops <strong>et</strong> <strong>la</strong> belle Naïs,<br />

Par les nœuds <strong>de</strong> l'amour secrètement unis,<br />

Autrefois ont nourri <strong>sur</strong> les rives fécon<strong>de</strong>s<br />

Où le pur Satnios fait circuler ses on<strong>de</strong>s.<br />

D tombe ; autour- <strong>de</strong> lui t pour s'arracher son corps,<br />

Chaque peuple se livre à <strong>de</strong> nouveaux transports 7<br />

Lorsque Polydamas ? rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> Panthée 7<br />

Traverse <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> foule épouvantée 7<br />

Et brandissant un trait f contre Prothoénor,<br />

Pour venger Satnius, en dirige l'essor.<br />

Ce fils d'Aréilyce a <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche adroite<br />

Reçu l'airain fatal dans son épaule droite j<br />

H roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre} <strong>et</strong> d'un bras <strong>la</strong>nguissant<br />

Presse en mourant un sol abreuvé <strong>de</strong> son sang.<br />

Alors , ivre d'orgueil, Polydamas s'écrie :<br />

« Mon dard n'a point trompé ma trop juste furie ;<br />

Il immole un <strong>de</strong>s Grecs qui va dans le tombeau<br />

Descendre soutenu par c<strong>et</strong> appui nouveau. »


CHANT QUATORZIEME. 145<br />

A peine il achevait ce superbe <strong>la</strong>ngage,<br />

Les Grecs ont palpité <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> rage ; *<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon <strong>sur</strong>tout en a frémi ;<br />

Car il voit à ses pieds expirer son ami.<br />

H s'arme vainement ; pour fuir sa javeline f<br />

Trompant le noir Destin, Polydamas s'incline.<br />

Archéloque, à <strong>la</strong> mort condamné par les Dieux ?<br />

Dans <strong>la</strong> gorge reçoit le trait victorieux ;<br />

Les <strong>de</strong>ux nerfs sont coupés ; dans sa chute soudaine,<br />

Sa tête avant son corps s'enfonce dans l'arène ?<br />

Lorsqu'Ajarx à son tour : « Eh bien ! Polydamas I<br />

Vois : <strong>de</strong> Prothoénor j'ai vengé le trépas.<br />

C<strong>et</strong> homme porte un nom illustré dans <strong>la</strong> guerre ;<br />

Le sang qui le forma n'est pas un sang vulgaire.<br />

Oui, du noble Anténor c'est le frère ou. le fils ;<br />

Anténor revivait dans ses traits ennemis. »<br />

Ainsi le Grec vainqueur que <strong>la</strong> colère anime,<br />

Bien qu'il Fait reconnue 1 outrage sa victime.<br />

LesTroyens ont frémi <strong>de</strong> honte <strong>et</strong> <strong>de</strong> douleur.<br />

Aussitôt Acamas signale sa valeur ,<br />

Et frappe Promachus dont <strong>la</strong> main téméraire<br />

Par les pieds entraînait le cadavre d'un frère.<br />

2, 10


46 L'ILIADE.<br />

Quand d'un seul coup <strong>de</strong> <strong>la</strong>nce il le plonge au cercueil,<br />

D s'écrie :. ce Àrgiens ! peuple enivré d'orgueil !<br />

Le Destin pour nous seuls ne gar<strong>de</strong> pas les <strong>la</strong>rmes.<br />

Vous aussi 7 vous mourez ; abattu par mes armes ,<br />

Votre fier Promaehus , ce vail<strong>la</strong>nt ennemi,<br />

Du sommeil <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort enfin s'est endormi.<br />

J'ai voulu j m'épargnant une honte éternelle,<br />

Acquitter sans dé<strong>la</strong>is <strong>la</strong> d<strong>et</strong>te fraternelle.<br />

Heureux qui 1 succombant au milieu <strong>de</strong>s combats ,<br />

Laisse un frère après lui pour venger son trépas ! »<br />

Tous les Grecs ont gémi. Le brave Pénélée,<br />

Troublé par <strong>la</strong> douleur,' vole dans <strong>la</strong> mêlée.<br />

Mais son trait f dirigé <strong>sur</strong> le front d'Acamas,<br />

Atteint l'unique enfant <strong>de</strong> l'opulent Phorbas,<br />

Que j parmi les Troyens y Mercure avait sans cesse<br />

Environné d'amour <strong>et</strong> comblé <strong>de</strong> richesse.<br />

De l'orbite sang<strong>la</strong>nt son œil s'est détaché,<br />

Et du crâne entr'ouvert le dard tombe arraché ;<br />

Les <strong>de</strong>ux bras étendus, le faible Ilionée<br />

Succombe : le vainqueur, d'une main indignée,<br />

Avec son fer aigu fait rouler aussitôt<br />

Le casque étince<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> le fort javelot ;


CHANT QUATORZIÈME. ,47<br />

D a coupe' <strong>la</strong> tête, <strong>et</strong> son rapi<strong>de</strong> g<strong>la</strong>ive<br />

Gomme un pavot léger dans les airs <strong>la</strong> soulève ;<br />

H s'écrie : « O Troyens ! allez ! que ses parens<br />

Remplissent leur pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> leurs cris déchïrans.<br />

Le noble flionée est perdu pour sa mère<br />

Et du fier Promachus F épouse solitaire<br />

Ne lui sourira plus , quand vers- les champs d'Argos<br />

Les Grecs r<strong>et</strong>ourneront <strong>sur</strong> leurs légers vaisseaux. »<br />

Ce discours , <strong>de</strong>s Troyens a fait pâlir l'audace<br />

Et chacun du trépas cherche à fuir <strong>la</strong> menace.<br />

O vierges <strong>de</strong> l'Olympe ! ô Muses ! quel guerrier<br />

S'est d'un butin sang<strong>la</strong>nt enrichi le premier,<br />

Depuis que pour les Grecs <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> Neptune<br />

Des combats incertains fait pencher <strong>la</strong> fortune ?<br />

Le chef <strong>de</strong>s Mysiens, le fils <strong>de</strong> Gyrtias'^<br />

Hyrtius brave Ajax <strong>et</strong> reçoit le trépas.<br />

Antiloque s'é<strong>la</strong>nce, <strong>et</strong> sa main sanguinaire<br />

. Dépouille au même instant <strong>et</strong> Phalcès <strong>et</strong> Mermère.<br />

Sous le g<strong>la</strong>ive vainqueur du jeune Mérion<br />

Expire avec Morys le noble Hippotion.<br />

De Prothoon à peine il a tranché <strong>la</strong> tête,<br />

L'intrépi<strong>de</strong> Teucer immole Périphète.<br />

10.


48 L'ILIADE.<br />

Un dard que Méné<strong>la</strong>s ba<strong>la</strong>nce dans ses mains,<br />

Aux f<strong>la</strong>ncs d'Hypérénor^ ce pasteur <strong>de</strong>s huniains 1<br />

Se plonge , <strong>et</strong> 7 déchirant ses entrailles ar<strong>de</strong>ntes ,<br />

Fait jaillir d'un sang noir les sources abondantes ;<br />

Des ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ses yeux restent couverts,<br />

Et son âme indignée a fui dans les enfers.<br />

Par <strong>de</strong> hardis exploits,. d'Ajax 7 fils d'Oïlée ,<br />

La rapi<strong>de</strong> valeur s'est partout signalée,<br />

Et nul ne savait mieux poursuivre avec le fer<br />

L'ennemi qui tremb<strong>la</strong>it chassé par Jupiter.<br />

FIN DU QUATORZIEME CHANT.


CHANT QUINZIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT QUINZIÈME.<br />

Réveil <strong>et</strong> foreur <strong>de</strong> Jopiter <strong>sur</strong> le mont Ida. — Jnnon remonte dans<br />

FOlympe. — Mars est désarmé par Minerve. — Iris ordonne à Neptune<br />

<strong>de</strong> quitter le combat. — Apollon ranime Hector, excite les<br />

Troyens, <strong>et</strong> détruit Se rempart <strong>de</strong>s Grecs. — Exploits d'Hector. —<br />

Intrépidité d'Ajax.


L'ILIADE.<br />

CHANT QUINZIÈME.<br />

Les Troyens, franchissant palissa<strong>de</strong> <strong>et</strong> fossés 7<br />

Sous le courroux <strong>de</strong>s Grecs succombaient entassés,<br />

Et non loin <strong>de</strong> leurs chars 7 dans leur fuite sang<strong>la</strong>nte,<br />

S'arrêtaient 1 mais vaincus <strong>et</strong> pâles d'épouvante.<br />

Sur Flda Jupiter qui sommeil<strong>la</strong>it encor<br />

Dans les bras <strong>de</strong> Junon 7 Déesse au trône d'or ,<br />

Se lève... Quel aspect ! par Neptune animée,<br />

La Grèce, <strong>de</strong>s Troyens frappe <strong>et</strong> poursuit l'année ?<br />

Tandis que près d'Hector, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine étendu 1<br />

L'essaim <strong>de</strong> ses amis se rassemble éperdu.<br />

Il vomit un sang noir, <strong>et</strong> sa mourante haleine<br />

De son cœur défail<strong>la</strong>nt ne s'échappe qu'à peine ;


i5a L'ILIADE.<br />

Car ce n'est point le bras d'un vulgaire ennemi<br />

Qui lui porta le coup dont ses f<strong>la</strong>ncs ont gémi.<br />

Le père <strong>de</strong>s humains f touché <strong>de</strong> sa misère ,<br />

S'indigne ? <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Junon tourne un regard sévère :<br />

« Perfi<strong>de</strong> ! quels malheurs tes ruses ont produits !<br />

A là fuite par toi les Troyens sont réduits ;<br />

Tu repousses Hector <strong>de</strong> <strong>la</strong> lice guerrière.<br />

Je ne sais si je dois te punir <strong>la</strong> première ,<br />

Opposer à ta frau<strong>de</strong> un courroux mérité,<br />

Et t'accabler <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> mon bras irrité.<br />

Oublias-tu le jour où, vengeant mes outrages 1<br />

Ce bras te suspendit <strong>sur</strong> le front <strong>de</strong>s nuages,<br />

Et, d'une chaîne d'or liant ta faible main,<br />

Attacha sous tes pieds <strong>de</strong>ux enclumes d'airain ?<br />

Les Dieux du haut Olympe ? en leur colère vaine y<br />

Debout, t'environnaient ? sans briser c<strong>et</strong>te chaîne ;<br />

Si l'un d'eux eût tenté quelque effort criminel,<br />

H eût roulé mourant loin du seuil éternel.<br />

Sans avoir assouvi ma vengeance homici<strong>de</strong>,<br />

Triste, je déplorais l'infortune d'Âlci<strong>de</strong> 7<br />

Quand je te vis, fidèle à tes complots pervers y<br />

Poursuivre ses <strong>de</strong>stins <strong>sur</strong> les stériles mers,


CHANT QUINZIÈME. i53<br />

Déchaîner les autans, soulever les orages,<br />

Et le pousser vers Ces aux populeux rivages.<br />

Libre enfin 7 dans Argos, nourrice <strong>de</strong>s chevaux y<br />

Il goûta grâce à moi l'oubli <strong>de</strong> ses travaux.<br />

Quand le passé t'éc<strong>la</strong>ire , abjure donc <strong>la</strong> ruse,<br />

Téméraire Déesse ! Un vain espoir t'abuse,<br />

Si tu crois me tromper, <strong>et</strong> loin <strong>de</strong>s autres Dieux<br />

M'offrir <strong>de</strong> ton amour le charme insidieux. »<br />

Junon aux <strong>la</strong>rges yeux redoute sa colère :<br />

« J'atteste, ô mon époux ! <strong>et</strong> le Ciel <strong>et</strong> <strong>la</strong> Terre ,<br />

Et le Styx infernal, ce fleuve détesté,<br />

Que jamais sans frémir les Dieux n'ont attesté ;<br />

Je jure par l'honneur <strong>de</strong> ta tête sacrée ,<br />

Je jure par <strong>la</strong> couche à l'hymen consacrée 7<br />

Où tu-me reçus vierge, <strong>et</strong> dont toujours ma voixf<br />

Fidèle à ses sermens, respectera les droits :<br />

Je n'ai point exigé que le puissant Neptune<br />

Des Troyens <strong>et</strong> d'Hector poursuivît <strong>la</strong> fortune ;<br />

Cédant à <strong>la</strong> pitié, dans ses nobles transports ,<br />

Son cœur a p<strong>la</strong>int les Grecs expirans <strong>sur</strong> ces bords.<br />

O roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ! où veux-tu qu'il se ren<strong>de</strong> ?<br />

Parle ; il doit obéir quand Jupiter comman<strong>de</strong>. »


i54 L'ILIADE.<br />

Le maître souverain <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> <strong>de</strong>s-cieux<br />

Adresse à son épouse un souris gracieux :<br />

« O Junon ! si jamais ton âme plus sensée<br />

Dans les divins. Conseils partage ma pensée 1<br />

Docile à mes arrêts, à tes désirs soumis,<br />

Neptune abjurera ses proj<strong>et</strong>s ennemis.<br />

Mais} confirmant <strong>la</strong> foi que ta bouche m'atteste ?<br />

Cours ; dirige tes pas vers <strong>la</strong> tribu céleste j<br />

Envoie auprès <strong>de</strong> moi pour divins messagers<br />

Phébus à Parc fameux y Iris aux pieds légers ;<br />

Que, par l'ordre d'Iris 7 dans son liqui<strong>de</strong> empire<br />

Loin <strong>de</strong>s champs meurtriers Neptune se r<strong>et</strong>ire ;<br />

Qu'aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong>s combats Phébus ramène Hector ;<br />

Guéri <strong>de</strong> ses douleurs f <strong>et</strong> plus terrible encor 7<br />

Qu'Hector se r<strong>et</strong>ournant <strong>la</strong>nce contre <strong>la</strong> Grèce<br />

Et <strong>la</strong> fuite honteuse <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort vengeresse.<br />

Quand le fils <strong>de</strong> Pelée auprès <strong>de</strong>s forts vaisseaux<br />

Aura vu tous les Grecs expirer par monceaux,<br />

De son ami Patrocle excitant le courage 7<br />

Il l'enverra combattre <strong>et</strong> semer le carnage ;<br />

Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Hector Patrocle traversé<br />

Devant les murs troyens périra renversé 7


CHANT QUINZIEME. i55<br />

Après avoir vaincu 1 telle est ma loi suprême ?<br />

Mille jeunes héros <strong>et</strong> Sarpédon lui-même;<br />

Enfin le noble Achille 1 enf<strong>la</strong>mmé <strong>de</strong> courroux ,<br />

Fera tomber Hector sous ses rapi<strong>de</strong>s coups.<br />

Dès c<strong>et</strong> instant ? mon bras loin <strong>de</strong>s bruyantes rives<br />

Poursuivra <strong>de</strong>s Troyens les troupes fugitives,<br />

Jusqu'au jour où les Çrecs? conseillés par Pal<strong>la</strong>s-,<br />

Sur le haut Dion <strong>la</strong>nceront le trépas.<br />

J'enchaînerai <strong>de</strong>s Dieux le courage immobile ;<br />

Je veux par mon courroux remplir les vœux d*Achille :<br />

Ainsi je l'ai juré d'un signe <strong>de</strong> mon front,<br />

Quand 1 tombant à mes pieds <strong>et</strong> pleurant son affront,<br />

Thétis me supplia <strong>de</strong> venger dans <strong>la</strong> guerre .<br />

Ce héros , <strong>de</strong>s cités <strong>de</strong>structeur sanguinaire. »<br />

Junon aux bras d'albâtre avec empressement<br />

De l'Ida jusqu'aux cieux monte légèrement.<br />

Gomme du voyageur <strong>la</strong> mémoire é<strong>la</strong>ncée<br />

Vers <strong>de</strong>s pays lointains rej<strong>et</strong>te sa pensée 1<br />

Et <strong>sur</strong> divers obj<strong>et</strong>s aimant à revenir,<br />

Embrasse en un moment un vaste souvenir :<br />

Junon , impatiente , atteint d'un vol rapi<strong>de</strong><br />

Les somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'Olympe où Jupiter rési<strong>de</strong>.


i56 L'ILIADE.<br />

Les Dieux à son aspect se lèvent ; mais en vain<br />

Leurs mains ont préparé le breuvage divin ;<br />

C'est <strong>la</strong> belle Thémis qui lui rem<strong>et</strong> <strong>la</strong> coupe,<br />

S'avance <strong>et</strong> parle au nom <strong>de</strong> l'immortelle troupe :<br />

« O Junon ! quel chagrin s'est emparé <strong>de</strong> toi ?<br />

Sans doute Jupiter t'inspire c<strong>et</strong> effroi.<br />

Eéponds. » — « Sage Thémis ! tu sais combien son âme<br />

D'un superbe courroux nourrit l'ar<strong>de</strong>nte f<strong>la</strong>mme.<br />

Ne m'interroge pas ; prési<strong>de</strong> à nos festins.<br />

Quand l'Olympe apprendra les arrête <strong>de</strong>s Destins,<br />

Les Dieux <strong>et</strong> les mortels connaîtront <strong>la</strong> tristesse<br />

Dans les banqu<strong>et</strong>s pompeux dont ils goûtent l'ivresse. »<br />

Dès que Junon s'assied , les Dieux frémissent tousj<br />

Ses lèvres ont souri ; mais un sombre courroux<br />

Fronce ses noirs sourcils 7 <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ses traits déploie<br />

Le chagrin dévorant où son âme est en proie.<br />

« Insensés ! leur dit-elle, un téméraire espoir<br />

Oppose au roi <strong>de</strong>s cieux notre faible pouvoir ;<br />

En vain nous employons contre son âme altière<br />

La force <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur, les pleurs <strong>et</strong> <strong>la</strong> prière.<br />

Dans un calme profond assis tranquillement,<br />

Il nous <strong>la</strong>isse exhaler notre ressentiment ;


CHANT QUINZIÈME. i5y<br />

Maître <strong>de</strong> tous les Dieux 7 sa puissance nous brave j *<br />

Devant lui, sans gémir ? courbons un front esc<strong>la</strong>ve.<br />

Déjà Mars, accablé sous le poids du malheur,<br />

Déplore un <strong>de</strong> ses fils, fameux par sa valeur,<br />

C<strong>et</strong> illustre Asca<strong>la</strong>phe *7 à qui son cœur sans cesse<br />

Entre tous les mortels prodigua sa tendresse. »<br />

Mars, avec ses <strong>de</strong>ux mains se frappant les genoux,<br />

Pleure <strong>de</strong> désespoir <strong>et</strong> frémit <strong>de</strong> courroux :<br />

ce O vous, Dieux ! habïtans <strong>de</strong> <strong>la</strong> voûte éternelle,<br />

Pardonnez ! <strong>la</strong> vengeance au combat me rappelle ;<br />

Fy cours 7 dût Jupiter, sous ses feux m'ëcrasant,<br />

Me traîner <strong>sur</strong> les morts dans <strong>la</strong> poudre <strong>et</strong> le sang: »<br />

A peine il se revêt <strong>de</strong> ses armes sinistres 7<br />

La Fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> Terreur, ses fidèles ministres,<br />

Âttèlent ses chevaux ; <strong>et</strong> contre tous les Dieux<br />

Jupiter eût tourné son bras plus furieux,<br />

Si <strong>la</strong> sage Pal<strong>la</strong>s, <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> son trône,<br />

Pour calmer le courroux dont le Dieu Mars frissonne,<br />

N'eût arraché <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à son bras meurtrier 1<br />

A <strong>la</strong> tète son casque j au dos son bouclier : '<br />

« Malheureux ! qui te pousse à <strong>de</strong>s fureurs pareilles?<br />

Vainement pour- entendre as-tu donc <strong>de</strong>s oreilles ?


i58 L'ILIADE.<br />

Ni raison, ni pu<strong>de</strong>ur} rien n'enchaîne tes pas y<br />

Et <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Junon ne t'épouvante pas !<br />

Quoi ! veux-tu, tout meurtri d'une défaite prompte,<br />

Rapporter dans les cïeux ta douleur <strong>et</strong> ta honte ?<br />

Fier <strong>de</strong> nos maux 1 veux-tu les ajouter aux tiens ?<br />

Abandonnant les Grecs <strong>et</strong> les vail<strong>la</strong>ns Troyens 7<br />

Jupiter reviendrait f <strong>de</strong> justice incapable y<br />

Châtier l'innocent à l'égal du coupable.<br />

D'un aveugle courroux modère le transport,<br />

Et pardonne au Destin par qui ton fils est mort.<br />

De plus vail<strong>la</strong>ns héros 7 promis au roi <strong>de</strong>s ombres 7<br />

Tombent ou vont tomber dans les abymes sombres.<br />

Toute <strong>la</strong> race humaine est vouée au trépas 7<br />

Et nos jaloux efforts ne <strong>la</strong> sauveraient pas. »<br />

Quand du terrible Mars 7 reconduit vers sa p<strong>la</strong>ce 7<br />

Ces mots ont désarmé <strong>la</strong> fougueuse menace ,<br />

Junon secrètement hors <strong>de</strong>s divins <strong>la</strong>mbris<br />

Attire avec Phébus l'impétueuse Iris :<br />

« Hâtez-vous ; <strong>sur</strong> l'Ida Jupiter vous appelle ;<br />

En remplissant ses lois 9 signalez votre zèle. »<br />

La Déesse, à ces mots, <strong>sur</strong> son beau trône d'or<br />

Se rep<strong>la</strong>ce 7 <strong>et</strong> le couple, en son agile essor,


CHANT QUINZIÈME. i5g<br />

S'é<strong>la</strong>nce vers FIda dont les bêtes sauvages<br />

Aiment Peau jaillissante <strong>et</strong> les vastes ombrages ;<br />

Là le fils <strong>de</strong> Saturne aux vigi<strong>la</strong>ns regards ,<br />

D'un nuage odorant voilé <strong>de</strong> toutes parts ,<br />

Repose ; il a quitté sa colère jalouse,<br />

Quand le couple 7 docile aux vœux <strong>de</strong> son épouse ?<br />

Arrive } <strong>et</strong> jusqu'à lui portant ses pas secr<strong>et</strong>s,<br />

S'apprête à recevoir ses suprêmes décr<strong>et</strong>s.<br />

« Iris ! dit-il, va, cours ; fidèle messagère ,<br />

Annonce au roi <strong>de</strong>s flots ma volonté sévère :<br />

Déposant <strong>de</strong>s combats le g<strong>la</strong>ive audacieux,<br />

Qu'il rentre dans les mers ou monte dans les cieux.<br />

S'il m'osait résister 9 son orgueil téméraire<br />

A mon choc furieux ne saurait le soustraire.<br />

Par Page <strong>et</strong> le pouvoir je l'emporte à <strong>la</strong> fois.<br />

Tous les Dieux immortels tremblent <strong>de</strong>vant mes lois<br />

Et n'écoutant jamais qu'une haine rivale<br />

Sa puissance|à <strong>la</strong> mienne insolemment s'égale ! »<br />

Il a parlé : docile à son céleste arrêt,<br />

Plus prompte que les vents, <strong>la</strong> nymphe disparaît.<br />

Gomme , au souffle g<strong>la</strong>cé du rapi<strong>de</strong> Borée,<br />

La neige b<strong>la</strong>nchissante ou <strong>la</strong> grêle serrée


160 L'ILIADE.<br />

Se précipite ; ainsi ses pieds aériens<br />

Dirigent leur essor vers les remparts troyens.<br />

« Monarque aux verts cheveux, ô Neptune ! dit-elle ;<br />

Des lois <strong>de</strong> Jupiter observateur fidèle,<br />

Dépose <strong>de</strong>s combats le g<strong>la</strong>ive audacieux,<br />

Et rentre dans les mers ou monte dans les cieux.<br />

Si tu lui résistais, ton orgueil téméraire '<br />

A son choc furieux ne saurait te soustraire.<br />

Par Page <strong>et</strong> le pouvoir il Pemporte à <strong>la</strong> fois.<br />

Tous les Dieux immortels tremblent <strong>de</strong>vant ses lois y<br />

Et n'écoutant jamais qu'une haine rivale ?<br />

Ta puissance à <strong>la</strong> sienne insolemment s'égale ! »<br />

Mais Neptune indigné : « Je <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong>pris ;<br />

Son <strong>la</strong>ngage respire un odieux mépris..<br />

Qu'entends-je ? son orgueil sous un joug arbitraire<br />

Prétendrait m'accabler, moi son égal 7 son frère !<br />

Tu le'sais ; trois enfans ? issus d'un chaste amour y<br />

De Rhée <strong>et</strong> <strong>de</strong> Saturne avaient reçu le jour.<br />

Le Destin consulté nous divisa le mon<strong>de</strong> ;<br />

L'empire qui m'échut est Fempire <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong> ;<br />

Pluton obtint pour lui les ténébreux enfers 7<br />

Et Jupiter siégea <strong>sur</strong> le trône <strong>de</strong>s airs.


CHANT QUINZIÈME. 161<br />

Mais <strong>la</strong> Terre <strong>et</strong> l'Olympe , exceptes du partage f<br />

Forment entre nous trois un. commun héritage.<br />

Non ; <strong>de</strong>vant Jupiter je né fléchirai pas*<br />

Que j malgré son OTgueil, tranquille en ses états,<br />

H abjure à jamais l'espérance hautaine<br />

De m'asservir en lâche à sa loi souveraine ^<br />

Content d'épouvanter ses fils que le <strong>de</strong>voir<br />

Par un nœud nécessaire enchaîne à son pouvoir. »<br />

Mais Iris : ce Faut-il donc T foi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer profon<strong>de</strong> ,<br />

Rapporter ta réponse au souverain du mon<strong>de</strong> ?<br />

N'adouciras-tu point ce refus rigoureux ?<br />

Le repentir est fait pour les cœurs généreux,,<br />

Et tu sais que toujours les sombres Euménï<strong>de</strong>s<br />

En faveur <strong>de</strong>s aînés arment leurs bras perfi<strong>de</strong>s. »<br />

ce Déesse Iris ! répond le monarque <strong>de</strong>s mers,<br />

Qui d'un coup <strong>de</strong> son sceptre ébranle l'univers,<br />

La sagesse t'inspire ; un messager fidèle<br />

Jamais à ses conseils ne se montre rebelle.<br />

Toutefois, je l'avoue 7 un désespoir amer<br />

S'empare <strong>de</strong> mon cœurf alors que Jupiter<br />

Par d'injustes discours me provoque <strong>et</strong> m'outrage}<br />

Moi qui-d'un sort pareil ai reçu l'avantage.<br />

a. 11


16a L'ILIADE.<br />

De quelque ar<strong>de</strong>nt courroux que je sois dévoré j<br />

Si tel est son désir, eh bien ! je cé<strong>de</strong>rai.<br />

Mais je dévoile ici tout le fond <strong>de</strong> mon âme :<br />

S'il épargne les tours <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute Pergame ,<br />

Pour terrasser les Grecs 9 si sa jalouse loi<br />

Brave Junon, Vulcain , Pa<strong>la</strong>s, Mercure <strong>et</strong> moi ?<br />

Qu'il sache que? <strong>la</strong>ssés du joug qui nous enchaîne 7<br />

Nous lui déc<strong>la</strong>rons tous une imp<strong>la</strong>cable haine. »<br />

Neptune, aux Argiens <strong>la</strong>issant un long regr<strong>et</strong> 7<br />

Jusques au fond <strong>de</strong>s mers se plonge <strong>et</strong> disparaît.<br />

Alors au prompt Pliébus le roi <strong>de</strong>s cieux s'adresse :<br />

« Cours vers Hector, ô toi que j'ai chéri sans cesse ;<br />

Neptune dont les flots embrassent l'uni vers,<br />

Déjà, pour fuir ma haine, est rentré dans les mers.<br />

Saturne <strong>et</strong> tous les Dieux <strong>de</strong> l'infernal abîme<br />

Savent dans les combats quelle force m'anime,.<br />

Et Neptune 7 évitant un essai hasar<strong>de</strong>ux 7<br />

Nous épargne une guerre horrible pour tous <strong>de</strong>ux.<br />

Quels maux eut entraînés notre lutte sang<strong>la</strong>nte !.. „<br />

Mais toi, <strong>sur</strong> les héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce tremb<strong>la</strong>nte<br />

Va secouer l'égi<strong>de</strong> avec ses franges d'or.<br />

Phébus aux traits légers ! je te confie Hector ;


CHANT QUINZIÈME. i88<br />

iDans son cœur généreux excite un grand courage 7<br />

Et quand les Grecs vaincus fuiront vers c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ge 9<br />

Touché <strong>de</strong> leurs revers, là mon cœur seulement<br />

Leur <strong>la</strong>issera goûter le repos d'un moment. »<br />

Gomme on voit <strong>de</strong>s oiseaux Poiseau le plus rapi<strong>de</strong>,<br />

L'épervicr s'é<strong>la</strong>ncer <strong>sur</strong> le ramier timi<strong>de</strong> ,<br />

Aux ordres paternels Phébus obéissant,<br />

Des somm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Plda tout à coup s'abaissant,<br />

Yole. Assis <strong>et</strong> non plus eoticlié <strong>sur</strong> le rivage ,<br />

Hector <strong>de</strong> ses esprits recouvre enfin Pu sage ;<br />

Au milieu <strong>de</strong>s amis que son œil reconnaît,<br />

Sa sueur l'abandonne <strong>et</strong> sa force? renaît.<br />

Phébus s'approche : « Hector ! à <strong>la</strong> souffrance en proie-,<br />

Pourquoi <strong>la</strong>nguir ici loin <strong>de</strong>s guerriers <strong>de</strong> Troie.» ?<br />

Quelle vive douleur s'empare <strong>de</strong> tes sens ? »<br />

Le héros lui répond par ces faibles accens :<br />

« Quel es-tu, Dieu puissant que mon sort intéresse ;<br />

Ne sais-tu pas qu f armé pour protéger <strong>la</strong> Grèce 7<br />

Âjax brisa ma force, <strong>et</strong> que son bras vainqueur<br />

D'un énorme rocher osa frapper mon cœur ?<br />

Mon âme s ? exha<strong>la</strong>it ; je croyais que mon ombre<br />

Visiterait Pluton dans son royaume sombre. »<br />

II.


i64 L'ILIADE.<br />

a Ami ! répond le Dieu qui <strong>la</strong>nce au loin ses traits,<br />

Ras<strong>sur</strong>e-toi ! tes jours à <strong>la</strong> mort sont soustraits.<br />

Du faîte <strong>de</strong> FIda les cïeux m'ont vu <strong>de</strong>scendre j<br />

Chargé par Jupiter du soin <strong>de</strong> te défendre,<br />

Je suis le Dieu bril<strong>la</strong>nt r Phébus au g<strong>la</strong>ive d'or,<br />

Le protecteur <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> le sauveur d'Hector.<br />

Marchons ! jusqu'aux vaisseaux que ta docile adresse<br />

Des chars <strong>et</strong> <strong>de</strong>s coursiers dirige <strong>la</strong> vitesse ;<br />

J'ap<strong>la</strong>nirai <strong>la</strong> voie <strong>et</strong> gui<strong>de</strong>rai tes pas ,<br />

En <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> les Grecs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas, »<br />

Phébus parle , <strong>et</strong> bientôt son souffle communique<br />

Au pasteur <strong>de</strong>s humains un courage héroïque.<br />

-Gomme un ar<strong>de</strong>nt coursier 9 loin du fleuve chéri 7<br />

Dans <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> l'étable abondamment nourri 7<br />

Brise ses nœuds, bondit plein <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce 7<br />

Vers Fon<strong>de</strong> accoutumée 7 en dévprant l'espace,<br />

Accourt le front dressé 7 livre au souffle <strong>de</strong>s vents<br />

Les crins qui <strong>sur</strong> son dos roulent leurs plis mouvans,<br />

Et d'un rapi<strong>de</strong> essor dans les vertes campagnes<br />

Rejoint 7 fier <strong>et</strong> joyeux 7 ses fougueuses compagnes ;<br />

Ainsi i quand un Dieu parle7 Hector vers ses soldats<br />

Vole 7 <strong>et</strong> ses pieds légers l'emportent aux combats.


CHANT QUINZIÈME: i65<br />

Si <strong>la</strong> chèvre ou le cerf à <strong>la</strong> haute ramure*<br />

A vu, dans Fépaisseur d'une forêt obscure,<br />

Les ar<strong>de</strong>ns vil<strong>la</strong>geois <strong>et</strong> les chiens dévorans-<br />

Sur un roc escarpé suivre ses pas errans,<br />

Appelé par leurs cris du fond <strong>de</strong> sa tanière ,,<br />

Un Bon , hérissant son épaisse crinière,<br />

Paraît , <strong>et</strong> tout à coup Fessaim impétueux.<br />

S'épouvante, <strong>et</strong> s'enfuit d'un pas "tumultueux :<br />

Ainsi , <strong>de</strong>s Grecs , armés du g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce,<br />

Le fougueux bataillon avec fureur, s'é<strong>la</strong>nce;<br />

Mais, à Faspect d'Hector, l'effroi p<strong>la</strong>ne <strong>sur</strong> eux,<br />

Et leur force a passé dans leurs pieds vigoureux.<br />

Un guerrier intrépi<strong>de</strong>, honneur <strong>de</strong> l'Etoile ,<br />

Thoas , fils d'Andrémon , tout à coup les rallie ;<br />

Archer toujours habile , il voit dans les Conseils<br />

Peu <strong>de</strong> jeunes rivaux se montrer ses pareils.<br />

Plein d'amour pour <strong>la</strong> Grèce, il s'écrie : ce O disgrâce !<br />

Dieux! quel frappant prodige étonne mon audace ?<br />

Quoi! le terrible Hector, échappé du trépas,<br />

Dans nos rangs fugitifs précipite ses pas !<br />

West-il point sous Ajax tombé sans résistance?<br />

Nonj un Dieu protecteur sauva son existence.


i66 L'ILIADE.<br />

De combien d'ennemis il brisa les genoux!<br />

Combien d'autres encor périront par ses coups !<br />

Sans doute Jupiter! qui le gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'excite ^<br />

Entraîne <strong>sur</strong> ses pas c<strong>et</strong>te intrépi<strong>de</strong> élite.<br />

Cé<strong>de</strong>z à mes avis : que dans leurs pavillons<br />

Des timi<strong>de</strong>s guerriers, rentrent les bataillons.<br />

Pour nous, du camp <strong>de</strong>s Grecs pha<strong>la</strong>nge redoutable,<br />

Opposons au péril un courage indomptable ;<br />

Réunissons nos dards, <strong>et</strong> qu'Hector jusqu'à nous<br />

Frémisse <strong>de</strong> porter son belliqueux courroux. »<br />

La foule <strong>de</strong>s soldats, vers <strong>la</strong> flotte entraînée ,<br />

S'éloigne , <strong>et</strong> Mérion1 Teucer, ïdoménée,<br />

Les <strong>de</strong>ux Ajax, Mégès rassemblent les guerriers<br />

Qui braveront d'Hector les assauts meurtriers.<br />

Hector, <strong>de</strong> sa pha<strong>la</strong>nge enf<strong>la</strong>mmant le courag<strong>et</strong><br />

Vole à grands pas; Phébus, entouré d'un nuage,<br />

Agite <strong>de</strong>vant lui l'égi<strong>de</strong> aux vastes nœuds ,<br />

De longs poils hérissée , éc<strong>la</strong>tante <strong>de</strong> feux,<br />

L'égi<strong>de</strong> que Vulcaïn, pour l'effroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

Remit au Dieu puissant qui <strong>la</strong>nce le tonnerre»<br />

Les Grecs pressent leurs rangs ; tout s'ébranle; les airs<br />

R<strong>et</strong>entissent, frappés <strong>de</strong> mille cris divers.


CHANT QUINZIÈME. 167<br />

Par <strong>de</strong>s bras vigoureux les flèches dirigées<br />

Dans le sein <strong>de</strong>s guerriers en siff<strong>la</strong>nt sont plongées r<br />

Et dans un sable épais les dards vont s'enfoncer 7<br />

Privés <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> sang qu'ils brû<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> verser.<br />

Tant que le Dieu suspend son immobile égi<strong>de</strong> f<br />

Chaque peuple a tombé sous le fer homici<strong>de</strong> ;<br />

Enfin contre les Grecs il tourne sa fureur,<br />

Et, poussant un grand cri ,• les g<strong>la</strong>ce tous d'horreur.<br />

Leur courage s'éteint. Quand, <strong>de</strong>ux monstres avi<strong>de</strong>s<br />

Surprennent <strong>de</strong>s taureaux ou <strong>de</strong>s brebis timi<strong>de</strong>s,<br />

Le troupeau f disperâé dans l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit ,<br />

Loin du pasteur absent <strong>et</strong> s'égare <strong>et</strong> s'enfuit :<br />

Tels les Grecs effrayés ont cédé <strong>la</strong> victoire<br />

Aux Trojens que Phébus cherche à combler <strong>de</strong> gloire.<br />

Chaque homme égorge unhomme. Hector lîvreau trépas<br />

Le brave Stichïus 7 le noble Àrcési<strong>la</strong>s ,'<br />

Qui guidaient ou suivaient <strong>la</strong> bravoure indomptée,<br />

L'un j <strong>de</strong>s Béotiens, l'autre, <strong>de</strong> Me'nesthée.<br />

Enée avec succès signale son courroux,<br />

Et Médon, <strong>la</strong>sus expirent sous ses coups :<br />

Le premier, fruit obscur <strong>de</strong>s amours d'Oïlée,<br />

Dans Phy<strong>la</strong>ce avait vu sa jeunesse exilée,


168 L'ILIADE.<br />

Lorsque d'un frère aimé privant Briopis 1<br />

H expia ce meurtre en fuyant son pays.<br />

Le second, <strong>de</strong> Sphélus rej<strong>et</strong>on intrépi<strong>de</strong> 7<br />

Sert aux guerriers d'Athène <strong>et</strong> d'exemple <strong>et</strong> <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>.<br />

Eehius sous Polite a déjà succombé,<br />

Et sous Polydamas Mécistée est tombé.<br />

Plus loin Agénor frappe <strong>et</strong> Glonius expire.<br />

Déïochus tremb<strong>la</strong>nt vainement se r<strong>et</strong>ire ;<br />

Paris le suit , l'atteint , <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />

Dans le dos ennemi s'enfonce tout entier.<br />

Tandis que les vainqueurs dépouillent leurs victimes,<br />

A travers le fos^é les Grecs pusil<strong>la</strong>nimes<br />

S'é<strong>la</strong>ncent ? <strong>et</strong> bientôt, courant <strong>de</strong> toutes parts f<br />

Leur peur se réfugie à l'abri <strong>de</strong>s remparts.<br />

« Troyens ! s'écrie Hector^ marchez tous vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge f<br />

Et négligez le soin <strong>de</strong> ce sang<strong>la</strong>nt pil<strong>la</strong>ge.<br />

Malheur à l'impru<strong>de</strong>nt 7 déserteur <strong>de</strong> ce bord !<br />

S'il me désobéit, je lui donne <strong>la</strong> mort j<br />

Ses frères <strong>et</strong> ses soeurs f loin d'honorer sa cendre,<br />

Contre les chiens cruels n'oseront le défendre. » .<br />

Hector 7 pressant du-fou<strong>et</strong> l'épaule <strong>de</strong>s coursiers y<br />

Se j<strong>et</strong>te dans les rangs ? <strong>et</strong> ses nombreux guerriers,


CHANT QUINZIÈME. ' 169<br />

Conduits par Apo|lon qui leur fraie une voie 7<br />

Précipitent leurs chars avec <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> joie.<br />

Du fossé <strong>de</strong>vant eux le bord s f est ap<strong>la</strong>ni,<br />

Et le milieu comblé forme un chemin uni,<br />

Large comme le vol <strong>de</strong> <strong>la</strong> flèche légère<br />

Que <strong>la</strong>nce un bras novice aux travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre :<br />

C f est là que <strong>de</strong>s Troyens dirigeant <strong>la</strong> fureur }<br />

L f égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Phébus disperse <strong>la</strong> terreur.<br />

Sur <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers 7 comme un monceau <strong>de</strong> sable,<br />

Des loisirs d ? un enfant ouvrage périssable 7<br />

S'écroule 1 quand soudain <strong>de</strong> ses jeux d'un moment<br />

Et ses bras <strong>et</strong> ses pieds brisent le monument :<br />

Tels, bril<strong>la</strong>nt Apollon ! sous ta main vengeresse<br />

Succombent ces travaux, vain rempart <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />

Par ton courroux ar<strong>de</strong>nt le peuple poursuivi<br />

S'arrête enfin 7 <strong>et</strong> tous f s'exhortant à l'envi,<br />

Auprès <strong>de</strong> leurs vaisseaux', en proie à Fépouvante ,<br />

Offrent aux immortels leur prière fervente.<br />

Nestor 7 <strong>sur</strong>tout 9 <strong>de</strong>s Grecs ce protecteur zélé,<br />

Prie, étendant ses mains vers le ciel étoile :<br />

« Jupiter ! si tu vis Fautel <strong>de</strong>s sacrifices<br />

Brûler en ton honneur-<strong>la</strong> graisse <strong>de</strong>s génisses,


i7o L'ILIADE.<br />

Si dans <strong>la</strong> riche Argos ton indulgent amour<br />

D ? un signe <strong>de</strong> ton front nous promit le r<strong>et</strong>our 1<br />

Daigne, en voyant nos maux ? t'en souvenir encore ;<br />

Préviens le jour fatal 7 Dieu que l'Olympe adore !<br />

Ne <strong>la</strong>isse pas les Grecs , sans défense immolés 7<br />

Sous les Trdyens vainqueurs tomber amoncelés. »<br />

Tel priait le vieil<strong>la</strong>rd dont Nélée est le père ;<br />

Jupiter qui l'entend, fait gron<strong>de</strong>r son tonnerre.<br />

Lorsque du haut <strong>de</strong>s cieux <strong>la</strong> foudre a r<strong>et</strong>enti,<br />

Par le Dieu <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong> aussitôt averti,<br />

Le Troyen f dans son cœur rappe<strong>la</strong>nt son courage 7<br />

Sur les rangs ennemis précipite sa rage.<br />

Comme d'un vaste flot les assauts turbulens<br />

Du navire en péril battent les <strong>la</strong>rges f<strong>la</strong>ncs ,<br />

Et dépassent son bord, lorsque <strong>de</strong>s mers profon<strong>de</strong>s<br />

Les autans déchaînés bouleversent les on<strong>de</strong>s :<br />

Tel avec <strong>de</strong> grands cris le Troyen s'approchant<br />

Court y agitant <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> son double tranchant,<br />

Et j du haut <strong>de</strong> ses chars, frappe 9 immole, renverse<br />

Les Grecs qui , <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte où l'effroi les disperse,<br />

Au fond <strong>de</strong>s noirs vaisseaux s'emparent <strong>de</strong> ces pieux y<br />

Armés <strong>de</strong> clous d'airain <strong>et</strong> durcis dans les feux.


CHANT QUINZIÈME. 171<br />

Tandis que l'un <strong>sur</strong> l'autre, àl'entour <strong>de</strong>s murailles,<br />

Le Grec <strong>et</strong> le Troyen <strong>la</strong>nçaient les funérailles,<br />

Près du noble Eurypyle, à ses côtés assis,<br />

PatrOcle le charmait par <strong>de</strong> touchans récits,<br />

Et les sucs bienfaisans, versés à sa bles<strong>sur</strong>e ,<br />

De ses noires douleurs apaisaient le murmure.<br />

Quand il à TU <strong>de</strong>s Grecs les bataillons épars<br />

S'enfuir , <strong>et</strong> les Troyens monter <strong>sur</strong> les remparts, .<br />

1 frappe ses genoux f il gémit , il soupire :<br />

« Eurypyle ! malgré le mal qui te déchire,<br />

La guerre <strong>et</strong> ses périls réc<strong>la</strong>ment ma valeur.<br />

Ton fidèle écuyer soignera ta douleur ;<br />

Moi, je cours vers Achille, <strong>et</strong>, pour fléchir sa rage 7<br />

Un Dieu Viendra peut-être inspirer mon <strong>la</strong>ngage.<br />

Ils sont toujours si doux les conseils d f un ami ! »<br />

D s'éloigne : <strong>de</strong>s Grecs le courage affermi,<br />

Ni vainqueur, ni vaincu , ne chasse pas les troupes<br />

• Dont l'essaim peu nombreux combat autour <strong>de</strong>s poupes.<br />

Et, pour roînpre leurs rangs ou forcer leurs vaisseaux ^<br />

Le Troyen se consume en stériles assauts.<br />

Comme le bois, taillé pour un navire agile,<br />

A <strong>la</strong> loi du cor<strong>de</strong>au reste toujours docile,


i7* L'ILIADE.<br />

Quand Minerve elle-même à <strong>de</strong>s travaux adroits<br />

D'un habile ouvrier a façonné les doigts :<br />

Ainsi <strong>de</strong>s combattans les <strong>de</strong>ux lignes s'éten<strong>de</strong>nt r<br />

S'attaquent tour à tour, tour à tour se défen<strong>de</strong>nt.<br />

Hector fond <strong>sur</strong> Ajax : théâtre <strong>de</strong> terreur ,<br />

Un seul vaisseau résiste à leur double foreur ;<br />

L'un ne peut Fembraser, <strong>et</strong> l'autre en vain aspire<br />

A chasser le rival qu'un Dieu lui-même inspire.<br />

Par l'intrépi<strong>de</strong> Ajax frappé d'un javelot ,<br />

Le fils <strong>de</strong> CJytïus , Galétor aussitôt<br />

Roule avec un long bruit 1 <strong>et</strong> <strong>la</strong> torche bril<strong>la</strong>nte<br />

Echappe, dans sa chute, à sa main défail<strong>la</strong>nte.<br />

Lorsque dans <strong>la</strong> poussière Hector voit son parent •<br />

Devant le noir vaisseau succomber expirant,<br />

Emu d'un tel spectacle , il s'indigne , <strong>et</strong> s'écrie :<br />

« Peuple <strong>de</strong> Dardanus 7 enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycie ,<br />

Ne cé<strong>de</strong>z point encore, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout n'allez pas<br />

Dans c<strong>et</strong> espace étroit déserter les combats.<br />

Protégez Galétor ; sauvez sa riche armure,<br />

Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s Grecs épargnez-lui l'injure. »<br />

Il dit j <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Ajax <strong>la</strong>nce un trait meurtrier ;<br />

Le trait en s'égarant atteint son écuyer,


CHANT QUINZIEME. i73<br />

Lycopliron qui , souillé d f un forfait sanguinaire,<br />

Avait fui dès long-temps <strong>la</strong> divine Cythère.<br />

Debout auprès d'Ajax , par Fairain acéré<br />

Lycopliron sent frémir son crâne déchiré j<br />

Quand, privé <strong>de</strong> sa force, obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />

Du faîte <strong>de</strong> <strong>la</strong> proue il roule dans le sable,<br />

Le grand Ajax frissonne : « O généreux Teucer !<br />

Viens : le .fils <strong>de</strong> Mastbr, notre ami le plus cher?<br />

Ce héros dont jadis <strong>la</strong> jeunesse exilée _<br />

Se vit dans nos pa<strong>la</strong>is reçue <strong>et</strong> consolée ,<br />

Lycopbron, comme un père honoré parmi nous y<br />

Meurt,., le terrible Hector l'immole sous ses coups.<br />

Où sont ces traits légers <strong>et</strong> c<strong>et</strong> arc redoutable ,<br />

Remis par Apollon- à ton bras indomptable ? »<br />

Teucer comprend Ajax ; il accourt à sa voix 7<br />

Portant son arc flexible <strong>et</strong> son pesant carquois f<br />

Et <strong>de</strong> ses traits siff<strong>la</strong>ns les pointes menaçantes<br />

Contre les rangs troyens s'agitent frémissantes.<br />

Le fils <strong>de</strong> Pisénor, Glitus, noble guerrier ,<br />

Qui f <strong>de</strong> Polydamas généreux écuyer ,<br />

Sur le char f ba<strong>la</strong>nçait dans ses mains intrépi<strong>de</strong>s<br />

Le pressant aiguillon <strong>et</strong> les flottantes gui<strong>de</strong>s,


174 . L'ILIADE.<br />

Et <strong>de</strong>s fougueux chevaux, pour secon<strong>de</strong>r Hector j<br />

Aux rangs les plus épais précipitait l'essor,<br />

. Tombe ; ses compagnons, embrassant sa défense ,<br />

Du trépas loin <strong>de</strong> lui n'écartent point l'offense.<br />

Dès que le dard cruel dans son cou traversé<br />

Se plonge, loin du char il roule renversé;<br />

L'atte<strong>la</strong>ge se cabre, <strong>et</strong> dans sa fuite entraîne<br />

Le char r<strong>et</strong>entissant qui bondit <strong>sur</strong> l'arène.<br />

De l'effroi <strong>de</strong>s coursiers Polydamas témoin<br />

Aux mains d'Astinoûs en a remis le soin ;<br />

À ne pas s'éloigner sa pru<strong>de</strong>nce l'exhorte,<br />

Et lui-même il s'é<strong>la</strong>nce où sa valeur l'emporte.<br />

Maïs soudain par le bras <strong>de</strong> Teucer courroucé<br />

Sur Hector au beau casque un second trait poussé<br />

Terminait'le combat, <strong>et</strong> peut-être <strong>la</strong> vie<br />

A ce héros vainqueur aurait été ravie,<br />

Si, protégeant Hector , le pru<strong>de</strong>nt Jupiter<br />

D'un exploit glorieux n'avait privé Teucer.<br />

La cor<strong>de</strong> s'est rompue <strong>et</strong> <strong>la</strong> flèche s'égare.<br />

L'arc échappe à ses mains; dans sa rage barbare,<br />

Teucer frémit : « O ciel ! sans doute un Dieu jaloux<br />

S'oppose à nos <strong>de</strong>sseins, <strong>et</strong> détournant mes coups,


CHANT QUINZIEME. i75<br />

Brise avec tous mes dards c<strong>et</strong>te cor<strong>de</strong> nouvelle<br />

Qui <strong>de</strong>vait les gui<strong>de</strong>r dans leur course mortelle. »<br />

Ajax répond : « Ami ! puisqu'un Dieu Fa voulu 7<br />

Abandonne c<strong>et</strong> arc , instrument superflu.<br />

Saisis un bouclier 7 prends une forte <strong>la</strong>nce,<br />

Et cours <strong>de</strong> tes soldats réchauffer <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />

Marchons ! Si le Troyen envahit nos vaisseaux,<br />

Qu'il ne triomphe au moins qu'après <strong>de</strong> longs assauts.»<br />

Pour déposer son arc, Teucer vole à sa tente ;<br />

Un casque f <strong>sur</strong>monté d'une aigr<strong>et</strong>te flottante 7<br />

Sur sa tête guerrière a resplendi ; sa main<br />

Porte une <strong>la</strong>nce énorme à <strong>la</strong> pointe d'airain ;<br />

Un épais bouclier <strong>sur</strong> son dos se ba<strong>la</strong>nce,<br />

Et vers Ajax soudain à grands pas il s'é<strong>la</strong>nce.<br />

Hector qui <strong>de</strong> Teucer voit les traits ïmpuissaiis ,<br />

Fait résonner au loin ces superbes accens :<br />

« Trojens <strong>et</strong> Lyciensf soyez hommes! courage !<br />

Que vos hardis exploits illustrent ce rivage.<br />

Oui, j'ai vu Jupiter f je Fai vu <strong>de</strong> mes yeux<br />

Briser les javelots d'un homme audacieux.<br />

Par <strong>de</strong>s signes certains envers <strong>la</strong> race humaine<br />

Ce Dieu <strong>la</strong>isse éc<strong>la</strong>ter son amour ou sa haine.


iy6 L'ILIADE.<br />

S'il affaiblit les Grecs f c'est pour nous secourir.<br />

Contre leur flotte, amis ! hâtez-vous <strong>de</strong> courir.<br />

Sous leur <strong>la</strong>nce ou leurs dards si l'un <strong>de</strong> vous succombe f<br />

Mourant pour le pays, avec honneur il tombe ;<br />

Sa veuve, ses enfans, opulens héritiers,<br />

Gar<strong>de</strong>ront ses pa<strong>la</strong>is <strong>et</strong> ses'biens tout entiers,<br />

Lorsque, <strong>sur</strong> leurs vaisseaux regagnant <strong>la</strong> patrie,<br />

Les Grecs revoleront vers leur terre chérie. »<br />

Àjax, tandis qu'Hector' enf<strong>la</strong>mme les héros ,<br />

Parmi ses compagnons fait r<strong>et</strong>entir ces mots :<br />

« Argiens ! choisissez <strong>la</strong> chute ou <strong>la</strong> victoire.<br />

Le salut <strong>de</strong> <strong>la</strong>'flotte importe à notre gloire.<br />

Si l'intrépi<strong>de</strong> Hector s'empare <strong>de</strong>s vaisseaux,<br />

Vos pieds s'ouvriront-ils un chemin <strong>sur</strong> les eaux?<br />

Ne l'enten<strong>de</strong>z-vous pas <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> Pergame<br />

Animer contre nous <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme?<br />

Son courage, à leur tête ar<strong>de</strong>nt à s'é<strong>la</strong>ncer,<br />

Les excite à combattre <strong>et</strong> non point à danser.<br />

Un seul espoir nous reste ; oui, qu'en trépas fécon<strong>de</strong> 7<br />

Avec notre fureur leur fureur se confon<strong>de</strong>.<br />

Il vaut mieux une fois triompher ou périr}<br />

Que <strong>de</strong> toujours lutter <strong>et</strong> ne jamais mourir ;


CHANT QUINZIÈME. 177<br />

De moins braves guerriers près <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte agile<br />

R<strong>et</strong>iennent trop long-temps notre armée inutile. »<br />

Le fils <strong>de</strong> Të<strong>la</strong>mon par ces acceos vainqueurs r<br />

Du feu <strong>de</strong> son courage embrase tous les cœurs.<br />

Le chef <strong>de</strong>s Phocéens, l'enfant <strong>de</strong> Périmè<strong>de</strong>,<br />

Schédius brave Hector , le combat <strong>et</strong> lui cè<strong>de</strong>.<br />

Ajax plonge à son tour dans <strong>la</strong> nuit du trépas<br />

L'héritier d'Anténor, le fier Laodamas.<br />

Prince <strong>de</strong>s Epéens, Otus, né dans Gyllène,<br />

A vu Polydamas Fétendre <strong>sur</strong> l'arène.<br />

Mégès , son compagnon ,' indigné <strong>de</strong>', son sort,<br />

Sur le fils <strong>de</strong> Panthée accourt venger sa mort.<br />

Sauvé par Apollon , Polydamas s'incline,<br />

Et le trait, <strong>de</strong> Gresmus va frapper <strong>la</strong> poitrine ; •<br />

Tandis que <strong>sur</strong> un sol, <strong>de</strong> carnage'souillé,<br />

Gresmus tombe, avec bruit, par Mégès dépouillé,<br />

Un guerrier qui, joignant le talent à l'audace,<br />

Jusqu'à Laomédon fait remonter sa race,<br />

Un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Lampus , Dolops sans s'effrayer<br />

Fond <strong>sur</strong> Mégès ; son dard perce le bouclier j<br />

Le héros à <strong>la</strong> mort qui déjà le menace,<br />

Oppose c<strong>et</strong>te épaisse <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> cuirasse »<br />

2. 1*


178 L'ILIADE.<br />

Que Phylée apporta <strong>de</strong>s bords du SeUéïs 7<br />

Gomme un ferme rempart contre les ennemis f<br />

Lorsque le roi puissant d'Éphyre hospitalière,<br />

Euphète en décora sa jeunesse guerrière.<br />

Armé d'un fer aiguT Mégès frappe à l'instant<br />

Du casque <strong>de</strong> Dolops le cimier éc<strong>la</strong>tant;<br />

Ce cimier, dont <strong>la</strong> pourpre est nouvellement teinte^<br />

Ébranlé tout entier par <strong>la</strong> rapi<strong>de</strong> atteinte 7<br />

Roule dans <strong>la</strong> poussière ? <strong>et</strong> le vail<strong>la</strong>nt Mégès f<br />

Toujours ferme à son poste, espère le succès-<br />

A l'insu <strong>de</strong>.Dolops 7 Méné<strong>la</strong>s en silence<br />

Agite contre lui sa redoutable <strong>la</strong>nce ;<br />

Il le blesse à l'épaule, <strong>et</strong> l'airain furieux<br />

Dans sa <strong>la</strong>rge poitrine entre victorieux.<br />

Dolops tombe ; il expire, <strong>et</strong> le couple intrépi<strong>de</strong> 7<br />

Pour ravir son armure, accourt d'un pas rapi<strong>de</strong>. ,<br />

Hector, <strong>de</strong> ses parens enf<strong>la</strong>mmant le courroux f<br />

Excite Mé<strong>la</strong>nippe à les prévenir tous ;<br />

Ce fils d'Hicétaon f qui <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s bords paisibles<br />

Vit Percote nourrir ses bœufs aux pieds flexibles 7<br />

Vint signaler son bras 7 quand <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong> les eaux<br />

Les <strong>de</strong>ux rangs <strong>de</strong> rameurs poussèrent les vaisseaux ;


CHANT QUINZIÈME. i79<br />

Priant dans son pa<strong>la</strong>is accueillit sa jeunesse,<br />

Et d'un père envers lui déploya <strong>la</strong> tendresse.<br />

Hector s'indigne : « Eh quoi ! d'un oeil indifférent<br />

Pourras-tu contempler <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> ton parent?<br />

Vois autour <strong>de</strong> Dolops quelle foule se presse.<br />

N'attaquons plus <strong>de</strong> loin les peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />

Triomphons, ou vainqueurs dansles hauts murs troyens,<br />

Qu'ils <strong>la</strong>ncent le trépas'<strong>sur</strong> noë concitoyens! »<br />

À ces mots, tel qu'un Dieu, le fougueux Mé<strong>la</strong>nippe<br />

L'accompagne <strong>et</strong> bientôt sa terreur se dissipe.<br />

« Amis ! s'écrie Ajax; dans ce combat cruel, .<br />

Gar<strong>de</strong>s pour votre honneur un respect mutuel.<br />

Aux périls^ au trépas <strong>la</strong> valeur nous arrache ;<br />

Mais il n'est ni salut ni gloire pour le lâche. »<br />

H dit : l'essaim <strong>de</strong>s Grecs, impatient dû frein ,<br />

Protège les vaisseaux par un rampait d'airain. .<br />

Guidé par Jupiter, le Troyen les provoque,<br />

Quand Méné<strong>la</strong>s s'écrie : ce O superbe" Antiloque ! '<br />

Parmi tous nos guerriers un 'seul ne brille pas<br />

Plus rapi<strong>de</strong> à <strong>la</strong> course ou plus brave aux combats.<br />

Eh quoi ! ne saurais4u <strong>de</strong> ta main vengeresse<br />

Immoler un Troyen au salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce-? »<br />

12.


i8o ' ' L'ILIADE.<br />

Il s'éloigne : Antiloque accourt aux premiers rangs,<br />

Rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tous côtés ses regards dévorans.<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens se r<strong>et</strong>ire tremb<strong>la</strong>nte.<br />

D'un trait <strong>la</strong>ncé par lui <strong>la</strong> pointe étince<strong>la</strong>nte<br />

Vole. Atteint près du cœur? au moment où son bras<br />

Cherchait à s'illustrer au milieu <strong>de</strong>s combats,<br />

Me<strong>la</strong>nïppe avec bruit roule dans <strong>la</strong> poussière ,<br />

Et l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort pèse <strong>sur</strong> sa paupière.<br />

Gomme, auprès <strong>de</strong> son antre, un limier agresseur<br />

Fond <strong>sur</strong> le daim blessé par les traits du chasseur y<br />

O Mé<strong>la</strong>nippe ! ainsi f pour conquérir tes armes,<br />

Antiloque, affrontant les sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes,<br />

Accourt : à c<strong>et</strong>te vue, Hector, le g<strong>la</strong>ive en main f<br />

S'ouvre à travers <strong>la</strong> foule un périlleux chemin.<br />

Quoique jeune <strong>et</strong> vaiHant, le Grec n'ose Fattendre ;<br />

D'une soudaine crainte il ne peut se défendre ;<br />

Il fuit : tel à regr<strong>et</strong> l'animal <strong>de</strong>structeur<br />

Qui nagea dans le sang du chien ou du pasteur f<br />

Des nombreux vil<strong>la</strong>geois prévenant <strong>la</strong> poursuite 7<br />

S'échappe , secondé par sa légère fuite.<br />

Hector <strong>et</strong> les Troyens} avec <strong>de</strong>s cris affreux,<br />

L'accablent f à <strong>la</strong> fois, <strong>de</strong> leurs traits douloureux j


CHANT QUINZIEME. 181<br />

Enfin' il se r<strong>et</strong>ourne ; il s'arrête immobile ,<br />

Et les Grecs en leurs rangs lui donnent un asyle.<br />

Les Troyens /remplissant l'ordre <strong>de</strong> Jupiter,<br />

Lions impétueux , voient jusqu'à <strong>la</strong> mer j<br />

Jupiter le$ conduit, les excite au carnage ,<br />

Et ravissant aux Grecs leur gloire <strong>et</strong> lçur courage ,<br />

Il <strong>la</strong>issera d'Hç<strong>et</strong>or le bras victorieux *<br />

J<strong>et</strong>er <strong>sur</strong> leurs vaisseaux d'infatigables feux.<br />

Pour exaucer Thétis , d'une proue enf<strong>la</strong>mmée<br />

Quand H verra dans Pair ondoyer <strong>la</strong> fumée-,,<br />

C'est fijors qu'éloignant, les Troyens éperdus ,<br />

D, rendra <strong>la</strong> victoire aux fils <strong>de</strong> Danaiis.<br />

Hector, guidé par lui , vers <strong>la</strong>" flotte s'é<strong>la</strong>nce :<br />

Tel frémit le Dieu Mars en. agitant sa <strong>la</strong>nce :<br />

Sur <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s monts tel.un feu dévorant<br />

Eavage les.forêts <strong>et</strong> grandit en, courant*<br />

De sa, bpuclie à longs flots l'écume au loin ruisselle,<br />

Et sous d'épais.sourcil^ son. regard étincelle-,<br />

Tandis que <strong>sur</strong> son front-, qu'enf<strong>la</strong>mme <strong>la</strong> fureur,<br />

Son casque, en s'ébran<strong>la</strong>nt, disperse <strong>la</strong> terreur.<br />

Parmi tant <strong>de</strong> guerriers, le Dieu qui le protège><br />

Du triomphe à lui seul gar<strong>de</strong> le .privilège ;


i8a L'ILIADE.<br />

H vivra peu <strong>de</strong> jours ; Fheure approche où Pal<strong>la</strong>s<br />

A <strong>la</strong> valeur d'Achille a promis son trépas.<br />

Cependant le héros, pour semer <strong>la</strong> déroute 7<br />

Bans Fëpaisseur <strong>de</strong>s rangs cherche une <strong>la</strong>rge route ;<br />

Mais les Grecs réunis lui résistent partout 7<br />

Et formés en colonne , ils <strong>de</strong>meurent <strong>de</strong>bout :<br />

TeUe j dressée aux tords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante,<br />

Une roche escarpée, énorme, menaçante,<br />

Brave le vent sonore <strong>et</strong> les flots turbulens<br />

Qui gron<strong>de</strong>nt <strong>sur</strong> sa tête ou sifflent <strong>sur</strong> ses f<strong>la</strong>ncs,<br />

De toutes parts, Hector 7 ivre <strong>de</strong> son courage,<br />

Etince<strong>la</strong><strong>et</strong> <strong>de</strong> feux <strong>et</strong> bouilonnant <strong>de</strong> rage?<br />

S ? é<strong>la</strong>nce, comme on voit <strong>sur</strong> un léger vaisseau<br />

Les flots précipiter leur liqui<strong>de</strong> monceau ;<br />

LVcume'au loin b<strong>la</strong>nchît ; <strong>la</strong> voile gémissante<br />

Sous les fougueux autans s'agite frémissante,<br />

Et les pâles nochers ont tremblé <strong>sur</strong> leur sort?<br />

Par un espace étroit séparés <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort.<br />

Lorsqu f un lion terrible , altéré <strong>de</strong> carnage,<br />

Sur les humi<strong>de</strong>s bords d'un vaste marécage<br />

Paraît, pour détourner ses efforts meurtriers,<br />

Toujours <strong>de</strong>s premiers rangs passant jusqu'aux <strong>de</strong>rniers^


CHANT QUINZIÈME. i83<br />

L'inhabile pasteur court; mais le monstre avi<strong>de</strong>,<br />

Se j<strong>et</strong>ant au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule timi<strong>de</strong>-,<br />

Dévore une génisse f <strong>et</strong> voit <strong>de</strong> tout côté<br />

L^innombraHe troupeau s*enfuir épouvanté :<br />

Tels les Grecs, démentant leur courage ordinaire 1<br />

Cè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>vant Hector <strong>et</strong> le Bieu du tonnerre.<br />

Pourtant un seul guerrier <strong>de</strong>scend dans le tombeau;<br />

Périphète est son nomf Mjcéne son berceau.<br />

Fils <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ho.mme obscur qui jadis près d'AIci<strong>de</strong><br />

D'Eurysthée accomplit le message perfi<strong>de</strong> y<br />

Ce hérosi , <strong>de</strong> Coprée illustre rej<strong>et</strong>on,<br />

A force <strong>de</strong> vertus ennoblissant son nom?<br />

Signa<strong>la</strong>it au Conseil son cœur pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sage,<br />

Sa vigueur à <strong>la</strong> course, au combat son courage.<br />

Hector <strong>de</strong> son trépas s^app<strong>la</strong>udit maintenant.<br />

Contre le bouclier son pied en se tournant<br />

Heurte... il tombe captif dans c<strong>et</strong>te vaste armure ><br />

Et son casque brisé prolonge un sourd murmure,<br />

Quand <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce homici<strong>de</strong>- immole sa valeur<br />

Aux yeux <strong>de</strong> ses amis,. qui , malgré leur douleur ><br />

N ? osentni secourir ni venger <strong>la</strong> victime,<br />

Tant Hector leur, inspire-un effroi légitime l


m L'ILIADE. "<br />

Vers les premiers vaisseaux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge alignés<br />

Les Grecs ? en frémissant ? reculent indignés ;<br />

Devant les pavillons leur pha<strong>la</strong>nge éperdue<br />

Jusques jau fond du camp ne s'est pas répandue.<br />

La honte <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur les r<strong>et</strong>iennent encor ;<br />

Ils s'excitent ensemble f <strong>et</strong> le pru<strong>de</strong>nt Nestor y<br />

Au nom <strong>de</strong> leurs parens? au nom <strong>de</strong> leur patrie ,.•<br />

Embrassant leurs genoux, les exhorte <strong>et</strong> s'écrie :<br />

a Soyez hommes, amis! Eh quoi! braverezrvous<br />

Du reste <strong>de</strong>s humains les reproches jaloux?<br />

Rappelez-vous chacun dans le fond <strong>de</strong> vos âmes<br />

Vos trésors ? vos enfans, vos pères <strong>et</strong> vos femmes.<br />

Absens <strong>de</strong> vos regards, tous, ou vivans ou morts ,<br />

Espèrent 7 par ma voix? vous sauver <strong>de</strong>s remords ;<br />

Repoussez <strong>de</strong>s Troyens le choc <strong>et</strong> <strong>la</strong> poursuite,<br />

Et rej<strong>et</strong>ez Fespoir d'une honteuse fuite. »<br />

Dans tous les cœurs <strong>de</strong>s Grecs ces mots ont r<strong>et</strong>enti;<br />

Sur leurs yeux aveuglés le voile appesanti<br />

Tombe ; grâce à Minerve une c<strong>la</strong>rté soudaine<br />

Leur montre les vaisseaux <strong>et</strong> <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine,<br />

Le magnanime Hector <strong>et</strong> ses nombreux soldats<br />

Qui marchent vers <strong>la</strong> flotte ou ne combattent pas.


CHANT QUINZIEME. i85<br />

Indigné <strong>de</strong> <strong>la</strong>nguir .à c<strong>et</strong>te même p<strong>la</strong>ce<br />

Où les Grecs <strong>de</strong>s combats avaient fui <strong>la</strong> menace,<br />

Ajax court à grands pas <strong>sur</strong> les ponts <strong>de</strong>s vaisseaux,<br />

Et du g<strong>la</strong>ive ennemi repoussant les assauts ,<br />

Une -massue énorme 1 à son bras suspendue 7<br />

De ses pointes <strong>de</strong> fer présente l'étendue.<br />

Sur le chemin poudreux d'une gran<strong>de</strong> cité,<br />

Un ..souple voltigeur , bril<strong>la</strong>nt d'agilité,<br />

De ses quatre chevaux dirigeant <strong>la</strong> vitesse ,<br />

Passe <strong>de</strong> l'un à l'autre avec <strong>la</strong> même adresse,<br />

Tandis qu'un peuple avi<strong>de</strong> accourt <strong>de</strong> toutes parts<br />

De l'aspect <strong>de</strong> ces jeux amuser ses regards :<br />

De navire en navire ainsi son vol s'é<strong>la</strong>nce.<br />

Des fils <strong>de</strong> Danaus ranimant <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />

Ses cris frappent les cieijx; pourtant du noble Hector<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens n'enchaîne point l'essor.<br />

Tel l'aigle aux plumes d'or poursuit du haut <strong>de</strong>s nues<br />

Les cygnes aux longs cous <strong>et</strong> les sauvages grues,<br />

Dont le vo<strong>la</strong>ge ess.aim butine les trésors<br />

Qu'un fleuve pur nourrit <strong>sur</strong> ses fertiles bords :<br />

Tel, Hector, se frayant une route as<strong>sur</strong>ée ,<br />

Attaque les vaisseaux à <strong>la</strong> poupe azurée r


i86 L'ILIADE.<br />

Et <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> main Jupiter le poussant<br />

Entraîne <strong>sur</strong> ses pas un peuple frémissant.<br />

Près <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste flotte où le carnage fume,<br />

Plus redoutable encor <strong>la</strong> guerre se rallume.<br />

On croirait voir soudain commencer un combat,<br />

Tant une mâle ar<strong>de</strong>ur enf<strong>la</strong>mme le soldat!<br />

D'un espoir différent chaque peuple s'anime.<br />

Le Grec ne cherche plus qu'un trépas magnanime ?<br />

Et IWgueilleux Troyen sous leurs vaisseaux brûlés<br />

Espère ensevelir tous les Grecs immolés.<br />

Lar<strong>de</strong>nt Hector s'attache au superbe navire,<br />

Qui 7 sillonnant <strong>de</strong>s mers l'impétueux empire,<br />

Porta vers Dion, mais ne doit point, hé<strong>la</strong>s !<br />

Aux foyers paternels rendre Protési<strong>la</strong>s.<br />

Les Grecs^ <strong>et</strong> les Troyens que ce vaisseau rassemble 7<br />

Se frappant à Penvi, s'exterminent ensemble.<br />

Les javelots <strong>de</strong> loin ne sifflent plus dans Pair ;<br />

Chaque guerrier <strong>de</strong> près résiste armé du fer.<br />

De toutes parts, le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> noire poignée,<br />

La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans <strong>et</strong> <strong>la</strong> hache indignée<br />

De l'épaule ou <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> ces vail<strong>la</strong>ns héros<br />

Tombent, <strong>et</strong> d'un sang noir <strong>la</strong> terre boit les flpts.


CHANT QUINZIÈME. 187<br />

Mais lé fils <strong>de</strong>' Priam, poureuivant m conquête ,<br />

De <strong>la</strong> proue ennemie ébranle encorle feîte : *<br />

H s'écrie : *0 Troyens ! revolez aux combats.<br />

Que vos f<strong>la</strong>mbeaux ard<strong>et</strong>is dispersent le trépas.<br />

Jupiter fait briller c<strong>et</strong>te heureuse journée,<br />

Où , du g<strong>la</strong>ive vengeur trop long-temps détournée,<br />

Notre main détruira ces coupables vaisseaux,<br />

Malgré l'arrêt du ciel, auteurs <strong>de</strong> tous nos maux.<br />

Sans l'indigne conseil <strong>de</strong> nos vieil<strong>la</strong>rds.timi<strong>de</strong>s,<br />

Dont <strong>la</strong> voix r<strong>et</strong>enait les Troyens intrépi<strong>de</strong>s,<br />

Déjà ce fer terrible eût frappé les vainqueurs.<br />

Si Jupiter alors aveug<strong>la</strong>it nos grands cceurs,<br />

C'est lui qui maintenant nous gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> nous enf<strong>la</strong>mme. »<br />

A ces mots , <strong>sur</strong> les Grecs les peuples <strong>de</strong> Pergame<br />

Courent plus ferreux; accablé <strong>de</strong> leurs dards,<br />

Ajax voit les Troyens fondre <strong>de</strong>. toutes parts,<br />

Et contraint <strong>de</strong> lâcher <strong>la</strong> poupe du navire ,<br />

Jusqu'au banc <strong>de</strong>s rameurs lentement se r<strong>et</strong>ire.<br />

Quand jusqu'à lui <strong>la</strong> mort va s'ouvrir un chemin,<br />

Observant l'ennemi, <strong>de</strong>bout, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main,<br />

Immobile, il s'oppose au vainqueur formidable<br />

Qui s'avance, agitant <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme infatigable,


ï88 L'ILIADE.<br />

ce O compagnons!. dit-il, d disciples <strong>de</strong> Mars!<br />

Soyez hommes ; sachez maîtriser les hasards.<br />

Trouverez-vous un camp, une armée , une ville ,<br />

Où contre le trépas il vous reste unasjle?<br />

Non, non ; je n'aperçois ni murailles ni tours «<br />

Qui <strong>de</strong> leurs défenseurs nous gar<strong>de</strong>nt le, secours.<br />

Adossés à <strong>la</strong> mer, loin <strong>de</strong> notre patrie,<br />

Des belliqueux Troyens nous bravons <strong>la</strong> furie.<br />

O Grecs ! notre salut repose dans nos bras ;<br />

Il n'est plus dans <strong>la</strong> paix, il dépend <strong>de</strong>s combats. *<br />

Il dit, <strong>et</strong> furieux, en brandissant sa <strong>la</strong>nce,<br />

Frappe chaque ennemi dont il voit <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />

Les f<strong>la</strong>mbeaux à <strong>la</strong> main, docile aux vœux d'Hector.,<br />

Jusqu'aux vaisseaux profonds diriger son essor, .<br />

Et <strong>de</strong>vant ces vaisseaux, vaincus par son courage,<br />

Douze guerriers troyens meurent <strong>sur</strong> le rivage.<br />

FIN DU QUINZIÈME CHANT.


CHANT SEIZIEME.


SOMMAIRE DU CHANT SEIZIEME.<br />

Achille perm<strong>et</strong> à Patrocle <strong>de</strong> revêtir aoa armure <strong>et</strong> <strong>de</strong> conduire sestroupes<br />

au combat. — Libations <strong>et</strong> prière d'Achille à Jupiter. —<br />

Déroute <strong>de</strong>s Troyeas. — Mort <strong>de</strong> Sarpédoa. —Patrocle, défarmé par<br />

Apollon <strong>et</strong> blessé par Euphorbe , est immolé par Hector.


L'ILIADE.<br />

CHANT SEIZIÈME.<br />

Tandis que le combat autour du fort navire<br />

Se prolonge, un héros que <strong>la</strong> douleur déchire,<br />

Patrocle vers Achille accourt silencieux,<br />

Et mille pleurs brû<strong>la</strong>ns ont roulé dans ses yeux :<br />

Telle! <strong>de</strong> ses flots noirs précipitant <strong>la</strong> course,<br />

Bu haut d'un roc s'échappe une profon<strong>de</strong> source.<br />

A c<strong>et</strong> aspect , Achille, ému par <strong>la</strong> pitié,<br />

Fait parler en ces mots <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Famitié :.<br />

« 0 Patrocle ! d'où naît c<strong>et</strong>te douleur amère?<br />

Tu pleures , comme on voit près <strong>de</strong> sa tendre mère<br />

La fille qu'à son sein elle vient d'arracher,<br />

Se suspeàdre à mm voile, à ses. pas s'attacher,


iga L'ILIADE.<br />

Et vers elle tournant <strong>de</strong>s jeux baignés d.e <strong>la</strong>rmes r<br />

Du baiser maternel re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r les charmes.<br />

«Quels maux ont menacé les Myrmidons ou moi ?'<br />

Quel message <strong>de</strong> Phthie a causé ton effroi ?<br />

Pourtant le fils d'Actorf Ménétius respire,<br />

Et plein <strong>de</strong> jours, Pelée habite son empire.<br />

Si nous perdions l'un d'eux 7 à quel juste regr<strong>et</strong><br />

Ce trépas déplorable, ô ciel ! nous livrerait !<br />

Gémis-tu <strong>sur</strong> les Grecs qui? d'un tjrran complices 7<br />

Meurent, en expiant leurs propres injustices?<br />

Parle : ouvre-moi ton cœur ; tu me dois tes aveux.<br />

Quel que soit le danger ? connaissons-le tous <strong>de</strong>ux. »<br />

Un long soupà* échappe à ton âme accablée,<br />

Patrocle ! tu réponds :, « Héros, fils <strong>de</strong> Pelée,<br />

Ne t'irrite donc pas, quand un affreux malheur<br />

Des Grecs désespérés accable <strong>la</strong> valeur.<br />

. Malgré les soins d'un art en remè<strong>de</strong>s fertile ,<br />

'Ulysse^ Agamemnon1 Diomè<strong>de</strong>, Eurypyle?<br />

Les chefs les plus fameux, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte <strong>la</strong>issés,<br />

Par <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ou les traits y <strong>la</strong>nguissent-blesses.<br />

Tu sais leurs maux , Achille! <strong>et</strong> ta haine te reste!<br />

Me préservent les Dieux <strong>de</strong> ce courroux funeste !


