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Hommage à la Catalogne

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mitrailleuses et il ne nous resterait pas d’autre alternative que<br />

fuir ou nous <strong>la</strong>isser massacrer.<br />

Mais sur ce terrain détrempé il était presque impossible de se<br />

mouvoir sans bruit. On avait beau faire, les pieds col<strong>la</strong>ient <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />

boue et <strong>à</strong> chaque pas en avant que l’on faisait, on entendait flopflop,<br />

flop-flop. Et pour comble de malchance le vent était<br />

tombé ; malgré <strong>la</strong> pluie, c’était une nuit très calme. Les sons<br />

devaient porter loin. Il y eut un instant terrible lorsque, ayant<br />

heurté du pied un bidon, je m’imaginai que sur des kilomètres <strong>à</strong><br />

<strong>la</strong> ronde tous les fascistes avaient dû entendre. Mais non, pas un<br />

bruit, pas un coup de fusil en réponse, aucun mouvement dans<br />

les lignes fascistes. Nous avancions en rampant de plus en plus<br />

lentement. Je ne puis vous donner une idée de l’intensité de<br />

mon désir d’arriver. Simplement d’arriver assez près pour<br />

pouvoir <strong>la</strong>ncer les bombes avant qu’ils ne nous aient entendu<br />

approcher. En un tel moment, on n’a même pas peur, seulement<br />

une furieuse envie désespérée de franchir l’intervalle de terrain.<br />

J’ai éprouvé exactement <strong>la</strong> même chose en chassant <strong>à</strong> l’affût un<br />

animal sauvage, le même désir torturant d’être <strong>à</strong> portée, <strong>la</strong><br />

même certitude comme en un rêve que ce sera impossible. Et<br />

comme <strong>la</strong> distance s’étirait ! Je connaissais bien le terrain, il n’y<br />

avait que cent cinquante mètres <strong>à</strong> franchir, mais ces cent<br />

cinquante-l<strong>à</strong> nous faisaient l’effet de plus de mille. À ramper <strong>à</strong><br />

cette allure on se rend compte, comme une fourmi pourrait le<br />

faire, de considérables inégalités de terrain : ici, ce magnifique<br />

carré d’herbe souple ; l<strong>à</strong>, ce maudit bourbier et ces hauts<br />

roseaux bruissants qu’il faut éviter, et ce tas de pierres qui vous<br />

enlève presque tout espoir, tant il paraît impossible de pouvoir<br />

le franchir sans faire du bruit.<br />

Nous rampions depuis une éternité, me semb<strong>la</strong>it-il, et je<br />

commençais <strong>à</strong> croire que nous nous étions trompés de direction.<br />

Mais voici que sur le fond noir de <strong>la</strong> nuit devinrent faiblement<br />

visibles les grêles lignes parallèles de quelque chose de plus noir<br />

encore. C’était le barbelé extérieur. (Les fascistes en avaient<br />

établi deux réseaux.) Jorge s’agenouil<strong>la</strong>, fouil<strong>la</strong> dans sa poche.<br />

C’était lui qui avait notre unique pince coupante. Snep ! Snep !<br />

Avec précaution nous soulevâmes et écartâmes <strong>la</strong> partie<br />

pendante. Nous attendîmes que les hommes en arrière de nous<br />

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