TerraModana n°89

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Chouettes les hiboux ! Sous les étoiles, chouettes et hiboux chassent dans les cieux de Terra Modana. Des rapaces discrets et méconnus trop longtemps victimes d’une mauvaise réputation qu’ils sont loin de mériter. La rare chouette de Tengmalm (aegolius funereus) surveillant l’entrée de sa loge. Oiseaux de mauvais augure liés à la sorcellerie pour les Romains, symboles de froid et de mort dans l’Egypte antique, cloués aux portes pour conjurer le mauvais sort pendant le Moyen Age, chouettes et hiboux ont longtemps été considérés comme néfastes. Pourtant, la chouette était également symbole de sagesse et accompagnait la déesse grecque Athéna. Un paradoxe qui illustre bien une méconnaissance et une méfiance des hommes face à ces rapaces nocturnes capables de voler dans un silence presque absolu et de chasser dans l’obscurité. La Haute Maurienne abrite 6 des 9 espèces de rapaces nocturnes présentes en France. Petitduc, moyen-duc et grand-duc, chouette hulotte, et les plus rares chouettes de Tengmalm et chevêchette d’Europe apprécient notre haute vallée. Le petit-duc, hibou insectivore de taille intermédiaire entre un moineau et un merle, était régulièrement observé l’été, et surtout entendu, sous l’imposante charpente du fort Marie-Christine à Aussois. Sans doute trop dérangé, il a quitté les lieux depuis deux saisons, la place étant aujourd’hui occupée par quelques chauve-souris. Le grand-duc d’Europe, plus grand rapace nocturne du monde avec son envergure dépassant 1,60 m, était présent il y a encore quelques années dans les falaises des gorges de l’Arc au dessus d’Avrieux. On peut entendre aujourd’hui son puissant “oohuoohu” du côté de Bessans. La chouette de Tengmalm, véritable « fantôme » selon un garde moniteur du Parc national de la Vanoise à Termignon, est une espèce rare que l’on peut cependant entendre la nuit du côté de la forêt de l’Orgère. Une forêt protégée et dont les vieux troncs creux, abris idéaux pour ce rapace, ne sont pas abattus comme cela est très souvent le cas ailleurs. Le secteur est aussi propice à la chevêchette qui se laisse un peu plus facilement observer puisqu’elle chasse et chante parfois de jour et qu’elle n’hésite pas à se poster au sommet des arbres. La Haute Maurienne et le Parc national de la Vanoise ont donc la chance d’abriter ces oiseaux protégés dont le chant nocturne fascine ou effraie. Victimes d’une raréfaction de leur habitat, des dérangements humains, des câbles électriques ou de la circulation automobile, chouettes et hiboux sont pourtant toujours là, volant silencieusement en veillant au sommeil de Terra Modana. Remerciements au Parc national de la Vanoise et au Parc national des Ecrins pour les documents photographiques. La chevêchette d’Europe (glaucidium passerinum) apprécie les vieilles forêts, comme celle de l’Orgère. Peu craintive, on peut l’apercevoir en plein jour au sommet d’un épicéa. ©Parc national de la Vanoise-Descaves Bruno Moyen-duc (asio otus) ©Parc national de la Vanoise-Gotti Christophe Chouettes ou hiboux ? Contrairement à une idée reçue, la chouette n’est pas la femelle du hibou. Chez la plupart de ces espèces, il est d’ailleurs presque impossible de distinguer le mâle de la femelle, même si cette dernière est souvent un peu plus grande. Chouettes et hiboux font partie du même groupe : les rapaces nocturnes ou strigiformes. Pour les distinguer, il faut observer leur tête. Les hiboux portent des aigrettes ou “oreilles” (qui ne jouent pourtant aucun rôle dans l'audition). De simples plumes que le hibou dresse lorsqu’il est dérangé. Les chouettes sont dépourvues de cet attribut, leur tête est donc plus ronde. D’autres pays ne font pas la distinction entre chouettes et hiboux et donnent un seul nom pour les deux espèces : “owls” en anglais ou “eulen” en allemand par exemple. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ©photothèque Parc national des Ecrins : Robert Chevalier