CHANT SEIZIEME. i93<br />

iPour qui veux-tu gar<strong>de</strong>r tes superbes secours^ . ,<br />

SI les Grecs à ton fer ont vainement recours? "<br />

Non, barbare! un héros jamais ne fut ton père. .<br />

Non, barbare ! Thëtis jamais ne fut ta mère,<br />

Et le noir Océan <strong>de</strong> son gouflre ennemi<br />

Sur <strong>de</strong>s rocs escarpés en grondant t'a vomi.<br />

SI ta mère, <strong>de</strong>s Dieux te révé<strong>la</strong>nt l'oracle,<br />

Enchaîne ta valeur par un jaloux obstacle ,<br />

Ordonne; accompagné <strong>de</strong> tes nombreux soldats,<br />

J'emprunte ton armure <strong>et</strong> je vole aux combats.<br />

Que je ren<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Grèce un rayon d'espérance !<br />

Les Troyens, artisans <strong>de</strong> sa longue souffrance,<br />

En croyant te revoir , fuiront, <strong>et</strong> ses héros<br />

Goûteront', dans leur peine, un moment <strong>de</strong> repos.<br />

Oui, les <strong>de</strong>rniers débris d'une armée épuisée<br />

Vont cé<strong>de</strong>r à nos coups une victoire aisée,<br />

Et loin <strong>de</strong> nos vaisseaux, leurs bataillons épars<br />

Cacheront leur terreur au fond <strong>de</strong> leurs remparts. »<br />

Ainsi lfe malheureux supplie, <strong>et</strong> sa prière ••.<br />

Appelle aveuglément <strong>la</strong> Parque meurtrière. .<br />

Achille aux pieds légers soupire : « Que dis-tu ?<br />

Par <strong>de</strong> lâches terreurs je serais abattu !...<br />

2. i3


i94 L'ILIADE.<br />

Non; le maître <strong>de</strong>s Dieux, par <strong>la</strong> voix


CHANT SEIZIÈME. tgS<br />

Tous fuiraient !... Etles Grecs, par leurs g<strong>la</strong>ives frappés,<br />

De leur essaim vengeur tombent enveloppés. _<br />

Pour défendre Farmée, aux mains <strong>de</strong> Diomè<strong>de</strong><br />

Je ne vois plus frémir sa <strong>la</strong>nce à qui tout cè<strong>de</strong> ;<br />

Du fier Agamemnon, c<strong>et</strong> ennemi <strong>de</strong>s rois.<br />

Je n'entends plus rugir <strong>la</strong> détestable voix.<br />

Oui f d'Hector seulement les c<strong>la</strong>nieurs r<strong>et</strong>entissent ;<br />

Les Troyens dont partout les rangs nous investissent,<br />

Excités par Hector, en poussant <strong>de</strong> grands cris,<br />

Des Grecs, le fer en main , achèvent les débris.<br />

Qu'en ces pressans dangers , ton audace affermie<br />

Délivre nos vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ennemie ,<br />

Patrocle ! <strong>et</strong> que les Grecs, triomphans à leur tour,<br />

Doivent à ta valeur l'espoir <strong>de</strong> leur r<strong>et</strong>our.<br />

Vole, mais à leurs yeux loin <strong>de</strong> trahir ma cause,<br />

Remplis fidèlement l'ordre que je t'impose :<br />

Si tu veux que les Grecs, pour effacer leurs torts,<br />

Ren<strong>de</strong>nt ma belle esc<strong>la</strong>ve <strong>et</strong> m'offrent leurs trésors ?<br />

Si tu veux as<strong>sur</strong>er ma vengeance <strong>et</strong> ma' gloire,<br />

Reviens, quand nos vaisseaux te <strong>de</strong>vront <strong>la</strong> victoire.<br />

Dût l'époux <strong>de</strong> Junon veiller encor <strong>sur</strong> toi,<br />

Ne cause pas ma honte en triomphant sans moi.<br />

i3.


i96 L'ILIADE; •<br />

Dans ta fougueuse ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> batailles-j<br />

Ne va point T sous leurs murs semant les funérailles 7<br />

Poursuivre lesTroyens; tremble qu'un <strong>de</strong> leursDieuxt<br />

De POlympe é<strong>la</strong>ncé, ne combatte pour eux ;<br />

Ils sont chers à Phébus? dont <strong>la</strong> main redoutable _<br />

Fait voler dans les airs £a flèche inévitable.<br />

Sauveur <strong>de</strong> nos vaisseaux7 fuis lin nouveau danger,<br />

Et <strong>la</strong>isse chaque peuple à Fenvi s'égorger.<br />

Jupiter! Apollon! <strong>et</strong> toi, fière Déesse,<br />

Pal<strong>la</strong>s ! que les guerriers <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Expirent tous? <strong>et</strong> seuls, échappés aux hasards. 7<br />

Puissions-nous d'Ilion briser les saints remparts ! »<br />

Ils par<strong>la</strong>ient: mais Ajax7 ce guerrier formidable,<br />

Cè<strong>de</strong> aux traits ennemis dont <strong>la</strong> grêle l'accable ;<br />

Vaincu par Jupiter, sous les braves Troyens<br />

Il succombe ; son casque aux superbes liens ?<br />

Son casque? dont les clous s'entré-choquent ensemble^<br />

R<strong>et</strong>entit sour<strong>de</strong>ment <strong>sur</strong> sa tête qui tremble 7<br />

Et le -vaste far<strong>de</strong>au du riche bouclier<br />

Sur son épaule gauche a pesé tout entier.<br />

Pourtant 7 sans l'ëbranler, l'ennemi le harcèle.<br />

Une <strong>la</strong>rge sueur, <strong>de</strong> tout son corps ruisselle ;.


CHANT SEIZIÈME. 197<br />

H gémit, oppressé- dans son sein hal<strong>et</strong>ant;<br />

Le péril au péril succè<strong>de</strong> à'chaque-instant.<br />

Muses!' filles.du ciel!' quelle main vengeresse<br />

La première embrasa les vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce?<br />

Armé d'un g<strong>la</strong>ive énorme,- Hector bientôt dans Pair<br />

De <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Àjax'à dispersé le fer.<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon d'une main épuisée<br />

Agite les'<strong>la</strong>mbeaux 1 <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce brisée 1<br />

Et loin <strong>de</strong> lui Pairain, '<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre j<strong>et</strong>é,<br />

Tombe <strong>et</strong> bondit :"son cœur frissonne épouvanté...<br />

Voyant que Jupiter, auteur <strong>de</strong> sa disgrâce,<br />

Des Troyens-triômpkans favorise l'audace,<br />

fl échappe.à leurs traits ; mais leurs bras courageux<br />

Lancent, <strong>sur</strong> le vaisseau d'infatigables feux ;<br />

La proue alors s'embrase, <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme agrandie<br />

En épais tourbillon fait courir Pincendie.<br />

Mais Achille s'écrie en frappant-ses genoux :<br />

« Divin Patroclë ! ami ! lève-toi ! venge-nous !<br />

Je vois <strong>sur</strong> les vaisseaux étinceler <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ;<br />

S'ils tombent au pouvoir <strong>de</strong>s'enfans <strong>de</strong> Pergame,<br />

Plus d'espoir <strong>de</strong> salut : prends mes armes ; je cours<br />

De nos plus-fiers soldats rassembler les secours, >*.


ig8 L'ILIADE.<br />

Patrocle se revêt <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>tante armure.<br />

Deux riches bro<strong>de</strong>quins composent sa chaus<strong>sur</strong>e.<br />

La bril<strong>la</strong>nte cuirasse, ouvrage heureux <strong>de</strong> Part,<br />

Autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> poitrine arrondit son rempart.<br />

Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent <strong>sur</strong> son dos se ba<strong>la</strong>nce f<br />

Et l'épais bouclier protège sa vail<strong>la</strong>nce.<br />

Surmonté <strong>de</strong>s longs crins d'un ondoyant cimier 7<br />

Le casque menaçant couvre son front guerrier.<br />

Armé <strong>de</strong>s javelots, il les soutient sans peine ;<br />

Mais il n'ose toucher c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce <strong>de</strong> frêne,<br />

Instrument <strong>de</strong> carnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction,<br />

Que jadis, aux somm<strong>et</strong>s du vaste Pélion,<br />

Façonna le Centaure, <strong>et</strong> dont l'énorme masse<br />

De tout autre qu'Achille épouvante Paudace.<br />

Le fidèle écuyer que Patrocle toujours<br />

Près <strong>de</strong> lui voit combattre <strong>et</strong> veiller <strong>sur</strong> ses jours,<br />

Son ami le plus cher après le grand Achille,<br />

Automédon paraît ; à ses ordres docile,<br />

De Xanthe <strong>et</strong> <strong>de</strong> Balïe au joug resplendissant<br />

1 a soumis déjà le front obéissant;<br />

Sur les prés que <strong>la</strong> mer arrose <strong>de</strong> ses on<strong>de</strong>s,<br />

Respirant du Zéphyr les caresses fécon<strong>de</strong>s y


CHANT SEIZIÈME. i-99<br />

Podarge avait conçu ces immortels chevaux f<br />

Des vente les plus légers audacieux rivaux.<br />

Ce beau coursier ravi par le fils <strong>de</strong> Pelée<br />

Dans les fumani remparts <strong>de</strong> Thèbes désolée 7<br />

Le généreux Pédase, à son tour amené f<br />

Près du couple divin, mortel, est enchaîné.<br />

Achîlle aux M jrmidons, en parcourant les tentes?<br />

Ordonne <strong>de</strong> saisir leurs armes éc<strong>la</strong>tantes.<br />

Quand <strong>sur</strong> un mont <strong>de</strong>s loups ? encor rouges <strong>de</strong> sang.<br />

D'un grand cerf au long bois ont déchiré le f<strong>la</strong>nc ,<br />

Rassembles <strong>sur</strong> les bords d ? une source profon<strong>de</strong>,<br />

Ces monstres dévorans , se penchant <strong>sur</strong> son on<strong>de</strong> 7<br />

En <strong>la</strong>pent les flots noirs 5 leurs gosiers hal<strong>et</strong>ans<br />

Rej<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair les <strong>la</strong>mbeaux palpitans ;<br />

La fureur se rallume en leurs coeurs intrépi<strong>de</strong>s 1<br />

Et le meurtre a gonflé leurs entrailles avi<strong>de</strong>s :<br />

Ainsi Patrocle a vu se grouper <strong>sur</strong> ses pas<br />

Un innombrable essaim dé chefs <strong>et</strong> <strong>de</strong> soldats f<br />

Et dans Içuw rangs Achille excite tous ensemble<br />

Les coursiers5 les héros que son ami rassemble.<br />

Achille, ce guerrier chéri <strong>de</strong> Jupiter ,<br />

De cinquante vaisseaux avait chargé <strong>la</strong> mer,


aoo L'ILIADE.<br />

Et chacun, <strong>sur</strong> ses bancs, vers ce lointain rivage -<br />

De cinquante soldats transporta le courage ;<br />

Cinq chefs les commandaient; mais Achille a voulu<br />

Se réserver <strong>sur</strong> tous un pouvoir absolu.<br />

Ménesthius, couvert d'une riche cuirasse,<br />

Du premier bataillon gui<strong>de</strong> <strong>la</strong> noble audace ;<br />

Le divin Sperchîus, <strong>de</strong> Jupiter issu,<br />

Lui transmit le pur sang qu'il en avait reçu.<br />

La beHePolydore, une simple mortelle,<br />

Aima le Sperchîus, qui s'unit avec elle,<br />

Et cependant Borus, fier d'obtenir sa main,<br />

Avait au poids <strong>de</strong> For achète son hymen.<br />

La <strong>de</strong>uxième pha<strong>la</strong>nge <strong>et</strong> s'empresse <strong>et</strong> s'honore<br />

De marcher sous les lois du belliqueux Eudore»,<br />

La jeune Polymèle, enfant du vieux Phy<strong>la</strong>s,<br />

Me<strong>sur</strong>ant avec art-ses accens <strong>et</strong> ses pas,<br />

Célébrait, en montrant sa grâce enchanteresse,<br />

Diane aux flèches d'or, Diane chasseresse ;<br />

Attendri par sa voix, par sa beauté séduit,<br />

Le Dieu, vainqueur d'Argus, dans un secr<strong>et</strong> réduit,<br />

Sur sa couche entraînant c<strong>et</strong>te vierge charmante,<br />

S'unit avec mystère à sa nouvelle amante,


CHANT SEIZIEME. soi<br />

Qui lui donna pour' fils ce guerrier généreux ,<br />

Invincible.à <strong>la</strong> course, aux combats valeureux.<br />

Mais à peine Ilithye à sa jeune paupière<br />

Fit briller du soleil <strong>la</strong> divine lumière,<br />

Epoux <strong>de</strong> Polynïèle , Échéclus, fils.d'Actor,<br />

Bans ses riches foyers, lui prodigua son or,<br />

Et Phy<strong>la</strong>s ? qui d*Eudore éleva <strong>la</strong> jeunesse,<br />

Gomme un père attentif f l'entoura <strong>de</strong> tendresse.<br />

Pisandre vient après : toujours, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce au bras?<br />

Pisandre a <strong>sur</strong>passé les plus hardis soldats ;<br />

Sur lui l'ami d'Achille est le seul qui l'emporte.<br />

Le vieux Phénix paraît r suivi <strong>de</strong> sa cohorte.<br />

Enfin 7 aux <strong>de</strong>rniers rangs se montre Alcimédon,<br />

Du noble Laé'rcès illustre rej<strong>et</strong>on.<br />

Avec ces chefs divers lorsque chaque pha<strong>la</strong>nge.<br />

D'après Fordre d'Achille <strong>et</strong> s'assemble <strong>et</strong> se range ,<br />

Ce guerrier leur adresse, un sévère discours :<br />

* Soldats ! <strong>de</strong> ma fureur tant qu'a duré le cours,<br />

Sur vos légers vaisseaux votre superbe audace<br />

Prodiguait aux Troyens l'injure <strong>et</strong> <strong>la</strong> menace.<br />

N'allez pas l'oublier ; dans votre fier courroux,<br />

Vous m'accusiez sans cesse : Achille ! disiez-vous,


*02 L'ILIADE.<br />

Cruel fils <strong>de</strong> Pelée ! Ah ! sans doute ta mère<br />

Nourrit tes jeunes ans du fiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère.<br />

Tes soldats , enchaînés par tes ordres vengeurs,<br />

Languissent ; que du moins nos vaisseaux voyageurs<br />

Revolent <strong>sur</strong> les mers vers <strong>la</strong> douce patrie ,<br />

Puisque rien ne fléchit ton aveugle furie.<br />

Tels étaient vos discours... Eh bien! il est venu<br />

Ce grand jour du combat f par vos vœux obtenu.<br />

Plein d'une mâle ar<strong>de</strong>ur 1 que chacun avec joie<br />

Coure se signaler contre les fils <strong>de</strong> Troie. *<br />

Les héros, enf<strong>la</strong>mmés d'un transport beËiqueux,<br />

Raffermissent les rangs <strong>et</strong> se pressent entr'eux.<br />

Tel un homme > <strong>de</strong>s vents pour braver <strong>la</strong> menace,<br />

Des pierres d'un pa<strong>la</strong>is consoli<strong>de</strong> <strong>la</strong> masse :<br />

Ainsi le bouclier s'unit au bouclier,<br />

Le soldat au soldat, le cimier au cimier ;<br />

Ornés <strong>de</strong> crins épais, les casques étinceEent,<br />

Et, partout confondus, les guerriers s'amoncellent.<br />

Les armes à <strong>la</strong> main, Patrocle, Automédon<br />

S'é<strong>la</strong>ncent les premiers <strong>de</strong>vant leur bataillon ; •<br />

D'une égale fureur leur âme palpitante<br />

Vole aux dangers. Achille est rentré sous sa tente.


CHANT SEIZIÈME. »o3<br />

Dans le eoffire superbe ou , d'un soin diligent s<br />

Le jour <strong>de</strong> son départ, Thétïs aux pieds d'argent<br />

Renferma les tissus <strong>de</strong>s tapis magnifiques 1<br />

Les soli<strong>de</strong>s manteaux <strong>et</strong> les riches tuniques,<br />

Il prend <strong>la</strong> belle coupe où pour le roi <strong>de</strong>s Dieux<br />

Seul il puisa toujours le vin religieux,<br />

D f abord, puriiant c<strong>et</strong>te coupe splendi<strong>de</strong>,<br />

Quand le soufre s ? allume, il verse une eau limpi<strong>de</strong> 1<br />

Et <strong>la</strong>vant ses <strong>de</strong>ux mains, au monarque éternel<br />

Consacre d'un vin noir l'hommage solennel.<br />

Les yeux levés au ciel, au milieu <strong>de</strong> l'enceinte,<br />

Debout <strong>et</strong> proférant une prière sainte f<br />

Jusqu'au Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre il fait monter sa voix :<br />

« O toi dont le Pe<strong>la</strong>ge a reconnu les lois f<br />

Immortel Jupiter, qui du haut <strong>de</strong> ton trône<br />

Soum<strong>et</strong>s à ton pouvoir c<strong>et</strong>te froi<strong>de</strong> Dodone 1<br />

Où les Selles pieux 7 à ton culte attachés ^<br />

Demeurent 5 les pieds nus, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre couchés t<br />

Si déjà ton courroux frappa <strong>la</strong> Grèce entière,<br />

Daigne, daigne exaucer ma nouvelle prière.<br />

Je reste dans mon camp , tandis que mes soldats ,<br />

Guidés par mon ami f s'é<strong>la</strong>ncent aux combats,.


ao4 • L'ILIADE.<br />

Jupiter dont <strong>la</strong> vue embrasse au loin le mon<strong>de</strong> !<br />

Rends le vainqueur; <strong>sur</strong> toi tout son espoir se fon<strong>de</strong> *<br />

Raffermis son courage ; apprends au fier Hector<br />

Si Patrocle sans moi peut triompher encor,<br />

Ou s'il faut près <strong>de</strong> lui que je vole aux batailles f<br />

Pour voir son bras fougueux <strong>la</strong>ncer les funérailles.<br />

Quand sa noble valeur aura loin <strong>de</strong>s vaisseaux<br />

Repoussé le combat <strong>et</strong> les bruyans assauts,<br />

Puisse-t-il revenir vivant <strong>et</strong> sans bles<strong>sur</strong>e<br />

Avec tous mes guerriers <strong>et</strong> toute mon armure ! »,<br />

Tel priait le héros ; maïs l'inflexible Dieu<br />

Exauce seulement <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> son vœu ;<br />

Si Patrocle à <strong>la</strong> flotte épargne le ravage %<br />

Il ne doit point lui-même échapper au carnage,.<br />

Content d'avoir offert au souverain <strong>de</strong>s Dieux<br />

Sa fervente prière <strong>et</strong> ses tributs pieux,<br />

Achille se r<strong>et</strong>ire, <strong>et</strong> dans le coffire antique<br />

Ses mains ont déposé <strong>la</strong> coupe'magnifique.<br />

Devant sa tente assis, ses avi<strong>de</strong>s regards<br />

Sur les sang<strong>la</strong>ns combats p<strong>la</strong>nent <strong>de</strong> toutes parts.<br />

Patrocle a commandé ; tous les soldats en armea<br />

Marchent, impatiens <strong>de</strong> semer les a<strong>la</strong>rmes.


CHANT SEIZIÈME. *o5<br />

Lorsqu'on voit, <strong>sur</strong> les bords d'un grandchemin poudreux,<br />

Les abeiEes voler , <strong>et</strong> leur essaim' nombreux ,<br />

Irrité par les jeux d'une troupe enfantine./<br />

Sortir en bourdonnant <strong>de</strong> <strong>la</strong> ruche voisine ;<br />

Si , troub<strong>la</strong>nt leur repos, l'impru<strong>de</strong>nt voyageur<br />

Les menace, soudain brille leur dard vengeur,<br />

Et toutes , opposant le courage à l'offense,<br />

De leur jeune famille embrassent <strong>la</strong> défense :<br />

Les vail<strong>la</strong>ns Myrmidons, non moins impétueux,<br />

S'avancent, frappant l'air <strong>de</strong> cris tumultueux.<br />

Patrocle à haute voix au combat les anime :<br />

« O dignes compagnons d'un guerrier magnanime,<br />

Soyez hommes'; amis! sachez, comme autrefois, •<br />

De votre chef illustre imiter les exploits.<br />

Armant en sa faveur votre main vengeresse,<br />

Honorez tous en lui le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Et puisse Agamemnon pleurer dans sa douleur<br />

L'affront qui du plus brave a flétri <strong>la</strong> valeur! »<br />

D dit j tous les soldats, qu'enf<strong>la</strong>mme ce <strong>la</strong>ngage,<br />

Contre les ennemis précipitent leur rage.<br />

D'un tumulte confus <strong>la</strong> flotte a r<strong>et</strong>enti.<br />

Dans sa fougueuse ar<strong>de</strong>ur le Troyen ralenti,


ao6 L'ILIADE.<br />

L'âme d'étonnement <strong>et</strong> d'effroi palpitante ,<br />

S'ébranle ; au seul aspect <strong>de</strong> l'armure éc<strong>la</strong>tante,<br />

Il pense avec terreur que dan6 son cœur jaloux<br />

Achille aux pieds légers a dompté son courroux,<br />

Et loin <strong>de</strong> provoquer un danger inutile,<br />

Partout contre <strong>la</strong> mort, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un asyle.<br />

Sur <strong>la</strong> rive, à l'endroit où <strong>de</strong> nombreux soldais<br />

Assiègent le vaisseau du grand Pratési<strong>la</strong>s,<br />

D'abord Patrocle <strong>la</strong>nœ une flèche mortelle ,<br />

Et blesse <strong>de</strong> son fer Pyrèchine, dont le zèle,<br />

Des remparts d'Amjdone aux p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong>s combats,<br />

Loin du <strong>la</strong>rge Axius a guidé sm soldats.<br />

Son épaule a reçu l'atteinte meurtrière;<br />

Pyrèchme gémissant dans l'ari<strong>de</strong> poussière<br />

Tombe ; privés du chef sous leurs yeux abatte,<br />

Les soldats ont cédé , sans avoir combattu ,<br />

Et déjà <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poupe, à <strong>de</strong>mi consumée.<br />

Des feux étince<strong>la</strong>ns <strong>la</strong> fureur s'est calmée.<br />

Quand le* Troyens ont fui , les fik <strong>de</strong> Danaûs<br />

S'é<strong>la</strong>ncent vers leur flotte avec <strong>de</strong>s cris confus.<br />

Lorsque le Dieu tonnant, que <strong>la</strong> foudre accompagne,<br />

Sur le faîte élevé d'une gran<strong>de</strong> montagne,


CHANT SEIZIÈME. %o7<br />

Chasse un nuage épais, tout à coup dans les cièux<br />

Le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s coteaux se dresse radieux 5<br />

Les forêts f les vallons à nos yeux te découvrent ^<br />

Et <strong>de</strong> Pair épure les viastes champs s'<strong>et</strong>ita^ouvrent :<br />

Ainsi les Argiens, loin <strong>de</strong> leur» noirs vaisseaux<br />

De <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ennemie écartant les assaut» 5<br />

Respirent ; mais bientôt <strong>la</strong> guerre recommence,<br />

Et, sans offirir l'aspect d'une déroute immense,<br />

Devant les Grecs vainqueurs les Trojens recu<strong>la</strong>nt,<br />

En résistant toujours, s'éloignent à pas lent.<br />

De toutes parts s'étend <strong>la</strong> scène'du carnage ;<br />

Chaque héros immole un héros k sa rage.<br />

Aréïlyce fuit j Patroele furieux<br />

Enfonce dans sa cuisse un trait victorieux;<br />

L'airain a brisé Pos , <strong>et</strong> <strong>la</strong> victime tombe.<br />

Sous l'ar<strong>de</strong>nt Ménéks ici Thoas succombe.<br />

Et son sein découvert, privé du bouclier,<br />

Laisse un libre passage à l'homici<strong>de</strong> acier.<br />

Là, Mégès, d'Amphiclus craignant l'essor rapi<strong>de</strong>,<br />

Sur sa jambe dirige une flèche intrépi<strong>de</strong> ;<br />

Les nerfs sont déchirés; <strong>la</strong> nuit couvre ses jeux.<br />

Plus loin, du vieux Nestor les fils audacieux


*o8 L'ILIADE.<br />

Marchent : d f Atymnius cherchant les funérailles 1<br />

La <strong>la</strong>nce d*Antiloque a percé ses entraiEes ;<br />

D tombe <strong>et</strong> meurt. Maris, avec célérité,<br />

Du trépas fraternel noblement irrité,<br />

Pour sauver le cadavre, accourt; mais à sa rage '<br />

Thrasymè<strong>de</strong> opposant un plus ferme courage,<br />

Tranche le nerf puissant qui joint Pépaule au bras^<br />

Et voit son os brisé voler en mille éc<strong>la</strong>ts; •<br />

Sur les yeux <strong>de</strong> Maris une ombre funéraire<br />

S^étend <strong>et</strong> dans sa chute il ébranle <strong>la</strong> terre.<br />

Par <strong>de</strong>ux frères ainsi <strong>de</strong>ux héros égorgés<br />

Dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong> PErèbe ensemble sont plongés ;<br />

Témoin <strong>et</strong> compagnon d'une valeur si rare ,<br />

Sarpédon les aimait; leur père Amisodare<br />

Jadis avait nourri <strong>de</strong> ses vail<strong>la</strong>ntes mains<br />

La Chimère indomptable <strong>et</strong> terrible aux humains.<br />

Gléobule combat; Ajax, fils d'Oïlée,<br />

Court le saisir vivant au fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> mêlée*,<br />

Et dans le cou lui plonge un g<strong>la</strong>ive radieux,<br />

Qu'il r<strong>et</strong>ire fumant <strong>de</strong> son sang odieux;<br />

Bientôt <strong>la</strong> sombre Mort <strong>et</strong> <strong>la</strong> Parque infernale<br />

Eten<strong>de</strong>nt <strong>sur</strong> ses yeux leur ombre sépulcrale.


CHANT SEIZIÈME. so9<br />

Lycon <strong>et</strong> Pénélée, intrépi<strong>de</strong>s héros,<br />

L'un <strong>sur</strong> l'autre ont en vain <strong>la</strong>ncé leurs javelots ;<br />

Mais tandis que Lycon <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive homici<strong>de</strong><br />

Sur le casque ennemi décharge un coup rapi<strong>de</strong>,<br />

La poignée est rompue, <strong>et</strong> son fougueux rival,<br />

Le blessant k son tour, lui porte un coup fatal ;<br />

Le g<strong>la</strong>ive dans sa gorge <strong>et</strong> s'enfonce <strong>et</strong> s'arrête,<br />

Et <strong>la</strong> peau seule encore a r<strong>et</strong>enu sa tête ;<br />

Il expire. Acamas , au carnage échappé,<br />

Par l'adroit Mérion à l'épaule frappé,<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> son char tombe au loin; <strong>sur</strong> sa vue-<br />

D'un nuage profond <strong>la</strong> nuit s'est répandue.<br />

Par le chef <strong>de</strong>s Cr<strong>et</strong>ois Érimas est blessé ;<br />

Bientôt l'acier cruel, dans sa bouche <strong>la</strong>issé,<br />

Tout entier disparaît, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe mortelle<br />

Pénètre en frémissant jusques à <strong>la</strong> cervelle,<br />

Brise les os d'ivoire, <strong>et</strong>, fracassant les <strong>de</strong>nts,<br />

D'un sang noir en âes yeux répand les flots ar<strong>de</strong>ns ;<br />

Le sang découle aussi <strong>de</strong> sa bouche entrouverte ;<br />

Des ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort sa paupière est couverte.<br />

Les Argiens, d'un bras par <strong>la</strong> haine affermi,<br />

Frappent, <strong>et</strong> chacun d'eux immole un ennemi :<br />

2. i4


aïo ' L'ILIADE.<br />

Ainsi <strong>de</strong> loups cruels une ban<strong>de</strong> intrépi<strong>de</strong><br />

Fond <strong>sur</strong> <strong>la</strong> jeune chèvre ou <strong>sur</strong> l'agneau timi<strong>de</strong>,<br />

Que l'impru<strong>de</strong>nt pasteur <strong>sur</strong> un mont écarté<br />

Laissa loin du troupeau bondir en liberté.<br />

Le Troye», effrayé <strong>de</strong> leur vive poursuite,<br />

Oubliant sa valeur, songe à l'horrible fuite.<br />

Ajax, dont <strong>la</strong> fureur ne connaît plus <strong>de</strong> frein,<br />

S'é<strong>la</strong>nce contre Hector au grand casque d'airain ;<br />

Hector, le dos couvert du bouclier soli<strong>de</strong>,<br />

Au choc siff<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s traits prête une oreille avi<strong>de</strong>.<br />

S'il ne peut maîtriser le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s combats.<br />

Il sauvera du moins ses fidèles soldats;'<br />

Dans le péril encor il <strong>de</strong>meure indomptable.<br />

Quand Jupiter saisit sa foudre inévitable,<br />

Après un jour serein , comme un nuage obscur<br />

S'élève, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Olympe enveloppe l'aznr :<br />

Tels du- fond <strong>de</strong>s vaisseaux s'é<strong>la</strong>ncent vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

Les Troyens dispersés que <strong>la</strong> frayeur entraîne.<br />

Hector, qu'ont emporté ses chevaux vigoureux,<br />

S'échappe, abandonnant ses peuples malheureux :<br />

Dans le <strong>la</strong>rge fossé qui seul r<strong>et</strong>ient leur foule, ><br />

Le coursier hal<strong>et</strong>ant chancelle, tombe , roule,


CHANT SEIZIEME. an<br />

Et sous les traits rompus, sous les timons brisés<br />

Laisse les chars <strong>de</strong>s rois F un par Fautre écrasés.<br />

Le vengeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong> Troie ,<br />

Patrbcle avec fureur s f acliarne <strong>sur</strong> sa proie ;<br />

Les chevaux <strong>de</strong>s vaincus courant vers Dion<br />

Font monter jusqu'au ciel un poudreux tourbiUon ;<br />

Des débris <strong>de</strong> leur fuite ils ont semé <strong>la</strong> route ,<br />

Et Patrocle, en criant, achève leur déroute.<br />

Du faite <strong>de</strong> leurs chars en éc<strong>la</strong>ts dispersés,<br />

Tous? le front sous l'essieu, succombent renversés';<br />

Ensemble confondus, ils mor<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> poussière.<br />

Mais du fossé déjà franchissant <strong>la</strong> barrière ,<br />

Bondissent les coursiers, comme un don glorieux,<br />

À Pelée autrefois accordés par les Dieux.<br />

Patrocle <strong>sur</strong> Hector soudain se précipite;<br />

Emporté par son char, Hector fuit <strong>et</strong> Févite.<br />

Si Jupiter punit les juges criminels ,<br />

Insolens contempteurs <strong>de</strong> ses droits éternels,<br />

Et dans un jour d f automne, armé <strong>de</strong> son tonnerre,<br />

Sous <strong>la</strong> pluie abondante ensevelit <strong>la</strong> terre,<br />

Loin du faîte <strong>de</strong>s monts, les fleuves débordés<br />

Jusqu f au noir Océan dans les champs inondés<br />

,4.


ai» L'ILIADE.<br />

Roulent <strong>et</strong> sous le choc <strong>de</strong>s flots qui r<strong>et</strong>entissent,<br />

Du tremb<strong>la</strong>nt <strong>la</strong>boureur les travaux s'engloutissent :<br />

Tels les chevaux troyens, <strong>de</strong> fureur écumans,<br />

Volent j frappant les airs <strong>de</strong> sourds mugïssemens.<br />

Fier d'un premier succès , Patrocle vers <strong>la</strong> rive<br />

'Chasse <strong>de</strong>s ennemis <strong>la</strong> troupe fugitive,<br />

Et f loin <strong>de</strong> Troie , oppose à leurs efforts rivaux<br />

Le fleuve7 d'une part, <strong>de</strong> l'autre, les vaisseaux.<br />

Là f <strong>de</strong> ses compagnons son bras vengeantles ombres,<br />

J<strong>et</strong>te plus d'un Troyen dans les royaumes sombres.<br />

Pronoûs avant tous frappe d'un trait vainqueur<br />

A l'endroit où l'airain ne défend pas son cœur ,<br />

Tombe expirant ; son poids fait r<strong>et</strong>entir l'arène.<br />

Courbé <strong>sur</strong> le beau char où <strong>la</strong> terreur l'enchaîne ,<br />

Thestor , enfant d'Enops, <strong>de</strong>meuré sans appui ,<br />

Se trouble <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains les rênes d'or ont fui.<br />

Patrocle , brandissant <strong>la</strong> pique meurtrière ,<br />

Dans sa joue aussitôt l'enfonce tout entière ,<br />

Brise ses <strong>de</strong>nts, l'enlève <strong>et</strong> du'siège éc<strong>la</strong>tant<br />

Sur le sol ennemi le j<strong>et</strong>te palpitant,<br />

Comme un pêcheur, assis <strong>sur</strong> un roc dont <strong>la</strong> masse<br />

De l'immense Océan domine au loin l'espace,


CHANT SEIZIEME. »i3<br />

Du fond <strong>de</strong>s mers r<strong>et</strong>ire un énorme poisson<br />

Suspendu par l'acier du perfi<strong>de</strong> hameçon.<br />

La bouche ouverte encor 7 Thestor roule <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie<br />

Avec le <strong>de</strong>rnier souffle à son âme est ravie.<br />

Le Grec vainqueur, voyant Eryale approcher 7<br />

L'attaque <strong>et</strong> <strong>sur</strong> "son front <strong>la</strong>nce un vaste rocher ;<br />

Sous le casque pesant tout son crâne s'entr'ouvre f<br />

Et Pimp<strong>la</strong>cable Mort <strong>de</strong> ses- ombres le couvre.<br />

Bientôt Pyrïs 9 Epalte, Iphée 9 Amphotérus f<br />

Evippef Tlépolème, Erymasf Echius^<br />

Polymèle ? étendus <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> 7<br />

S'entassent <strong>et</strong> leur sang à flots épais l'inon<strong>de</strong>.<br />

Mais Sarpédon frémit d'un généreux courroux ?<br />

Lorsque <strong>de</strong>vant Patrocle il a vu sous ses coups<br />

Périr les. Lyciens aux légères tuniques :<br />

« Quelle terreur saisit vos âmes héroïques ?<br />

O honte ! où fuyez-vous ? Revenez aux combats.<br />

Moi je'cours affronter ce vainqueur dont le bras,<br />

Auteur pour les Troyens d'un immense ravage f<br />

De tant d'hommes fameux a brisé le courage, »<br />

Il dit <strong>et</strong> <strong>de</strong> son char s'é<strong>la</strong>nce tout arméf<br />

Patrocle marche aussi, <strong>de</strong> vengeance enf<strong>la</strong>mmé.


ai4 L'ILIADE.<br />

Gomme, en frappant les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> leurs c<strong>la</strong>meurs aigiies,<br />

Deux vautours, au somm<strong>et</strong> d'un roc voisin <strong>de</strong>s nues^<br />

Aiguisent <strong>et</strong> leur serre <strong>et</strong> leurs becs recourbés :<br />

L'un <strong>sur</strong> l'autre, à grands cris, ces héros sont tombés.<br />

Jupiter a<strong>la</strong>rmé s'adresse à son épouse :<br />

« Malheur à moi ! le Sort, en sa haine jalouse,<br />

S'apprête à renverser'sous ce Grec odieux<br />

Sarpédon, <strong>de</strong>s mortels le plus cher à mes yeux.<br />

Je ba<strong>la</strong>nce incertain dans mon âme attendrie,<br />

Si je dois jusqu'aux bords <strong>de</strong> sa riche patrie<br />

Le ramener vivant, ou bien dans les combats<br />

Laisser à son vainqueur l'honneur <strong>de</strong> son trépas, »<br />

Junon aux <strong>la</strong>rges yeux palpite <strong>de</strong> colère :<br />

« Dieu terrible ! quels mots ton audace profère !<br />

Et quoi donc ! ce mortel, esc<strong>la</strong>ve du Destin,<br />

Tu prétends l'affranchir <strong>de</strong> son trépas certain !<br />

Va ; si tu satisfais ce désir qui me blesse,<br />

Ne crois pas que les Dieux approuvent ta faiblesse.<br />

Dans le fond <strong>de</strong> ton cœur grave bien mes discours :<br />

Tu chéris Sarpédon ; si par un prompt secours<br />

Ton pouvoir le ramène, avant sa <strong>de</strong>rnière heure ,<br />

Dans le foyer natal <strong>de</strong> sa douce <strong>de</strong>meure,


CHANT SEIZIEME. »i5<br />

Songe que loin du choc <strong>de</strong>s combats désastreux<br />

Les autres Dieux voudront sauver leurs fils nombreux,<br />

Ces fils qui, signa<strong>la</strong>nt leur valeur immortelle, •<br />

Entourent <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> cita<strong>de</strong>lle.<br />

Mais? envers Sarpédon quel que soit ton amour,<br />

Perm<strong>et</strong>s, que le Destin lui ravisse le jour.<br />

Pour calmer tes douleurs, quand <strong>la</strong> Parque inhumaine<br />

D'une si chère vie aura brise <strong>la</strong> chaîne,<br />

La Mort j le doux Sommeil dans les champs lyciens<br />

Porteront sa dépouille à ses concitoyens j<br />

Et là, <strong>sur</strong> un tombeau, ses amis <strong>et</strong> ses frères<br />

Pourront lui décerner les honneurs funéraires. »<br />

Le père <strong>de</strong>s mortels <strong>sur</strong> le sol rougissant<br />

Fait pleuvoir en rosée un nuage <strong>de</strong> sangf<br />

Pour honorer son fils qui? loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie 7<br />

Doit bientôt <strong>de</strong> Patrocle assouvir <strong>la</strong> furie.<br />

Les hardis combattans se rapprochent tous <strong>de</strong>uxf<br />

Quand y du roi Sarpédon Fécuyer valeureux,<br />

Thrasymèle vaincu cè<strong>de</strong> à <strong>la</strong> javeline<br />

Dont <strong>la</strong> main <strong>de</strong> Patrocle a frappé sa poitrine.<br />

Sarpédon ? à son tour, <strong>la</strong>nce un trait acéré ;<br />

Mais le trait, loin du but dans les airs égarée


ai6 L'ILIADE.<br />

Vient traverser le dos <strong>de</strong> Pédase qui tombe<br />

Et, couché <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre , en gémissant succombe;<br />

Sa force le trahit. Les coursiers bondissaes<br />

A ce terrible aspect se cabrent frémissans ;<br />

Le timon a crié; les rênes qui s'en<strong>la</strong>cent<br />

Sous les pieds <strong>de</strong>s chevaux captives s'embarrassent<br />

Automédon , armé du g<strong>la</strong>ive étince<strong>la</strong>nt<br />

Qui toujours se ba<strong>la</strong>nce à son robuste f<strong>la</strong>nc,<br />

Brise les traits ; alors, re<strong>de</strong>venus dociles,<br />

Les coursiers sous le joug se p<strong>la</strong>cent immobiles.<br />

La lutte recommence, <strong>et</strong>Patrocle aussitôt<br />

Sur son dos a senti glisser un javelot,<br />

Quand Sarpédon, atteint d'une flèche plus sûre,<br />

Reçoit au fond du cœur une <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e.<br />

Tel <strong>sur</strong> une montagne au faîte sourcilleux,<br />

Le peuplier, le chêne, ou le pin orgueilleux,<br />

Promis à l'Océan, tombe, futur navire,.<br />

Sous les haches d'airain dont l'effort le déchire :<br />

Ainsi ce combattant, indigné <strong>de</strong> son sort,<br />

Roule <strong>de</strong>vant son char, victime <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort;<br />

H presse <strong>de</strong> sa main une fumante arène.<br />

Comme parmi <strong>de</strong>s bœufs égarés dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,


CHANT SEIZIÈME. 217<br />

Un taureau mugissant 7 au cœur fierf aux poils roux,<br />

Sous <strong>la</strong> <strong>de</strong>nt du lion meurt rempli <strong>de</strong> courroux :<br />

Tel le chef lyoien frémit ; sa voix appelle<br />

De ses anciens exploits le compagnon fidèle.<br />

« Cher <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt G<strong>la</strong>ucus! dit-il, voici l'instant<br />

De signaler pour moi ton courage éc<strong>la</strong>tant.<br />

Que <strong>de</strong>s sang<strong>la</strong>ns combats le seul désir t'enf<strong>la</strong>mme.<br />

Va, cours : si <strong>la</strong> valeur respire dans ton âme,<br />

Exhorte tous les chefs à venger Sarpédon<br />

Et ne me <strong>la</strong>isse pas périr dans l'abandon.<br />

Pour toi dans l'avenir quelle éternelle injure,<br />

Si les Grecs trïomphans ravissent mon armure !<br />

Demeure inébran<strong>la</strong>ble... excite mes soldats... »<br />

Il parle encor : ses yeux? voilés par le trépas ,<br />

Se ferment; son vainqueur} le pied <strong>sur</strong> sa poitrine,<br />

R<strong>et</strong>ire <strong>de</strong> son corps <strong>la</strong> lour<strong>de</strong> javeline ;<br />

D. arrache son âme avec le fer sang<strong>la</strong>nt,<br />

Et voit ses intestins s'échapper <strong>de</strong> son f<strong>la</strong>nc,<br />

Tandis que les soldats du fougueux atte<strong>la</strong>ge<br />

Ont arrêté <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> comprimé <strong>la</strong> rage.<br />

G<strong>la</strong>ucus ? en écoutant <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> son ami,<br />

Sans pouvoir le venger, <strong>de</strong> douleur a gémi ;


ai8 L'ILIADE.<br />

Son bras est tourmenté d f une vive souffrance :<br />

Car f tandis qu'il marchait 7 enivré d'espérance 7<br />

En secourant les Grecs f l'intrépi<strong>de</strong> Teucer<br />

Sur lui du haut <strong>de</strong>s murs a décoché son fer.<br />

G<strong>la</strong>nais adresse alors ces accens <strong>la</strong>mentables<br />

Au Dieu qui fait voler <strong>de</strong>s traits inévitables :<br />

« Phébus! exauce-moi! dans les remparts troyensj<br />

Ou dans les champs féconds <strong>de</strong>s riches Ljciensf<br />

Partout du malheureux ton cœur entend <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! d'un fer cruel <strong>la</strong> redoutable atteinte<br />

Me blesse, <strong>et</strong> rien encor ne peut tarir mon, sang ;<br />

Mon épaule fléchit, <strong>et</strong> mon bras <strong>la</strong>nguissant f<br />

Ni <strong>de</strong> près ni <strong>de</strong> loin, aux champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce,<br />

Ne saurait agiter ou f épée ou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce.<br />

Le fils <strong>de</strong> Jupiter 7 Sarpédon égorgé<br />

Tombe, puisque ce Dieu ne Fa point protégé.<br />

Toi j daigne ranimer ma vigueur renaissante :<br />

Apaise mes tourmens, divinité puissante !<br />

Et que mes compagnons, partageant mes efforts,<br />

Défen<strong>de</strong>nt ce héros, <strong>et</strong> protègent son corps. »<br />

Phébus entend ses vœux ; sa douleur s'est calmée ;<br />

Le sang ne noircit plus sa bles<strong>sur</strong>e fermée.


CHANT SEIZIÈME. 1119<br />

Le cœur rempli <strong>de</strong> force, il s'avance-à grands pas,<br />

Et reconnaît qu'un Dieu le ramène aux combats.<br />

Il palpite d'orgueil ; <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir il tressaille ;<br />

Ar<strong>de</strong>nt à parcourir tout le champ <strong>de</strong> bataille,<br />

Il comman<strong>de</strong> ; à sa voix , les pas <strong>de</strong>s Lyciens '<br />

Autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime ont volé <strong>sur</strong> les siens.<br />

Dans les rangs <strong>de</strong>s Troyens sa valeur transportée<br />

Trouve Polydamas, noble fils <strong>de</strong> Panthée,<br />

Le superbe Agénor, formé du sang <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Énée, enfin Hector au casque radieux :<br />

« As-tu donc oublié tes alliés fidèles ?<br />

Brave Hector ! S'exi<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s rives maternelles,<br />

Tous, loin <strong>de</strong> leurs amis, pour toi viennent mourir,<br />

Et ton courage oisif tar<strong>de</strong> à les secourir!<br />

Ce chef, dont <strong>la</strong> Lycie avec orgueil révère<br />

L'héroïque valeur <strong>et</strong> l'équité sévère,<br />

Mars, le terrible Mars l'immole à son courroux ;<br />

Il tombe sous Patrocle... Amis! accourez tous ;<br />

Trembles ! ces Myrmidons, maîtres <strong>de</strong> son armure,<br />

Imprimant à son corps une éternelle injure,<br />

Pourraient venger les Grecs, qui <strong>de</strong>vant leurs vaisseaux<br />

En foule ont expiré sous nos fougueux assauts. »


220 L'ILIADE.<br />

Les Troyens , accables d'un <strong>de</strong>uil inconso<strong>la</strong>ble,<br />

Pleurent tous ce héros , naguère inébran<strong>la</strong>ble ,<br />

C<strong>et</strong> étranger 'qui Tint, par <strong>la</strong> gloire excité,<br />

Avec tous ses soldats défendre leur cité.<br />

-Dirigés par Hector, que <strong>la</strong> vengeance enf<strong>la</strong>mme,<br />

Sur les Grecs poursuivis les enfans <strong>de</strong> Pergame<br />

S'é<strong>la</strong>ncent. Animé d'une noble chaleur,<br />

Patrocle <strong>de</strong>s Ajax redouble <strong>la</strong> valeur :<br />

« Ajax! braves amis! qu'en ce péril extrême,<br />

Votre vail<strong>la</strong>nce encor se <strong>sur</strong>passe elle-même.<br />

H' n'est plus, ce héros qui franchit le premier<br />

L'orgueilleuse hauteur <strong>de</strong> ce rempart guerrier,<br />

Sarpédon !... Puissions-nous, pour <strong>de</strong>rnière victoire,<br />

Lui ravir son armure, outrager sa mémoire,<br />

Et d'un airain cruel frapper l'audacieux<br />

Qui nous disputerait ce butin précieux ! »<br />

A ces mots, <strong>de</strong> courroux les <strong>de</strong>ux Ajax palpitent,<br />

Et <strong>de</strong>s peuples rivaux les rangs se précipitent.<br />

Ici, les Myrmidons avec les Argiens,<br />

Là, les guerriers <strong>de</strong> Troie <strong>et</strong> les fiers Lyciens '<br />

Autour du corps sang<strong>la</strong>nt se pressent ; leurs armures<br />

Répon<strong>de</strong>nt à leurs cris par <strong>de</strong> rauques murmures,


CHANT SEIZIÈME. aai<br />

Quand soudain Jupiter <strong>sur</strong> ce champ <strong>de</strong> terreur<br />

D'une profon<strong>de</strong> nuit répand <strong>la</strong> sombre horreur,<br />

Et rendant plus affreux le choc <strong>de</strong> ces batailles ?<br />

De son fils bien-aïmé venge les funérailles.<br />

D'abord tous les Troyens ? affrontant les hasards,<br />

Sur les Grecs aux yeux noirs fon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> toutes parts.<br />

Une illustre victime est bientôt égorgée ;<br />

Fils du noble Agaelès~7 le divin Épigée 7<br />

Dans Budie autrefois roi d'un peuple nombreux,<br />

Tua dans un parent un mortel généreux;<br />

Thétis aux pieds d'argent <strong>et</strong> l'auguste Pelée<br />

Accueillirent près d'eux sa misère exilée,<br />

Et <strong>de</strong>puis il vo<strong>la</strong> vers Troie aux beaux coursiers<br />

Porter avec leur fils les combats meurtriers.<br />

Il saisissait déjà <strong>la</strong> dépouille ennemie ,<br />

Lorsque le grand 'Hector d'une main affermie<br />

Lui j<strong>et</strong>te dans le front un roc inattendu ?<br />

Qui sous le casque épais tout'entier Fa fendu.<br />

A peine <strong>sur</strong> le corps 7 que ses bras abandonnent f<br />

H tombe, du trépas les ombres l'environnent.<br />

De <strong>la</strong> mort d'un ami Patrocle furieux<br />

S'é<strong>la</strong>nce aux premiers rangs. Comme du haut <strong>de</strong>s cieux


aaâ<br />

L'ILIADE.<br />

Le farouche épervier presse d'un vol rapi<strong>de</strong><br />

Ou le geai fugitif ou Fétourneau timi<strong>de</strong> :<br />

Brave Patrocle! ainsiy dans ton noble courroux,<br />

Tu poursuis les Trojens , qui se dispersent tous.<br />

Un roc f <strong>la</strong>nce par toi, d'une atteinte soudaine<br />

Frappe Sthéné<strong>la</strong>ûs f fils chéri dlthémène j<br />

Le nerf du cou se brise ; il meurt, <strong>et</strong> les fuyards<br />

Précipitent au loin leurs bataillons épars.<br />

Hector lui-même, Hector sent fléchir son audace.<br />

Autant un javelot peut me<strong>sur</strong>er d'espace ?<br />

Lorsqu'il vole? j<strong>et</strong>é par un bras courageux f<br />

Dans les bruyans combats ou les paisibles jeux :<br />

Autant ses compagnons s'éloignent dans leur fuite.<br />

G<strong>la</strong>ucus j contre les Grecs ar<strong>de</strong>ns à sa poursuite 7<br />

Le premier se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> frappe sans dé<strong>la</strong>is<br />

Un enfant <strong>de</strong> Ghalcon f le vail<strong>la</strong>nt Bathyclés,<br />

Qui, passant dans Hel<strong>la</strong>s les jours <strong>de</strong> sa jeunesse f<br />

Entre les Myrmidons bri<strong>la</strong> par sa richesse.<br />

H poursuivait G<strong>la</strong>ucus 7 quand par un prompt r<strong>et</strong>our<br />

G<strong>la</strong>ucus le blesse au cœur <strong>et</strong> lui ravit le jour ;<br />

H roule avec fracas; pour <strong>la</strong> Grèce <strong>et</strong> pour Troie<br />

Sa mort est un signal <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie.


CHANT SEIZIÈME. âa3<br />

Les Grecs, <strong>de</strong> leur valeur se souvenant eneor,<br />

S f avancent, <strong>et</strong> le fils du pieux Onétor,<br />

Qui <strong>sur</strong> le mont Ida, comme un Dieu qu'on vénère,<br />

Servait <strong>de</strong> prêtre auguste au maître du tonnerre,<br />

Laogon, vers Foreille, à <strong>la</strong> joue est blessé<br />

Par un trait que <strong>sur</strong> lui Mérion a <strong>la</strong>ncé;<br />

De ses membres nerveux il a perdu l'usage,<br />

Et tombe enseveli dans un sombre nuage.<br />

Pour frapper Mérion , c<strong>et</strong> agile guerrier,<br />

Qui s'avançait couvert du <strong>la</strong>rge bouclier,<br />

Enée est accouru; Mérion qui s'incline,<br />

Evite adroitement sa longue javeline,<br />

Dont le bois dans <strong>la</strong> terre en tremb<strong>la</strong>nt r<strong>et</strong>entit,<br />

Et, par Mars arrêté, soudain se ralentit.<br />

Indigné d'avoir vu c<strong>et</strong>te flèche impuissante<br />

S'échapper vainement <strong>de</strong> sa main frémissante,<br />

D'un plus ar<strong>de</strong>nt courroux le Troyen excité<br />

S'écrie : « Homme orgueilleux <strong>de</strong> ton agilité,<br />

Si mon fer t'eût frappé, quoique danseur habile,<br />

Ta vigueur à jamais <strong>la</strong>nguirait immobile. »<br />

Par sa <strong>la</strong>nce fameux, le brave Mérion<br />

Réplique : « O le plus fier <strong>de</strong>s héros dUion !


aa4 L'ILIADE.<br />

C'est en vain que ta force espérerait abattre<br />

Chaque ennemi nouveau qui viendra te combattre.<br />

Va, tu n'es qu'un mortel ; dans ma terrible main<br />

Si mon fer jusqu'à toi se frayait un chemin,<br />

Bientôt tu cé<strong>de</strong>rais, malgré ton insolence ,<br />

Ton âme au Dieu <strong>de</strong>s morts, <strong>la</strong> victoire à ma <strong>la</strong>nce. »<br />

Patrocle à son dépit <strong>la</strong>issant un libre cours :<br />

« O Mérion! pourquoi ces frivoles discours?<br />

Pourchasser les Troyens, pour dompter leurs courages.<br />

Il nous faut <strong>de</strong>s exploits <strong>et</strong> non pas <strong>de</strong>s outrages.<br />

On discute au conseilf on agit au combat;<br />

Ne sois plus orateur, <strong>et</strong> re<strong>de</strong>viens -soldat.' »<br />

Mérion , tel qu'un Dieu, s'avance <strong>sur</strong> sa trace.<br />

Un vaste bruit s'étend dans un. lointain espace,<br />

Lorsque les bûcherons sous leurs coups redoublés<br />

Font gémir les échos <strong>de</strong>s vallons ébranlés :<br />

Tel dans ses f<strong>la</strong>ncs profonds le sol s'agite <strong>et</strong> tremble)<br />

Tandis qu'en se heurtant ' r<strong>et</strong>entissent ensemble<br />

Les grands casques d'airain, les riches boucliers,<br />

La <strong>la</strong>nce aux <strong>de</strong>ux tranchans, les" g<strong>la</strong>ives meurtriers.<br />

Pour un ami lui-même obj<strong>et</strong> méconnaissable,<br />

Des pieds jusqu'à <strong>la</strong> tête englouti dans le sable,


CHANT SEIZIEME. ' *»5<br />

Le divin Sarpédon traîné <strong>de</strong> toutes parts,<br />

Reste couvert <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong> poussière <strong>et</strong> <strong>de</strong> dards. •<br />

Les guerriers , dont les rangs à Fenvi se remp<strong>la</strong>cent,<br />

Autour <strong>de</strong> son cadavre en frémissaiit s'amassent,<br />

Comme , aux jours du printemps, <strong>de</strong>s bataillons ailés ,<br />

Sous le toit d'un-pasteur en foule amoncelés,<br />

Bourdonnent, quand, versé par une main agile,<br />

Le <strong>la</strong>it coule à flots purs dans les vases d'argile.<br />

Cependant Jupiter <strong>sur</strong> ces combats sang<strong>la</strong>ns<br />

Ne cesse d'attacher ses yeux étince<strong>la</strong>ns.<br />

Entre un double proj<strong>et</strong> son âme se partage :<br />

Sur ce cadavre même, au milieu du carnage ,<br />

Lïvrera-t-il Patrocle à <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Hector,<br />

Ou <strong>de</strong> nombreux guerriers-périront-ils encor?<br />

Pour ce <strong>de</strong>rnier parti Jupiter se déci<strong>de</strong>,<br />

Et le fier compagnon du terrible Eaci<strong>de</strong>,<br />

Vers les murs d'Ilion précipitant ses pas,<br />

Sur les Troyens vaincus <strong>la</strong>ncera' le trépas.<br />

Il ordonne j <strong>et</strong> déjà d'une soudaine crainte<br />

L'âme du grand Hector a ressenti l'atteinte.<br />

Son char l'entraîne ; alors, sans gui<strong>de</strong>, sans appui,<br />

Les bataillons troyens s'éloignent comme lui ;<br />

2. i5


a26 L'ILIADE.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! il reconnaît vers quel peuple s'incline<br />

Du puissant Jupiter <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce divine,<br />

Loin <strong>de</strong> leur roi, couché dans <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s morts<br />

Que le fils <strong>de</strong> Saturne envoie aux sombres bords f<br />

Les Lytiens ? fuyant les sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes ?<br />

Cè<strong>de</strong>nt ; à <strong>la</strong> victime on enlève ses armes,<br />

. Et Patroclef à Finstant f jusqu'aux profonds-vaisseaux<br />

. De ces armea d'airain fait porter les monceaux.<br />

Jupiter j Dieu tonnant qui déchaîne Forage,<br />

Au bri<strong>la</strong>nt Apollon adresse- ce <strong>la</strong>ngage :<br />

« Va , <strong>de</strong>scends <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre! ô mon char Apollon !'<br />

Et du milieu <strong>de</strong>s traits, arrache Sarpéâon.<br />

Enlève le sang noirf dont <strong>la</strong> rive s f abreuve j<br />

Loin du champ <strong>de</strong>s combats, dans le courant d» fleuve<br />

Purifie à l'écart ses membres dégouttai,<br />

Et j<strong>et</strong>te <strong>sur</strong> son corps <strong>de</strong>s voiles ée<strong>la</strong>tans.<br />

Que tes main» à longs flots lui versent Fambroïsie. •<br />

Jusqu'aux fertiles bords <strong>de</strong> fat vaste Ljcie<br />

La Mort <strong>et</strong> le Sommeil, ces fidèles jumeaux,<br />

Porteront ses débris n<strong>et</strong>toyés par les. eaux^<br />

Et là f <strong>sur</strong> un tombeau f ses amis <strong>et</strong> ses, frères<br />

Pourront lui déeenter le& hoaneurs fiuéraircft. » "


CHANT SEIZIÈME. »a7<br />

Aux ordres paternel* Phébus obéissant ,<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> FIda vers Sarpédon <strong>de</strong>scend,<br />

Enlève le sang noir dont <strong>la</strong> rive s'abreuve,<br />

Loin du champ <strong>de</strong>s combats} dans le courant du fleuve<br />

Purifie à l'écart ses membres dégouttans.<br />

Et j<strong>et</strong>te <strong>sur</strong> son corps <strong>de</strong>s voiles ée<strong>la</strong>tans.<br />

Quand ses mains à longs flots lui versent l'ambroisie,<br />

Jusqu'aux fertiles bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste Lycie ,<br />

La Mort <strong>et</strong> le Sommeil, ces fidèles jumeaux}<br />

Déposent ses débris n<strong>et</strong>toyés par les eaux.<br />

Patroele r s'é<strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s fuyards timi<strong>de</strong>s,<br />

Anime Automédon <strong>et</strong> ses coursiers rapi<strong>de</strong>s ;<br />

Téméraire guerrier! il ne se doute pas<br />

Qu'il appelé <strong>sur</strong> lui le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le trépas.<br />

La Mort, s'il eût d!Achil@ écouté <strong>la</strong> sagesse,<br />

Ne l'aurait point frappé <strong>de</strong> sa main vengeresse;<br />

Mais j toujours dominant les esprits <strong>de</strong>s mortels,<br />

Jupiter accomplit ses <strong>de</strong>sseins éternels;<br />

Dispensateur suprême <strong>et</strong> d'opprobre <strong>et</strong> <strong>de</strong> gloire,<br />

Jupiter seul refuse ou donne <strong>la</strong> victoire.<br />

O Patroele ! c'est lui qui, décidant ta mort 1<br />

Excita dans ton âme un aveugle transport,<br />

i5.


aa8 L'ILtADË.<br />

Quelle victime alors sous ta fureur guerrière<br />

La première mourut ou tomba <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière ?<br />

Echéclus , Epistor y Àdraste ? Autonoûs ,<br />

Périme, Mé<strong>la</strong>nippe, E<strong>la</strong>se 7 Mulius,<br />

Immoles par ton bras? <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> tombe<br />

Et Py<strong>la</strong>rtej'après euxf Py<strong>la</strong>rte enfin succombe.<br />

Les autres combattans 7 par <strong>la</strong> fuite sauvés f<br />

S f -éehappent ; dans Pergaiïiê aux remparts élevés<br />

Les Grecs entraient vainqueurs, <strong>et</strong> guidant leur vai<strong>la</strong>nce 1<br />

Patrocle brandissait sa formidable <strong>la</strong>nce,<br />

Quand, s'artnant contre lui 7 <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s tours ,<br />

Apollon' aux Trojens accor<strong>de</strong> un prompt secours}<br />

Trois fois vers les remparts le héros intrépi<strong>de</strong><br />

S'est é<strong>la</strong>ncé; trois'fois par un effort rapi<strong>de</strong><br />

Apollon le repousse ? <strong>et</strong> <strong>de</strong> son bras divin<br />

Frappe le bouclier qu'il fait briller en vain.<br />

Mais 7 comme un Dieu terrible 7 il reprend sa furie ;<br />

Il vole 7 quand Phébus en menaçant s'écrie :<br />

« 0 généreux Patrocle ! éloigne-toi ! ton bras<br />

Des remparts. dHion ne triompherait pas.<br />

Un plus brave héros ? Achille même 7 Achille<br />

Ne doit pas ravager c<strong>et</strong>te superbe ville. »


CHANT SEIZIÈME. 229<br />

Ainsi tonne le Dieu qui porte an loin, ses coups,<br />

Et Patro<strong>de</strong> en fuyant évite son courroux..<br />

Mais Hector , parvenu jusqu'aux portes <strong>de</strong> Scée7<br />

S*arréte j. <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s roulent dans sa pensée :<br />

Doit-il se confier à <strong>de</strong> nouveaux hasards 9<br />

Ou rappeler <strong>la</strong> foule au sein <strong>de</strong> ses" remparts?<br />

Tandis, que flotte encor son âme irrésolue y<br />

Tout à coup Apollon se présente à sa vue^<br />

Un <strong>de</strong>s frères dHéeube , un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Dymas?.<br />

Un jeune homme 7 Asius, vail<strong>la</strong>nt dans les combats,.<br />

Loin <strong>de</strong>s bords du Sangare, a quitté <strong>la</strong> Phrygie^<br />

Et du sang grec long-temps sa <strong>la</strong>nce s'est rougie.-<br />

Apollon | empruntant sa figure <strong>et</strong> sa voix :<br />

« Hector ! pourquoi cesser le cours <strong>de</strong> tes exploits ?<br />

Si mon bras <strong>sur</strong> le tien remportait en courage,<br />

Bientôt pour ton malheur tu fuirais le carnage.<br />

Maïs viens , <strong>et</strong> <strong>sur</strong> Patrocle 7 en rival généreux,<br />

Pousse tes <strong>de</strong>ux coursiers aux ongles vigoureux*.<br />

Sa mort sera peut-être un fruit <strong>de</strong> ta victoire ?<br />

Et peut-être Apollon te gar<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gloire. »,<br />

Dans l'épaisse mêlée, au milieu du danger ^<br />

Apollon, à. ces, mots ? r<strong>et</strong>ourne, se plongerv


23o L'ILIADE.<br />

Hector a commandé : Cébrion dans <strong>la</strong> foule<br />

Précipite son char qui s f éloigne <strong>et</strong> qui roule.<br />

Le Dieu , favorisant Hector <strong>et</strong> les Troyens ,<br />

Sème un désordre affreux dans les rangs argiens.<br />

Hector a respiré <strong>la</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>la</strong> guerre ;<br />

Son courroux f dédaigneux d'un ennemi vulgaire,<br />

Ne cherche que Patrocle, -<strong>et</strong> Patrocle , à Fïnstant,<br />

Descendu <strong>de</strong> son char, le menace <strong>et</strong> l'attend.<br />

Dans Fune <strong>de</strong> ses mains, il agite une <strong>la</strong>nce ;<br />

Un b<strong>la</strong>nc rocher que l'autre avec force ba<strong>la</strong>nce ,<br />

Vient effleurer Hector, <strong>et</strong> trancher le <strong>de</strong>stin<br />

De Cébrion, enfant d'un amour c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin ;<br />

Il guidait les coursiers , quand sa tête fendue<br />

Reçoit du roc pesant <strong>la</strong> masse inattendue;<br />

A peine <strong>de</strong>s sourcils le sang a découlé,<br />

L'os éc<strong>la</strong>te , <strong>et</strong> ses yeux dans <strong>la</strong> poudre ont roulé.<br />

Tombé, comme un plongeur, loin du char magnifique,<br />

Il meurt; <strong>la</strong> vie échappe à son cœur héroïque.<br />

Tu Foutrages, Patrocle ! avec tranquillité :<br />

« Quelle adresse , grands Dieux ! <strong>et</strong> quelle agilité !<br />

Oh ! comme <strong>de</strong> son char il roule <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre !<br />

'Si ce guerrier, du haut d'une barque légère,


CHANT SEIZIÈME. »3i<br />

De <strong>la</strong> sombre tempête affrontant <strong>la</strong> fureur f<br />

Dans les flots poissonneux se j<strong>et</strong>tait sans terreur,<br />

Ses mains ramasseraient assez <strong>de</strong> coquil<strong>la</strong>ges<br />

Pour en nourrir long-temps les peuples <strong>de</strong> ces p<strong>la</strong>ges.<br />

Qu'il est prompt à sauter ! Les Troyens pour vengeurs,<br />

A défaut <strong>de</strong> soldats, ont d'habiles plongeurs. »<br />

Le vainqueur, à ces mots 9 s'é<strong>la</strong>nce avec furie :<br />

Tel un fougueux lion dans une bergerie<br />

Exerce un long ravage, <strong>et</strong> blessé près du f<strong>la</strong>nc 1<br />

A son propre courroux doit un trépas sang<strong>la</strong>nt.<br />

Loin <strong>de</strong> son char -superbe Hector se précipite.<br />

Gomme 9 au faite d'un mont, quand <strong>la</strong> faim les excite,<br />

Deux lions, <strong>de</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>de</strong> meurtre altérés 7<br />

Se disputent d'un cerf les <strong>la</strong>mbeaux déchirés :<br />

Tels ces chefs belliqueux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce <strong>et</strong> <strong>de</strong> Troie,<br />

Brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> s'égorger pour conquérir leur proie f<br />

Penchés <strong>sur</strong> Gébrion, <strong>de</strong> ses membres meurtris<br />

Par les pieds ou <strong>la</strong> tête entraînent les débris,<br />

Tandis que 9 partageant les transports <strong>de</strong> leur rage,<br />

Les Grecs <strong>et</strong> les Troyens s'échauffent au carnage. '<br />

Quand le fougueux Notus, FEurus impétueux f<br />

L'un à l'autre opposant leur vol tumultueux,


%%% L'ILIADE.<br />

S'engoulfrent à grand bruit dans le creux <strong>de</strong>s vallées,<br />

Du hêtre <strong>et</strong> du sapin les cimes ébranlées<br />

Se heurtent ? <strong>et</strong> le choc <strong>de</strong> leurs rameaux épais<br />

Des bois r<strong>et</strong>entissans trouble <strong>la</strong> longue paix:<br />

De chaque peuple ainsi les pha<strong>la</strong>nges pressées<br />

Sous leurs coups mutuels expirent entassées ;<br />

Aucun ne songe à fuir. On voit <strong>de</strong> toutes parts<br />

Auprès <strong>de</strong> Gébrion s'amonceler les dards,<br />

Les javelots ailés <strong>et</strong> les flèches nombreuses<br />

Qu'ont fait voler les arcs sous <strong>de</strong>s mains vigoureuses;<br />

Les roches dont <strong>la</strong> masse accable ces guerriers,<br />

Autour du corps sang<strong>la</strong>nt brisent leurs boucliers ,<br />

Et Gébrion, privé <strong>de</strong> talens <strong>et</strong> d'audace,<br />

Immense, est étendu dans un immense espace.<br />

Tant que <strong>sur</strong> l'horizon l'astre éc<strong>la</strong>tant du jour<br />

N'a point encor rempli <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> son tour,<br />

Les flèches dans les airs sifflent, volent <strong>et</strong> tombent, •<br />

Etsousleurscoups nombreuxles <strong>de</strong>ux peuples succombent;<br />

Mais lorsque le soleil, vers l'Océan penché,<br />

Voit <strong>de</strong> son joug pesant le taureau détaché^<br />

Les Argiens au choc <strong>de</strong>s pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie<br />

Arrachent Gébrion <strong>et</strong> dépouillent leur proie.


CHANT SEIZIÈME. â33<br />

Semb<strong>la</strong>ble à Mars, Patrocle avec <strong>de</strong>s cris affreux<br />

Accable les Troyens en se j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> eux ;<br />

Trois fois <strong>de</strong> neuf guerriers il renverse l'audace.<br />

Il s'é<strong>la</strong>nçait encore... Inutile menace !<br />

Sa <strong>de</strong>rnière heure approche. Apollon à.grands pas,<br />

Terrible, est accouru dans les sang<strong>la</strong>ns combats ;<br />

Entouré d'un nuage , il s'arrête invisible ,<br />

Et lui frappe le dos <strong>de</strong> son bras invincible. _<br />

Un vertige confus <strong>sur</strong> ses yeux se répand ;<br />

Délié par Phébus, le casque , en s f échappant,<br />

Jusqu'aux pieds <strong>de</strong>s chevaux dans l'impure poussière<br />

Roule ; tant que les flots <strong>de</strong> Pépaisse crinière<br />

Du divin Eaci<strong>de</strong> ombragèrent le front ?<br />

D'une chute jamais il ne subit l'affront ;<br />

Aujourd'hui, Jupiter perm<strong>et</strong> que <strong>sur</strong>' sa tête<br />

Hector 1 , près <strong>de</strong> mourir,'en .p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> conquête.<br />

Patrocle a vu pourtant se -briser dans sa main<br />

lia longue <strong>et</strong> forte <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> pointe d'airain ;<br />

Du vaste bouclier <strong>la</strong>issant tomber <strong>la</strong> masse ,<br />

Son dos fléchit ; Phébus enlève sa cuirasse.<br />

Tandis que le héros dont l'esprit s'est troublé ,<br />

Egaré .par l'effroi," <strong>de</strong>" fatigue accablé 9


a34 L'ILIADE.<br />

S'eorréte... Eupfeorbe accourt -; <strong>de</strong>s kimmes <strong>de</strong> son âge<br />

Ce fils <strong>de</strong> Panfhois <strong>sur</strong>passait le courte T<br />

S'il fal<strong>la</strong>it décocher un javelot guerrier f<br />

Ou voler <strong>sur</strong> l'aràne, ou gui<strong>de</strong>r un coursier..<br />

Lorsque 7 taisant Jadis Fessai <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire 7<br />

Pour <strong>la</strong> première foai il marchait à <strong>la</strong> gloire,<br />

Vingt soldats valeureux f renverses <strong>de</strong> leurs chars f<br />

Tombèrent sous ses traits dans les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars.<br />

Euphorbe le premier te porte un coup rapi<strong>de</strong>,<br />

Patrocle ! Sans dompter ton audace intrépi<strong>de</strong> 7<br />

11 r<strong>et</strong>ire sa <strong>la</strong>nce f <strong>et</strong> pâle <strong>de</strong> terreur,<br />

Cache au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule une vaine foreur.<br />

Patrocle <strong>de</strong>sarmé reste encor formidable.<br />

Toutefois ce héros que le <strong>de</strong>stin accable 1<br />

Par ApoHon vaincu 1 par Euphorbe frappé 1<br />

Parmi ses compagnons 7 au trépas échappé1<br />

Fuit : mais Hector le voit ; Hector <strong>sur</strong> lui s'é<strong>la</strong>nce ;<br />

Jusques ait fond du cœur 'il lui plonge sa <strong>la</strong>nce ?<br />

Et dans le sable impur rou<strong>la</strong>nt avec fracas,<br />

Patrocle a consterné tous ses vail<strong>la</strong>ns soldats.<br />

Gomme, au faîte <strong>de</strong>s monte, aux borcbd'nne fontaine,.<br />

JLe théâtre <strong>et</strong> l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur lutte incertaine,


' CHANT SEIZIÈME, a35<br />

Un lion vigoureux , <strong>de</strong> carnage fumut ,<br />

Terrasse un sauver -qui rugit Remuant :<br />

Hector frappe un rival , qur<strong>sur</strong> les rives sombres<br />

D'innombrables Troyens précipita les ombres..<br />

D'une voix orgueiMeuse insultant le héros,<br />

L'ar<strong>de</strong>nt fils <strong>de</strong> Priait <strong>la</strong>isse -échapper ces mot».:<br />

« 0 Patrocle ! 'en -espoir ravageant ma patrie r<br />

Tu pensais nous ôter <strong>la</strong> liberté -chérie ,<br />

Et tu voyais déjà tes vaisseaux ravisseurs<br />

Vers <strong>la</strong> Grèce entraîner nos femmes <strong>et</strong> nos sœurs!'. ...<br />

Insensé ! vois d'Hector le rapi<strong>de</strong> atte<strong>la</strong>ge<br />

Voler, impatient <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> <strong>de</strong> 'Carnage ;<br />

Chef <strong>de</strong>s héros troyens, je leur dois moa secours--,.<br />

Et toi j tu serviras <strong>de</strong> pâture aux vautours.<br />

Malheureux ! l f amitié du courageux Achille<br />

N'offrit à ta valeur qu'un soutien inutile.<br />

Va combattre, a-t-il dit ; <strong>sur</strong>tout ne reviens pas,.<br />

Que l'homici<strong>de</strong> Hector n'ait reçu le trépas ;<br />

Déchire <strong>sur</strong> son cœur sa sang<strong>la</strong>nte tunique.<br />

Ces mots ont égaré ton audace héroïque. »<br />

Patrocle ! tu réponds 7 à peine respirant :<br />

« Eh bien ! trioùphe ! Hector ! tu me vois expirant.


a36 L'ILIADE. '<br />

Apollon, Jupiter, auteurs <strong>de</strong> ta victoire ?<br />

M'arrachent mon armure <strong>et</strong> te donnent <strong>la</strong> gloire.<br />

Vingt guerriers comme toi, s'exposant à mes coups f<br />

Par ma <strong>la</strong>nce domptés, auraient succombé tous...<br />

Fatal à ma valeur, le sort qui m'abandonne ,<br />

M'accable sous Euphorbe <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Latone-;<br />

Hector est seulement mon troisième vainqueur.<br />

Pourtant 7 grave ces mots dans le fond <strong>de</strong> ton cœur :<br />

Tu ne fourniras plus une longue carrière.<br />

L'inflexible Destin 7 <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />

S'avancent... Eaci<strong>de</strong>... » Il parle, <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ses yeux<br />

La sombre mort étend ses voiles odieux ;<br />

Son âme , en déplorant c<strong>et</strong>te mort vengeresse<br />

Qui brise sa vigueur <strong>et</strong> frappe sa jeunesse,<br />

Jusqu'au fond <strong>de</strong>s enfers se précipite. Hector<br />

Parle au Grec expiré pour l'insulter encor :<br />

« Pourquoi me présager un trépas <strong>la</strong>mentable ?•<br />

De <strong>la</strong> belle Thétis ce fils si redoutable, -<br />

C<strong>et</strong> Achille, avant moi 7 vaincu par mes efforts,<br />

Peut-être <strong>de</strong>scendra dans l'empire <strong>de</strong>s morts. »<br />

Hector, fou<strong>la</strong>nt aux pieds <strong>la</strong> victime sang<strong>la</strong>nte,<br />

R<strong>et</strong>ire <strong>de</strong> son fer <strong>la</strong> pointe étince<strong>la</strong>nte^


CHANT SEIZIEME. ^3y<br />

Repousse le cadavre, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce arméf<br />

Poursuit Automédon qui s f enfuit a<strong>la</strong>rmé ;<br />

Ce divin écuyer du fougueux Eaei<strong>de</strong> -<br />

Evite sa fureur 7 grâce à Fessor rapi<strong>de</strong><br />

Des immortels coursiers dont <strong>la</strong> bonté <strong>de</strong>s Dieux<br />

A fait au roi Pelée un présent glorieux.<br />

FIN DU SEIZIEME CHANT.


CHANT DIX-SEFUÈME.


SOMMAIRE DU CHANT DIX-SEPTIEME.<br />

Combat autour du corps <strong>de</strong> Pttrocle.— Euphorbe est tué par Méné<strong>la</strong>s. -<br />

Hector revêt les armes d 9 ÂcMlle. — Méné<strong>la</strong>s envoie Antilocpiê vers<br />

Achille pour lui annoncer <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>'son'ami. — Méné<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Mérion<br />

emportent le cadavre <strong>de</strong> Patrocle.


LILIADE.<br />

CHANT DIX-SEPTIÈME.<br />

La chute <strong>de</strong> Patroclè <strong>et</strong> son cruel trépas<br />

Réchappent point aux jeux du vail<strong>la</strong>nt Méné<strong>la</strong>s;<br />

Eblouissant d'airain, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> lice<br />

Il vole. Gomme on voit <strong>la</strong> p<strong>la</strong>intive génisse<br />

Inquiète f entourer d'un vigi<strong>la</strong>nt secours<br />

Le premier rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> ses jeunes amours :<br />

Tel le blond Méné<strong>la</strong>s impatient s'é<strong>la</strong>nce j<br />

Armé du bouclier, du g<strong>la</strong>ive, <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ,<br />

H présente <strong>la</strong> mort aux Trojens éperdus.<br />

Mais Euphorbe, ce fils du noble Panthous,<br />

Loin d'oublier Patroclè étendu <strong>sur</strong> l'arène,<br />

Accourt vers Méné<strong>la</strong>s, <strong>et</strong> d'une voix hautaine :<br />

â. 16


*4* L'ILIADE.<br />

a Chef <strong>de</strong>s peuples , Atri<strong>de</strong> ! enfant <strong>de</strong> Jupiter,<br />

Cè<strong>de</strong>-moi ce cadavre ou redoute mon fer.<br />

Devant tous les Troyens, ma <strong>la</strong>nce meurtrière<br />

Aux f<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> ce héros s'enfonça <strong>la</strong> première ;<br />

Son armure est mon bien ; jusque dans mon foyer<br />

Laisse-moi remporter mon honneur tout entier,<br />

De peur qu*en te frappant, ma trop juste furie<br />

Ne t'arrache du jour <strong>la</strong> lumière chérie. »<br />

« Jupiter ! tant d'orgueil n'a rien <strong>de</strong> généreux ,<br />

Répond en frémissant le Grec aux blonds cheveux.<br />

Le farouche lion, <strong>la</strong> sauvage panthère,<br />

Le sanglier au cœur bouillonnant <strong>de</strong> colère,<br />

Des fils <strong>de</strong> Panthoîîs, dans leur courroux ar<strong>de</strong>nt,<br />

N'égalent point l'audace <strong>et</strong> l'orgueil impu<strong>de</strong>nt.<br />

Pourtant Hypérénor qui, fier <strong>de</strong> son jeune âge ,<br />

Provoqua ma fureur, insulta mon courage,<br />

Ne consolera plus par son heureux r<strong>et</strong>our<br />

L'épouse elles parens, obj<strong>et</strong>s d'un tendre amour;<br />

C'est moi qui l'ai frappé, moi qu'il nommait sans cesse<br />

Le moins brave héros <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> .<strong>la</strong> 'Grèce. !<br />

Ma force, dé tes jours brisera les liens,<br />

Si tu marches <strong>sur</strong> moi... Mais fuis parmi les tiens;


CHANT DIX-SEPTIEME. ^<br />

Frémis <strong>de</strong> hasar<strong>de</strong>r une attaque importune.<br />

L'insensé seulement s'instruit par l'infortune. »<br />

Euphorbe le méprise : « Orgueilleux Méné<strong>la</strong>s I<br />

Tremble I tu Tas d'un frère expier le trépas.<br />

Dans <strong>la</strong> chambre d'hymen sa veuve solitaire<br />

Gémira ; nos parens pleureront leur misère ;<br />

Maïs le vieux Panthoùs , <strong>la</strong> divine Phrontis<br />

Verraient bientôt ces pleurs séchés ou ralentis ?<br />

Si je venais y chargé d'une illustre conquête 7<br />

Déposer <strong>de</strong>vant eux tes armes <strong>et</strong> ta tété.<br />

Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards ! marchons <strong>et</strong> luttant sans terreur f<br />

Disputons à <strong>la</strong> fois d'audace <strong>et</strong> <strong>de</strong> fureur. »<br />

A ces mots, <strong>de</strong> son trait <strong>la</strong> pointe courroucée<br />

• Sur le rond bouclier se recourbe émoussée.<br />

Méné<strong>la</strong>s, invoquant le père <strong>de</strong>s humains,.<br />

Terrible f armé du fer que ba<strong>la</strong>ncent ses mains f<br />

Poursuit le noble Euphorbe f <strong>et</strong> sa force guerrière<br />

Lui plonge dans le cou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce tout entière.<br />

Ses armes en rou<strong>la</strong>nt ren<strong>de</strong>nt un bruit affreux :<br />

Il tombe ; un sang impur souille ses beaux cheveux^<br />

Dont les boucles, jadis par les Grâces tressées ?<br />

Dans un réseau d'argent se rassemblent pressées.<br />

16.


