Hommage à la Catalogne
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faire impression sur lui. Ce<strong>la</strong> pouvait changer pour lui les choses<br />
du tout au tout, quant au fait de savoir quelle était <strong>la</strong> véritable<br />
désertion. Évidemment cette façon d’agir ne concorde guère<br />
avec <strong>la</strong> conception ang<strong>la</strong>ise de <strong>la</strong> guerre. J’avoue que je fus<br />
stupéfait et scandalisé <strong>la</strong> première fois que je <strong>la</strong> vis en œuvre. En<br />
voil<strong>à</strong> une idée d’essayer de convertir son ennemi au lieu de lui<br />
tirer dessus ! À présent, je pense qu’<strong>à</strong> tous points de vue c’était<br />
une manœuvre légitime. Dans l’ordinaire guerre de tranchées,<br />
lorsqu’on n’a pas d’artillerie il est extrêmement difficile<br />
d’infliger des pertes <strong>à</strong> l’adversaire sans en subir tout autant. Si<br />
l’on parvient <strong>à</strong> rendre indisponibles un certain nombre<br />
d’hommes en provoquant leur désertion, c’est toujours ce<strong>la</strong> de<br />
gagné ; et en fait les déserteurs sont plus utiles que les cadavres,<br />
parce qu’ils peuvent fournir des informations. Mais au début<br />
ce<strong>la</strong> nous jeta tous dans <strong>la</strong> consternation : il nous semb<strong>la</strong>it, <strong>à</strong><br />
voir ce<strong>la</strong>, que les Espagnols ne prenaient pas cette guerre, leur<br />
guerre, assez au sérieux. L’homme chargé de <strong>la</strong> propagande<br />
criée au poste du P.S.U.C., plus bas <strong>à</strong> notre droite, était passé<br />
maître en cet art. Parfois, au lieu de c<strong>la</strong>mer des slogans<br />
révolutionnaires, il racontait tout bonnement aux fascistes que<br />
nous étions bien mieux nourris qu’eux. Dans son compte rendu<br />
des rations gouvernementales il avait tendance <strong>à</strong> être un peu<br />
imaginatif : « Des tartines beurrées ! » Et l’on entendait sa voix<br />
retentir en échos dans <strong>la</strong> vallée déserte : « Nous venons<br />
justement de nous asseoir pour beurrer copieusement nos<br />
tartines. Ah ! les délicieuses tranches de pain beurrées ! » Je<br />
suis sûr que, tout comme nous, il n’avait pas vu de beurre<br />
depuis des semaines ou des mois, mais, dans <strong>la</strong> nuit g<strong>la</strong>ciale,<br />
cette évocation de tartines beurrées faisait probablement venir<br />
l’eau <strong>à</strong> <strong>la</strong> bouche <strong>à</strong> plus d’un fasciste. Elle me <strong>la</strong> faisait bien<br />
venir, <strong>à</strong> moi qui savais qu’il mentait !<br />
Un jour, en février, nous vîmes un avion fasciste approcher.<br />
Comme d’habitude on tira une mitrailleuse <strong>à</strong> découvert, on <strong>la</strong><br />
pointa vers le ciel et nous nous couchâmes tous sur le dos pour<br />
bien viser. Nos positions isolées ne va<strong>la</strong>ient pas <strong>la</strong> peine d’un<br />
bombardement et, en général, les rares avions fascistes qui<br />
passaient par l<strong>à</strong> faisaient un détour pour éviter le feu des<br />
mitrailleuses. Cette fois-l<strong>à</strong> l’avion vint droit au-dessus de nous –<br />
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