Hommage à la Catalogne
Hommage à la Catalogne
Hommage à la Catalogne
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
XI<br />
À Barcelone, durant toutes les dernières semaines que j’y ai<br />
passées, on sentait dans l’air quelque chose d’insolite et de<br />
sinistre – atmosphère de suspicion, de peur, d’incertitude et de<br />
haine voilée. Les troubles de mai avaient des conséquences<br />
inextirpables. Avec <strong>la</strong> chute du gouvernement Caballero, les<br />
communistes étaient nettement arrivés au pouvoir ; <strong>la</strong> charge de<br />
l’ordre intérieur était <strong>à</strong> présent aux mains de ministres<br />
communistes et il ne faisait de doute pour personne qu’ils<br />
écraseraient leurs rivaux politiques dès que <strong>la</strong> moindre occasion<br />
leur en serait fournie. Il ne se passait rien encore –<br />
personnellement je ne me représentais même pas du tout ce qui<br />
al<strong>la</strong>it se passer – et cependant l’on avait continuellement le<br />
sentiment vague d’un danger, conscience d’une menace.<br />
Forcément on avait, dans une telle atmosphère, l’impression<br />
d’être un conspirateur, si peu qu’on le fût en réalité. Il semb<strong>la</strong>it<br />
qu’on passât tout son temps <strong>à</strong> s’entretenir <strong>à</strong> voix basse avec<br />
quelqu’un dans les coins des cafés, en se demandant si cette<br />
personne <strong>à</strong> une table voisine était un espion de <strong>la</strong> police.<br />
Il courait, par suite de <strong>la</strong> censure des journaux, toutes sortes<br />
de bruits a<strong>la</strong>rmants. Celui, entre autres, que le gouvernement<br />
Negrín-Prieto projetait de terminer <strong>la</strong> guerre par un<br />
compromis. J’inclinais alors <strong>à</strong> le croire, car les fascistes étaient<br />
en train de cerner Bilbao et visiblement le gouvernement ne<br />
faisait rien pour sauver cette ville. On déployait bien partout des<br />
drapeaux basques, de jeunes quêteuses faisaient tinter des<br />
troncs dans les cafés et il y avait les habituelles émissions au<br />
sujet des « défenseurs héroïques », mais les Basques<br />
n’obtenaient aucun secours véritable. On était tenté de croire<br />
que le gouvernement menait double jeu. Sur ce point je me<br />
trompais absolument, les événements ultérieurs l’ont prouvé ;<br />
toutefois il semble qu’on eût probablement pu sauver Bilbao en<br />
déployant un peu plus d’énergie. Une offensive sur le front<br />
149