^44 . L'ILIADE.<br />

Gomme, aux bords d'une source, un superbe olivier,<br />

Solitaire , grandit dans un champ nourricier,<br />

Aux caresses <strong>de</strong>s vents mollement s'abandonne<br />

Et <strong>de</strong> ses b<strong>la</strong>nches fleurs ba<strong>la</strong>nce <strong>la</strong> couronne,<br />

Lorsque Forage accourt <strong>de</strong> ses rameaux flétris<br />

Sur <strong>la</strong> terre en grondant disperser les débris :<br />

Tel dans sa chute Euphorbe exhale un long murmure<br />

Et cè<strong>de</strong> à Méné<strong>la</strong>s sa vie <strong>et</strong> son armure.<br />

Quand f.nourri <strong>sur</strong>les monts, au milieu d'un troupeau,<br />

Un lion, saisissant le plus jeune taureau-.<br />

Brise son cou nerveux <strong>et</strong> d'une <strong>de</strong>nt puissante<br />

Déchire les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> sa chair frémissante,<br />

Tous les bergers, <strong>de</strong> loin, en palissant d'horreur,<br />

Par leurs-cris seulement combattent sa'fureur :<br />

Tel au fond'dcson cœur'nul Troyen n'a l'audace<br />

D'affronter du héros l'insolente menace.<br />

Tandis que Méné<strong>la</strong>s, ivre <strong>de</strong> son succès,<br />

S'enorgueillit, Phébus, sous l'aspect <strong>de</strong> Mentes<br />

Dont les Giconïens ont suivi le courage,<br />

D'Hector, rival <strong>de</strong> Mars, anime ainsi <strong>la</strong> rage :<br />

« Hector ! ne poursuis plus ces chevaux ennemis<br />

Que jamais à leur joug les hommes n'ont soumis ;


CHANT DIX-SEPTIÈME. i^<br />

Achille , rej<strong>et</strong>on d'une mère Immortelle,<br />

Seul a pu maîtriser leur audace rebelle.<br />

Cependant , Méné<strong>la</strong>s, c<strong>et</strong> insolent vainqueur ,<br />

De l'intrépi<strong>de</strong> Euphorbe a dompté-le-grand cœur. ».<br />

A ces 'mots, dans <strong>la</strong> foule Apollon se replonge<br />

Et <strong>la</strong>isse Hector-en proie au chagrin qui le range.<br />

Hector, au loin portant son regard éperdu,<br />

Voit <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre Euphorbe expirer étendu,<br />

Méné<strong>la</strong>s enlever sa glorieuse armure ,<br />

Et tout son sang jaillin par sa <strong>la</strong>rge bles<strong>sur</strong>e ;<br />

Il court aux premiers rangs, étince<strong>la</strong>nt d'aitaiti,<br />

Egale dans son vol <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong> Vulcain, •<br />

Et <strong>de</strong> ses cris aigus frappe le fils d'Atrée<br />

Qui dit en gémissant dans son âme éplorée :<br />

« Malheur, malheur à moi, si je ne venge pa&.<br />

Le héros dont ma gloire a causé le trépas?!<br />

Qui ! moi, trahir. Patrocle <strong>et</strong>-cé<strong>de</strong>r sa dépouille !<br />

Qu'aux yeux <strong>de</strong> tous les Grecs tant d'opprobre me souille!<br />

Mais si j'affronte seul Hector <strong>et</strong> les Tro jens,<br />

Leurs efforts réunis triompheront <strong>de</strong>s miens.;<br />

Ce guerrier au beau casque, Hector qui les exliorte,<br />

Entraîne <strong>sur</strong> ses pas leur nombreuse cohorte.


^46 L'ILIADE.<br />

Pourquoi donc ba<strong>la</strong>ncer? Tout homme audacieux<br />

Qui combat un rival protégé par les' cieuxf<br />

Bravant <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> volonté divine,<br />

Appelé <strong>sur</strong> sa tête une gran<strong>de</strong> ruine.<br />

Les Grecs pardonneront^ si ma crainte s'enfuit<br />

Devant Hector vainqueur par Jupiter conduit.<br />

Que ne puis-je d'Ajax obtenir l'assistance !<br />

Dussions-nous contre un Dieu lutter avec constance^<br />

Nos efforts 7 <strong>de</strong>Patrocle en sauvant les <strong>la</strong>mbeaux ?<br />

Consoleraient Achille <strong>et</strong> vengeraient nos maux. »<br />

Tandis que dans son âme il roule ces pensées.<br />

Des guerriers d'Ilion les pha<strong>la</strong>nges pressées ,<br />

Conduites par Hectorf s'avancent; Méné<strong>la</strong>s<br />

Loin à\i corps dé<strong>la</strong>issé précipite ses pas.<br />

Comme un fougueux lion à <strong>la</strong> crinière épaisse 7<br />

Comprimant dans son cœur sa rage v<strong>et</strong>tgeresse 9<br />

Fuît, quand <strong>de</strong> ses assauts les chiens <strong>et</strong> les bergers<br />

Par leurâ cris <strong>et</strong> leurs dards repoussent les dangers :<br />

Tel le blond Méné<strong>la</strong>s que le regr<strong>et</strong> dévore 7<br />

Contre les ennemis se r<strong>et</strong>ournant encore ?<br />

S'arrête <strong>et</strong> 7 parvenu jusqu'au milieu <strong>de</strong>s rangs,<br />

Portant <strong>de</strong> tous côtés ses regards pénétrans, -


CHANT DIX-SEPTIÈME. *47<br />

Trouve à <strong>la</strong> gauche Ajax qui, parcourant l'armée,<br />

Ras<strong>sur</strong>ait <strong>de</strong>s soldats <strong>la</strong> valeur a<strong>la</strong>rmée ;<br />

Eifrayés par Phébus, ils avaient tous frémi j<br />

Quand Méné<strong>la</strong>s s'approche : « Ajax ! ô mon ami !<br />

Viens, accours sans dé<strong>la</strong>is : en c<strong>et</strong> affreux tumulte,<br />

Epargnons à Patrocle une <strong>de</strong>rnière insulte.<br />

Puisque <strong>de</strong> son armure Hector s'est emparé,<br />

Qu'Achille <strong>de</strong> son corps ne soit plus séparé. »<br />

Ajax, dont ce <strong>la</strong>ngage eniamme <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce ,<br />

Suivi <strong>de</strong>'Méné<strong>la</strong>s, aux premiers rangs s'é<strong>la</strong>nce.<br />

Hector, enorgueilli d'un triomphe certain,<br />

Des armes <strong>de</strong> Patrocle emportant le butin,<br />

A<strong>la</strong>ît trancher sa tête, <strong>et</strong>, pour comble d'injure,<br />

Aux dogues dHion le livrer en pâture 7<br />

Quand l'intrépi<strong>de</strong> Ajax paraît; son bouclier,<br />

Large comme une tour, le couvre tout entier.<br />

Hector frissonne; Hector que <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce inspire ,<br />

Parmi ses compagnons <strong>sur</strong> son char se r<strong>et</strong>ire,<br />

Tandis que les Troyens enlèvent promptement<br />

Ces armes, <strong>de</strong> sa gloire immortel monument.<br />

Ajax, du corps meurtri que le carnage souille f '<br />

Avec son bouclier protège <strong>la</strong> dépouille.


a48 L'ILIADE.<br />

Lorsqu'un lion ar<strong>de</strong>nt pour <strong>la</strong> première fois<br />

Conduit ses nourrissons c<strong>la</strong>ns l'épaisseur <strong>de</strong>s bois f<br />

Si <strong>de</strong> nombreux chasseurs menacent sa famille 7<br />

Dans ses yeux irrités <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme roule <strong>et</strong> brille,<br />

Et, penchés vers le sol, ses immenses sourcils<br />

Couvrent d'un voile épais ses regards obscurcis :<br />

Ainsi frémit Ajax ; dans sa douleur profon<strong>de</strong>,<br />

L'illustre Méné<strong>la</strong>s l'escorte <strong>et</strong> le secon<strong>de</strong>.<br />

Le chef <strong>de</strong>s Lyciens , G<strong>la</strong>ucus au même instant<br />

Lance au fils <strong>de</strong> Priam un regard insultant :<br />

« Hector, lâche en eff<strong>et</strong>, <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt en parole,<br />

Vil fuyard ! tu n'obtins qu'une gloire frivole.<br />

Seul avec tes soldats, comment défendras-tu<br />

La haute cita<strong>de</strong>lle <strong>et</strong> ton peuple abattu,<br />

Puisqu'aucun d'entre nous n'ira, dans les batailles7<br />

Au salut <strong>de</strong>s Troyens vouer ses funérailles?<br />

Ingrat! tu nous trahis... Les combattans obscurs<br />

T'auront-ils pour vengeurs en défendant tes murs,<br />

Quand ton hôte chéri, Sarpédon, <strong>de</strong>vant Troie,<br />

Devient <strong>de</strong>s Grecs vainqueurs <strong>la</strong> conquête <strong>et</strong> <strong>la</strong> proie^.<br />

Et qu'aux chiens dévorans tu <strong>la</strong>isses sans secours<br />

C<strong>et</strong> ami qui sauvait tes remparts <strong>et</strong> tes jours?


CHANT DIX-SEPTIEME;


25o L'ILIADE.<br />

Nourri dans les périls, je ne redoute pas<br />

Lé vain bruit <strong>de</strong>s coursiers, ni le choc <strong>de</strong>s combats ;<br />

Je respecte <strong>de</strong>s Dieux <strong>la</strong> faveur <strong>et</strong> <strong>la</strong> haine,<br />

Soumis à Jupiter dont <strong>la</strong> loi souveraine<br />

Des plus braves héros excite <strong>la</strong> fureur,<br />

Pour semer dans leurs rangs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> terreur,<br />

G<strong>la</strong>ucus ! viens près <strong>de</strong> moi juger si je suis lâche 7<br />

Ou si, fier <strong>de</strong> remplir ma glorieuse tâche,<br />

Je saurai, du vainqueur arrêtant les efforts 1<br />

De Patrocle immolé lui disputer le corps. »<br />

Tourné vers ses soldats, Hector au loin s'écrie :<br />

« Enfans <strong>de</strong> Dardanus, peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lycief<br />

Soyez hommes, amis ! gar<strong>de</strong>z à l'avenir<br />

D'une mâle valeur le noble souvenir.<br />

Moi j je cours revêtir l'armure glorieuse<br />

Qu'à Patrocle enleva ma main victorieuse. »<br />

Des combats meurtriers s'éloignant, à ces mots 7<br />

Dans son rapi<strong>de</strong> é<strong>la</strong>n l'intrépi<strong>de</strong> héros .<br />

Atteint ses compagnons, dont le zèle docile<br />

Vers Pergame emportait <strong>la</strong> dépouille d'Achille.<br />

Libre <strong>de</strong> son armure 7 il <strong>la</strong>isse aux écuyers<br />

Le soin <strong>de</strong> <strong>la</strong> suspendre à ses riches foyers,


CHANT DIX-SEPTIEME. 231<br />

Et revêt c<strong>et</strong> airain, présent cher <strong>et</strong> funeste ,<br />

Que Pelée accepta <strong>de</strong> <strong>la</strong> faveur céleste*<br />

Achille j jeune encor} s'en couvrit, mais hé<strong>la</strong>s!<br />

Sous l'armure d'un père il ne vieillira pas.<br />

Ce spectacle attendrit le roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ,<br />

Qui se dit dans son cœur 7 en agitant sa tête :<br />

« Malheureux ! ta vail<strong>la</strong>nce f incapable d'effroi ,<br />

N'aperçoit pas <strong>la</strong> mort qui marche près <strong>de</strong> toi.<br />

D'un guerrier dont Faspect sème au loin les a<strong>la</strong>rmes,<br />

Pourquoi donc revêtir les immortelles armes?<br />

Heureux d'avoir conquis ce superbe ornement 7<br />

Ton bras vainqueur dépouille ? immole indignement<br />

Son ami ? qui joignait par un noble assemb<strong>la</strong>ge<br />

La douceur <strong>la</strong> plus tendre au plus mâle courage.<br />

Mais je veux que ta mort brille d'un grand éc<strong>la</strong>t,<br />

Puisque ton Andromaque, au r<strong>et</strong>our du combat}<br />

Ne recevra jamais l'éblouissante armure ,<br />

De ce fils <strong>de</strong> Pelée orgueilleuse parure. s» ¥<br />

Sur son trône, à ces mots, le roi du mon<strong>de</strong> assis ><br />

Confirmant son arrêt f fronce <strong>de</strong> noirs sourcils.<br />

Quand l'armure étincelle ? à sa taille adaptée ,<br />

Prompt à remplir Hector d'une audace indomptée*,


a5a L'ILIADE.<br />

En doub<strong>la</strong>nt sa vigueur, au cœur <strong>de</strong> ce guerrier<br />

Mars, le terrible Mars a passé tout entier.<br />

En j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> grands cris7 Hector se précipite j<br />

Des nombreux aHîés parcourt <strong>la</strong> noble élite f<br />

Et, <strong>de</strong>s armes d'Achille au loin resplendissant 1<br />

Gomme Achille lui-même apparaît menaçant;<br />

De toutes parts il vole; il encourage, il nomme<br />

Phorcys? Astéropée <strong>et</strong> le <strong>de</strong>vin Ennome?<br />

Ghromius-9 Disénor, Médonf Hîppothoûs',<br />

Thersiloque , Mesthlâs <strong>et</strong> le noble G<strong>la</strong>ucus.<br />

« Ecoutez 7 alliés , dont les tribus voisines<br />

Entourent d'Ilion les fertiles collines,<br />

Vous ai-je appelés tous du sein <strong>de</strong> vos foyers<br />

Pour <strong>la</strong>nguir, spectateurs <strong>de</strong> nos travaux guerriers?<br />

Non ; je veux que vos mains? <strong>de</strong> notre honneur jalouses^<br />

Préservent du trépas nos fils <strong>et</strong> nos épouses.<br />

Dans c<strong>et</strong> heureux espoir, pour payer vos efforts 7<br />

De mes propres suj<strong>et</strong>s j*épuise les trésors.<br />

Marchez; <strong>et</strong> <strong>de</strong>s combats défiez <strong>la</strong> colère.<br />

Triompher ou périr 7 c'est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />

Si l'un- <strong>de</strong> vous repousse Ajax épouvanté 7<br />

Et traîne dans nos murs ce corps ensang<strong>la</strong>nté.


CHANT DIX-SEPTIÈME. a53<br />

Je daignerai , <strong>la</strong>issant un prix à sa victoire,<br />

Partager avec lui c<strong>et</strong>te armure <strong>et</strong> ma gloire. -»<br />

Tous, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en arrêt, les javelots tendus,<br />

Tournent contre les 'Grecs leurs efforts confondus,<br />

Et chacun d'eux espère en sa crédule joie<br />

Dépossé<strong>de</strong>r Ajax <strong>de</strong> sa sang<strong>la</strong>nte proie.<br />

Les insensés ! son fer <strong>sur</strong> ces pâles <strong>la</strong>mbeaux<br />

De leurs corps palpïtans j<strong>et</strong>tera les monceaux.<br />

Ajax vers Méné<strong>la</strong>s --se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> s'écrie : •<br />

« Ne crois pas <strong>de</strong>s Troyens éviter <strong>la</strong> furie,<br />

Ami ! <strong>la</strong>issons ce corps qui, malgré nous , enfin,<br />

Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours assouvira <strong>la</strong> faim...<br />

Je tremble pour nos jours; comme un sombre nuage,<br />

Hector seul envahit tout le champ du carnage.<br />

Sur nous p<strong>la</strong>ne <strong>la</strong> mort. Que nos chefs toutefois<br />

Accourent réunis aux accens <strong>de</strong> ta voix. »<br />

Méné<strong>la</strong>s obéit : « 0 princes intrépi<strong>de</strong>s! •<br />

Amis, qui, partageant les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s Atrï<strong>de</strong>s,<br />

Savourez le vin pur <strong>de</strong> leurs pompeux festins,<br />

Et <strong>de</strong>-peuples nombreux gouvernez les <strong>de</strong>stins,<br />

Puisque Jupiter seul, dans sa munificence,<br />

Distribue aux mortels <strong>la</strong> gloire <strong>et</strong> <strong>la</strong> puissance,


^54 L'ILIADE.<br />

En vain je chercherais à vous distinguer tous 9<br />

Tant <strong>la</strong> guerre en fureur éc<strong>la</strong>te, autour <strong>de</strong> nous !<br />

Vener; ne souffrez pas qu f aux dogues <strong>de</strong> Pergame<br />

Patrocle soit j<strong>et</strong>é comme un jou<strong>et</strong> infâme. »<br />

L'ar<strong>de</strong>nt fils d'ûïlée accourt, <strong>et</strong> le premier 7<br />

Parmi les bataillons se frayant un sentier 7<br />

Amène Idoménée <strong>et</strong> Mérion semb<strong>la</strong>ble<br />

Au Dieu MarSj <strong>de</strong>s combats arbitre formidable.<br />

De ces nobles héros les nombreux compagnons<br />

S'assemblent. Quel mortel répéterait les noms<br />

De tant d'autres soldats f dont l'audace rivale<br />

Pour rallumer <strong>la</strong> guerre f à F envi se signale ?<br />

Cependant les Troyens <strong>sur</strong> les traces d'Hector<br />

De leurs pas enhardis accélèrent l'essor ;<br />

Leurs confuses c<strong>la</strong>meurs <strong>de</strong> toutes parts <strong>sur</strong>gissent :<br />

Ainsi d'un brpit lointain les rivages mugissent,<br />

Quand <strong>la</strong> vague en'courroux vient <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute mer<br />

Se dresser contre un fleuve 1 issu <strong>de</strong> Jupiter ;<br />

Sur le flot opposé le flot se précipite,<br />

Et le vaste Océan a franchi sa limite.<br />

Pleins d'une égale ar<strong>de</strong>ur, les Grecs an même instant<br />

Près du corps <strong>de</strong> Patrocle ensemble s'arrétant,


CHANT DIX-SEPTIÈME. a55<br />

Serrent leurs boucliers, <strong>et</strong> le roi <strong>de</strong> Forage<br />

Sur leurs casques luisans verse un épais nuage.<br />

Dans <strong>la</strong> peur qu'un héros qu'il a toujours chéri,<br />

Par les chiens d'Ilïon ne soit encor flétri,<br />

Au cœur <strong>de</strong> ses amis ce Dieu se fait entendre,<br />

Et leur inspire à tous l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> le défendre.<br />

Mais les Grecs aux yeux noirs, <strong>la</strong>ssés <strong>de</strong> longs efforts,<br />

Du malheureux Patrocle abandonnent le corps ;<br />

Quel que soit le courroux <strong>de</strong>s vail<strong>la</strong>ns fils <strong>de</strong> Troie f<br />

Sur aucun ennemi leur fer ne se déploie;<br />

Ils saisissent Patrocle <strong>et</strong> <strong>la</strong>issent aux combats<br />

L'impétueux Ajax ramener ses soldats f<br />

Ajax qui, par sa taille, <strong>et</strong> sa force indomptable,<br />

Des Grecs après Achille est le plus redoutable.<br />

Comme le sanglier f <strong>sur</strong> les monts, dans les boisl<br />

Disperse les chasseurs <strong>et</strong> les chiens aux abois 7<br />

Il voit fuir les Troyens? dont l'audace unanime<br />

Croyait vers Bion emporter <strong>la</strong> victime.<br />

Pour accomplir les vœux d'Hector <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens,<br />

En attachant Patrocle avec <strong>de</strong> forts liens,<br />

Un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Léthus? ce prince'<strong>de</strong>s Pe<strong>la</strong>ges,<br />

Hippotlioûs pensait le ravir aux outrages ;


a56 . L ? ILIADE. •<br />

H traînait par les pieds le cadavre ennemi,<br />

Et d'un superbe espoir .tout son cœur a frémi.<br />

Mais, hé<strong>la</strong>s ! c<strong>et</strong> espoir dont son orgueil s'enivre,<br />

Au malheur imprévu sans défense le livre,<br />

Âjax j parmi <strong>la</strong> foule accouru le premier f.<br />

Du grand casque d'airain brise l'épais cimier;<br />

Loin du crâne fendu.<strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte cervelle<br />

•Jaillit ; Hippothoûs dont <strong>la</strong> force chancelle f<br />

Abandonne 'Patrocle, <strong>et</strong> par <strong>la</strong> mort g<strong>la</strong>cé,<br />

Le front <strong>sur</strong> le cadavre, expire terrassé.<br />

Sous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce d'Ajax le sort veut qu'il périsse<br />

Bien loin <strong>de</strong>s champs féconds <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Larisse ;<br />

Il vécut peu <strong>de</strong> jours 3 <strong>et</strong> ses paréos chéris<br />

Jamais <strong>de</strong> leurs doux soins ne recevront le prix.<br />

Hector décoche un trait ; le grand Ajax l'évite,<br />

Et le trait court frapper un <strong>de</strong>s enfans dlphite,<br />

Ce SchédiuSi qui, roi d'un état populeux 7<br />

Habitait dans Panope aux remparts orgueilleux.<br />

Schédius j jeune encorf l'honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Phocï<strong>de</strong>,<br />

Atteint dans le gosier par <strong>la</strong> pointe homici<strong>de</strong> f<br />

Succombe , <strong>et</strong> par'son dos l'airain est ressorti t<br />

Tandis que son armure au loin a r<strong>et</strong>enti.<br />

'


CHANT DIX-SEPTIÈME. *57<br />

Àjax plonge à son tour dans <strong>la</strong> nuit éterneRe<br />

Du corpa d'Hippothoûs le défenseur fidèle ,<br />

Phorcys ? fils <strong>de</strong> Phénops , qui tout à coup^. blessé<br />

Par l'airain ennemi dans son .ventre enfoncé, ••<br />

Rou<strong>la</strong>nt avec fracas f <strong>sur</strong> <strong>la</strong> poudre se traîne *, •<br />

Et presse <strong>de</strong> ses mains une sang<strong>la</strong>nte arène.* '<br />

Hector même recule,' <strong>et</strong> les (Grecs à grands cris<br />

Avec Hippothoiis ont dépouillé Phorcys.<br />

Maïs les Troyens? vaincus par leur propre faiblesse ,<br />

Montaient dans Ilion renfermer leur détresse ,<br />

Et j malgré Jupiter , les Grecs audacieux<br />

Reprenaient <strong>la</strong> victoire <strong>et</strong> triomphaient <strong>de</strong>s cieux 7<br />

Si lui-même ÂpoMon n'eût emprunté l'image<br />

Du héraut Périphas qui , chargé d'un long âge?<br />

Dans le pa<strong>la</strong>is d'Anehisef heureux <strong>de</strong> son emploi,<br />

Signa<strong>la</strong>it son vieux zèle <strong>et</strong> sa constante foi.<br />

« Ne combattrez-vous pas , dit-il , vail<strong>la</strong>nt Enée !<br />

Lorsqu'llion périt malgré <strong>la</strong> Destinée?<br />

J'ai vu jadis, j'ai vu <strong>de</strong>s guerriers valeureux<br />

Triompher, confians en leurs peuples nombreux. 1<br />

Et vous , quand Jupiter vous offre <strong>la</strong> victoire, '<br />

Vous fuyez sans combat <strong>et</strong> succombez sans gloire!»,<br />

a. 17


258 L'ILIADE. •<br />

Enée , en s'avançant , a reconnu les traits<br />

Du Dieu qui fait voler d'inévitables traits :<br />

ic Noble Hector, <strong>et</strong> vous, cheife ! quelle éternelle honte,<br />

Si notre lâch<strong>et</strong>é dans Pergame remonte,<br />

Si tous les Grecs !„, Mais non ; l'arbitre <strong>de</strong>s combats,<br />

Le puissant 'Jupiter arme pour nous son bras ;<br />

Debout à mes côtés, un Dieu vint m'en instruire.<br />

Contre nos ennemis je saurai vous conduire ;<br />

Marchons jusqu'aux vaisseaux : que leurs mains sans efforts<br />

De Patrocle immolé n'entraînent pas le corps. »<br />

Aces mots, sa valeur aux premiers rangs l'emporte,<br />

Et <strong>sur</strong> les Argiens dirige sa cohorte.<br />

Sa <strong>la</strong>nce d'un seul coup plonge dans le trépas<br />

Léocrite, ce fils du puissant-Arisbas.<br />

Un <strong>de</strong> ses compagnons, que <strong>la</strong> douleur irrite,<br />

Lycomè<strong>de</strong> se p<strong>la</strong>ce auprès <strong>de</strong> Léocrite,<br />

Et le trait, décoché par ses adroites mains,<br />

Atteint Apisaon, ce pasteur <strong>de</strong>s humains,<br />

Qui dans <strong>la</strong> Péonie , après Astéropée ,<br />

A vu <strong>de</strong> plus d f exploits sa valeur occupée. .<br />

s A peine te trépas a brisé ses genoux,<br />

Astéropée, ému <strong>de</strong> pitié, <strong>de</strong> courroux,


CHANT DIX-SEPTIÈME. a5g<br />

S'é<strong>la</strong>nce ; maïs les Grecs qu'un même zèle anime ,<br />

Sous leure grands boucliers abritent <strong>la</strong> victime j<br />

Leurs piques en arrêt lui forment un rempart.<br />

L'impétueux Ajax vole <strong>de</strong> toute part ;<br />

Sans fuir ? sans avancer 7 il veut que sa pha<strong>la</strong>nge,<br />

Debout près du héros , le protège <strong>et</strong> le venge.<br />

Bientôt ? par ses avis le soldat secondé,<br />

De <strong>la</strong> pourpre du sang voit le sol inondé.<br />

Grecs, Troyens ? alliés, chaque parti succombe ;<br />

Mais les Grecs moins nombreux <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> tombe ;<br />

Car tous j pour soutenir un combat si cruel,<br />

Se prêtent l'un à l'autre un appui mutuel.<br />

Partout <strong>de</strong> <strong>la</strong> bataille on voit les feux renaître.<br />

La lune <strong>et</strong> le soleil ont semblé disparaître f<br />

Tant les sombres replis d'un nuage profond<br />

Entourent ces guerriers dont l'aspect se confond I<br />

Ailleurs un jour serein , du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s montagnes,<br />

Répand son vif éc<strong>la</strong>t <strong>sur</strong> les vastes campagnes,<br />

Et les Troyeos, les Grecs aux bro<strong>de</strong>quins guerriers,<br />

Se dérobent sans peine à leurs dards meurtriers ;<br />

Ici j dans <strong>la</strong> mêlée, un ténébreux nuage<br />

Des plus vai<strong>la</strong>ns héros redouble le carnage.<br />

*7-


36o L'ILIADE.<br />

Thrasymè<strong>de</strong> , Antiloque, intrépi<strong>de</strong>s soldats f<br />

De Fillustre Patrocle ignorant le trépas ,<br />

Croyaient qu f aux premiers rangs, Patrocle 7 plein <strong>de</strong> vie,<br />

Immo<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> foule poursuivie ;<br />

Loin <strong>de</strong> leurs compagnons y accables par le sort,<br />

Tous les <strong>de</strong>ux détournaient <strong>et</strong> <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort 7<br />

Soumis au vieux Nestor ? qui dirigea leur <strong>la</strong>nce<br />

Du fond <strong>de</strong>s vaisseaux noirs aux-champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />

Jusqu'au déclin du jour, les guerriers hal<strong>et</strong>ans ,<br />

Par <strong>la</strong> lutte épuisés , <strong>de</strong> sueur dégouttans ,<br />

Les pïeds'f les mains, les yeux souillés d'un sang livi<strong>de</strong> ?<br />

Se disputent f ami du fougueux Eaci<strong>de</strong>.<br />

Quand d'un homme opulentles serviteurs nombreux,<br />

En cercle disposés f sous leurs bras vigoureux<br />

Tirent d'un grand taureau <strong>la</strong> dépouille sang<strong>la</strong>nte<br />

Que pénètre à flots purs une huile étince<strong>la</strong>nte,<br />

L'eau s'écoule, <strong>et</strong>, docile à leurs constans efforts f<br />

La peau multipliée étend ses <strong>la</strong>rges bords :<br />

Tels les Grecs , les Troyens, qu'un noble espoir enf<strong>la</strong>mme!<br />

Tantôt vers le rivage <strong>et</strong> tantôt vers Pergame<br />

Dans un étroit espace entraînant ces débris,<br />

Font r<strong>et</strong>entir les airs d'épouvantables cris}


CHANT DIX-SEPTIÈME. »6r<br />

Et Mars, Dieu <strong>de</strong>s combats, Pal<strong>la</strong>s f malgré sa rage f<br />

Ne pourraient accuser leur généreux courage.<br />

Tandis que les guerriers, tandis que les chevaux 1<br />

Livrés par Jupiter à <strong>de</strong> sang<strong>la</strong>ns travaux f<br />

Confon<strong>de</strong>nt leur fureur, Achille sous sa tente '<br />

Espère , hé<strong>la</strong>s ! trompé dans sa crédule attente ,<br />

Que jusqu'aux murs troyens, vivant <strong>et</strong> glorieux f<br />

Patrocle aura tourné ses pas victorieux ;<br />

S'il apprit <strong>de</strong> Thétis, dont <strong>la</strong> bouche indiscrète-<br />

Trahit <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> volonté secrète,<br />

Que f même aidé par lui , son compagnon jamais<br />

Ne pourra d'Ilion renverser les somm<strong>et</strong>s,<br />

H ignore du moins, pour comble <strong>de</strong> misère 1<br />

Que <strong>la</strong> mort doit frapper une tête si chère»<br />

Les <strong>de</strong>ux peuples ? armés du fer étince<strong>la</strong>nt ,<br />

Luttaient avec ar<strong>de</strong>ur autour du corps sang<strong>la</strong>nt.<br />

« Compagnons ! n'allons point par une fuite prompte<br />

Dans nos profonds vaisseaux renfermer notre honte f<br />

S'écriait l'un <strong>de</strong>s Grecs aux cuirasses'd'airain.<br />

Qu'un sol noir, entrouvrant son goulre souterrain^<br />

Nous engloutisse avant que les guerriers <strong>de</strong> Troîfe-<br />

Se couronnant <strong>de</strong> gloire, enlèvent c<strong>et</strong>te proie ! *


26a L'ILIADE.<br />

Les Troyens à leur tour s'écriaient : « Mes amis !<br />

Contre tant <strong>de</strong> périls que nos bras affermis<br />

Résistent, dussions nous f expirant tous ensemble 7<br />

Tomber <strong>sur</strong> ce cadavre où le sort nous rassemble ! '»<br />

Tels les peuples rivaux s'exhortent à Fenvi :<br />

D'un combat furieux ce <strong>la</strong>ngage est suivi,<br />

Et 5 dans l'air infécond répandant les a<strong>la</strong>rmes,<br />

Jusques au ciel d'airain monte le bruit <strong>de</strong>s armes.<br />

Les chevaux d'Eaci<strong>de</strong>, éloignés <strong>de</strong>s combats,<br />

Pleurent , quand <strong>de</strong> Patrocle Es ont su le trépas ;<br />

En vain Automédon en menaces éc<strong>la</strong>te j<br />

En vain son fou<strong>et</strong> les presse, en vain sa voix les f<strong>la</strong>tte ;<br />

Ils ne r<strong>et</strong>ournent plus 1 dans leur chagrin profond,<br />

Vers <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte p<strong>la</strong>ine ou le vaste Hellespont.<br />

Comme on voit s'élever <strong>la</strong> colonne funèbre<br />

Au tombeau d'une femme ou d'un mortel célèbre f<br />

Immobiles , les yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes sillonnés,<br />

A leur char magnifique ils restent enchaînés ;<br />

Leur front penche <strong>et</strong> les flots <strong>de</strong> leur belle crinière<br />

Sur le joug arrondi traînent dans <strong>la</strong> poussière.<br />

Le Dieu, fils <strong>de</strong> Saturne 9 ému <strong>de</strong> leur malheur f<br />

A secoué sa tête en signe <strong>de</strong> douleur ;


CHANT DIX-SEPTIEME. • ^ a63<br />

« Infortunés , ô vous, qui brillerez sans cesse<br />

Affranchis du trépas <strong>et</strong> libres <strong>de</strong> vieillesse ,<br />

Vous ai-je donc remis à <strong>de</strong> mortelles mains,<br />

Pour vous associer aux peines <strong>de</strong>s humains ?<br />

L'homme en lui seul rassemble , hé<strong>la</strong>s ! plus <strong>de</strong> misère<br />

Que tout ce qui respire <strong>et</strong> rampe <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.<br />

Pourtant <strong>sur</strong> votre char je ne souffrirai pas<br />

Que l'orgueilleux Hector ose porter ses pas.<br />

Ne triomphe-t-il point sous les armes d'Achille ?<br />

C'en est assez : je veux que d'un essor agile<br />

Votre vigueur , courant vers les profonds vaisseaux ,-<br />

Arrache Automédon à <strong>de</strong>s périls nouveaux ;<br />

Car les Troyens vainqueurs sèmeront le ravage,<br />

Jusqu'à l'heure où leure pieds toucheront ce rivage,.<br />

Lorsqu'enfin le soleil, désertant l'univers ,<br />

Devant l'ombre sacrée aura fui dans les mers. »-<br />

Les chevaux, animés d'une force indomptable r<br />

En secouant leurs crins qui flottent dans le' sable ,.<br />

Entre les bataillons, sans effort, sans danger,<br />

Ont emporté le char <strong>de</strong>venu plus léger.<br />

Comme un ar<strong>de</strong>nt vautour dans Pair se précipite,<br />

Le triste Automédon qui <strong>de</strong> fureur palpite ,


264 L'ILIADE.<br />

Vole ; aux coups <strong>de</strong>s Troyens s'il échappe aisément,<br />

Il n'en ïmûaole aucun à son ressentiment.<br />

Seul , <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> le char, <strong>de</strong> ses mains incertaines<br />

H ne peut diriger ni les dards ni les rênes.<br />

Le fils <strong>de</strong> Laërcès aperçoit le héros,<br />

Derrière lui s'arrête <strong>et</strong> s'exprime en ces mots :<br />

« Automédon ! quel Dieu dans ton âme insensée<br />

Du parti le plus sage étouffa <strong>la</strong> pensée?<br />

Quoi! seul parmi les Grecs, aux Troyens menaçans<br />

Tu prétends opposer tes efforts impuissans !<br />

Seul !... Ton ami n'est plus ; <strong>la</strong> lutte est inutile.<br />

Hector s'enorgueillit <strong>de</strong> l'armure d'Achille. »<br />

Mais le fils <strong>de</strong> Dïore : ci O sage Alcimédon !<br />

Puisque le sort m'enlève 'un si cher compagnon,<br />

Quel autre mieux que toi <strong>de</strong> ce couple rebelle<br />

Saurait ou réveiller ou ralentir le zèle ?<br />

• Tant qu'il vécut, hé<strong>la</strong>s! Patrocle, égal aux Dieux,<br />

Guida <strong>de</strong> ces coursiers les pas victorieux;<br />

Le Destin l'a vaincu ; <strong>la</strong> mort vient <strong>de</strong> l'abattre...<br />

Prends l'aiguillon <strong>et</strong> moi je m'apprête à combattre. »<br />

Alcimédon, armé du fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant,<br />

A monté <strong>sur</strong> le char d'où son ami <strong>de</strong>scend.


CHANT DIX-SEPTIÈME. *65<br />

Hector abor<strong>de</strong> Énéej il l'exhorte, il l'enf<strong>la</strong>mme :<br />

« 0 sage conseiller <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> Pergame !<br />

Je vois le char d'Achille <strong>et</strong> ses coursiers ar<strong>de</strong>ns<br />

Dirigés par les mains d'éçuyers impru<strong>de</strong>ns.<br />

Marchons ! ils sont à nous ; car <strong>de</strong> notre vail<strong>la</strong>nce<br />

Ces guerriers trembleront d'affronter l'alliance. »<br />

Le noble fils d'Anchise obéit ; tous les <strong>de</strong>ux<br />

Précipitent au. loin leur essor hasar<strong>de</strong>ux ,<br />

Et leurs grands boucliers , munis <strong>de</strong> fortes <strong>la</strong>mes,<br />

Ba<strong>la</strong>ncés <strong>sur</strong> leur dos, j<strong>et</strong>tent d'ar<strong>de</strong>ntes f<strong>la</strong>mmes.<br />

Accourus <strong>sur</strong> leurs pas, Chromïusf Arétus<br />

Espèrent immoler leurs rivaux abattus;<br />

Des superbes coursiers ils rêvent <strong>la</strong> conquête...<br />

Insensés ! <strong>de</strong> Fun d'eux c'est <strong>la</strong> mort qui s'apprête.<br />

Quand il a supplié le souverain <strong>de</strong>s cïeux,<br />

Automédon, rempli d'un zèle audacieux,<br />

S'écrie : s Mcimédon ! en marchant dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine 7<br />

Des coursiers <strong>sur</strong> mon dos je veux sentir l'haleine.<br />

Viens ; <strong>la</strong> fureur d'Hector ne s'apaisera pas ,<br />

S'il ne <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> nous <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le trépas :<br />

Qu'il meure, ou <strong>sur</strong> nos corps que «a rage guerrière<br />

Ravisse ces chevaux à <strong>la</strong> belle crinière. »


a66 L'ILIADE.<br />

Puîs? appe<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s chefs fameux dans les combats :<br />

« 0 vous j puïssans Ajax ? <strong>et</strong> toi, fier Méné<strong>la</strong>s^<br />

Confiez sans terreur aux mains les plus vai<strong>la</strong>ntes<br />

Le soin <strong>de</strong> protéger ces dépouilles sang<strong>la</strong>ntes.<br />

Venez nous secourir f nous qui vivons encor.<br />

Ah ! redoutez l'approche <strong>et</strong> d'Énée <strong>et</strong> d'Hector.<br />

Sur les genoux <strong>de</strong>s Dieux notre avenir repose ;<br />

Je combats : <strong>de</strong> mon sort que Jupiter dispose ! »<br />

Automédon se tait <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />

Ebranle d'Arétusle vaste bouclier,<br />

S'enfonce dans l'airain} traverse <strong>la</strong> cuirasse}<br />

Et jusque dans ses f<strong>la</strong>ncs s'ouvre une <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>ce.<br />

Comme on voit dans les champs un sauvage taureau<br />

Tomber, se relever <strong>et</strong> tomber <strong>de</strong> nouveau,<br />

Lorsqu'un jeune homme j armé <strong>de</strong> <strong>la</strong> hache acérée f<br />

Frappe au milieu du front sa tête séparée :<br />

Tel par l'acier tranchant Arétus traversé<br />

Houle avec un long bruit <strong>et</strong> bondit renversé,<br />

Tandis que? messager <strong>de</strong> promptes funérailles 7<br />

Le dard r<strong>et</strong>entissant tremble dans ses entrailles.<br />

Hector décoche un trait ; Automédon le voit ;<br />

En évitant le coup par un détour adroit,


CHANT DIX-SEPTIÈME. a6y<br />

H s'incline <strong>et</strong> l'airain s'agite dans <strong>la</strong> terre ?<br />

Jusqu'à l'instant où Mars ralentit sa colère.<br />

Déjà , pour se frapper , le g<strong>la</strong>ive armait leurs bras^<br />

Quand les Ajax vers eux accourent à grands pas ,<br />

Et le beau Ghroniiusf le noble Hector, Enée<br />

Ont <strong>la</strong>issé dans le sang <strong>la</strong> victime baignée.<br />

De l'armure ennemie Automédon vainqueur<br />

S'écrie : « Un tel exploit console un peu mon cœur.<br />

Fils <strong>de</strong> Ménétius ! que <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive, sombre<br />

Un ennemi vulgaire apaise au moins ton ombre ! »<br />

Automédon, les pieds <strong>et</strong> les mains dans le sang^<br />

Couvre <strong>de</strong> son butin lé char éblouissant,<br />

Et part comme un lion, qui souillé <strong>de</strong> carnage ?<br />

De <strong>la</strong> chair d'un taureau vient d'assouvir sa rage.<br />

Maïs autour <strong>de</strong> Patrocle un combat désastreux<br />

S'allumait plus ar<strong>de</strong>nt, s'étendait plus affreux.<br />

Car le fils <strong>de</strong> Saturne a changé <strong>de</strong> pensée ;<br />

11 comman<strong>de</strong> : Pal<strong>la</strong>s 9 <strong>de</strong> l'Olympe é<strong>la</strong>ncée,<br />

Excite <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> sa puissante voix<br />

Encourage les Grecs à <strong>de</strong> ' nouveaux exploits.<br />

Comme le roi <strong>de</strong>s airs sous <strong>la</strong> voûte éthérée<br />

Laisse flotter d'Iris l'écliarpe colorée,


*68 L'ILIADE.<br />

Lorsque, g<strong>la</strong>çant <strong>de</strong> crainte <strong>et</strong> bergers <strong>et</strong> troupeaux, '<br />

Des champs du <strong>la</strong>boureur il suspend les travaux ,<br />

Et punit les mortels, en <strong>la</strong>nçant <strong>sur</strong> leurs têtes<br />

Ou <strong>la</strong> guerre homici<strong>de</strong> ou les froi<strong>de</strong>s tempêtes':<br />

Telle, du haut <strong>de</strong>s cieux, l'invincible PaUas<br />

D'un nuage <strong>de</strong> pourpre enveloppe ses pas ,<br />

Et , <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce animant le courage ,<br />

Imite <strong>de</strong> Phénix les traits <strong>et</strong> le <strong>la</strong>ngage :<br />

« Cours près <strong>de</strong> tes soldats} dissipe leur effroi.<br />

Méne<strong>la</strong>s ! quels regr<strong>et</strong>s , quel opprobre pour toi,<br />

Si les chiens dévoraient, sous les murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville ,.<br />

Ce noble compagnon <strong>de</strong> l'intrépi<strong>de</strong> Achille ! »<br />

« 0 vieil<strong>la</strong>rd ! ô Phénix ! réplique Méné<strong>la</strong>s ;<br />

Que Pal<strong>la</strong>s loin <strong>de</strong> moi détourne le trépas ;<br />

Qu'elle embrase mon sein <strong>de</strong> ses f<strong>la</strong>mmes célestes,<br />

Et, d'un guerrier si cher pour défendre les restes,<br />

Je combattrai ; sa mort a déchiré mon cœur.<br />

Mais prompt comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme, Hector toujours vainqueur,<br />

Hector, sans ralentir <strong>la</strong> fureur du carnage,<br />

Vole, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jupiter son triomphe est l'ouvrage. »<br />

Minerve aux yeux d'azur, par ce héros pieux<br />

Fière d'être implorée avant les autres Dieux,


CHANT. DIX-SEPTIÈME. â69<br />

Rend son dos plus nerveux, son genou plus soli<strong>de</strong> ,<br />

Et lui donne l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> c<strong>et</strong> insecte avi<strong>de</strong> ,<br />

Qui toujours repoussé 7 mais toujours menaçant ?<br />

S'acharne contre nous pour boire notre sang.<br />

Méné<strong>la</strong>s, animé d'une force divine,<br />

VersPatrocle accouru, <strong>la</strong>nce une javeline.<br />

Parmi leurs rangs nombreux les peuples d'Ilion<br />

Voyaient combattre un fils du noble Eétion ;<br />

Miche <strong>et</strong> vail<strong>la</strong>nt guerrier, Podèsf ami fidèle,<br />

Qui partageait d'Hector <strong>la</strong> table fraternelle ,<br />

Podès fuit en courant 1 quand le blond Méné<strong>la</strong>s<br />

. Perce son baudrier ; il tombe avec fracas,<br />

Et vers ses compagnons, loin <strong>de</strong>s peuples <strong>de</strong> Troie?<br />

Le fils d'Atrée alors cherche à traîner sa proie.<br />

Un enfant d'Asius^ dans Abydos* nourri,<br />

Phénops j du grand Hector l'hôte le plus chéri ,<br />

Combattait; Apollon, empruntant son visage,<br />

S'approche <strong>et</strong> du Troyen redouble le courage :<br />

« Hector ! quel Grec jamais tremblera <strong>de</strong>vant toi?<br />

Un guerrier sans valeur t'aura g<strong>la</strong>cé d'effroi,<br />

Et tu fuis Méné<strong>la</strong>s dont <strong>la</strong> rage inhumaine *<br />

Immole ton ami, le dépouille <strong>et</strong> l'entraîne !


a7o L'ILIADE.<br />

Podès a succombé. » Sur le front du héros<br />

Un voile <strong>de</strong> douleur se répand à ces mots ;<br />

Etince<strong>la</strong>nt d'airain, il vole <strong>et</strong> son audace f<br />

En guidant ses soldats f franchit un vaste espace»<br />

Alors 7 le roi <strong>de</strong>s cieux5 <strong>de</strong> Plda tout entier<br />

Sous un nuage épais cache le front altier ;<br />

L'éc<strong>la</strong>ir brille : <strong>la</strong> foudre au loin r<strong>et</strong>entissante<br />

Éc<strong>la</strong>te j <strong>et</strong> dans ses mains l'égi<strong>de</strong> éblouissante,<br />

Secouant avec bruit ses terribles liens,<br />

Rend l'épouvante aux Grées, <strong>la</strong> victoire aux Troyens.<br />

Le premier ? un héros, chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> Béotie?<br />

Pénélée à <strong>la</strong> fuite en tremb<strong>la</strong>nt se confie ;<br />

Polydamas l'atteint ; un <strong>de</strong> ses javelots,<br />

En lui frappant Fépaule, a glissé jusqu'à l'os.<br />

Hector blesse à <strong>la</strong> main le généreux Léïte :<br />

Ce fils d'Alectryon que <strong>la</strong> douleur agite,<br />

Rou<strong>la</strong>nt partout ses yeux, se r<strong>et</strong>ire <strong>et</strong> son bras<br />

N'espère plus porter <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s combats.<br />

Comme Far<strong>de</strong>nt Troyen , dans sa rage effrénée f<br />

Le poursuivait encor? le fer d'Idoménée<br />

L'atteint à <strong>la</strong> cuirasse ; il chancelle ; le dard<br />

Se brise f repoussé par ce ferme rempart.


CHANT DIX-SEPTIÈME. 371<br />

Un cri joyeux s'élève ; Hector d'un j<strong>et</strong> Rapi<strong>de</strong><br />

Lance <strong>sur</strong> le Cr<strong>et</strong>ois, une flèche homici<strong>de</strong> ;<br />

L'ami <strong>de</strong> Mérïon qui suivit ce héros<br />

Loin <strong>de</strong>s murs opulens <strong>de</strong> l'heureuse Lectos,<br />

CéranuSj renversé par le trait qui s'égare ,<br />

Périt sans assouvir sa vengeance barbare,<br />

A pied , loin <strong>de</strong>s vaisseaux à <strong>de</strong>ux rangs <strong>de</strong> rameursf<br />

Le Cr<strong>et</strong>ois du combat vint braver les c<strong>la</strong>meurs ;<br />

Pergame à son trépas eût app<strong>la</strong>udi sans doute ;<br />

Mais Céranus 1 vers lui se frayant une route}<br />

Conduit le char léger, prévient son jour fatal,<br />

Et tombe sous les coups d'un terrible rival.<br />

Par <strong>la</strong> pointe d'airain dans sa joue enfoncée<br />

Son oreille est fendue <strong>et</strong> sa <strong>la</strong>ngue percée ;<br />

Ses '<strong>de</strong>nts avec fracas se brisent <strong>et</strong> soudain<br />

Les rênes 1 l'aiguillon s'échappent <strong>de</strong> sa main.<br />

L'agile Mérion se penche <strong>et</strong> les relève :<br />

« Ami ! jusqu'aux vaisseaux que ce char nous enlève.<br />

Tu le vois ; pour les Grecs tout espoir est perdu. »<br />

A ces mots , le Cr<strong>et</strong>ois, <strong>de</strong> terreur éperdu,<br />

Des coursiers qu'embellit leur crinière ondoyante,<br />

Pousse vers les vaisseaux <strong>la</strong> fuite impatiente.


a7» L'ILIADE.<br />

En faveur <strong>de</strong>s Troyens Ajax <strong>et</strong> Méné<strong>la</strong>s<br />

Sentent quel 'bras puissant fait pencher les combats :<br />

« Grands Dieux! s'écrie Ajax , qui pourrait méconnaître<br />

L'arrêt <strong>de</strong> Jupiter 1 notre souverain maître ?<br />

Lâche ou vail<strong>la</strong>nt, toujours le Troyen voit son fer<br />

Parvenir jusqu'au but 9 conduit par Jupiter y<br />

Et nos traits ïmpuissans , nos flèches inutiles,<br />

S'enfonçant dans <strong>la</strong> terre , y restent immobiles.<br />

Mais qu'en notre pouvoir Patrocle soit remis ,<br />

Et par un prompt r<strong>et</strong>our ras<strong>sur</strong>ons nos amis :<br />

Tous frémissent qu'Hector sous ses mains meurtrières<br />

N'immole d'un seul coup nos pha<strong>la</strong>nges entières.<br />

Puisse l'un d'entre nous f rapi<strong>de</strong> messager f<br />

Conter au fils <strong>de</strong>s Dieux notre pressant danger I<br />

Achille du trépas <strong>de</strong> son ami fidèle<br />

Ne reçut pas encor <strong>la</strong> terrible nouvelle.<br />

Personne n'apparaît; <strong>la</strong> nuit à mes regards<br />

Dérobe nos coursiers, nos combattans, nos chars.<br />

Daigne, ô grand Jupiter ! dissiper les ténèbres<br />

Qui couvrent tous les Grecs <strong>de</strong> leurs voiles funèbres,<br />

Et j si notre trépas est fixé sans r<strong>et</strong>our, _ '<br />

Du moins fais-nous périr à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté du jour. »


CHANT DIX-SEPTIÈME.- ' 2y3<br />

Jupiter que ses vœux <strong>et</strong> ses <strong>la</strong>rmes implorent,<br />

Ordonne : <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit les ombres s'évaporent';<br />

Le soleil se rallume, <strong>et</strong> ce champ meurtrier<br />

D'une vive splen<strong>de</strong>ur s'éc<strong>la</strong>ire tout entier.<br />

« Méné<strong>la</strong>s ! dit Àjax ; cours chercher Antiloque ;<br />

S'il <strong>sur</strong>vit aux dangers que sa valeur provoque ,<br />

De son plus cher ami qu'Antiloque à grands pas<br />

Au belliqueux Achille annonce le trépas. »<br />

Méné<strong>la</strong>s obéit <strong>et</strong> s'éloigne , semb<strong>la</strong>ble<br />

Au lion qui dans l'ombre envahit une étable j<br />

Où les chiens, les chasseurs autour <strong>de</strong> leurs troupeaux<br />

Durant <strong>la</strong> nuit entière ont veillé sans repos.<br />

Le monstre hal<strong>et</strong>ant, avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> carnage ,<br />

Consume en longs efforts son impuissante rage ,<br />

Se précipite <strong>et</strong> voit, les torches <strong>et</strong> les dards ,<br />

S'amassant contre lui, voler <strong>de</strong> toutes parts ;<br />

Le jour se lève, il fuit ; le chagrin le dévore<br />

Et, malgré sa- fureur, il s'épouvante encore.<br />

Méné<strong>la</strong>s craint <strong>de</strong> voir tout un peuple tremb<strong>la</strong>nt<br />

Cé<strong>de</strong>r aux ennemis le cadavre sang<strong>la</strong>nt,<br />

ce 0 noble Mérion ! Ajax ! chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce !<br />

Dit-il 5 rappelez-vous ce cœur plein <strong>de</strong> tendresse :<br />

2. 18


a74 L'ILIADE.<br />

Qu'il était généreux, tandis qu'il a vécu !<br />

Maintenant le Destin <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort Font vaincu. »<br />

A ces mots, Méné<strong>la</strong>s se r<strong>et</strong>ire <strong>et</strong> sa vue<br />

Des nombreux bataillons embrasse l'étendue.<br />

Lorsqu'au fond d'un taillis , l'aigle au perçant regard<br />

Voit le lièvre léger qui • se tient à l'écart,<br />

Son vol impétueux librement se déploie ,<br />

Et vainqueur, il saisît,


CHANT DÏX-SEPTIÈME. *75<br />

Et sa tremb<strong>la</strong>nte voix <strong>sur</strong> ses lèvres expire.<br />

Dans sa morne stupeur , mu<strong>et</strong> 7 il se r<strong>et</strong>ire,<br />

Et j docile aux avis <strong>de</strong> M éné<strong>la</strong>s reçus,<br />

Rem<strong>et</strong> sa bêle armure au fier Laodocus ,<br />

Qui près <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>bout, en maniant les gui<strong>de</strong>s,<br />

Dirigeait les chevaux munis d'ongles soli<strong>de</strong>s.<br />

Tel Antiloque en pleurs 7 loin du champ <strong>de</strong>s combats y<br />

Sinistre messager , précipite ses pas.<br />

Pour gui<strong>de</strong>r les soldats qu f Antiloque abandonne,<br />

Thrasymè<strong>de</strong> est le chef que Méné<strong>la</strong>s leur donne ;<br />

Ce roi, leur refusant son tuté<strong>la</strong>ïre appui ,<br />

Défenseur <strong>de</strong> Patrocle, accourt auprès <strong>de</strong> lui.<br />

D. rejoint les Ajax : « Vers <strong>la</strong> flotte d'Achille<br />

Antiloque f à ma voix , marche d'un pas docile ;<br />

Mais Àdhille', malgré sa fureur contre Hector,<br />

Viendra-t-il nous défendre <strong>et</strong> nous venger encor ?<br />

H ne-combattra point, puisqu'il n'a plus ses armes.<br />

Wespérons qu'en nous seuls, <strong>et</strong> bravant les a<strong>la</strong>rmes ,<br />

Songeons par quels moyens nos généreux efforts<br />

De Patrocle expiré pourront sauver le corps,<br />

Et j trompant <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> fureur obstinée,<br />

Lutter contre <strong>la</strong> mort <strong>et</strong> fuir <strong>la</strong> Destinée. »<br />

18.


â7Ô L'ILIADE.<br />

« O Méné<strong>la</strong>s^ ! reprend le fils <strong>de</strong> Te<strong>la</strong>mon ;<br />

Ton <strong>la</strong>ngage est toujours dicté par <strong>la</strong> raison.<br />

Vole avec Mérion à ces combats funestes<br />

Arracher d'un héros les déplorables restes ,<br />

Tandis qu'à vos côtés, <strong>de</strong>s Troyens <strong>et</strong> d'Hector<br />

Tous <strong>de</strong>ux mon frère <strong>et</strong> moi nous détournons l'essor.<br />

Du même nom parés, fiers du même courage,<br />

Ensemble du Dieu Mars nous affrontons <strong>la</strong> rage. » »<br />

A peine les <strong>de</strong>ux chefs dans leurs bras vigoureux<br />

Ont enlevé du corps le far<strong>de</strong>au douloureux,<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens, en sa fureur subite,<br />

Avec <strong>de</strong>s cris confus au loin se précipite.<br />

Quand <strong>de</strong>s limiers ar<strong>de</strong>ns les efforts agresseurs<br />

Pressent un sanglier atteint par les chasseurs,<br />

Tous, altérés <strong>de</strong> sangf tous, b<strong>la</strong>ncliissans d'écume r<br />

Volent; mais le vaincu dont l'ar<strong>de</strong>ur se rallume,<br />

, Terrible, se r<strong>et</strong>ourne, <strong>et</strong> <strong>la</strong> meute aux abois<br />

Se, disperse en fuyant dans l'épaisseur- <strong>de</strong>s bois :<br />

Telle, agitant le g<strong>la</strong>ive <strong>et</strong> <strong>la</strong> piquç acérée,<br />

S'é<strong>la</strong>nçait <strong>de</strong>s Troyens <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge serrée j<br />

Mais lorsque <strong>de</strong>s Ajax l'immobile valeur<br />

Résiste, leur visage a changé <strong>de</strong> couleur,


CHANT, DIX-SEPTIÈME. 277<br />

Et pas un n'ose alors au couple qui s'arrête<br />

Disputer plus long-temps sa sang<strong>la</strong>nte conquête.<br />

Lorsque les <strong>de</strong>ux guerriers vers les profonds vaisseaux<br />

Marchent ^ <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime emportant les <strong>la</strong>mbeaux 7<br />

Le combat 7 prolongé jusqu'au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />

Plus furieux encorf s'étend <strong>et</strong> se déchaîne :<br />

Ainsi j dans les remparts d'une vaste cité,<br />

Ec<strong>la</strong>te un feu soudain par les vents excité ;<br />

Chaque maison s'écroule, <strong>et</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme hardie<br />

De débris en débris disperse l'incendie.<br />

Les fougueux combattans, les chars impétueux<br />

Confon<strong>de</strong>nt à grand bruit leur choc tumultueux.<br />

Comme <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mul<strong>et</strong>s le couple infatigable<br />

Que baigne <strong>la</strong> sueur , que <strong>la</strong> chaleur accable ,<br />

Dans un âpre sentier traîne loin d'un coteau<br />

La poutre d'un pa<strong>la</strong>is ou le mât d'un vaisseau :<br />

Mérion , Méné<strong>la</strong>s, dans leurs mains en<strong>la</strong>cées 7<br />

Emportent d'un ami les dépouilles g<strong>la</strong>cées. '<br />

Telle, pour ralentir dans les champs inondés<br />

Les rapi<strong>de</strong>s courans <strong>de</strong>s fleuves débordés,<br />

Une haute colline oppose à leur menace<br />

De ses arbres touffus l'irrésistible masse,


a78 L'ILIADE..<br />

Et, refou<strong>la</strong>nt au loin leurs liqui<strong>de</strong>s monceaux,<br />

S'oppose inébran<strong>la</strong>ble au choc bruyant <strong>de</strong>s eaux :<br />

Ainsi <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Ajax <strong>la</strong> valeur aguerrie<br />

Derrière eux <strong>de</strong>s Troyens comprime'<strong>la</strong> furie.<br />

Pourtant le fils d'Anchise <strong>et</strong> Fintrëpi<strong>de</strong> Hector,<br />

Acharnés <strong>sur</strong> les Grecs, les poursuivent encor ;<br />

Parmi tous les héros ils signalent leur rage..<br />

Gomme le geai timi<strong>de</strong> <strong>et</strong> Fétourneau sauvage<br />

S'envolent j en criant, à Faspect du vautour 7<br />

Ce vorace ennemi <strong>de</strong>s oiseaux d'alentour :<br />

Telles, <strong>de</strong> leurs c<strong>la</strong>meurs épouvantant ces rives ?<br />

Des fils <strong>de</strong> Danaûs les pha<strong>la</strong>nges craintives<br />

Devant les <strong>de</strong>ux Troyens précipitent leurs pas ,<br />

S'éloignent en désordre <strong>et</strong> cè<strong>de</strong>nt sans combats*<br />

Le fossé se remplit <strong>de</strong> leurs superbes armes,<br />

Et <strong>la</strong> guerre jamais n'interrompt ses a<strong>la</strong>rmes.<br />

FIN DU DIX-SEPTIEME CHANT.


CHANT DIX-HUITIÈME.


. SOMMAIRE DU CHANT DIX-HUITIEME.<br />

Achille apprend <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Patrocle j son désespoir. — Thétis cherche<br />

à le consoler; <strong>et</strong> lui défend <strong>de</strong> combattre jpsqu'à ce qu'elle lui<br />

apporte <strong>de</strong>s armes. — Achille désarmé m<strong>et</strong> les TYoyens en fuite. —<br />

Conseil <strong>de</strong>s Troyens. — Discours <strong>de</strong> Polydamas <strong>et</strong> d'Hector. —<br />

Achille rend les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>¥oirs à Patrocle. — Thétis <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

Vulcain «ne armure pour son fils. — Description du bouclier <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />

armes 4*Achille.


L'ILIADE.<br />

CHANT DIX-HUITIÈME.<br />

Les peuples combattaient comme un feu dévorant ,<br />

Quand, messager rapi<strong>de</strong>, Antiloque en pleurant<br />

Accourt jusqu'à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce aux vaisseaux réservée ,<br />

Où seul f <strong>de</strong>vant sa flotte à <strong>la</strong> poupe élevée,<br />

Méditant du Destin les décr<strong>et</strong>s rigoureux ,<br />

Achille gémissait dans son cœur généreux :<br />

<strong>et</strong> O douleur ! pourquoi donc, en leur fuite soudaine,<br />

Les Grecs aux longs cheveux désertent-ils <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ?<br />

Puissé-je j ô justes Dieux ! voir enfin démentis<br />

Les présages cruel* révélés par Thétis !<br />

Sous le g<strong>la</strong>ive troyçn, lorsque je vis encore ><br />

Le plus brave guerrier dont mon pays s'honore,


a8â L'ILIADE.<br />

Fermera-t-il ses yeux à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté du jour ?<br />

Sans doute il est plongé dans l'infernal séjour.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! je l'exhortais à repousser <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />

Mais sans combattre Hector f sans marcher <strong>sur</strong> Pergame.<br />

Tandis que dans le fond <strong>de</strong> son cœur incertain<br />

Achille roule encor les arrêts 'du Destin,<br />

Le fils du vieux Nestor, s'approchant tout en <strong>la</strong>rmes,<br />

Par ce cruel récit confirme ses a<strong>la</strong>rmes :<br />

s Digne enfant <strong>de</strong> Pelée ! ô ciel ! malheur à moi !<br />

Je t'apporte un message <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> d'effroi.<br />

Les Dieux ne <strong>de</strong>y aient pas t'accabler <strong>de</strong> leur haine.<br />

Infortuné ! Patrocle est couché <strong>sur</strong> l'arène ;<br />

Du sang <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis son cadavre est souillé 7<br />

Et <strong>de</strong> sa riche armure Hector l'a dépouillé. »<br />

Antiloque se tait : un ténébreux nuage<br />

D'Achille pâlissant obscurcit le visage.<br />

De rage <strong>et</strong> <strong>de</strong> douleur à <strong>la</strong> fois transporté,<br />

Il déchire ce front, siège <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté ;<br />

Dans un sable brû<strong>la</strong>nt, dans une cendre épaisse ,<br />

De sa longue tunique il traîne <strong>la</strong> richesse f<br />

Arrache ses cheveux, <strong>et</strong>, consumé d'efforts 5<br />

Sur l'ari<strong>de</strong> poussière étend son vaste cofps.


CHANT DIX-HUITIEME, a83<br />

Bientôt, frappant les airs <strong>de</strong> leurs e<strong>la</strong>meurs pkinti vesf<br />

D'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Patrocle accourent les captives ;<br />

Leur bras désespéré meurtrit leurs cœurs sang<strong>la</strong>ns, •<br />

Et le sol voit fléchir leurs membres chance<strong>la</strong>ns.<br />

Les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs, Antiloque immobile<br />

Gémit, <strong>et</strong> dans ses mains r<strong>et</strong>ient les mains d'Achille,<br />

De crainte qu'égaré par un fatal transport,<br />

Ce héros à son fer ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort.<br />

Dans le gouffre où 7 <strong>de</strong>s mers Déesse vénérée}<br />

Thétis <strong>de</strong>meure assise auprès du vieux Nérée 7<br />

Aux douloureux sanglots <strong>de</strong> son fils éperdu<br />

Par <strong>de</strong>s gémissemens son cœur a répondu.<br />

A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thétis, dans ces pa<strong>la</strong>is humi<strong>de</strong>s<br />

S'assemblent à Fenvi les jeunes Néréi<strong>de</strong>s,<br />

G<strong>la</strong>ucé, Gallianire, Amphinome , Doris 7<br />

Halie au regard fier 7 Mélite au doux souris ,<br />

Apséu<strong>de</strong>, Proto 9 l'illustre Ga<strong>la</strong>tée ,<br />

<strong>la</strong>nasse} Orithye <strong>et</strong> <strong>la</strong> belle Amathée,<br />

Doto j Cymodocée} Agave 7 Amphithoè 7<br />

Némerte , Maïra, Spéïo, Cymothoè*,<br />

Jaïre avec Phéruse, Actée <strong>et</strong> Dynamène ,<br />

La légère Thalie <strong>et</strong> <strong>la</strong> tendre Glymène ,


284 L'ILIADE.<br />

Panope, Limnorie <strong>et</strong> mille autres encor<br />

Qui, <strong>de</strong> leur sein d'ivoire offensant le trésor 7<br />

De <strong>la</strong> grotte argentée envahissent l'enceinte ,<br />

Quand Thétis en ces mots <strong>la</strong>isse échapper sa p<strong>la</strong>inte :<br />

« Néréi<strong>de</strong>s ! silence ! apprenez quels malheurs<br />

De mon cœur déchiré nourrissent les douleurs.<br />

Déesse infortunée <strong>et</strong> déplorable mère,<br />

Sur moi le Sort jaloux fait peser sa colère.<br />

Au plus vail<strong>la</strong>nt héros j'avais donné le jour ;<br />

Entourant son enfance <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins <strong>et</strong> d'amour,<br />

Gomme une belle p<strong>la</strong>nte', honneur d'un sol fertile ,<br />

Joyeuse, je voyais s'élever mon Achille.<br />

C'est moi qui l'envoyai <strong>sur</strong> ses profonds vaisseaux<br />

De <strong>la</strong> guerre aux Troyens apporter les fléaux ;<br />

Mais il ne viendra plus sous le toit <strong>de</strong> Pelée<br />

Charmer par son r<strong>et</strong>our sa mère inconsolée.<br />

Dieux ! tandis qu'il respire <strong>et</strong> tandis que ses yeux<br />

Contemplent du soleil le f<strong>la</strong>mbeau radieux,<br />

La tristesse l'accable, <strong>et</strong> je ne puis encore<br />

Sou<strong>la</strong>ger ces chagrins que ma tendresse ignore.<br />

Allons ! ce fils chéri, je veux enfin le voir ;<br />

J'apprendrai quel suj<strong>et</strong> cause son désespoir. »


CHANT DIX-HUITIÈME. 285<br />

Aussitôt7 dé<strong>la</strong>issant sa grotte r<strong>et</strong>irée 7<br />

De ses nymphes en pleurs <strong>la</strong> Déesse entourée<br />

Part. Du vaste Océan les flots respectueux<br />

Suspen<strong>de</strong>nt 7 à sa voix 7 leur cours impétueux7<br />

S'ouvrent 7 <strong>et</strong> lui cédant un facile passage 7<br />

La transportent sans bruit vers <strong>la</strong> fécon<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ge<br />

Où tous les Myrmîdons7 oisifs au bord <strong>de</strong>s eaux 7<br />

Près <strong>de</strong>s vaisseaux d'Achille ont p<strong>la</strong>cé leurs vaisseaux.<br />

Vers son fils gémissant eUe vole <strong>et</strong> s'arrêle 7<br />

Mollement <strong>de</strong> ses bras environne sa tête 7<br />

Le regar<strong>de</strong> 7 soupire 7 <strong>et</strong> 7 parmi les sanglots 7<br />

D'une tremb<strong>la</strong>nte voix <strong>la</strong>isse tomber ces mots : •<br />

« Mon fils ! pourquoi pleurer ? quel chagrin te consume ?<br />

Ne puis-je en adoucir <strong>la</strong> cruelle amertume ?<br />

Parle : au fond <strong>de</strong> mon âme épanche tes aveux.<br />

Tu le sais ; Jupiter réalisa tes vœux ^<br />

Quand 7 les bras élevés f pour venger ton offense 7<br />

Naguère tu priais que le Grec sans défense 7<br />

Privé <strong>de</strong> ton appui 7 jusqu'aux mers repoussé 7<br />

Expirât sous les traits <strong>de</strong> ce Dieu courroucé. »<br />

Achille aux pieds légers 7 dans sa douleur amère7<br />

Répond çn soupirant : « O mon auguste mère I


a86 L'ILIADE.<br />

Si le roi <strong>de</strong> l'Olympe exauça mes souhaits y<br />

A quel prix je payai ses perfi<strong>de</strong>s bienfaits I<br />

Ce héros dont toujours je cherchai, l'assistance,<br />

Ce compagnon , pour moi cher comme Fexistence ?<br />

Mon plus fidèle ami, Patrocïe enfin est mort.<br />

C'était peu d'envoyer son âme au sombre bord :<br />

Hector s'est emparé <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te riche armure<br />

Dont Pelée a reçu <strong>la</strong> divine parure ,<br />

Le jour? le jour funeste où les Dieux ont permis<br />

Qu'au lit d'une Déesse un mortel fut admis.<br />

Plût au ciel que, <strong>de</strong>s flots tranquille souveraine 7<br />

Tu n'eusses pas formé c<strong>et</strong>te fatale chaîne !<br />

Quelle source éternelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil !<br />

Ta douleur va bientôt gémir <strong>sur</strong> mon cercueil.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! par mon r<strong>et</strong>our les foyers <strong>de</strong> mon père<br />

Ne me reverront pas consoler ta misère.<br />

Au nombre <strong>de</strong>s humains si je <strong>de</strong>meure encor,<br />

C'est pour venger Pàtrocle en immo<strong>la</strong>nt Hector, »<br />

La Déesse répond , les yeux baignés <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes :<br />

« Tu sais trop le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mes vives a<strong>la</strong>rmes j<br />

Mon fils ! si tu combats, ton trépas est certain j<br />

Suivre Hector au cercueil 7 tel sera ton <strong>de</strong>stin. »


CHANT DIX-HUITIÈME. 287<br />

« Eh bien ! mourons, reprend Achille au piedrapi<strong>de</strong>^<br />

Mourons, puisqu'il n'est plus, ce héros intrépi<strong>de</strong>,<br />

Qui j loin <strong>de</strong> son pays frappé dans les combats,<br />

A sans doute imploré le secours <strong>de</strong> mon bras.<br />

3e ne rentrerai pas dans ma douce patrie ;<br />

Car je n f ai pu d'Hector enchaîner <strong>la</strong> furie,<br />

Et j'ai <strong>la</strong>issé Patrocle avec mile guerriers<br />

Tomber impunément sous ses coups meurtriers.<br />

Assis près <strong>de</strong> ma flotte, en mon camp solitaire,<br />

Trop long-temps f ai <strong>la</strong>ngui, vain far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

Moi qui seul, <strong>de</strong>s combats arbitre souverain,<br />

Éclipsais tous les Grecs aux cuirasses d 5 airaïn ;<br />

Dansle sein <strong>de</strong>s Conseils d'autres chefs me <strong>sur</strong>passent,<br />

Mais a n'est pas d'exploits que mes exploits n'effacent.<br />

Ah ! parmi les humains, parmi les immortels ,<br />

Périssent <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> ses feux criminels !<br />

Périsse <strong>la</strong> colère I En vain au cœur du sage,<br />

Plus douce que le miel, sa voix s'ouvre un passage ;<br />

Son <strong>la</strong>ngage bientôt distille le poison,<br />

Et ses noires vapeurs corrompent <strong>la</strong> raison.<br />

Ainsi, le roi <strong>de</strong>s Grecs, Atrï<strong>de</strong> a dans mon âme<br />

Allumé du courroux l'impétueuse f<strong>la</strong>mme.


288 L'ILIADE.<br />

Plus <strong>de</strong> ressentiment ! qu'en un profond oubli<br />

Le passé désormais <strong>de</strong>meure enseveli.<br />

Je cherche l'ennemi dont le bras sanguinaire<br />

Ravit à ma tendresse une tête si chère,<br />

Hector. Soumis aux Dieux, je ne me p<strong>la</strong>indrai pas f<br />

Lorsque viendra le jour marqué pour mon trépas.<br />

L'ami <strong>de</strong> Jupiter} le généreux Alci<strong>de</strong><br />

N'a pu se dérober à <strong>la</strong> Parque homici<strong>de</strong> ;<br />

La haine <strong>de</strong> Junon <strong>et</strong> les arrêts du sort<br />

L'ont vaincu ; je suis prêt à recevoir <strong>la</strong> mort ;<br />

Mais je veux me couvrir d'une <strong>de</strong>rnière gloire.<br />

Chaque belle Troyenne, abhorrant ma victoire,<br />

Meurtrira son visage, <strong>et</strong> y vouée aux douleurs ?<br />

Lèvera ses <strong>de</strong>ux mains pour ésâuyer ses pleurs ;<br />

Le cœur gros <strong>de</strong> soupirs, toutes vont reconnaître<br />

Que long-temps aux combats je cessai <strong>de</strong> paraître.<br />

Loin <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Mars ne crois pas m'enchaîner ;<br />

Tonamour^ quel qu'il sôit, ne p<strong>et</strong>it m'en détourner. »<br />

Thétis aux pieds- d'argent en ces mots* lui réplique :<br />

« Oui, j'approuve 1 ô mon fils 1 ce transport héroïque ;<br />

Venger <strong>et</strong> secourir ses amis malheureux f<br />

C'est le <strong>de</strong>voir sacré d'un guerrier généreux.


CHANT DIX-HUITIÈME. *89<br />

Maïs Hector, éta<strong>la</strong>nt sa conquête nouvelle,<br />

Triomphe , <strong>et</strong> <strong>sur</strong> son dos ton armure étincelle ;<br />

L'insensé paîra cher c<strong>et</strong> orgueil d'un moment,<br />

Et le trépas vers lui marche rapi<strong>de</strong>ment*<br />

Avant <strong>de</strong> t'exposer aux hasards <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre 1<br />

Attends encore ici le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> ta mère ;<br />

Car j au soleil levant, tu recevras <strong>de</strong>main<br />

Une éc<strong>la</strong>tante armure ? œuvre du roi Vulcain. »<br />

En achevant ces mots 7 Fimmortelle Déesse 7<br />

S'éloignant <strong>de</strong> son fils f à ses nymphes s'adresse :<br />

« Omes sœurs ! plongez vous dans le gouffre <strong>de</strong>s merS|<br />

Et r<strong>et</strong>rouvant Nérée en ses pa<strong>la</strong>is déserts 7<br />

Contez-lui mes douleurs. Sous <strong>la</strong> céleste voûte 7<br />

Vers l'habile Vulcain me frayant une route,<br />

Je cours solliciter <strong>de</strong> son art comp<strong>la</strong>isant<br />

Des armes <strong>de</strong> mon fils le glorieux présent. »<br />

Elle dit : à sa voix , les belles Néréi<strong>de</strong>s<br />

Se replongent au fond <strong>de</strong> leurs grottes humi<strong>de</strong>s f<br />

Et 7 pour en rapporter un trésor précieux 7<br />

Thétis aux pieds d'argent s'élève jusqu'aux cieux.<br />

La flotte <strong>et</strong> FHeUespont vers les rives tremb<strong>la</strong>ntes<br />

Ont vu s'enfuir les Grecs aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes ;<br />

a. *i9


29o L'ILIADE.<br />

Par Fliomici<strong>de</strong> Hector poursuivis, accablés ,<br />

Tous ébranlent les airs <strong>de</strong> leurs cris redoublés.<br />

Leur valeur 7 <strong>de</strong> Patrocle embrassant <strong>la</strong> défense 1<br />

En vain <strong>de</strong>s traits nombreux croit détourner Poffense ;<br />

Sous le poids <strong>de</strong>s coursiers, sous <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s chars<br />

Le cadavre sang<strong>la</strong>nt roule <strong>de</strong> toutes parts ;<br />

Trois fois l'illustre Hector 7 ar<strong>de</strong>nt comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ,<br />

L'entraîne , en excitant les peuples <strong>de</strong> Pergame ,<br />

Et tous <strong>de</strong>ux revêtus d'un courage indompté ,<br />

Les Ajax triomphans Font trois fois écarté.<br />

flector, qui se confie en sa mâle vail<strong>la</strong>nce,<br />

S'arrête 7 ou dans <strong>la</strong> foule impatient s'é<strong>la</strong>nce ;<br />

Sans jamais reculer ? il <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>bout,<br />

Et ses cris furieux r<strong>et</strong>entissent partout.<br />

Tel j bravant les pasteurs 7 dans son avi<strong>de</strong> joie 7<br />

Un lion affamé ne lâche pas sa proie :<br />

Ainsi dans son courroux le Trojen affermi<br />

S'acharne obstinément <strong>sur</strong> son pâle ennemi.<br />

Peut-être <strong>de</strong> Patrocle il se fût rendu maître ;<br />

Un éternel honneur l'eût couronné peut-être 7<br />

Si j trompant Jupiter <strong>et</strong> tous les autres Dieux 7<br />

A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Junon 7 <strong>la</strong> courrière <strong>de</strong>s cieux 7


CHANT DIX-HUITIÈME.. *gi<br />

Iris n'eût <strong>de</strong> ses pas porté l'essor agile<br />

Des hautçurs <strong>de</strong> l'Olympe aux navires d'Achille.<br />

« Debout , fils <strong>de</strong> Pelée , invincible héros !<br />

Viens délivrer Patrocle ; à l'aspect <strong>de</strong>s vaisseaux ,<br />

Deux peuples, pour lui seul rallumant les batailles,<br />

L'un <strong>sur</strong> l'autre à l'envi <strong>la</strong>ncent les funérailles.<br />

Tous les Troyens voudraient par leurs efforts constans<br />

L'entraîner dans Pergame exposée aux autans ;<br />

L'illustre Hector, jaloux d'une horrible conquête, •<br />

Loin du cou délicat va séparer <strong>la</strong> tête ;<br />

A quelque vil poteau ses mains <strong>la</strong> suspendront...<br />

Lève-toi donc ! agis <strong>et</strong> préviens c<strong>et</strong> affront.<br />

Quel opprobre pour toi dans <strong>la</strong> race future,<br />

Si <strong>de</strong>s chiens dHion ce corps est <strong>la</strong> pâture ! »<br />

Achille l'interrompt : « Parle, ô divine Iris !_<br />

Quel Dieu t'a fait quitter les célestes <strong>la</strong>mbris ? »<br />

Iris reprend : « Junon <strong>de</strong>s ombres du mystère<br />

Entourant avec art mon départ solitaire ,<br />

A trompé son époux <strong>et</strong> ces Dieux immortels,<br />

De l'Olympe neigeux habitans éternels. »<br />

« Eh ! comment <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre affronter les.a<strong>la</strong>rmes?<br />

S'écrie alors Achille ; ils possè<strong>de</strong>nt mes armes.<br />

l 9-


292 L'ILIADE.<br />

Une mère adorée ici r<strong>et</strong>ient mes pas 1<br />

Et jusqu'à son r<strong>et</strong>our m'interdit les combats ;<br />

Des pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Vulcain avant que sous ma tente<br />

Tliétis m'ait apporté mon armure éc<strong>la</strong>tante f<br />

Quel ami me pourrait cé<strong>de</strong>r son bouclier ?<br />

Le grand Ajax lui seul ; mais ce hardi guerrier<br />

Pour Patrocle, j'espère ? illustre son courage,<br />

Et sème aux premiers rangs <strong>la</strong> fuite <strong>et</strong> le carnage. »<br />

« Nous savons, dit <strong>la</strong> nymphe aux pieds aériens 7<br />

Que ta divine armure enrichit les Troyens.<br />

Mais viens jusqu'au fossé ; parais : que ta vail<strong>la</strong>nce<br />

Réprime <strong>de</strong>s vainqueurs <strong>la</strong> superbe insolence ;<br />

Tous fuiront éperdus 7 <strong>et</strong> les Grecs satisfaits<br />

D'un instant <strong>de</strong> repos goûteront les bienfaits. »<br />

Dès qu'il voit s'échapper Iris au vol rapi<strong>de</strong> f<br />

H se lève ; PaHas le couvre <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong>,<br />

Et d'un nuage d'or son front environné<br />

De feux inattendus resplendit couronné.<br />

Souvent, <strong>de</strong>s bords lointains d'une île étince<strong>la</strong>nte 7<br />

Monte jusques aux cieux <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme vigi<strong>la</strong>nte ;<br />

Le jour 9 les habitans, sortis <strong>de</strong> leurs remparts ?<br />

Volent, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s combats provoquent les hasards.


