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Texte d'Antoine Macarez - College au cinéma 37

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Avant-propos :<br />

La musique du film Ridicule<br />

Antoine <strong>Macarez</strong>, professeur d’éducation musicale, Association Collège <strong>au</strong> Cinéma <strong>37</strong>.<br />

Pour réaliser cette étude de la musique de Ridicule, j’ai pris contact avec le compositeur Antoine Duhamel,<br />

que j’avais eu l’occasion de connaître dans les années 80, alors qu’il était directeur de l’école de musique<br />

de Villeurbanne, où j’étais élève à l’époque. Très gentiment, il m’a proposé de le rencontrer et j’ai eu la<br />

chance de pouvoir lui rendre visite à son domicile de Valmondois, par une belle journée de février 2010.<br />

Rencontrer Antoine Duhamel est une expérience unique et inoubliable.<br />

Je tiens ici à le remercier à nouve<strong>au</strong> chaleureusement, ainsi que son épouse Elisabeth, pour son accueil et<br />

sa disponibilité.<br />

Merci <strong>au</strong>ssi :<br />

à Patrice Leconte pour l’attention qu’il a bien voulu porter à mes questions, lors de sa « Leçon de <strong>cinéma</strong> »<br />

donnée à Tours le 24 mars 2010, à l’invitation de l’association Collège <strong>au</strong> Cinéma <strong>37</strong>,<br />

à Dominique Roy, présidente de l’association, pour son enthousiasme communicatif,<br />

Merci enfin à Ismaël Héron, collègue d’éducation musicale, qui m’a communiqué le lien vers le passionnant<br />

site « forum des images » et la conférence de Stéphane Lerouge sur la musique de film.<br />

Antoine Duhamel devant sa maison de Valmondois, février 2010 (photo A. <strong>Macarez</strong>).


Le compositeur<br />

Antoine Duhamel est né en 1925 à Valmondois, dans le val d’Oise, où il vit actuellement avec sa femme<br />

Elisabeth, dans la maison familiale. Il est le fils de l’écrivain-académicien Georges Duhamel et de la<br />

comédienne de théâtre Blanche Albane.<br />

Sa formation <strong>au</strong> conservatoire de Paris, en 1944-45, avec Olivier Messiaen, et surtout, en dehors du<br />

conservatoire, avec René Leibowitz, le conduit d’abord à s’intéresser à la musique dodécaphonique et <strong>au</strong><br />

sérialisme. Il a pour condisciples Pierre Boulez, Pierre Henry ou Serge Nigg. Il travaille également avec<br />

Pierre Schaeffer dans ses expériences de musique concrète du Club d’Essai de la Radio. Il s’écartera ensuite<br />

assez rapidement de toute tendance radicale ou dogmatique, dans une démarche d’ouverture <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres<br />

styles music<strong>au</strong>x, comme le jazz et les musiques populaires.<br />

A partir de 1957, il commence à travailler pour le <strong>cinéma</strong>, pour des publicités et des courts-métrages. Il<br />

rencontre ensuite Jean-Daniel Pollet et les compositeurs de la « nouvelle vague », comme Rohmer, Rivette,<br />

et surtout Godard, avec qui il va devenir célèbre en composant la musique de Pierrot le fou (1965), puis de<br />

Week End, en 1967.<br />

Il collabore avec Truff<strong>au</strong>t sur 4 films : Baisers volés (1968), La sirène du Mississipi (1969), et Domicile<br />

Conjugal (1970). Il sera également le directeur musical de L’Enfant s<strong>au</strong>vage, en 1969.<br />

En 1964 il rencontre le tout jeune Bertrand Tavernier, qu’il retrouve 10 ans plus tard, pour Que la fête<br />

commence (1974). Ils collaboreront ensuite de façon régulière, pour La mort en direct (1979), Daddy<br />

