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Lebensraum - Journal César

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12 PATRIMOINE IMMATERIEL www.cesar.fr<br />

<strong>César</strong> • N°310 Octobre 2012<br />

[Controverses]<br />

Où va la corrida,<br />

selon Jacques Durand<br />

Pour quelles raisons la chronique taurine<br />

que vous aviez dans le journal Libération<br />

depuis 1987 vous a-t-elle été enlevée ?<br />

J’ai été prévenu par une lettre officielle, sans<br />

explications. La génération de Libé qui avait<br />

installé la chronique, celle de Serge July, de<br />

Gérard Dupuy, de Jean-Marcel Bouguereau, a<br />

disparu. La nouvelle génération se moque de<br />

la corrida ou est contre. La direction actuelle,<br />

Nicolas Demorand pour ne pas le nommer,<br />

paraît peu sensible à la culture ou à l’histoire<br />

Libé. On ne m’a pas donné de raisons économiques,<br />

mais Libé perd de l’argent donc<br />

supprime certaines choses. Ce qui revenait<br />

cher, ce n’était pas mon salaire ni mes frais,<br />

mais l’édition régionale qui devait être faite.<br />

Ça a joué.<br />

On aurait pu penser que l’inscription de<br />

la tauromachie au patrimoine immatériel<br />

français aurait « calmé » les anti-corrida ?<br />

Ça les a fait bouillir ! C’est pour cela qu’ils<br />

ont déposé auprès du Conseil constitutionnel<br />

cette disposition qui devait rendre l’organisation<br />

de corridas antirépublicaine.<br />

Comment se comportent les aficionados<br />

face à ces tensions ?<br />

Ils se sentent agressés, insultés. Les aficionados<br />

ne se reconnaissent pas quand on leur dit<br />

que la corrida est un lieu où l’on torture les<br />

taureaux. Ils ne se reconnaissent pas quand<br />

on leur dit que c’est un spectacle qui est fait<br />

pour voir le sang couler et qu’ils sont des<br />

sadiques. La tension est de plus en plus forte<br />

entre ces deux camps et peut être, à moyen,<br />

même à court terme, assez dangereuse. Il<br />

peut y avoir des affrontements physiques. Il<br />

existe une branche extrémiste animaliste, un<br />

mouvement qui vient des États-Unis qui est<br />

allé jusqu’à provoquer des attentats.<br />

Il y a plusieurs tendances chez les « anti » ?<br />

Il y a des anti corridas qui n’aiment pas la<br />

corrida, mais qui sont démocrates et disent<br />

qu’on n’a pas à interdire ce qu’on n’aime pas.<br />

Mais la tendance la plus forte en ce moment,<br />

ce sont ces extrémistes de la cause animaliste,<br />

qui ne sont peut-être pas les plus nombreux,<br />

mais qui sont ceux qui se font le plus<br />

entendre. Ils demandent l’interdiction de la<br />

corrida et vont au charbon.<br />

Quel est le rôle d’internet dans cette<br />

bataille entre aficionados et anti-corrida ?<br />

Internet joue un rôle majeur, parce qu’il a<br />

mondialisé ce conflit. En Australie, des gens<br />

signent contre la corrida, alors qu’il n’y a pas<br />

de corrida. Au Mexique, il y a quinze ans, ils<br />

étaient déjà là. La mise à mort est interdite<br />

« La corrida n’est pas quelque chose de<br />

convenu, elle se crée sur l’instant. »<br />

N’en déplaise aux défenseurs des animaux, la corrida reste dans les arènes de France. Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel qui<br />

vient de rejeter le recours d’associations qui militent contre la tauromachie. Auteur et chroniqueur taurin, Jacques Durand connaît la<br />

corrida comme sa poche. On lui doit, depuis quelques vingt-cinq années, de brillantes pages taurines dans le journal Libération (1), qui<br />

l’a sèchement congédié cet été. « Les anti » essaient d’avoir la peau de la corrida par tous les moyens. Les « pro » se fâchent. Qu’en<br />