CHANT DIX-HUITIÈME. 293<br />

Mais lorsque le soleil termine sa carrière ,<br />

De leurs nombreux signaux <strong>la</strong> nocturne lumière<br />

Ec<strong>la</strong>te 1 dans l'espoir qu'ils verront <strong>sur</strong> les eaux<br />

Des alliés voisins accourir les vaisseaux :<br />

Ainsi <strong>de</strong> mille feux étincelle sa télé.<br />

Sur les bords du fossé son courage s'arrête ;<br />

Aux ordres maternels avec respect soumis f<br />

H ne se j<strong>et</strong>te pas dans les rangs ennemis.<br />

C'est là que seul f <strong>de</strong>bout f il pousse un cri terrible,<br />

Et Pal<strong>la</strong>s lui répond par un cri plus horrible.<br />

Parmi tous les Troyens le désordre s'étend *<br />

Partout règne l'effroi. Comme- une viflte entend<br />

La tromp<strong>et</strong>te sonner le signal <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes,<br />

Rassembler tout un peuple <strong>et</strong> l'appeler aux armes :<br />

Ainsi sa voix d'airain rugit ; <strong>de</strong> toutes parts<br />

Les superbes coursiers 7 les écuyers, les chars<br />

Reculent à l'aspect <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme rapi<strong>de</strong><br />

Dont PaHas couronna <strong>la</strong> tète d'Éaci<strong>de</strong>.<br />

Trois fois Achille crie ; aux accens <strong>de</strong> sa voix ,<br />

Les Troyens effrayés se dispersent trois fois ;<br />

Parmi leurs alliés douze chefs qui succombent,<br />

Sousleurs<strong>la</strong>nces?leurscharss'embarrassentefe-toiribent?


294 L'ILIADE. •<br />

Par les Grecs cependant à <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s traits<br />

Les débris <strong>de</strong> Patrocle aisément sont soustraits,<br />

Et d'un torrent <strong>de</strong> pleurs ses compagnons arrosent<br />

La couche funéraire où leurs mains le déposent.<br />

Achille qui les suit, d'un oeil désespéré<br />

Voit par l'airain cruel son ami déchiré ;<br />

Il le baigne à longs flots <strong>de</strong> ses brû<strong>la</strong>ntes <strong>la</strong>rmes.<br />

Naguère il l'envoya, revêtu <strong>de</strong> ses aVmes,<br />

Sur son rapi<strong>de</strong> char combattre... Mais hé<strong>la</strong>s !<br />

Au moment du r<strong>et</strong>our il ne le reçut pas.<br />

L'infatigable Dieu qui brille <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>,<br />

Par Junon aux grands yeux précipité dans Fon<strong>de</strong>7<br />

Ne s'éteint qu'à regr<strong>et</strong> j dans le champ <strong>de</strong>s combats 7<br />

Les Grecs cessent alors <strong>de</strong> semer le trépas.<br />

Les Troyens, à leur tour, s'éloignent <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

Et délivrent du joug les coursiers hors d'haleine.<br />

Avant que <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s on dresse l'appareil,<br />

Tous forment à <strong>la</strong> hâte un nocturne Conseil.<br />

Chaque soldat f <strong>de</strong>bout, en silence, immobile 7<br />

Frappé du même effroi, pense revoir Achille 7<br />

Achille j dont long-temps le courage indigné<br />

Languit dans le repos ? <strong>de</strong>s combats éloigné.


CHANT' DIX-HUITIEME. a95<br />

Enfin 7 Polydamas , sage fils <strong>de</strong> Pantliée,<br />

Ras<strong>sur</strong>e le premier <strong>la</strong> foule épouvantée j<br />

Ce qui fut autrefois, ce qui n*est pas encor,<br />

Seul il a tout connu ; ce noble ami d'Hector ?<br />

Ce compagnon <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> son adolescence<br />

Durant <strong>la</strong> "même nuit a reçu <strong>la</strong> naissance 9<br />

Et tous <strong>de</strong>ux, signa<strong>la</strong>nt ou leur 'voix ou leur bras,<br />

Brillent, Fun aux Conseils, Fautre dans les combats.<br />

Polydamas se lève : 4 Amis ! que <strong>la</strong> sagesse,<br />

Présente à vos esprits, vous dirige sans cesse ,<br />

Et loin <strong>de</strong> vos remparts, n'allez point jusqu'au jour<br />

De <strong>la</strong> divine Aurore attendre le r<strong>et</strong>our.<br />

Pour trouver dans Pergame un abri tuté<strong>la</strong>ire 7<br />

Partez : tant que c<strong>et</strong> homme a gardé sa colère,<br />

Enivré d'un triomphe aisément obtenu ,<br />

Moi-même , nuit <strong>et</strong> jour ,-<strong>sur</strong> ces bords r<strong>et</strong>enu ,<br />

Je veil<strong>la</strong>is, dans l'espoir que mon hardi courage<br />

Sur <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs <strong>la</strong>ncerait le ravage ;<br />

Maïs le fils <strong>de</strong> Pelée excite ma terreur.<br />

Troyens ! n'espérez pas, dans votre vaine erreur,<br />

Que son brû<strong>la</strong>nt courroux seulement nous dispute<br />

C<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ine , l'obj<strong>et</strong> d'une terrible lutte ;


a96 L'ILIADE.<br />

Bientôt il vous faudra <strong>de</strong> ses coups triomphans<br />

Garantir vos maisons, vos femmes , vos enfans.<br />

Gourez donc à vos murs <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un asyle ;<br />

Croyez-en mes terreurs <strong>et</strong> redoutez Achille.<br />

Achille encor sommeille , <strong>et</strong> seule à son courroux<br />

La Nuit divine oppose un obstacle jaloux ;<br />

Mais <strong>de</strong>main, <strong>sur</strong> ces bords s'il nous voit reparaître ,<br />

Son g<strong>la</strong>ive dans ses mains se fera reconnaître.<br />

Heureux qui , par <strong>la</strong> fuite évitant le trépas ,<br />

Dans nos remparts sacrés aura porté ses pas !<br />

Que <strong>de</strong> Troyens , grandsDïeux ! détournez c<strong>et</strong> augure,<br />

Des chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours <strong>de</strong>viendront <strong>la</strong> pâture !<br />

Si, domptant vos regr<strong>et</strong>s, cédant à mon conseil,<br />

C<strong>et</strong>te nuit, <strong>de</strong>s combats vous hâtez l'appareil.<br />

L'audace renaîtra dans nos âmes guerrières ;<br />

Hion, entouré d'invincibles barrières,<br />

Peut <strong>de</strong> ses hauts remparts <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>rges tours<br />

A <strong>la</strong> fureur d'Achille opposer le secours.<br />

Dès le réveil du jour, <strong>de</strong>main, <strong>sur</strong> nos murailles<br />

Nous paraîtrons , <strong>de</strong>bout, armés pour les batailles;<br />

Qu'Achille jusqu'à nous s'avance, <strong>et</strong> le Destin<br />

Réserve à son audace un châtiment certain,


CHANT DIX-HUITIEME. 297<br />

Loin <strong>de</strong> poursuivre encor sa route périlleuse<br />

En <strong>la</strong>ssant ses coursiers à <strong>la</strong> tête orgueilleuse 7<br />

D fuira sans nous vaincre^ <strong>et</strong> les chiens dévorans<br />

S'arracheront plutôt ses membres expirans. »<br />

Hector roule <strong>de</strong>s yeux étïnce<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> rage :<br />

ce Un semb<strong>la</strong>ble conseil me <strong>sur</strong>prend <strong>et</strong> m'outrage,<br />

Polydamas ! Faut-il dans l'ombre <strong>de</strong> nos murs<br />

Ensevelir toujours nos courages obscurs 1<br />

Et <strong>de</strong>vons-nous souffi-ir que, <strong>de</strong>puis tant d'années,<br />

Nos troupes au repos <strong>la</strong>nguissent condamnées ?<br />

Jadis tous les mortels vantaient notre gran<strong>de</strong>ur ;<br />

Maintenant 5 Ilion 1 déchu <strong>de</strong> sa splen<strong>de</strong>ur,<br />

Voit les champs phrygiens enrichis <strong>de</strong> ses pertes,<br />

Ses remparts dépouillés <strong>et</strong> ses maisons désertes ;<br />

La guerre a dévoré tout l'airain <strong>et</strong> tout For<br />

Dont une paix fécon<strong>de</strong> amassa le trésor.<br />

Lorsqu'enfînf désarmant sa trop longue vengeance,<br />

Jupiter avec moi combat d'intelligence ?<br />

Quand les Grecs <strong>sur</strong> ces bords périssent sans secours 7<br />

Insensé ! ne va point semer <strong>de</strong> tels discours.<br />

Repoussez le conseil dicté par ses a<strong>la</strong>rmes ,<br />

Mes amisï conservez <strong>et</strong> vos rangs <strong>et</strong> vos armes;


acjg L'ILIADE.<br />

Préparez les festins ; gar<strong>de</strong>s ! <strong>de</strong> toute part<br />

Portez autour <strong>de</strong> vous un vigi<strong>la</strong>nt regard.<br />

S'il est quelque guerrier qu'en secr<strong>et</strong> importune<br />

Le soin embarrassant <strong>de</strong> sa vaste fortune,<br />

S'il tremble ? qu'aussitôt rassemb<strong>la</strong>nt tous ses biens 7<br />

Par un juste partage il les livre aux Troyens,<br />

Et que le Grec , déçu dans son espoir avare,<br />

A l'en dépossé<strong>de</strong>r vainement se prépare.<br />

Demain, lorsque le jour brûlera dans les airs?<br />

Gourons éveiller Mars <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers.<br />

Si le divin Achille, altéré <strong>de</strong> carnage,<br />

Reparaît à nos yeux , je brave son courage ;<br />

Dans les combats sang<strong>la</strong>ns je ne le fuirai pas.<br />

Ce jour doit éc<strong>la</strong>irer sa chute ou mon trépas.<br />

Mars est le Dieu commun , <strong>et</strong> privé <strong>de</strong> sa gloire 7<br />

Quelquefois le vainqueur périt dans sa victoire. »<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens lui répond par <strong>de</strong>s cris.<br />

Les insensés ! Minerve égare leurs esprits ;<br />

En vain Polydamas au départ les exhorte;<br />

L'avis fatal d'Hector est l'avis qui l'emporte.<br />

Le banqu<strong>et</strong> terminé f les Grecs ? baignés <strong>de</strong> pleurs 7<br />

Consacrent à Patrocle une nuit <strong>de</strong> douleurs j


CHANT DIX-HUITIÈME. 299<br />

Achille, le premier 1 dans sa main homici<strong>de</strong><br />

Pressant <strong>de</strong> son ami <strong>la</strong> poitrine livi<strong>de</strong> ,<br />

Trahit son désespoir par <strong>de</strong>s sanglots bruyans.<br />

Le lion 1 orgueilleux <strong>de</strong> ses crins ondoyans,<br />

En cherchant <strong>la</strong> famille, à sa sombre r<strong>et</strong>raite<br />

Par- <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s chasseurs adroitement soustraite f<br />

Dans les vallons lointains <strong>et</strong> dans les bois profonds<br />

Précipite ses pas ar<strong>de</strong>ns <strong>et</strong> vagabonds,<br />

Partout du ravisseur interroge <strong>la</strong> trace,<br />

Se <strong>la</strong>mente <strong>et</strong> rugit 9 se désole <strong>et</strong> menace :<br />

Tel Achille, entouré <strong>de</strong>s soldats gémissans,<br />

Exhale sa douleur en lugubres accens :<br />

« Grands Dieux! Ménétïus, trompé dans sa tendresse,<br />

Espérait 9><strong>sur</strong> <strong>la</strong> foi d'une fausse promesse,<br />

Que dans Oponte un jour son fils victorieux<br />

Reparaîtrait, chargé d'un butin glorieux.<br />

Mais Jupiter, rebelle à nos prières vaines,<br />

Waccomplit pas toujours les volontés humaines.<br />

Patrocle a succombé; <strong>de</strong> son sang <strong>et</strong> du mien<br />

Le Destin rougira le rivage troyen.<br />

Le vieux guerrier Pelée <strong>et</strong> ma divine mère<br />

Ne me reverront plus sous leur toit solitaire.


3oo L'ILIADE.<br />

Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our ; ici mon sort va s ? accomplïr<br />

Et <strong>la</strong> terre en ses f<strong>la</strong>ncs m'y doit ensevelir.<br />

Si les Dieux <strong>sur</strong> ces bords veulent que je succombe,<br />

S'il me faut le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>scendre dans <strong>la</strong> tombe 7<br />

Patroele ! ô tendre obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>s éternels !<br />

Avant <strong>de</strong> t'accor<strong>de</strong>r les honneurs solennels 9<br />

De ton ombre irritée apaisant le murmure,<br />

Je te prom<strong>et</strong>s d'Hector <strong>et</strong> <strong>la</strong> tête <strong>et</strong> l'armure, •<br />

Et douze beaux Troyens 9 égorgés par mon bras?<br />

Sur ton bûcher fumant vengeront ton trépas.<br />

Toi, jusqu'à ce moment <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong> ces rives. ;<br />

Les femmes d'Ilïon 1 tant <strong>de</strong> jeunes captives,<br />

Soumises à nos lois, lorsqu'on nos fortes main&<br />

La <strong>la</strong>nce ravageait les cités <strong>de</strong>s humains r<br />

Pleurant à tes côtés , <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>uil unanime<br />

T'offriront nuit <strong>et</strong> jour le tribut légitime. »<br />

A ces mots? il comman<strong>de</strong> <strong>et</strong> les nombreux guerrriers<br />

Éten<strong>de</strong>nt à Fenvï <strong>sur</strong> les ar<strong>de</strong>ns brasiers<br />

Un trépied où leurs mains versent Fon<strong>de</strong> limpi<strong>de</strong> 1<br />

Qui doit <strong>la</strong>ver le corps <strong>de</strong> l'ami d'Eaci<strong>de</strong>..<br />

On entasse le bois ; le feu qui resplendit ?<br />

Autour du <strong>la</strong>rge vase <strong>et</strong> s'élève <strong>et</strong> grandit %


CHANT DIX-HUITIEME. 3oi<br />

Tandis que Peau s'échauffe <strong>et</strong> dans Pairain sonore<br />

Tourbillonne, s'apaise <strong>et</strong> tourbillonne encore.<br />

Quand les Grecs empressés aux membres du héros<br />

D'une huile adoucissante ont prodigué les flots,<br />

Un baume <strong>de</strong> neuf ans , arrosant ses bles<strong>sur</strong>es,<br />

De son impur cadavre enlève les souillures ,<br />

Et couvert du linceul, <strong>sur</strong> un lit parfumé<br />

Dans un voile éc<strong>la</strong>tant il repose enfermé.<br />

Durant toute <strong>la</strong> nuit, <strong>la</strong> foule consternée<br />

Déplore du héros <strong>la</strong> triste <strong>de</strong>stinée.<br />

Jupiter blâme ainsi son épouse <strong>et</strong> sa sœur :<br />

« Eh bien ! Achille aux Grecs prom<strong>et</strong> un défenseur.<br />

Tes désirs sont remplis... Sans doute à ta puissance<br />

Ces Grecs aux longs cheveux doivent tous <strong>la</strong> naissance, »<br />

« Cruel fils <strong>de</strong> Saturne ! ô mon terrible époux !<br />

Reprend Junon; pourquoi ce superbe courroux?<br />

Un mortel dont le sort borna l'intelligence.,<br />

Sur un autre mortel assouvit sa vengeance ,<br />

Et moi, qu'on voit marcher souveraine <strong>de</strong>s cîeux,<br />

Moi, que l'hymen attache au monarque <strong>de</strong>s Dieux?<br />

Je ne peux, apaisant ma colère divine,<br />

Des Troyens abhorrés méditer <strong>la</strong> ruine ! »


3o3<br />

L'ILIADE.<br />

Comme ils par<strong>la</strong>ient, Thétis monte au pa<strong>la</strong>is d'airain^<br />

Chef-d'œuvre étince<strong>la</strong>nt du ciseau <strong>de</strong> Vulcain.<br />

Ce boiteux ouvrier, près <strong>de</strong> <strong>la</strong> forge ar<strong>de</strong>nte<br />

D f où les vents font sortir leur haleine grondante f<br />

Achève en hal<strong>et</strong>ant vingt trépieds radieux f<br />

Qui doivent tous, promis aux <strong>de</strong>meures <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Sur <strong>de</strong> grands cercles d'or, 6 prodiges suprêmes !<br />

Se mouvoir, s'avancer <strong>et</strong> reculer d'eux-mêmes.<br />

Le métal, r<strong>et</strong>iré <strong>de</strong>s immenses fourneaux f<br />

Docile , se façonne en flexibles anneaux.<br />

Tandis qu'avec ar<strong>de</strong>ur sa main <strong>la</strong>borieuse<br />

Des anses arrondit <strong>la</strong> forme industrieuse,<br />

Thétis aux pieds d'argent se présente ; soudain<br />

L'élégante Charis, l'épouse <strong>de</strong> Vulcain}<br />

La première , à grands pas s'é<strong>la</strong>nce au <strong>de</strong>vant d'elle,<br />

D f abord, lui prend <strong>la</strong> main, puis <strong>la</strong> nomme <strong>et</strong> FappeHe :<br />

« Obj<strong>et</strong> cher <strong>et</strong> sacré d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> respect !<br />

Déesse au <strong>la</strong>rge voile ! à ton auguste aspect,<br />

Je <strong>de</strong>meure <strong>sur</strong>prise... Après ta longue absence ,<br />

Pourquoi dans ce pa<strong>la</strong>is nous rendre ta présence?<br />

Parle, afin qu'à l'envi notre zèle excité<br />

Te prodigue les dons <strong>de</strong> l'hospitalité. »


CHANT DIX-HUITIÈME. 3o3<br />

Thétis <strong>sur</strong> un beau trône où Fargent étincelle,<br />

Se p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> sous ses pieds s'élève une escabelle.<br />

Qiaris dit à Vulcain : « O mon époux ! accours.<br />

Thétis même, Thétis implore ton secours. »<br />

« Oui, réplique Vulcain ; oui 7 que c<strong>et</strong>te Déesse<br />

Soit comblée en ces lieux d'honneur <strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse !<br />

Seule , elle m'a sauvé 9 le jour où Jupiter<br />

Précipitant mes pas du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> Féther 7<br />

M'aurait plongé mourant dans le fond du Tartare ?<br />

Par le fatal conseil d'une mère barbare 1<br />

Qui vou<strong>la</strong>it <strong>de</strong> son fils chance<strong>la</strong>nt <strong>et</strong> boiteux<br />

Cacher aux immortels le spectacle honteux.<br />

Eurynome <strong>et</strong> Thétis, filles du roi <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s ?<br />

Entrouvrirent pour moi leurs <strong>de</strong>meures profon<strong>de</strong>s ;<br />

C'est là j qu'environné <strong>de</strong>s flots r<strong>et</strong>entissans 1<br />

Aux mortels comme aux Dieux caché durant neuf ans 7<br />

Pour orner les attraits <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>ux bienfaitrices f<br />

D'un art novice encor leur vouant les prémices,<br />

Je vis For sous mes mains en anneaux se plier 1<br />

Se courber en agrafe <strong>et</strong> s'étendre en collier.<br />

Thétis aux beaux cheveux par un juste sa<strong>la</strong>ire<br />

Verra récompenser sa bonté tute<strong>la</strong>ire.


3o4 L'ILIADE.<br />

Offre-lui nos présens; moi, je vais à l'écart<br />

Déposer ces obj<strong>et</strong>s -7 instrumens <strong>de</strong> mon art. »<br />

Loin <strong>de</strong> l'enclume, alors ? <strong>sur</strong> sa jambe incertaine<br />

Avec <strong>de</strong>s efforts lents l'énorme Dieu se traîne,<br />

Repousse les souffl<strong>et</strong>s <strong>et</strong> d'un bras diligent<br />

Renferme les marteaux dans un coffre d'argent.<br />

L'éponge aux f<strong>la</strong>ncs poreux, qu'entre ses doigts il pressef<br />

Lave son front noirci d'une fumée épaisse,<br />

Son cou nerveux ? son sein <strong>de</strong> longs poils hérissé.<br />

Quand le'manteau <strong>de</strong> pourpre 7 à son corps en<strong>la</strong>cé, '<br />

Flotte j pour soutenir ses forces abattues<br />

S'avancent près <strong>de</strong> lui ces vivantes statues y<br />

Ce <strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves d'or qui <strong>de</strong>s Dieux autrefois<br />

Reçurent <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> force <strong>et</strong> <strong>la</strong> voix.<br />

A peine , armé du sceptre, en sa marche indécise,<br />

Il parvient jusqu'au trône où Thétis est assise,<br />

H prend sa main : ce Déesse f obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> notre amour !<br />

Quel intérêt nouveau t'amène en ce séjour?<br />

Dès long-temps nos regards appe<strong>la</strong>ient ta présence.<br />

Parle : qu'exiges-tu <strong>de</strong> mon obéissance?<br />

Explique-toi ; soudain f mon art officieux,<br />

S'il peut les accomplir 7 accomplira tes vœux* »


CHANT DIX-HUITIÈME. 3o5<br />

Mais Thétis dont les pleurs inon<strong>de</strong>nt le visage :<br />

« O Vulcain 1 <strong>de</strong> quels maux j'ai fait Fâpprentissage !<br />

Est-il une Déesse f habitante du ciel,<br />

Qu'ait jamais accablée un malheur plus cruel ?<br />

Seule 1 <strong>de</strong> Jupiter victime infortunée 7<br />

Seule au lit d'un mortel je me vis enchaînée ?<br />

Et ce mortel y courbé sous le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s ans7<br />

Traîne dans son pa<strong>la</strong>is ses <strong>de</strong>stins <strong>la</strong>nguissans.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! c'est peu ; du ciel <strong>la</strong> jalouse colère<br />

A tant <strong>de</strong> maux passés joint une autre misère*<br />

Au plus vail<strong>la</strong>nt héros j'avais donné le jour ; ><br />

Entourant son enfance <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins <strong>et</strong> d'amour 1<br />

Gomme une belle p<strong>la</strong>nte, honneur d'un sol fertile 1<br />

Joyeuse j-je voyais s'élever mon Achille.<br />

C'est moi qui Fenvoyai <strong>sur</strong> ses. profonds vaisseaux<br />

De <strong>la</strong> guerre aux Troyens. apporter les fléaux ;<br />

Maisil ne viendra plus sous le toit <strong>de</strong> Pelée<br />

Charmer par son r<strong>et</strong>our sa mère inconsolée.<br />

Dieux'I tandis qu'il respire <strong>et</strong> tandis que ses yeux<br />

Contemplent du soleil le f<strong>la</strong>mbeau radieux,<br />

La tristesse l'accable <strong>et</strong> je ne puis encore<br />

Sou<strong>la</strong>ger ce chagrin qui toujours le dévore,<br />

a. ao


3o6 L'ILIADE.<br />

Agamemnon l'outrage 5 il arrache à ses lois<br />

L'esc<strong>la</strong>ve dont les Grecs payèrent ses exploits,<br />

Et bientôt dans son camp <strong>la</strong> Grèce prisonnière<br />

Sous l'effort <strong>de</strong>s Troyens va périr tout entière.<br />

Les plus fameux héros implorent son appui ;<br />

La prière <strong>et</strong> les dons ne peuvent rien <strong>sur</strong> lui.<br />

Pour délivrer les Grecs <strong>de</strong> ce péril extrême,<br />

Il ne veut ni marcher , ni triompher lui-même,<br />

Et prête à son ami qui r<strong>et</strong>ourne aux combats,<br />

Son armure, son char <strong>et</strong> ses nombreux soldats.<br />

Entre les <strong>de</strong>ux partis 1 tout un jour ba<strong>la</strong>ncée 7<br />

La victoire hésita sous les portes <strong>de</strong> Scée;<br />

Enfin 7 les Grecs vainqueurs renversaient Mion,<br />

Si le terrible Hector 7 poussé par Apollon,<br />

Du malheureux Patrocle immo<strong>la</strong>nt le courage 7<br />

N'eût arrêté le cours d'un immense carnage.<br />

Mon fils mourra bientôt. Forge pour ce guerrier<br />

Une belle cuirasse, un casque, un bouclier,<br />

Deux riches bro<strong>de</strong>quins ; c'est moi qui t'en conjure ;<br />

Avec son cher Patrocle il perdit son armure,<br />

Et maintenant, hé<strong>la</strong>s ! <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre étendu,<br />

Dans un sombre chagrin il gémit éperdu. »


CHANT DIX-HUITIÈME. 5o7<br />

Le Dieu répond : « Abjure une crainte inutile.<br />

Tes vœux seront remplis, <strong>et</strong> je vais pour Achille<br />

Façonner une armure , ouvrage précieux,<br />

Qui <strong>de</strong> tous les mortels étonnera les yeux.<br />

Puissé-je* également, à son heure <strong>de</strong>rnière,<br />

Détourner loin <strong>de</strong> lui <strong>la</strong> Parque meurtrière ! »<br />

S'éloignant à ces mots, vers les feux éc<strong>la</strong>tans<br />

Lorsqu'il a dirigé ses souffl<strong>et</strong>s hal<strong>et</strong>ons,<br />

Vingt fourneaux allumés brillent ; le vent docile<br />

Mugît impétueux ou s'apaise tranquille.<br />

Dans le vaste brasier l'industrieux Vulcain<br />

J<strong>et</strong>te un vaste monceau d'or , d'argent <strong>et</strong> d'étoin,<br />

Et dès qu'il voit rougir leur masse encore informe 7<br />

Ses mains, <strong>sur</strong> un rocher p<strong>la</strong>çant l'enclume énorme,<br />

Saisissent, pour forger un merveilleux présent,<br />

.La tenaille mordante <strong>et</strong> le marteau pesant.<br />

D'abord le bouclier, <strong>la</strong>rge <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> ouvrage,<br />

Dont cinq <strong>la</strong>mes d'airain composent l'assemb<strong>la</strong>ge,<br />

S'arrondit, entouré <strong>de</strong> trois cercles bril<strong>la</strong>ns<br />

Où pend le baudrier aux nœuds étïnce<strong>la</strong>ns ;<br />

Par un savant travail <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face polie,<br />

De tableaux variés avec art embellie,<br />

20.


3o8 L'ILIADE.<br />

Offre au milieu <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> <strong>la</strong> mer <strong>et</strong> les cieux,<br />

Le soleil qui répand d'infatigables feux,<br />

La lune tout entière <strong>et</strong> <strong>la</strong> vaste couronné<br />

Des astres ée<strong>la</strong>tans dont l'Olympe rayonne f<br />

Les Pléia<strong>de</strong>s en chœur, le puissant Orion,<br />

Et POunse qui, du Char acceptant le <strong>sur</strong>nom,<br />

Fidèle m tour prescrit, vers Orion penchée f<br />

Seule dans l'Océan ne s'est jamais couchée.<br />

Vulcain. a <strong>sur</strong> les. borck ciselé <strong>de</strong> ses mains<br />

Deux villes, noble ouvrage <strong>et</strong> séjour <strong>de</strong>» humains.<br />

La première en ses murs d^ toutes parts étale<br />

Des banqu<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeux <strong>la</strong> pompe nuptiale f<br />

Et voit jusqu'aux pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> leurs époux nouveaux<br />

Les vierges s'avancer, aux c<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong>s. f<strong>la</strong>mbeaux.<br />

Tout répète les chants f les chants <strong>de</strong> Fhyménée ;<br />

L'élite <strong>de</strong>s danseurs, <strong>sur</strong> leurs pas amenée f<br />

S'en<strong>la</strong>ce en chœurs légers ; pour régler se* transports.<br />

Les flûtes <strong>et</strong> <strong>la</strong> lyre unissent leurs accords ;<br />

Et les femmes,, <strong>de</strong>boutf à.l'ombre <strong>de</strong>s portiques,<br />

Admirent en riant ces fêtes magnifiques.<br />

Non loin , <strong>de</strong>ux citoyens, dans leur jaloux débatf<br />

D'un meurtre avec ar<strong>de</strong>ur contestent le rachat:


CHANT DIX-HUITIEME. 3o9<br />

L'un dit avoir payé ; mais d'une voix altière<br />

L'autre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encor <strong>la</strong> somme tout entière.<br />

Les témoins ont paru; les spectateurs nombreux<br />

Entre les <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs <strong>la</strong>issent flotter leurs vœux,<br />

Lorequ'enfîn <strong>de</strong>s hérauts les voix r<strong>et</strong>entissantes<br />

Calment du peuple ému les c<strong>la</strong>meurs frémissantes.<br />

Sur <strong>la</strong> pierre polie f en un cercle sacré,<br />

Les vieil<strong>la</strong>rds, ba<strong>la</strong>nçant le sceptre révéré,<br />

Se lèvent <strong>et</strong> chacun par un noble <strong>la</strong>ngage<br />

Refuse tour à tour <strong>et</strong> donne son suffrage.<br />

L'enceinte offre à leurs yeux <strong>de</strong>ux talents d'or promis<br />

Au juge le plus sage inspiré par Thémïs.<br />

La secon<strong>de</strong> cité voit près <strong>de</strong> ses murailles<br />

Deux peuples méditant <strong>sur</strong> le sort <strong>de</strong>s batailles :<br />

L'un voudrait <strong>la</strong> détruire, <strong>et</strong> l'autre <strong>de</strong> son or<br />

En un partage égal diviser le trésor ;<br />

Mais bien loin <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux horreurs d'un long siége?<br />

L'ennemi leur prépare un homici<strong>de</strong> piège.<br />

Les femmes, les vieil<strong>la</strong>rds <strong>et</strong> les enfans craintifs<br />

Promènent <strong>sur</strong> les murs leurs regards attentiô;<br />

Avec ordre <strong>et</strong> sans bruit <strong>la</strong> troupe se rassemble :<br />

Elle part ; à sa tête on voit marcher- ensemble


3io L'ILIADE.<br />

La superbe PaUas <strong>et</strong> le terrible Mars<br />

Dont les tuniques d'or frappent tous les regards ;<br />

Dans leur maintien respire une fierté divine<br />

Et <strong>sur</strong> les fronts mortels leur noble front domine.<br />

Sous ses armes d'airain cacbée à tous les yeux, •<br />

L'embusca<strong>de</strong> se glisse à pas mystérieux<br />

Jusqu'aux bords r<strong>et</strong>irés ou dans le lit d'un fleuve<br />

La foule <strong>de</strong>s troupeaux <strong>et</strong> <strong>de</strong>scend <strong>et</strong> s'abreuve.<br />

Là, <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>bout, se postant près <strong>de</strong>s eaux,<br />

Atten<strong>de</strong>nt les brebis avec les noirs taureaux.<br />

Tout à coup, <strong>de</strong>ux pasteurs, mê<strong>la</strong>nt leurs voix légères<br />

Aux sons mélodieux <strong>de</strong>s flûtes bocagères,<br />

S'approchent lentement <strong>et</strong> ne se doutent pas<br />

Quelle embûche perfi<strong>de</strong> on dresse sous leurs pas.<br />

Au signal, convenu, <strong>la</strong> cohorte s'é<strong>la</strong>nce ;<br />

Brebis, taureaux, bergers, tout périt sous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce.<br />

Quand le tumulte arrive au Conseil <strong>de</strong>s guerriers,<br />

Ils montent <strong>sur</strong> leurs chars <strong>et</strong> pressent leurs coursiers:<br />

A peine <strong>de</strong> ce fleuve ils touchent le rivage,<br />

Leur bouil<strong>la</strong>nte fureur redouble le carnage ;<br />

On donne tour à tour , on reçoit le trépas<br />

Et les <strong>la</strong>nces d'airain ne'se reposent pas.


CHANT DIX-HUITIEME. 3n<br />

Le Tumulte frémit ; <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> effrénée<br />

Vole f <strong>et</strong> % parmi les rangs , l'avi<strong>de</strong> Destinée<br />

Traîne dans les combats <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s monceaux confus<br />

L'homme qui vit encor 7 le guerrier qui n'est plus.<br />

Tandis que secouant sa robe ensang<strong>la</strong>ntée,<br />

Hi<strong>de</strong>use, elle parcourt <strong>la</strong> rive épouvantée,<br />

Gomme s'ils respiraient, on voit <strong>de</strong> toutes parts<br />

Les soldats s'arracher les cadavres épars.<br />

Là se déploie un champ où trois fois <strong>la</strong> charrue<br />

R<strong>et</strong>ourna <strong>de</strong>s guér<strong>et</strong>s <strong>la</strong> fertile étendue»<br />

Lorsque les <strong>la</strong>boureurs, <strong>de</strong>s taureaux mugissans<br />

Ont conduit jusqu'au bout les pas obéissans 7<br />

Le maître f ranimant le zèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> troupe 7<br />

Verse un vin doux <strong>et</strong> pur dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> coupe r<br />

Et, jaloux d'arriver au terme du siMon 7<br />

Chacun avec ar<strong>de</strong>ur ressaisit l'aiguillon.<br />

La terre où <strong>la</strong> charrue a <strong>la</strong>issé son empreinte,<br />

à l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> son or mêle une sombre teinte.<br />

Tel est d'un art savant l'ouvrage gracieux.<br />

Ici brille un terrain fécond <strong>et</strong> spacieux.:<br />

Dès que les moissonneurs, armés <strong>de</strong>là faucilley<br />

Des gerbes ont tranché l'ondoyante famille,


3ia L'ILIADE.<br />

Dans le creux <strong>de</strong>s sillons les débris ramassés,<br />

Avec <strong>de</strong> forts liens l'un à l'autre en<strong>la</strong>ce, _<br />

S'élèvent, <strong>et</strong> soudain <strong>de</strong> ces moissons nouvelles<br />

Trois hommes en faisceaux unissent les javelles!<br />

Tandis que les enfans, accourus <strong>sur</strong> leurs pas,<br />

Leur ten<strong>de</strong>nt les épis ba<strong>la</strong>ncés dans leurs bras.<br />

Debout, son sceptre en main , le monarque en silence<br />

De ses-vastes guér<strong>et</strong>s admire l'opulence ;<br />

Il jouit dans son cœur! <strong>et</strong> du festin joyeux<br />

Les hérauts consacrant les prémices aux Dieux,<br />

Autour d'un chêne épais , sijr <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme brû<strong>la</strong>nte<br />

J<strong>et</strong>tent d'un grand taureau <strong>la</strong> dépouille sang<strong>la</strong>nte.<br />

Par les femmes broyé, le b<strong>la</strong>nc <strong>et</strong> pur froment<br />

Prépare aux moissonneurs un utile aliment.<br />

Plus loin, avec orgueil une vigne présente<br />

De ses longs raisins noirs <strong>la</strong> grappe éblouissante f<br />

Ses <strong>la</strong>rges rameaux d'or, en festons s'allongeant ,<br />

S'é<strong>la</strong>ncent, protégés par <strong>de</strong>s soutiens d'argent ;<br />

De sa couleur bleuâtre un fossé ïa couronne,<br />

Et d'un buisson d'étain l'épaisseur l'environne.<br />

A travers les détours d'un chemin tortueux<br />

Accourt <strong>de</strong>s vendangeurs Pessaim tumultueux j


CHANT DIX-HUITIÈME. 3i3-<br />

Les vierges 1 les garçons dans l'osier <strong>de</strong>s corbeilles<br />

Portent <strong>de</strong> leurs doux fruits les richesses vermeiles ;<br />

Un enfant les précè<strong>de</strong>; à ses tendres aecens<br />

S'unissent <strong>de</strong> son luth les accords ravissaas j<br />

Les couples en chantant entre<strong>la</strong>cent leur danse<br />

'Et leurs pieds <strong>sur</strong> le sol bondissent en ca<strong>de</strong>nce.<br />

Près <strong>de</strong> là ? <strong>de</strong>s taureaux au front majestueux,<br />

Formés d'or <strong>et</strong> d'étain, d'un pas impétueux<br />

S'avancent vers un fleuve <strong>et</strong> sonore <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong><br />

Qui parmi les roseaux promène une eau limpi<strong>de</strong> 7<br />

Et tous f en mugissant , avec quatre bergers<br />

•Que suivent à Fenvi neuf chiens aux pieds légers ,<br />

Pour les prés verdoyans d'une p<strong>la</strong>ge fertile<br />

De leur paisible étable abandonnent l'asyle.<br />

Mais soudain, é<strong>la</strong>ncés au-<strong>de</strong>vant du troupeau ?<br />

Deux terribles lions saisissent un taureau,<br />

Et, gorgeant d'un sang noir leurs gueules écumaotes?<br />

Déchirent à grands coups ses entrailles fumantes.<br />

Vainement les pasteurs , les dogues vigoureux ?<br />

En poussant <strong>de</strong> longs oris? se rassemblent contr'eux.<br />

Dans un tableau voisin savamment ciselée ,<br />

Une délicieuse <strong>et</strong> fertile vallée,


3i4 L'ILIADE.<br />

Voit <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>nches brebis <strong>la</strong> foule au loin bondir<br />

Et <strong>de</strong>s toits du bercail les ombrages verdir.<br />

Vulcain figure encore une danse pareille<br />

A celle dont Dédale inventa <strong>la</strong> merveille ,<br />

Quand dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>rge Gnosse il célébra <strong>de</strong>s jeux<br />

En l'honneur d'Ariane aux longs <strong>et</strong> beaux cheveux.<br />

Une couronne au front, mille vierges pudiques ,<br />

Déployant le tissu <strong>de</strong> leurs souples tuniques ,<br />

Mille danseurs , armés <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ives éc<strong>la</strong>tans,<br />

Et mollement vêtus du lin aux plis flottans,<br />

S'en<strong>la</strong>cent, Gomme on voit, pour façonner l'argile7<br />

Un adroit ouvrier tourner sa roue agile :<br />

Tels leurs dociles pas, dans leur-prompt mouvement,<br />

S'arrondissant en chœur, volent légèrement.<br />

Quand le cercle est rompu, chaque couple avec grâce<br />

Se chasse tour à tour, tour à tour se remp<strong>la</strong>ce ;<br />

La foule les admire : un chantre, aimé <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Les anime aux accords du luth mélodieux,<br />

Et <strong>de</strong>ux sauteurs, aux yeux du peuple qui se presse,<br />

De mille tours divers ont déployé l'adresse.<br />

Enfin, <strong>sur</strong> tous les bords <strong>de</strong> ces riches tableaux<br />

Le grand fleuve Océan roule ses vastes eaux.


CHANT DIX-HUITIÈME. 3i5<br />

Fier d'avoir terminé ce bouclier soli<strong>de</strong>,<br />

Vulcain forge avec soin pour le front d'Eaci<strong>de</strong><br />

Le casque précieux qui <strong>de</strong> son cimier d'or<br />

Ba<strong>la</strong>nce à flots épais le mobile trésor.<br />

De feux éblouissans <strong>la</strong> cuirasse remplie<br />

Brille <strong>et</strong> l'étain flexible en cothurnes se plie.<br />

Quand Fouvrage est fini, l'immortel ouvrier<br />

A <strong>la</strong> mère d'Achille offre ce don guerrier y<br />

Et l'Olympe neigeux voit l'agile Déesse<br />

Partir, <strong>et</strong> du vautour éga<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> vitesse ?<br />

Emporter dans les airs c<strong>et</strong>te armure d'airain,<br />

C<strong>et</strong>te armure 7 chef-d'œuvre <strong>et</strong> présent <strong>de</strong> Vulcain.<br />

FIN DU DIX-HUITIEME CHANT.


CHANT DIX-NEUVIÈME.


SOMMAIRE BU CHANT DIX-NEUVIEME.<br />

Thétis apport© à Achille l'armure fabriquée parVulcain. — Assemblée<br />

<strong>de</strong>s Grecs. — Réconciliation d'Agamemnon <strong>et</strong> d'Achille. — P<strong>la</strong>intes<br />

d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Briséïs <strong>sur</strong> le corps <strong>de</strong> Patrocle. — Achille s'arme<br />

pour le combat ; Xanthe ? un <strong>de</strong> ses coursiers, lui prédit sa mort. •


L'ILIADE.<br />

CHANT DIX-NEUVIÈME.<br />

Au moment où l'Aurore aux voiles radieux<br />

Sortait <strong>de</strong> l'Océan pour éc<strong>la</strong>irer les Dieux,<br />

Thétis, les bras chargés <strong>de</strong> l'armure éc<strong>la</strong>tante!<br />

Court vers son fils chéri qui f non loin <strong>de</strong> sa tente,<br />

Sur le corps <strong>de</strong> Patrocle? obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses douleurs,<br />

Ne cesse <strong>de</strong> verser un long torrent <strong>de</strong> pleurs.<br />

Ses nombreux compagnons gémissent ; <strong>la</strong> Déesse<br />

L'embrasse avec bonté f lui parle avec tendresse :<br />

« Mon fils ! <strong>la</strong>issons Patrocle étendu <strong>sur</strong> ce bord?<br />

Puisque l'arrêt <strong>de</strong>s Dieux a décidé sa mort.<br />

Loin <strong>de</strong> borner ta gloire à répandre <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes,<br />

Vole aux combats; revêts ces immortelles armes:


3so L'ILIADE.<br />

Vulcain en est Fauteur} <strong>et</strong> d'un présent si beau<br />

Aucun homme jamais ne porta le far<strong>de</strong>au. »<br />

Quand Thétk a pariéT <strong>la</strong> merveilleuse armure, .<br />

Tombée aux pieds d'Achille avec un sourd murmure^<br />

G<strong>la</strong>ce d'un prompt effroi l'immobile soldat<br />

Qui détourne les yeux <strong>de</strong> son terrible éc<strong>la</strong>t.<br />

Mais Achille respire une fureur nouvelle ,<br />

Et sous d'épais sourcils son regard étincelle ;<br />

Lorsqu'il a promené <strong>sur</strong> ces divins présens<br />

Une main curieuse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s yeux comp<strong>la</strong>isans ,<br />

Il s'écrie : «O ma mère! un si bril<strong>la</strong>nt ouvrage<br />

Du ciseau d'un mortel n'e§t point l'apprentissage.<br />

Tu l'ordonnes : eh bien! je consens à m'armer;<br />

Mais excuse un ami facile à s'a<strong>la</strong>rmer.<br />

Je crains quef pour ronger ces dépouilles livi<strong>de</strong>s i<br />

Les vers impurs , formés par les mouches avi<strong>de</strong>s,<br />

Sur Patrocle acharnés 1 <strong>de</strong> ses- membres meurtris<br />

Ne corrompent les chairs, ne souillent les débris. »<br />

Thétis aux pieds d'argent lui répond : ce Je réc<strong>la</strong>me<br />

Le <strong>de</strong>voir importun qui trouble en vain ton âme j<br />

Mes soins écarteront ces mouches dont l'essaim<br />

Vole auprès <strong>de</strong>s héros pour dévorer leur sein,


,CHANT DIX-NEUVIÈME. 3ai<br />

Et dût Patrocle un an <strong>la</strong>nguir sans sépulture,<br />

De <strong>la</strong> corruption il bravera l'injure.<br />

Toi, rassemb<strong>la</strong>nt les Grecs f dépose aux yeux <strong>de</strong> tous<br />

Contre leur chef puissant ton superbe courroux ;<br />

Arme-toi pour <strong>la</strong> guerre <strong>et</strong> revêts ton courage. »<br />

Par ce discours Tbétis excite encor sa rage f<br />

Et les flots rougissans d'un' nectar parfumé<br />

Embaument du héros le corps inanimé.<br />

Achille <strong>sur</strong> les bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer frémissante<br />

Fait entendre à grands cris sa voix r<strong>et</strong>entissante ;<br />

D. ordonne : soudain ces fidèles guerriers<br />

Qui me<strong>sur</strong>ent au camp les tributs nourriciers,<br />

Ces pilotes nonibreux qui, d'une main habile,<br />

Dirigent <strong>de</strong>s vaisseaux le gouvernail mobile,<br />

Tous volent au Conseil , pour revoir ce héros<br />

Dont <strong>la</strong> valeur long-temps <strong>la</strong>nguit'dans le repos.<br />

Disciples- du Dieu Mars , Ulysse <strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong><br />

Trahissent en boitant le mal qui les obsè<strong>de</strong> j<br />

Sur leur <strong>la</strong>nce appuyés , avec un lent effort<br />

Tous <strong>de</strong>ux au premier rang viennent s'asseoir d'abord.<br />

Atri<strong>de</strong> <strong>sur</strong> leurs pas <strong>la</strong>nguissamment se traîne;<br />

La douleur a rendu sa démarche incertaine,<br />

2. 21


'3M , . L'ILIADE.<br />

Et <strong>la</strong>ncé par Goon, par ce fils d'Anténor,<br />

L'airain qui le blessa le fait gémir encor.<br />

Dans le Conseil partout quand <strong>la</strong> foule est entrée f<br />

'Achille aux pieds légers se levé : « Fils d'Atrée !<br />

O regr<strong>et</strong>s ! fal<strong>la</strong>it-il qu'un orgueil délirant<br />

Nous livrât aux transports d'un courroux dévorant?<br />

Une esc<strong>la</strong>ve excita notre ar<strong>de</strong>ur vengeresse.<br />

Plût au ciel que le jour où7 maître <strong>de</strong> Lyrnesse,<br />

Sur mes légers vaisseaux je l'entraînai vainqueur ,<br />

Les flèches <strong>de</strong> Diane eussent frappé son cœur!<br />

Jamais <strong>de</strong> l'ennemi <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce meurtrière<br />

N'eût réduit tant <strong>de</strong> Grecs à mordre <strong>la</strong> poussière.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! à ma fureur quand je donnais l'essor ,<br />

Mon repos as<strong>sur</strong>ait le triomphe d'Hector.<br />

Sans doute d'une longue <strong>et</strong> fatale querelle<br />

Les Grecs conserveront <strong>la</strong> mémoire éternelle.<br />

Quels que soient nos chagrins , négligeant le passé T<br />

Etouffons le courroux dans nos cœurs amassé.<br />

La nécessité parle <strong>et</strong> sa voix souveraine<br />

Me défend <strong>de</strong> nourrir une imp<strong>la</strong>cable haine.<br />

Atri<strong>de</strong>! sans dé<strong>la</strong>is, pour accomplir mes vœux,<br />

Pousse vers le combat les Grecs aux longs cheveux.


CHANT DIX-NEUVIEME. 3a3<br />

Marchons , <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Troyens punissons l'insolence.<br />

Va , crois-moi, l'ennemi qu'épargnera ma <strong>la</strong>nce,<br />

Heureux , loin <strong>de</strong>s périls, d'échapper à mes coups,<br />

Pour reposer enfin , fléchira les genoux. »<br />

Tandis que le guerrier, oubliant ses. injures,<br />

Réjouit tous les Grecs aux superbes chaus<strong>sur</strong>es,<br />

Atri<strong>de</strong>, sans marcher au milieu <strong>de</strong>s héros,<br />

Ne quitte pas son siège <strong>et</strong> s'exprime en ces piots :<br />

« 0 Disciples <strong>de</strong> Mars ! braves fils "<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce!<br />

Mes amis ! comprimez ces transports d'allégresse.<br />

Vos confuses c<strong>la</strong>meurs ne doivent pas troubler<br />

L'orateur qui s'apprête <strong>et</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à parler ;<br />

La voix <strong>la</strong> plus sonore aux cris <strong>de</strong> <strong>la</strong> licence<br />

S'efforcerait en vain d'opposer sa puissance.<br />

Achille ! c'est à toi que je m'adresse , <strong>et</strong> vous,<br />

Grecs! pesez mes discours pour les r<strong>et</strong>enir tous.<br />

Souvent <strong>de</strong>s Argiens le courroux unanime<br />

Sur moi <strong>de</strong> nos débats a rej<strong>et</strong>é le crime.<br />

Seul, je n'ai pu causer tant <strong>de</strong> maux réunis.<br />

Jupiter, le Destin <strong>et</strong> <strong>la</strong> sombre Erinnys<br />

Versèrent leurs poisons dans mon âme irritée,<br />

Lorsque, <strong>de</strong>vant les Grecs , ma fureur excitée<br />

21.


3^4 L'ILIADE.<br />

Du prix <strong>de</strong> sa valeur dépouil<strong>la</strong> mon rival..*<br />

Mais que pouvais-je alors? Un Dieu fit tout le maL<br />

Até m'égarait seule <strong>et</strong> seule était coupable f<br />

Até, <strong>de</strong> Jupiter <strong>la</strong> fille inexorable ?<br />

Até qui sème au loin <strong>la</strong> haine <strong>et</strong> les affronts 7<br />

Ne touche pas le sol <strong>et</strong> marche <strong>sur</strong> nos'fronts.<br />

Des mortels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux le monarque suprême<br />

Aux traits <strong>de</strong> son courroux fut exposé lui-même.<br />

Employant l'artifice, à défaut du pouvoir f<br />

Une femme , Junon confondit son espoir f<br />

Lorsqu'Alci<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait .naître <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>ncs d'Alcmène<br />

Dans les murs orgueilleux <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité tliébaine.<br />

Jupiter convoqua ses immortels suj<strong>et</strong>s :<br />

« Déessesf <strong>et</strong> vous , Dieux! apprenez mes proj<strong>et</strong>s.<br />

En ce jour Ilithye entr'ouvre à <strong>la</strong> lumière<br />

D'un héros triomphant <strong>la</strong> naissante paupière 7<br />

Et les peuples voisins 7 les rois nés <strong>de</strong> mon sang?<br />

Courberont <strong>de</strong>vant lui leur front obéissant. »<br />

« Tu m'abuses 7 répond <strong>la</strong> perfi<strong>de</strong> Déesse ;<br />

Ta promesse est toujours une.vaine'promesse.<br />

Mais si tu ne mens pas , qu'un serment solennel<br />

T'enchaîne sans r<strong>et</strong>our par son nœud éternel :


CHANT BÏX-NEUYIEME. 3*5'<br />

Jure que c<strong>et</strong> enfant qui du 'sein <strong>de</strong> sa mère<br />

A ses pieds aujourd'hui doit tomber <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 1<br />

Gouvernera les rois <strong>et</strong> les peuples nombreux t<br />

De ton auguste sang rej<strong>et</strong>ons généreux. »<br />

Sans <strong>de</strong>viner sa ruse <strong>et</strong> sans craindre sa haine,<br />

Le Dieu par un serment impru<strong>de</strong>mment s'enchaîne.<br />

Serment fatal ! Junon s'é<strong>la</strong>nce au même instant<br />

Des somm<strong>et</strong>s élevés <strong>de</strong> l'Olympe éc<strong>la</strong>tant 7<br />

Court dans Argosf fidèle à sa fureur jalouse-,<br />

Trouver <strong>de</strong> Sthénélus <strong>la</strong> magnanime épouse7<br />

Avant le jour marqué f fait naître le mortel<br />

Captif <strong>de</strong>puis sept mois dans le sein maternel,<br />

S'éloigne," <strong>et</strong> dHithye enchaînant <strong>la</strong>-puissance ,<br />

Du jeune Alci<strong>de</strong> encor r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance.<br />

Puis ? remontant aux cieux <strong>et</strong> d'un air triomphant :-<br />

« 0 maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre ! il est né c<strong>et</strong> enfant<br />

A qui ta voix promit l'empire "<strong>de</strong> <strong>la</strong> terre ;<br />

Eurysthée est son nom, Sthénélus est son père.<br />

Ton sang divin l'anime f <strong>et</strong>' ce vail<strong>la</strong>nt héros<br />

Méritera l'honneur <strong>de</strong> régner <strong>sur</strong> Argos. »<br />

Accablé <strong>de</strong> douleur 1 pour venger son injure-^<br />

Le Dieu saisit d'Até <strong>la</strong> belle chevelure,


3*6 • L'ILIADE.<br />

Atteste avec serment que POlympe étoile<br />

Par ses pieds criminels ne sera plus foulé,<br />

Et bientôt, loin <strong>de</strong>s cieux, d'une main irritée ,<br />

Sur le sol <strong>de</strong>s humains il l'a précipitée.<br />

Mais il gémit <strong>de</strong> voir son fils sans défenseur<br />

Subir dans Eurysthée un cruel oppresseur.<br />

Terrible Até ! mon cœur n'a pu <strong>la</strong> méconnaître<br />

A c<strong>et</strong> ar<strong>de</strong>nt courroux dont il n'était plus maître ,<br />

Lorsqu'Hector au beau casque, auprès <strong>de</strong> nos vaisseaux ,<br />

De nos guerriers mourans entassait les-monceaux.<br />

Jupiter m'aveug<strong>la</strong>, le repentir m'éc<strong>la</strong>ire;<br />

J'espère avec mes dons désarmer ta colère.<br />

Achille ! lève-toi! que nos vaiMans soldats,<br />

Par ta voix enf<strong>la</strong>mmés, s'é<strong>la</strong>ncent aux combats.<br />

Je t'accor<strong>de</strong> les biens dont hier, sous ta tente,<br />

Ulysse te promit <strong>la</strong> richesse éc<strong>la</strong>tante,<br />

Ou , si tu veux dompter tes belliqueux transports ,<br />

Du fond <strong>de</strong> mon navire apportant ces trésors ,<br />

Mes nombreux serviteurs prouveront à <strong>la</strong> Grèce<br />

Que j'aspire à calmer ta haine vengeresse, »<br />

Achille aux pieds légers répond : « Plus <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>is !<br />

Atri<strong>de</strong> ! accor<strong>de</strong>-moi ces dons ou r<strong>et</strong>iens-les ;


CHANT DIX-NEUVIÈME. 3a7<br />

Il n'importe ! aujourd'hui ne songeons qu'au carnage;<br />

Le sort à ma valeur impose un grand ouvrage.<br />

Oui , Fon verra bientôt Achille, aux premiers rangs,<br />

Frapper, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main, les Troyens expiransr<br />

Qu'à mon exemple, amis ! chacun <strong>de</strong> vous combatte! »<br />

La pru<strong>de</strong>nce d'Ulysse en ce discours éc<strong>la</strong>te :<br />

« Achille égal aux Dieux ! qu'un aveugle transport<br />

N'entraîne pas les Grecs vers les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ;<br />

Si leur fer d f Ilion menace les murailles,<br />

Rien n'arrêtera plus <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s batailles ,<br />

Et <strong>de</strong>s peuples rivaux ou vaincus ou. vainqueurs<br />

Long-temps un Dieu cruel embrasera les cœurs.<br />

Va ; suspendons encor le signal <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />

Laisse tous nos soldats , <strong>sur</strong> leur flotte légère,<br />

Savourer ce froment <strong>et</strong> ce vin généreux<br />

Qui procurent leur force aux guerriers vigoureux.<br />

Jusqu'au soleil couchant quel mortel intrépi<strong>de</strong> , .<br />

S'il ne s'est pas nourri d'un aliment soli<strong>de</strong> ,<br />

Dévoré par <strong>la</strong> soif, consumé par <strong>la</strong> faim ,<br />

Debout, dans les combats , en attendrait <strong>la</strong> fin?<br />

Quoique .dans ses regards <strong>la</strong> valeur étincelle,<br />

Sa force l'abandonne <strong>et</strong> son genou chancelle.


3^8 L'ILIADE.<br />

Mais un homme , au sortir d'un festin abondant f<br />

Gar<strong>de</strong> dans sa poitrine un cœur toujours, ar<strong>de</strong>nt T<br />

Résiste aux ennemis , <strong>et</strong> , ferme en son courage ,<br />

Ne se <strong>la</strong>sse jamais qu'après un long carnage..<br />

Sépare tes guerriers <strong>et</strong> qu'Atri<strong>de</strong> en ces lieux<br />

Etale <strong>de</strong> ses dons l'appareil orgueilleux.<br />

Ton cœur tressaillera d'une douce allégresse,<br />

Quand il aura juré, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Grèce,<br />

Qu'il n'a pas, écoutant une insolente ar<strong>de</strong>ur,<br />

De sa jeune captive outragé <strong>la</strong> pu<strong>de</strong>ur,<br />

Et qu'il n'a point osé, comme un maître farouche 7<br />

S'unir à B'riséïs en montant <strong>sur</strong> sa couche. .<br />

De <strong>la</strong> haine en ton sein étouffe le transport,<br />

Et pour solenniser un mutuel accord,<br />

La table <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s, sous ses tentes dressée,<br />

Verra conclure enfin l'union commencée. .<br />

Atri<strong>de</strong> ! désormais comman<strong>de</strong> à ta fureur;<br />

Un roi peut sans opprobre expier une erreur. »<br />

Agamemnon reprend : « Sage fils <strong>de</strong> Laërte !<br />

Toujours pour l'équité ta bouche s'est ouverte.<br />

Tu le veux; enchaîné par un serment pieux,<br />

Je ne <strong>de</strong>viendrai point parjure envers les Dieux.


CHANT DIX-NEUVIÈME. 3a9<br />

C'est là tout mon désir. Qu'Achille encor modère<br />

Ce généreux é<strong>la</strong>n qui l'entraîne à <strong>la</strong> guerre ;<br />

Grecs ! atten<strong>de</strong>s aussi que mes divers trésors<br />

Soient du fond <strong>de</strong> ma tente apportés sui* ces bords,<br />

Et que le sang versé <strong>de</strong>s nombreuses victimes<br />

Cimente nos sermens par <strong>de</strong>s nœuds légitimes.<br />

Ulysse ! qu'avec toi l'élite <strong>de</strong>s soldats<br />

Jusque-vers mon vaisseau précipite ses pas;<br />

Cours chercher les présens , amène les captives.,<br />

Et que Talthybïus conduise <strong>sur</strong> ces rives<br />

Le sanglier qui doit , immolé par mon fer,<br />

Honorer le Soleil <strong>et</strong>'fléchir Jupiter. »<br />

« Roi <strong>de</strong>s hommes, Atrï<strong>de</strong>! un-pareil sacrifice<br />

Deman<strong>de</strong>.f a dit Achille, une heure plus propice.<br />

Attends que le Dieu Mars, rassasié <strong>de</strong>. sang,<br />

Ait apaisé l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> mon cœur frémissant.<br />

Hector , quand Jupiter lui donnait <strong>la</strong> victoire,<br />

Immo<strong>la</strong> nos guerriers; ik dorment tous sans gloire,<br />

Et l'on pense aux festins ! Grecs ! suivez mon conseil :<br />

Oui, courez, <strong>de</strong>vançant <strong>la</strong> fuite du soleil,<br />

Illustrer sans r<strong>et</strong>ard vos généreux courages ;<br />

Dans le sang <strong>de</strong>s Troyens effacez nos outrages,


33o L'ILIADE.<br />

Et TOUS viendrez après, <strong>rendus</strong> aux doux loisirs,<br />

D'un nocturne festin savourer les p<strong>la</strong>isirs.<br />

Pour moi,' <strong>de</strong> vos banqu<strong>et</strong>s je refuse les charmes.<br />

Quand Patrdcle, entouré <strong>de</strong> mes soldats en <strong>la</strong>rmes,<br />

Pâle <strong>et</strong> sang<strong>la</strong>nt, les pieds étendus vers le seuil,<br />

Repose sous ma tente <strong>et</strong> réc<strong>la</strong>me un cercueil,<br />

Mon âme n'a besoin , pour assouvir sa rage,<br />

Que <strong>de</strong> gémissemens , <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> carnage. »<br />

Ulysse au cœur pru<strong>de</strong>nt lui répond en ces mots :<br />

« Fils <strong>de</strong> Pelée ! Achille ! invincible héros I<br />

Tu sais , <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en main , défendre mieux <strong>la</strong> Grèce.<br />

Je te cè<strong>de</strong> en valeur , mais non point en sagesse :<br />

Je naquis le premier, <strong>et</strong> dans mon souvenir<br />

Des faits bien plus nombreux viennent se réunir.<br />

Souffre donc que ma voix te conseille <strong>et</strong> t'instruise.<br />

Aisément <strong>de</strong>s mortels le courage s'épuise ;<br />

Si d'abord, les héros, en foule exterminés ,<br />

Par l'homici<strong>de</strong> airain succombent moissonnés,<br />

Un sang moins abondant ruisselé sous les <strong>la</strong>nces",<br />

A l'heure où Jupiter incline ses ba<strong>la</strong>nces,<br />

Le puissant Jupiter qui, maître <strong>de</strong>s humains,<br />

Voit le sort <strong>de</strong>s combats reposer dans ses mains.


CHANT DIX-NEUVIÈME. 33i<br />

Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> nos regr<strong>et</strong>s quel sera donc le terme 1<br />

Si oous pleurons les morts que <strong>la</strong> tombe renferme ?<br />

Faut-il les honorer par le jeûne <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uil ?<br />

Non? non : adm<strong>et</strong>tons-les aux honneurs du cercueil;<br />

Mais Touant un seul jour à <strong>de</strong> trop justes <strong>la</strong>rmes,<br />

Oublions leur trépas <strong>et</strong> reprenons*les armes.<br />

Pour nous, dans les combats à <strong>la</strong> mort échappes 1<br />

Quand les soins <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s nous auront occupés,<br />

Revêtus <strong>de</strong> l'airain , sans -dé<strong>la</strong>i 1 sans relâche T<br />

Courons tous accomplir notre intrépi<strong>de</strong> tâche.<br />

Un seul ordre suffit ; honte aux lâches guerriers!<br />

Attaquons les Troyens 1 ces dompteurs <strong>de</strong> coursiers.<br />

Réveillons le Dieu Mars. » Vers <strong>la</strong> tente d'Atri<strong>de</strong><br />

D. s'avance ; avec lui marchant d'un pas rapi<strong>de</strong>,<br />

Mé<strong>la</strong>nîppe <strong>et</strong> Mégès , Thoas <strong>et</strong> Mérïon,<br />

Les enfans <strong>de</strong> Nestor, <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Gréonf<br />

Lycomè<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s Grecs prompts à remplir l'attente y<br />

Ont apporté du fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> rop<strong>de</strong> tente<br />

Vingt vases éc<strong>la</strong>tans5 sept trépieds merveilleux ;<br />

Douze fougueux coursiers bondissent auprès d'eux.<br />

On voit paraître encor sept captives dociles,<br />

En <strong>de</strong>s travaux divers également habiles ;


33^ .. L'ILIADE.<br />

La fille <strong>de</strong> Brisés s'avance à leur côte ;<br />

Elle offre à tous les yeux l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> sa beauté ;<br />

Et le divin Ulysse à leur tête s'é<strong>la</strong>nce 7<br />

Portant dix talens d'or pesés dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce. •<br />

Quand les jeunes guerriers dans le sein du Conseil<br />

Ont <strong>de</strong>s nombreux trésors déposé l'appareil,<br />

Au pasteur <strong>de</strong>s humains Talthybius présente<br />

Du sanglier sacré <strong>la</strong> tête obéissante.<br />

Agamemnon se lève ; il saisit le couteau<br />

Qui brille suspendu près du vaste fourreau 1<br />

Dépouille <strong>la</strong> victime 7 <strong>et</strong> <strong>de</strong> son poil sauvage<br />

Au puissant Jupiter offre un premier hommage.<br />

Bientôt, environné <strong>de</strong>s Grecs silencieux,<br />

Sur <strong>la</strong> voûte céleste il attache ses yeux :<br />

« 0 Jupiter ! du ciel dominateur suprême !<br />

Déesses <strong>de</strong>s enfers, terribles au b<strong>la</strong>sphème 7<br />

Et vous j Terre! Soleil ! je vous prends à témoins<br />

QueBrïséisf obj<strong>et</strong>-<strong>de</strong> respects <strong>et</strong> <strong>de</strong>" soins,<br />

Jamais f- entre mes bras esc<strong>la</strong>ve profanée 1<br />

A <strong>de</strong> honteux emplois ne gémit condamnée.<br />

Dieux justes ! si ma voix prononce un faux serment^<br />

Frappez ! j'attends <strong>de</strong> vous un cruel châtiment. »


CHANT DIX-NEUYIÈME. 333<br />

En achevant ces mots, le héros magnanime<br />

Plonge son fer tranchant au cou <strong>de</strong> <strong>la</strong>- victime ;<br />

Soudain, Talthybius, l'agitant dans les airs,<br />

La <strong>la</strong>nce au vaste sein <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>nchissantes mers?<br />

Et <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te en pâture à leurs monstres avi<strong>de</strong>s,<br />

Lorsqu'AchiUe^ entouré <strong>de</strong>s soldats intrépi<strong>de</strong>s y<br />

Se lève : « 0 Jupiter ! tes imp<strong>la</strong>cables mains<br />

D'infortunes sans nombre accablent les humains.<br />

Si tu n'avais frappé les Grecs <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te rive? ><br />

Jamais Agamemnon, m'arrachant ma captive ,<br />

N'eût commencé le cours <strong>de</strong>-nos sang<strong>la</strong>ns débats...<br />

Grecs ! volez aux festins, <strong>de</strong>s festins aux combats ;<br />

Séparez-vous. » Il dit, <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule docile<br />

De ses <strong>la</strong>rges vaisseaux a regagné l'asyle.<br />

On se disperse ; alors les braves Mjrmïdons<br />

Sous les tentes d'Achille ont déposé les dons ;<br />

Chaque esc<strong>la</strong>ve s'assied ; les serviteurs fidèles<br />

Conduisent les chevaux vers.leurs crèches nouvelles.<br />

Belle comme Vénus 1 Briséïs en tremb<strong>la</strong>nt<br />

De Patrocle expiré voit le corps tout sang<strong>la</strong>nt ?<br />

Le presse entre ses bras ^ avec ses mains outrage<br />

Sa gorge délicate <strong>et</strong> son charmant visage 7


334 L'ILIADE.<br />

Et , mortelle semb<strong>la</strong>ble aux habitans <strong>de</strong>s cieux ,<br />

Le cœur gros <strong>de</strong> soupirs , <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes dans les yeux :<br />

« Ami d'une captive <strong>et</strong> d'une infortunée ,<br />

Patrocle I loin d'ici quand je fus entraînée,<br />

Je te <strong>la</strong>issai vivant,., je te r<strong>et</strong>rouve mort...<br />

Chef <strong>de</strong>s peuples ! combien je dois pleurer mon sort !<br />

La misère pour moi succè<strong>de</strong> à <strong>la</strong> misère.<br />

L'époux que me choisit ma vénérable mère ,<br />

Mourut sous nos remparts ; j'eus trois frères chéris,<br />

Formés du même sang , du même <strong>la</strong>it nourris ;<br />

Je les vis expirer... Quand le fougueux Achille<br />

De Mynès, fils <strong>de</strong>s Dieux, incendia <strong>la</strong> ville ,<br />

Et du plus tendre époux priva mon jeune amour ,<br />

Prompt à sécher mes pleurs, tu me disais qu'un jour,<br />

Achille , jusqu'à Phthie emmenant sa conquête,<br />

D'un pompeux hyménée ordonnerait <strong>la</strong> fête.<br />

Toujours me rappe<strong>la</strong>nt mon noble défenseur ,<br />

Je pleurerai ta mort, ami plein <strong>de</strong> douceur! »<br />

A ce touchant discours les captives répon<strong>de</strong>nt.<br />

On dirait que leur sort <strong>et</strong> leurs maux se confon<strong>de</strong>nt ;<br />

Mais lorsque <strong>sur</strong> Patrocle elles versent <strong>de</strong>s pleurs,<br />

Leur cœur secrètement p<strong>la</strong>intleurs propres malheurs.


CHANT DIX-NEUVIÈME. 335<br />

Auprès if Achille, en vain tous les rois <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Veulent dans le* banqu<strong>et</strong>s consoler sa tristesse,<br />

« Ah ! si je vous suis cher, dit-il en soupirant ,<br />

Respectez <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>uil le suj<strong>et</strong> déchirant.<br />

Pour moi point d'alimens , pour moi point <strong>de</strong> breuvage^<br />

Tant que l'astre du jour éc<strong>la</strong>ire ce rivage.<br />

Partes. » On obéit; près du héros eoeor<br />

Restent Idoménée , <strong>et</strong> Phénix <strong>et</strong> Nestor ,<br />

Ulysse égal aux Dieux, <strong>et</strong> le» <strong>de</strong>ux fils d'Atrée.<br />

D'un chagrin non moins vif son ame est pénétrée ;<br />

Sa douleur a besoin <strong>de</strong> carpage <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang.<br />

Plein d'amers souvenirs , il parle en gémissant :<br />

« Ami ! quand aux Troyens nos redoutables armes<br />

Renvoyaient les combats, source <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes 7<br />

C'est toi qui, dans ma tente, apprêtais nos festins ;<br />

Ton zèle m'était cher... Vaincu par les Destins ,<br />

Tu reposes sans vie, <strong>et</strong> moi, j'existe encore !<br />

On m'offre <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s I ma douleur les abhorre.<br />

À n'est plus <strong>de</strong> malheur à mon .malheur égal,<br />

Non , quand même <strong>de</strong> Phthie un message fatal<br />

M'instruirait que <strong>la</strong> Parque enleva mon vieux père :<br />

Traînant dans son pa<strong>la</strong>is le poids <strong>de</strong> sa misère,


336 L'ILIADE.<br />

Il gémit, <strong>et</strong> ses pleurs, versés incessamment,<br />

Re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ce fils 1 obj<strong>et</strong> d ? un long tourment 1<br />

Ce fils qui, <strong>sur</strong> les bords d'une'terre lointaine 1<br />

Doit combattre <strong>et</strong>-mourir pour Fexëcrable Hélène.<br />

Avec moins <strong>de</strong> douleur j'apprendrais que <strong>la</strong> mort<br />

Du beau Néoptolème a terminé le sort....<br />

Qui sait f hé<strong>la</strong>s ! qui sait, si 1 promis à Fempire ,<br />

Elevé dans Scyros, mon fils encor respire ?<br />

Dans le fond <strong>de</strong> mon cœur bercé d'un vain espoir,<br />

Je croyais , noble ami que je ne dois plus voir !<br />

Périr seul , loin d'Argos en beaux coursiers fertile ,<br />

Sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge étrangère où le Destin m'exile.<br />

Patrocle ! j'espérais que <strong>sur</strong> tes noirs vaisseaux<br />

-Avec ce fils chéri t'éloignant <strong>de</strong> Scyros ,<br />

Tu reviendrais dans Phthie offrir à sa jeunesse<br />

Mon superbe pa<strong>la</strong>is, mes captifs 7 ma richesse.<br />

Pelée est mort peut-être, ou sa longue douleur ,<br />

Fléchissant sous le poids <strong>de</strong> Fâge <strong>et</strong> du malheur ,<br />

Pour <strong>de</strong>scendre au séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit éternelle,'<br />

Attend <strong>de</strong> mon trépas <strong>la</strong> sinistre nouvelle. »<br />

Ainsi, frappant les rois d'un cruel souvenir,<br />

Le héros à ses pleurs voyait leurs pleurs s'unir 7


CHANT DIX-NEUVIÈME. 337.<br />

Et chacun 'regr<strong>et</strong>tait <strong>la</strong> famille chérie ,<br />

Laissée , à son départ, dans <strong>la</strong>' douce patrie.<br />

Le Dieu, fils <strong>de</strong> Saturne , ému <strong>de</strong> leurs chagrins ,<br />

Communique à Pal<strong>la</strong>s ses ordres souverains :<br />

« 0 ma fille ! a-t-E dit , c<strong>et</strong> intrépi<strong>de</strong> Achille<br />

Sera-tril donc l'obj<strong>et</strong> d'une,pitié stérile ?<br />

Pleurant son compagnon, ' <strong>et</strong> cédant à ses maux ,<br />

Il gémit seul") assis <strong>de</strong>vant ses grands vaisseaux,<br />

Et seul, quand <strong>de</strong>s festins tous savourent les charmes,<br />

Se nourrit <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>s <strong>et</strong> s'abreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes.<br />

Va , cours le ranimer ; d'un, nectar bienfaisant .<br />

Dans son cœur abattu verse-lui le présent.' »<br />

Comme un mi<strong>la</strong>n 9 du haut <strong>de</strong>s voûtes éternelles,<br />

Pousse <strong>de</strong>s cris aigus, ouvre <strong>de</strong> <strong>la</strong>rges ailes,<br />

Minerve qu'excita" le souverain <strong>de</strong>s Dieux , .<br />

S'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> l'Olympe, <strong>et</strong> traversant les eieux,<br />

Debout, parmi les Grecs , d'une liqueur choisie .<br />

Dans le sein du héros épanche l'ambroisie ; •<br />

Ainsi <strong>la</strong> faim cruelle aux aiguillons pressans<br />

Ne fera point fléchir ses genoux <strong>la</strong>nguissans.<br />

Tandis qu'elle remonte au pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> son père,.<br />

Loin <strong>de</strong>s légers vaisseaux vers les champs <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

a. aa


338 . L'ILIADE,<br />

On voit <strong>de</strong>s Grecs nombreux marcher les bataillons*<br />

Lorsque gron<strong>de</strong> <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s fougueux aquilons ,<br />

Dans le nuage obscur <strong>la</strong> neige recelée<br />

Roule en flocons épais <strong>et</strong> tombe amoncelée :<br />

Tels les ronds boucliers 1 les cuirasses, les dards,<br />

Les casques menaçans luisent <strong>de</strong> toutes parts ;<br />

L'Olympe s'en éc<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> <strong>la</strong> terre charmée<br />

Sourit aux feux lointains dont resplendit Farmëe.<br />

Sous les pas <strong>de</strong>s guerriers le sol profond gémit.<br />

Entouré <strong>de</strong> soldats , le fils <strong>de</strong>s Dieux frémit;<br />

Ses <strong>de</strong>nts c<strong>la</strong>quent; ses yeux brilent comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme j<br />

Une sombre douleur s'empare <strong>de</strong> son âme,<br />

Et son bras f menaçant les Troyens exécrés f<br />

De Fhabile Vulcain revêt les dons sacrés.<br />

Le riche bro<strong>de</strong>quin à ses jambes s'en<strong>la</strong>ce ;<br />

Sur son corps s'arrondit <strong>la</strong> mobile cuirasse.<br />

Le g<strong>la</strong>ive aux clous d'argent; à <strong>la</strong> <strong>la</strong>me d'airain f<br />

S'agite <strong>sur</strong> son dos? <strong>et</strong> dans sa forte main<br />

Du vaste bouclier <strong>la</strong> masse tout entière 7<br />

Gomme <strong>la</strong> lune, envoie une vive lumière :<br />

Tel encore t éc<strong>la</strong>irant FOcéan poissonneux f<br />

Sur un mont solitaire ^ un phare lumineux


CHANT DIX-NEUVIEME. 33g<br />

Apparaît, aux nochers qu'en sa fureur soudaine<br />

Loin <strong>de</strong> tous leurs amis un sombre orage entraîne.<br />

D'un panache flottant par Vulcain embelli,<br />

Le grand casque a couvert son front enorgueilli!<br />

Et <strong>de</strong> ses crins épais ba<strong>la</strong>nçant <strong>la</strong> couronne ?<br />

La chevelure d'or ? comme un astre , rayonne.<br />

Sous ce riche appareil préludant aux combats 7<br />

Achille y en-remuant <strong>et</strong> ses pieds <strong>et</strong> ses bras,<br />

S'avance 7 <strong>et</strong> Fon dirait que ces armes nouvelles<br />

L'enlèvent dans les airs <strong>sur</strong> <strong>de</strong> légères ailes.<br />

Bientôt du vaste frêne il agite le poids j<br />

Loin du haut Pélion le Centaure autrefois<br />

Pour <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s héros apportant c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce ,<br />

De son ami Pelée en arma <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce.<br />

Avec <strong>de</strong> forts liens , Alcime? Automédon<br />

P<strong>la</strong>cent les <strong>de</strong>ux coursiers sous le pesant timon ;<br />

Leur bouche mord le frein , <strong>et</strong> Fune <strong>et</strong> Fautre gui<strong>de</strong><br />

S'allonge en s'étendant jusqu'au siège soli<strong>de</strong>.<br />

Le jeune Automédon prend le fou<strong>et</strong> éc<strong>la</strong>tant ;<br />

Le premier <strong>sur</strong> le char il monte ; au même instant,<br />

Achille Fa suivi j ses armes resplendissent,<br />

Comme Fastre du jour dont les rayons grandissent.<br />

aa.


34o L'ILIADE.<br />

Aux coursiers <strong>de</strong> son père il s'adresse, <strong>et</strong> sa voix<br />

Par ces terribles mots leur a dicté ses lois :<br />

« 0 race <strong>de</strong> Podarge, ô Balie, <strong>et</strong> toi, Xanthe !<br />

Quand <strong>la</strong> guerre pour nous <strong>de</strong>viendra trop pesante ,<br />

Ramenez-moi vainqueur ; courage ! n'allez pas j<br />

Gomme Patrocle, ici, me livrer au trépas. »<br />

Xanthe incline <strong>la</strong> tête, <strong>et</strong> sa crinière épaisse,<br />

En flottant <strong>sur</strong> Je joug , vers <strong>la</strong> terre s'abaisse :<br />

« Achille ! ne crains pas un honteux abandon,<br />

Répond l'ar<strong>de</strong>nt coursier ? inspiré par «lunon.<br />

Nous sauverons tes jours ; mais <strong>la</strong> mort te menace ;<br />

Le Ciel <strong>et</strong> les Destins briseront ton audace.<br />

Si Patrocle périt, dépouillé <strong>sur</strong> ce bord 7<br />

Notre lâche lenteur ne cause pas sa mort ,<br />

Et seul le fils puissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Latone<br />

A <strong>la</strong> fureur d'Hector sans pitié l'abandonne.<br />

Quand même du Zéphyr 1 le plus léger <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Nos pas égaleraient le vol audacieux,<br />

Tu ne peux échapper aux Parques homici<strong>de</strong>s ;<br />

Tremble, Achille ! un mortel, un Dieu... » Les Euméni<strong>de</strong>s<br />

De sa voix prophétique ont étouffé l'accent.<br />

* O Xanthe ! a répondu le héros frémissant :


[<br />

CHANT DIX-NEUVIEME. a/fi<br />

Pourquoi me révéler un funèbre présage ?<br />

Tais-toi ; je le sais trop : <strong>sur</strong> ce cruel rivage,<br />

Loin d'une tendre mère <strong>et</strong> d'un père chéri,<br />

Frappé dans les combats , j'aurai bientôt péri.<br />

J'espère toutefois, avant mes funérailes 7<br />

Fatiguer les Troyens à force <strong>de</strong> batailles. »<br />

En j<strong>et</strong>ant <strong>de</strong> grands cris ? le guerrier valeureux<br />

Dirige aux premiers rangs ses coursiers vigoureux.<br />

FIN DU DIX-NEUVIÈME CHANT.


CHANT VINGTIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT VINGTIEME.<br />

Jupiter rassemble les Dieux dans POlympe * <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />

<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre pour faYoriser les Grecs <strong>et</strong> les Troyens. — Apprêts du<br />

combat. — Terreur <strong>de</strong> Pluton. — Énée défie Achille <strong>et</strong> fuit enlevé<br />

dans un nuage par Neptune. — Rencontre d'Hector <strong>et</strong> d'Achille. —<br />

Apollon conseille à Hector <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>irer. «— Triomphe d'Achille; il<br />

immole Polydore <strong>et</strong> d 9 autres guerriers troyeas.