Nostalgie (1990), et Laisser-passer, en 2001, qui lui v<strong>au</strong>dra l’étoile d’or de compositeur de musique<br />

originale de film.<br />

Le metteur en scène avec lequel il a le plus collaboré est sans conteste Jean-Daniel Pollet, avec une dizaine<br />

de courts et longs métrages, dont Méditerranée, en 1963, qui contribuera à sa renommée de compositeur,<br />

et l’Acrobate, en 1975.<br />

En 1985, avec son grand ami, le compositeur Pierre Jansen, il écrit la Suite Symphonique pour Intolérance,<br />

accompagnant le célèbre film de Griffith, créé <strong>au</strong> Théâtre des Amandiers en 1985, et remise à jour en 2007,<br />

pour la sortie d’une nouvelle copie du film.<br />

Antoine Duhamel a également be<strong>au</strong>coup travaillé pour la télévision, en particulier avec Cl<strong>au</strong>de Barma (Le<br />

chevalier de Maison-Rouge (1962), et surtout le feuilleton Belphégor (1965), avec Juliette Gréco), mais<br />

<strong>au</strong>ssi Robert Mazoyer (Au plaisir de Dieu, feuilleton, 1977) Marcel Bluwal (Les Ritals, 1990), ou Jacques<br />

Rouffio (Jules Ferry, 1993).<br />

En 1980, il fonde l’Ecole de Musique de Villeurbanne, et s’installe en région Rhône-Alpes avec sa femme<br />

Elisabeth. Cette école, qu’il dirigera pendant 6 ans, lui permet de susciter une démarche pédagogique axée<br />

sur la pratique collective et la création, ouverte à toutes les musiques et à d’<strong>au</strong>tres formes d’expression<br />

artistique.<br />

Connu surtout pour sa musique de film, Antoine Duhamel revendique le fait d’être avant tout un<br />

compositeur de musique : il a également composé 9 opéras, qui lui tiennent particulièrement à cœur, et de<br />

très nombreuses œuvres instrumentales et vocales, très diverses en genres et en effectifs, de la musique<br />

savante à la création théâtrale avec des comédiens, en passant par l’opéra pour enfants.


(Marc Zazzo, 2003)<br />

Paroles d’Antoine Duhamel…<br />

"Les compositeurs qui ont fait comme moi be<strong>au</strong>coup de musique pour le <strong>cinéma</strong>, Pierre Jansen, Georges<br />

Delerue..., sont des compositeurs qui ont le plus grand mal à être pris pour des compositeurs dits sérieux.<br />

C'est comme si on avait touché <strong>au</strong> diable. Or <strong>au</strong>jourd'hui, be<strong>au</strong>coup de compositeurs sérieux ont envie de<br />

faire de la musique de film mais ils n'osent pas de peur d'être déconsidérés."<br />

Cité par François Piatier, sur le site Musique nouvelle en Liberté, www.mnl-paris.com<br />

"Alors que, pour la plupart des gens, la musique de film est un accessoire que l’on pose dans un coin, [j’ai]<br />

toujours pensé qu’elle jouait un rôle important sur la structure, sur l’explicitation des émotions",<br />

Antoine Duhamel <strong>au</strong>x Cahiers du <strong>cinéma</strong>, (hors-série Musiques <strong>au</strong> <strong>cinéma</strong>, 1995).<br />

« Je pense que c'est très important dans la vie d'un compositeur de ne pas faire tout le temps la même<br />

chose. C'est pour cela que j'aime Stravinsky ou Picasso qui sont en renouvellement constant. C'est un gros<br />

problème de la création contemporaine qu'il ne soit pas question pour be<strong>au</strong>coup de compositeurs dits<br />

sérieux de n'avoir pas la moindre référence à quelque chose qui soit proche du jazz ou de la chanson. Alors<br />

que tous les compositeurs de Monteverdi à Bach en passant par Mozart ou Beethoven ont eu tout le temps<br />

une certaine liberté. Les compositeurs actuels ne sortent pas de leur tour d'ivoire. Cette variété<br />

m'intéresse compte tenu du fait que ce soit également une recherche de qualité. «<br />

Antoine Duhamel, entretien avec Benoît Basirico (2005), sur le site cinezik.org<br />

« La première fois que j'ai eu un choc positif me disant qu'on pouvait imaginer d'avoir une musique<br />

<strong>au</strong>dacieuse, c'était le début de Citizen Kane. Mais ce n'était pas seulement ça : c'était <strong>au</strong>ssi tous ces films<br />

que je voyais à la Cinémathèque, et dans une salle à côté de Musée Guimet, où on projetait régulièrement<br />

des muets, qu'un ami, Joseph Kosma dont j'honore toujours la mémoire, accompagnait <strong>au</strong> piano. A cette<br />

