24.06.2013 Views

Lebensraum - Journal César

Lebensraum - Journal César

Lebensraum - Journal César

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>César</strong> • N°310 Octobre 2012 GRAND TEMOIN | THEATRE<br />

« L’idée même que les<br />

idées sont importantes<br />

est peu présente dans<br />

nos sociétés. » Alain Badiou et Ahmed dans Les Citrouilles - Université de Buenos Aires<br />

intéressé, parce que cette question était une<br />

question nationale, vitale pour tout le monde.<br />

Aujourd’hui, vous demanderiez quelle est<br />

la question, de ce niveau-là, qui est vitale<br />

pour tout le monde… vous auriez peu de<br />

réponses ! Vous voyez bien qu’aucun des<br />

partis politiques en présence ne manie ce<br />

type de langage. Ils ne nous promettent rien<br />

qui nous soulève au-dessus de ce que nous<br />

sommes. Ce brave François Hollande, on ne<br />

peut pas dire qu’il soit charismatique du<br />

point de vue de la représentation générale<br />

du monde ! Ce n’est pas un reproche… il est<br />

comme tout le monde !<br />

Par quoi le théâtre est-il menacé<br />

aujourd’hui ?<br />

Il est menacé à un niveau empirique par<br />

l’existence massive d’autres formes de divertissement.<br />

Dès l’Antiquité, il a été menacé<br />

par les jeux du cirque. L’histoire du théâtre<br />

à Rome est très typique de ce point de vuelà.<br />

Le théâtre intellectuel, représenté par des<br />

gens importants, Sénèque, Plaute, a été petit<br />

à petit, absorbé, disqualifié, par les gigantesques<br />

divertissements du cirque. Des<br />

spectacles d’une violence extrême parce que<br />

les gens n’étaient plus remués par grandchose<br />

finalement et qu’il fallait vraiment<br />

aller très loin pour les faire un peu bouger…<br />

Ce n’est pas sans rappeler les films gore<br />

d’aujourd’hui…<br />

C’est la première menace…<br />

La deuxième, c’est que le théâtre s’inscrit<br />

toujours dans un minimum de culture<br />

acquise, c’est-à-dire que le rapport au théâtre<br />

ne peut pas se faire sans un minimum d’éducation.<br />

Quand les gens allaient écouter des<br />

pièces en alexandrins, il fallait qu’ils aient ça<br />

dans l’oreille comme rythme poétique. Il y<br />

a aujourd’hui une responsabilité de l’enseignement<br />

tel qu’il est, qui, tendanciellement,<br />

écarte les gamins des grands textes et de<br />

Gilles Deleuze utilisait ce terme de « pop-philosophie » pour<br />

caractériser sa manière de pratiquer la philosophie en y<br />

opérant des greffes de références hétérogènes. La Semaine de<br />

la Pop Philosophie, sous l’impulsion de Jacques Serrano, invite<br />

des intellectuels de la scène philosophique et des personnalités<br />

l’habitude de fréquenter des écrits un peu<br />

au- dessus du divertissement ordinaire. Il<br />

y a un côté sourdement démagogique de<br />

l’enseignement, qui n’est pas propice au<br />

théâtre, lequel est comme le disait Mallarmé<br />

« un art supérieur ». La troisième menace<br />

est une raison générale, qui est que le<br />

théâtre vit de ce qu’est l’époque historique.<br />

D’ailleurs, le théâtre a des grands moments<br />

et des moments plus faibles. Je pense que<br />

nous sommes dans un moment de basses<br />

eaux du théâtre et que, dans ce cas-là, il est<br />

effectivement menacé, parce que ça fait boule<br />

de neige : le théâtre n’est pas suffisamment<br />

alimenté par la situation, par l’intellectualité,<br />

par l’enseignement, par les gens… donc il<br />

n’est pas d’un bon niveau et encore moins<br />

fréquenté. Cela ne durera pas. Ce sont de<br />

classiques séquences d’affaiblissement qui<br />

sont le symptôme d’un abaissement de la<br />

conscience historique générale.<br />

Pouvez-vous nous éclairer sur le terme de<br />

« théâtre post-dramatique » ?<br />

Le théâtre post-dramatique est fondamentalement<br />

l’idée que c’en est fini du théâtre<br />

dans lequel les notions de texte et de personnages,<br />

qui sont liées, sont dominantes.<br />

C’est l’idée d’une théâtralité qui chercherait<br />

ses fondements en dehors des ressources<br />

entre texte, personnage et même acteur.<br />

Cela veut dire que ce n’est plus le drame des<br />

personnages dans des situations dont il est<br />

question, mais que ça peut être tout autre<br />

chose : des images du monde sous forme de<br />

choeur, de déplorations, de chorégraphie…<br />

De manière générale, cela tend à déplacer le<br />

centre de gravité du théâtre du texte vers le<br />

corps. Une tendance tout à fait importante<br />

aujourd’hui, où le corps de l’acteur est censé<br />

porter l’énergie théâtrale, de façon centrale,<br />

dans un rapport de conflit scénique avec<br />

la puissance des images. À l’égard de ce<br />

théâtre, dont on voit bien l’origine, je dirais<br />

franchement que j’y suis opposé. Je pense<br />