LILIADE.<br />

CHANT VINGTIÈME.<br />

•mm<br />

Devant leurs noirs vaisseaux, ainsi, fils <strong>de</strong> Pelée' !<br />

• Des Grecs impatiens <strong>la</strong> foule amoncelée<br />

S'arme ? <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur côté les guerriers d'Ilion,<br />

Sur le tertre voisin rangent leur bataillon. • t<br />

Du faîte <strong>de</strong> l'Olympe aux cimes innombrables 1<br />

Jupiter a dicté ses ordres vénérables ;<br />

Thémïs s'est é<strong>la</strong>ncée, <strong>et</strong> le divin pa<strong>la</strong>is<br />

Excepté l'Océan, accueille sans, dé<strong>la</strong>is<br />

Les fleuves mugissans, <strong>et</strong> ces njmphes chéries •<br />

Qui peuplent les forêts, les sources , les prairies.<br />

Quand tous les immortels, <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s trônes polis<br />

Que <strong>de</strong> Fadroit Vulcain les soins ont .embellis -f


346 L'ILIADE.<br />

Réunis dans l'Olympe ? atten<strong>de</strong>nt en silence 9<br />

A <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thémïs, Neptune enfin s'é<strong>la</strong>nce,<br />

Et, prompt à dé<strong>la</strong>issa* les gouffres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer 7<br />

Assis parmi les Dieux, consulte Jupiter :<br />

« Pourquoi nous convoquer^ monarque <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre ?<br />

Sur chaque peuple ici que veux-tu donc résoudre ?<br />

La guerre se prépare à rallumer ses feux. »<br />

« Oui, répond Jupiter, tu <strong>de</strong>vines mes vœux,<br />

0 toi dont <strong>la</strong> ceinture environne <strong>la</strong> terre !<br />

Je. songe à ces héros moissonnés par <strong>la</strong> guerre.<br />

Tandis qu'assis en paix <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

De leurs sang<strong>la</strong>ns combats je charmerai mes yeux ,<br />

Allez f <strong>et</strong> qu'envers eux chacun <strong>de</strong> vous signale<br />

Son bienveil<strong>la</strong>nt amour ou sa haine fatale.<br />

Seul contre les Troyens Achille combattant<br />

Remporterait sans peine un triomphe éc<strong>la</strong>tant ;<br />

Si son aspect naguère effrayait leur armée,<br />

Je crains que sa valeurf par <strong>la</strong> haine enf<strong>la</strong>mmée,<br />

Au mépris <strong>de</strong>s Destins, frappant <strong>de</strong>s coups trop sûrs?<br />

D'Bion aujourd'hui ne renverse les murs. »<br />

La Discor<strong>de</strong>, à ces mots, dans son aveugle rage f<br />

Précipite les Dieux vers'les champs du carnage 9


CHANT VINGTIÈME. %<br />

Et les voit, animés <strong>de</strong> sentimens diversf<br />

D'un vol impatient se rendre aux bords <strong>de</strong>s mers.<br />

La puissante Junon, Neptune dont les on<strong>de</strong>s<br />

D'une humi<strong>de</strong> ceinture environnent les mon<strong>de</strong>s 7<br />

Mercure , Dieu pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> propice aux humains,<br />

Minerve f <strong>de</strong>s combats ont suivi les chemins ;<br />

Sur leurs traces Vulcain d'une marche inégale<br />

Se traîne, -<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses yeux <strong>la</strong> colère s'exhale.<br />

Mars au casque superbe, en son essor guerrier 1<br />

Parmi les rangs troyens s'avance le premier ;<br />

Latone qui frémit ? le Xantlie qui murmure,<br />

Phébus qui livre aux vents sa longue chevelure 1<br />

Vénus au doux soiiris, Diane aux traits légers<br />

Affrontent avec lui les belliqueux dangers.<br />

En f absence <strong>de</strong>s Dieux, ivres <strong>de</strong> leur victoire 7<br />

Les Grecs au seul Achille ont dû toute leur gloire.<br />

Digne rival <strong>de</strong> Mars, Fintrépi<strong>de</strong> héros<br />

A reparu vainqueur après un long -repos ;<br />

Son armure étincelle 7 <strong>et</strong> les Troyens s-étonnent;<br />

D'une froi<strong>de</strong> terreur tous leurs membres frissonnent.<br />

Mais quand, pour assister au combat menaçant,<br />

Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à <strong>la</strong> fois l'Olympe entier <strong>de</strong>scend,


348 L'ILIADE.<br />

Tout à coup j <strong>de</strong> vengeance <strong>et</strong> <strong>de</strong> meurtres avi<strong>de</strong> ,<br />

La Discor<strong>de</strong> se lève, <strong>et</strong> dans son vol rapi<strong>de</strong> ?<br />

Sur les bords du fosse 1 <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers,<br />

PaUas <strong>de</strong> ses c<strong>la</strong>meurs épouvante les airs.<br />

Tel qu'un sombre ouragan, <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> Pergame<br />

Mars pousse les Troyens que son exemple enf<strong>la</strong>mme,<br />

Ou terrible f parcourt, auprès du, Simoïs,,<br />

Le mont Calicolone branlé par ses cris.<br />

Ainsi les immortels gui<strong>de</strong>nt les <strong>de</strong>ux armées<br />

D'une aveugle fureur, à leur voix, animées ,<br />

Lorsque le roi puissant <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Tonne, sa foudre en main, <strong>sur</strong> le faîte <strong>de</strong>s cieux.<br />

Neptune agite alors l'immensité du mon<strong>de</strong> j<br />

Les monts tremblent; <strong>la</strong> flotte a tressailli <strong>sur</strong> l'on<strong>de</strong> j<br />

Des remparts d'Hion le faîte a chancelé<br />

Et dans ses fon<strong>de</strong>mens ïïda s'est ébranlé.<br />

Monarque <strong>de</strong>s enfers où ce fracas résonne ?<br />

Pluton épouvanté s'é<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> son trône ;<br />

Il crie, <strong>et</strong>, parcourant son pa<strong>la</strong>is souterrain,<br />

Tremble que d'un seul coup du tri<strong>de</strong>nt souverain 7<br />

Neptune , ouvrant <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> ses cavernes sombres ,<br />

Ne dévoile aux • vivans c<strong>et</strong> empire <strong>de</strong>s ombres,


CHANT VINGTIÈME. 3%<br />

Empire désolé , redoutable , odieux,<br />

Maudit par les.,mortels , abhorré par les Dieux,<br />

Tant <strong>la</strong> céleste armée en sa fureur guerrière<br />

Remplit d'un bruit lointain <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tout entière ! •<br />

Ses flèches à <strong>la</strong> main 9-Apollon irrité<br />

Fond <strong>sur</strong> le roi Neptune avec célérité ;.<br />

Pal<strong>la</strong>s aux yeux d'azur contre Mars se déchaîne,<br />

Et vers elle «lunon voit marcher dans F arène<br />

C<strong>et</strong>te sœur <strong>de</strong> Phébus, Diane, dont les traits .<br />

Par son arc d'or <strong>la</strong>ncés, volent dans les forêts.<br />

Mercure, Dieu sauveur que <strong>la</strong> force environne,<br />

D'un pas précipité s'avance <strong>sur</strong> Latone j<br />

Enfin Vulcain combat ce fleuve audacieux,<br />

Scamandre <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre <strong>et</strong> Xanthe dans les cïeux.<br />

Ainsi contre les Dieux les Dieux luttaient, Achille<br />

S'ouvre parmi les rangs un passage facile ;<br />

Partout il cherche Hector, <strong>et</strong> voudrait dans son sang<br />

Éteindre du Dieu Mars le courroux frémissant.<br />

Témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère où son ame est en proie 1<br />

Pour ranimer l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s pha<strong>la</strong>nges <strong>de</strong> Troie,<br />

Issu <strong>de</strong> Jupiter f le bril<strong>la</strong>nt Apollon,<br />

D'un enfant <strong>de</strong> Priam, du jeune Ljcaon


35o L'ILIADE.<br />

Empruntant à <strong>la</strong> fois les traits <strong>et</strong> le <strong>la</strong>ngage f<br />

Debout auprès d'Enée, à combattre l'engage :<br />

s Pru<strong>de</strong>nt chef <strong>de</strong>s Troyens ! où sont-ils ces exploits<br />

Qu'en nos joyeux banqu<strong>et</strong>s tu promis à nos rois ?<br />

Tu défiais Achille. » — « Ami ! répond Enée ;<br />

Ma valeur est en vain contre Achille entraînée.<br />

J'ai connu <strong>sur</strong> l'Ida ce terrible agresseur f<br />

Lorsque-, <strong>de</strong> nos troupeaux insolent ravisseur f<br />

Dans Pédase <strong>et</strong> Lyrnesse il porta le ravage ;<br />

Pal<strong>la</strong>s le conduisait, <strong>et</strong> semant le carnage}<br />

Du belliqueux Lélège <strong>et</strong> <strong>de</strong>s fils d'Hion<br />

L'excitait à frapper le nombreux bataillon ;<br />

Et moi j sans Jupiter , sans ma vigueur agile ,<br />

Je tombais sous les coups <strong>de</strong> Finvincible Achille}<br />

Car nul mortel n'échappe à son. bras <strong>de</strong>structeur.<br />

Sur lui d'un Dieu, puissant le regard protecteur<br />

Toujours veille, <strong>et</strong> jamais sa flèche ne s'arrête<br />

Qu'au sein <strong>de</strong> l'ennemi f sa sang<strong>la</strong>nte conquête.<br />

Si le sort entre nous ba<strong>la</strong>nçait les combats f<br />

Eût-il un corps d'airaia, il ne me vaincrait pas. »<br />

« Brave guerrier ! -<strong>de</strong>s Dieux implore l'assistance f<br />

Dit Phébus ; si Thétis lui donna Pexi$tence ,


CHANT VINGTIÈME. 35i<br />

Tu <strong>la</strong> dois à Vénus, <strong>et</strong> du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer<br />

Le sang n'égale pas le sang <strong>de</strong> Jupiter.<br />

Pour frapper ce héros que ta flèche s'envole j<br />

Marche sans redouter sa menace frivole. •<br />

D\me nouvelle ar<strong>de</strong>ur par Phébus animé<br />

Le pasteur <strong>de</strong>s humains s'é<strong>la</strong>nce tout armé ;<br />

Tandis que, <strong>de</strong>s combats parcourant le théâtre,<br />

Il vole aux premiers rangs , Junon aux bras d'albâtre.<br />

L'aperçoit , à travers <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s soldats 7<br />

Contre son fier rival précipitant ses pas ;<br />

Elle appelle les Dieux : « O Minerve ! ô Neptune !<br />

Dans le fond <strong>de</strong> vos cœurs prévoyez l'infortune ;<br />

Craignez le Sort. Enée , impatient du frein ,<br />

Enée , étince<strong>la</strong>nt sous ses anyies d'airain,<br />

Accourt , mais contre Achille Apollon qui l'entraioe,<br />

Le verra <strong>de</strong>vant nous abandonner l'arène.<br />

Qu'Achille, ceint <strong>de</strong> force <strong>et</strong> grand par notre appui,<br />

Sache quels Dieux puissans s'intéressent à lui 7<br />

Et que les autres ^Dieux, vains défenseurs <strong>de</strong> Troie ,<br />

Au carnage, à <strong>la</strong> mort n'arrachent pas leur proie.<br />

Si, du haut <strong>de</strong> FOlympe à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>scendus ,<br />

Nous venons tous combattre, aux mortels confondus,


35a L'ILIADE.<br />

C'est pour voir triompher ce héros indomptable.<br />

Plus tard, il subira le sort inévitable!<br />

Que les Parques f tournant leur avare fuseau ,<br />

Lui filèrent jadis aux bords <strong>de</strong> son berceau.<br />

S'il ne marche enhardi par quelque voix divine ,<br />

Loin <strong>de</strong> braver les traits qu'Apollon lui <strong>de</strong>stine ,<br />

H fuira sans combat son céleste rival,<br />

Tant l'aspect seul <strong>de</strong>s Dieux aux mortels est fatal ! »<br />

Mais Neptune : « Bannis ces indignes a<strong>la</strong>rmes.<br />

Ne nous excitons pas à ressaisir nos armes,<br />

Et, <strong>sur</strong> un tertre assis , spectateurs du danger,<br />

Laissons tous ces humains combattre <strong>et</strong> s'égorger.<br />

Si Mars <strong>et</strong> si Phébus, .engageant <strong>la</strong> querelle,<br />

Épouvantaient Achille <strong>et</strong> r<strong>et</strong>enaient son zèle,<br />

La.Discor<strong>de</strong> soudain nous enf<strong>la</strong>mmerait tous;<br />

Nous les verrions tous <strong>de</strong>uxsuccomber sous nos coups.<br />

Et tous <strong>de</strong>ux, emportés par une.fuite prompte,<br />

Reviendraient dans FOlympe ensevelir leur honte,®<br />

Neptune.aux verts cheveux les conduit sans r<strong>et</strong>ard<br />

Jusqu'au vaste somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'antique rempart, •<br />

Qui, bâti par Pal<strong>la</strong>s, sauva le grand Alci<strong>de</strong>,<br />

Poursuivi loin <strong>de</strong>s mers par un monstre homici<strong>de</strong>.


CHANT VINGTIEME. 353<br />

Là Neptune s'arrête avec les autres Dieux, '<br />

Qu'un nuage profond dérobe à tous les yeux.<br />

Ailleurs, <strong>sur</strong> le penchant du mont CaUieolone,<br />

Des vengeurs dHion <strong>la</strong> foule t'environne,<br />

Bril<strong>la</strong>nt Phébus ! <strong>et</strong> Mars, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités ,<br />

Pour combattre avec toi, se p<strong>la</strong>ce à tes côtés.<br />

Ainsi , <strong>sur</strong> <strong>la</strong> colline , au faîte <strong>de</strong>s murailles ,<br />

Tous les Dieux différaient les cruelles batailles, .<br />

Lorsqu'assis dans les cieux, Jupiter a tonné ;<br />

Les airs ont r<strong>et</strong>enti ; le signal est donné.<br />

Les armes, les chevaux, les combattans frémissent,<br />

Et du sol ébranlé les entrailles gémissent.<br />

L'airain luit. Tout à coup <strong>de</strong>ux héros, furieux,<br />

Le fils d'Anchise, Enée, Achille, enfant <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Sortent impatiens <strong>de</strong> F une <strong>et</strong> l'autre armée,<br />

Et d\m égal courroux leur âme est enf<strong>la</strong>mmée.<br />

Enée, en s'agitant sous le casque d'airain,<br />

Couvert du bouclier <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main,<br />

S'approche, <strong>et</strong> son rival, fort <strong>de</strong> sa. seule audace,<br />

S'avance, dédaignant une vaine menace.<br />

Le lion que poursuit un peuple <strong>de</strong> chasseurs,<br />

Méprise les efforts <strong>de</strong> leurs traits agresseurs ; •


354 L'ILIADE.<br />

• On le blesse; il s'arrête, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa gueule ar<strong>de</strong>nte<br />

Ruisselle à flots épais une écume abondante ;<br />

Son courage frémit dans son sein généreux ;<br />

Avec sa <strong>la</strong>rge queue il bat ses f<strong>la</strong>ncs poudreux ,<br />

Et les yeux enf<strong>la</strong>mmés, altéré <strong>de</strong> carnage ,<br />

Ou triomphe ou périt en vengeant son outrage :<br />

Tel le fougueux Achille accourt , <strong>et</strong> le premier,<br />

S'adressant au Troyen : <strong>et</strong> Téméraire guerrier !<br />

Réponds : parmi les rangs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te foule immense r<br />

Contre moi quel <strong>de</strong>stin entraîne ta démence?<br />

Crois-tu , si le succès couronne tes efforts ,<br />

Obtenir <strong>de</strong> Priam le sceptre <strong>et</strong> les trésors ?<br />

Priam a <strong>de</strong>s enfans, <strong>et</strong> sa vieille sagesse<br />

N'ira point confier l'empire à ta jeunesse.<br />

Si je tombe expirant sous tes coups ennemis ,<br />

Peut-être les Troyens à tes vœux ont promis<br />

Des vignes, <strong>de</strong>s moissons, un fertile domaine...<br />

Abjure, Enée! abjure une espérance vaine.<br />

Toi, mon vainqueur! jamais... Ce n'est pas d'aujourd'hui<br />

Qu'Achille te verra reculer <strong>de</strong>vant lui.<br />

Ne te souvient-il plus qu'ar<strong>de</strong>nte à ta poursuite,<br />

Ma <strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> l'Ida déjà t'a mis en fuite ,


CHANT VINGTIÈME. ' 355<br />

Lorsque, n'osant vers moi reporter tes regards<br />

Ta frayeur <strong>de</strong> Lyrnesse implorait les remparts ?<br />

Secondé <strong>de</strong> Pa<strong>la</strong>s, qui guidait mon courage,<br />

C'est là que dispersant le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le ravage,<br />

Aux femmes qu'enfermait c<strong>et</strong>te vaste cité,<br />

Triomphant ^ j'ai ravi <strong>la</strong> douce liberté.<br />

Jupiter t'a sauvé ; maïs contre ma colère<br />

N'espère plus <strong>de</strong>s Dieux le soutien tuté<strong>la</strong>ire.<br />

Va donc ! r<strong>et</strong>ire-toi ; fuis <strong>la</strong> mort : F insensé<br />

Borne sa prévoyance à juger le passé. »<br />

« Achille ! lui répond le héros immobile,<br />

Crois-tu m'épouvanter comme un enfant débile ?<br />

Tu m'insultes ? <strong>et</strong> moi .je pourrais aisément<br />

Exhaler à mon tour mon fier ressentiment.<br />

Les récits, prononcés par les bouches humaines f<br />

Nous ont appris quel sang circule dans nos veines,<br />

Bien que <strong>de</strong> nos parens le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parts<br />

N'ait présenté jamais l'aspect à nos regards.<br />

Si <strong>la</strong> vie à ton sein par Thétis fut transmise,<br />

J'ai pour mère Vénus <strong>et</strong> mon père est Anchise ;<br />

J'ai droit d'en être fier;... mais Vénus ou Thétis<br />

Va pleurer en ce, jour <strong>sur</strong> le trépas d'un fils ;<br />

23.


356 L'ILIADE. •<br />

Car, sans perdre le temps en menaces frivoles f<br />

Il nous faut <strong>de</strong>s exploits <strong>et</strong> non plus <strong>de</strong>s paroles...<br />

Toutefois , je pourrais te citer mes aïeux,<br />

Qui parmi les mortels marchèrent -glorieux.<br />

'Quand nos remparts sacrés n'existaient pas encore ,<br />

Un -fils du Dieu puissant que l'univers adore,<br />

Ce Dardantis régnait, <strong>et</strong> son pouvoir fonda<br />

L'antique Dhrdanie au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Ida. -<br />

Lorsqu'Erichthonius <strong>de</strong> ses verts marécages<br />

A trois mille jumens livra les pâturages,<br />

Borée aima-, dit-on, leur brgueilleux essaim ;<br />

Coursier aux crins d*azur, il féconda, leur sein<br />

D'où sortirent bientôt douze jeunes cavales,<br />

Qui vo<strong>la</strong>ient, du Zéphyr bondissantes rivaleâ,<br />

Sans courber <strong>de</strong>s épis le somm<strong>et</strong> jaunissant,<br />

Sans incliner les mers <strong>et</strong> leur dos b<strong>la</strong>nchissant.<br />

Fils d'Erichthonius, d'une auguste alliance<br />

Tros obtint <strong>de</strong>s enfans, fameux par leur vail<strong>la</strong>nce,<br />

Ilus, Assaracus, <strong>et</strong> ce mortel si beau,<br />

Ganymè<strong>de</strong>'qui, fier <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin nouveau,<br />

Enlevé par les Dieux à l'amour <strong>de</strong> son.père,<br />

Verse le doux nectar au. maître-du tonnerre*


CHANT VINGTIÈME. 357<br />

Dus donna <strong>la</strong> vie au grand Laomédon,<br />

Et bientôt Qytius, Lampusf Priam, Tïthon?<br />

Hicétaon , <strong>de</strong> Mars rej<strong>et</strong>on redoutable,<br />

Durent tous <strong>la</strong> naissance à ce prince équitable.<br />

Enfin Assaracus engendra ce Gapys<br />

Dont Anchise a reçu le jour qu'il m'a transmis,<br />

Priam fit naître Hector. Telle est mon origine,<br />

Et mon sang s'app<strong>la</strong>udit <strong>de</strong> sa source divine.<br />

Jupiter seul , au gré <strong>de</strong> ses puissantes mains,<br />

Fait décroître ou grandir <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s humains.<br />

Loin <strong>de</strong> nous accabler <strong>de</strong> ces propos infâmes. ?<br />

Dont le poids <strong>la</strong>sserait un navire à cent rames f<br />

Dans les sang<strong>la</strong>ns combats frivoles discoureurs,<br />

N'allons point lâchement exhaler nos fureurs.<br />

La <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s mortels, fertile en impostures ,<br />

Peut d'une <strong>et</strong> d'autre part échanger mille injures j<br />

Maïs pourquoi prolonger ces reproches jaloux %<br />

Gomme, dans les transports d'un mutuel courroux-f<br />

Deux femmes , tour à. tour f au milieu d'une p<strong>la</strong>ce 1<br />

Prodiguent sans pu<strong>de</strong>ur le mensonge <strong>et</strong> Faudace?<br />

Tes insolens discours ne m'épouvantent pas.<br />

Ce fer ya te punir... Ta mort ou mon trépas l


358 L'ILIADE.<br />

Me<strong>sur</strong>ons-nous ! » Il dit : son javelot rapi<strong>de</strong><br />

D'Achille a fait mugir le bouclier soli<strong>de</strong>.<br />

• Achille s'en étonne <strong>et</strong> son bras loin <strong>de</strong> lui<br />

De <strong>la</strong> céleste armure a détourné l'appui.<br />

Du javelot d'Énée il redoute l'atteinte.<br />

L'insensé, dans son cœur aveuglé par <strong>la</strong> crainte ,<br />

Ignore que toujours <strong>sur</strong> un présent divin<br />

Les armes <strong>de</strong>s mortels se dirigent en vain.<br />

La pointe rebondit <strong>et</strong> s'arrête engagée<br />

Dans une <strong>la</strong>me d'or que "Vulcaîn a forgée ;<br />

A peine le Troyen en a traversé <strong>de</strong>uxf<br />

Trois repoussent encor ses efforts hasar<strong>de</strong>ux ;<br />

Le Dieu qui façonna c<strong>et</strong>te pesante armure,<br />

De cinq <strong>la</strong>mes partout revêtit sa structure.<br />

La <strong>la</strong>nce en main ? Achille avec un coup adroit<br />

Frappe le bouclier <strong>et</strong> le frappe à l'endroit<br />

Où Fairaîn moins épais, où le cuir plus fragile<br />

Présentent à son fer un passage facile.<br />

Traversé par ce fer, le bouclier frémît ;<br />

Le Troyen le repousse ; il s'arrête ) il gémit 7<br />

Et sans avoir atteint son épaule effleurée,<br />

Dans-le sol entr'ouvert <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce est <strong>de</strong>meurée.-


CHANT VINGTIÈME. 359<br />

Par un hasard propice à <strong>la</strong> mort échappé ,<br />

D'un morne accablement il reste eecor frappé ;<br />

Quand il voit à ses pieds c<strong>et</strong>te arme meurtrière,<br />

Un voile <strong>de</strong> douleur obscurcit sa paupière.<br />

Poussant un cri terrible <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> main,<br />

Le Grec plus furieux tombe <strong>sur</strong> lui ; soudain<br />

Saississant un rocher que , malgré leur courage f<br />

Ne soulèveraient pas <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong> notre âge,<br />

Sur le casque d'Achille ou <strong>sur</strong> son bouclier<br />

D va d'en bras vainqueur le <strong>la</strong>ncer tout entier.<br />

Achille en s'avançant le menace du g<strong>la</strong>ive,<br />

Quand, témoin du combat, le Dieu <strong>de</strong>s mers se lève,<br />

Et s'écrie : « O douleur ! que je p<strong>la</strong>ins les revers<br />

De ce noble Troyen promis aux noirs enfers !<br />

Malheureux ! Apollon, trahissant sa promesse ?<br />

Pour lui n'armera point sa force vengeresse.<br />

Quoi ! <strong>de</strong>s fautes d'autrai souffrons-nous lâchement<br />

Qu'un héros vertueux porte'le châtiment,<br />

.Lorsqu'il offrit toujours <strong>de</strong>s présens agréables<br />

Aux Dieux f du vaste Olympe habitans vénérables ?<br />

Ses jours sont menacés ; sauvons-les ou <strong>sur</strong> nous<br />

Du puissant Jupiter tombera le courroux.


36o L'ILIADE.<br />

Non : le trépas encor n'atteindra point Enée.<br />

Fidèle à ses arrêts, <strong>la</strong> noire Destinée<br />

Doit respecter en lui l'héritier glorieux<br />

De ce vieux Dardanus qui, cher au roi <strong>de</strong>s cieux y<br />

Parmi tous ses enfans, nés <strong>de</strong> femmes mortelles 7<br />

Le premier mérita ses bontés paternelles.<br />

La race <strong>de</strong> Priama perdu son amour;<br />

Le noble Enée enfin va régner à son tour,<br />

Et ses fils à leurs fils légueront en partage-<br />

Du sceptre <strong>de</strong>s Troyeijs Fïmmortel héritage. »<br />

Junon aux <strong>la</strong>rges yeux lui répond : « Roî <strong>de</strong>s mers {<br />

O toi dont le tri<strong>de</strong>nt ébranle l'univers ,<br />

Délibère en ton sein si <strong>la</strong> valeur d'Enée<br />

Par Achille vainqueur périra moissonnée.<br />

Avec Pal<strong>la</strong>s souvent j'ai juré que mon bras<br />

N'arracherait jamais les Troyens au trépas 7<br />

Dussé-je voir bientôt par les Grecs allumée<br />

La f<strong>la</strong>mme parcourir Pergame consumée. »<br />

La Déesse a parlé : Neptune impatient,<br />

Vers le champ <strong>de</strong>s combats portant son vol bruyantt<br />

S'arrête dans l'endroit où, loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mêlée.<br />

Luttent le fils d'Anchise <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée.


CHANT VINGTIÈME. 36r<br />

Du bouclier d*Enée il arrache soudain<br />

Le long frêne muni d'un éc<strong>la</strong>tant airain ,<br />

J<strong>et</strong>te un nuage épais <strong>sur</strong> les yeux d'Eaci<strong>de</strong>,<br />

Fait tomber à ses pieds son armure homici<strong>de</strong>,<br />

Et parmi les soldats, les chars, les javelots,<br />

D'Hion dans les airs emporte le héros,<br />

Jusques aux <strong>de</strong>rniers rangs, où, saisissant leurs armes,<br />

Les Gaucons s'apprêtaient aox sang<strong>la</strong>ntes a<strong>la</strong>rmes.<br />

« Noble Enée ! a-t-il dit ; qui donc, parmi les Dieux,<br />

Contre Achille a tourné ton bras audacieux?<br />

Plus que toi cher au ciel, c<strong>et</strong> Achille invincible<br />

Dans les combats déploie une audace inflexible.<br />

Tremble que, triomphant malgré l'arrêt du Sort,<br />

Il ne te précipite au séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort;<br />

Evite son'aspect : mais lorsque <strong>de</strong> son âme<br />

L'avare Destinée aura coupé <strong>la</strong> trame,<br />

Reparais dans l'arène <strong>et</strong> combats sans effroi j<br />

Il n'est plus d'ennemi qui l'emporte <strong>sur</strong> toi. »<br />

Neptune auprès d'Achille enlève à sa paupière<br />

Le ban<strong>de</strong>au qui <strong>de</strong>s cieux lui voi<strong>la</strong>it <strong>la</strong> lumière,<br />

Et le héros , frappé d'un jour éblouissant,<br />

Dans son cœur généreux se dit en gémissant :


362 L'ILIADE.<br />

c< O douleur ! qu f ai-je vu ? quel étonnant prodige<br />

A mes yeux tout à coup fait briller son prestige?<br />

Ma <strong>la</strong>nce est <strong>de</strong>vant moi ! je cherche vainement<br />

Ce rival} digne obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon ressentiment.<br />

Oui, sans doute, les Dieux protègent sa vail<strong>la</strong>nce.<br />

Heureux <strong>de</strong> fuir <strong>la</strong> mort 7 qu'il échappe à ma <strong>la</strong>nce !<br />

Moi j contre l'ennemi rassemb<strong>la</strong>nt mes soldats,<br />

Je cours les animer <strong>de</strong> l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s combats. »<br />

Soudain <strong>de</strong> rang en rang il vole, exhorte, enf<strong>la</strong>mme:<br />

« Nobles Grecs ! affrontes les enfans <strong>de</strong> Pergame.<br />

Soldats contre soldats, puisse chacun <strong>de</strong> vous<br />

Réveiller dans son âme un généreux courroux !<br />

Car j malgré les transports <strong>de</strong> ma fureur guerrière ,<br />

Je ne puis marcher seul contre une armée entière.<br />

Non-, Mars, quoique immortel, non? Faîtière Pa<strong>la</strong>s<br />

A tant <strong>de</strong> bataillons ne résisteraient pas.<br />

Quant à moi ? déployant ma force <strong>et</strong> ma souplesse,<br />

De mes pieds 7 <strong>de</strong> mes bras je lutterai sans cesse ;<br />

J f enfoncerai <strong>la</strong> foule f <strong>et</strong> malheur au Troyen<br />

Dont le for impru<strong>de</strong>nt s'approchera du mien ! »<br />

Hector ? environné d\me vail<strong>la</strong>nte élite,<br />

Par ces moto belliqueux l'encourage <strong>et</strong> Fexcite :


CHANT VINGTIEME. 363<br />

« Magnanimes Troyens ! ' qu'Achille <strong>et</strong> sa fureur<br />

Ne vous inspirent pas une indigne .terreur.<br />

Ces Dieux que je pourrais injurier sans doute,<br />

Ces Dieux sont tout-puïssans ; ma <strong>la</strong>nce les redoute.<br />

Achille , dans sa haine à moitié satisfait,<br />

Verra ses vœux cruels <strong>de</strong>meurer sans eff<strong>et</strong>.<br />

Je marche contre lui, prêt à venger Pergame,<br />

Eût-il un cœur <strong>de</strong> fer, eût-ïl un bras <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mme, • »<br />

Les Troyens, confondant leurs efforts valeureux,<br />

Tous <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce en arrêt, avec <strong>de</strong>s cris affreux,<br />

Accourent; mais soudain Phébus d'un pas agile<br />

Se rapproche d'Hector : « Ne combats point Achille.<br />

Cache-toi ; n'attends pas qu'il plonge dans ton cœur<br />

De loin ses traits légers, <strong>de</strong> près son fer vainqueur, »<br />

A <strong>la</strong> voix d'Apollon, une terreur soudaine,<br />

G<strong>la</strong>çant Pâme d'Hector, dans <strong>la</strong> foule l'entraîne.<br />

D'une force invincible Achille revêtu,<br />

Poursuivant le Troyen sous ses coups abattu,<br />

Pousse <strong>de</strong>s cris perçants : d'abord son fer immole<br />

L'ar<strong>de</strong>nt Iphition, qu'aux pieds neigeux du Tmole,<br />

Dans l'opulente Hyda, l'hymen donna jadis<br />

Au valeureux ûtrynte, à <strong>la</strong> belle Néïs.


364 L'ILIADE.<br />

Le vainqueur, en <strong>de</strong>ux parts faisant rouler sa tête,<br />

Le renverse avec bruit, <strong>et</strong> fier <strong>de</strong> sa conquête :<br />

« O le plus courageux parmi tous les mortels !<br />

Meurs loin du <strong>la</strong>c Gygée <strong>et</strong> <strong>de</strong>s champs paternels,<br />

Où serpente FHermus aux tournoyantes on<strong>de</strong>s f<br />

Ou FHyUus poissonneux roule ses eaux profon<strong>de</strong>s. »<br />

La nuit voile ses yeux ; <strong>de</strong> ses membres meurtris<br />

Les chars grecs en passant écrasent les débris,<br />

Bémoléon s'enfuit ; <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce diaci<strong>de</strong><br />

Lui porte vers <strong>la</strong> tempe une atteinte rapi<strong>de</strong>,<br />

Et du trait acéré .dirigé <strong>sur</strong> son front<br />

Le grand casque d'airain n'écarte pas l'affront ;<br />

La pointe a brisé Fos ; l'armure est traversée<br />

Et <strong>la</strong> cervelle au loin rejaillit dispersée.<br />

Le trépas Fa vaincu. -Tandisqu'Hïppodamas<br />

Du faîte <strong>de</strong> son char précipite ses pas ,<br />

Achille, le frappant d'une <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong> ,<br />

Ouvre dans son épaule une p<strong>la</strong>ie homici<strong>de</strong>.<br />

Comme on voit dans Hélice un taureau mugissant<br />

Tomber <strong>de</strong>vant l'autel arrosé <strong>de</strong> son sang,<br />

Et mourir, sous les coups d'une avi<strong>de</strong> jeunesse,<br />

Aux yeux du roi <strong>de</strong>s mers enivré d'allégresse }


' CHANT VINGTIÈME. 365<br />

L'âme d'Hippodamas, qui s'enfuit promptement ,<br />

Exhale af èc sa vie un sourd gémissement.<br />

Achille, armé du fer , <strong>et</strong> plus terrible encore, ;<br />

Poursuit avec ar<strong>de</strong>ur le divin Polydore,<br />

Dernier fils <strong>de</strong> Priam, à qui son père, hé<strong>la</strong>s !<br />

Interdisait en vain <strong>la</strong> lice <strong>de</strong>s combats ,<br />

Et qui, fier d'avoir vu les héros <strong>de</strong> son âge<br />

A <strong>la</strong> course toujours lui cé<strong>de</strong>r l'avantage ,<br />

S'é<strong>la</strong>nce aux premiers rangs, jusqu'à l'heure où ses yeux<br />

Fermeront leur paupière au doux éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong>s cïeux.<br />

L'impétueux Achille arrête son audace ;<br />

L'or <strong>de</strong> son baudrier, l'airain <strong>de</strong> sa cuirasse<br />

Se brisent; d'un seul coup son dos a r<strong>et</strong>enti ;<br />

Par le nombril sang<strong>la</strong>nt le dard est ressorti ;<br />

Tombé <strong>sur</strong> les genoux, il r<strong>et</strong>ient ses entrailles,<br />

Et <strong>sur</strong> ses yeux s'étend <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s funérailles.<br />

Lorsqu'Hector voit son frère avec un long effort<br />

Rouler , enveloppé <strong>de</strong>s ombres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort,<br />

D'un voile <strong>de</strong> douleur ses regards s'obscurcissent;<br />

Bientôt, semb<strong>la</strong>ble au feu dont les éc<strong>la</strong>irs jaillissent,<br />

Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> près à braver les hasards,<br />

Et marche <strong>sur</strong> Achille en agitant ses dards.


566 L'ILIADE.<br />

Achille 1 méprisant c<strong>et</strong>te vaine furie,<br />

D'une voix orgueilleuse ? à son aspect, s'écrie :<br />

« Le voilà donc enfin c<strong>et</strong> homme dont le fer<br />

Ravit à ma douleur mon ami le plus cher !<br />

On ne nous verra point <strong>de</strong>vant les funérailles<br />

Fuir tous <strong>de</strong>ux plus long-temps le sentier <strong>de</strong>s batailles.»<br />

Puis j l'œil ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> rage : « Accélère tes pas ;<br />

Approche ; viens toucher aux portes du trépas. »<br />

Le magnanime Hector au casque magnifique f<br />

A <strong>la</strong> crainte étranger , en ces mots lui réplique :<br />

« Achille ! penses-tu 1 par ce <strong>la</strong>ngage altier,<br />

Comme un timi<strong>de</strong> enfant effrayer un guerrier?<br />

Ma voix pourrait te rendre outrage pour outrage.<br />

Mais non; si je n'ai pas ta forcé <strong>et</strong> ton courage ,<br />

Sur les genoux <strong>de</strong>s Dieux repose notre sort,<br />

Et mon dard acéré peut t'envoyer <strong>la</strong> mort, &<br />

Il parle ; <strong>de</strong> son trait <strong>la</strong> pointe courroucée<br />

Qu'un souffle <strong>de</strong> Pal<strong>la</strong>s loin d'Achille a poussée,<br />

Tombe à ses pieds ; Achille avec un cri perçant<br />

Sur le Troyen s é<strong>la</strong>nce, altéré <strong>de</strong> son sang ,<br />

Lorsque dans l'épaisseur d'un ténébreux nuage<br />

Apollon aisément le dérobe à sa rage.


CHANT VINGTIÈME. 367<br />

Trois fois Achille yole <strong>et</strong> ba<strong>la</strong>nce son fer ;<br />

Mais <strong>de</strong> son fer trois fois il ne frappe que Pair.<br />

Terrible comme un Dieu, dans sa fougueuse audace,<br />

La <strong>la</strong>nce encor levée , il s'approche, il menace :<br />

« Misérable! à <strong>la</strong> mort si-tu viens d'échapper,<br />

C'est qu'Apollon r<strong>et</strong>ient mon bras prêt à frapper ?<br />

Apollon que toujours invoque#ton courage, •<br />

Lorsque <strong>de</strong>s traits sïff<strong>la</strong>ns tu cours braver Porage.<br />

Si quelque Dieu puissant daigne me protéger,<br />

Mon g<strong>la</strong>ive dans ton cœur saura bien se plonger.<br />

Maintenant , dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine où mon courage vole ,<br />

Qu'un Troyen se présente <strong>et</strong> soudain je l'immole. »<br />

A ces mots il s'é<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> son dard meurtrier<br />

Du malheureux Dryops traverse le gosier ;<br />

Dryops succombe , expire, <strong>et</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée<br />

Arrête Démuchus dans l'épaisse mêlée ;<br />

Malgré sa taille immense , il brise ses genoux,<br />

Et, Pépée à <strong>la</strong> main , l'accable <strong>de</strong> ses coups.<br />

Laogon, Dardanus dont Bias est le père ,<br />

Renversés <strong>de</strong> leurs chars, vont me<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> terre,<br />

Et d'un coup <strong>de</strong> son g<strong>la</strong>ive ou <strong>de</strong> son javelot<br />

Achille triomphant les immole aussitôt.


"568 L'ILIADE;<br />

Un <strong>de</strong>s fils d'A<strong>la</strong>stor, menacé par sa rage,<br />

Tros cherche à l'attendrir en faveur <strong>de</strong> son âge;<br />

D. croit que ce héros, ému par <strong>la</strong> pitié,<br />

Ne l'immolera point à son inimitié.<br />

Mallieureux ! vain espoir! dans son âme insensible<br />

Achille renfermait un courroux inflexible ;<br />

Tandis que le Troyen? pour dompter ce courroux ,<br />

D'une main suppliante embrasse ses genoux,<br />

Achille dans le f<strong>la</strong>nc lui plonge son épée ;<br />

La trame <strong>de</strong> ses jours à l'instant est coupée ;<br />

Sa force l'abandonne; un sang noir a coulé,<br />

Et d'un nuage épais son regard s'est voilé.<br />

Le Grec à Mulius court porter <strong>la</strong> défaite,<br />

Et d'une oreille à l'autre il lui perce <strong>la</strong> tête.<br />

Quand du g<strong>la</strong>ive fumant le tranchant allongé<br />

Dans le front d'Eehéclus tout entier s'est plongé 1<br />

La mort, <strong>la</strong> sombre mort, <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />

Ont fermé toutes <strong>de</strong>ux sa débile paupière.<br />

Contre Deucalion le fer tourné soudain<br />

Lui traverse à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> le cou<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> main ;<br />

Les nerfs sont déchirés ; le Troyen immobile ,<br />

Vaincu par <strong>la</strong> douleur, s'arrête aux pieds d'Achille;


CHANT VINGTIÈME. 36g<br />

B attend le trépas i <strong>et</strong> sous les coups du fer<br />

Sa tête avec son casque au loin v#le dans Pair ;<br />

La moelle <strong>de</strong>-ses- os jaillit, el dans <strong>la</strong> feule<br />

Son corps inanimé tombe , bondit <strong>et</strong> roule.<br />

1 Noble ils <strong>de</strong> Krée , un guerrier valeureux,<br />

Rhigmus, qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thrace- a fki les champs heureux 1<br />

Attaqué par Achille, au fond <strong>de</strong> sa poitrine<br />

Sent pénétrer <strong>la</strong> mort avec <strong>la</strong> javeline ;<br />

H roule loin du char ; sous un dard meurtrier<br />

Tombe Aréïthous^ son fidèle écuyer 7<br />

Tandis que , détourné par sa main défail<strong>la</strong>nte 7<br />

1?atte<strong>la</strong>ge s*enfuit d'une course tremb<strong>la</strong>nte.<br />

Quand le feu , propagé par le souffle <strong>de</strong>s vents %<br />

Ec<strong>la</strong>te <strong>et</strong> se disperse en tourbillons mou vans,<br />

Des ari<strong>de</strong>s coteaux, <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>s vallées<br />

H dévore en courant les forêts ébranlées :<br />

Tel Achille irrité, précipitant son vol ?<br />

Frappe, <strong>et</strong> d'un sang épais noircit partout le sol.<br />

Des bœufs au <strong>la</strong>rge front f dans une aire ap<strong>la</strong>nie,<br />

Inclinant sous le joug leur tête réunie,<br />

Mugissent, <strong>et</strong> leurs pas au loin font voltiger<br />

La paille <strong>et</strong> Porge b<strong>la</strong>nche avec son grain léger :<br />

à. «4


37o L'ILIADE.<br />

Tekf sous leurs pieds fougueux} les <strong>de</strong>ux chevaux célestes,<br />

Des corps 7 <strong>de</strong>s boucliers disséminant les restes,<br />

Sur le siège arrondi, <strong>sur</strong> l'essieu rougissant<br />

Rej<strong>et</strong>tent dans leur course un long fleuve <strong>de</strong> sang?<br />

Et d'Achille qu'au meurtre excite son courage ?<br />

Les invincibles mains se souillent <strong>de</strong> carnage.<br />

FIN DU VINGTIEME CHANT.


CHANT VINGT ET UNIÈME.<br />

M.


SOMMAIRE BU CHANT VINGT ET UNIEME.<br />

Fuite <strong>de</strong>s Troyens vers le Seamandre <strong>et</strong> vers <strong>la</strong> ville. — Achille fait<br />

doute £ris©miîers pour les immoler en Phoniieur cîe Patroclè. — Mort<br />

<strong>de</strong> Lycaon <strong>et</strong> d f Astéropée. — Lutte d $ Achille <strong>et</strong> du Scamaiidre. —<br />

Combat <strong>de</strong>s Dieux. — Apollon, sous les traits d 9 Agénor9 abuse<br />

Achille <strong>et</strong> <strong>la</strong>isse aux Troyeas le temps <strong>de</strong> s $ échapper.


L'ILIADE.<br />

CHANT VINGT ET UNIÈME.<br />

• 4chple r psjryenii jusqu'au lit, spacieux - ; / .<br />

Du XaEjthe ? rjarge flçuve , issu fki -Fpï;<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux r<br />

Terrible '7 impatient <strong>de</strong> vengeance;<strong>et</strong> <strong>de</strong>-Iiainç ,<br />

Disperse les Trojens 'dans c<strong>et</strong>te y&s^e p<strong>la</strong>ine T .<br />

Ou, le jour précé<strong>de</strong>nt y Hectçr loin, dliion<br />

Vit <strong>de</strong>s Grecs éperdus s f enfuir Je bataillon.<br />

Les uns versJ.es remparts ntarchent avec vitesse T<br />

Et Junon <strong>de</strong>vant eux répand une ombre épaisse ;<br />

Les autres dapsle fleuve aux ; gouffres argentés 7<br />

Se pressant , se heurtant , roulent épouvantés ;<br />

Le 3£anthe r<strong>et</strong>entit 7 <strong>et</strong> l'écho <strong>de</strong> ses rives<br />

Répond par un bruit sourd à ses vagues p<strong>la</strong>intives-


374 L'ILIADE.<br />

En ce tumulte ar<strong>de</strong>nt ? les eombattans épars<br />

Sur les rapi<strong>de</strong>s flots nagent <strong>de</strong> toutes parts.<br />

•Gomme un «ssaïm léger d'avi<strong>de</strong>s sauterelles-f<br />

Pour éviter du feu les atteintes mortelles ,<br />

Vers un fleuve prochain vole confusément<br />

Et se plonge à Fenvi dans son sein écumant :<br />

Les soldats ? les coursiers tombent <strong>et</strong> s'engloutissent<br />

Dans le Xanthe profond dont les eaux r<strong>et</strong>entissent.<br />

Auprès d'un tamaris Achille <strong>sur</strong> ces bords<br />

A déposé sa <strong>la</strong>nce , <strong>et</strong> ? redoub<strong>la</strong>nt d'efforts f<br />

Mortel semb<strong>la</strong>ble aux Dieux, le g<strong>la</strong>ive en main, il vole,<br />

Et $ plein d f affreux proj<strong>et</strong>s, poursuit, renverse f immole<br />

Les Troyens dont les'cris ébranlent les échos ?<br />

Les Troyens dont le sang rougit le cours <strong>de</strong>s flots.<br />

Gomme, dans leur effroi, d'un port <strong>sur</strong> <strong>et</strong> tranquille<br />

D'innombrables poissons sollicitent l'asyïe,<br />

A l'aspect imprévu d'un énorme dauphin<br />

Qui s'é<strong>la</strong>nce <strong>sur</strong> eux 7 irrité par <strong>la</strong> faim :<br />

La foule <strong>de</strong>s Troyens , soustraite à sa colère ,<br />

Trouve au fond <strong>de</strong>s rochers un ahri tuté<strong>la</strong>ire.<br />

Las <strong>de</strong> meurtre , il choisit douze jeunes soldats<br />

Qui doivent <strong>de</strong> Patrocle expier le trépas ;


CHANT VINGT ET UNIEME. 3y5<br />

Tels que <strong>de</strong>s faons craintifs t loin du ieuve il les traîne,<br />

Dans leurs propres liens promptement les enchaîne ,<br />

Comman<strong>de</strong>, <strong>et</strong> les guerriers, à son ordre soumis,<br />

Vers les profonds vaisseaux gui<strong>de</strong>nt ces ennemis.<br />

Bientôt d'un sang nouveau sa colère s'abreuve.<br />

Un enfant <strong>de</strong> Priam s'é<strong>la</strong>nce hors du fleuve ;<br />

C'est Lycaon. Achille ? au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit,<br />

Loin <strong>de</strong>s champs paternels l'avait jadis conduit,<br />

^uand d'un figuier, couvert <strong>de</strong>" son jeune feuil<strong>la</strong>ge ?<br />

Pour façonner un char y il coupait le branchage.<br />

Le héros 7 l'entraînant captif <strong>sur</strong> ses vaisseaux , •<br />

Au fils du vieux Jason le vendit dans Lemnos ;<br />

Un hôte <strong>de</strong> Priam qu'Imbros avait vu naître ,<br />

Éétion 7 jaloux <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir son maître,<br />

Prodigua <strong>de</strong>s trésors, <strong>et</strong> sous les fers courbé , •<br />

Ljcaon habita <strong>la</strong> divine Arisbé.<br />

C'est <strong>de</strong> là qu'en secr<strong>et</strong> fuyant un joug sévère f<br />

Libre enfin , il revit le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> son père :<br />

Onze jours ont brillé <strong>de</strong>puis c<strong>et</strong> heureux jour<br />

Où <strong>de</strong> nombreux amis fêtèrent son r<strong>et</strong>our.<br />

Il s'enivrait <strong>de</strong> joie... A <strong>la</strong> douzième aurore ,<br />

Entre les mains d'Achille un Dieu le j<strong>et</strong>te encore j


376 L'ILIADE.<br />

C<strong>et</strong> Achille',


CHANT VIN'CT ET UNIÈME. 3yy<br />

Pour fuir l'affireux trépas, <strong>la</strong> noire Devinée ,<br />

H se courbe, <strong>et</strong> duCrrec'<strong>la</strong>jpique détournée,<br />

Impatiente encor <strong>de</strong> • répandre du sang,<br />

Dans le soLentr'ouvert se plonge-en frémissant..<br />

D saisit d'une main- c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce : acérée<br />

Dont <strong>la</strong> pointe atteignît son épaule- effleurée ;,<br />

Et <strong>de</strong> l'autre, d'Achille embrassai* les genoux ,<br />

H tente par^ces^mots-<strong>de</strong> flééhïr son-courroux :<br />

« Achille ! épargne-moi : dépose <strong>la</strong> menace ,<br />

Et p<strong>la</strong>ins un-suppliant quï.te -.<strong>de</strong>man<strong>de</strong> grâce.<br />

Tu me vois.à tes.pieds... ô douleur'!.ô regr<strong>et</strong>s !<br />

J'ai goûté près <strong>de</strong>-toi lès doux-fruits* <strong>de</strong> Gérés ,<br />

Le jour où, m'enlevaiit:au~sol héréditaire,<br />

Loin <strong>de</strong> tous mes-amis, 'hé<strong>la</strong>s l <strong>et</strong> <strong>de</strong>>mon.-père,<br />

Joyeux, tu m'entraînas dans maintenant si j'échappe à: <strong>la</strong> tombe,<br />

Je t'offre <strong>la</strong> valeur- d'une-.triple hécatombe.<br />

Depuis douze soleils, après-mes longs, malheurs,<br />

J'espérais dans-Pergame oublier mes^ douleurs ,<br />

Et dans tes mains-, déjà le-Destin me ramène,<br />

Tant <strong>sur</strong> moi.Jupiter «appesantit'sa,haine !


3y8 L'ILIADE.<br />

Pour le perdre si tôt, j f ai donc reçu le jour !<br />

O ma mère! voilà le fruit <strong>de</strong> ton amour!<br />

Epouse <strong>de</strong> Priam 7 fille du vieux Altée,<br />

De ce roi dont encor <strong>la</strong> bravoure indomptée,<br />

Dans <strong>la</strong> haute Pédase, aux bords du Satnios ,<br />

Façonne le Lélége aux belliqueux travaux ,<br />

Laothoé! les fils <strong>de</strong> ton triste hyménée<br />

Devaient donc voir tous <strong>de</strong>ux leur valeur moissonnée-!<br />

Le divin Polydore , aux périls aguerri 9<br />

Devant ses fantassins sdus ta-<strong>la</strong>nce a péri-,<br />

Terrible Achille ! <strong>et</strong> moi, dans <strong>la</strong> nuit éternelle<br />

Je rejoindrai bientôt son ombre fraternelle.<br />

A ta fureur livré par le Sort inhumain,<br />

Je n'éviterai pas ton invincible main.<br />

Ecoute cependant : épargne ma misère ;<br />

Grâce ! je ne dois pas ma naissance à <strong>la</strong> mère<br />

De ce fougueux Hector dont le g<strong>la</strong>ive sang<strong>la</strong>nt<br />

Te priva d'un ami si doux <strong>et</strong> si vail<strong>la</strong>nt. »<br />

Le fils du roi Priam se tait; mais sa prière<br />

N'obtient <strong>de</strong> son rival qu'une réponse altière :•<br />

« Insensé I ne va plus me parler <strong>de</strong> rançon !<br />

Avant que c<strong>et</strong> ami <strong>de</strong>scendît chez Plutori,


CHANT VINGT ET UNIÈME. 379<br />

J'épargnais les vaincus ; ma valeur , <strong>sur</strong> ces rives,<br />

•Pourlesvendref <strong>de</strong>fers chargeait leurs mainscaptives:<br />

Mais malheur à Priam, aux enfans <strong>de</strong> ce roi<br />

^Ju'un Dieu <strong>de</strong>vant ces murs entraînera vers moi !<br />

Mort à tous les Troyens livrés au bras d'Achille !<br />

Ami ! pourquoi former une p<strong>la</strong>inte inutile?<br />

Ce héros qui pourtant t f éclipsait en valeur,<br />

Patrocle est mort,.. Eh bien ! pour calmer ma douleur.<br />

Meurs à ton tour. En vain, florissant <strong>de</strong> jeunesse,<br />

J'ai pour père un héros, pour mère une Déesse ;<br />

En vain à tes regards je parais grand <strong>et</strong> beau ;<br />

Un <strong>de</strong>stin rigoureux me conduit au tombeau.<br />

Victime <strong>de</strong>s Enfers, je franchirai leur porte,<br />

Le matin ou le soir, à toute heure, n'importe,<br />

Lorsqu'armé <strong>de</strong> sa pique ou <strong>de</strong> ses javelots,<br />

Un guerrier, <strong>de</strong> mon sang épanchera les flots. »<br />

A ces mots, Lycaon dans son âme tremb<strong>la</strong>nte<br />

Frémît ; <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce échappe à sa main défail<strong>la</strong>nte :<br />

En étendant les bras, il s'assied ; mais soudain<br />

Achille prend le g<strong>la</strong>ive aux <strong>de</strong>ux tranchans d'airain f<br />

Plonge dans son gosier <strong>la</strong> <strong>la</strong>me tout entière,<br />

L'immole, <strong>et</strong> Lycaon, le front dans <strong>la</strong> poussière,


.38o . L'ILIADE.<br />

Me<strong>sur</strong>e un • sol .baigné <strong>de</strong>s flots noirp.d^ Bpn sang y<br />

Quand 7 d'un nouveau.cquiroux A^hiUe_ frémissfiiit^<br />

Le saisit par un; pjeçl f l'çntjraîne <strong>et</strong> fait ^esqendre :<br />

Ses membrqs jwlpfens j]pqu?au fond 4v iSbafiiftiidre.<br />

Triomphait,, il,f ? 0çrïe;:,« &jKmop6te4p,few&miz<br />

De ton cacjavre ïpipur je/Ujnre.les'l^pobeHW*; : ..<br />

Ils suceront ta p<strong>la</strong>ie,, <strong>et</strong> jjaniaig ;upe. mèf e ... *.. " , •<br />

N'arrogera, 4e pleure ta. couche funéraire. '. . ;<br />

L'impétueux,Scamapdre ^n,ses:flots écuni^n^<br />

Roulera <strong>de</strong> ton«eorps lestdébrfc tpptjupaans ;<br />

L'Océan te réc<strong>la</strong>me, <strong>et</strong>, le-poisoon avi<strong>de</strong>,,<br />

Sur le do^ vajste <strong>et</strong> noir ; <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine -liqui<strong>de</strong>.,<br />

S'é<strong>la</strong>ncera vers.toi. <strong>de</strong> l'abypae <strong>de</strong>s. wers,<br />

Et du bçauJLjcaon. dévorera les chairjs. ; .<br />

Tandis que <strong>sur</strong> -vos. pps je .seine le. carnage, :<br />

Lâches Troyeng, fuyez! vaincus.par mQn coprage^<br />

Périssez tous,aïn$i'f jusqu'au jour,où" ce» qataJLqs ;.<br />

De vos divins .rçmpwjts jS f QuwifQ'ntl^ dhemjuos.:. ' :<br />

N'invoquez pks.ee- fleuve, m% bia»fliis^ptes on<strong>de</strong>s^<br />

Ce, fleuve prëtecteurt dont les. grottes] profon<strong>de</strong> . .<br />

Dans leur gouffre; argenté,virent .j<strong>et</strong>er .souvent<br />

Plus d'un. fougueux : taureau, plus, d'un coursier vivant.


CHANT VINGT ET UNIÈME. 381<br />

Oui f vous itecévtëz tôtis' âûfe.fridti; déplorable ;<br />

C<strong>et</strong>te mort que féWs'dÔitiMa'li&iiié ihe&ôrabïe,<br />

• Satisfera Patrocle <strong>et</strong> le» nomïïrètix Soldât^ ,'<br />

Aux jours <strong>de</strong> mon absence ? iftflHoJKh par vos bras. *<br />

H a dit : pour fxompfer'àk''Êtt'eîiÉ'ée. , lïaiitjÉin6'f<br />

Le-Scamandre en conçoit une M&Vêllè hiûifré,<br />

Et son-cœur fiitieiii songe- par quels' moyens '<br />

l:peut dompter Achille <strong>et</strong> sauter lés Troyenâ.<br />

Abhille -vôle-j armé dé sa <strong>la</strong>ncé'hëMici<strong>de</strong>. '<br />

Issu <strong>de</strong>'Pélégon 1 <strong>de</strong>' éét'homtaè intrépi<strong>de</strong> 7<br />

Qui reconnut jadis pdur auteurs <strong>de</strong> ses jours<br />

Péribe <strong>et</strong> FAxius, ce ICUTC au <strong>la</strong>rge cours f<br />

Astéropée attend, <strong>de</strong>bout sûr le rivage,<br />

Qu ? AchiIle jusqu f à lui précipite' sa rage.<br />

Entre ses mains <strong>de</strong>ut traits , instrument <strong>de</strong> terreur,<br />

S'agitent, <strong>et</strong> le Xanthe enhardit sa fureur ?<br />

Indigné <strong>de</strong>voir vu par le fils <strong>de</strong> Pëléé<br />

D'innombrables Troyens <strong>la</strong> jeunesse immolée.<br />

Le Grec enfin s^approche, <strong>et</strong> commence en ces mots :<br />

« Quel pays fa'vu naitrey ô : 8ùp<strong>et</strong>be hérb^ !<br />

Tu m'oses affronter ! Màlheiir y malheur au père<br />

Dont les fils impru<strong>de</strong>ns provoquent ma colère ! »


38* L'ILIADE.<br />

« Noble Achille ! pourquoi me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mon sort?<br />

Onze soleils ont lui j <strong>de</strong>puis que vers ce bord .<br />

Guidant <strong>de</strong> mes soldats <strong>la</strong> foule réunie,<br />

JPai quitté <strong>la</strong> lointaine <strong>et</strong> riche Péonie.<br />

L f Axius, qui répand <strong>sur</strong> mon pays natal<br />

De ses bril<strong>la</strong>ntes eaux le limpi<strong>de</strong> cristal,<br />

Engendra Pélégon, illustre par sa <strong>la</strong>nce,<br />

Et, fils <strong>de</strong> ce guerrier ? j'imite sa vail<strong>la</strong>nce.<br />

Viens} terrible ennemi ! combattons à présent.- » -<br />

Achille , à ce discours, <strong>de</strong> son frêne pesant<br />

A soulevé <strong>la</strong> masse, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains habiles,<br />

Son rival a <strong>la</strong>ncé <strong>de</strong>ux javelots agiles :<br />

L'un? <strong>sur</strong> le bouclier dirigeant son essor ?<br />

Se recourbe émoussé contre sa <strong>la</strong>me d'or ; • "<br />

L'autre au bras droit lui porte une atteinte légère, •<br />

Et j souillé d'un sang noir, se plonge dans <strong>la</strong> terre;<br />

Brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Fimmoler, Achille en frémissant -<br />

Fait voler à son tour un trait r<strong>et</strong>entissant, "<br />

Qui s'égare en tombant <strong>de</strong>vant Astéropée,<br />

Et s'enfonce'à •<strong>de</strong>mi dans <strong>la</strong> rive escarpée.<br />

Le fils <strong>de</strong> Pélégon' veut arracher le bois ;<br />

D'une main vigoureuse il l'ébranlé trois' fois j


CHANT VINGT ET UNIEME. .383"<br />

Un quatrième effort .ne sera point stérile ;<br />

H Fa courbé... soudain l'impétueux Achille7<br />

Tirant son fer aigu 7 lui déchire le' f<strong>la</strong>nc ;<br />

Le coup a pénétré près du nombril sang<strong>la</strong>nt.<br />

Le sol poudreux reçoit ses brû<strong>la</strong>ntes entrailles<br />

Et <strong>sur</strong> ses yeux s'étend <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s funérailles.<br />

Le vainqueur foule aux pieds son corps tout palpitant7<br />

Arrache son armure <strong>et</strong> crie en l'insultant :<br />

« Meurs ! <strong>la</strong> face d'un fleuve 7 en sa coupable audace 1<br />

De Jupiter en vain n'attaque point <strong>la</strong> race.<br />

Demeure <strong>sur</strong> ces bords étendu sans cercueil !<br />

Si le <strong>la</strong>rge Axius t'inspire tant d'orgueil 7"<br />

Je dois à Jupiter ma naissance divine 7<br />

Puisque Pelée 7 auteur <strong>de</strong> ma noble origine 7<br />

Des nombreux Myrmidons monarque glorieux 7<br />

Eut pour père Eacus 7 enfant du roi <strong>de</strong>s cieùx.<br />

Les fils <strong>de</strong> Jupiter à leur obéissance<br />

Des fils <strong>de</strong> chaque fleuve ont soumis <strong>la</strong> puissance.<br />

Le Xantlie est près <strong>de</strong> toi 7 qu'il cherche à te sauver...<br />

Mais Jupiter l'emporte ; il ne peut le braver.<br />

Jupiter punirait <strong>de</strong> leur vaine démence<br />

Le fort Achélous <strong>et</strong> l'Océan immense ;


384 L'ILIADE.<br />

Ce profond Océan qui nourrit <strong>de</strong> ses- eaux<br />

Les fleuves <strong>et</strong> les tueraT les puits <strong>et</strong> les ruisseaux,<br />

Frémit épouvanté' quand le tonnerre-gron<strong>de</strong>,<br />

Et du haut <strong>de</strong> l'Olympe éc<strong>la</strong>te <strong>sur</strong> le mon<strong>de</strong>. »<br />

Loin du bord' escarpé le vainqueur a soudain<br />

R<strong>et</strong>iré sans effort, le javelot d'airain,<br />

Et <strong>de</strong> son ennemi le corps méconnaissable- %<br />

Baigné par Fon<strong>de</strong> obscure <strong>et</strong> couché <strong>sur</strong> le sable,<br />

Laisse mille poissons à ses f<strong>la</strong>ncs attachés<br />

Dévorer ses <strong>la</strong>mbeaux l'un par l'autre arrachés.<br />

Achille, poursuÎTant sa course suspendue,<br />

Voit <strong>de</strong>s Péoniens <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge éperdue,<br />

A l'aspect <strong>de</strong> son chef vaincu dans les combats,<br />

Près du Xanthe fougueux précipiter ses pas.<br />

Là, le héros, couvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> faveur céleste,<br />

Court immoler Mnésus <strong>et</strong> frapper Ophéleste :<br />

Sur le corps <strong>de</strong> Mydon expirent Thrasius, .<br />

Thersiloque, Astypyle, <strong>et</strong> le brave Énïus;<br />

Mille autres succombaient, immolés par sa rtge,<br />

Si gopdaïn, d'un mortel empruntant le visage,<br />

Dans ses antres profonds le fleuve menaçant<br />

Vers lui <strong>de</strong> son courroux n'eât élevé l'accent :


CHANT YINGT ET UNIÈME. 385<br />

« O toiyle plus vail<strong>la</strong>nt, mais le plus redoutable,<br />

O guerrier que le ciel rend toujours indomptable t<br />

Achille ! si tu dois, guidé par Jupiter,<br />

Sur tous les fils <strong>de</strong> Troie appesantir ton fer,"<br />

S'ils périssent, du moins que ta rage inhumaine,<br />

Pour respecter mes bords, s'exerce dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />

De. cadavres sang<strong>la</strong>ns mon on<strong>de</strong> se remplit ;<br />

Resserré dans ma course <strong>et</strong> captif dans mon lit,<br />

Je ne puis, r<strong>et</strong>enu par leur foule entassée,<br />

Rouler jusqu'à <strong>la</strong> mer ma vague embarrassée.<br />

Chef <strong>de</strong>s peuples ! arrête <strong>et</strong> suspends ta fureur*<br />

Frappé d'étonnement, j'ai connu <strong>la</strong> terreur. »<br />

Achille aux pieds légers répond : « Divin Scamandre !<br />

Si, docile à ta voix, je dois un jour l'entendre,<br />

M faut que les Troyens par mes coups obstinés,<br />

En fuyant vers leurs murs, soient tous exterminés,<br />

Et qu'entre Hector <strong>et</strong> moi notre valeur déci<strong>de</strong><br />

Qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tombera sous le g<strong>la</strong>ive homici<strong>de</strong>. »<br />

D'un plus ar<strong>de</strong>nt courroux le héros a frémi,<br />

Et, comme un Dieu terrible, il fond <strong>sur</strong> l'ennemi.<br />

« Phébus à l'arc d'argent ! fils du roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre !<br />

Dit le fleuve, pourquoi trahir l'ordre d'un père ?<br />

a. a5


386. L 5 ILIàDË.<br />

Ton père dans ces champs if ordonna d'accourir f<br />

De venger les Troyens <strong>et</strong> <strong>de</strong> les secourir,<br />

Jusqu'à l'heure où du soir le crépuscule sombre<br />

Sur <strong>la</strong> terre fertile aura j<strong>et</strong>é son ombre. »<br />

Il a dit : le héros, loin du bord é<strong>la</strong>ncé,<br />

Se plonge dans le sein du fleuve courroucé,<br />

Qui, pour îensevelir -, <strong>de</strong> toutes parts ramasse<br />

De ses flots tournoyans <strong>la</strong> bouillonnante masse,<br />

S'agite sour<strong>de</strong>ment, mugit comme un taureau ,<br />

Des corps ensang<strong>la</strong>ntés rej<strong>et</strong>te le far<strong>de</strong>au<br />

Et dans ses rocs profonds f dans ses vastes abymes<br />

Cache pour les sauver d'innombrables victimes.<br />

Les flots qu'Achille en vain s'apprête à défier ,<br />

Se dressent en grondant contre son bouclier ;<br />

Son pied chancelle <strong>et</strong> glisse ; en arrachant un orme<br />

Dont un ombrage épais ceignait <strong>la</strong> tête énorme ,<br />

H décliïre <strong>la</strong> rive, <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> l'on<strong>de</strong> étendu,<br />

C<strong>et</strong> arbre lui présente un pont inattendu ;<br />

Alors, d'un saut rapi<strong>de</strong> il le franchit sans peine y<br />

Et j du gouffre 'échappé, s'é<strong>la</strong>nce dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />

Pour arrêter AchiEe <strong>et</strong> venger les Troyens 7<br />

Le redoutable Dieu brise tous ses liens,


CHANT VINGT ET UNIÈME. 387<br />

Bouillonne <strong>et</strong>, dépassant ses rives impuissantes 7<br />

Amoncelle <strong>de</strong>s eaux sombres <strong>et</strong> mugissantes.<br />

Maïs le fils <strong>de</strong> Pelée a parcouru bientôt<br />

L'espace qu'en son vol décrit un javelot :<br />

Tel, franchissant les airs d'une course rapi<strong>de</strong> 7<br />

S'é<strong>la</strong>nce l'aigle noir 7 ce chasseur intrépi<strong>de</strong>.<br />

Tandis qu'en rugissant son rival le poursuit,<br />

Son armure d'airain rend un lugubre bruit.<br />

Lorsqu'un homme, courbé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> bêche pesante,<br />

Ecartant les cailloux qu'un sillon lui présente ?<br />

Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte altérée <strong>et</strong> le frêle arbrisseau<br />

Conduit dans son jardin un limpi<strong>de</strong> ruisseau,<br />

Sur le sol incliné l'on<strong>de</strong> mobile <strong>et</strong> pure<br />

S'échappe <strong>et</strong> le précè<strong>de</strong> avec un sourd murmure :<br />

Tel le fleuve en courroux le presse ? tant les Dieux<br />

Surpassent les mortels abaissés <strong>de</strong>vant eux ï<br />

Achille menacé se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> s'arrête<br />

Pour voir si tout l'Olympe a juré sa défaite j<br />

Mais l'on<strong>de</strong> frémissante élève à gros bouillons<br />

Au <strong>de</strong>ssus du héros ses fougueux tourbillons 1<br />

Et le suivant partout où <strong>la</strong> terreur l'entraîne,<br />

Fait fléchir ses genoux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mouvante arène.<br />

a5.


388 L'ILIADE.<br />

Dirigeant vers les cieux un regard <strong>la</strong>nguissant,<br />

Achille consterné s'écrie en gémissant :<br />

« Jupiter ! si les Dieux m'arrachent à ce fleuve ,<br />

Du sort le plus cruel je peux subir l'épreuve.<br />

Ne më p<strong>la</strong>indront-ils pas? Tous ces Dieux immortels.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! comme Thétis-ne sont point criminels.<br />

Dans ce gouffre ennemi c'est Thétis qui me plonge ;<br />

Oui, sa voix me berça d'un funeste mensonge,<br />

Lorsqu'elle me prédit qu'Ilion <strong>de</strong> mes jours<br />

Par les traits d'Apollon verrait trancher le cours.<br />

Que n'ai-je eu pour vainqueur Hector dont le courage<br />

Sert d'exemple aux guerriers nourris <strong>sur</strong> ce rivage !<br />

Héros ^ j'aurais péri <strong>de</strong> <strong>la</strong> main d'un héros,<br />

Et je vais sans honneur expirer sous les flots,<br />

Gomme un enfant pasteur s'engloutit <strong>et</strong> se noie<br />

Dans le torrent d'hiver qui dévore sa proie. *<br />

Sous un aspect mortel Neptune avec Pal<strong>la</strong>s<br />

Accourt auprès d'Achille <strong>et</strong> saisissant son bras :<br />

« Fils <strong>de</strong> Pelée ! abjure une crainte importune,<br />

Quand Jupiter t'envoie <strong>et</strong> Pal<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Neptune;<br />

Ton <strong>de</strong>stin ne veut pas que ce fleuve écumant,<br />

Rival audacieux, triomphe impunément;


CHANT VINGT ET UNIÈME. 389<br />

Tu verras <strong>de</strong> ses flots expirer <strong>la</strong> colère.<br />

Mais écoute : reçois un conseil tuté<strong>la</strong>ire.<br />

Pour cesser le carnage, attends que les fuyards<br />

Cherchent tous un asjle au fond <strong>de</strong> leurs remparts.<br />

Couvert du sang d'Hector, reviens chargé <strong>de</strong> gloire s<br />

C'est nous qui t'accordons c<strong>et</strong>te illustre victoire. »<br />

En achevant ces mots, les <strong>de</strong>ux divinités<br />

Remontent vers l'Olympe à pas précipités,<br />

Et l'ar<strong>de</strong>ur du héros-, par leur voix secondée ,<br />

S'é<strong>la</strong>nce au même instant dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine inondée,<br />

Où son œil voit flotter <strong>de</strong> mille combattans<br />

Les armures d'airain <strong>et</strong> les corps palpitans.<br />

Animé par Pal<strong>la</strong>s d'une force divine.<br />

Dès qu'il monte au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute colline,<br />

Loin d'imposer un frçïn à ses flots ralentis 7<br />

Le Xanthe roule encor <strong>sur</strong> le fils <strong>de</strong> Thétis,<br />

Soulève en bondissant sa vague bouillonnante<br />

Et vers le Simoïs pousse une voix tonnante :<br />

« O mon frère chéri ! joins tes efforts aux miens.<br />

Arrêtons ce héros qui, vainqueur <strong>de</strong>s Troyens><br />

Bientôt à son courage, à sa haine fidèle,<br />

Détruira <strong>de</strong> Priam <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> cita<strong>de</strong>lle.


%o L'ILIADE.<br />

"Viens donc : franchis tes bords, préte-moi ton secours;<br />

De tes sources sans nombre épanche au loin le cours |<br />

Enfle les noirs torrens, épuise les fontaines ;<br />

Entraîne avec fracas dans ces immenses p<strong>la</strong>ines<br />

Des arbres <strong>et</strong> <strong>de</strong>s rocs les débris entassés.<br />

Gourons <strong>et</strong> que nos flots, <strong>sur</strong> sa tête amassés,<br />

Etouffent ce mortel dont Faudace rivale<br />

Des Dieux insolemment prétend marcher l'égale.<br />

S'il triomphe un moment, liguons-nous contre lui,<br />

Et, trahi par sa force, il n'aura pour appui,<br />

Ni sa noble beauté, ni sa bril<strong>la</strong>nte armure<br />

Que je vais engloutir dans une fange impure.<br />

Oui, je veux, punissant ce farouche héros,<br />

Sous un épais limon ensevelir ses os.<br />

Là sera son tombeau ; ses dépouilles si chères<br />

N'obtiendront pas <strong>de</strong>s Grecs les honneurs funéraires, n<br />

A peine il a parlé, le Xanthe mugissant<br />

Vomit avec <strong>de</strong>s morts <strong>de</strong> l'écume <strong>et</strong> du sang ;<br />

En rougeâtres bouillons son on<strong>de</strong> amoncelée<br />

Murmure, en se dressant <strong>sur</strong> le fils <strong>de</strong> Pelée.<br />

Junon , tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> voir ce héros englouti,<br />

Pousse un cri dont l'Olympe au loin a r<strong>et</strong>enti ;


CHANT VINGT ET UNIÈME. 39j<br />

Ele appelle Vulcaïn : « Lève-toi 1 lui dit-elle;<br />

0 mon fils, lève-toi! nous implorons ton zèle.<br />

Pour combattre le Xanthe <strong>et</strong> triompher <strong>de</strong> lui,<br />

De tes feux <strong>de</strong>structeurs accor<strong>de</strong>-nous Pappui.<br />

Je <strong>la</strong>ncerai du fond <strong>de</strong> Forageux empire<br />

Le violent Notus, l'impétueux Zéphire,<br />

Et par Forage encor Fincendie excité<br />

Brûlera <strong>de</strong>s Troyens le camp <strong>et</strong> <strong>la</strong> cité.<br />

Contre le Xanthe armé, dans ta fureur active,<br />

Embrase , anéantis les arbres <strong>de</strong> sa rive;<br />

Consume-le lui-même ; oui, méprise à <strong>la</strong> fois<br />

L'accent <strong>de</strong> son courroux, <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> sa voix,<br />

Et d'un désastre affreux que ta f<strong>la</strong>mme nourrie<br />

Atten<strong>de</strong> mon signal pour calmer sa furie. »<br />

Vulcaïn dar<strong>de</strong> aussitôt ses feux étince<strong>la</strong>ns<br />

Qui volent, dispersés en tourbillons brû<strong>la</strong>ns,<br />

Et consument les corps <strong>de</strong> ces guerriers sans nombre<br />

Qu'Eaci<strong>de</strong> plongea <strong>sur</strong> le rivage sombre ;<br />

L'eau s'arrête ; le sol, <strong>de</strong> cadavres jonché,<br />

Se convertit en cendre <strong>et</strong> <strong>la</strong>nguit <strong>de</strong>sséché.<br />

Gomme on voit, dans les jours <strong>de</strong> Forageuse automne,<br />

Tandis qu'au doux espoir le colon s'abandonne,


392' L'ILIADE.<br />

Le souffle <strong>de</strong> Borée assainir les terrains<br />

Dont les flots <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie ont inondé les grains :<br />

Tel Vulcain , embrasant <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine tout entière,<br />

Dirige <strong>sur</strong> le fleuve un vol incendiaire. •<br />

Les joncs, les tamaris, les cyprès ., les ormeaux ,<br />

Le lotos au front vert , le saule aux longs rameaux,<br />

Tant d'arbres, ornement d'un fertile rivage.,<br />

Périssent consumés par son brû<strong>la</strong>nt ravage.<br />

Et le poisson qui fuit', poursuivi par Vulcain ,<br />

Dans les gouffres profonds cherche un refuge vain.<br />

Quand le.Xanthe lui-même--est atteipt par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />

Ces accens douloureux s'exhalent <strong>de</strong> son âme.:<br />

ce Vulcain ! quel Dieu pourrait résister à ton bras ?<br />

Contre tes feux ar<strong>de</strong>ns je «e lutterai pas.<br />

Captive ton courroux <strong>et</strong> qu'en ce jour Achille<br />

Chasse tous les 'Tioyens <strong>de</strong>s •remparts 4e leur ville.<br />

Pourquoi leur-prêterais-je un impuissant secours? »<br />

Ainsi gémit le fleuve, arrêté dans son cours.<br />

Comme d'un -sanglier <strong>la</strong> dépouille bril<strong>la</strong>nte<br />

Agite à flots épais sa graisse succulente<br />

Dans un vase d'airain, <strong>sur</strong> le brasier fumant<br />

Dont un bois -<strong>de</strong>sséché compose l'aliment :


CHANT VINGT ET UNIÈME. 3g3<br />

Il brûle tout entier , <strong>et</strong> son eau qui bouillonne,<br />

En rapi<strong>de</strong>s vapeurs dans les airs tourbillonne.<br />

Lorsque du Xanthe enfin , sous Vulcain écrasé ,<br />

Tous les flots vont tarir dans son lit embrasé.<br />

Il implore Junon : ce 0 puissante Déesse !<br />

Qu'espère <strong>de</strong> ton fils <strong>la</strong> fureur vengeresse ?<br />

Les crimes <strong>de</strong> ces Dieux, protecteurs <strong>de</strong>s Troyens,<br />

Sont-ils donc plus sacrés ou moins grands que les miens ?<br />

Toutefois qu'il s'apaise <strong>et</strong> je cesse <strong>la</strong> lutte ,<br />

Et d'Hion jamais, je n'arrête <strong>la</strong> chute ,<br />

Dussé-je voir ses murs, promptement consumés,<br />

S'écrouler sous les feux par <strong>la</strong> Grèce allumés. »<br />

Junon aux bras d'albâtre <strong>et</strong> l'entend <strong>et</strong> .s'écrie :<br />

« 0 mon illustre fils ! comprime -ta furie ;<br />

La justice défend à tes fougueuses mains<br />

De tourmenter un Dieu pour <strong>de</strong> faibles humains. »<br />

Vulcain éteint <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ; entre ses belles rives<br />

Le Xanthe comprimé roule <strong>de</strong>s eaux captives ;<br />

Ils cessent <strong>de</strong> combattre <strong>et</strong> du couple ja<strong>la</strong>ux<br />

La Déesse indignée -enchaîne le courroux.<br />

Cependant <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong>, imp<strong>la</strong>cable^ inhumaine,<br />

Parmi les autres Dieux court exciter <strong>la</strong> haine,


394 L'ILIADE.<br />

Et tous j en s'attaquant par un choc ennemi 1<br />

Poussent mille c<strong>la</strong>meurs dont <strong>la</strong> terre a frémi.<br />

Bientôt du haut <strong>de</strong>s cïeux <strong>la</strong> tromp<strong>et</strong>te résonne,<br />

Et Jupiter j assis au faîte <strong>de</strong> son trône,<br />

Souriant dans son cœur? dé ce combat fatal<br />

Ecoute avec p<strong>la</strong>isir le terrible signal.<br />

Mars j agitant sa pique au milieu du tumulte f<br />

Sur Minerve é<strong>la</strong>ncé, <strong>la</strong> provoque <strong>et</strong> l'insulte :<br />

« Impu<strong>de</strong>nte ! pourquoi tes transports furieux<br />

Vers le champ <strong>de</strong>s combats poussent-ils tous les Dieux?<br />

Ne te souvïent-ïl plus que le fils <strong>de</strong> Tydée<br />

Par tes célestes mains vit sa <strong>la</strong>nce guidée,<br />

Quand 7 <strong>de</strong> mon corps meurtri déchirant <strong>la</strong> beauté,<br />

Tu répandis le sang d'une divinité ?<br />

Voici j voici l'instant d'expier c<strong>et</strong> outrage.<br />

Tremble ! » La <strong>la</strong>nce en main, Mars f frémissant <strong>de</strong> rage,<br />

Frappe ; Minerve oppose à son fougueux essor<br />

La redoutable égi<strong>de</strong> aux longues franges d'or?<br />

Que Jupiter lui-même, en déchaînant sa foudre.<br />

Chercherait à briser sans <strong>la</strong> réduire en poudre.<br />

Pal<strong>la</strong>s a reculé : <strong>sur</strong> le sol, <strong>de</strong>vant eux,<br />

Gisait un rocher noir7 énorme, raboteux,


CHANT VINGT ET UNIÈME. 395<br />

Que pour seule limite à leurs <strong>de</strong>ux héritages 7<br />

Posèrent <strong>de</strong>s mortels 7 nés dans les anciens, âges :<br />

Sa main qui sans effort j<strong>et</strong>te ce bloc rou<strong>la</strong>nt,<br />

Frappe le cou <strong>de</strong> Mars ; il tombe -défail<strong>la</strong>nt ;<br />

La poussière à longs flots souille sa chevelure<br />

Et le sol r<strong>et</strong>entit sous sa bruyante armure.<br />

Souriant à Faspect <strong>de</strong> ses membres guerriers<br />

Qui cliargent <strong>de</strong> leurs poids sept arpens tout entiers^<br />

Elle s'écrie : « 0 Mars ! Pal<strong>la</strong>s est <strong>la</strong> plus forte.<br />

Ignores-tu combien Pal<strong>la</strong>s <strong>sur</strong> toi l'emporte?<br />

Insensé 1 crains ta mère ; elle a maudit tes jours. •<br />

Ses imprécations te poursuivent toujours ?<br />

Puisqu'au parti <strong>de</strong>s Grecs ta valeur infidèle<br />

Des parjures Troyens embrasse <strong>la</strong> querelle. »<br />

Pal<strong>la</strong>s a détourné ses éc<strong>la</strong>tans regards 7<br />

Lorsque Vénus, tremb<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> les <strong>de</strong>stins <strong>de</strong> Mars,<br />

Vole, saisit sa main, hors <strong>de</strong>s combats Fentraîne,<br />

Et voit en longs soupirs s'exhaler son haleine.<br />

Mais Junon : « 0 Pal<strong>la</strong>s ! fille du roi <strong>de</strong>s cïeux !<br />

Arrête <strong>de</strong> Vénus les pas audacieux ;<br />

L'impu<strong>de</strong>nte ravit aux ar<strong>de</strong>ntes batailles<br />

Mars, ce farouche auteur <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> funérailles. » .


