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Hommage à la Catalogne

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écits sensationnels et, j’en jurerais, complètement faux, de ses<br />

propres exploits sur le front <strong>à</strong> deux vieux paysans aux visages<br />

parcheminés qui l’écoutaient bouche bée. Bientôt les paysans<br />

défirent leurs paquets et nous offrirent un vin vio<strong>la</strong>cé et gluant.<br />

Nous étions tous profondément heureux, plus heureux que je ne<br />

puis l’exprimer. Mais lorsque le train, après avoir traversé<br />

Sabadell, rou<strong>la</strong> dans Barcelone, nous nous trouvâmes soudain<br />

dans une atmosphère qui nous était, <strong>à</strong> nous et <strong>à</strong> ceux de notre<br />

sorte, <strong>à</strong> peine moins étrangère et hostile que si c’eût été Paris ou<br />

Londres.<br />

Tous ceux qui firent deux voyages, <strong>à</strong> quelques mois<br />

d’intervalle, <strong>à</strong> Barcelone durant <strong>la</strong> guerre ont fait <strong>la</strong> remarque<br />

qu’il s’y était opéré d’extraordinaires changements. Et, chose<br />

curieuse, qu’ils y fussent venus d’abord en août et de nouveau<br />

en janvier, ou, comme moi, en décembre, puis en avril, ce fut <strong>la</strong><br />

même constatation qui s’imposa <strong>à</strong> eux : <strong>à</strong> savoir, que<br />

l’atmosphère révolutionnaire avait disparu. À quiconque s’était<br />

trouvé l<strong>à</strong> en août, alors que le sang était <strong>à</strong> peine sec dans les<br />

rues et que les milices étaient logées dans les hôtels de premier<br />

ordre, Barcelone en décembre ne pouvait que paraître<br />

« bourgeoise » ; <strong>à</strong> moi, nouvellement arrivé d’Angleterre, elle<br />

faisait l’effet d’une ville prolétarienne et dépassant même, <strong>à</strong> cet<br />

égard, tout ce que j’avais imaginé possible. À présent les choses<br />

étaient revenues en arrière. Barcelone était <strong>à</strong> nouveau une ville<br />

ordinaire, un peu dans <strong>la</strong> gêne et un peu éraflée par <strong>la</strong> guerre,<br />

mais sans nul signe extérieur de <strong>la</strong> prédominance de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse<br />

ouvrière.<br />

Le changement d’aspect des foules était saisissant.<br />

L’uniforme des milices et les salopettes bleues avaient presque<br />

disparu ; tout le monde semb<strong>la</strong>it porter les élégants complets<br />

d’été qui sont <strong>la</strong> spécialité des tailleurs espagnols. On voyait<br />

partout des hommes gras <strong>à</strong> l’air florissant, des femmes habillées<br />

avec recherche et des automobiles luisantes. (Il me parut qu’il<br />

n’y en avait toujours pas de privées : néanmoins il suffisait,<br />

semb<strong>la</strong>it-il, d’être une personnalité marquante pour avoir <strong>à</strong> sa<br />

disposition une automobile.) La ville regorgeait d’officiers de<br />

l’armée popu<strong>la</strong>ire récemment créée, type d’homme qui<br />

commençait <strong>à</strong> peine d’exister <strong>à</strong> l’époque où j’avais quitté<br />

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