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Hommage à la Catalogne

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pouvait s’en servir pour allumer un feu. Au plus fort de <strong>la</strong> disette<br />

d’allumettes, le seul moyen que nous avions de faire jaillir une<br />

f<strong>la</strong>mme, c’était de retirer <strong>la</strong> balle d’une cartouche et de faire<br />

exploser <strong>la</strong> cordite au contact du briquet <strong>à</strong> amadou.<br />

C’était une vie singulière que nous vivions – une singulière<br />

façon d’être en guerre, si on peut appeler ce<strong>la</strong> <strong>la</strong> guerre. Tous les<br />

miliciens sans exception <strong>la</strong>nçaient des brocards contre l’inaction<br />

et continuellement demandaient <strong>à</strong> cor et <strong>à</strong> cri qu’on leur dît<br />

pour quelle raison on ne nous permettait pas d’attaquer. Mais il<br />

était on ne peut plus c<strong>la</strong>ir que de longtemps encore il n’y aurait<br />

aucune bataille, <strong>à</strong> moins que l’ennemi ne commençât. Georges<br />

Kopp, lors de ses tournées d’inspection périodiques, nous<br />

par<strong>la</strong>it sans ambages : « Ce n’est pas une guerre, disait-il<br />

souvent, c’est un opéra-bouffe avec morts. » À vrai dire, l’état de<br />

stagnation sur le front d’Aragon avait des causes politiques dont<br />

j’ignorais tout <strong>à</strong> cette époque ; mais les difficultés d’ordre<br />

purement militaire – sans parler du manque de réserves en<br />

hommes – sautaient aux yeux de tous.<br />

Tout d’abord il y avait <strong>la</strong> nature du pays. Le front, le nôtre et<br />

celui des fascistes, consistait en des positions très fortes<br />

naturellement, qui n’étaient en général accessibles que d’un<br />

côté. Il suffit de creuser quelques tranchées pour rendre de<br />

telles p<strong>la</strong>ces imprenables par l’infanterie, <strong>à</strong> moins que celle-ci ne<br />

soit en nombre accab<strong>la</strong>nt. Dans notre position ou dans <strong>la</strong><br />

plupart de celles qui nous environnaient, une douzaine<br />

d’hommes avec deux mitrailleuses auraient pu tenir <strong>à</strong> distance<br />

un bataillon. Perchés sur les sommets comme nous l’étions,<br />

nous eussions fait de magnifiques cibles pour l’artillerie, mais il<br />

n’y avait pas d’artillerie. Parfois je contemp<strong>la</strong>is le paysage<br />

alentour et me prenais <strong>à</strong> désirer – ah ! avec quelle passion ! –<br />

deux bons canons. On aurait pu détruire les positions de<br />

l’ennemi l’une après l’autre aussi facilement que l’on écrase des<br />

noix avec un marteau. Mais de notre côté il n’y avait absolument<br />

pas de canons. Les fascistes, eux, trouvaient moyen de temps <strong>à</strong><br />

autre d’amener un ou deux canons de Saragosse et de lâcher<br />

quelques obus, si peu qu’ils ne parvinrent jamais <strong>à</strong> rectifier leur<br />

tir et les obus s’en al<strong>la</strong>ient tomber dans les ravins déserts sans<br />

faire aucun mal. En face de mitrailleuses, lorsqu’on n’a pas<br />

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