3# L'ILIADE.<br />

Sur le sein-<strong>de</strong> Vénus l'intrépi<strong>de</strong> PaMasf<br />

Ivre <strong>de</strong> joie f accourt appesantir son bras ;<br />

Vénus pâlit , chancelle <strong>et</strong> succombe immobile<br />

Près <strong>de</strong> Mars étendu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre fertile.<br />

Pal<strong>la</strong>s triomphe : « Ainsi puissé-je voir punis<br />

Tous ces coupables Dieux , contre <strong>la</strong> Grèce unis!<br />

Si tous avaient montré <strong>la</strong> confiante audace<br />

Que déploya Vénus en bravant ma menace,<br />

Terminant les combats , nous aurions dès long-temps<br />

Renversé«d'Ilion les remparts -éc<strong>la</strong>tons. »<br />

Junon aux bras d'albâtre a souri d'allégresse.<br />

Cependant à Phébus le roi <strong>de</strong>s mers s'adresse :<br />

« Phébus! quand <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> arme les-Dieux rivaux,<br />

Pourquoi <strong>la</strong>nguir captifs dans l'oubli <strong>de</strong>s travaux ?<br />

Sans avoir combatte, -<strong>de</strong> quel front reparaître<br />

Dans ce pa<strong>la</strong>is d'airain -dont Jupiter est maître ?<br />

Commence donc,. Moins jeune <strong>et</strong> plus sage que toi,<br />

De ne pas attaquer je me fais une loi.<br />

Insensé! dans ton cœur oublieux <strong>de</strong> ta gloire 9<br />

De nos malheurs passés perdcais-tu <strong>la</strong> mémoire,<br />

Quand, seuls <strong>de</strong> touslesDieux, <strong>sur</strong> ces bords <strong>de</strong>scendus.<br />

Prodiguant à vil prix nos services vendus,


CHANT. YINGT ET UNIÈME. 397<br />

Près <strong>de</strong> Laomédon, durant toute une année7<br />

Nous vîmes notre honte à son joug condamnée?<br />

L'ingrat ! je construisis ces murs <strong>la</strong>rges <strong>et</strong> forts<br />

Qui <strong>de</strong>vaient <strong>de</strong>s combats repousser les efforts ;<br />

Je bâtis une ville7 <strong>et</strong> l'Ida qui s'ombrage<br />

D'innombrables forêts au verdoyant feuil<strong>la</strong>ge 7<br />

L'Ida vit sous ta gar<strong>de</strong>, en ses rians coteaux7<br />

Des bœufs au pied flexible errer les noirs troupeaux.<br />

Mais quand Fînstant <strong>de</strong> fuir nos serviles <strong>de</strong>meures<br />

Arriva grâce au vol <strong>de</strong>s bienfaisantes Heures 7<br />

De ces ru<strong>de</strong>s travaux, pour lui seul entrepris 7<br />

Notre maître insolent nous refusant le prix,<br />

Menaça <strong>de</strong> charger tes mains du poids <strong>de</strong>s chaînes 1<br />

De t'exiler captif dans les îles lointaines ;<br />

Et du g<strong>la</strong>ive d'airain 7 levé <strong>sur</strong> notre front,<br />

Nos oreilles peut-être auraient subi l'affront.<br />

De sa<strong>la</strong>ire privés 7 lorsqu'enfîn nous partîmes 7<br />

Associant tous <strong>de</strong>ux nos haines légitimes7<br />

Nous jurâmes sa perte7 <strong>et</strong> tu veux aujourd'hui<br />

A son peuple abhorré prodiguer ton appui !<br />

Extermine plutôt7 pour venger nos injures 7<br />

Les femmes <strong>et</strong> les fils <strong>de</strong> ces Troyens parjures ! »


398 L'ILIADE.<br />

Phébus qui fait voler ses flèches dans les airs,<br />

Répond soudain : « Neptune ! ô puissant Dieu <strong>de</strong>s mers!<br />

Sans doute tu pourrais m f accuser <strong>de</strong> folie ,<br />

Si, bravant le courroux dont ton ame est remplie,<br />

Fier <strong>de</strong> te résister f je soutenais les droits<br />

Des vils mortels 9 pareils à ces feuilles <strong>de</strong>s boisf<br />

Qui <strong>de</strong>s sucs <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre un moment se nourrissent,<br />

Se <strong>de</strong>ssèchent bientôt <strong>et</strong> pour toujours périssent.<br />

Plus <strong>de</strong> guerre ! <strong>la</strong>issons, dans leurs saeg<strong>la</strong>ns débats,<br />

Les humains s'envoyer un mutuel trépas. »<br />

H s'éloigne à ces mots, tant sa crainte vénère<br />

Le frère <strong>de</strong> ce Dieu qui <strong>la</strong>nce le tonnerre !<br />

Mais Diane , sa sœur 7 Diane dont les trait»<br />

Percent l'hôte tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s sauvages forêts :<br />

« Phébus ! pourquoi t'enfuir, <strong>et</strong> cédant <strong>la</strong> victoire f<br />

A Neptune <strong>la</strong>isser une facile gloire ?<br />

Lâche ! c<strong>et</strong> arc en vain a donc armé ton bras?<br />

Ali ! dans l'Olympe encor que je n'enten<strong>de</strong> pas f<br />

En présence <strong>de</strong>s Dieux, ta superbe insolence<br />

De ce fougueux rival mépriser <strong>la</strong> vail<strong>la</strong>nce. »<br />

Phébus se tait : alors Junon f reine <strong>de</strong>s cieux f<br />

Exhale son courroux en mots injurieux :


CHANT VINGT ET UNIÈME. 399<br />

« Quoi ! tu m'oses braver, ô Déesse impu<strong>de</strong>nte !<br />

Tu n'échapperas point à ma colère, ar<strong>de</strong>nte.<br />

Contre un sexe impuissant ? du lion indompté<br />

Jupiter t'inspira le courage effronté,<br />

Mais en vain : <strong>sur</strong> les monts que ta flèche poursuive<br />

Le bondissant chevreuil ou <strong>la</strong> biche craintive.<br />

Voilà les seuls exploits à, ta valeur permis.<br />

Ne m'oppose donc plus tes efforts ennemis f<br />

Ou , si tu veux tenter ma haine vengeresse ,<br />

Frémis ! tu connaîtras ma force <strong>et</strong> ta faiblesse. »<br />

A ces mots 9 <strong>de</strong> Diane elle saisit <strong>la</strong> main 7<br />

De son pesant carquois <strong>la</strong> dépouille soudain f<br />

La repousse ? <strong>et</strong> joignant le mépris à l'injure ,<br />

Avec un ris moqueur lui frappe <strong>la</strong> figure.<br />

Les traits tombent épars ; Diane tout en pleurs<br />

Remonte vers les cieux pour cacher ses douleurs.<br />

Comme au bec du vautour <strong>la</strong> colombe soustraite,<br />

Dans le creux d'un rocher trouvant une r<strong>et</strong>raite 1<br />

Se précipite : ainsi dans son rapi<strong>de</strong> vol<br />

Elle fuit <strong>et</strong> ses dards ont bondi <strong>sur</strong> le sol.<br />

Le meurtrier d'Argus , le messager céleste<br />

S'écrie alors : « J'évite une lutte funeste.


4oo L'ILIADE.<br />

Latone ! sans péril on n'attaque jamais<br />

Les épouses du roi <strong>de</strong>s éternels somm<strong>et</strong>s.<br />

Va donc, <strong>et</strong> dans le ciel me prodiguant l'outrage,<br />

Proc<strong>la</strong>me moi Taincu par ton fougueux courage. »<br />

" Latone, rassemb<strong>la</strong>nt Parc flexible <strong>et</strong> les dards<br />

Qui près d'elle rou<strong>la</strong>ient confusément épars 1<br />

Dans <strong>la</strong> poudreuse arène avec soin les ramasse,<br />

Suit sa fille éplorée <strong>et</strong> vole <strong>sur</strong> sa trace.<br />

Diane 1 s'e<strong>la</strong>nçant vers les p<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Pair,<br />

Dans son pa<strong>la</strong>is d'airain court chercher Jupiter ;<br />

Sur ses genoux assise 1 elle pleure ; autour d'elle<br />

De son voile éc<strong>la</strong>tant <strong>la</strong> parure immortelle<br />

S'agite ; <strong>et</strong> l'accueil<strong>la</strong>nt avec un doux souris.,<br />

Jupiter par ces mots ras<strong>sur</strong>e ses esprits :<br />

« Quel Dieu t'ose outrager, ô ma fille chérie !<br />

As-tu par quelque faute excité sa furie ? » .<br />

a Mon père ! lui répond 7 en gémissant encor 1<br />

La Déesse <strong>de</strong>s bois au diadème d'or,<br />

Je me p<strong>la</strong>ins <strong>de</strong> Junon dont <strong>la</strong> voix téméraire<br />

Allume entre les Dieux <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> guerre. »<br />

Ils par<strong>la</strong>ient : cependant le bril<strong>la</strong>nt Apollon<br />

Pénètre jusqu'au sein du divin Ilion,


CHANT VINGT ET UNIEME. 4ot<br />

Tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> voir les Grecs dans ses belles murailles^<br />

Malgré l'arrêt du Sort, porter les funérailles.<br />

Les autres immortels, remontés dans les cieux,<br />

Autour <strong>de</strong> Jupiter restent silencieux ;<br />

A divers sentimens leur ame flotte en proie,<br />

Et palpite <strong>de</strong> rage ou triomphe <strong>de</strong> joie.<br />

Mais Achille, égorgeant <strong>de</strong>s ennemis nombreux<br />

Sur le corps <strong>de</strong>s coursiers aux ongles vigoureux ?<br />

Vole. Lorsqu'au milieu d'une ville enf<strong>la</strong>mmée,<br />

S'élève jusqu'au ciel une épaisse fumée,<br />

Les Dieux, <strong>de</strong> l'incendie animant <strong>la</strong> fureur,<br />

Avec les maux partout répan<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> terreur s<br />

Ainsi Far<strong>de</strong>nt Achille f ivre <strong>de</strong> son courage,<br />

Lance <strong>sur</strong> les Troyens le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> le carnage.<br />

Le vieux Priam, <strong>de</strong>bout au faîte <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour ,<br />

J<strong>et</strong>te un œil consterné <strong>sur</strong> les champs d'alentour f<br />

Où son peuple vaincu , que l'épouvante g<strong>la</strong>ce ,<br />

Fuit d'Achille irrité <strong>la</strong> triomphante audace.<br />

Le monarque p<strong>la</strong>intif s'éloigne à pas tremb<strong>la</strong>ns,<br />

Et va dicter c<strong>et</strong> ordre aux gar<strong>de</strong>s vigi<strong>la</strong>ns :<br />

« Amis ! Achille approche... ouvrez les <strong>la</strong>rges portes ;<br />

Laissez, <strong>la</strong>issez rentrer ces nombreuses cohortes.<br />

2. a6


4o2 L'ILIADE.<br />

Voici le jour fatal... A peine nos soldats<br />

Dans l'enceinte <strong>de</strong>s murs auront fui les combats 7<br />

Fermes à leur vainqueur c<strong>et</strong>te forte barrière.<br />

Que je redoute, hé<strong>la</strong>s ! sa fureur meurtrière ! »<br />

Les portes à sa voix roulent ; un peuple entier<br />

Dans ses foyers sauveurs vient se réfugier ;<br />

Apollon j à <strong>la</strong> mort pour arracher sa proie ,<br />

S'é<strong>la</strong>nce ; <strong>et</strong> les soldats f en se hâtant vers Troie ?<br />

Dévorés par <strong>la</strong> soif, <strong>et</strong> <strong>de</strong> poudre couverts,<br />

Entrent à flots pressés dans les remparts ouverts.<br />

Impatient <strong>de</strong> gloire <strong>et</strong> <strong>de</strong> vengeance avi<strong>de</strong>,<br />

Achille les poursuit <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>nce intrépi<strong>de</strong>.<br />

En ce moment, <strong>de</strong>s Grecs les beliqueux enfans<br />

Dans les hauts murs troyens accouraient triomphans?<br />

Si Phébus j d'Agénor excitant le courage r<br />

Appuyé <strong>sur</strong> le hêtre <strong>et</strong> voilé d'un nuage 7<br />

De <strong>la</strong> mort loin <strong>de</strong> lui' pour détourner le bras,<br />

Auprès <strong>de</strong> ce guerrier n'eût suspendu ses pas.<br />

Mais le fils d'Anténor r interdit, immobile,<br />

S'arrête , lorsqu'il voit le redoutable Achille ?<br />

Et j <strong>de</strong>vant ce héros , <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités,<br />

Ses esprits, dans son. sein se troublent agités :


CHANT VINGT ET UNIÈME. 4o3<br />

« Malheureux ! en suivant <strong>la</strong> foule gémissante<br />

Que d'Achille poursuit <strong>la</strong> fureur menaçante 9<br />

Je mourrais comme un lâche 9 <strong>et</strong> son g<strong>la</strong>ive irrité<br />

Dans les enfers bientôt m'aurait précipité'.<br />

Mais si j'abandonnais nos troupes fugitives9<br />

L'Ida dans ses vallons, le Xanthe <strong>sur</strong> ses rives<br />

M'offriraient un asyle 9 <strong>et</strong> là 9 hors <strong>de</strong> nos murs9<br />

Je resterais caché dans les buissons obscurs ;<br />

Lorsque j'aurais 9 le soïr9 dans Fon<strong>de</strong> hospitalière<br />

Baigné mon corps fumant <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière y<br />

Je reviendrais à Troie... O proj<strong>et</strong>s incertains !<br />

Gomment au Grec vainqueur dérober mes <strong>de</strong>stins ?<br />

S'il me saisit 9 ma mort <strong>de</strong>vient inévitable ;•<br />

Car <strong>de</strong> tous les humains c'est le plus redoutable.<br />

N'importe ! sous nos murs j'attendrai son courroux ;<br />

Oui 9 l'airain <strong>sur</strong> son corps peut diriger ses coups ;<br />

Mortel j dans sa poitrine il n'enferme qu'une âme 9<br />

Et c'est Jupiter seul qui l'anime <strong>et</strong> l'enf<strong>la</strong>mme. î<br />

A ces mots 9 Agénor 9 à <strong>la</strong> crainte étranger 9<br />

Se r<strong>et</strong>ourne 9 <strong>et</strong> son cœur appelle le danger.<br />

Gomme 9 au fond d'un taillis 9 l'intrépi<strong>de</strong> panthère 9<br />

Loin <strong>de</strong> fuir ou <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce ou le dard sanguinaire 9_<br />

a6.


4o4 L'ILIADE. *<br />

Debout parmi les traits, calme au milieu <strong>de</strong>s cris 1<br />

De Fairaïn dans ses f<strong>la</strong>ncs conserve les décris 7<br />

Et, du hardi chasseur méprisant <strong>la</strong> menace,<br />

Ne perd qu'en même temps sa vie <strong>et</strong> son audace :<br />

Tel le fils d'Anténor? attendant le héros,<br />

Saisit, pour l'éprouver, ses bril<strong>la</strong>ns javelots ;<br />

Sous le rond bouclier qui lui prête un asyle ,<br />

Il crie à haute voix : « O téméraire Achille !<br />

Sans doute, en ce grand jour^ tu croyais dans ton cœur<br />

Renverser Dion <strong>et</strong>. marcher, son vainqueur.<br />

Insensé ! quels malheurs le sort jaloux t'apprête !<br />

Ces murs dont vainement tu poursuis <strong>la</strong>-conquête,<br />

Conservent <strong>de</strong> nombreux <strong>et</strong> <strong>de</strong> braves guerriers,<br />

Prêts à sauver leurs fils, leurs femmes 1 leurs foyers,<br />

Et toi, bientôt 1 ici f <strong>la</strong> Parque meurtrière<br />

Frappera ta vail<strong>la</strong>nce <strong>et</strong> ton audace altière. % .<br />

Un trait aigu, <strong>la</strong>ncé par un bras vigoureux ,<br />

Atteint près du genou son rival généreux ;<br />

Le cothurne d'étain prolonge un sourd murmure ;<br />

Mais le dard rebondit <strong>sur</strong> l'immortelle armure ,<br />

Et, présent <strong>de</strong> Vulcain, le céleste métal<br />

Du soperbe Agénor trompe l'espoir fatal.


CHANT VINGT ET UNIÈME. 4o'5<br />

En vain Achille accourt ; Apollon d'un nuage<br />

Entoure le Troyen qu'il soustrait à sa rage ;<br />

Dans un asyle obscur il Ta le déposer.<br />

Pour éloigner Achille <strong>et</strong> pour mieux Pabuser,<br />

Sous les traits d*Agénor7 par une adroite fuite 7<br />

Le Dieu semble toujours élu<strong>de</strong>r sa poursuite ?<br />

Et l'attire aisément au sein <strong>de</strong>s champs féconds<br />

Où du Xanthe fougueux roulent les flots profonds.<br />

Là j jou<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'erreur, le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Croit sans cesse l'atteindre <strong>et</strong> le manque sans cesse ,<br />

Lorsqu'enfin <strong>de</strong>s vaincus le tremb<strong>la</strong>nt bataillon<br />

Court se réfugier dans le vaste Hion.<br />

La foule <strong>de</strong>s soldats remplit Pergame entière ;<br />

Mais aucun n'oserait, regardant en arrière 7<br />

Attendre ses amis qui, ne revenant pas,<br />

Ont fui hors <strong>de</strong>s remparts, ou trouvé le trépas,<br />

Et leur essaim, sauvé par une course agile}<br />

Se répand à grands flots dans les murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.<br />

FIN DU VINGT ET UNIEME CHANT.


CHANT VINGT-DEUXIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT VINGT-DEUXIEME.<br />

Hector, malgré les conseils <strong>de</strong> Priam <strong>et</strong> d'Hécube * attend Achille<br />

pour le combattre, -r Achille poursuit Hector sous les murs d|e<br />

Troie. — Mort d'Hector. — Chant <strong>de</strong> triomphe d'Achille. — Désespoir<br />

<strong>de</strong> Priam , d'Hécube <strong>et</strong> d'Andromaque,


LILIADE.<br />

CHANT VINGT DEUXIÈME.<br />

•Pareils aux faons légers que disperse <strong>la</strong> crainte 7<br />

Les Troyens <strong>de</strong> leur vile ont regagne' l'enceinte ;<br />

Près <strong>de</strong> leurs beaux remparts7 <strong>de</strong> sueur.tout fumans^<br />

D'une soif dévorante ils calmaient les tourmens ,<br />

Et sous leurs boucliers bravant les funérailles 7<br />

Les Grecs rapi<strong>de</strong>ment s'approchaient <strong>de</strong>s muraiUes.<br />

Hors <strong>de</strong>s portes <strong>de</strong> Scée arrêté par le Sort ,-<br />

Hector seul affrontait les périls <strong>et</strong> <strong>la</strong> mort.<br />

a Achille ! dit Phébus, quelle fureur t'enivre ?<br />

Mortel rival d'un Dieu, pourquoi donc me poursuivre ?<br />

Crois-tu qu'un habitant <strong>de</strong>s célestes pa<strong>la</strong>is<br />

A l'aspect <strong>de</strong>s humains s'épouvante* jamais ?


4io L'ILIADE.<br />

Quoi ! lorsque lesTroyens^ renfermés dans leur ville,<br />

Contre ton bras vainqueur y cherchent un asyle,<br />

Ton aveugle courroux t'égare <strong>sur</strong> mes pas !<br />

Fuis ! je ne suis pas né pour subir le trépas. »<br />

Achille aux pieds légers <strong>et</strong> s'indigne <strong>et</strong> s'écrie :<br />

« Dieu terrible ! c*est toi qui "trompas ma furie.<br />

Sans toi, que <strong>de</strong> Troyens , renversés <strong>de</strong> leurs chars,<br />

Mordraient tous <strong>la</strong> poussière au pied <strong>de</strong> leurs remparts !<br />

Ta ruse 7 quand déjà je me couvrais <strong>de</strong> gloire,<br />

M'enlève impunément ma plus bêle victoire.<br />

Triomphe ! tu n'as plus à craindre mon courroux.<br />

Que ne puis-je à mon gré t'immoler sous mes coups ! »<br />

Il dit 7 <strong>et</strong> sa valeur que <strong>la</strong> colère enf<strong>la</strong>mme f<br />

Précipite ses pas vers les murs <strong>de</strong> Pergame :<br />

Tel un léger coursier 7 vainqueur au sein <strong>de</strong>s jeux ,<br />

S'é<strong>la</strong>nce ? <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> lice entraîne un char poudreux.<br />

Mais Priam le premier dans c<strong>et</strong>te immense p<strong>la</strong>ine<br />

Voit le fougueux Achille accourir hors d'haleine,<br />

Et frissonne à l'aspect <strong>de</strong> l'airain meurtrier<br />

Qui <strong>de</strong> loin resplendit <strong>sur</strong> le cœur du guerrier :<br />

Ainsi l'astre brû<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste voûte,<br />

Ce fatal Orion que l'automne redoute r


CHANT VINGT-DEUXIEME. 4u<br />

Brille dans <strong>la</strong> nuit sombre, <strong>et</strong> ses feux menaçans<br />

Présagent <strong>de</strong>s fléaux aux mortels frémissans.<br />

Le vieil<strong>la</strong>rd f au combat tandis qu'Hector s'apprête ,<br />

Pousse <strong>de</strong> longs soupirs <strong>et</strong> se frappe <strong>la</strong> tête ;<br />

Suppliant j il l'appelle en lui tendant les bras :<br />

« Cher Hector ! fuis Achille ou plutôt le trépas.<br />

Seul y loin <strong>de</strong> tes guerriers, ta valeur inégale<br />

Ne soutiendra jamais une lutte rivale.<br />

Le cruel ! si les Dieux, dans leur juste fureur,<br />

Partageaient contre lui ma haine <strong>et</strong> mon horreur,<br />

Depuis long-temps son corps ? <strong>la</strong>issé sans sépulture 7<br />

Aux dogues, aux vautours eût servi <strong>de</strong> pâture.<br />

Combien <strong>de</strong> fils vaiUans pleure encor mon amour !<br />

Son g<strong>la</strong>ive les plongea dans l'infernal séjour y<br />

Ou j vendus à prix d'or en <strong>de</strong>s îles lointaines 7<br />

Ils gémissent courbés sous l'opprobre <strong>de</strong>s chaînes.<br />

Lycaop f Poljdore , absens <strong>de</strong> nos remparts 1<br />

Hé<strong>la</strong>s ! ne charment plus mes paternels regards ;<br />

En vain Laothoé*, <strong>de</strong>s femmes <strong>la</strong> plus belle,<br />

Me donna ces <strong>de</strong>ux fruits <strong>de</strong> son amour fidèle.<br />

Dans le camp ennemi s'ils respirent encor,<br />

J'offire pow leur rançon tout l'airain <strong>et</strong> tout l'or


4i2 L'ILIADE.<br />

Dont le vieil<strong>la</strong>rd Altée enrichit ma famille,<br />

Quand j'unis mon <strong>de</strong>stin au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> sa fille.<br />

Mais du tyran <strong>de</strong>s morts s'ils ont subi <strong>la</strong> loi,<br />

Quel <strong>de</strong>uil toujours nouveau pour leur mère <strong>et</strong> pour moi !<br />

Le peuple à consoler sera pourtant facile,<br />

Si tu ne tombes point immolé par Achille.<br />

Viens défendre, ô mon fils ! les femmes <strong>de</strong>s Troy ens;<br />

Viens ! conserve à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> leurs jours <strong>et</strong> les tiens.<br />

Qu f Achille j en te portant une atteinte mortelle f .<br />

Ne se couronne pas d'une gloire éternelle.<br />

Déplore le <strong>de</strong>stin d\m père infortuné f<br />

Qu'aux plus cruels malheurs le ciel a condamné...<br />

Je verrai, sort funeste ! au seuil <strong>de</strong> ma vieillesse ,<br />

Mes filles dans les fers consumant leur jeunesse 7<br />

Mes pa<strong>la</strong>is envahis, sous leurs toits embrasés<br />

Contre le sol fumant les enfans écrasés ,<br />

Et d'un bras furieux les Grecs loin <strong>de</strong> nos rives<br />

Entraînant <strong>de</strong> mes fils les épouses captives !<br />

Dieux.! moi-même , abattu sous le fer meurtrier,<br />

Je dois mourir enfin <strong>et</strong> mourir le <strong>de</strong>rnier !<br />

Quand d'un coup <strong>de</strong> sa' <strong>la</strong>nce ou <strong>de</strong> sa javeline<br />

Un ennemi vainqueur percera ma poitrine >


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4i3<br />

Ces fidèles gardiens que ma table a nourris,<br />

DeVorant <strong>de</strong> ma chair les palpitans débris,<br />

Boiront mon sang <strong>et</strong> puis iront, <strong>la</strong>s <strong>de</strong> carnage 1<br />

Couchés sous le portique ? y reposer leur rage.<br />

Heureux qui jeune encor tombe au champ <strong>de</strong>s combats !<br />

D. paraît toujours beau même dans son trépas.<br />

Mais voir <strong>de</strong>s chiens cruels <strong>sur</strong> une arène impure<br />

D ? un vieil<strong>la</strong>rd expirant souiller <strong>la</strong> chevelure ,<br />

La barbe b<strong>la</strong>nchissante <strong>et</strong> les f<strong>la</strong>ncs tout poudreux ,<br />

Est-il pour les mortels spectacle plus affreux ? »<br />

Le vieux Priam, d*Hector sans fléchir le courage 1<br />

Arrache ses cheveux <strong>et</strong> meurtrit son visage ;<br />

Hécube gémissante , <strong>et</strong> livrée aux douleurs 1<br />

En découvrant son sein, verse un torrent <strong>de</strong> pleurs :<br />

« Hector ! ô mon enfant ! respecte ma misère ,<br />

Dit-elle ; prends pitié , prends pitié <strong>de</strong> ta mère.<br />

Souviens-toi que ce sein , ô toi 7 mon fils chéri !<br />

A <strong>de</strong> tes jeunes ans calmé le premier cri.<br />

Loin <strong>de</strong> hasar<strong>de</strong>r seul c<strong>et</strong>te lutte impossible ,<br />

Du haut <strong>de</strong>s murs repousse un mortel invincible ;<br />

Si tu péris f ta mère <strong>et</strong> ton épouse en <strong>de</strong>uil<br />

Ne pourront <strong>de</strong> leurs pleurs arroser ton cercueil,


4i4 L'ILIADE.<br />

Et les chiens accourront, dans leur fureur ari<strong>de</strong> j<br />

Ronger près <strong>de</strong>s vaisseaux ton cadavre livi<strong>de</strong>. »<br />

Ainsi tous <strong>de</strong>ux en vain, unissant leurs efforts ?<br />

Tentent <strong>de</strong> réprimer ses belliqueux transports ;<br />

Le noble Hector attend le formidable Achille-<br />

Gomme autour <strong>de</strong> son antre 1 un farouche reptile,<br />

Gonflé <strong>de</strong> noirs poisons7 <strong>de</strong> son corps monstrueux<br />

Déroule l'étendue en replis tortueux 7<br />

Et 7 <strong>la</strong>nçant <strong>de</strong>s regards étince<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> rage 7<br />

Du tremb<strong>la</strong>nt voyageur menace le passage :<br />

Sans reculer d'un pas, l'intrépi<strong>de</strong> guerrier<br />

Pose contre <strong>la</strong> tour son bril<strong>la</strong>nt bouclier.<br />

Gémissant f il se dit dans le fond <strong>de</strong> son âme :<br />

« Malheureux I si je cherche un abri dans Pcrgame ,<br />

Bientôt Polydamas 7 le premier 1 <strong>de</strong>vant tous ,<br />

M'accablera du poids d'un trop juste courroux ;<br />

Rebelle à ses conseils ? dans <strong>la</strong> nuit homici<strong>de</strong><br />

Où nous est apparu le divin Éaci<strong>de</strong>,<br />

Je n'ai point rassemblé nos bataillons épare 7<br />

Ni ramené leur foule au sein <strong>de</strong> nos remparts.<br />

Puisqu'hé<strong>la</strong>s! méprisant <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse,<br />

Impru<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>s Troyens j'ai causé <strong>la</strong> détresse,


CHANT YINGT-DEUXIÈME. 4i5<br />

Des femmes au long voile <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs fiers époux<br />

Je crains dans Dion les reproches jaloux.<br />

he$ lâches même, osant flétrir ma renommée,<br />

Diront : l'orgueil d'Hector a perdu notre armée.<br />

Plutôt combattre Achille , <strong>et</strong> par un noble effort<br />

Vaincre pour <strong>la</strong> patrie ou mériter <strong>la</strong> mort !<br />

Mais'non ; si tout-à coup aux pieds <strong>de</strong> ces murailles<br />

Je déposais ma <strong>la</strong>nce, instrument <strong>de</strong>s batailles,<br />

Et mon casque pesant <strong>et</strong> mon fort bouclier ,<br />

Sif courant près d'Achille, à ce héros altier<br />

Je proposais enfin <strong>de</strong> rendre c<strong>et</strong>te Hélène ,<br />

Seul <strong>et</strong> premier auteur d'une guerre-inhumaine,<br />

Et les nombreux trésors qu'en ses profonds Taïsseaux<br />

Paris vers Hion conduisit <strong>sur</strong> les eaux ;<br />

Aux <strong>de</strong>ux rois, fils d'Atxée, aux peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

Si les Trojens cédaient, une immense richesse,<br />

En jurant <strong>de</strong>vant moi <strong>de</strong> ne leur rien celer<br />

De tout For qu'en leurs murs on vit s'amonceler... !<br />

Qu'ai-jedit ? justes Dieux! quel vain espoir m'égare!<br />

J'irais prier Achille ! aux genoux du barbare<br />

J'irais !... toujours fidèle à son inimitié,<br />

Son cœur étoufferait <strong>la</strong>- voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié,


4*6 L'ILIADE.<br />

Et moi, nu, sans appui, dépouillé <strong>de</strong> mes armesj<br />

Tué comme une femme !... Abjurons nos a<strong>la</strong>rmes !<br />

Deux rivaux tels que nous ne doivent pas clierclier<br />

Ce paisible entr<strong>et</strong>ien du chêne ou du rocher,<br />

Dont le jeune pasteur <strong>et</strong> <strong>la</strong> vierge naïve<br />

. Prolongent les p<strong>la</strong>isirs dans leur journée oisive.<br />

Préférons le combat <strong>et</strong>, grâce au roi <strong>de</strong>s cieux,<br />

Que l'un <strong>de</strong> nous enfin marche victorieux. *><br />

Ces proj<strong>et</strong>s ont roulé dans son âme indomptable,<br />

Lorsque, rival <strong>de</strong> Mars au casque redoutable,<br />

Achille est accouru ; ba<strong>la</strong>ncé dans sa main,<br />

Le bois du Pélion étincelle <strong>et</strong> l'airain,<br />

En bril<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> son cœur, semble effacer encore<br />

La c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ou les feux <strong>de</strong> l'aurore..<br />

Hector, à c<strong>et</strong> aspect, <strong>de</strong> terreur a frémi ;<br />

Hector, loin d'affronter un superbe ennemi,<br />

Fuit les portes <strong>de</strong> Scée, <strong>et</strong> le fougueux Achille<br />

Le poursuit, confiant dans sa vigueur agile :<br />

Ainsi du haut <strong>de</strong>s monts le farouche épervier<br />

Pousse <strong>de</strong>s cris aigus, ouvre un bec meurtrier,<br />

Presse d'un vol ar<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> colombe craintive,<br />

Et suit dahs ses détours sa course fugitive.


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 417<br />

Hector épouvanté <strong>de</strong>vant les murs troyens<br />

Sent les pas ennemis s*ïmprimer <strong>sur</strong> les siens..<br />

Dans <strong>la</strong> publique voie, au pied <strong>de</strong> <strong>la</strong> colline<br />

Que, battu par les vents, le grand figuier dominé^<br />

Courant vers le Scamandre, ils parviennent aux'bords<br />

Où <strong>de</strong> sa double source il verse les trésors :<br />

L'une, durant Fhiver, roule une on<strong>de</strong> enf<strong>la</strong>mmée ,-<br />

Dont <strong>la</strong> vapeur s'exhale en épaisse fumée ;<br />

L'autre , aux jours <strong>de</strong> Fêté , coule en son lit natal,<br />

Froi<strong>de</strong> comme <strong>la</strong> neige ou le bril<strong>la</strong>nt cristal.<br />

Avant que le Troyen ait vu <strong>sur</strong> son rivage<br />

Les enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce apporter le ravage ,<br />

Des vierges d'Ilïon les paisibles essaims ',<br />

Sur le marbre poli <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>rges bassins,<br />

Plongeaient dans <strong>la</strong> fraîcheur <strong>de</strong> ces eaux toujours pures<br />

Leurs voiles précieux <strong>et</strong> leurs belles'parures. .<br />

Là, le vail<strong>la</strong>nt Hector légèrement s'enfuit;<br />

Un héros plus vail<strong>la</strong>nt, Achille le poursuit.<br />

Quels illustres rivaux! quelle bril<strong>la</strong>nte lutte !<br />

Quel sa<strong>la</strong>ire .éc<strong>la</strong>tant leur ar<strong>de</strong>ur se dispute !<br />

Est-ce un taureau superbe, un riche bouclier?<br />

Non ; c ? est le sang d'Hector... A <strong>la</strong> mort d'un guerrier,<br />

2. 27


4i8 • • L'ILIADE.<br />

Deux coursiers généreux , dans l'arène célèbres,<br />

S'é<strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> fois , au sein <strong>de</strong>s jeux funèbres,<br />

Vers le- but qui, pour prix <strong>de</strong> leur rapi<strong>de</strong> essor,<br />

. Offre une jeune esc<strong>la</strong>ve, étale un trépied d'or :<br />

Tel le couple rival qu'un noble espoir excite,<br />

Sous les murs <strong>de</strong> Priam trois fois se précipite.<br />

L'Olympe contemp<strong>la</strong>it ces rivaux furieux,<br />

Quand le" père immortel <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux :<br />

<strong>et</strong> Que vois-je!... Hector s'enfuit, menacé par Achille !<br />

Je le p<strong>la</strong>ins : que <strong>de</strong> fois les hauteurs <strong>de</strong> sa ville ,<br />

Et l'Ida , couronné d'innombrables coteaux,<br />

L'ont vu brûler pour moi <strong>la</strong> graisse <strong>de</strong>s taureaux !<br />

Achille maintenant, à son courroux en proie,<br />

Terrible, le poursuit sous les remparts <strong>de</strong> Troie.<br />

Faut-il <strong>la</strong>isser périr un si cher combattant?<br />

Faut-il le dérober au trépas qui l'attend ?<br />

Divinités du ciel, que <strong>de</strong>vons-nous résoudre? »<br />

Minerve aux yeux d'azur répond: ce Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre<br />

O puissant Jupiter ! ô maître <strong>de</strong>s humains,<br />

Qui ba<strong>la</strong>nces l'orage en tes célestes mains,<br />

Tu veux sauver c<strong>et</strong> homme, <strong>et</strong> par <strong>la</strong> Destinée<br />

Tu sais que dès long-temps sa vie est condamnée 1


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 419<br />

Jamais les autres Dieux n'y pourront consentir.<br />

Abjure ce proj<strong>et</strong> ou crains le repentir. »<br />

« 0 ma fille! reprend le Dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête,<br />

Tu parles ; à ta voix ma puissance s'arrête.<br />

Ras<strong>sur</strong>e-toi! du Sort l'arrêt doit s'accomplir ;<br />

J'autorise tes vœux ; pars <strong>et</strong> cours les remplir. »<br />

Minerve , dont l'espoir à ces mots se ranime,<br />

De l'Olympe éc<strong>la</strong>tant abandonne <strong>la</strong> cime.<br />

Furieux contre Hector, le menaçant <strong>de</strong> près,<br />

Achille vole : ainsi, dans les vastes forêts,<br />

Dans le creux <strong>de</strong>s vallons, un limier intrépi<strong>de</strong><br />

A son gîte natal arrache un faon timi<strong>de</strong>,<br />

Sur sa trace é<strong>la</strong>ncé, le presse en hal<strong>et</strong>ant,<br />

Et <strong>de</strong>rrière un buisson le trouve palpitant*<br />

Le Troyen ne saurait par sa légère fuite<br />

Du grand fils <strong>de</strong> Pelée éviter <strong>la</strong> poursuite ;<br />

Des citoyens armés invoquant le secours,<br />

Vers les murs d'Hion <strong>et</strong> vers ses belles tours<br />

Il se dirige en vain ; <strong>de</strong>s remparts dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

Achille incessamment le repousse, l'entraîne,<br />

Et comme, dans un songe enfanté par <strong>la</strong> peur,<br />

On poursuit sa&B Fatteindre un fantôme trompeur,<br />

»7- '


.4ao L'ILIADE.<br />

Le héros 1 redoub<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> force <strong>et</strong> <strong>de</strong> vitesse -,<br />

Manque sans cesse Hector qu'il croit saisir sans cessé;<br />

Maïs comment son rival pourra-t-O. échapper<br />

Au courroux du Destin tout prêt à le frapper ^<br />

Si Phébus, l'entourant <strong>de</strong> son appui fidèle ,<br />

Ne vient remplir son corps d'une force nouvelle ?<br />

Achille, désirant porter les premiers coups ^<br />

Fait signe à ses soldats d'enchaîner leur courroux,<br />

Et, du trépas d'Hector se réservant <strong>la</strong> gloire,<br />

D ne veut pas cé<strong>de</strong>r une illustre victoire.<br />

Lorsque les <strong>de</strong>ux guerriers , en redoub<strong>la</strong>nt d'efforts,<br />

Des sources du Scamandre ont regagné les bords,<br />

Dans ses ba<strong>la</strong>nces d'or à <strong>la</strong> fois inclinées<br />

De <strong>la</strong> mort, long sommeil, p<strong>la</strong>çant les <strong>de</strong>stinées,<br />

Jupiter les suspend, <strong>et</strong> par un soin égal<br />

D'Achille <strong>et</strong> du Troyen pèse le sort rival.<br />

Le <strong>de</strong>rnier jour d'Hector vers l'infernal abyme<br />

Penche, <strong>et</strong> soudain Phébus dé<strong>la</strong>isse <strong>la</strong> victime.<br />

Pal<strong>la</strong>s court vers Achille <strong>et</strong> reste près <strong>de</strong> lui ;<br />

Ces mots rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>. ses lèvres ont foi :<br />

« Héros aimé <strong>de</strong>s cieux, ô magnanime Achille 1<br />

Le Destin nous présente une gloire facile f


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4»i<br />

Et, <strong>de</strong>vant les vaisseaux, armés du fer vainqueur ,<br />

De Fintrépi<strong>de</strong> Hector-nous.percerons le-oœur^<br />

Quand même jusqu'aux pieds du maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />

Phébus s'abaisserait pour fléchir sa colère;<br />

Rien ne peut r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>r le jour fatal d'Hector.<br />

Mais respire un instant ; modère ton essor.<br />

Je te quitte, <strong>et</strong> bientôt je t'amène ta proie. »<br />

Le héros, palpitant d'une orgueilleuse joie,<br />

Appuyé <strong>sur</strong> son frêne à <strong>la</strong> pointe d'airain,<br />

Obéit ; vers Hector* Pal<strong>la</strong>s vole <strong>et</strong> soudain,<br />

Aux traits <strong>de</strong> Déïphobe.offrant <strong>de</strong>s traits semb<strong>la</strong>bles,<br />

Imite <strong>de</strong> sa voix les sons infatigables :<br />

« O mon généreux frère I Achille furieux,<br />

jSous nos murs, te poursuit d'un pas victorieux.,<br />

Suspends ici ta course ; arrêtons-nous... Qu'il tremble<br />

D'attaquer <strong>de</strong>ux héros qui vontcombattre ensemble.»<br />

Maïs Hector au beau casque : « O Déïphobe ! ô toi,<br />

Qui <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Priam es le plus cher pour moi,<br />

Que je te dois d'amour <strong>et</strong> <strong>de</strong> reconnaissance'!<br />

Quand mes nouveaux dangers réc<strong>la</strong>ment ta présence ,<br />

Tu viens me secourir, <strong>et</strong> les autres guerriers<br />

, Daps l'enceinte <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong>meurent prisonnier» ! »


4a» L'ILIADE.<br />

Pal<strong>la</strong>s aux yeux d f a<strong>sur</strong> lui répond : « O mon frère !<br />

Tous mes amis? Prïamf ma vénérable mère?<br />

Courbés à mes genoux, <strong>et</strong> g<strong>la</strong>cés <strong>de</strong> terreur,<br />

Vou<strong>la</strong>ient dans Hion r<strong>et</strong>enir ma fureur.<br />

Mais je souffrais ? en proie aux plus vives a<strong>la</strong>rmes.<br />

Unissons nos efforts : point <strong>de</strong> trêve à nos armes.<br />

Yïens ! qu'Achille, couvert <strong>de</strong> butin <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang.<br />

Triomphe ou que ton bras lui déchire le f<strong>la</strong>nc, a<br />

Aussitôt, l'abusant par c<strong>et</strong> espoir perfi<strong>de</strong>,<br />

Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine à grands pas k Déesse le gui<strong>de</strong>.<br />

Lorsque les <strong>de</strong>ux rivaux se rapprochent entr'eux î<br />

« Achille ! dit Hector au casque radieux,<br />

Si trois fois sous nos murs j'ai fui <strong>de</strong>vant ta <strong>la</strong>nce,<br />

Mon cœur brûle aujourd'hui d'éprouver ta vail<strong>la</strong>nce,<br />

Mon trépas ou le tien !... mais que <strong>de</strong> nos traités<br />

Tous les Dieux soient ici les témoins respectés.<br />

Si tu dois succomber, ne crains aucune injure ;<br />

Satisfait <strong>de</strong> ravir ta glorieuse armure,<br />

Entre les mains <strong>de</strong>s Grecs je <strong>la</strong>isserai ton corps.<br />

Par un double serment confirmons nos accords. »<br />

Achille aux pieds légers roule un regard farouche :<br />

* Gruel Hector ! quels mots s'échappent <strong>de</strong> ta bouche?


• CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4*3<br />

Par quel traite <strong>de</strong> paix voit-on s'associer<br />

Lés timi<strong>de</strong>s agneaux <strong>et</strong> le loup meurtrier ?<br />

Les hommes, les lions s'unissent-ils ensemble ?<br />

Non3 non : point <strong>de</strong> serment dont <strong>la</strong> foi nous rassemblef<br />

Avant que l'un <strong>de</strong> nous par son sang<strong>la</strong>nt trépas<br />

N'ait apaisé le Dieu qui prési<strong>de</strong> aux combats.<br />

Voici 7 voici l'instant <strong>de</strong> braver ma menace.<br />

Rappelle dans ton sein ta force <strong>et</strong> ton audace.<br />

Tu ne peux par <strong>la</strong> fuite éviter mon courroux :<br />

Plus d'espoir ; c'est Pal<strong>la</strong>s qui dirige mes coups f<br />

Et ta mort vengera mes guerriers magnanimes<br />

Précipités par toi dans les sombres abymes. »<br />

A ces mots, le trait vo<strong>la</strong> Hector qui l'aperçoit,<br />

L ? évite en s'inclïnant par un détour adroit ;<br />

Dans <strong>la</strong> terre plongé, le fer reste immobile r.<br />

Et Pal<strong>la</strong>s le saisit pour en armer- Achille.<br />

Hector s'écrie : « Eh bien ! Achille égal aux Dieux !;<br />

Jupiter te cachait mon <strong>de</strong>stin glorieux..<br />

Va ! perfi<strong>de</strong> artisan <strong>de</strong> superbes paroles,<br />

Ne crois point m'effrayer par tes discours frivoles.<br />

Ta <strong>la</strong>nce dans le dos ne m'atteindra jamais.<br />

Si les Dieux Font voulu7 frappe 1 je me soum<strong>et</strong>»...


4H L'ILIADE.<br />

Non^ évite plutôt ma pique meurtrière.<br />

Puisse-t-dle en ton corps s'enfoncer tout entière !<br />

La guerre <strong>de</strong>viendrait un moins pesant far<strong>de</strong>au,<br />

Si tu mourais, ô toi f notre plus grand fléau! ».<br />

Echappé <strong>de</strong> ses mains, son javelot s ? émousse<br />

Contre le bouclier qui soudain le repousse.<br />

Le frêne belliqueux n'arme plus sa valeur;<br />

Alors, le front penché f frémissant <strong>de</strong> douleur,<br />

D. s'arrête ; ses cris appellent Déïphobe;<br />

A ses yeux consternés le guerrier se dérobe.<br />

Hector d'un doute horrible éprouve le tourment,<br />

Et conçoit dans son âme un noir pressentiment :<br />

« C'en est donc fait! le ciel à ma perte m'entraîne.<br />

Ce héros que ma voix <strong>de</strong>mandait à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine,<br />

Mon frère est dans nos murs... <strong>la</strong> mort est <strong>de</strong>vant moi;<br />

Rien ne peut m'arracher à sa terrible loi.<br />

Malheureux ! je vois trop par quelle indigne rase<br />

L'Olympe me trahit <strong>et</strong> Minerve m'abuse.<br />

Ces Dieux qui se p<strong>la</strong>isaient à veiller <strong>sur</strong> mon sort?<br />

Jupiter <strong>et</strong> Phébus me livrent à <strong>la</strong> mort.<br />

Eh bien ! s f il faut mourir ^ ne mourons pas sans gloire^<br />

Et qu'un <strong>de</strong>rnier exploit illustre ma mémoire. ».


CHANT VINGT-DEUXIÈME. ',4*5<br />

A ces mots, saisissant d'un bras désespéré<br />

Son g<strong>la</strong>ive redoutable, éc<strong>la</strong>tant,'acéré ,<br />

Hector l'agite, Hector s'é<strong>la</strong>nce plein <strong>de</strong> rage :<br />

Tel un aigle, à travers un ténébreux nuage,<br />

Fond <strong>sur</strong> le tendre agneau, <strong>sur</strong> le lièvre craintif,<br />

Qui précipite au loin son essor fugitif.<br />

D'une fureur farouche Eaci<strong>de</strong> frissonne ;<br />

Sous le grand bouclier dont l'abri l'environne ,<br />

H vole ; <strong>de</strong> son casque orgueilleux ornement,<br />

Le quadruple cimier flotte légèrement,<br />

Et ba<strong>la</strong>nce à longs flots For <strong>de</strong> <strong>la</strong> chevelure<br />

Dont Vulcain façonna l'habile ciselure. •<br />

Gomme on voit le plus beau <strong>de</strong>s astres radieux ,<br />

LrHespérus matinal sous <strong>la</strong> voûte <strong>de</strong>s cieux<br />

Paraître f <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit perçant les sombres voiles,<br />

Par l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses feux effisicer les étoiles :<br />

Tel, rapi<strong>de</strong> instrument d'un courroux inhumain ,<br />

Brille le trait qu'Achille agite dans sa main.<br />

S'il me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s yeux <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où son courage<br />

Jusqu'au cœur ennemi peut s'ouvrir un passage,<br />

L'armure <strong>de</strong> Patrocle, invincible rempart,<br />

De tou« côtés présente un obstacle à son dard.


4^6 L'ILIADE.<br />

Enfin ? vers c<strong>et</strong> endroit, ou , du cou séparée,<br />

, L'épaule <strong>la</strong>isse au fer une facile entrée,<br />

11 dirige sa <strong>la</strong>nce <strong>et</strong> Faîrain meurtrier<br />

Dans le cou délicat 7 sans trancher le gosier,<br />

S'enfonce; Hector succombe <strong>et</strong> ses lèvres tremb<strong>la</strong>ntes<br />

Ont encor murmuré quelques paroles lentes.<br />

Achille alors triomphe : « Insensé ! quand ton fer<br />

Précipita Patrocle aux gouifres <strong>de</strong> l'enfer,<br />

Tu croyais que toujours ma valeur inutile<br />

Dans un lâche repos <strong>la</strong>nguirait immobile !<br />

Au fond <strong>de</strong> nos vaisseaux tu ne savais donc pas<br />

Qu'il restait un vengeur armé pour ton trépas?<br />

Oui, j'ai brisé ta force? <strong>et</strong> les vautours avi<strong>de</strong>s,<br />

Les chiens s'arracheront tes dépouilles livi<strong>de</strong>s ,<br />

Tandis qu'à mon ami consacrant un cercueil f<br />

Les Grecs par c<strong>et</strong> hommage attesteront leur <strong>de</strong>uil. »<br />

Hector <strong>la</strong>isse échapper un faible <strong>et</strong> sourd murmure:<br />

« Achille, ô mon vainqueur,- ma douleur t'en conjure ;<br />

Par toi, par tes genoux, au nom <strong>de</strong> tes parens, •<br />

Dérobe mon cadavre à ces chiens dévorans.<br />

Reçois For <strong>et</strong> Fairain que, pour fléchir ta rage,<br />

Les auteurs <strong>de</strong> mes jours t'ofinront en partage ;


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 4^7<br />

Eends-leur mon corps sang<strong>la</strong>nt ; qu'à monbûclier du moins<br />

Les femmes <strong>de</strong>s Troyens donnent leurs tristes soins. »<br />

Achille le regar<strong>de</strong> <strong>et</strong> frémit <strong>de</strong> colère :<br />

ce Misérable! tais-toi; n'atteste pas mon père.<br />

Que ne puis-je en mon sein dévorer à l'instant<br />

Ta chair toute vivante <strong>et</strong> ton cœur palpitant!<br />

Grains <strong>de</strong>s chiens affames les fureurs vengeresses ;<br />

Dût-on m'offrir dix fois, vingt fois plus <strong>de</strong> richesses,<br />

Dût Priam apporter <strong>de</strong> vastes monceaux d'or,<br />

M'en prodiguer toujours <strong>et</strong> m'en prom<strong>et</strong>tre encor,<br />

Jamais on ne verra, dans sa douleur amère,<br />

Sur ton funèbre lit pleurer ta vieille mère,<br />

Et ton corps tout entier, dé<strong>la</strong>isse' sans secours,<br />

Assouvira <strong>la</strong> faim <strong>de</strong>s chiens <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vautours. *><br />

« Cruel! répond Hector en respirant à peine;<br />

Je reconnais ton cœur à sa rage inhumaine...<br />

Ah ! ton cœur est <strong>de</strong> fer... Mais redoute les Dieux.<br />

Quelque soit ton courage, Apollon furieux,<br />

Paris vainqueur, un jour, sous les portes <strong>de</strong> Seée,<br />

T'immoleront*.. » Ces mots <strong>de</strong> sa lèvre g<strong>la</strong>cée<br />

Ont fui... Son œil se ferme à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté' du jour;<br />

Son âme, s'envoknt au ténébreux séjour,


4^8 L'ILIADE.<br />

Déplore sa valeur du ciel abandonnée<br />

Et sa courte jeunesse en sa fleur moissonnée.<br />

« Meurs! dit Achille, <strong>et</strong> moi, prêt à subir mon sort^<br />

J'attends que Jupiter ait ordonné ma mort. »<br />

Aussitôt, arrachant sa pique étince<strong>la</strong>nte, .<br />

H ravit duTroyen l'armure encor sang<strong>la</strong>nte.<br />

Et les enfans <strong>de</strong>s Grecs, à longs flots répandus,<br />

Contemp<strong>la</strong>nt ses débris <strong>sur</strong> le sable étendus,<br />

Son front majestueux, <strong>et</strong> sa haute stature,<br />

De leurs coups redoublés lui prodiguent l'injure.<br />

Tous s'observent entr'eux avec étonnement :<br />

« Certes, Hector paraît plus doux en ce moment<br />

Que dans ces jours' <strong>de</strong> crainte où sa valeur hardie<br />

Lançait <strong>sur</strong> nos vaisseaux le brû<strong>la</strong>nt incendie ! »<br />

Ils disaient, <strong>et</strong> chacun, en outrageant son corps,<br />

D'une rage effrénée écoutait les transports.<br />

Achille foule aux pieds sa dépouille flétrie ;<br />

Debout parmi les Grecs , il triomphe, il s'écrie :<br />

« Amis ! puisque les Dieux frappèrent ce guerrier<br />

Seul plus fatal pour nous qu'un peuple tout entier,<br />

Marchons <strong>sur</strong> les Tro yens : pleins d'une ar<strong>de</strong>ur nouvelle,<br />

Sachons s'ils vont quitter leur haute cita<strong>de</strong>lle,


GHANT VINGT-DEUXIÈME. 4*9<br />

Ou si, privés d'Hector <strong>et</strong> tremb<strong>la</strong>nt pour leurs jours,<br />

D'une vaine défense ils'se f<strong>la</strong>ttent toujours.».<br />

Qu'ai-jedit ? Quekcombats auraient pour nous <strong>de</strong>s charmes,<br />

Quand Patrocle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une tombe <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes?<br />

Tant que s'agiteront mes genoux <strong>et</strong> mes bras,<br />

-Sur le sol <strong>de</strong>s vivans je ne l'oublîrai pas ;<br />

Jusqu'au fond <strong>de</strong>s enfers son image fidèle •<br />

Seule au commun oubli <strong>sur</strong>vivrait immortelle*<br />

Maintenant, fils <strong>de</strong>s Grecs ! <strong>de</strong> ses membres meurtri*<br />

Vers nos profonds vaisseaux entraînons les débris.<br />

Qu'un Péan solennel chante notre victoire.'<br />

L'avenir nous prom<strong>et</strong> une éternelle gloire.<br />

Triomphons ! il n'est plus , c<strong>et</strong> homme audacieux,<br />

C<strong>et</strong> Hector qu'Ilion p<strong>la</strong>çait au rang'<strong>de</strong>s Dieux. »<br />

A ces mots, enivré d'une barbare joie,<br />

Achille furieux s'acharne <strong>sur</strong> sa proie.<br />

Quand les talons d'Hector que son g<strong>la</strong>ive a percés,<br />

Par <strong>de</strong> puissans liens sont tous <strong>de</strong>ux traversés ,<br />

H les suspend au char, y monte <strong>et</strong> <strong>sur</strong> le sable<br />

Laisse rouler au loin son front méconnaissable.<br />

Tandis qu'entre ses mains le fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant<br />

Presse le vol léger du couple hennissant,


43o L'ILIADE.<br />

Dans son épais nuage une poussière impure<br />

Ensevelit d'Hector <strong>la</strong> noire chevelure,<br />

Et sa tête, où naguère "éc<strong>la</strong>tait <strong>la</strong> beauté,<br />

Sillonne sans honneur le sol ensang<strong>la</strong>nté.<br />

Jupiter a permis qu'Hector , dans sa patrie,<br />

De ses cruels vainqueurs assouvît <strong>la</strong> furie.<br />

Sa mère , en exha<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s sanglots douloureux ,<br />

Flétrit son voile d'or , déchire ses cheveux ;<br />

Priam pousse <strong>de</strong>s cris, <strong>et</strong> comme si Pergame<br />

Du haut <strong>de</strong> ses remparts s'écrou<strong>la</strong>it sous <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme ,<br />

Les Troyens gémissans <strong>et</strong> leur roi désolé<br />

Frissonnent à l'aspect du héros immolé.<br />

Des portes d'Hion pour franchir <strong>la</strong> barrière ,<br />

En rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>vant eux son front dans <strong>la</strong> poussière,<br />

Tour à tour il les nomme : « Amis ! n'empêchez pas<br />

Que seul jusqu'aux vaisseaux je dirige mes pas.<br />

J'irai , j'implorerai ce vainqueur sanguinaire ,<br />

Et peut-être il p<strong>la</strong>indra mon âge <strong>et</strong> ma misère.<br />

Pelée encor respire.., Achille, à mon aspect,<br />

Croira revoir ce père , obj<strong>et</strong> d'un saint respect,<br />

Ce père qui nourrit, en formant son audace,<br />

Le fléau <strong>de</strong>s Troyens, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong> ma race.


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 431<br />

He<strong>la</strong>s ! combien <strong>de</strong> fils sous ses coups triomphans<br />

Périrent 7 moissonnés dans <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> leurs ans !<br />

Je les chérissais tous, <strong>et</strong> leur perte cruelle<br />

Sans doute a déchiré mon ame paternelle;<br />

Mais le trépas d\in seul est plus horrible encor,<br />

Et je vais au tombeau rejoindre mon Hector.<br />

S'il fût mort dans mes bras, à son heure <strong>de</strong>rnière,<br />

J'aurais uni mon <strong>de</strong>uil aux douleurs <strong>de</strong> sa mère ;<br />

Nous nous serions tous <strong>de</strong>ux rassasiés <strong>de</strong> pleurs.»<br />

Tandis que le vieil<strong>la</strong>rd déplorait ses malheurs 7<br />

La foule autour <strong>de</strong> lui gémissait consternée 1<br />

Et <strong>de</strong>s femmes.<strong>de</strong> Troie Hécube environnée<br />

S'écriait : a 0 mon fils ! puisque je t'ai perdu ,<br />

Qu'importe l'existence à mon cœur éperdu ?<br />

Toi f <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> le jour, mon orgueil <strong>et</strong> ma joie ,<br />

Comme un Dieu protecteur on t'adorait dans Troie.<br />

Vivant^ tous nos guerriers partageaient tes exploits^<br />

Et l'imp<strong>la</strong>cable mort t'asservit à ses lois ! »<br />

Ainsi pleurait Hécube. Andromaque tranquille<br />

Ne savait pas qu'Hector resta hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,<br />

Et dans son haut pa<strong>la</strong>is ses doigts <strong>la</strong>borieux<br />

Façonnaient le tissu d'un voile industrieux,


43â L'ILIADE;<br />

OùL , par un jeu savant ensemble mariées j<br />

Mille couleurs ©liraient mille fleurs variées.<br />

Des femmes 1 à sa voix? le diligent essaim<br />

Sur les foyers brû<strong>la</strong>ns p<strong>la</strong>çait un grand bassin,<br />

Pour que le bain ^ rempli d'une on<strong>de</strong> salutaire i<br />

Reposât son époux <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<br />

L'insensée ignorait que loin du bain, hé<strong>la</strong>s !<br />

Il périt sous les coups d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pa<strong>la</strong>s.<br />

Quand, du haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour jusque dans sa r<strong>et</strong>raite j<br />

Des c<strong>la</strong>meurs ont frappé son oreille distraite, .<br />

Tous ses membres g<strong>la</strong>cés fléchissent à <strong>la</strong> fois } •<br />

La nav<strong>et</strong>te en tremb<strong>la</strong>nt s'échappe <strong>de</strong> ses doigts.<br />

Ses femmes, qu'embellit leur longue chevelure i-<br />

L'entourent, <strong>et</strong> sa bouche en ces mots les conjure :<br />

« Venez ; suivez mes pas? <strong>et</strong> que <strong>de</strong>ux d'entre vous<br />

Sachent quels maux le Sort déchaînera <strong>sur</strong> nous.<br />

De <strong>la</strong> mère d'Hector <strong>la</strong> douloureuse p<strong>la</strong>inte<br />

Tout à coup a rempli c<strong>et</strong>te paisible enceinte...<br />

Dans mon sein frémissant mon cœur bondit d'effroi^<br />

Et je sens mes genoux se-dérober sous moi.<br />

Sur les fils <strong>de</strong> Priam p<strong>la</strong>ne quelque infortune j<br />

Daignez m'en épargner <strong>la</strong> nouvelle importune 7


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 433<br />

Dieux! Je tremble qu'Hector, par Achille pressé,<br />

Seul'<strong>et</strong> loin <strong>de</strong> nos murs sans appui repoussé,<br />

Ne succombe , trahi par c<strong>et</strong> ar<strong>de</strong>nt courage<br />

Qui le j<strong>et</strong>te en aveugle au <strong>de</strong>vant du carnage.<br />

B n'est pas <strong>de</strong> héros qu'il n'ose défier,<br />

. Et toujours au combat il marche le premier. *<br />

De sa suite fidèle Andromaque escortée,<br />

Telle qu'une ména<strong>de</strong> au hasard emportée,<br />

Perce <strong>la</strong> foule, vole au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s remparts,<br />

Et Peffiroi <strong>de</strong> son cœur passe dans ses regards.<br />

Alors, j<strong>et</strong>ant les jeux <strong>sur</strong> le champ <strong>de</strong>s batailles ,<br />

0 terreur !,.. elle a vu, sous les hautes murailles,<br />

Au char d'un ennemi son époux enchaîné<br />

Par <strong>de</strong>s coursiers fougueux vers <strong>la</strong> flotte entraîné.<br />

Son œil s'éteint, chargé d'une ombre sépulcrale ;<br />

Son âme touche presque à son heure fatale ;<br />

Elle tombe ; autour d'elle on voit rouler ces nœuds.<br />

Ces voiles, ces réseaux, <strong>et</strong> ces ban<strong>de</strong>aux pompeux<br />

Dont <strong>la</strong> blon<strong>de</strong> Vénus l'avait jadis ornée,<br />

Quand, fière d'obtenir les présens d'hyménée,<br />

Laissant d'Eétion le pa<strong>la</strong>is opulent,<br />

Elle suivit Hector au casque étince<strong>la</strong>nt.<br />

2. 28


434 L'ILIADE.<br />

A peine <strong>de</strong> ses sens elle a repris l'usage.<br />

Les <strong>la</strong>rmes à longs flots inon<strong>de</strong>nt son visage f '<br />

Et, <strong>de</strong> ses tendres sœurs rej<strong>et</strong>ant le secours,<br />

Elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux Dieux le terme <strong>de</strong> ses jours.<br />

Les airs ont r<strong>et</strong>enti <strong>de</strong> sa voix douloureuse :<br />

« Hector ! ô mon époux ! que je suis malheureuse !<br />

Nous sommes nés tous <strong>de</strong>ux sous le même <strong>de</strong>stin f<br />

Toi, dans Pergame, <strong>et</strong> moi, dans un pays lointain^<br />

Près <strong>de</strong>s vertes for<strong>et</strong>s dont le P<strong>la</strong>cus s'ombrage 7<br />

A Thèbes où mon père éleva mon jeune âge.<br />

File d'un malheureux, le malheur est mon sort.<br />

Dans l'abyme profond 7 noir séjour <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort f<br />

Tu <strong>de</strong>scends... <strong>et</strong> ta veuve ? hé<strong>la</strong>s ! abandonnée T<br />

Au <strong>de</strong>uil, en ton pa<strong>la</strong>is 1 gémira condamnée.<br />

Ce fils j encore enfant, gage <strong>de</strong> notre amour ,<br />

Ne pourra <strong>de</strong> tes soins te payer le r<strong>et</strong>our.<br />

Dût sa vie .échapper à ce vaste carnage 7<br />

Les travaux <strong>et</strong> les pleurs, voilà son héritage.<br />

Le superbe étranger u<strong>sur</strong>pera ses biens ;<br />

Privé j dans un seul jour, <strong>de</strong> ses plus chers soutiens,<br />

L'orphelin, faible <strong>et</strong> pauvre, errant <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te terre?<br />

Traîne <strong>de</strong> ses ennuis le far<strong>de</strong>au solitaire ,


CHANT VINGT-DEUXIÈME. 435<br />

Les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs7 le front humilié f<br />

Des amis paternels invoque <strong>la</strong> pitié,<br />

Prend l'un par son manteau 7 l'autre par sa tunique^<br />

Et s'il ose abor<strong>de</strong>r leur taHe magnifique 7<br />

Un breuvage7 à regr<strong>et</strong> -offert par le -dédain,<br />

A sa lèvre altérée est arraché soudain.<br />

Le jeune homme, bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> parure <strong>et</strong> <strong>de</strong> grâce ,<br />

Le frappe avec orgueil, avec mépris le chasse.<br />

R<strong>et</strong>ire-toi, dit-il 7 dirige ailleurs tes pas.;<br />

On ne voit plus ton père assis à nos repas.<br />

Mon enfant 7 à ces mots, dans le sein <strong>de</strong> sa mère<br />

Reviendra tout en pleurs rej<strong>et</strong>er sa misère.<br />

0 douleurs !... autrefois ! mon malheureux époux<br />

Berçant avec amour son fils <strong>sur</strong> ses genoux,<br />

Lui prodiguait toujours d'une main comp<strong>la</strong>isante<br />

La graisse <strong>de</strong>s troupeaux <strong>et</strong> leur chair bienfaisante ,<br />

Jusqu'à l'heure où , <strong>la</strong> nuit interrompant ses jeux ,<br />

Tranquillement couché <strong>sur</strong> un duv<strong>et</strong> moelleux,<br />

Paisible, il savourait, auprès <strong>de</strong> sa nourrice,<br />

Les douceurs d'un sommeil innocent <strong>et</strong> propice.<br />

Aujourd'hui , dépouillé du secours paternel ,<br />

Quel avenir l'attend ? un malheur éternel.<br />

»8.


4-36 - L'ILIADE.<br />

"Ce nom d'Astyanax n'est qu'un nom inutile :<br />

C'est toi seul qui sauvais les hauts murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,<br />

Hector! <strong>et</strong>, loin <strong>de</strong> nous, tu seras, près <strong>de</strong>s mers,<br />

Déchiré par les chiens <strong>et</strong> rongé par les vers !<br />

Tes vétemens, tissus par <strong>la</strong> main <strong>de</strong> mes femmes,<br />

Du fond <strong>de</strong> nos pa<strong>la</strong>is apportés dans les f<strong>la</strong>mmes,<br />

En ton honneur, <strong>de</strong>vant les Troyens éplorés,<br />

Grâce à taies soins pieux, périront dévorés ;<br />

Je veux, les consacrant à ces <strong>de</strong>voirs funèbres,<br />

Aux yeux d'un peuple entier les rendre encor célèbres,»<br />

Atidromaque gémit, <strong>et</strong> ses femmes en pleurs<br />

Près d'elle à s'es soupirs unissent leurs douleurs.<br />

FIN BU VINGT-DEUXIEME CHANT.


CHANT VINGT-TROISIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT YINGT-TROISIÈME.<br />

Sommeil d'Achille. — Apparition <strong>de</strong> Fombre <strong>de</strong> Patrocle. — Cpusr<br />

ImctlôB ém bûcher» — Jeux frnèbres.


LILIADE.<br />

CHANT VINGT-TROISIÈME.<br />

On gémît dans <strong>la</strong> ville , <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong> ses rives<br />

I/Hellespont a reçu les troupes fugitives ;<br />

Tous au fond <strong>de</strong>s vaisseaux portent leurs pas errans ;<br />

Mais Achille r<strong>et</strong>ient ses soldats dans leurs rangs :<br />

« Qiers compagnons f ô vous, écuyers intrépi<strong>de</strong>s ,<br />

Avec tous nos chevaux armés d'ongles soli<strong>de</strong>s<br />

Avançons ; que d'abord ce corps inanimé<br />

Accepte le tribut par les morts réc<strong>la</strong>mé.<br />

Rassasions <strong>de</strong> pleurs notre douleur immense ;<br />

Puis j dételons les chars ; que le festin commence, *<br />

Dirigés par leur chef 9 les gémissans guerriers<br />

Autour du corps trois fois gui<strong>de</strong>nt leurs beaux coursiers.


44o L'ILIADE.<br />

Thétis à leurs regr<strong>et</strong>s s'associe 7 <strong>et</strong> leurs <strong>la</strong>rmes<br />

Muissèlent <strong>sur</strong> le sable ou roulent <strong>sur</strong> leurs armes,<br />

Achille ouvre le <strong>de</strong>uil ; Achille étend soudain<br />

Sur le cœur d'un ami sa redoutable main.<br />

« 0 Patrocle ! dit-il7 dans ta <strong>de</strong>meure sombre<br />

Réjouis-toi ! bientôt j'apaiserai ton ombre.<br />

Oui7 les membrea d'Hector7 <strong>sur</strong> ces rives traînés f<br />

Aux dogues dévorans seront abandonnés 7<br />

Et douze fils yail<strong>la</strong>ns <strong>de</strong>s guerriers <strong>de</strong> Pergame7<br />

Frappés <strong>sur</strong> ton bûcher f périront par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme.<br />

Dans mon cœur désolé ma fureur vit encor. »<br />

A ces mots 7 s'acharnant <strong>sur</strong> le divin Hector7<br />

Dans le sable il l'étend près du lit funéraire<br />

Où <strong>la</strong>nguit <strong>la</strong> dépouille à ses douleurs si chère.<br />

Les soldats ont quitté l'airain éblouissant7<br />

Et7 délivrant du joug le coursier hennissant!<br />

Assis près du vaisseau d'Achille au pied rapi<strong>de</strong>,<br />

Partagent le festin que ce héros prési<strong>de</strong>.<br />

Le fer <strong>de</strong>s couteaux brille 7 <strong>et</strong> le porc succulent<br />

Aux <strong>de</strong>nts b<strong>la</strong>nches7 au corps <strong>de</strong> graisse étince<strong>la</strong>nt7<br />

Les chèvres 7 les brebis 7 les taureaux qui mugissent,<br />

Sur les feux <strong>de</strong> Vulcain où leurs membres rougissent,


CHANT VINGT-TROISIÈME. 441<br />

S'entassent, <strong>et</strong> bientôt tout leur sang confond»<br />

Coule autour du cadavre à grands flots répandu.<br />

Des princes argiens Faite rassemblée 7<br />

Accourant à Fenvi près du fils <strong>de</strong> Pelée ,<br />

L'arrache à ce spectacle , obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> pleurs,<br />

Et vers Agamemnon entraîne ses douleurs.<br />

Le monarque <strong>de</strong>s Grecs les reçoit dans sa tente ;<br />

II parle, <strong>et</strong> les hérauts à <strong>la</strong> voix éc<strong>la</strong>tante<br />

Sur le brû<strong>la</strong>nt foyer déposent un bassin<br />

Dont une on<strong>de</strong> limpi<strong>de</strong> emplit le vaste sein.<br />

Mais 1 Achille, souillé <strong>de</strong> sang <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière 7<br />

D'Atri<strong>de</strong> obstinément rej<strong>et</strong>ant <strong>la</strong> prière ,<br />

Confirme son refus par ce serment pieux :<br />

« J'atteste le meilleur <strong>et</strong> le plus grand <strong>de</strong>s Dieux<br />

Que je ne puis encor <strong>la</strong>ver ma tête impure 7 '<br />

Puisqu'on ne m'a point vu 7 coupant ma chevelure 7<br />

Aux restes <strong>de</strong> Patrocle ériger un tombeau f<br />

Ni du bûcher funèbre allumer le f<strong>la</strong>mbeau.<br />

Non : tant que <strong>de</strong>s vivans j'habiterai le- mon<strong>de</strong> ,<br />

Je ne sentirai pas <strong>de</strong> douleur si profon<strong>de</strong>.<br />

Toutefois, prenons p<strong>la</strong>ce au lugubre festin.<br />

Moi <strong>de</strong>s hommes, Àtri<strong>de</strong> ! au r<strong>et</strong>our du matin ,


44a L'ILIADE.<br />

Bâtîsaons un bûcher à ce guerrier célèbre ;<br />

Que les soldats } choisis pour c<strong>et</strong> emploi funèbre f<br />

Dépouillent les for<strong>et</strong>s <strong>de</strong> leurs arbres nombreux,<br />

Et consolent son ombre au séjour ténébreux.<br />

Quand il ne sera plus qu'une cendre légère 1<br />

Les peuples reprendront les travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. »<br />

L'assemblée obéit, <strong>et</strong> lorsque tous enfin<br />

Calment dans le banqu<strong>et</strong> <strong>et</strong> leur soif <strong>et</strong> leur faim,<br />

Cliacun d'eux pour dormir s'enferme dans sa tente.<br />

Achille <strong>sur</strong> les bords <strong>de</strong> l'on<strong>de</strong> mugissante<br />

Se couche en soupirant près <strong>de</strong> ces rocs déserte<br />

Non souillés <strong>de</strong> carnage <strong>et</strong> <strong>la</strong>vés par les mers.<br />

Le calme bienfaisant qu'un doux sommeil prodigue 9<br />

Se répand dans son corps brisé par <strong>la</strong> fatigue ,<br />

Quand ? poursuivant Hector , il courait épuisé<br />

Sous les murs d'Hion aux autans exposé.<br />

Mais tout à coup Patrocle... ouï f voilà sa figure y<br />

Sa taille, son regard f ses accens 7 sa parure ;<br />

Sur le fils <strong>de</strong> Pelée il se penche, <strong>et</strong> ces mots<br />

L'arrachent au sommeil qui suspendait ses maux :<br />

« Tu dors j Achille ! Eh quoi ! frahiraifr-tu ma gloire?<br />

Vivant, tu m'as chéri ; mort? tu perds ma mémoire i


CHANT VINGT-TROISIEME. 443-<br />

Plus <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards ! qu'enfin 7 bonoré d'un cercueil,<br />

Des portes <strong>de</strong> l'enfer, je franchisse le seuil !<br />

Près du Ieuve <strong>de</strong>s morts , les spectres, les fantômes<br />

M'Interdisent l'accès <strong>de</strong> leurs pâles royaumes, ,<br />

£t mes mânes errans , accusant tes dé<strong>la</strong>is f<br />

Assiègent <strong>de</strong> Pluton les immenses pa<strong>la</strong>is.<br />

Mon ami ! prends pitié <strong>de</strong> mon sort déplorable.<br />

Tends-moi, je te conjure, une main secourable.<br />

Par les feux du bûcher consumé sans r<strong>et</strong>our,<br />

Je ne quitterai plus c<strong>et</strong> infernal séjour ;<br />

Loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule assis , nous n'irons plus confondre<br />

Nos cœurs dont <strong>la</strong> pensée aimait à se répondre.<br />

Le malheur qui <strong>sur</strong> moi pesa dès mon berceau,<br />

Terrible, te menace <strong>et</strong> te pousse au tombeau ;<br />

Achûle égal aux Dieux ! l'avi<strong>de</strong> Destinée<br />

Tranchera sous ces murs ta vie infortunée.<br />

Mais écoute : obéis aux accens <strong>de</strong> ma voix.<br />

Oui j lorsque du trépas tu subiras les- lois-,<br />

Dans un même tombeau qu'un soin pieux rassemble<br />

Nos ossemens heureux d'y reposer ensemble.<br />

Tu le sais : le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> tes aïeux chéris<br />

Près <strong>de</strong>s mêmes foyers nous a tous <strong>de</strong>ux nourris.