est-il exactement ?<br />

à Quito. Mais là, c’est une histoire politique<br />

entre le maire et les propriétaires des arènes.<br />

À San Sébastian en Espagne, il y a un parti<br />

nationaliste basque, le Bildu, (ex-Batasuna)<br />

qui a la majorité au conseil municipal et veut<br />

dès l’an prochain, interdire les corridas à San<br />

Sébastian, au prétexte que la corrida n’est pas<br />

basque. Ce qui est une erreur historique…<br />

En Catalogne ?<br />

Les thèses animalistes ont été relayées par<br />

les partis nationalistes catalans pour qui la<br />

corrida n’est pas catalane, mais a été imposée<br />

par l’Espagne. Alors qu’il y a eu des<br />

corridas à Barcelone dès le XV e siècle. Mais<br />

la corrida risque de revenir l’an prochain à<br />

Barcelone, parce que le Parlement espagnol,<br />

en février, va voter le classement de la corrida<br />

comme patrimoine culturel. Ce classement<br />

sera valable sur tout le territoire espagnol et<br />

échappera aux pouvoirs des autonomies.<br />

Selon vous, est-ce que la tauromachie et<br />

plus largement la culture taurine est amenée<br />

à disparaître ?<br />

Je ne suis pas optimiste sur sa pérennité. Il<br />

y a ce mouvement animaliste qui prend de<br />

plus en plus de place et par ailleurs, pour des<br />

raisons économiques, les jeunes générations<br />

en Espagne ne vont pas trop aux corridas,<br />

qui coûtent très cher… L’Espagne est ruinée.<br />

Cela dit, cette année, il y a eu une réaction<br />

des toreros par rapport à ce problème. El<br />

Juli, Talavante, ont baissé leur cachet pour<br />

permettre aux mineurs espagnols de payer<br />

moitié prix pour aller aux arènes. Cette prise<br />

de conscience des « figuras » constitue un<br />

progrès pour la maintenance de la corrida. Ils<br />

constatent la désaffection des arènes. Cette<br />

année, on calculera qu’il y a eu à peu près 50<br />

% de moins de corridas que l’année précédente<br />

en Espagne. Et le déclin a commencé<br />

avant. En juin, j’ai calculé qu’il y avait eu 40<br />

% de novilladas en moins. Or la novillada,<br />

l’apprentissage des jeunes toreros, c’est l’avenir<br />

de la corrida. Mais le milieu taurin est en<br />

train de réagir…<br />

La réaction du milieu taurin a été longue<br />

à venir ?<br />

C’est un milieu très corporatiste, qui pense<br />

plutôt à ramasser de l’argent à court terme<br />

qu’à se projeter dans l’avenir. Mais là, le<br />

boulet est passé très près. Avec la baisse du<br />

nombre de corridas, il y a des élevages qui<br />

ont des soldes de taureaux. Certains ganaderos<br />

se ruinent parce qu’ils n’arrivent plus à<br />

vendre leurs taureaux. Ou bien ils les vendent<br />

au prix de la boucherie à l’abattoir.<br />

En Amérique du sud ? En France ?<br />

En Amérique du sud, Colombie, Venezuela,<br />

Mexique, je n’ai pas d’informations sur le fait<br />

que le nombre de corridas baisserait. Il n’y<br />

a pas de crise. La crise est européenne. En<br />

France, le nombre de corridas est à peu près<br />

stable. Mais si la crise s’accentue, ça va arriver<br />

aussi.<br />

Est-ce qu’il y a d’autres éléments qui<br />

expliquent la baisse du nombre de<br />

corridas ?<br />

Dans la désaffection de la corrida, il peut y<br />

avoir des raisons d’ordre sociologique, par<br />

exemple l’urbanisation. La corrida est lié<br />

au campo, à la campagne, à la ruralité. En<br />

Espagne, il y a aujourd’hui pour la première<br />

fois plus d’urbains que de ruraux. Cela coupe<br />

les Espagnols de leurs racines taurines et<br />

peut jouer dans la méconnaissance de la corrida<br />

et la désaffection des jeunes générations.<br />

A cet égard, est-ce que l’esprit de la corrida<br />

était là, à la dernière feria de Nîmes ?<br />

La corrida de José Tomas du dimanche matin<br />

est une des deux ou trois choses les plus<br />

bouleversantes que j’aie jamais vues dans<br />

ma carrière d’aficionado. José Tomas a montré<br />

ce qu’il fallait faire. Sa tauromachie sortait<br />

de lui comme une parole heureuse, spontanée.<br />

L’esprit de la corrida n’est pas quelque<br />

chose de convenu mais se crée sur l’instant.<br />

Les gens sont sortis des arènes avec l’impossibilité<br />

de dire l’ampleur de l’émotion.<br />

Ils disaient : « C’est indescriptible » et c’était<br />

vrai. Comme une émotion trop forte qui rend<br />

bouche bée. Après, c’était l’enthousiasme, pas<br />

de discours… des exclamations !<br />

ProPos recueillis Par Marie-Hélène Bonafé<br />

(1) Cette chronique continue, sur abonnement, sur<br />

le site www.editions.atelierbaie.fr, sous le nom La<br />

Page taurine de Jacques Durand

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