Pour vivre heureux, vivons cachés Chouettes et hiboux étant principalement actifs la nuit, il est difficile de les observer. De plus, ce sont des spécialistes du camouflage et de la discrétion. Le moyen-duc, par exemple, se tient bien droit contre le tronc des arbres en journée. Grâce à son plumage brun jaunâtre, il se confond avec l’écorce et se fait invisible. Le petit-duc emploie la même technique. Le camouflage et l’évitement sont souvent la première réaction de ces rapaces face à un intrus. Mais ils savent aussi se faire menaçants s’ils se sentent en danger. Yeux exorbités, claquements de bec, écartement des ailes et gonflement du plumage sont utilisés pour faire peur à l’ennemi. Les petits peuvent se coucher sur le dos pour donner des coups de griffes aux prédateurs qui sont principalement la martre, la fouine ou le renard. Enfin, quand ils sont trop dérangés, les rapaces nocturnes déménagent. C’est ainsi que le couple de grands-ducs est allé nicher ailleurs lorsque la via ferrata du diable a été installée dans les gorges de l’Arc. Chouette hulotte (strix aluco). Surnommée “chat-huant” , la hulotte est le plus connu des rapaces nocturnes. Son “ hou-ou” sonore s’entend près des maisons, comme ici dans le quartier de Loutraz à Modane. ©Parc national de la Vanoise-Mollard Maurice Oiseaux de proie, chouettes et hiboux sont équipés d’un bec crochu et acéré et de serres puissantes composées de 4 doigts. Leurs ailes ont une bordure “frangée” qui permet un vol parfaitement silencieux. Un atout pour ces prédateurs hypermétropes qui disposent d’une vision nocturne exceptionnelle et d’une capacité à observer tout autour d’eux, par une rotation quasi totale de la tête. Le sens essentiel de ces rapaces est cependant l’ouïe : ils sont capables de capturer leur proie sans se servir de leurs yeux ! Les trous auditifs sont cachés derrière les disques faciaux, presque au niveau des yeux, l’oreille droite étant généralement plus large et placée plus haut que la gauche. Les espèces forestières (Tengmalm et chevêchette) chassent plutôt à l’ouïe ou à l’affût alors que les espèces appréciant les espaces ouverts survolent les terrains à la recherche de proies ou effectuent du surplace au-dessus des galeries de petits mammifères en attendant leur sortie. Quant au régime alimentaire, il est Prédateurs nocturnes varié : gros insectes pour le petitduc, petits mammifères et petits oiseaux pour la Tengmalm… La toute petite chevêchette n’hésite pas à s’attaquer à des proies plus grosses qu’elle, comme le pic épeiche. Quant au grand-duc, c’est un super prédateur dont le menu se compose aussi bien de mammifères (campagnols, rats, souris, renards, lièvres, écureuils...) que d’oiseaux. Il s’offre même d’autres rapaces. Le plus souvent, chouettes et hiboux avalent leurs proies entières. Si elles sont trop grosses, ils les dépècent. Dans l'estomac, les sucs digestifs attaquent les chairs et laissent poils, plumes et os intactes. Ces restes sont rejetés par le bec après la digestion sous formes de boulettes : ce sont les pelotes de réjection. Ces pelotes sont d’ailleurs le meilleur moyen de repérer la présence d’un rapace nocturne dans le secteur. Par exemple, à Termignon, les grandsducs qui s’étaient installés dans les gorges de l’Arc n’ont jamais été observés, ni même entendus. Seules ces pelotes prouvaient leur présence. Le hibou petit-duc scops (optus scops) consomme beaucoup d’orthoptères (criquets, sauterelles...). Ce migrateur passe l’hiver en Afrique mais à la bonne saison on peut le rencontrer dans les villages. Solitaires Chouettes et hiboux ne sont pas grégaires. Ils tolèrent uniquement leur compagnon et leurs jeunes. Les territoires sont défendus bec et serres, la chouette hulotte peut même mener des combats mortels avec une rivale qui s'aventurerait dans son espace. Seuls les moyens-ducs (et le hibou des marais, non présent en Haute Maurienne) se regroupent en hiver pour partager un même dortoir qui peut accueillir plusieurs dizaines d’individus. Hulottes et grands-ducs forment des couples durables sur des années, les autres espèces ne s’accouplent généralement que pour la période de reproduction. Les parades aériennes nuptiales ont lieu à la fin de l’hiver, le moment idéal pour observer ces rapaces qui sont alors très bruyants. 2 à 7 œufs sont pondus et couvés par la femelle pendant près d’un mois. Les petits apprennent à chasser pendant l’été et se séparent de leurs parents à l’automne, période critique que seul un oiseau sur deux parviendra à surmonter. Grand duc d’Europe (bubo bubo), un super prédateur dont le menu se compose aussi bien de mammifères que d’oiseaux, dont la chouette hulotte. ©Parc national de la Vanoise-Bouche Michel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . pages 6 et 7 ©photothèque Parc national des Ecrins : Robert Chevalier
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