444 L'ILIADE. ,<br />

Quand, par Ménétius amené Ters ton père,<br />

J'ai fui le châtiment d'un crime involontaire ;<br />

IMas ! jouant aux <strong>de</strong>s ? le fils d'Amphidamas<br />

De mon bras impru<strong>de</strong>nt reçut un prompt trépas ,<br />

Et loin d'Oponte alors ma jeunesse exilée<br />

Dans son riche pa<strong>la</strong>is intéressa Pelée,<br />

Ce prince belliqueux, qui <strong>de</strong> ton compagnon<br />

Me confia l'emploi, me décerna le nom.<br />

Ah ! puisse Fume d'or, ce présent <strong>de</strong> ta mère,<br />

Gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nos débris le dépôt funéraire ï »<br />

Achille lui répond : « Ami ï pourquoi venir .<br />

Réveiller dans mon sein un si cher souvenir ?<br />

J'ai promis ; il suffit : ne crains pas que mon âme<br />

Trahisse les <strong>de</strong>voirs que ton ombre réc<strong>la</strong>me.<br />

Maïs approche... un moment confondons nos douleurs ;<br />

Laisse-moi t'embrasser <strong>et</strong> .te baigner <strong>de</strong> pleurs. »<br />

Achille étend les bras ; dans le creux <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />

Gomme on voit disparaître une vapeur légère 1<br />

Le fantôme s'échappe <strong>et</strong> fuit rapi<strong>de</strong>ment<br />

En remplissant les airs d'un sourd frémissement.<br />

Achille réveillé s'agite <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive,<br />

Frappe à grand bruit ses mains,, <strong>et</strong> d'une voix p<strong>la</strong>intive :


CHANT VINGT-TROISIÈME. '445<br />

« Dieux ! lorsque le trépas a détruit notre corps 7<br />

Notre âme ou notre image habite aux sombres bords !<br />

Durant <strong>la</strong> nuit entière, à mes regards rendue f<br />

L ? ombre <strong>de</strong> mon ami? désolée, éperdue,<br />

M'a chargé d'accomplir un douloureux <strong>de</strong>voir.<br />

O Patrocle ! c'est toi que je pensais revoir. »<br />

La foule <strong>de</strong>s soldats gémit dans les ténèbres ;<br />

Tandis que tous encor 7 mê<strong>la</strong>nt leurs 'cris funèbres 9<br />

Pleurent' <strong>sur</strong>' le héros, digne d'un long regr<strong>et</strong>f<br />

L'Aurore aux doigts <strong>de</strong> rose à leurs yeux reparaît.<br />

Agamemnon comman<strong>de</strong> ; une nombreuse élite<br />

Vole avec Mérion qui <strong>la</strong> gui<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'excite ;<br />

Hors du camp é<strong>la</strong>ncés, tous portant avec eux<br />

Et <strong>la</strong> hache tranchante <strong>et</strong> les robustes nœuds,<br />

Dirigent les mul<strong>et</strong>s'dont <strong>la</strong> course docile<br />

S'ouvre dans les ravins un chemin difficile.<br />

Quand leur troupe montant, <strong>de</strong>scendant 7 remontant f<br />

Après un long traj<strong>et</strong> 7 parvient en hal<strong>et</strong>ant<br />

Jusqu'aux bois où l'Ida fait jaillir ses fontaines,<br />

Sous les coups <strong>de</strong> l'airain <strong>la</strong> cime <strong>de</strong>s grands chênes<br />

Avec un sourd fracas succombe ; <strong>sur</strong> son dos<br />

La mule vigoureuse en reçoit les far<strong>de</strong>aux,


446 L'ILIADE,<br />

Creuse du pied <strong>la</strong> terre, <strong>et</strong> son ar<strong>de</strong>ur Fentraîne<br />

A travers les buissons jusqu'au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine.<br />

Mérion a parlé ; tout s'empresse à sa voix ;<br />

Les bûcherons actifs ont emporté le bois<br />

Vers ce lieu qui joindra dans un funèbre asjle<br />

La cendre <strong>de</strong> Patrocle à <strong>la</strong> cendre d'Achille.<br />

Quand du vaste bûcher les apprêts sont finis 1<br />

Achille a vu s'asseoir les peuples réunis,<br />

Et soudain il ordonne aux Myrmidons en <strong>la</strong>rmes<br />

D'atteler les coursiers, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ceindre leurs armes j<br />

Des nombreux écujers les diligens essaims<br />

Paraissent <strong>sur</strong> leurs chars, suivis <strong>de</strong>s fantassins.<br />

Au milieu du convoi 7 remplis d'un triste zèle,<br />

Tous portent du héros <strong>la</strong> dépouille mortelle,<br />

Et coupent leurs cheveux, dont les flottans anneaux<br />

Sur ces débris g<strong>la</strong>cés élèvent leurs monceaux ;<br />

.Le fils <strong>de</strong>s Dieux soutient <strong>la</strong> tête qui r<strong>et</strong>ombe...<br />

Hé<strong>la</strong>s ! c'est un ami qu'il conduit vers <strong>la</strong> tombe.<br />

Les Grecs, au lieu fatal s'empressant <strong>de</strong> m'archerT<br />

Déposent le cadavre <strong>et</strong> dressent le bûcher j<br />

Achille seul ? <strong>de</strong>bout^ dans sa douleur profon<strong>de</strong> ?<br />

Arrache en soupirant sa chevelure blon<strong>de</strong> 7


CHANT VINGT-TROISIÈME. 44;t<br />

Qui, nourrie avec soin, <strong>de</strong> ses longs anneaux d'or *<br />

Au fleuve Sperchïus réservait le trésor.<br />

L'œil tourné <strong>sur</strong> les mers, il gémit, il s'écrie :<br />

« O Sperchius ! le jour où j'ai fui ma patrie,<br />

Mon père t'a promis que, docile à ses vœux r<br />

Ma main, à mon r<strong>et</strong>our , t'offrirait mes cheveux ,<br />

Que cinquante béliers , qu'une hécatombe sainte<br />

Rougiraient d'un sang pur <strong>la</strong> solennelle enceinte<br />

Qui, non loin <strong>de</strong> ta source, à ton pieux autel<br />

Prodigue <strong>de</strong> l'encens le tribut immortel.<br />

As-tu donc du vieil<strong>la</strong>rd oublié <strong>la</strong> promesse?...<br />

Si je ne revois plus le doux sol <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Souffre au moins que Patrocle emporte dans l'enfer<br />

Des cheveux d'un ami le trésor toujours cher. » -<br />

Dans les mains du héros dès que sa main fidèle<br />

Dépose avec respect l'offran<strong>de</strong> solennelle,<br />

Tremb<strong>la</strong>nt qu'à son déclin, <strong>de</strong> ces soldats en pleurs<br />

L'astre du jour encor n'éc<strong>la</strong>ire les douleurs,<br />

Il s'écrie : ce O grand roi, sous qui les Grecs fléchissent,<br />

Qu'à ta voix <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>uil les peuples s'affranchissent;<br />

Loin du bûcher funèbre écarte les soldats,<br />

Et que chacun enfin apprête le repas.


'448 L'ILIADE.<br />

Nous, <strong>de</strong> ce corps chéri ne quittons pas <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> j<br />

Eestons avec les chefs ; ce <strong>de</strong>voir nous regar<strong>de</strong>. »•<br />

Atri<strong>de</strong> a commandé; <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s héros<br />

Rentre , en se dispersant, au fond <strong>de</strong> ses vaisseaux.<br />

Le bûcher dont cent pieds embrassent l'étendue ,<br />

A dressé dans les airs sa masse suspendue,<br />

Et, navrés <strong>de</strong> douleur, les soldats ont p<strong>la</strong>cé<br />

Sur le plus haut somm<strong>et</strong> le cadavre g<strong>la</strong>cé.<br />

Qoand les grasses brebis, les bœufs au pied flexible<br />

Expirent égorgés, <strong>sur</strong> le corps insensible<br />

Achille <strong>de</strong> <strong>la</strong> graisse enlevée à leurs f<strong>la</strong>ncs-<br />

Etend <strong>de</strong> toutes parts les plis étince<strong>la</strong>ns.<br />

Vers <strong>la</strong> couche il s'incline <strong>et</strong> ses mains y déposent<br />

Les amphores dont Fhuile <strong>et</strong>'le miel pur l'arrosent ;<br />

Comme une sainte offran<strong>de</strong>, il j<strong>et</strong>te en soupirant<br />

Quatre fougueux coursiers au bûcher dévorant ;<br />

Des neuf chiens qu'ont nourris les restes <strong>de</strong> sa table,<br />

Il en immole <strong>de</strong>ux, <strong>et</strong> son fer redoutable,<br />

Ar<strong>de</strong>nt à satisfaire un barbare courroux,<br />

Frappe douze Troyens <strong>de</strong> ses rapi<strong>de</strong>s coups.<br />

A peine il a <strong>la</strong>ncé l'infatigable f<strong>la</strong>mme, .<br />

De longs gémissemens s'échappent <strong>de</strong> son âme ;


CHANT VINGT-TEOISIÈM.E. 449<br />

Il appelle Patrocle : « 0 toi' qui m'es si cherf<br />

Ami ! réjouis-toi dans <strong>la</strong> nuit "<strong>de</strong> l'enfer.<br />

J'acquitte ma promesse ; oui, douze enfans <strong>de</strong> Troie<br />

Avec toi du bûcher <strong>de</strong>viendront tous <strong>la</strong> proie 7<br />

Et ces p<strong>la</strong>ges d'Hector verront le corps hi<strong>de</strong>ux<br />

Dévoré par les chiens <strong>et</strong> non point par les feux. »<br />

Mais Vénus, loin d'Hector que le vainqueur menace,<br />

De ces chiens, nuit <strong>et</strong> jour, a repoussé l'audace, " '<br />

Et j d'une huile <strong>de</strong> rose épanchant les trésors f<br />

Des outrages d'Achille elle sauve son corps.<br />

Phébus} du haut <strong>de</strong>s cieuxr abaisse <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

D'un nuage d'azur <strong>la</strong> voûte aérienne,<br />

Pour que les membres nus <strong>et</strong> les nerfs détachés<br />

Par l'ar<strong>de</strong>ur du soleil ne soient point <strong>de</strong>sséchés.<br />

Cependant le bûcher ne bril<strong>la</strong>it pas encore.<br />

Debout, seul à l'écart, le noble Achille implore<br />

Borée avec Zéphyr, prom<strong>et</strong>tant à tous <strong>de</strong>ux<br />

Un riche sacrifice <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tributs pompeux,<br />

Si leur souffle^ docile au vœu qu'il leur adresse,<br />

De <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme trop lente éveille <strong>la</strong> paresse.<br />

La coupe d'or en main? le suppliant héros<br />

Leur consacre un vin pur qui s'épanche à grands flots.<br />

2. ag


45o L'ILIADE.<br />

Des habitons du ciel docile messagère,<br />

Iris entend sa voix ; d'une course légère,<br />

L'impatiente Iris s'éloignant sans dé<strong>la</strong>is ,<br />

Du violent Zéphyr abor<strong>de</strong> le pa<strong>la</strong>is 5<br />

Où les rapi<strong>de</strong>s Vents que son ordre rassemble f<br />

Aux douceurs <strong>de</strong>s festins s'abandonnent ensemble.<br />

Quand <strong>sur</strong> le seuil <strong>de</strong> pierre elle arrête ses pas ,<br />

Tous, invitant <strong>la</strong> nymphe à leur joyeux repas,<br />

Se lèvent : « Je ne puis cé<strong>de</strong>r à vos <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s ,<br />

Dit-eUe ; pour goûter <strong>de</strong> pieuses offran<strong>de</strong>s,<br />

Je vole au bout <strong>de</strong>s mers , où les Dieux bîenfaisans<br />

De l'humble Ethiopie acceptent les présens.<br />

O Borée ! ô Zéphyr! s'il obtient vos services,<br />

Achille vous prom<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux sacrifices;<br />

Embrase» le bûcher où Patrocle étendu<br />

Repose sous-les- yeux <strong>de</strong> ce peuple éperdu. »<br />

Elle part ; les- <strong>de</strong>ux Vents, précurseurs <strong>de</strong>s* orages-^<br />

En poussant <strong>de</strong>vant eux les rapi<strong>de</strong>s nuages,<br />

Volent <strong>et</strong> <strong>sur</strong> les mers leur souffle impétueux<br />

Soulève avec fracas les-lots tumultueux.<br />

Dans les champs- dHion Far<strong>de</strong>nt bûcher Rallume j<br />

Le. fèu* pétille, éc<strong>la</strong>te <strong>et</strong> le bois se consume 9


CHANT VïNGT-TEOISIÈME. /pi<br />

Du soir jusqu'au matin, <strong>sur</strong> les ailes <strong>de</strong>s Vents<br />

La f<strong>la</strong>mme se disperse en tourbillons mouvans.<br />

Avec sa <strong>la</strong>rge coupe Achille <strong>sur</strong> le sable<br />

Versant <strong>de</strong> Fume d'or Foffiran<strong>de</strong> intarissable y<br />

Ee<strong>de</strong>man<strong>de</strong> Patrocle <strong>et</strong> FappeUe à grands cris.<br />

Comme un père, au bûcher livrant <strong>de</strong> froids débris,<br />

Pleure un fils qui, privé d'un récent hyménée,<br />

Laisse <strong>de</strong> ses parens <strong>la</strong> foule consternée :<br />

Tel j exha<strong>la</strong>nt au loin <strong>de</strong> sourds gémïssemens,<br />

Achille d'un ami brûle les ossemens,<br />

Se roule autour <strong>de</strong>s feux, dans le sable se traîne<br />

Et ses pleurs par torrens ont coulé <strong>sur</strong> l'arène.<br />

L'étoile matinale annonce à l'univers<br />

L'Aurore dont <strong>la</strong> pourpre enveloppe les mers ;<br />

Le jour brille ; déjà <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme- <strong>la</strong>nguissante<br />

Affaiblit par <strong>de</strong>grés sa lueur pâlissante,<br />

Et les Vents fugitifs par leurs fougueux assauts<br />

De l'océan <strong>de</strong> Thrace enflent les vastes eaux.<br />

Loin <strong>de</strong> tous ses amis AchïEe solitaire<br />

De fatigue épuisé, se couche <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre.<br />

A peine un doux sommeil lui verse le repos,<br />

Autour d'Agamemnon l'élite <strong>de</strong>s héros<br />

«9-


45a L'ILIADE.<br />

Accourt; à leur approche Achille se réveille;<br />

Un tumulte confus étonne son oreille.<br />

« Atri<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> vous , chefs ! <strong>sur</strong> ces tisons fumans *<br />

Épanchez d'un vin noir les ruisseaux écumans.<br />

Au centre du bûcher nos yeux sans se méprendre<br />

De Pàtrocle aisément reconnaîtront <strong>la</strong> cendre ;<br />

Des coursiers, <strong>de</strong>s soldats dont f ai brûlé les corps ,<br />

Les restes confondus environnent les bords.<br />

Pour recevoir ses os, que l'urne d'or s'entr'ouvre<br />

Et que <strong>de</strong> ses replis <strong>la</strong> graisse les recouvre.<br />

Jusqu ? au jour <strong>de</strong> ma" mort , élevez seulement<br />

Aux mânes <strong>de</strong> Pàtrocle un simple monument.<br />

Après moi , qu'une tombe, honneur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te' rive ,<br />

Réunisse mon. ombre à son ombre p<strong>la</strong>intive.<br />

Un tel soin vous regar<strong>de</strong>, ô généreux guerriers,<br />

Qui <strong>sur</strong> vos grands vaisseaux combattrez les <strong>de</strong>rniers. »<br />

Il parle : on obéit; <strong>de</strong>s torrens <strong>de</strong> vin coulent;<br />

Bientôt le feu s'éteint <strong>et</strong> les cendres s'écroulent.<br />

Tous, l'œil baigné <strong>de</strong>'pleurs,'<strong>de</strong>s ossemens chéris<br />

P<strong>la</strong>cent dans l'urne d'or les b<strong>la</strong>nchissans débris ,<br />

Et ce trésor, porté sous <strong>la</strong> tente d'Achille,<br />

Couvert d'un léger voile, y repose immobile.


CHANT VINGT-TROISIEME. '453<br />

Quand <strong>la</strong> terre, à Fendroit marqué pour le tombeau,<br />

Se creuse en vaste fosse <strong>et</strong> se dresse en monceau,<br />

Grâce à leurs soins pieux , le cercueil se prépare ;<br />

Au moment où déjà leur foule se sépare,<br />

Achille les r<strong>et</strong>ient <strong>et</strong> <strong>de</strong>s funèbres jeux<br />

Dans une <strong>la</strong>rge enceinte offre Faspect pompeux.<br />

Les beaux trépieds 7 le fer aux riches ciselures,<br />

Les femmes, éta<strong>la</strong>nt leurs superbes ceintures 9<br />

Les bœufs au <strong>la</strong>rge front, les mules, les chevaux,<br />

Tels sont les prix divers conduits hors <strong>de</strong>s vaisseaux.<br />

Wabord les chars nombreux vont s f é<strong>la</strong>ncer : Achille<br />

Gar<strong>de</strong> pour le héros jugé le plus habile<br />

Une belle captive, instruite dès long-temps<br />

Dans Fart <strong>de</strong> façonner <strong>de</strong>s travaux éc<strong>la</strong>tant',<br />

Et le vase à trois pieds qui , garni <strong>de</strong> ses anses,<br />

Contient dans sa ron<strong>de</strong>ur vingt me<strong>sur</strong>es immenses*<br />

Pour sa<strong>la</strong>ire il <strong>de</strong>stine au second écujer<br />

Une cavale, encor rebelle au frein guerrier 7<br />

Qui déjà, parvenue à sa sixième année,<br />

Porte en son sein le fruit d'un sauvage hjménée.<br />

Il réserve au troisième un bassin dont toujours<br />

L'approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme épargna les contours.


454 L'ILIADE.<br />

Le héros qui tiendra <strong>la</strong> quatrième p<strong>la</strong>ce f<br />

D'un double talent d'or emportera <strong>la</strong> masse.<br />

Un vase à double fond , par les feux respecte,<br />

Pour <strong>de</strong>rnier prix, enfin, doit être disputé.<br />

Debout parmi les Grecs r par ce noble <strong>la</strong>ngage<br />

A <strong>la</strong> course <strong>de</strong>s chars Achille les engage.<br />

« Fils d'Atrée , <strong>et</strong> vous, chefs aux bro<strong>de</strong>quins brilkns,<br />

Voici les prix nombreux promis à vos talens ;<br />

Si d'un autre guerrier nous fêtions <strong>la</strong> mémoire,<br />

Je les obtiendrais tous par ma seule victoire,<br />

Tant mes coursiers divins 7 entre mile coursiers,<br />

En vitesse toujours se montrent les premiers i<br />

Si) par le Dieu Neptune accordés à mon père,<br />

Avec moi dans, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ils s'é<strong>la</strong>nçaient naguère,<br />

Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te lutte immobiles témoins,<br />

Ils pleurent Fécuyer qui, prodigue <strong>de</strong> soins, .<br />

Sur leur front, arrosé d'une on<strong>de</strong> bienfaisante,<br />

Epanchait le trésor <strong>de</strong> f olive luisante.<br />

La douleur les accable, <strong>et</strong> leurs longs crins épara<br />

Dans <strong>la</strong> poudre à grands lots traînent <strong>de</strong> toutes parts.<br />

Mais entrez dans <strong>la</strong> lice, ô vous, Grecs .intrépi<strong>de</strong>s,<br />

Fiers <strong>de</strong> vos prompts coursiers <strong>et</strong> <strong>de</strong> vos chars soli<strong>de</strong>s. »


CHANT VINGT-TROISIÈME. 455<br />

Un essaim <strong>de</strong> rivaux s'avance au même instant ;<br />

Le premier qui paraît dans ce groupe ''éc<strong>la</strong>tant,<br />

Çest Fhëritier d'Admète, Eumèle dont l'adresse<br />

D'un char avec succès dirige <strong>la</strong> vitesse,<br />

Diomè<strong>de</strong> y accouru <strong>sur</strong> les pas du héros ,<br />

Attache au fort timon les <strong>de</strong>ux coursiers <strong>de</strong> Tros,<br />

DontEnée en fuyant lui céda <strong>la</strong> conquête,<br />

Quand Phébus détourna <strong>la</strong> mort loin <strong>de</strong> sa tétau<br />

Puis, le blond Méné<strong>la</strong>s, <strong>de</strong>bout y avec fierté<br />

Attèle son Podarge <strong>et</strong> <strong>la</strong> fougueuse Etlié ;<br />

Jadis Echépolus f qui , possesseur d'un trône,<br />

Habitait l'opulente <strong>et</strong> vaste Sicyone,<br />

Comblé par Jupiter <strong>et</strong> d'honneurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> biens 7<br />

Loin d'escorter Atrï<strong>de</strong> aux rivages troyens ?<br />

Lui donna pour tribut c<strong>et</strong>te ar<strong>de</strong>nte cavale<br />

Avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> franchir un immense intervalle.<br />

Guidant ces <strong>de</strong>ux coursiers quit nourris dans Pylos,<br />

De leurs crins ondoyans <strong>la</strong>issent errer les flots,<br />

Antiloque se montre, <strong>et</strong>, près <strong>de</strong> lui 7 son père<br />

Fait parler en ces mots sa pru<strong>de</strong>nce sévère :<br />

« Neptune <strong>et</strong> Jupiter, dès tes plus jeunes ans 7<br />

Mon fils ! t'ont prodigué leurs célestes présens 7


456 L'ILIADE.<br />

Et, <strong>de</strong>bout <strong>sur</strong> un char, si tu peux le conduire 1<br />

Dans c<strong>et</strong> art glorieux ils ont daigné t'instruire.<br />

Tu sais autour d'un but tourner rapi<strong>de</strong>ment ;<br />

Mais tes nobles coursiers dont Far<strong>de</strong>ur se dément,<br />

Languissent, <strong>et</strong> je vois tes rivaux moins habiles<br />

Presser <strong>de</strong> l'aiguillon leurs chevaux plus agiles.<br />

Je redoute un revers... Pour <strong>de</strong>venir vainqueur f<br />

De toute ta pru<strong>de</strong>nce arme ton jeune cœur.<br />

L'art dont l'heureux secours double <strong>la</strong> force humaine.<br />

Apprend aux ouvriers à façonner le chêne;<br />

L'art, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> mer fécon<strong>de</strong> en fougueux tourbillons,<br />

Gui<strong>de</strong> un frêle vaisseau battu <strong>de</strong>s aquilons ;<br />

L'art enfin, dans <strong>la</strong> lice , arbitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire,<br />

Au meilleur écuyer as<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> victoire.<br />

Tandis que l'impru<strong>de</strong>nt qu'emportent ses coursiers ,<br />

Loin du terme , au hasard parcourt divers sentiers ,<br />

Le maître plus adroit d'un moins prompt atte<strong>la</strong>ge<br />

Tient les rênes <strong>de</strong> cuir dans sa main ferme <strong>et</strong> sage ,<br />

Arrive jusqu'au but qu'il effleure avec art,<br />

Dépasse, ses rivaux <strong>et</strong> les <strong>la</strong>isse à l'écart.<br />

Remarque c<strong>et</strong>te borne ; ô mon cher fils ! écoute :<br />

Vois se dresser, au bout <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vaste route ,


CHANT VINGT-TEOISIÈME. 4&7<br />

Le bois d'un chêne ari<strong>de</strong> ou d*un pin allongé ,<br />

Que <strong>la</strong> pluie <strong>et</strong> les ans n'ont pas endommagé ;<br />

Auprès 7 <strong>de</strong>ux b<strong>la</strong>ncs rochers en soutiennent <strong>la</strong> masse,<br />

A l'endroit où <strong>la</strong> lice ap<strong>la</strong>nit sa <strong>sur</strong>face ,<br />

Et dans les anciens jours c<strong>et</strong> énorme monceau<br />

Offrait une limite ou peut-être un tombeau.<br />

Tel est le but fixé par le divin Achille ;<br />

Ton char doit y courir ; qu'avec son cercle agile<br />

La roue obliquement trace un léger sillon :<br />

Sur ton siège élégant , armé <strong>de</strong> l'aiguillon,<br />

Penche-toi vers <strong>la</strong> gauche, <strong>et</strong> d'une main adroite,<br />

Abandonne le frein au coursier <strong>de</strong> <strong>la</strong> droite.<br />

Glisse autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> pierre <strong>et</strong> ne <strong>la</strong> heurte pas 1<br />

Ou tremble que ton char ne vole en mille éc<strong>la</strong>ts.<br />

De tes rivaux vainqueurs si <strong>la</strong> course est plus prompte,<br />

Pour eux quelle allégresse, <strong>et</strong> pour toi quelle honte !<br />

Sois pru<strong>de</strong>nt, mon ami, ! si, dans ton vol heureux,<br />

Tu franchis aisément ce détroit dangereux,<br />

Quels que-soient ses efforts, nul rival n'est à craindre,<br />

Dût-il avec ar<strong>de</strong>ur, dans l'espoir <strong>de</strong> t'atteindre ,<br />

Pousser c<strong>et</strong> Aréion 7 c<strong>et</strong> immortel coursier,<br />

Qui d'Adraste au combat traînait le char guerrier ?


458 L'ILIADE.<br />

Ou le» chevaux hardis dont ce fécond rivage<br />

A vu Laomédon vaincre l'orgueil sauvage. »<br />

Le vieil<strong>la</strong>rd se rassied , <strong>et</strong> par sa voix instruit f<br />

Son fils <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce a recueilli le fruit.<br />

A peine Mérion conduit vers <strong>la</strong> barrière<br />

Ses rapi<strong>de</strong>s coursiers à <strong>la</strong> bêle crinière ,<br />

Sur cinq chars différens les cinq rivaux montés<br />

S'é<strong>la</strong>ncent, <strong>et</strong> les sorts, par Achille agités, -<br />

Arbitres <strong>de</strong> ces jeux que leur ar<strong>de</strong>ur provoque.<br />

D'abord pour concurrens désignent Antiloque,<br />

Eumèle, Méne<strong>la</strong>s, fameux par ses exploits ,<br />

Mérion , écuyer du monarque crétois,<br />

Et Diomè<strong>de</strong> enfin, le premier en audace,<br />

Mais rangé par le sort à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière p<strong>la</strong>ce.<br />

Ils prennent tous leur rang, <strong>et</strong> pleins d'un zèle égal,<br />

De <strong>la</strong> course promise implorent le signal.<br />

Achille à leurs regards montre au bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine<br />

Sur un sol ap<strong>la</strong>ni <strong>la</strong> limite lointaine,<br />

Et <strong>de</strong> ces jeux rivaux, observés avec soin,<br />

Le vieux Phénix doit être un fidèle témoin.<br />

Tous, agitant leurs fou<strong>et</strong>s <strong>et</strong> secouant leurs gui<strong>de</strong>s,<br />

Excitent <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix les coursiers intrépi<strong>de</strong>s,


CHANT VINGT-TROISIÈME. 4%<br />

Qui, dans leur vol léger fuyant loin <strong>de</strong>s vaisseaux:,<br />

D'une épaisse poussière élèvent les monceaux}<br />

Le sable, <strong>de</strong> leurs pieds monte jusqu'à leur tête,<br />

Gomme un sombre nuage ou comme <strong>la</strong> tempête, '<br />

Ils courent, <strong>et</strong> leurs crins, agités par les vents,<br />

Semblent semer les airs <strong>de</strong> leurs anneaux mouvans.<br />

Sur leurs chars qui, tantôt vers <strong>la</strong> terre s'abaissent,<br />

Et" tantôt vers les cieux légèrement se dressent y<br />

Les conducteurs <strong>de</strong>boutr incertains , hal<strong>et</strong>ans,<br />

De crainte <strong>et</strong> d'espérance à <strong>la</strong> fois palpitans,<br />

Animent les coursiers vo<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> carrière<br />

Parmi les tourbillons d'une immense poussière.<br />

En approchant du but, déjà les concurrens ,<br />

Vers <strong>la</strong> mer b<strong>la</strong>nchissante, avaient perdu leurs rangs ;<br />

Tous, voisins <strong>de</strong> ce prix que leur zèle dispute 7<br />

Rivalisent d'ar<strong>de</strong>ur en c<strong>et</strong>te noble lutte.<br />

Les cavales d'Eumèle 7 étonnant tous les yeux ><br />

Traînent rapi<strong>de</strong>ment son char audacieux ;<br />

Puis 7 les coursiers <strong>de</strong> Tros, poussés par Diomè<strong>de</strong>^<br />

Gomme s'ils dépassaient ce char qui les précè<strong>de</strong>,<br />

Se penchent <strong>sur</strong> Eumèle , <strong>et</strong> leurs naseaux fumans<br />

L'inon<strong>de</strong>nt tout entier <strong>de</strong> leurs flots écumans.


46o • L'ILIADE.<br />

Le fils du grand Tydée al<strong>la</strong>it, chargé <strong>de</strong> gloire.,<br />

Remporter ou du moins ba<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> victoire,<br />

Lorsque dans sa fureur, tout à coup 7 Apollon<br />

Arrache <strong>de</strong> ses mains l'éc<strong>la</strong>tant aiguillon ;<br />

Ses yeux versent <strong>de</strong>s pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> honte <strong>et</strong> <strong>de</strong> rage.<br />

Car Eumèle avant lui presse son atte<strong>la</strong>ge,<br />

Et ses chevaux, privés du fou<strong>et</strong> étince<strong>la</strong>nt f<br />

Accablés sous le joug, marchent d'un pas plus lent.<br />

Mais Pal<strong>la</strong>s, d'Apollon découvrant l'artifice ,<br />

Présente à Diomè<strong>de</strong> une main protectrice,<br />

Lui rend le fou<strong>et</strong> sonore, <strong>et</strong> <strong>de</strong> transports nouveaux<br />

S'empresse d'animer ses agiles chevaux*<br />

Elle poursuit Eumèle , <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses mains rivales<br />

Brise dans sa fureur le joug <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux cavales ;<br />

Le couple effarouché s'égare ; le timon<br />

Roule hors du chemin dans un poudreux sillon.<br />

Eumèle chance<strong>la</strong>nt tombe près <strong>de</strong> <strong>la</strong> roue<br />

Qui d'un seul coup meurtrit <strong>et</strong> son bras <strong>et</strong> sa joue ;<br />

Les yeux noyés <strong>de</strong> pleurs, pâle ? défiguré,<br />

La bouche ensang<strong>la</strong>ntée <strong>et</strong> le front déchiré 7<br />

11 veut parler... sa voix <strong>sur</strong> ses lèvres se g<strong>la</strong>ce.-<br />

Diomè<strong>de</strong> , enf<strong>la</strong>mmé d'une nouvelle audace,


CHANT VINGT-TROISIEME. 461<br />

Loin <strong>de</strong> tous ses rivaux précipite les pas<br />

Des chevaux vigoureux que dirige PaUas.<br />

Tandis que Méné<strong>la</strong>s poursuit son adversaire,<br />

Antiloque s'adresse aux coursiers <strong>de</strong> son père :<br />

« É<strong>la</strong>ncez-vous ! hâtez vos bonds impétueux.<br />

Vous ne vaincrez jamais , rivaux présomptueux ,<br />

Ces chevaux excités par Minerve elle-même<br />

Qui réserve à leur maître une gloire suprême.<br />

Mais atteignez du moins le char <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s ;<br />

Que votre noble é<strong>la</strong>n ne se modère pas.<br />

Quel déshonneur ! Ethé 7 c<strong>et</strong>te faible cavale,<br />

L'emporterait !... Non ? non ; franchissez l'intervalle,<br />

Ou craignez que Nestor ^ ce pasteur <strong>de</strong>s humains,<br />

Au soin <strong>de</strong> vous nourrir n'employant plus ses mains,<br />

Ne plonge dans vos f<strong>la</strong>ncs sa <strong>la</strong>nce sanguinaire ?<br />

Si nous ne méritons qu'une gloire ordinaire.<br />

Volez donc ! triomphez ! mon stratagème "adroit<br />

Vous servira tous <strong>de</strong>ux en ce passage étroit, s<br />

Il dit : pour les chevaux que sa menace effraie,<br />

Une route plus vaste en peu d'instans se fraie.<br />

Mais le hardi guerrier n'observe pas en vain<br />

Le chemin qui <strong>de</strong>scend <strong>et</strong> se creuse en ravin ?


4&» • L'ILIADE.<br />

Où les torrens d'hiver, amonce<strong>la</strong>nt leur on<strong>de</strong> ,<br />

Tracèrent dans <strong>la</strong> fange une ornière profon<strong>de</strong>.<br />

Vers ce <strong>la</strong>rge fossé, pour éviter les chars<br />

Qui volent près <strong>de</strong> lui confusément épars f<br />

Méné<strong>la</strong>s se dirige ; au bord <strong>de</strong> ce pasàage<br />

Antiloque a poussé son rapi<strong>de</strong> atte<strong>la</strong>ge j<br />

Loin du ravin son char s'est un peu détourné ,<br />

Et <strong>sur</strong> lui Méné<strong>la</strong>s j<strong>et</strong>te un œil consterné :<br />

« Téméraire ! où vas-tu ? Faudàce qui t f entraîne<br />

S'emparera bientôt d'une plus <strong>la</strong>rge arène ;<br />

Frémis ! si maintenant par un choc hasar<strong>de</strong>ux<br />

Ton char heurte le mien T ils se brisent tous <strong>de</strong>ux. &<br />

Il parle : à c<strong>et</strong> avis Antiloque rebelle<br />

De ses coursiers encore aiguillonne le zèle f<br />

Et les <strong>de</strong>ux chars <strong>de</strong> front parcourent en fuyant<br />

Le chemin que me<strong>sur</strong>e un' disque tournoyant f<br />

Quand un jeune lutteur, Fenvoyant dans Fespace ?<br />

Pour essayer sa force 1 en fait rouler <strong>la</strong> masse.<br />

Méné<strong>la</strong>s furieux tremble que les ehevaux<br />

De leuft chars en tombant ne foulent les <strong>la</strong>mbeaux f<br />

Et qu'Aûtiloque <strong>et</strong> lui ^ s'arr&chant <strong>la</strong> victoire,<br />

Ne tombent dans le sable <strong>et</strong> ntapiront sans gloire}


CHANT VINGT-TROISIÈME. 463<br />

-Il s'écrie : « Antiloque ! est-il quelque mortel<br />

Perfi<strong>de</strong> plus que toi ? plus que toi criminel ?<br />

On eut tort <strong>de</strong> vanter ton cœur pru<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> sage,<br />

Et du parjure seul ton prix sera le gage. »<br />

t O généreux coursiers ! ajoute Méné<strong>la</strong>s}<br />

Malgré votre douleur , ne me r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong>z pas.<br />

Les chevaux d'Antiloque , usés par <strong>la</strong> vieillesse,<br />

Verront plus tôt que vous succomber leur faiblesse, *<br />

• H dit ; par ses accens Fatte<strong>la</strong>ge excité<br />

Suit <strong>et</strong> presse Antiloque avec vélocité*<br />

Assis hors <strong>de</strong> l'enceinte où <strong>la</strong> foule guerrière<br />

Considère les chars fuyant dans <strong>la</strong> poussière ?<br />

Le premier avant tous , le prince <strong>de</strong>s. Cr<strong>et</strong>ois<br />

Distingue le- vainqueur <strong>et</strong> reconnaît sa voix ;<br />

P<strong>la</strong>cé seul au penchant d'une haute colline<br />

D'où son vaste regard <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine domine 7<br />

H a vu ce coursier dont le poil rougissant<br />

Rivalise Féc<strong>la</strong>t d'un pourpre éblouissant f<br />

Et dont le front, empreint d'une marque b<strong>la</strong>nchâtre^<br />

A <strong>la</strong> lune arrondie en emprunte r&lb&tm<br />

Il se lève : «-O.guerriers ! vois-je-senl en ces.lieu<br />

Triompher SUF leurs* chars ces héros orgoegUen ?


464 L'ILIADE.<br />

Les cavales d'Eumèle ont éprouvé sans doute<br />

Quelque acci<strong>de</strong>nt fatal au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> route.<br />

D'abord autour du but je les voyais courir.<br />

Où sont-elles? Mon œil ne les peut découvrir,<br />

Quoique , <strong>de</strong> toutes parts en promenant ma vue j<br />

Des vastes champs troyens j'embrasse l'étendue.<br />

Des mains <strong>de</strong> Fécuyer les rênes auront fui,<br />

Et l'atte<strong>la</strong>ge , errant sans gui<strong>de</strong>, sans appui ,<br />

En effleurant <strong>la</strong> borne f aura j<strong>et</strong>é peut-être<br />

Loin du char fracassé son infortuné maître.<br />

Levez-vous, regar<strong>de</strong>z ! Je me trompe ou mes yeux<br />

Ont vu courir vers nous d'un vol victorieux<br />

Ce mortel dont Tydée "éleva <strong>la</strong> jeunesse ?<br />

Qu'enfanta'FElolie <strong>et</strong> qu'admire <strong>la</strong> Grèce. »<br />

Ajax? fils d'Oïlée , à ces mots ïmpru<strong>de</strong>ns<br />

Oppose avec aigreur <strong>de</strong>s reproches mordans :<br />

« Pourquoi ces vains discours ? les cavales d'Eumèle<br />

Toujours au premier rang ont signalé leur zèle.<br />

Tu n'es pas le plus jeune entre les Argiens,<br />

Et tous ont <strong>de</strong>s regards plus perçans que les tiens.<br />

Téméraire ! réprime un frivole <strong>la</strong>ngage.<br />

D'autres guerriers <strong>sur</strong> toi remportent l'avantage.


CHANT VINGT-TROISIÈME. 4«5<br />

Eumèle seul triomphe, <strong>et</strong>, le premier <strong>de</strong> tous ,<br />

Les rênes à <strong>la</strong> main 7 s'avance jusqu'à nous. »<br />

« Âjax ! répond le roi ? transporté <strong>de</strong> colère 1<br />

Habile discoureur f mais guerrier téméraire ,<br />

O le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s Grecs 7 dépose ainsi que moi<br />

Une coupe, un trépied pour gage <strong>de</strong> ta foi.<br />

Qu'Âtri<strong>de</strong> ici nous juge, pt que sa voix déci<strong>de</strong><br />

Quel est <strong>de</strong> tous ces chars le char le plus rapi<strong>de</strong>.<br />

Je veux à tes dépens éc<strong>la</strong>irer ton erreur. » •<br />

Âjax <strong>sur</strong> le Cr<strong>et</strong>ois s'é<strong>la</strong>nce avec fureur.<br />

Tous <strong>de</strong>ux al<strong>la</strong>ient peut-être, aveuglés par <strong>la</strong> haine 7<br />

Dans leurs fougueux transports ensang<strong>la</strong>nter l'arène,<br />

Lorsqu'AchiUe se lève : « Epargnez à nos yeux<br />

De vos jaloux débats l'aspect injurieux ;<br />

Terminez ces discords que dans le cœur <strong>de</strong>s autres<br />

Blâmeraient justement <strong>de</strong>s cœurs tels que les vôtres.<br />

Tranquilles spectateurs , atten<strong>de</strong>z les coursiers.<br />

Oui j vous verrez bientôt accourir nos guerriers,<br />

Et vos yeux T <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte équitables arbitres,<br />

Reconnaîtront leurs rangs <strong>et</strong> jugeront leurs titres. »<br />

Tandis qu'Achille parle, armé du fou<strong>et</strong> mordant,<br />

Diomè<strong>de</strong> soudain frappe le couple ar<strong>de</strong>nt<br />

a. 3o


466 L'ILIADE.<br />

Qui d'un é<strong>la</strong>n fougueux franchissant <strong>la</strong> carrière ,<br />

Le couvre tout entier d'une b<strong>la</strong>nche poussière.<br />

Le char impatient, riche d'or <strong>et</strong> d'étain,<br />

Rapi<strong>de</strong>ment traîné dans son essor lointain,<br />

Fuit 7 <strong>et</strong> <strong>la</strong> roue agile ? en parcourant l'espace y<br />

Sur le sable mouvant <strong>la</strong>isse à peine une trace.<br />

Diomè<strong>de</strong>, vainqueur <strong>de</strong> se§ nombreux rivaux 7<br />

Au milieu <strong>de</strong> l'enceinte apparaît ; ses chevaux<br />

De leur brû<strong>la</strong>nt poitrail, <strong>de</strong> leur tête pendante<br />

Font couler jusqu'au sol <strong>la</strong> sueur abondante,<br />

Et <strong>de</strong> son char bril<strong>la</strong>nt le héros <strong>de</strong>scendu<br />

Pose contre le joug l'aiguillon suspendu,<br />

Tandis que Sthélénus qui tout à coup arrive 7<br />

S'emparant du trépied f saisissant <strong>la</strong> captive ?<br />

Les rem<strong>et</strong> aux soldats <strong>et</strong> lui-même à l'instant<br />

Détache du timon le couple hal<strong>et</strong>ant.<br />

Antiloque, vainqueur, mais.grâce à l'artifice.<br />

Le premier après lui se montre dans <strong>la</strong> lice;<br />

Il s'avance suivi du noble Méné<strong>la</strong>s ;<br />

Une faible distance a séparé leurs pas :<br />

Tel on voit <strong>de</strong>s longs crins <strong>de</strong> sa queue ondoyante<br />

Un cheval effleurer <strong>la</strong> roue impatiente


CHANT VINGT-TROISIÈME. A6j<br />

Qui, le pressant <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong> sdn «cercle fuyant j<br />

A travers <strong>la</strong> campagne emporte un char bruyant.<br />

Le j<strong>et</strong> d'un disque entr'eux ne m<strong>et</strong> plus sa distance 7<br />

Et Far<strong>de</strong>nt Méûé<strong>la</strong>s le suit avec constance ;<br />

Cavale aux crins flottans f Ethé, docile au frein ,<br />

L'eût fait vaincre au milieu d'un plus vaste terrain.<br />

Il n'aurait point <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> victoire incertaine.<br />

Autant un javelot vole au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine j<br />

Autant <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s Mérion séparé<br />

Sur ses traces <strong>de</strong> loin marche désespéré.<br />

Et <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux coursiers <strong>la</strong> lenteur indocile<br />

Résiste aux vains efforts <strong>de</strong> son zèle inhabile.<br />

Enfin, le fils d'Admète avec ses bras meurtris<br />

De son c^har magnifique entraîne les débris.<br />

Debout ? aux Argiens adressant <strong>la</strong> parole,<br />

Sensible à son malheur ^ Achille le console :<br />

« C<strong>et</strong> homme qui dans Fart <strong>de</strong> conduire un cdursï<strong>et</strong> 1<br />

Surpassait tous les Grecs, arrive le <strong>de</strong>rnier.<br />

Diomè<strong>de</strong> <strong>sur</strong> lui remporte l'avantage;<br />

Qu'au moins le second prix <strong>de</strong>vienne son partage. »<br />

Dès qu'Achille a parlé, le peuple entier paraît<br />

Confirmer par ses cris un équitable arrêt.<br />

3o.


468 L'ILIADE.<br />

Aux acc<strong>la</strong>mations d'une foule rivale,<br />

Eumèle recevait l'orgueilleuse cavale,<br />

Quand soudain, se levant pour réc<strong>la</strong>mer ses droits 1<br />

A<strong>et</strong>îloque indigné fait r<strong>et</strong>entir sa voix :<br />

c* Achille ! oses-tu bien accomplir ta promesse?<br />

Tu m'enlèves le prix conquis par mon adresse ,<br />

Pour venger un héros qui, prêt à succomber,<br />

Vit se briser son char <strong>et</strong> ses chevaux tomber !<br />

Que n'a-t-il imploré l'assistance céleste !<br />

S'il t'est cherf si ton cœur p<strong>la</strong>int son <strong>de</strong>stin funeste,<br />

Ton camp a <strong>de</strong>s coursiers, <strong>de</strong>s captifs , <strong>de</strong>s troupeaux,<br />

De l'airain <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'or entassés par monceaux.<br />

Prodigue-luî ees dons... Qu'un prix plus riche encore<br />

Devant les Grecs charmés le console <strong>et</strong> l'honore.<br />

Quant au bien qui m'est dû ? je ne le cè<strong>de</strong> pas ;.<br />

Veut-on- me l'arracher ? le fer arme mon bras-. »<br />

Achille aux pieds légers en souriant approuve<br />

Le dépit généreux que ce héros éprouve :<br />

« Tu le veux , Antiloque ! un autre prix soudain<br />

Par Eumèle obtenu passera dans sa main,<br />

Et je lui donnerai <strong>la</strong> soli<strong>de</strong> cuirasse<br />

Qu'au fier Astéropée enleva mon audace 7


CHANT VINGT-TROISIÈME. 469<br />

Armure dont Fétain <strong>et</strong> l'airain tour à tour<br />

Par leurs cercles unis embrassent le contour.<br />

Sans doute un prix si beau 7 gage <strong>de</strong> mon estime 7<br />

Suffit pour contenter son orgueil légitime. »<br />

Achille a commandé ; le jeune Automédon<br />

Pénètre dans <strong>la</strong> tente <strong>et</strong> rapporte le don;<br />

Des mains d'Achille, Eumèle, en tressail<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> joie.<br />

L'accepte <strong>et</strong> <strong>la</strong> fierté <strong>sur</strong> son front se déploie.<br />

Méné<strong>la</strong>s s'est levé; son cœur triste <strong>et</strong> jaloux<br />

Nourrit contre Antiloque un superbe courroux ; • "<br />

A <strong>la</strong> voix d'un héraut, tous les Grecs font silence ;<br />

Armé du sceptre d'or? qu'en ses mains il ba<strong>la</strong>nce,<br />

Semb<strong>la</strong>ble aux immortels, l'illustre Méné<strong>la</strong>s<br />

Laisse <strong>de</strong> sa douleur échapper les éc<strong>la</strong>ts :<br />

« Antiloque, autrefois <strong>et</strong> si juste <strong>et</strong> si sage,<br />

Qu'as-tu fait? ton orgueil m'humilie <strong>et</strong> m'outrage.<br />

Si plus loin que mon char ton char s'est é<strong>la</strong>ncé,<br />

En blessant mes chevaux tu m'avais <strong>de</strong>vancé.<br />

O vous j princes <strong>et</strong> chefs, assemblés dans l'arène,<br />

Jugez-nous tous les <strong>de</strong>ux sans amour <strong>et</strong> sans haine.<br />

Qu'on ne dise jamais : Méné<strong>la</strong>s irrité<br />

L'emporta par <strong>la</strong> ruse ou par l'autorité;


4yo . L'ILIADE.<br />

Ennemi d f Antiloque , il u<strong>sur</strong>pa sa gloire<br />

Et ne dut qu'au mensonge une indigne victoire.<br />

Oui, si moi-même ici je prononçais l'arrêt,<br />

A ma noble équité chacun app<strong>la</strong>udirait.<br />

O nourrisson <strong>de</strong>s Dieux, <strong>sur</strong> toi je me repose.<br />

Viens : fidèle au serment que le <strong>de</strong>voir t'impose,<br />

Armé du fou<strong>et</strong>, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant ton char d'airain ,<br />

Atteste <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer l'auguste souverain,<br />

Et , touchant tes coursiers, jure que l'artifice<br />

T'a fait , malgré tes vœux, triompher dans <strong>la</strong> liée.»<br />

' Antiloque répond : « O Méné<strong>la</strong>s ! ô roi !<br />

Gomme je suis plus jeune <strong>et</strong> moins puissant que toi,<br />

Pardonne ! tu le sais : <strong>la</strong> jeunesse impru<strong>de</strong>nte<br />

Ne peut <strong>de</strong> ses transports régler <strong>la</strong> fougue ar<strong>de</strong>nte.<br />

L'injustice aisément aveugle les esprits.<br />

Apaise ton courroux; je te cè<strong>de</strong> le prix.<br />

Et s'il te faut encor <strong>de</strong>s richesses plus gran<strong>de</strong>s,<br />

Mon docile respect consent à tes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s.<br />

Je ne veux pas au ciel <strong>de</strong>venir odieux, '<br />

Et, banni <strong>de</strong> ton cœur, perdre l'appui <strong>de</strong>s Dieux. »<br />

11 amène à ces mots <strong>la</strong> cavale indomptée,<br />

Que le fier Dféné<strong>la</strong>s a soudain acceptée ;


CHANT VINGT-TROISIEME. 4?i~<br />

Méné<strong>la</strong>s en son sein goûte un p<strong>la</strong>isir secr<strong>et</strong>;<br />

Il frémit , comme on voit, dans un fécond guér<strong>et</strong> ,<br />

S'agiter les épis, quand <strong>la</strong> fraîche rosée<br />

Ranime <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur <strong>de</strong> leur tige épuisée.<br />

« Antiloque ! a-t-il dit, j'ai perdu mon courroux.<br />

Tu n f étaïs jusqu'alors ni hautain, ni jaloux.<br />

"C'est à moi <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r. Si l'ar<strong>de</strong>nte jeunesse..<br />

De ton cœur un moment a vaincu <strong>la</strong> sagesse,<br />

Plus calme désormais, plus soumis au <strong>de</strong>voir,<br />

Respecte <strong>de</strong>s héros le titre <strong>et</strong> le pouvoir.<br />

Nestor, ton frère <strong>et</strong> toi, pour venger mon outrage,<br />

Vous avez signalé votre noble courage j<br />

Que <strong>de</strong> combats livrés, <strong>de</strong> travaux entrepris !..,<br />

J'exauce donc tes vœuxj je te <strong>la</strong>isse mon prix ,<br />

Et tous les Grecs sauront qu'au repentir sensible,<br />

Mon cœur n'est point armé d'un orgueil inflexible.»<br />

Tandis que sous les lois du brave Noèmon<br />

Qu'Antiloque a nommé son plus cher compagnon,<br />

La cavale s'enfuit, Méné<strong>la</strong>s en partage<br />

Prend le bassin, <strong>de</strong> Fart étince<strong>la</strong>nt ouvrage.<br />

Mérion après lui reçoit <strong>de</strong>ux talents d'or,<br />

Et pour cinquième prix le vase reste encor.


4y^ L'ILIADE.<br />

Alors , le fils <strong>de</strong>s Dieux, traversant rassemblée,<br />

S'adresse au rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> l'auguste Nélée :<br />

ce Vieil<strong>la</strong>rd ! avec ce don puisse dans Pavenir<br />

De Patrocle en ton cœur vivre le souvenir !<br />

Tu ne le verras plus marcher à <strong>la</strong> victoire<br />

Ce liéros dont nos jeux honorent <strong>la</strong> mémoire ;<br />

Mais accepte ce prix, sans avoir combattu ;<br />

Car sous le poids <strong>de</strong>s ans tu <strong>la</strong>nguis abattu-,<br />

Et tu ne peux , captif dans un repos funeste,<br />

Ni paraître aux combats <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte ou du ceste,<br />

Ni décocher un trait, ni d'un pied vigoureux<br />

Dépasser en courant tes rivaux plus heureux. »<br />

Nestor reçoit le prix avec un doux sourire 2 '<br />

« Mon fils ! dans tes discours <strong>la</strong> sagesse respire.<br />

Tu n'as dit que trop vrai;'mes pieds, mes bras, mon corps<br />

Ont perdu <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong> leurs souples ressorts.<br />

Ah ! que ne vois-je encor refleurir ma jeunesse!<br />

Jadis dans Buprasie où-s'assemb<strong>la</strong>it <strong>la</strong> Grèce,<br />

Les fils d'Amaryneée ? autour <strong>de</strong> son cercueil,<br />

Par <strong>de</strong> funèbres jeux solennisaient leur' <strong>de</strong>uil.<br />

Les Épéens, .Pylos, FÉtolie <strong>et</strong> l'Éli<strong>de</strong><br />

Ne purent m'opposer un rival intrépi<strong>de</strong>,


CHANT VINGT-TROISIÈME. 473<br />

Cl y tomè<strong>de</strong> , qu'Énops comptait parmi se3 fils f<br />

En vain au pugi<strong>la</strong>t m'adressa ses défis.<br />

A <strong>la</strong> lutte vainqueur f du généreux Ancée<br />

J'abattis sous mes coups <strong>la</strong> jeunesse insensée.<br />

Je courus dans <strong>la</strong> lice <strong>et</strong> l'agile Iphiclus<br />

S'épuisa pour me vaincre en efforts superflus.<br />

Un couple renommé ? Phylée <strong>et</strong>Polydore<br />

Au prix du javelot me cédèrent encore.<br />

Mais <strong>de</strong>ux guerriers , d'Ator héroïques enfansf<br />

De <strong>la</strong> course <strong>de</strong>s chars sortirent triomphans ;<br />

Car , jaloux d'illustrer <strong>la</strong> lutte <strong>la</strong> plus belle,<br />

Ces jumeaux contre moi réunirent leur zèle ;<br />

L'un dirigeait le frein ; l'autre f armé du fou<strong>et</strong> d'or f<br />

Des chevaux bondissans précipitait l'essor.<br />

Telle éc<strong>la</strong>tait ma force <strong>et</strong> bril<strong>la</strong>it mon adresse...<br />

Hé<strong>la</strong>s ! <strong>et</strong> j'obéis à <strong>la</strong> triste vieillesse ;<br />

Si parmi les héros je marchais autrefois,<br />

Que d'autres maintenant imitent mes exploits.<br />

Noble Achille ! poursuis les jeux que tu célèbres ,<br />

Et console un ami par ces honneurs funèbres.<br />

J'accepte avec p<strong>la</strong>isir ton précieux bienfait ;<br />

Un tel présent, est cher à mon cœur satisfait,


474 L'ILIADE.<br />

Et je me réjouis du solennel hommage<br />

- Que ton juste respect accor<strong>de</strong> à mon vieil âge. •<br />

Pour te récompenser , puissent les Dieux sauveurs<br />

Te prodiguer toujours leurs plus douces faveurs ! »<br />

Achille 5 enorgueilli <strong>de</strong> ce tribut d'éloge<br />

Que Nestor à <strong>la</strong> fois lui décerne <strong>et</strong> s'arroge,<br />

S'avance dans <strong>la</strong> foule, <strong>et</strong>, pour nouveau combat,<br />

Propose à tous les Grecs le cruel pugi<strong>la</strong>t.<br />

Par les mains du héros dans l'enceinte amenée ,<br />

Une mule qui touche à sa sixième année,<br />

Et qui, levant un front du timon- affranchi,<br />

Sous le poids <strong>de</strong>s travaux n'a point encor fléchi,<br />

Paraît , <strong>et</strong>, non loin d'elle , une coupe bril<strong>la</strong>nte<br />

Deviendra du vaincu l'offran<strong>de</strong> conso<strong>la</strong>nte.<br />

Debout parmi les Grecs, l'œil attaché <strong>sur</strong> eux :<br />

« Atri<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> vous, chefs aux bro<strong>de</strong>quins poudreux ,<br />

A-t-il dit , choisissez <strong>de</strong>ux hommes intrépi<strong>de</strong>s f<br />

Qui, prompts à se munir <strong>de</strong> leurs cestes soli<strong>de</strong>s,<br />

Se contrent dans l'arène, <strong>et</strong> luttent accablés<br />

Sous le poids mutuel <strong>de</strong> leurs coups redoublés.<br />

Protégé par Phébus, le plus heureux émule<br />

Obtiendra, <strong>de</strong>vant tous, l'infatigable mule,.


CHANT VINGT-TROISIÈME. ^<br />

Et <strong>la</strong> coupe profon<strong>de</strong> est le tribut promis<br />

Au rival terrassé par ses bras ennemis. »<br />

Ëpéns, fils d'Énopsf chargé <strong>de</strong> son armure,<br />

Confiant dans sa force <strong>et</strong> sa haute stature ,<br />

Se présente j fameux en c<strong>et</strong> art inhumain 7<br />

Sur <strong>la</strong> mule robuste il a porté <strong>la</strong> main ;<br />

Alors j ivre d'orgueil f <strong>et</strong> d'une voix hardie :<br />

« Si quelqu'un désira c<strong>et</strong>te coupe arrondie ,<br />

Qu'il paraisse ! il écoute un espoir suborneur,<br />

S'il croit du premier prix me disputer Flionneur.<br />

La guerre au second rang a p<strong>la</strong>cé mon courage.<br />

Mais l'homme eut-il jamais tous les dons en partage?<br />

Je jure f triomphant du plus fameux héros,<br />

De déchirer son corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> briser ses os.<br />

Ses nombreux compagnons^ à son malheur sensibles,<br />

L'emporteront meurtri par ces mains invincibles. »<br />

On se tait : Eury aie, homme semb<strong>la</strong>ble aux Dieux 7<br />

Porte seul jusqu'à lui ses pas audacieux.<br />

Euryale? ce fils du puissant Mécistée5<br />

Jadis dans les remparts <strong>de</strong> Thèbes attristée,<br />

Sur le cercueil d'OEdipe f honoré par <strong>de</strong>s jeux ,<br />

Dompta du vieux Gadmus le peuple courageux.


4j6 L'ILIADE.<br />

Diomè<strong>de</strong> l'escorte , <strong>et</strong>, désirant sa gloire ,<br />

Par <strong>de</strong> brû<strong>la</strong>ns discours Fexcite à <strong>la</strong> victoire.<br />

D'une <strong>la</strong>rge ceinture il entoure son corps, "<br />

Et lie à ses <strong>de</strong>ux bras, avec <strong>de</strong> longs efforts ,<br />

D'énormes gantel<strong>et</strong>s , impénétrable ouvrage,<br />

Que forma d'un taureau <strong>la</strong> dépouille sauvage.<br />

Lorsque les <strong>de</strong>ux rivaux, par <strong>la</strong> gloire enf<strong>la</strong>mmés,<br />

Lèvent leurs bras nerveux, <strong>et</strong> marchent tout armés ,<br />

La lutte a commencé ; leurs mains qui r<strong>et</strong>entissent<br />

Sous les cestes bruyans déjà s'appesantissent.<br />

Avec un sourd fracas s'entre-choquent leurs <strong>de</strong>nts,<br />

Et leur sueur partout ruisselle à flots ar<strong>de</strong>ns.<br />

Tandis que son rival à <strong>la</strong> fuite s'apprête,<br />

Epéus le poursuit, <strong>et</strong> le frappe à <strong>la</strong> tête ;<br />

Par ses rapi<strong>de</strong>s coups Euryale ébranlé<br />

Frissonne, <strong>et</strong> tout son corps a soudain chancelé.<br />

Quand Borée en fureur a déchaîné Forage,<br />

Repoussé par <strong>la</strong> mer vers Falgue du rivage,<br />

Le poisson se redresse ; il bondit, <strong>et</strong> le flot<br />

Dans le sombre Océan Fa replongé bientôt :<br />

Tel s'agite Euryale étendu <strong>sur</strong> le sable.<br />

Epéus lui présente une main secourahle;


CHANT VINGT-TROISIÈME. 477<br />

11 le relève ; alors, accourant tous vers lui,<br />

Ses fidèles soldats lui prêtent leur appui.<br />

H vomit un sang noir ; ses pieds dans <strong>la</strong> poussière<br />

Traînent ; son front pendant se renverse en arrièreT<br />

Tandis que ses amis l'emmènent gémissant,<br />

Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaste coupe emportent le présent.<br />

Achille aux yeux <strong>de</strong>s Grecs montre <strong>la</strong> récompense<br />

Qu'à <strong>la</strong> lutte terrible en espoir il dispense ;<br />

Le grand trépied, promis au plus vail<strong>la</strong>nt héros 7 '<br />

Deux fois par sa valeur égale six taureaux f<br />

Et dans mille travaux une captive habile<br />

Est le don au vaincu proposé par Achille.<br />

Il se lève f il s'écrie : « Approcher , ô vous tous f<br />

Avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> périls <strong>et</strong> <strong>de</strong>-gloire jaloux. »<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon 7 l'adroit fils <strong>de</strong> Laérte,<br />

S'e<strong>la</strong>nçant dans l'arène aux concurrens ouverte ,<br />

D'une forte ceinture entourés seulement,<br />

Unissent <strong>de</strong> leurs corps l'étroit embrassement :<br />

Ainsi dans un pa<strong>la</strong>is dont le faîte se dresse<br />

Par une habile main construit avec adresse f<br />

Deux poutres, en<strong>la</strong>çant leurs <strong>de</strong>ux bois affermis f<br />

Méprisent les assauts <strong>de</strong>s autans ennemis.


478 L'ILIADE.<br />

Sous l'effort <strong>de</strong> leurs bras leurs épaules gémissent }<br />

Leur poitrine se serre <strong>et</strong> leurs muscles frémissent ;<br />

De nombreuses tumeurs ensang<strong>la</strong>ntent leurs f<strong>la</strong>ncs,<br />

Et sillonnent leurs dos <strong>de</strong> sueur raïsse<strong>la</strong>ns.<br />

Tant ce couple , enf<strong>la</strong>mmé d'un espoir héroïque,<br />

Brûle <strong>de</strong> conquérir le trépied magnifique !<br />

Mais Ulysse est trop fort pour se voir terrassé ;<br />

Ajax est trop adroit pour se Toir renversé.<br />

Quand <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s Grecs à <strong>la</strong> belle chaus<strong>sur</strong>e<br />

S'indigne , Ajax propose une épreuve plus sûre :<br />

s L'un <strong>et</strong> l'autre cherchons à soulever nos corps ^<br />

Et <strong>la</strong>issons Jupiter couronner nos efforts. »<br />

A ces mots , dans les airs Ajax suspend Ulysse j<br />

Mais Ulysse à son ai<strong>de</strong> appelle l'artifice ;<br />

Sur ses jarr<strong>et</strong>s plians il pose un pied vainqueur,<br />

Le renverse , le foule <strong>et</strong> pèse <strong>sur</strong> son cœur.<br />

Tout le peuple , immobile <strong>et</strong> frappé <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prise ;<br />

Frémit : en vains efforts Ulysse qui s'épuise f<br />

Loin d'enlever Ajax, lui-même a chancelé<br />

Et tous <strong>de</strong>ux avec bruit dans le sable -ont roulée<br />

Ces rivaux acharnés 7 relevés <strong>de</strong> leur chute,<br />

Déjà recommençaient une troisième lutte 7


CHANT VINGT-TROISIÈME. 47g<br />

Lorsqu'Achile s'approche, <strong>et</strong> r<strong>et</strong>enant leurs bras :<br />

« Gesses , nobles amis ! ces terribles combats.<br />

Dotes du même prix, votre gloire est égale ;<br />

Allez ! <strong>de</strong>s autres Grecs que F ar<strong>de</strong>ur se signale. »<br />

H dit ; les <strong>de</strong>ux héros , <strong>de</strong> sueur tout fumans,<br />

Secouant leur poussière, ont pris leurs vêtemens.<br />

Dans <strong>la</strong> lice bientôt <strong>la</strong> foule considère<br />

Les trois prix éc<strong>la</strong>tans <strong>de</strong> <strong>la</strong> course légère.<br />

Le premier prix offert est c<strong>et</strong>te urne d'argent<br />

Que forgea dans Sidon un art intelligent,<br />

Et dont les <strong>la</strong>rges f<strong>la</strong>ncs, renfermant six me<strong>sur</strong>es,<br />

S'arrondissent, ornés <strong>de</strong> belles ciselures.<br />

Quand les Phéniciens, parcourant tous les ports,<br />

Sur le noir Océan promenaient leurs trésors,<br />

C<strong>et</strong>te urne qu'à Thoas leur chef avait donnée,<br />

Passa comme un présent entre les mains d'Eunée ,<br />

Et Patrocte l'obtint, quand ce fils <strong>de</strong> Jason<br />

De Lyeaon captif lui paya <strong>la</strong> rançon ;<br />

Achille, d'un ami célébrant <strong>la</strong> mémoire,<br />

La propose en ce jour pour prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire.<br />

Un gras <strong>et</strong> fort taureau, For d'un <strong>de</strong>mi talent<br />

Offriront aux vaincus leur tribut conso<strong>la</strong>nt.


48o L'ILIADE.<br />

« Accourez , dit Achille aux enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ;<br />

Venez dans ce combat montrer votre souplesse. »<br />

Antiloque, ce fils du vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> Pylos,<br />

Qui toujours à <strong>la</strong> course éclipsa ses rivaux ,<br />

L'ar<strong>de</strong>nt fils d'Oïlée <strong>et</strong> le pru<strong>de</strong>nt Ulysse,<br />

Tous trois p<strong>la</strong>ces <strong>de</strong>'front, paraissent dans <strong>la</strong> lice*<br />

Le signal r<strong>et</strong>entit <strong>et</strong> le but éloigné<br />

Par Achille lui-même à peine est désigné,<br />

Ils s'é<strong>la</strong>ncent : Ajax , signa<strong>la</strong>nt sa vitesse , •<br />

Court le premier ; Ulysse avec ar<strong>de</strong>ur le presse ,<br />

Et le sable dans Pair ne tourbillonne pas,<br />

Tant <strong>sur</strong> ses pas légers il imprime ses pas !<br />

Comme on voit, par les soins d'une ouvrière habile^<br />

Pour former un tissu, <strong>la</strong> nav<strong>et</strong>te mobile<br />

De Fune à l'autre main passer à tout moment,<br />

Et dans ses tours croisés courir adroitement :<br />

Tel , poursuivant Ajax qui vole dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ,<br />

Il semble l'humecter <strong>de</strong> sa brû<strong>la</strong>nte haleine,<br />

Et <strong>de</strong>s Grecs , étonnés d'un si rapi<strong>de</strong> essor,<br />

Les app<strong>la</strong>udissemens l'encouragent encor.<br />

Ils vont toucher le but, quand le pru<strong>de</strong>nt Ulysse<br />

Implore dans son cœur Minerve protectrice :


CHANT VINGT-TBOISIËME. 481<br />

« Déesse ! exauce-moi ! <strong>de</strong>scends du haut <strong>de</strong>s cieux<br />

Et soutiens <strong>de</strong> mes pas l'é<strong>la</strong>n audacieux. »<br />

Minerve entend sa voix 7 <strong>et</strong> <strong>de</strong>s forces nouvelles<br />

A ses pieds, k ses mains semblent prêter <strong>de</strong>s ailes;<br />

Impatient, il vole , <strong>et</strong> lorsque tous les trois f<br />

Pour s'emparer du prix 5 s'é<strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> fois,<br />

Frappé par <strong>la</strong>. Déesse, Ajax chancelle <strong>et</strong> glisse<br />

Sur l'humi<strong>de</strong> terrain , témoin du sacrifice 7<br />

A l'endroit où le fer dans les mains du héros<br />

En l'honneur <strong>de</strong> Patrocle égorgea les taureaux ;<br />

Il tombe renversé dans une fiente impure<br />

Dont <strong>la</strong> noire épaisseur lui souille <strong>la</strong> figure.<br />

Le noble Ulysse ? ar<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>vancer ses pas,<br />

Sur l'urne étïnce<strong>la</strong>nte ose porter son bras ;<br />

Mais Ajax se relève , <strong>et</strong> palpitant <strong>de</strong> rage,<br />

Par <strong>la</strong> corne aussitôt saisit le bœuf sauvage.<br />

De sa bouche il rej<strong>et</strong>te <strong>et</strong> <strong>la</strong> fange <strong>et</strong> le sang y<br />

Etj <strong>de</strong>s Grecs entouréf s'écrie en gémissant:<br />

« 0 sort cruel ! Minerve est Fauteur <strong>de</strong> ma perte ;<br />

Vouant tout son amour au fils du vieux Laerte,<br />

Comme une tendre mère ? elle veille <strong>sur</strong> lui 7<br />

Et toujours lui prodigue un tuté<strong>la</strong>ire appui. »<br />

a. Si


48s L'ILIADE.<br />

Au seul aspect d'Ajax, dans <strong>la</strong> bruyante enceinte.<br />

Un rire universel accueille c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>inte.<br />

Antiloque s'avance avec un doux souris ,<br />

Et d'un air satisfait reçoit le <strong>de</strong>rnier frat:<br />

« Amis ! vous le voyez: attjmmHiiii même encore,<br />

Les vieil<strong>la</strong>rds sont chéris du ciel qui les honore.<br />

Je suis moi»» vieux qu'Ajax ; Ulysse <strong>de</strong> ses jours<br />

Dans Page précé<strong>de</strong>nt vit commencer le cours.<br />

Mais sa vigueur est souple <strong>et</strong> sa vieillesse agile j.<br />

Son vainqueur, s'il en est, ne peut être qu'Achille. »<br />

Charmé d'un tel discours 7 Achille ainsi répond :<br />

« Antiloque ! à ton prix j'en ajoute tut second.<br />

Par ce nouveau sa<strong>la</strong>ire f apprends combien me touche<br />

Le bienveil<strong>la</strong>nt éloge échappé <strong>de</strong> ta bouche. »<br />

Antiloque, à ces-mots 7 d'un <strong>de</strong>mi-talent d'or •<br />

Reçoit avec p<strong>la</strong>isir Fétince<strong>la</strong>nt trésor.<br />

Achille dans l'arène à tous les yeux présente<br />

Le bouclier , le casque <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce pesante,<br />

Belliqueux ornement que Patrocle en courroux<br />

Ravit à Sarpédon immolé par ses coups.<br />

« Nobles héros ! dït-il ; que <strong>de</strong>ux Grecs intrépi<strong>de</strong>s f<br />

Revêtant 1 parmi vous, leurs armes homici<strong>de</strong>s,


CHANT ' VINGT-TROISIÈME. 483<br />

Aux regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule , osent 1 en s'approchant,<br />

Décliirer leur poitrine avec l'airain tranchant.<br />

Je <strong>de</strong>stine au premier dont l'heureuse vail<strong>la</strong>nce<br />

Des flots d'un sang rival aura noirci sa <strong>la</strong>nce f<br />

Ce fer d'Astéropée en Thrace façonné 5<br />

Et da grands clous d'argent <strong>de</strong> toutes parte orné.<br />

Tous <strong>de</strong>ux, <strong>de</strong> Sarpédon se partageant les armes ,<br />

Des festins dans mon camp viendront goûter les charmes, i<br />

A ces mots f <strong>de</strong>ux guerriers qui s'arment à l'écart,<br />

Se j<strong>et</strong>ant l'un <strong>sur</strong> l'autre un foudroyant regard,<br />

Ajax <strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> accourent; leur audace<br />

Etonne tous les Grecs que l'épouvante g<strong>la</strong>ce.<br />

Le couple impatient s'approche sans terreur ;<br />

En s'é<strong>la</strong>nçant trois fois, trois fois avec fureur •<br />

Ils s'attaquent... La rage à <strong>la</strong> rage succè<strong>de</strong>.<br />

Le fils <strong>de</strong> Té<strong>la</strong>mon qui fond <strong>sur</strong> Diomè<strong>de</strong>, •<br />

Frappe le bouclier, sans atteindre le corps<br />

Dont Fépaîsse cuirasse arrête ses efforts.<br />

Diomè<strong>de</strong>, agitant <strong>la</strong> pique menaçante,<br />

Dirige vers son cou <strong>la</strong> pointe éblouissante.<br />

Tous les Grecs f effrayés <strong>de</strong> ce combat fatal,<br />

Aux <strong>de</strong>ux fougueux rivaux offrent un prix égal,<br />

3i.


484 V ILIADE.<br />

Et pour le sort d f Ajax leur âme intimidée<br />

Redoute le guerrier, Tail<strong>la</strong>nt fils <strong>de</strong> Tydée ;<br />

Le magnanime Achille accor<strong>de</strong> à ce guerrier<br />

Le g<strong>la</strong>ive étince<strong>la</strong>nt 7 le riche baudrier. * .<br />

Dans <strong>la</strong> lice bientôt paraît un disque énorme ;<br />

Eétion jadis rou<strong>la</strong>it sa masse informe,<br />

Et 7 vainqueur <strong>de</strong> ce roi <strong>de</strong>scendu chez les morts T<br />

Achille a joint le disque à ses nombreux trésors.<br />

Il se lève : cl Argïens! vous dont le noble zèle<br />

Veut mériter le prix d'unelutte nouvelle ,<br />

Approchez ! le vainqueur , durant plus <strong>de</strong> cinq ans?<br />

De ses féconds guér<strong>et</strong>s sillonnera les f<strong>la</strong>ncs ,<br />

Sans voir ses <strong>la</strong>boureurs déserter son domaine<br />

Pour ach<strong>et</strong>er du fer d^ns <strong>la</strong> cité prochaine. »<br />

Polypétès^ si ferme au milieu <strong>de</strong>s combats,<br />

S'avance ; Léontée arrive -<strong>sur</strong> ses pis.<br />

Le fils <strong>de</strong> Tékmon accourt bouil<strong>la</strong>nt d'audace<br />

Et le noble Epéus à leurs côtés se p<strong>la</strong>ce.<br />

Par Epéus <strong>la</strong>ncé , le disque tournoyant<br />

D'abord parmi <strong>la</strong> foule excite un ris bruyant. .<br />

Le rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong> Mare, le divin JLéontée 7<br />

Soulevant c<strong>et</strong>te masse avec lenteur portée ,


GHANT VINGT-TROISIÈME. 485<br />

L'agite j mais Ajax qui <strong>la</strong> saisit après,<br />

Vers le terme fisc <strong>la</strong> j<strong>et</strong>te encor plus près.<br />

Enfin Pol jpétès, <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce dans l'espace ,<br />

Devant ses trois rivaux que sa vigueur dépasse ,<br />

Gomme un adroit berger au milieu d'un troupeau<br />

Du frêne- pastoral fait voler le far<strong>de</strong>au.<br />

Un cri joyeux s'élève <strong>et</strong> les Grecs app<strong>la</strong>udissent 7<br />

Tandis que les soldats dont les bras se roidissent!<br />

Traînent jusqu'aux vaisseaux le présent glorieux<br />

Que vient <strong>de</strong> conquérir leur roi victorieux.<br />

L'acier d'un noir métal est promis par Achille<br />

Aux guerriers dont les mains courberont Parc docile!<br />

Et le héros dépose aux jeux <strong>de</strong>s concurrens<br />

Vingt haches d'un travail <strong>et</strong> d'un poids différens.<br />

Quand du mât d'un navire à <strong>la</strong> proue azurée «<br />

Dans le sable profond <strong>la</strong> base est as<strong>sur</strong>ée ,<br />

Attachée au somm<strong>et</strong> avec un nœud léger 9<br />

Une colombe en vain cherche k s'en 'dégager;<br />

Tremb<strong>la</strong>nte ? eUe s'agite , <strong>et</strong> c'est là qu'JÉaci<strong>de</strong><br />

Ordonne <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer le javelot rapi<strong>de</strong> :<br />

a Si l'un <strong>de</strong> vous atteint ce timi<strong>de</strong> ramier f<br />

Qu'il emporte avec lui les dix haches d'acier ;


486 L'ILIADE.<br />

S'il touche seulement c<strong>et</strong>te cor<strong>de</strong> flottante,<br />

Que du prix le moins beau son orgueil se contente.»<br />

Teucer <strong>et</strong> Mérion se présentent ; alors<br />

Dans un casque d'airain ils agitent les sorts.<br />

Désigné le premier, Teucer d f un bras agile<br />

Décoclie avec vigueur une flèche inutile ;<br />

Gomme il n'a point promis aux autels <strong>de</strong> Phébus<br />

Des agneaux premiers nés les précieux tributs ,<br />

H manque <strong>la</strong> colombe, <strong>et</strong> <strong>la</strong> pointe acérée<br />

Coupe aux pieds <strong>de</strong> l'oiseau <strong>la</strong> cor<strong>de</strong> déchirée ;<br />

L'oiseau craintif s'envole , <strong>et</strong> , glissant près du mât ,<br />

Le flexible lien se détache <strong>et</strong> s'abat.<br />

Mérion , enlevant Parc aux mains <strong>de</strong> Teucer ,<br />

Prêt à <strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> flèche , en ajuste le fer,<br />

Et prom<strong>et</strong> à Phébus une illustre hécatombe,<br />

Si <strong>de</strong> ses coups vainqueurs il frappe <strong>la</strong> colombe.<br />

Tandis que le héros, Pœil tourné vers les cieux 7<br />

Suit dans ses tours divers son vol capricieux f<br />

Il <strong>la</strong> vise, <strong>la</strong> blesse ? <strong>et</strong> sa flèche légère<br />

Revient jusqu'à ses pieds se plonger dans <strong>la</strong> terre.<br />

Au faîte du long mât un instant suspendu 1<br />

Faible 1 agitant son aile, <strong>et</strong> le corps étendu %


CHANT VINGT-TROISIÈME. 487<br />

L'oiseau tombe ; <strong>la</strong> foule , immobile <strong>et</strong> ravie,<br />

Le contemple exha<strong>la</strong>nt le souffle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie f<br />

Et Mérïon, Teucer f aux yeux <strong>de</strong>s Grecs <strong>sur</strong>pris ,<br />

Dans leurs profonds vaisseaux vont déposer leurs prix.<br />

Une <strong>la</strong>nce d'airain, par Achille apportée ,<br />

Au milieu <strong>de</strong>-<strong>la</strong> lice est enfin présentée ;<br />

Achille apporte encore un vase riche <strong>et</strong> beau %<br />

Respecté par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>et</strong> du prix d'un taureau.<br />

Le javelot en main, on voit d'un pas rapi<strong>de</strong><br />

Accourir Mérion <strong>et</strong> le puissant Atri<strong>de</strong> f<br />

Quand le divin Achille :. « O roi ! nous savons tous<br />

Qu'en adresse, en vigueur tu remportes <strong>sur</strong> nous.<br />

Que ce prix mérité <strong>sur</strong> ta flotte repose ;<br />

Mais apprends ce qu*ici ma bouche te propose :<br />

Docile à mes désirs, perm<strong>et</strong>s que notre main.<br />

Accor<strong>de</strong> à Mérion c<strong>et</strong>te <strong>la</strong>nce d'airain. »<br />

Le grand Agamemnon, charmé d'un tel partage,<br />

De <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce au Cr<strong>et</strong>ois fait accepter l'hommage ,<br />

Parle, <strong>et</strong> Talthybius, marchant vers son vaisseau f<br />

Du vase magnifique emporte le far<strong>de</strong>au.<br />

FIN DU VINGT-TROISIEME CHANT.


CHANT VINGT-QUATRIÈME.


SOMMAIRE DU CHANT VINGT-QUATRIEME.<br />

Jupiter envoie Thétis auprès d f AcMlle ' pour l'engager à rendre à<br />

Priam le cadavre d'Hector. — Priam, averti par Iris 9 <strong>et</strong> conduit<br />

par Mercure, marche vers le camp <strong>de</strong>s Grées. — Priam dans <strong>la</strong><br />

tente d'Achille. — Funérailles d'Hector.


L'ILIADE.<br />

CHANT VINGT-QUATRIÈME.<br />

Les jeux sont terminés <strong>et</strong> les nombreux soldats f<br />

Dispersés <strong>sur</strong> <strong>la</strong> flotte, y prennent leur repas ;<br />

Tout dort ; maisdusommeilf douxTainqueur<strong>de</strong><strong>la</strong>terre^<br />

Loin <strong>de</strong> goûter encor le calme salutaire 7<br />

Le noble Achille f en proie à sa sombre douleur,<br />

D'un compagnon chéri regr<strong>et</strong>te <strong>la</strong> valeur;<br />

La fidèle amitié rappelle à sa mémoire<br />

Les exploits <strong>de</strong> Patrocle <strong>et</strong> leur commune gloire,<br />

Leurs travaux ? leurs combats <strong>et</strong> ces flots orageux<br />

Que franchit tant <strong>de</strong> fois leur zèle courageux.<br />

Les <strong>la</strong>rmes dans les yeux , les sanglots à <strong>la</strong> bouche,<br />

Sur le dos il s'étend} <strong>sur</strong> le f<strong>la</strong>nc il se couche j


49^ L'ILIADE.<br />

Il se lève, <strong>et</strong>, le cœur plein <strong>de</strong> chagrins amers ,<br />

Se promène, en pleurant, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> rive <strong>de</strong>s mers :<br />

" C'est là qu'errant dans l'ombre, il gémit, <strong>et</strong> l'Aurore<br />

Auprès <strong>de</strong> l'Océan l'entend gémir encore.<br />

Enfin, lorsqu'à sa voix les coursiers bondissans<br />

Inclinent sous le joug leurs fronts obéissans,<br />

- Quand trois fois, d'une main par <strong>la</strong> rage affermie,<br />

H a traîné d'Hector <strong>la</strong> dépouille ennemie,<br />

H part , <strong>et</strong>, s'arrachant à ce fatal cercueil,<br />

Dans le fond <strong>de</strong> sa tente ensevelit son <strong>de</strong>uil.<br />

Mais jaloux d'épargner l'affront d'une souillure<br />

Au Troyen étendu dans une arène impure,<br />

Apollon s'attendrit, <strong>et</strong> j<strong>et</strong>ant <strong>sur</strong> Hector<br />

L'étince<strong>la</strong>nt rempart <strong>de</strong> son bouclier d'or,<br />

Empêche qu'un vainqueur, dans sa barbare joie,<br />

Déchire en vils <strong>la</strong>mbeaux <strong>et</strong> flétrisse sa proie.<br />

kTel au divin. Hector Achille furieux<br />

"Prodigue encor l'outrage. A c<strong>et</strong> aspect, les Dieux<br />

Veulent que, pour charmer <strong>la</strong> douleur qui les navre,<br />

Le vigi<strong>la</strong>nt Mercure enlève le cadavre ;<br />

Neptune s'en indigne, <strong>et</strong> d'un secr<strong>et</strong> <strong>la</strong>rcin<br />

Pal<strong>la</strong>s avec Junon condamne le <strong>de</strong>ssein.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 493<br />

Contre Ilion f Priam <strong>et</strong> son peuple rebelle<br />

Toutes <strong>de</strong>ux nourrissaient une haine immortelle 1<br />

Depuis qu'ivre d'amour! par d'insolens mépris<br />

Paris <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté leur refusa le prix.<br />

L'Olympe douze fois <strong>de</strong>s feux du jour s'éc<strong>la</strong>ire^<br />

Et Phébus en ces mots fait parler sa colère :<br />

« Dieux cruels ! lorsqu'Hector brû<strong>la</strong> <strong>sur</strong> vos. autels<br />

Des chèvres, <strong>de</strong>s taureaux les tributs solennels,<br />

Son épouse, son ils <strong>et</strong> sa mère éperdue f<br />

Loin <strong>de</strong> voir sa dépouille à leur amour rendue,<br />

N'accor<strong>de</strong>ront jamais à ses tristes <strong>la</strong>mbeaux<br />

Les honneurs du bâcher ni <strong>la</strong> paix <strong>de</strong>s tombeaux !<br />

Son vainqueur vous est cher! ...Tel qu'un lion sauvage<br />

Dont un troupeau nourrit l'insatiable rage f<br />

Achille ne connaît f dans sa farouche ar<strong>de</strong>ur ^<br />

Ni <strong>la</strong> sainte équité, ni l'austère pu<strong>de</strong>ur ,<br />

La pu<strong>de</strong>ur qui? propice ou redoutable au mon<strong>de</strong>,<br />

Des biens comme <strong>de</strong>s maux est <strong>la</strong> sourœ fécon<strong>de</strong>.<br />

Non ; les hommes toujours ne pleurent pas le sort<br />

Ou d'un frère on d'un fik moissonné par <strong>la</strong> mort ;<br />

Le Destin les console , <strong>et</strong> pour borner leurs peines,<br />

P<strong>la</strong>ce un cœur patient dans les âmes humaines.