que dans cette voie-là, le théâtre s’identifie<br />

au spectacle. La différence, qui a toujours<br />

existé entre spectacle et théâtre disparaît et<br />

le théâtre devient une modalité du spectacle ;<br />

il sera donc encore plus en rivalité avec les<br />

autres formes du spectacle, notamment le<br />

cinéma et la danse, dans un mélange de tout<br />

cela et dans une figure qui ne mérite que le<br />

nom de spectacle. Or, je soutiens qu’il faut<br />

maintenir que le théâtre, qui est un spectacle,<br />

n’est pas réductible au spectacle. La<br />

meilleure preuve, c’est qu’il en demeure des<br />

traces non spectaculaires, sous la forme des<br />

grands textes. Le spectacle est ce qui a lieu<br />

et disparaît, ce qui est d’ailleurs revendiqué<br />

dans le post-dramatique. Mais à ce momentlà,<br />

le théâtre devient cette figure particulière<br />

du spectacle qu’est la performance. Or le<br />

règne de la performance est la fin du théâtre.<br />

Vous souvenez-vous de votre expérience<br />

d’acteur lorsque vous avez interprété le<br />

rôle titre dans Les Fourberies de Scapin ?<br />

C’est un souvenir ineffaçable. C’était si<br />

violent, que j’avais réellement pensé devenir<br />

acteur. Le moment où on entre sur scène, où<br />

on est dans la lumière devant le public et où,<br />

justement, on va devoir soi-même et à tout<br />

instant, résoudre le problème de la transmission<br />

– au sens fort - du texte aux gens qui<br />

vous écoutent, à ce moment-là, vous mesurez<br />

que vous produisez un effet, avec votre<br />

corps et votre voix, à partir d’un texte, par<br />

ailleurs très connu et très fameux. C’est une<br />

vibration extraordinaire, c’est d’une intensité<br />

prodigieuse.<br />

Comment passe-t-on du théâtre à la<br />

philosophie ?<br />

Je me suis rendu compte quand même que,<br />

si intense que soit l’art de l’acteur, il n’était<br />

pas à la mesure de mes ambitions ou de<br />

mon orgueil. L’acteur reste tout de même<br />

du monde des médias à interroger la pop culture et la culture<br />

médiatique. Parmi les thèmes choisis : la philosophie au service<br />

de l’entreprise ; le polar comme auxiliaire d’état ; les médias et<br />

la philosophie ; le villages des schtroumpfs comme archétype<br />

d’utopie totalitaire ; la vie comme œuvre d’art pornographique,<br />

15<br />

quelqu’un dont la fonction décisive est la<br />

transmission. C’est la vieille hésitation entre<br />

création et transmission. Les gens que l’on<br />

peut envier le plus, ce sont des gens comme<br />

Molière, écrivain et acteur. Mais il y en a très<br />

peu dans l’histoire, qui assurent eux-mêmes<br />

la transmission de leur propre création. Je<br />

suis devenu philosophe parce que la philosophie<br />

me passionnait déjà et qu’elle était plus<br />

dans ma ressource et mon désir.<br />

Nous pourrions aborder les rapports<br />

qu’entretiennent le théâtre et la philosophie,<br />

mais cela mériterait encore un long<br />

développement…<br />

On peut simplement en dire un mot conclusif…<br />

La philosophie a un rapport au théâtre<br />

qui est un rapport ambivalent, depuis toujours.<br />

Parce que d’un côté, elle aurait tendance,<br />

au moins une certaine philosophie,<br />

à dire que le théâtre est un faux semblant<br />

de la vérité, qui fait comme si tout ce dont<br />

il est question existe, est vrai, alors qu’il<br />

s’agit d’une imitation, d’un jeu, d’un faux<br />

semblant… et donc cette transformation du<br />

réel en semblant, qui est l’activité propre<br />

du théâtre, inquiète le philosophe. Le philosophe<br />

est toujours quelqu’un qui dit :<br />

attention, nous vivons dans le semblant, les<br />

apparences, l’idéologie, la propagande…<br />

cherchons où est le réel et la vérité… cela<br />

c’est dans un premier moment. Mais dans<br />

un deuxième temps, il peut penser que le<br />

théâtre fait exactement comme lui, qu’il se<br />

sert des moyens du semblant pour le démasquer.<br />

Le philosophe peut alors s’apercevoir<br />

qu’il est lui-aussi un peu comédien. Quand je<br />

fais un cours, je suis proche de l’expérience<br />

du théâtre !<br />

ProPos recueillis Par Marie-Hélène Bonafé<br />

(1) Le Théâtre obligatoire pour tous (1920)<br />

la philosophie dans Harry Poter... Outre une première, une nuit<br />

de la pop philosophie au Théâtre National de la Criée. Invités<br />

pressentis, citons : Luc Boltanski, Robert Maggiori, Francis<br />

Wolff, Jean-Bernard Pouy, Vincent Cespédès, Eric Aeschimann,<br />

Raphael Enthoven, Simone Regazzoni, Francesco Masci,<br />

Laurent de Sutter, Stéphane Floccari, Anthony Pecqueux, Marcel<br />

Bouguereau…<br />

fT<br />

[Marseille | Théâtre la Criée & divers lieux | 22/10 < 27/10 |<br />

04 91 90 08 55 |<br />

www.lesrencontresplacepublique.fr]

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!