494 ' L'ILIADE..<br />

Mais Achille, irrité <strong>sur</strong> les débris d'Hector ,<br />

S'acharne plus cruel <strong>et</strong> plus terrible encor ;<br />

H l'attache à son char <strong>et</strong> traîne dans le sable<br />

Autour <strong>de</strong> ce tombeau son corps méconnaissable.<br />

0 rage téméraire ! ô lâches attentats !<br />

Oui j malgré sa valeur, qu'il redoute nos bras !<br />

Le barbare ! il outrage une terre insensible ! »<br />

Junon exhale ainsi son courroux inflexible :<br />

• Phébus à Parc d'argent ! Achille <strong>et</strong> son rival<br />

A déshonneurs pareils ont-ils un droit égal?<br />

Va, ne Pespère pas; d'une femme mortelle<br />

Tu sais qu'Hector enfant a sucé <strong>la</strong> mamelle;<br />

Mais au pur sapg <strong>de</strong>s Dieux Achille doit le jour ;<br />

Thétis que j'entourai <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> mon amour,<br />

Partagea, grâce aux nœuds d'un auguste hjménée,<br />

D'un prince cher au ciel <strong>la</strong> noble <strong>de</strong>stinée.<br />

L'Olympe en fut témoin ; toi-même dans tes chants.<br />

Toi-même, Dieu cruel, protecteur <strong>de</strong>s méchans,<br />

Tu daignas, <strong>de</strong> ce jour célébrant les merveilles,<br />

Des accords <strong>de</strong> ta lyre enivrer nos oreilles. »<br />

Mais Jupiter : * Abjure un <strong>la</strong>ngage hautain.<br />

Ces héros n'auront pas un semb<strong>la</strong>ble <strong>de</strong>stin.


CHANT VIlfGT-QUATRIÈlf E. - 495<br />

Parmi tousl»Troyens Hector savait me p<strong>la</strong>ire;<br />

Toujours f sollicitant ma bonté tutâaire,<br />

H m'offirait c<strong>et</strong> encens, ces doua religieux f<br />

Et ce» HifllM»r iott psl^ ifliBîeoac.<br />

fiâas ! nous <strong>la</strong>isserai» pw un rapt inutile<br />

Soustraire son cadavre à <strong>la</strong> Itaiiit d'Achille ;<br />

Car Thétis 9 nuit <strong>et</strong> jour, <strong>sur</strong> ce guerrier chéri<br />

Ne cesse d'attacher un regard attendri ;<br />

Bans l'Olympe du moins si Fun <strong>de</strong> vous FappeUtt<br />

A mes sages conseils Thétis sera fidèle ;<br />

Nous verrons ? par sa voix Achille désarmé,<br />

Eendre à. For <strong>de</strong> Priam un fils inanimé. »<br />

Iris, prompte à remplir le céleste message,<br />

Dans sa bruyante course émule <strong>de</strong> Forage,<br />

Passe entre les rochers dlmbros <strong>et</strong> <strong>de</strong> Samos,<br />

Effleure mollement <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong>s flots f<br />

S'é<strong>la</strong>nce, <strong>et</strong>, se plongeant au sein <strong>de</strong>s noires on<strong>de</strong>s f<br />

Fait gémir <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer les cavernes profon<strong>de</strong>s :<br />

Ainsi le plomb pécheur dont le léger far<strong>de</strong>au<br />

Se suspend <strong>et</strong> s'attache aux cornes d'un taureau f<br />

Disparaît à nos yeuxf lorsqu'au poisson avi<strong>de</strong><br />

Il se présente armé <strong>de</strong> l'hameçon perfi<strong>de</strong>.


496 L'ILIADE.<br />

Dans sa grotte, au milieu <strong>de</strong>s njmphes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer,<br />

Thétis pleure le fils à son amour si cher^ -<br />

Ce généreux guerrier qui 7 loin <strong>de</strong> sa patrie,<br />

Doit bientôt du trépad assouvir <strong>la</strong> furie ;<br />

Quand vers Thétis, au fond <strong>de</strong> l'humi<strong>de</strong> pa<strong>la</strong>is ,<br />

L'impatiente Iris accourt : « Point <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>is !<br />

Déesse ! lève-toi ; viens : Jupiter t'appelle 9<br />

Jupiter dont tu sais <strong>la</strong> sagesse éternelle. »<br />

« Qu'as-tu dit? lui répond Thétis aux pieds d'argent*<br />

Pourquoi réc<strong>la</strong>me-t-il MOU zèle diligent?<br />

Je crains <strong>de</strong> présenter à l'empire céleste<br />

D'un front chargé d'ennuis Fkspect toujours funeste*..<br />

N'importe! Jupiter n'ordonne pas en vain?<br />

Et je dois me soum<strong>et</strong>tre à son arrêt divin. *<br />

A ces mots, au départ <strong>la</strong> Déesse s'apprête;<br />

Du voile le plus sombre enveloppant sa téte?<br />

Sur les traces d'Iris elle vole <strong>et</strong> les eaux<br />

S'empressent d'écarter leurs liqui<strong>de</strong>s monceaux.<br />

Bientôt toutes les <strong>de</strong>ux dans une course égale<br />

Du rivage à l'Olympe ont franchi l'intervalle 9<br />

Et trouvent au somm<strong>et</strong> d'un trône radieux<br />

Jupiter 1 entouré <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s Dieux.


CHANT YINGT-QUATEIÈME. 497<br />

Tout entière au chagrin qui constamment Fobsè<strong>de</strong>,<br />

Sur le siège désert que Minerve lui cè<strong>de</strong> *<br />

Thétis s'assied. Junon dans une coupe d'or<br />

Lui verse du nectar le savoureux trésor ;<br />

Consolée un moment, Thétis lui rend <strong>la</strong> coupe*<br />

Alors le souverain <strong>de</strong> <strong>la</strong> céleste troupe :<br />

« 0 divine Thétis! ton amour maternel<br />

Gémit sous le far<strong>de</strong>au d'un malheur éternel;<br />

Je le sais : mais apprends l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon message*<br />

En <strong>de</strong>ux partis rivaux tout le ciel se partage;<br />

Pour Hector , pour ton fils, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s cités j<br />

Entr'eux, <strong>de</strong>puis neuf jours, les Dieut sont agités*<br />

Achille aurait perdu le prix <strong>de</strong> sa victoire ;<br />

Mais, par amour pour toi, je veille <strong>sur</strong> sa gloire.<br />

Cours ; dis-lui que les Dieux condamnent ses transports,<br />

Qu'il m'offense <strong>sur</strong>tout en profanant les morts ^<br />

Et qu'il doit, prévenant ma trop juste colère,<br />

Restituer un fils à <strong>la</strong> rançon-d'un père.<br />

Priam ira bientôt, excité par Iris,<br />

D'Hector, au camp <strong>de</strong>s Grecs, rach<strong>et</strong>er les débris. »<br />

Thétis aux pieds d'argent, k c<strong>et</strong> ordre docile,<br />

Court du haut <strong>de</strong> l'Olympe à <strong>la</strong> tente d'Achille;<br />

a. 3a


4gB ' L'ILIADE. ' -<br />

Là9 par d'amers soupirs ce héros oppressai<br />

Gémit, <strong>et</strong> ses soldats f en leur zèle empressé y<br />

Frappant un grand bélier "à <strong>la</strong> toison épaisse j<br />

Préparent le festin dont <strong>la</strong> table se dresse.<br />

Auprès <strong>de</strong> lui , Thétis, pour consoler ses maux^<br />

Le f<strong>la</strong>tte <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>et</strong> lui parle en ces mots :<br />

« Jusques à quand le <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> les sombres a<strong>la</strong>rmes<br />

Rongeront-ils ce cœur qui se nourrit <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes?<br />

O mon fils 1 ton jeune âge a-t-ïl fui sans r<strong>et</strong>our<br />

Les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s f le sommeil <strong>et</strong> l'amour?<br />

Le repos est si doux dans les bras d'une femme !.. *<br />

La Parque, <strong>de</strong> tes jours prête à couper <strong>la</strong> trame,<br />

S'approche... écoute moi: du monarque <strong>de</strong>s cieux<br />

Je t'apporte en ton camp l'arrêt impérieux,<br />

L'Olympe est irrité ; ta fureur inhumaine<br />

De Jupiter <strong>sur</strong>tout a provoqué <strong>la</strong> haine.<br />

Souffre donc que Priam, te proposant son or f<br />

Re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce fils que tu r<strong>et</strong>iens encor, »<br />

« Eh bien ! a répondu le héros magnanime,<br />

Qu'on m'apporte c<strong>et</strong> or, <strong>et</strong> je rends ma victime ;<br />

Ne bravons point les Dieux par d'insolens défis. »<br />

Ainsi par<strong>la</strong>ient ensemble <strong>et</strong> <strong>la</strong> mère <strong>et</strong> le fils.


CHANT VINGT-QUATRIEME. 490<br />

Cependant Jupiter du haut <strong>de</strong>s cieux envoie<br />

Sa messagère ailée aux murs sacres <strong>de</strong> Troie :<br />

s Iris ! vers Eion abaisse ton essors<br />

A mes ordres -soumis, pour Cach<strong>et</strong>er fiecior,<br />

Que Priam, <strong>de</strong> ses dons prodiguant <strong>la</strong> richesse,<br />

Se ren<strong>de</strong>, près d'Achille, aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Que le peuple troyen ne l'accompagne pas.<br />

Un héros vénéré ,- seul escortant ses pas,<br />

Sur son rapi<strong>de</strong> char conduira dans <strong>la</strong> ville<br />

Le héros immolé par le divin Achille.<br />

Le meurtrier d'Argus protégera son sort;<br />

Guidé par lui, qu'il marche <strong>et</strong> méprise <strong>la</strong> mort.<br />

Achille, respectant sa misère <strong>et</strong> son âge,<br />

Loin du front d'un vieil<strong>la</strong>rd repoussera Foutrage ;<br />

Ce n'est point un impie , un traître, un furieux j-<br />

Le mortel suppliant sera cher à ses yeux. »<br />

D. parle : dans son vol, rival <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête r<br />

Au pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Priam Iris bientôt s'arrête ;<br />

Partout elle alrouvé.les soupirs <strong>et</strong> le <strong>de</strong>uiL<br />

Couvert d'un long manteau, le vieil<strong>la</strong>rd, près du seuil,<br />

Dans le sable se roule, <strong>et</strong> d'une cendre épaisse<br />

Déshonore ce front b<strong>la</strong>nchi par <strong>la</strong> vieillesse.-<br />

3*.


5oo L'ILIADE.<br />

Assis autour du roi1 ôës fils à tous momens<br />

De <strong>la</strong>rmes à grands flots mouillent leurs vêtemens ;<br />

Courant dans le pa<strong>la</strong>is ^ leurs femmes désolées<br />

Frappent <strong>de</strong> cris p<strong>la</strong>intifs les voûtes ébranlées,<br />

Et pleurent ces guerriers si vail<strong>la</strong>nsf si nombreux, •<br />

Envoyés par les Grecs au séjour ténébreux.<br />

A l'aspect <strong>de</strong> Prïam que l'épouvante g<strong>la</strong>ce, *<br />

La Déesse s'approche <strong>et</strong> lui parle à voix basse ;<br />

a 0 fils <strong>de</strong> Dardanus, vieil<strong>la</strong>rd ! ras<strong>sur</strong>e-toi. •<br />

Je ne viens pas ici redoubler ton effroi f<br />

Puisque le roi <strong>de</strong>s cieux, sensible à ta misère,<br />

D'un ordre bienveil<strong>la</strong>nt me rend <strong>la</strong> messagère.<br />

Accomplisses arrêts ; pour rach<strong>et</strong>er Hector!<br />

Vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s mers dirige ton essor;<br />

De tes dons opulens prodigue <strong>la</strong> richesse<br />

Et marche, près d'Achille, aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce*<br />

Que le peuple troyen ne t'accompagne pas.<br />

Un héraut vénéré, seul escortant tes pas,<br />

Sur ton rapi<strong>de</strong> char conduira dans <strong>la</strong> ville<br />

Le héros immolé par le divin Achille.<br />

Le meurtrier d'Argus protégera ton sort;<br />

Guidé par lui, va donc <strong>et</strong> méprise <strong>la</strong> mort.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5.oi<br />

Achille, respectant ta misère <strong>et</strong> ton âge ,<br />

Loin du front d'un vieil<strong>la</strong>rd repoussera l'outrage *%<br />

• Ce n'est point un impie f un traître, un furieux}:<br />

Le mortel suppliant sera cher à ses yeux. »<br />

En achevant ces motsf dans son agile route,<br />

Iris a remonté vers <strong>la</strong> céleste voûte,<br />

Et les fils du monarque attachent sans dé<strong>la</strong>is<br />

Au char étince<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>ux robustes mul<strong>et</strong>s.<br />

L'infortuné Priam marche 7 loin <strong>de</strong>s portiques f<br />

Vers <strong>la</strong> chambre embaumée où les <strong>la</strong>mbris antiques!<br />

De cèdre revêtus , offrent <strong>de</strong> toute part<br />

Mille obj<strong>et</strong>s précieux, le chef-d'œuvre <strong>de</strong> Fart.<br />

H appelle ; à sa voix son épouse est venue.<br />

« Malheureuse ! dit-il, le maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> nue<br />

Veut qu'au superbe Achille apportant <strong>de</strong>s trésors f<br />

De mon fils bien aimé je rachète le corps.<br />

Parle 1 6 ma chère épouse ! explique toi sans feinte.<br />

Pour moi, du camp <strong>de</strong>s Grecs je veux franchir l'enceinte ;<br />

C'est là Punique espoir qui reste à mes douleurs. »<br />

Hécube ainsi répond? les yeux baignés <strong>de</strong> pleurs :<br />

a Eh bien ! <strong>la</strong> voilà donc c<strong>et</strong>te sagesse austère<br />

Que célébrait ton peuple <strong>et</strong> qu'admirait <strong>la</strong> terre ?


5oa L'ILIADE.<br />

Quoi ! seul jusqu'aux vaisseaux tu porterais tes pas !<br />

Tu pourrais 9 sans terreur provoquant le trépas ?<br />

Affronter l'ennemi dont <strong>la</strong> valeur fatale<br />

Plongea tes fils nombreux dans <strong>la</strong> nuit sépulcrale !<br />

Va... ton cœur est <strong>de</strong> fer. Si le Destin jaloux<br />

Présente ta faiblesse aux traits <strong>de</strong> son courroux,<br />

Penses-tu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> homme, <strong>et</strong> cruel <strong>et</strong> perfi<strong>de</strong>,<br />

Désarmer par tes pleurs <strong>la</strong> vengeance homici<strong>de</strong>?<br />

Ah ! plutôt ? renfermés dans nos réduite secr<strong>et</strong>s,<br />

Donnons un libre cours à nos justes regr<strong>et</strong>s.<br />

Quand <strong>la</strong> Parque a d'Hector filé <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée 9<br />

Elle a voulu f bornant sa vie infortunée f<br />

Que, sous l'œil d'un barbare <strong>et</strong> loin <strong>de</strong> ses parens f<br />

Il servît <strong>de</strong> pâture aux dogues dévorans.<br />

Que ne puïs-je 9 éga<strong>la</strong>nt le supplice à l'outrage,<br />

Sur Achille immolé satisfaire ma rage,<br />

Avec mes propres mains lui déchirer le f<strong>la</strong>nc,<br />

Me nourrir <strong>de</strong> son cœur., m'abreuver <strong>de</strong> son sang?<br />

Hector, loin <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s terreurs infâmes,<br />

Mourut pour lesTroyens <strong>et</strong> pour leurs belles femmes.<br />

Sans le fuir, .sans le craindre f il reçut le trépas. »<br />

Mais le divin' Priam : « Non ; ne me r<strong>et</strong>iens pas.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o3<br />

Tu ne saurais, oiseau <strong>de</strong> sinistre présage.<br />

Dans mon sein paternel ébranler mon courage.<br />

Nous pourrions <strong>de</strong> mensonge accuser un <strong>de</strong>vin f<br />

Un prêtre ou tout mortel qui parlerait en vain ;•<br />

Mais puisque 9 du ciel même en ces lieux <strong>de</strong>scendue.<br />

Une divinité s'est offerte à ma vue,<br />

Je pars ; j'accomplirai son ordre souverain.<br />

Sur <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs aux cuirasses d'airain,<br />

D'Achille contre moi que le fer se déploie ;<br />

Menacé du trépas, j'y consens avec joie ,<br />

Quand j'aurai pu du moins pleurer <strong>sur</strong> mon Hector,<br />

L'embrasser <strong>et</strong> mourir en l'embrassant encor. ».<br />

Le vieil<strong>la</strong>rd dans le fond <strong>de</strong> ses coffres antiques.<br />

Choisissant avec-soin douze longues tuniques,<br />

En tire un nombre égal <strong>de</strong> tapis fastueux,<br />

De voiles parfumés , <strong>de</strong> manteaux somptueux /<br />

Deux trépieds éc<strong>la</strong>tons, quatre vases immenses,<br />

Dix talens d'or pesés dans les. <strong>la</strong>rges ba<strong>la</strong>nces,<br />

Et c<strong>et</strong>te coupe enfin que, noble ambassa<strong>de</strong>ur 9<br />

Il reçut dans <strong>la</strong> Tlirace au temps <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong>ur, .<br />

Pour rach<strong>et</strong>er d'un fils <strong>la</strong> dépouille mortelle ,<br />

Quels dons n'offrirait pas sa douleur paternelle !


5o4 L'ILIADE.<br />

Par ces mots outrageans le monarque a chassé<br />

Aux portes du pa<strong>la</strong>is le peuple ramasse i<br />

« Misérables, fuyez ! dans vos maisons désertes<br />

Que n'allezrvous gémir <strong>sur</strong> vos communes pertes ?<br />

Quand c<strong>et</strong> Hector, obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> tendresse <strong>et</strong> d'orgueil,<br />

Expire, venez-vous insulter à mon <strong>de</strong>uil ?<br />

Déchus <strong>de</strong> son appui, tremblez ! sa mort vous <strong>la</strong>isse<br />

Livrés aux coupa vengeurs <strong>de</strong>s enfans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Mes remparts ravagés... mon peuple dans les fers...<br />

Dieux ! plongez-moi plutôt dans <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s enfers. »<br />

Armé du sceptre, il frappe <strong>et</strong> par sa prompte fuite<br />

La foule, du vieil<strong>la</strong>rd évite <strong>la</strong> poursuite.<br />

Puis <strong>sur</strong> Dion, Paris ? Pammon, Hippothoûs ?<br />

Déïpliobe , Polite , Agathon, Héiénus,<br />

Il tourne sa colère <strong>et</strong> <strong>la</strong>nce <strong>la</strong> menace :<br />

« Enfans dégénérés, <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> ma race,<br />

Approchez ! plût au ciel que, juste en son courroux,<br />

La Grèce au lieu d 3 Hector vous eût immolés tous !<br />

Quel <strong>de</strong>uil 1 , quel désespoir succè<strong>de</strong>nt à ma joie I<br />

Pavais <strong>de</strong>s fils vail<strong>la</strong>ns dans c<strong>et</strong>te immense Trofe.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! j'ai vu tomber le généreux Mestorf<br />

L'intrépi<strong>de</strong> Troïle, Hector, <strong>sur</strong>tout Hector,


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5O5<br />

Ce mortel qui d'un Dieu semb<strong>la</strong>it offrir l'image...<br />

Précipites par Mars <strong>sur</strong> l'infernale p<strong>la</strong>ge,<br />

Les braves ont péri ; mais ils sont tons restés<br />

Ces Toleurs <strong>de</strong> troupeaux, ces menteurs détestés ?<br />

Qui 1 nourris dans les jeux 9 les danses <strong>et</strong> Fivresse,<br />

De mon peuple épuisé ravissent <strong>la</strong> richesse.<br />

Eh bien ! que tar<strong>de</strong>z-vous à préparer mes chars ?<br />

Hatez-vousl rassemblez tous ces trésors épars, »<br />

Il a parlé : ses fils , redoutant sa colère,<br />

S'empressent d'obéir à son ordre sévère.<br />

Lorsque, prêt à rouler pour <strong>la</strong> première fois f<br />

Le char, du <strong>la</strong>rge coffre a supporté le poids,<br />

Le joug dont <strong>la</strong> longueur t habilement polie 7<br />

D 1 un buis éblouissant étincelle embeEïe ,<br />

Fortement attaché par trois, liens égaux,<br />

Du soli<strong>de</strong> timon joint les <strong>de</strong>rniers anneaux.<br />

Par leurs soins dEïgens les: rênes étendues<br />

Sur le siège élevé sont bientôt suspendues.f<br />

Et du fond <strong>de</strong>s. pa<strong>la</strong>is,, pour le rachat. d'Hector ><br />

Us apportent les dons briHans <strong>de</strong> pourpre <strong>et</strong> d'or ;<br />

Leurs mainsf quand le beau char reçoit ces donsspkndi<strong>de</strong>sf<br />

Attellent les mul<strong>et</strong>s armés d'ongles soli<strong>de</strong>s,


5o6 L'ILIADE.<br />

Magnifique présent au monarque troyen<br />

Offert par Famitié du peuple mysïen.<br />

Enfin, les <strong>de</strong>ux coursiers ar<strong>de</strong>ns, infatigables,<br />

Que le vieil<strong>la</strong>rd nourrit dans ses riches étables,<br />

Sur les pas d ? un héraut dans <strong>la</strong> cour amenés,<br />

Au joug du second char s'accouplent enchaînés. ]<br />

Hécube <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong> crainte palpite ;<br />

Au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> Priam l'effroi <strong>la</strong> précipite,<br />

Et dans <strong>la</strong> coupe d'or, pour implorer le ciel,<br />

Epanchant un vin pur <strong>et</strong> doux comme le miel :<br />

«Tiens, ô mon cher époux ! consacre ce breuvage ;<br />

Si tu veux, malgré moi, marcher vers le rivage,<br />

Daigne au moins, en l'honneur du monarque éternel,<br />

Répandre <strong>de</strong> ce vin le tribut solennel j<br />

Dans le camp étranger si <strong>la</strong> mort te menace,<br />

D'un r<strong>et</strong>our sans péril sollicite <strong>la</strong> grâce.<br />

Que le grand Jupiter dont les vastes regards<br />

Des hauteurs <strong>de</strong> l'Ida p<strong>la</strong>nent <strong>sur</strong> nos remparts ,<br />

D'un signe protecteur réjouissant ta vue,<br />

A <strong>la</strong> droite <strong>de</strong>s cieux, du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>là nue<br />

Abaisse <strong>de</strong>vant toi Foiseau le plus aimé,<br />

L'aigle, <strong>de</strong> ses décr<strong>et</strong>s ministre accoutumé.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o7<br />

Si l'aigle t'apparaît, sous c<strong>et</strong> heureux auspice 1<br />

Entreprends sans terreur un voyage propice.<br />

Sinon, malgré ton zèle, ô mon époux, frémis!<br />

Et ne va point cliercber les vaisseaux ennemis. »<br />

« Femme ! je remplirai ce <strong>de</strong>voir vénérable,<br />

Répond le vieux Priam, aux Dieux mêmes semb<strong>la</strong>ble j<br />

Pour attendrir son cœur, tous les mortels pieux<br />

Doivent lever les mains vers le maître <strong>de</strong>s cieux. »<br />

A ces mots, du pa<strong>la</strong>is l'active <strong>sur</strong>veil<strong>la</strong>nte<br />

Avec le bassin d'or <strong>et</strong> l'aiguière bril<strong>la</strong>nte,<br />

S'approche <strong>de</strong> Priam, <strong>et</strong> quand du flot lustral<br />

A coulé <strong>sur</strong> ses doigts le limpi<strong>de</strong> cristal,<br />

En regardant le ciel, au milieu <strong>de</strong> l'enceinte,<br />

Le monarque <strong>de</strong>bout verse l'offran<strong>de</strong> sainte :<br />

« O Jupiter ! dit-ïl, ô le premier <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Qui règnes <strong>sur</strong> l'Ida puissant <strong>et</strong> glorieux,<br />

En faveur d'un vieil<strong>la</strong>rd daigne attendrir Achille.<br />

A <strong>la</strong> droite <strong>de</strong>s cieux, si, dans son vol agile,<br />

Ton grand aigle parcourt le séjour azuré,<br />

- Vers les Grecs belliqueux je marche ras<strong>sur</strong>é. »<br />

Tel le vieil<strong>la</strong>rd supplie, <strong>et</strong> le roi du tonnerre<br />

Par le signe imploré console sa misère.


5o8 L'ILIADE.<br />

L'aigle, infaiEible augure t intrépi<strong>de</strong> cliasseur,<br />

De son vaste plumage éta<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> noirceur,<br />

S'envole f <strong>et</strong> 7 ba<strong>la</strong>ncé <strong>sur</strong> lç faîte <strong>de</strong>s nues,<br />

Déploie avec orgueil ses ailes étendues 7<br />

Gomme le beau pa<strong>la</strong>is d'un mortel opulent<br />

Voit <strong>de</strong>ux portes d'airain s'écarter en rou<strong>la</strong>nt.<br />

Tandis que Faîgle altier p<strong>la</strong>ne au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Troie 7<br />

Tous les cœurs ont frémi d'espérance <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie.<br />

Bientôt le vieux Priam franchit les longs détours<br />

Du portique sonore <strong>et</strong> <strong>de</strong>s immenses cours.<br />

Tandis que par les soins du vénérable Idée<br />

Des mul<strong>et</strong>s au pied <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vitesse est guidée f<br />

Sur ses traces, Priam à travers <strong>la</strong> cité<br />

Pousse <strong>de</strong> ses chevaux l'essor précipité ;<br />

Il part ; à ses côtés <strong>la</strong> foule répandue 7<br />

Les yeux noyés <strong>de</strong> pleurs, l'accompagne éperdue ;<br />

On dirait qu'il s'é<strong>la</strong>nce au <strong>de</strong>vant du trépas.<br />

Lorsqu'enfin vers <strong>la</strong>i p<strong>la</strong>ine il dirige ses pas,<br />

Ses gendres <strong>et</strong> ses fils r<strong>et</strong>ournent dans Pergame<br />

Renfermer <strong>la</strong> douleur qui dévore leur âme.<br />

Alors, <strong>de</strong> ces héros contemp<strong>la</strong>nt le départ}<br />

Jupiter attendri prend pitié du vieiUajd ;


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5o9<br />

ïi s'adresse à Mercure : « O toi, Dieu secourable,<br />

Qui tends aux malheureux un appui favorable f<br />

E<strong>la</strong>nce-toi ; <strong>de</strong>s airs franchis l'immensité ;<br />

Gui<strong>de</strong> aux vaisseaux Priam par ta voix excité ,<br />

Et que, <strong>de</strong> tous les jeux trompant <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce,<br />

Jusqu'au fils <strong>de</strong> Pelée il parvienne en silence. »<br />

Le meurtrier d'Argus prend les <strong>de</strong>ux ailes d'or<br />

Qui 1 <strong>de</strong> ses pieds légers favorisant l'essor ,<br />

Ou <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre immense ou. <strong>sur</strong> l'humi<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ine ,<br />

Rivalisent <strong>de</strong>s vents l'impétueuse haleine.<br />

Tour à tour endormant , réveil<strong>la</strong>nt les humains ,<br />

La bagu<strong>et</strong>te s ? agite en ses puissantes mains ;<br />

Bientôt, impatient d'accomplir son message,<br />

Du rapi<strong>de</strong> HeEespont il touche le rivage f<br />

Descend aux champs troyens <strong>et</strong> marche sous les traits<br />

D'un jeune roi, bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> fraîcheur <strong>et</strong> d'attraits.<br />

Au grand tombeau d'Ilus, dans le courant du fleuve<br />

Le fougueux atte<strong>la</strong>ge <strong>et</strong> se plonge <strong>et</strong> s'abreuve;<br />

La nuit voile les cieux ; le héraut cependant<br />

A découvert Mercure, <strong>et</strong> plein d'un soin pru<strong>de</strong>nt :<br />

n O fils <strong>de</strong> Dardanus 1 consulte ta sagesse.<br />

Un ennemi s'avance ; ouï, le danger nous presse.


5id " L'ILIADE.<br />

SI pour nous immoler il marche contre nous?<br />

Viens ; fuyons} ou plutôt embrassons ses genoux* *<br />

L'immobile vieil<strong>la</strong>rd dont les membres frémissent^<br />

S 9 arréte ; <strong>sur</strong> son corps tous ses poils se hérissent j.<br />

Pour bannir <strong>de</strong> son cœur <strong>la</strong> crainte du péril,<br />

Mercure prend sa main : « 0 mon père! dit-il 7-<br />

Aux charmes du repos quand <strong>la</strong> terre livrée<br />

Goûte un sommeil profond durant <strong>la</strong> nuit sacrée 7«<br />

Où volent ces coursiers, ces mules <strong>et</strong> ces chars?<br />

Ne crains-tu pas les Grecs , errans <strong>de</strong> toutes parts i<br />

Les Grecs qui, respirant le meurtre <strong>et</strong> <strong>la</strong> rapine',-<br />

De ta patrie en <strong>de</strong>uil ont juré <strong>la</strong> ruine ?<br />

Si leurs yeux ennemis découvraient ces trésors,<br />

Gomment tromperais-tu leurs avi<strong>de</strong>s efforts ?<br />

Hé<strong>la</strong>s ! tu n'es plus jeune ; un seul vieil<strong>la</strong>rd f escorte ;'<br />

Si l'un <strong>de</strong>s Grecs paraît, c'est <strong>la</strong> mort qu'il t'apporte.. .•<br />

Mais je te défendrai ; je crois, à ton aspect,<br />

Revoir le père 1 obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> mon tendre respect. »<br />

Le monarque répond : « Mon fils ! un Dieu sans doute<br />

T'envoya <strong>sur</strong> ces bords pour protéger ma route.<br />

Je ne redoute rien, fort d'un pareil secours.<br />

La bonté, <strong>la</strong> sagesse inspirent tes discours.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5u<br />

Quel port majestueux ! <strong>sur</strong> ton front quelle' grâce !<br />

Heureux, heureux cent fois les auteurs <strong>de</strong> ta race! »<br />

« Oui, tu dis vrai ; les Dieux t'accor<strong>de</strong>nt leur soutien.<br />

Mais parle , <strong>et</strong> dans mon cœur daigne épancher le tien.<br />

Pour sauver ces trésors échappés à <strong>la</strong>* guerre,<br />

Deman<strong>de</strong>s-tu l'abri d'une p<strong>la</strong>ge étrangère 1<br />

Ou <strong>de</strong>s nombreux Troyens les bataillons épars<br />

Vont-ils fuir Dion <strong>et</strong> ses divins remparts,<br />

Depuis qu'Hector n'est plus , Hector dont le courage<br />

A nul d'entre les Grecs ne cédait l'avantage? »<br />

f Guerrier! qui donc es-tu ? <strong>de</strong> mon fils généreux<br />

Tu semblés déplorer les <strong>de</strong>stins malheureux. »<br />

« En me par<strong>la</strong>nt d'Hector, tu veux son<strong>de</strong>r mon âme.<br />

Eh bien ! je l'admirais, quand du fond <strong>de</strong> Pergame<br />

Je le voyais, terrible <strong>et</strong> le g<strong>la</strong>ive à <strong>la</strong> main,<br />

S'ouvrir jusqu'à <strong>la</strong> flotte un glorieux chemin.<br />

Oisif, je frémissais ; <strong>la</strong> colère d'Achille<br />

R<strong>et</strong>enait dans le camp ma valeur immobile.<br />

Sur le même vaisseau, <strong>de</strong> ces bords étrangers<br />

Je vins avec Achille affronter les dangers ;<br />

Entre les Myrmidons fameux par sa puissance,<br />

Le riche Polyctor me donna <strong>la</strong> naissance ;


5ia L'ILIADE*<br />

Accablé comme toi sous le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s anH^<br />

De <strong>la</strong> couche d'hymen il obtint sept enfans.<br />

Et pour suivre un héros, par le sort désignée,<br />

Ma valeur aborda c<strong>et</strong>te rive éloignée.<br />

Quand tu m'es apparu, d'un regard curieux<br />

Je venais en silence interroger ces lieux ; .<br />

Car les Grecs aux yeux noirs, <strong>de</strong>main, sonates murailles<br />

Vainqueurs, reporteront <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s batailles ;<br />

Le repos les indigne, <strong>et</strong> leurs rois vainement<br />

Tenteraient d'enchaîner leur noble empressement. »<br />

« Tu sers Achille, eh bien I parle-moi sans contrainte|<br />

Sur le sort <strong>de</strong> mon fils daigne éc<strong>la</strong>irer ma crainte*<br />

Est-il près <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte ? Achille a-t-il j<strong>et</strong>é<br />

A nos chiens dévorans son corps ensang<strong>la</strong>nté ? »<br />

€ Noble vieil<strong>la</strong>rd! d'Hector, couché sans^sépulture,<br />

Les dogues, les vautours n'ont point fait leur pâture.<br />

Le douzième soleil dans les airs a brillé<br />

Du jour où les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> son corps dépouillé<br />

Reposent, garantis <strong>de</strong> ces vers homici<strong>de</strong>s<br />

Qui dévorent <strong>de</strong> Mars les victimes livi<strong>de</strong>s.<br />

Achille, dès l'aurore, autour <strong>de</strong> ce tombeau<br />

Du cadavre ennemi traîne encor le far<strong>de</strong>au j


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5i5<br />

Vains efforts! Il ne peutj dans son aveugle rage 1<br />

Imprimer <strong>sur</strong> ces chairs le plus léger outrage. •<br />

Toi-même admirerais ce corps dont <strong>la</strong> b<strong>la</strong>ncheur<br />

Gar<strong>de</strong> tout son éc<strong>la</strong>t <strong>et</strong> toute sa fraîcheur §<br />

Le sang noir qu'épanchaient les nombreuses bles<strong>sur</strong>es^<br />

S'arrête enfin, tari dans ses sources impures 7<br />

Et les Dieux bienveil<strong>la</strong>ns 1 le chérissant toujours i<br />

A son cadavre même accor<strong>de</strong>nt leurs secours. »<br />

Il dit} pour un moment 1 une douce allégresse<br />

Dissipe du vieil<strong>la</strong>rd <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> tristesse.<br />

« O mon fils ! répond-41 j les présens <strong>de</strong>s mortels<br />

Ne chargent pas en vain les célestes autels.<br />

Hector, dans son pa<strong>la</strong>is} quand il vivait encore 1<br />

N'oubliait pas les Dieux que tout l'Olympe adore 7<br />

Et ces Dieux protecteurs, par un juste r<strong>et</strong>our ?<br />

Se souviennent d'Hector dans l'infernal séjour.<br />

Mais reçois, ô guerrier ! c<strong>et</strong>te coupe éc<strong>la</strong>tante.<br />

Conduis-moi près d'Achille? <strong>et</strong> marchons vers sa tente, »<br />

« Tu voudrais} ô vieil<strong>la</strong>rd! tenter mes jeunes ans.<br />

Moi, sans l'aveu d'Achille, accepter <strong>de</strong>s présens !<br />

Je respecte à <strong>la</strong> fois <strong>et</strong> redoute mon maître,<br />

Qui, lâchementtrompéf me punirait peut-être,<br />

33


54 L'ILIADE.<br />

Mais , dirigeant tes pas jusqu'à l'illustre Argos,<br />

Faut-il franchir <strong>la</strong> terre ou sillonner les flots?<br />

Ordonne : je suis prêt ; <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> ton gui<strong>de</strong><br />

Préservera tes jours d'une attaque homici<strong>de</strong>. »<br />

L'immortel, <strong>sur</strong> le char tout à coup s'é<strong>la</strong>nçant,<br />

Prend les rênes , saisit le fou<strong>et</strong> r<strong>et</strong>entissant,<br />

Souffle aux ar<strong>de</strong>ns coursiers une nouvelle audace,<br />

Des fossés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s tours franchit le vaste espace.<br />

Et vole jusqu'aux lieux où les premiers soldats ,<br />

Tranquilles, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit achevaient le repas.<br />

Là, d'un profond sommeil il charge leurs paupières.<br />

Et <strong>de</strong>s portes d'airain repousse les barrières 5 •<br />

A peine, dirigé par ses soins comp<strong>la</strong>isans,<br />

Le vieux Priam s'avance avec les beaux présens,<br />

Les chars sont parvenus 1 vers <strong>la</strong> tente d'Achille,<br />

Vers ce haut pavillon, impénétrable asyle,<br />

Qui, construit d'un sapin avec art façonné,<br />

Par un toit <strong>de</strong> roseaux s'élève couronné<br />

Et voit <strong>de</strong> pieux serrés un rempart inflexible<br />

Entourer <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour l'enceinte inaccessible.<br />

Une poutre soli<strong>de</strong> en interdit l'abord ;<br />

Le bras d'Achille seul l'emporte sans effort,


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5i5<br />

Et trois Grecs ont besoin <strong>de</strong> leur vigueor puissante'<br />

Pour lever ou baisser c<strong>et</strong>te masse pesante.<br />

Mercure ouvre là porte, introduit le héros ,<br />

S'é<strong>la</strong>nce loin du char, <strong>et</strong>' s'explique en ces mots :<br />

ce Priam ! je suis un Dieu ; vois le divin Mercure,<br />

Descendu <strong>de</strong> l'Olympe avec <strong>la</strong> nuit obscure ;<br />

Jupiter m'envoya pour te servir d'appui.<br />

J'ai rempli mon message <strong>et</strong> remonte vers lui.<br />

Les Dieux ne doivent pas <strong>sur</strong> <strong>la</strong> race mortelle<br />

Etendre ouvertement leur faveur solennelle.<br />

Je pars ; aux yeux d'Achille il faut me dérober.<br />

Toi , marche ; à ses genoux ne crains pas <strong>de</strong> tomber;<br />

Ne crains pas d'attester, pour fléchir sa colère,<br />

Sa mère aux beaux cheveux, son enfant <strong>et</strong> son père. »<br />

Dans FOlympé à grands pas le Dieu monte, <strong>et</strong> bientôt,<br />

Confiant les coursiers au fidèle héraut,<br />

Priam <strong>de</strong>scend du char , <strong>et</strong> marche d'un pas ferme<br />

Vers <strong>la</strong> tente d'AchiEe où son <strong>de</strong>uil se renferme,<br />

Où , loin <strong>de</strong> ce guerrier cher au maître <strong>de</strong>s cieux,<br />

Les soldats à l'écart restent silencieux.<br />

Deux nobles écuyers, Automédon , Alcime,<br />

Alcime, du - Dieu Mars rej<strong>et</strong>on magnanime,<br />

33. "


5i6 L'ILIADE*<br />

L'entourent , <strong>et</strong> servi par leur soin empressa,<br />

11 achève un banqu<strong>et</strong> à peine commencé ;<br />

Du <strong>de</strong>rnier appareil dont leur main <strong>la</strong> décore<br />

La table <strong>de</strong>s festins paraît chargée encore ,<br />

Lorsque le grand Priam, trompant leurs yeux jaloux,<br />

S'approche du héros , se j<strong>et</strong>te à ses genoux ,<br />

Et baise c<strong>et</strong>te main terrible f meurtrière ,<br />

Qui <strong>de</strong> ses fils nombreux a borné <strong>la</strong> carrière.<br />

Quand le pâle assasin par un arrêt fatal<br />

Condamné pour jamais à fuir le sol natal ,<br />

Dans un riche pa<strong>la</strong>is vient chercher un asyle ,<br />

D entre <strong>et</strong> voit frémir rassemblée immobile :<br />

Tels, portant l'un <strong>sur</strong> l'autre un rapi<strong>de</strong> regard,<br />

Les compagnons d'Achille , à Faspèct du'vieil<strong>la</strong>rd.<br />

S'étonnent; le héros admire aussi lui-même<br />

De son port, <strong>de</strong> ses traits <strong>la</strong> majesté suprême.<br />

Alors Priam supplie un vainqueur odieux :<br />

« Souviens-toi <strong>de</strong> ton père , Achille égal aux Dieux!<br />

Ton père est <strong>de</strong> mon âge , hé<strong>la</strong>s ! <strong>et</strong> sa faiblesse<br />

Se traîne vers le seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong> triste vieillesse.<br />

Peut-être en ce moment, sans vengeur', sans appui,<br />

D combat <strong>de</strong>s voisins conjurés contre lui j


CHANT VINGT^QUATRIÈME. S17<br />

Si le g<strong>la</strong>ive ennemi désole son empire ,<br />

Seul, mais instruit du moins qu'Achille encor respïrCj<br />

H jouit dans son cœur 9 espérant chaque Jour<br />

De son fils bïen-aïmé le 'fortuné r<strong>et</strong>our ;<br />

Et moi 9 lorsque j'ai vu <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong>- <strong>la</strong> Grèce<br />

Abor<strong>de</strong>r dans nos porta <strong>la</strong> flotte vengeresse,<br />

J'avais cinquante fils , cinquante I ô malheureux !<br />

Je crois avoir perdu tous ces fils généreux.<br />

Dix-neuf au même-sein ont puisé <strong>la</strong> naissance;<br />

Lés femmes qu'à mon lit soum<strong>et</strong>tait ma puissance,<br />

Ont enfanté le reste, <strong>et</strong> Mars dans son courroux<br />

Déjà du plus grand nombre a brisé les genoux.<br />

Un seul encor, un seul, vengeur <strong>de</strong> sa patrie ,<br />

"Vient <strong>de</strong> mourir pour nous 7 vaincu par-ta furie ,<br />

Hector !... maïs un espoir me- conduit <strong>sur</strong> ces bords ;<br />

En échange d'un fil» prends mes vastes trésors.<br />

Daigne apaiser ta haine <strong>et</strong> p<strong>la</strong>indre ma misère;<br />

Achille ! crains les Dreux ; souviens-toi <strong>de</strong> ton père.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! plus malheureux f je fais ce qu'avant moi*<br />

Jamais aucun mortel n'eût tenté sans effroi.<br />

Du meurtrier d'un fils que ma douleur implore,<br />

Ma bouche ose presser <strong>la</strong> main sang<strong>la</strong>nte encore, »


5i8 L'ILIADE.<br />

Achille 9 au souvenir <strong>de</strong> son père chéri 9<br />

Repousse faiblement le vieil<strong>la</strong>rd attendri ;<br />

Us confon<strong>de</strong>nt tous <strong>de</strong>ux leur p<strong>la</strong>itfte involontaire,<br />

Et tandis que Priam, prosterné <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre!<br />

Pleure le brave Hector f Achille désolé<br />

Pleure Pelée absent <strong>et</strong> Patrocle immolé.<br />

Enfin j le fils <strong>de</strong>s Dieux f rassasié <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes ,<br />

Se lève f <strong>et</strong> du vieil<strong>la</strong>rd pour bannir les a<strong>la</strong>rmes 7<br />

Lui tend <strong>la</strong> main <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un regard douloureux<br />

Sur c<strong>et</strong>te barbe b<strong>la</strong>nche <strong>et</strong> <strong>sur</strong> ces b<strong>la</strong>ncs cheveux :<br />

< Infortuné ! quels, maux endura ton courage !<br />

Gomiiient , jusqu'en ces lieux te frayant un passage,<br />

Yiens-tu f seul f implorer ce mortel dont le bras<br />

Te ravit tant <strong>de</strong> fils fameux dans les combats?<br />

Oui, ton cœur est <strong>de</strong> fer... Mais assieds-toi ; comprime<br />

L'excès d'une douleur, hé<strong>la</strong>s ! trop légitime.<br />

Pourquoi toujours gémir ? Tel est l'arrêt <strong>de</strong>s Dieux :<br />

La souffrance pour nous , <strong>et</strong> le bonheur pour eux.<br />

Sur le seuil habité par le roi du tonnerre<br />

Reposent <strong>de</strong>ux tonneaux qui , penchée vers <strong>la</strong> terre.<br />

Nous versent tour à tour ou le bien ou le mal ;<br />

Quand <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux tributs le partage est égal ,


CHANT VINGT-QUATRIEME. 5ig<br />

Notre sort à <strong>la</strong> fois est propice <strong>et</strong> fun'este ;<br />

Le malheureux! déchu <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté céleste 7<br />

Sur <strong>la</strong> terre fécon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> faim condamné 9<br />

Dans l'opprobre <strong>et</strong> l'exil <strong>la</strong>nguit abandonné^<br />

Et, promenant partout son errante- misère7<br />

Des hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Dieux éprouve <strong>la</strong> colère.<br />

Ainsi, <strong>de</strong>s le berceau 7 comblé <strong>de</strong> tous les dons. f<br />

Mon père commandait aux nombreux Myrmîdons ;<br />

H bril<strong>la</strong>it en gran<strong>de</strong>ur, en pouvoir, en richesse y<br />

Et mortel 7 il reçut <strong>la</strong> foi d'une Déesse.<br />

Mais Jupiter permit qu'il connut les revers.<br />

H gémit sans enfans dans ses foyers déserts;<br />

Seul espoir <strong>de</strong> sa race 7 hé<strong>la</strong>s ! <strong>sur</strong> c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ge 7<br />

Je périrai bientôt à <strong>la</strong> fleor <strong>de</strong> mon âge 7<br />

Et je ne peux encore au. déclin db ses ans.<br />

Prodiguer le secours <strong>de</strong> mes soins conso<strong>la</strong>ns ;<br />

Loin <strong>de</strong>s champs paternels 7 ma valeur meurtrière-<br />

Désolera Priam <strong>et</strong> sa famille entière. ' v<br />

Quel prince était jadis plus fortuné que toi ?<br />

Le Midi, l'Orient t'ont vu dicter <strong>la</strong> loi<br />

A Lesbos 7 que Macare autrefois a régie ,<br />

A l'immense HellespontT à <strong>la</strong> riche Phrygïe.,


5ao • L'ILIADE.<br />

Roi d'états iorissans f • père d'enfans nombreux ,<br />

Parmi tous les mortels on te nommait heureux,<br />

Et les Dieux ennemis jusque sous tes muraille» •<br />

Ont traîné les combats f le <strong>de</strong>uil , les funérailles.<br />

Vieil<strong>la</strong>rd! sois-patient ; supporte tes douleurs.<br />

Vainement <strong>sur</strong> Hector tes yeux versent <strong>de</strong>s pleurs ;<br />

Tu ne peux <strong>de</strong> ton fils ranimer l'existence.<br />

Pour <strong>de</strong> nouveaux malheurs réserve ta constance.' ><br />

Mais le divin Priam : ci O nourrisson <strong>de</strong>s Dieux !<br />

Je ne veux pas m'asseoir, tant que loin <strong>de</strong> mes yeux<br />

Hector, mon cher Hector^ <strong>sur</strong> une couche impure f<br />

Bestera dans ton 'camp privé <strong>de</strong> sépulture.<br />

Accepte mes présens, <strong>et</strong> souffre qu'à prix d'or<br />

J'achète le bonheur <strong>de</strong> 1© revoir encor.<br />

Puisses-tu, r<strong>et</strong>ournant au paternel rivage f<br />

Emporter <strong>la</strong> rançon digno <strong>de</strong> ton courage f<br />

O toi, qui m'accordas le bienfait précieux<br />

De contempler toujouis <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong>s cieux ! 9<br />

Achille <strong>sur</strong> Priam j<strong>et</strong>te un regard sévère :<br />

« Vieil<strong>la</strong>rd! n'irrite plus ma terrible colère.<br />

Je dois te rendre Hector ; Jupiter m'a dicté t<br />

Par <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Thétis, c<strong>et</strong> ordre respecté,


CHANT ,VINGT-QUATRIÈME. 5ai<br />

Je sais, Priam ! je sais qu'aux vaisseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> -Grèce<br />

Un Dieu même a pris soin <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r ta vieillesse.<br />

Jamais, fut-il encore à <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> ses ans.<br />

Trompant <strong>de</strong> mes soldats les regards vigi<strong>la</strong>ns,<br />

Un mortel n ? eût osé , parmi tant <strong>de</strong> cohortes f<br />

Franchir c<strong>et</strong>te barrière <strong>et</strong> soulever- nos portes.<br />

Gar<strong>de</strong>-toi dans mon cœur d'éveiller, mon courroux ;<br />

Je te vois vainement embrasser mes genoux.<br />

Crains quef <strong>de</strong> Jupiter méprisant <strong>la</strong> menace 7<br />

De mon 'camp sans r<strong>et</strong>our ma fureur ne te chasse. »<br />

A ces mots? le vieil<strong>la</strong>rd se trouble, <strong>et</strong> loin <strong>de</strong> lui,<br />

Tel qu'un fougueux lion ? Achille s'est enfui.<br />

Le noble Automédon <strong>et</strong> le fidèle Alcïme,<br />

Qu'entre tous ses amis honore son estime,<br />

Accompagnent Achille! <strong>et</strong> ces <strong>de</strong>ux éeuyers^<br />

Affranchissant du joug les mules 7 les coursiers,<br />

Vers un siège bril<strong>la</strong>nt conduisent sous <strong>la</strong> tente<br />

Le vénérable Idée à <strong>la</strong> voix éc<strong>la</strong>tante ;<br />

Puïs? enlevant au char ces vastes monceaux d'or 7<br />

C<strong>et</strong>te immense rançon <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête d'Hector,<br />

Pour couvrir ses débris, <strong>sur</strong> le char magnifique<br />

Ils <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>ux manteaux, une riche tunique.


5»» L'ILIADE.<br />

Achille a commandé ; <strong>sur</strong> le corps du héros<br />

L'huile <strong>et</strong> les doux parfums s'épanchent à grands flots ;<br />

Les femmes, l'emportant loin <strong>de</strong>s regards d'un père,<br />

Remplissent en secr<strong>et</strong> ce pieux ministère.<br />

Le noble Achille a peur qu'un vieil<strong>la</strong>rd malheureux<br />

Ne s'indigne, irrité d'un aspect douloureux,<br />

Et que , <strong>de</strong> Jupiter bravant l'ordre suprême,<br />

Soudain contre ses jours il ne s'arme lui-même.<br />

Quand , revêtu <strong>de</strong> lin, <strong>de</strong> parfums abreuvé,<br />

Sur le char par ses soins le corps est élevé f<br />

Il appelle Patrocle, <strong>et</strong> d'une voix p<strong>la</strong>intive :<br />

« Pardonne, ô mon ami ! <strong>sur</strong> l'infernale rive ;<br />

Pardonne, si, d'un père acceptant les trésors,<br />

D'Hector à sa douleur j'ai dû rendre le corps.<br />

La rançon que j'obtiens suffit à ma colère,<br />

Et je gar<strong>de</strong> à ton ombre une part du sa<strong>la</strong>ire. »<br />

A peine il a parlé, le héros, sans r<strong>et</strong>ard,<br />

Rentre dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure où l'attend le vieil<strong>la</strong>rd ;<br />

Vers son siège élégant, impatient, il vole,<br />

Et, regardant Priam , en ces mots le console :<br />

« Tes vœux sont accomplis, <strong>et</strong> ton fils t'est rendu j<br />

Sur le lit funéraire il repose étendu.


.CHANT VINGT-QUATRIEME. 5a3<br />

Demain^ tes yeux pourront Finon<strong>de</strong>r <strong>de</strong> leurs<strong>la</strong>rmes ;<br />

Maintenant 7 <strong>de</strong>s festins goûte avec moi les charmes-<br />

La belle Niobé? dans un pareil malheur $<br />

Au milieu <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s oublia sa douleur,<br />

Quand elle vit <strong>la</strong> mort ravir à sa tendresse<br />

Six vierges <strong>et</strong> six fils, iorissans <strong>de</strong> jeunesse.<br />

Niobé se vantait avec témérité<br />

De <strong>sur</strong>passer Latone eu sa fécondité ;<br />

Mais <strong>de</strong>ux vengeurs, armés <strong>de</strong> flèches homici<strong>de</strong>s,<br />

Phébus à l'arc d'argent, Diane aux traits rapi<strong>de</strong>s,<br />

Contre ses douze enfans déchaînant leur courroux ?<br />

Dans sa propre maison les immolèrent tous ?<br />

Et neuf jours 9 sans tombeau, ces victimes g<strong>la</strong>cées<br />

Dans leur sang confondu nagèrent entassées ;<br />

Jupiter, défendant aux peuples d'approcher ?<br />

Semb<strong>la</strong>it donner à tous une âme <strong>de</strong> rocher.<br />

Enfin, les habitons <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures célestes<br />

Vinrent dans le cercueil ensevelir leurs restes,<br />

Et 5 <strong>de</strong> son désespoir interrompant le cours}<br />

Wmbê <strong>de</strong>s banqu<strong>et</strong>s accepta le secours.<br />

Parmi <strong>de</strong>s rocs déserts, au faîte du Sipyle,<br />

Où les Nymphes , dit-on, choisissent un asyle >


5»4 L'ILIADE.<br />

Lorsque leurs pas , réglés par <strong>de</strong> bruyans accords^<br />

Du fleuve Aehélous viennent fouler les bords 7<br />

C<strong>et</strong>te mère p<strong>la</strong>intive, en pierre transformée,<br />

Pour pleurer <strong>et</strong> souffrir semble encore animée.<br />

Divin vieil<strong>la</strong>rd ! comme elle oublions nos <strong>de</strong>stins,<br />

En nous livrant tous <strong>de</strong>ux aux p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong>s festins j<br />

Hïon te verra <strong>de</strong> tes <strong>la</strong>rmes amères<br />

Inon<strong>de</strong>r à loisir ces dépouilles si chères. »<br />

A ces mots? il se lève, <strong>et</strong>, d f un bras diligent7<br />

Immole une brebis b<strong>la</strong>nche comme F argent ;<br />

Ses amis , détachant <strong>la</strong> toison éc<strong>la</strong>tante,<br />

Etalent les <strong>la</strong>mbeaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair palpitante 7<br />

Et par le fer <strong>de</strong>s dards ces <strong>la</strong>mbeaux suspendus<br />

Sur le vaste foyer rougissent étendus.<br />

Les corbeilles} <strong>de</strong> Fart ingénieux ouvrage,<br />

Font circuler les pains qu'Automédon partage.<br />

Quand <strong>sur</strong> les m<strong>et</strong>s servis tous étendant <strong>la</strong> main f<br />

Ont étanché leur soif 7 ont apaisé leur faim,<br />

Prïam admire Achille, • <strong>et</strong> j<strong>et</strong>te un œil avi<strong>de</strong><br />

Sur ce front où <strong>de</strong>s Dieux <strong>la</strong> majesté rési<strong>de</strong> ;<br />

Le héros à son tour admire le vieil<strong>la</strong>rd,<br />

Sa profon<strong>de</strong> sagesse <strong>et</strong> son noble regard ;


CHANT YINGT-QUATRIÊME. 5^5 •<br />

L'un <strong>sur</strong> l'autre long-temps ils attachent leur vue<br />

Et d'un égal p<strong>la</strong>isir leur gran<strong>de</strong> âme est émue.<br />

Prïam enfin s'écrie : « 0 rej<strong>et</strong>on <strong>de</strong>s Dieux !<br />

Laisse-nous savourer un sommeil précieux.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! <strong>de</strong>puis le jour où ta <strong>la</strong>nce guerrière<br />

A mon fils malheureux arracha <strong>la</strong> lumière,<br />

Le doux sommeil encor n'a point fermé mon œil ;<br />

Le front souillé <strong>de</strong> cendre <strong>et</strong> flétri par le <strong>de</strong>uil,<br />

Dévorant mes douleurs t me rou<strong>la</strong>nt <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre 7<br />

Dans l'enceinte <strong>de</strong>s cours j'ai <strong>la</strong>ngui solitaire ;<br />

Ma lèvre <strong>de</strong>sséchée aujourd'hui seulement<br />

A goûté ce vin noir <strong>et</strong> pris c<strong>et</strong> aliment. »<br />

De nombreux serviteurs une troupe docile,<br />

Pour apprêter <strong>de</strong>ux lits, court à <strong>la</strong> voix d'Achille ;<br />

Les captives 7 portant d'étince<strong>la</strong>ns f<strong>la</strong>mbeaux-,<br />

S'avancent sans dé<strong>la</strong>is, <strong>et</strong> les riches manteaux,<br />

Les tapis ondoyans, les moelleuses tuniques<br />

S'éten<strong>de</strong>nt à longs plis sous les vastes portiques.<br />

Mais le cœur du héros se déguise avec art : '<br />

« Couche hors <strong>de</strong> ma tente, ô-généreux vieil<strong>la</strong>rd !<br />

Nuit <strong>et</strong> jour, <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s conçus par leur pru<strong>de</strong>nce<br />

Nos princes dans' mon sein versent <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>nce j


5*6 L'ILIADE.<br />

Peut-être ils'te verraient; peut-être Agamemnon<br />

Gar<strong>de</strong>rait à <strong>la</strong> fois Hector <strong>et</strong> sa rançon.<br />

Parle ! combien <strong>de</strong> jours veulent lés funérailles ?<br />

Mon ordre suspendra <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s batailles. »<br />

« Si je peux à mon fils élever un tombeau 7<br />

Tu combleras mes vœux par ce bienfait nouveau.<br />

Mais Feffroi dans nos murs tient le peuple immobile ;<br />

' Un grand traj<strong>et</strong> sépare <strong>et</strong> nos bois <strong>et</strong> <strong>la</strong> ville.<br />

Qu'après neuf jours <strong>de</strong> pleurs, le dixième soleil<br />

Du funèbre banqu<strong>et</strong> contemple l'appareil ;<br />

Une tombe 7 dressée à <strong>la</strong> onzième aurore,<br />

Recevra le héros que Pergame déplore. '<br />

Alors ? si du Destin tel est l'ordre fatal 9<br />

Nous pourrons <strong>de</strong>s combats redonner le signal. »<br />

« Eh bien ! oui , j'y consens ; je veux te satisfaire ;<br />

Priam ! en ta faveur je suspendrai <strong>la</strong> guerre, »<br />

Achille, du vieil<strong>la</strong>rd dissipant tout l'effroi f<br />

Lui saisit <strong>la</strong> main droite en gage <strong>de</strong> sa foi.<br />

Tandis que le monarque <strong>et</strong> son héraut s'empressent<br />

De marcher vers <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où leurs couches se dressent,<br />

Briséïs suit Achille, <strong>et</strong> <strong>la</strong> jeune beauté<br />

Dans un réduit secr<strong>et</strong> repose à son côté.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 527<br />

Les Dieux <strong>et</strong> les guerriers t durant <strong>la</strong> nuit entière ,<br />

Laissent le doux sommeil enchaîner leur paupière;<br />

Mercure dans son cœur médite le moyen<br />

D'écarter <strong>de</strong>s vaisseaux le monarque troyen ,<br />

En abusant les yeux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gar<strong>de</strong> sainte<br />

Qui j près du camp postée, en protège l'enceinte.<br />

Incliné <strong>sur</strong> sa tête 7 il l'éveille en ces mots :<br />

« O vieil<strong>la</strong>rd ! loin <strong>de</strong> toi ce perfi<strong>de</strong> repos !<br />

Le péril t'environne <strong>et</strong>, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> foi d'Achille ,<br />

Entouré d'ennemis, tu sommeilles tranquille I<br />

Sans doute tu livras d'innombrables trésors ;<br />

Mais si le chef <strong>de</strong>s Grecs te trouvait <strong>sur</strong> ces bords,<br />

Pour t'arracher vivant à ses mains vengeresses 9<br />

Tes fils auraient besoin <strong>de</strong> tripler leurs <strong>la</strong>rgesses. »<br />

Le monarque tremb<strong>la</strong>nt réveille son héraut;<br />

Par Mercure attelé, le char vole <strong>et</strong> bientôt,<br />

Par;mî les rangs épais <strong>de</strong> l'armée étrangère,<br />

Franchit le vaste camp dans sa fuite légère ;<br />

Ce fleuve sinueux, <strong>de</strong> Jupiter issu,<br />

Le Xanthe aux flots profonds <strong>sur</strong> ses bords Fa reçu.<br />

Là j Mercure , emporté par ses rapi<strong>de</strong>s ailes 7<br />

Regagne le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s voûtes éternelles,


5^8 L f ILtADË.<br />

Au moment où l'Aurore , éc<strong>la</strong>irant Funivers,<br />

De son voile <strong>de</strong> pourpre enveloppait les airs.<br />

Cependant les vieil<strong>la</strong>rds s'avançaient vers Pergame<br />

Et <strong>de</strong> fréquens soupirs s'exha<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> leur ftrne,<br />

Tandis que <strong>sur</strong> leurs pas les mul<strong>et</strong>s aux pieds sûrs<br />

Conduisaient le cadavre <strong>et</strong> s'approchaient <strong>de</strong>s murs.<br />

A <strong>la</strong> blon<strong>de</strong> Vénus une femme pareille,<br />

Cassandre, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tour où sa tendresse veille,<br />

La première, <strong>de</strong> loin découvre au même instant<br />

Son vieux père <strong>de</strong>bout dans le char éc<strong>la</strong>tant,<br />

Le héraut dont <strong>la</strong> voix dans Pergame est célèbre,<br />

Et le corps étendu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> couche funèbre.<br />

Tout Dion frémit du bruit <strong>de</strong> ses sanglots :<br />

ce Troyennes <strong>et</strong> Troyens ! le voici ce héros,<br />

C<strong>et</strong> Hector qui, jadis, plein <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> gloire,<br />

Dans nos joyeux remparts ramenait <strong>la</strong> victoire.<br />

Accourez !» A sa voix, les femmes, les soldats<br />

Hors <strong>de</strong>s murs en tremb<strong>la</strong>nt précipitent leurs pas.<br />

Précédant vers le char une foule innombrable,<br />

La veuve du héros 7 sa mère vénérable<br />

S'arrachent les cheveux, <strong>et</strong> d'un époux f d'un fils<br />

Touchent <strong>la</strong> tête pâle <strong>et</strong> les sang<strong>la</strong>ns débris.


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 5a9<br />

Autour d'elles f le peuple , à <strong>la</strong> douleur "en .proie,<br />

Jusqu'au soleil couchant 7 sous les portes <strong>de</strong> Troie ?<br />

Des Kgules <strong>de</strong> Priam eût arrête l'essor,<br />

Et baigné <strong>de</strong> ses pleurs le cadavre d'Hector ;<br />

Mais du haut <strong>de</strong> son char le monarque s'écrie :<br />

« Troyens ! quand <strong>de</strong> mon fils <strong>la</strong> dépouille chérie<br />

Rentrera dans nos murs, autour <strong>de</strong> son cercueil<br />

On verra sans contrainte éc<strong>la</strong>ter votre <strong>de</strong>uil.<br />

R<strong>et</strong>irez-vous. » La foule, à c<strong>et</strong> ordre docile ?<br />

Au char} en s*éeartant ? <strong>la</strong>isse un chemin facile $<br />

Le char entre les flots du peuple divisé<br />

Passe : quand <strong>sur</strong> un lit le cadavre est posé,<br />

L'hymne <strong>de</strong> mort, formant une-funèbre p<strong>la</strong>inte , .<br />

Des pa<strong>la</strong>is dHion fait r<strong>et</strong>entir l'enceinte ;<br />

Lorsqu'aux sons ca<strong>de</strong>ncés <strong>de</strong>s chanteurs gémissans<br />

Les femmes ont uni leurs douloureux accens f<br />

Pour ouvrir par son <strong>de</strong>uil c<strong>et</strong>te lugubre fête 7<br />

Du héros dans ses mains pressant <strong>la</strong> noble tête f<br />

Ândrotë&jSs: s'écrie :. « O cher époux ! <strong>la</strong> mort<br />

A <strong>la</strong> fleur v <strong>de</strong>)-tes'àhs& terminé ton sort.<br />

Dans nos pa<strong>la</strong>is déserts <strong>de</strong>stinée au veuvage ,<br />

La misèrç <strong>et</strong> le&kjkurs ? voilà mon héritage I<br />

• iï^ vi /' : ~ a,


53o L f ILIADE.<br />

Ce gage infortuné <strong>de</strong> nos tristes amours 1<br />

Ce fils, je vais le perdre au matin <strong>de</strong> ses jours.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! toi seul étais, dans nos <strong>de</strong>stins prospères ,<br />

Le soutien <strong>de</strong>s enfans <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs chastes mères.<br />

Mais tu péris... bientôt, vaincu <strong>de</strong> toutes parts,<br />

Ilion tombera du haut <strong>de</strong> ses remparts.<br />

Aux douleurs 7 à l'opprobre 9 à l'exil condamnées ?<br />

Sur les profonds vaisseaux nous seront entraînées ;<br />

Tu m'y suivras , mon fils ! tes vainqueurs inhumains<br />

-A <strong>de</strong> honteux emplois exerceront tes mains ;<br />

Peut-être , dans ton sang leur fureur assouvie<br />

Du somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tour te j<strong>et</strong>tera sans vie 9<br />

Et ta mort vengera les mânes outragés<br />

Des frères ou <strong>de</strong>s fils par Hector égorgés ;<br />

Car ^ terrible au combat, ton invincible père<br />

A <strong>de</strong> nombreux guerriers fit mordre <strong>la</strong> poussière.<br />

Dans un <strong>de</strong>uil éternel il plonge les Trojens.<br />

Mais Hector ! quels regr<strong>et</strong>s égaleront les miens ?<br />

Sur ta couche <strong>de</strong> mort, d'une main défail<strong>la</strong>nte<br />

Tu ne m'as point cherchée, <strong>et</strong> ta lèvre tremb<strong>la</strong>nte<br />

Ne m'a point dit, hé<strong>la</strong>s ! ces paroles d'amour,<br />

Dont ta fidèle épouse , <strong>et</strong> <strong>la</strong> nuit <strong>et</strong> le jour,


CHANT VINGÎ-QUATEIÈME.- 53i<br />

Dans ses malheurs du moins éprouvant quelques charmes,<br />

Se souviendrait sans cesse en répandant <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. »•<br />

Ainsi <strong>de</strong> sa douleur les airs r<strong>et</strong>entissaient<br />

Et ses femmes près d'elle en pleurant gémissaient.<br />

Hécube alors s'approche ; inconso<strong>la</strong>ble mère ,<br />

Hécube à leurs regr<strong>et</strong>s unit sa p<strong>la</strong>inte amère :<br />

« Hector ! <strong>de</strong> mes enfans ô le plus cher pour moi 1-<br />

Ces Dieux dont <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong>scend toujours <strong>sur</strong> toi, •<br />

Ont protégé ta vie , <strong>et</strong>, vengeant ta mémoire-,<br />

Jusque dans ton trépas ils respectent ta gloire.<br />

Pour gémir sous les fers, dans Imbros, dans Samos, "<br />

Sur les sauvages bords <strong>de</strong> l'ari<strong>de</strong> Lemnos ,<br />

Mes autres fils, vendus par le fougueux Achille ,<br />

Captifs , ont sans r<strong>et</strong>our franchi <strong>la</strong> mer stérile.<br />

Mais toi, comme un héros, tu reçus le trépas.<br />

Sans ranimer Patrocle immolé par ton bras,<br />

Autour <strong>de</strong> son tombeau, dans sa rage inhumaine ,<br />

Un vainqueur sans pitié te traîna <strong>sur</strong> l'arène.<br />

Pourtant dans ce pa<strong>la</strong>is ton cadavre apporté<br />

Conserve sa fraîcheur, <strong>et</strong> gar<strong>de</strong> sa beauté ;<br />

On dirait qu'Apollon, t'enlevant <strong>la</strong> lumière,<br />

De ses traits les plus doux a touché ta paupière. »<br />

34.


53a L'ILIADE.<br />

Ainsi pleurait Hécube ; un <strong>de</strong>uil universel<br />

Répond aux cris p<strong>la</strong>intifs <strong>de</strong> son cœur maternel.<br />

Au cadavre d'Hector Hélène enfin s'adresse :<br />

« Hector ! toi qui d'un frère eus pour moi-<strong>la</strong> tendresse,<br />

Que n'ai-je pu mourir, avant le jour fatal<br />

Où, loin <strong>de</strong>s bords chéris <strong>de</strong> mon pays natal,<br />

Paris, semb<strong>la</strong>ble aux Dieux, vers fhymen <strong>et</strong>le crime<br />

Entraîna dans ces murs sa crédule victime !<br />

Depuis vingt ans, jamais mon orgueil n'a gémi<br />

Sous le poids flétrissant <strong>de</strong> ton blâme ennemi.<br />

Dans nos pa<strong>la</strong>is (Priam <strong>de</strong>vint mon second père)<br />

Quand tes sœurs au beau voile , ou ton auguste mère<br />

M'adressaient <strong>de</strong>vant toi leurs reproches jaloux,<br />

Ta voix douce <strong>et</strong> propice apaisait leur courroux.<br />

Je pleure <strong>sur</strong> ton sort; je pleure spr moi-même.<br />

Il n'est plus un Troyen qui me p<strong>la</strong>igne ou qui m'aime j<br />

Mon seul aspect, du peuple irritant <strong>la</strong> fureur ,<br />

Dans l'immense Ilïon le fait frémir d'horreur. »<br />

Hélène gémissait , <strong>et</strong> <strong>la</strong> foule assemblée<br />

Mê<strong>la</strong>it à ces accens sa p<strong>la</strong>inte redoublée,<br />

Lorsque Priam : « Troyens ! courez vers nos forêts,<br />

Sans redouter les Grecs ni leurs pièges secr<strong>et</strong>s ;


CHANT VINGT-QUATRIÈME. 533<br />

Car <strong>sur</strong> ses noirs vaisseaux Achille oisif encore<br />

Attendra le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>la</strong> douzième aurore. »<br />

Il comman<strong>de</strong> ; on s'empresse <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant les remparts<br />

Les mules 7 les taureaux traînent les vastes chars ;<br />

Le bois ? durant neuf joursf s'amasse^ <strong>et</strong> lorsqu'au inon<strong>de</strong><br />

Le dixième soleil rend sa c<strong>la</strong>rté fécon<strong>de</strong>,<br />

Les Troyens, en pleurant le héros valeureux ,<br />

Apportent ses débris qu'ils j<strong>et</strong>ent dans les feux.<br />

L'Olympe a vu briller l'Aurore aux doigts <strong>de</strong> rose ;<br />

Près du foyer brû<strong>la</strong>nt où le guerrier repose,<br />

Ils s'assemblent ; leurs mains du bûcher tout entier<br />

Dans les flots d'un vin noir éteignent le brasier.<br />

Ses frères 7 ses amïs? regr<strong>et</strong>tant son courage,<br />

Gémissent^ <strong>et</strong> les pleurs ont baigné leur visage;<br />

Leur soin religieux au fond <strong>de</strong> Punie d'or<br />

Des ossemens b<strong>la</strong>nchis recueille le trésor ;<br />

La pourpre aux doux replis l'enveloppe ; <strong>la</strong> terre<br />

En reçoit dans ses f<strong>la</strong>ncs le dépôt funéraire,<br />

Et 5 quand <strong>de</strong> rocs épais un rempart l'a scellé,<br />

Le tertre du tombeau s'élève amoncelé.<br />

Là j tandis que <strong>de</strong>s Grecs aux chaus<strong>sur</strong>es bril<strong>la</strong>ntes<br />

Les gar<strong>de</strong>s redoutant les attaques vail<strong>la</strong>ntes ,


534 L'ILIADE.<br />

Veillent <strong>de</strong> toutes parts, loin du cercueil pieux ?<br />

Dociles à Priai» ? ce nourrisson <strong>de</strong>s Dieux 1<br />

Le peuple <strong>et</strong> les guerriers cjue son pa<strong>la</strong>is rassemble 7<br />

Au- banqu<strong>et</strong> solennel vont assister ensemble.<br />

. Ainsi tous les Troyens pleuraient dans leurs foyers<br />

Le magnanime Hector, ce dompteur <strong>de</strong> coursiers.<br />

FIN BU yiNGT-QUATRIEME Ef DERNIER CHANT.


TABLE.<br />

CHANT ONZIEME i<br />

Agamemnon se revêt <strong>de</strong> ses armes, conduit les Grecs au combat, <strong>et</strong><br />

se r<strong>et</strong>ire blessé, après avoir immolé un grand nombre <strong>de</strong> Troyens.—<br />

Triomphe d'Hector. — Dïomé<strong>de</strong> <strong>et</strong> Ulysse sont secoures par Ajax.<br />

*— Machaon blessé est ramené au camp par Nestor. — Nestor exhorte<br />

Patrocle à fléchir le courroux d'Achille.<br />

CHANT DOUZIÈME 49<br />

Les Troyens, divisés en cinq bataillons, attaquent le r<strong>et</strong>ranchement<br />

<strong>de</strong>s Grecs. — Apparition d'un aigle. — Terreur <strong>de</strong> Polydamas. —<br />

Reproches d'Hector. — Sarpedon excite G<strong>la</strong>ucus à combattre. —<br />

Triomphe d'Hector, <strong>et</strong> faite <strong>de</strong> l'armée grecque.<br />

CHANT TREIZIÈME ?5<br />

Neptune} sous les traits <strong>de</strong> Calchas 9 excite les <strong>de</strong>ux A|ax <strong>et</strong> les autres<br />

Grecs. — Triomphe d'Idoménée. — Exploits <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s. — Hector<br />

ramène les Troyens au combat.<br />

CHANT QUATORZIÈME 119<br />

Agamemnon propose encore <strong>la</strong> fuite ; Ulysse combat c<strong>et</strong>te proposition,<br />

<strong>et</strong> Diomè<strong>de</strong> conseille <strong>de</strong> revoler au combat. — Junon se pare <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ceinture <strong>de</strong> Vénus. — Jupiter <strong>et</strong> Junon <strong>sur</strong> le mont Ida. —Neptune<br />

vole au secours <strong>de</strong>s Grecs. — Massacre <strong>et</strong> déroute <strong>de</strong>s Troyens.<br />

CHANT QUINZIÈME 4g<br />

Réveil <strong>et</strong> foreur <strong>de</strong> Jupiter <strong>sur</strong> le mont Ida. — Junon remonte dans<br />

l'Olympe. — Mars est désarmé par Minerve. — Iris ©rdonneà Nep**<br />

tune <strong>de</strong> quitter le combat. — Apollon ranime Hector f excite les<br />

Troyens, <strong>et</strong> détroit le rempart <strong>de</strong>s Grecs. — Exploits d'Hector. —<br />

Intrépidité d'Ajax.


536 TABLE.<br />

CHANT SEIZIÈME 189<br />

Achille perm<strong>et</strong> à Patroclc <strong>de</strong> revêtir son armore <strong>et</strong> <strong>de</strong> conduire ses<br />

troupes au combat. — Libations <strong>et</strong> prière d'Achille à Jupiter. —<br />

Déroute <strong>de</strong>s Troyens. — Mort <strong>de</strong> Sarpédon. —Patrocle, désarmé par<br />

Apollon <strong>et</strong> blessé par Euphorbe, est immolé par Hector.<br />

CHANT DIX-SEPTIÈME 239<br />

Combat autour du corps <strong>de</strong> Patrocle. — Euphorbe est tué par Méné<strong>la</strong>s.<br />

Hector revêt les armes d'Achille. — Méné<strong>la</strong>s envoie Antiloque vers<br />

Achille pour lui annoncer <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son ami. — Méné<strong>la</strong>s <strong>et</strong> Mérion<br />

emportent le cadavre <strong>de</strong> Patrocle.<br />

CHANT DIX-HUITIÈME 279<br />

Achille apprend <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Patrocle 5 son désespoir. — Thétis cherche<br />

à le consoler, <strong>et</strong> lui défend <strong>de</strong> combattre jusqu'à ce qu'elle lui<br />

apporte <strong>de</strong>s armes. — Achille désarmé m<strong>et</strong> les Troyens en fuite. —<br />

Conseil <strong>de</strong>s Troyens. — Discours <strong>de</strong> Polydamas <strong>et</strong> d'Hector. —<br />

Achille rend les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs à Patrocle. — Thétis <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

Vulcaiii une armure pour son fils. — Description du bouclier <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />

armes d'Achille.<br />

CHANT DIX-NEUVIÈME 5i7<br />

Thétis apporte à Achille l'armure fabriquée parVuîcain. «— Assemblée<br />

<strong>de</strong>s Grecs. — Réconciliation d'Agamemnon-<strong>et</strong> d'Achille. — P<strong>la</strong>intes<br />

d'Achille <strong>et</strong> <strong>de</strong> Briséis <strong>sur</strong> le corps <strong>de</strong> Patroclc. — Achille s'arme<br />

pour le combat ; Xanthe , un <strong>de</strong> ses coursiers ? lui prédit sa mort.<br />

CHANT VINGTIÈME 545<br />

' Jupiter rassemble les Dieux, dans POlympe, <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />

<strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre pour favoriser les Grecs <strong>et</strong> les Troyens. — Apprêts du<br />

combat. — Terreur <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton. — Ésée défie Achille <strong>et</strong> fuît enlevé<br />

dans un nuage par Neptune. — Rencontre d'Hector <strong>et</strong> d'Achille. —<br />

Apollon conseille à Hector <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>irer. — Triomphe d'Achille $ il<br />

immolé Polydore <strong>et</strong> d'autres guerriers troyens.


TABLE. 537<br />

CHANT VINGT ET UNIÈME 37i<br />

Faite <strong>de</strong>s Troyens vers le Scamandre <strong>et</strong> vers <strong>la</strong> ville. — Achille fait<br />

douze prisonniers pour les immoler en l'honneur <strong>de</strong> Patrocle. — Mort<br />

<strong>de</strong> Lyeaon'<strong>et</strong> d'Astéropée. — Lutte d'Achille <strong>et</strong> du Scamandre. —<br />

Combat <strong>de</strong>s Dieux. — Apollon 9 sous les traits d'Agénor, abuse<br />

Achille <strong>et</strong> <strong>la</strong>isse aux Troyens le temps <strong>de</strong> s'échapper.<br />

CHANT VINGT-DEUXIÈME ;.. 4©7<br />

Hector, malgré les conseils <strong>de</strong> Priam <strong>et</strong> d'Hécubêj attend Achille<br />

pour le combattre. — Achille poursuit Hector sous les murs <strong>de</strong><br />

Troie. —Mort d'Hector. — Chant <strong>de</strong> triomphe d'Achille. — Désespoir<br />

<strong>de</strong> Priam , d'Hécube <strong>et</strong> d'Andromaque.<br />

CHANT VINGT-TROISIÈME 457<br />

Sommeil d'Achille. — Apparition <strong>de</strong> l'ombre <strong>de</strong> Patrocle. — Construction<br />

du bêcher. — Jeux funèbres.<br />

CHANT VINGT-QUATRIÈME 489<br />

Jupiter envoie Thétis auprès d'Achille pour l'engager à rendre à<br />

Priam le cadavre d'Hector. — Priam, averti par Iris, <strong>et</strong> conduit<br />

par Mercure > marche vers le camp <strong>de</strong>s Grecs. — Priam dans <strong>la</strong><br />

tente d'Achille. — Funérailles d'Hector.<br />

FIN BU SECONB ET BERNIER VOLUME.

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