époque, j'étais plutôt Ecole de Vienne, mon maître était René Leibowitz, et j'étais passionné par<br />

Schoenberg, Berg, Webern. »<br />

« Quand j'étais jeune compositeur, j'avais toujours des envies pour faire <strong>au</strong>ssi, du jazz, de la chanson, du<br />

tango… Je ne rejetais rien. Je me rappelle très bien l'opposition très vive que j'ai eue avec Boulez, de bonne<br />

heure. Je trouvais L'Ange Bleu formidable, pour lui ça n'avait <strong>au</strong>cun intérêt, contrairement <strong>au</strong> Jeanne d'Arc<br />

de Dreyer.<br />

Cette tendance s'est be<strong>au</strong>coup accentuée dans mes années de cinéphilie, entre 1945 et 1955, durant<br />

lesquelles j'allais <strong>au</strong>tant que je pouvais voir des comédies musicales. Jeune compositeur dodécaphoniste,<br />

je me creusais la tête à me demander comment, avec le langage dodécaphonique, écrire de la musique qui<br />

pourrait donner un plaisir, une joie pareille à celle que je trouvais dans les Gershwin et dans les grandes<br />

comédies musicales américaines… ».<br />

« Mon rêve serait d'arriver à faire une œuvre personnelle pour le <strong>cinéma</strong>. C'est ce qui s'est produit pour<br />

Diamètres, Méditerranée, Pierrot le Fou, et avec un certain nombre de films… »<br />

« …pour moi, faire de la musique de film, c'est toujours avoir des problèmes à résoudre. »<br />

Antoine Duhamel, entretien avec Benoît Basirico & Frédéric Camus (2007), sur le site cinezik.org


Stéphane Lerouge :<br />

Antoine Duhamel, vu par…<br />

N'empêche : à jongler avec le jazz et la java, à s'aventurer dans tous les domaines de la musique, notre<br />

nomade symphoniste a certainement contribué à brouiller son image. Comment est-il perçu ? En raccourci,<br />

les gens de <strong>cinéma</strong> voient en lui un compositeur contemporain, à la frontière de l'<strong>au</strong>stère, les esthètes de<br />

la musique contemporaine un mercenaire de la musique de film. Il est parfois difficile d'appartenir à une<br />

seule famille quand on voudrait toutes les revendiquer... Mais c'est peut-être ce qui fait la richesse<br />

<strong>d'Antoine</strong> Duhamel, son originalité sur l'échiquier de la musique d'<strong>au</strong>jourd'hui. Branchez-le sur Boulez, il<br />

vous parlera de Micheline Dax. Evoquez Tintin et les oranges bleues, il vous répondra sur Godard ou Pollet.<br />

Aucun sujet ne lui résiste : il sera <strong>au</strong>ssi intarissable sur Bertrand Tavernier, Frank Zappa, Stravinski ou Dave.<br />

Tel est Antoine Duhamel : octogénaire <strong>au</strong>x sourires et caprices d'enfant, créateur fantasque en dehors de<br />

tout système ou establishment, <strong>au</strong>teur d'une oeuvre captivante dont les contours restent encore à cerner.<br />

Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, Editions textuel, 2007.<br />

Antoine Duhamel, un musicien des mots et des images, par François Piatier<br />

Antoine Duhamel ne renie pas ses affinités pour la musique de film mais il veut sortir de l'ombre. Son<br />

œuvre, qui dépasse largement les frontières du Septième Art, recouvre avec un égal bonheur les domaines<br />

de la musique instrumentale et surtout de la musique lyrique. Sans dogme, il conduit son inspiration selon<br />

un seul critère, le plaisir d'écrire […]<br />

La finesse de sa culture, gagnée à la fréquentation assidue de la langue à travers le théâtre (sa mère), la<br />

littérature (son père) et la poésie, se traduit à chaque instant dans son discours musical, témoin de ses<br />

connaissances, de ses recherches, de ses plaisirs et de ses victoires. Il a vécu à fond chacune de ses<br />

aventures, celle de l'opéra, celle du <strong>cinéma</strong> et celle de la musique sérieuse, sans jamais se renier.<br />

François Piatier, sur le site Musique nouvelle en Liberté, www.mnl-paris.com


La collaboration Leconte- Duhamel :<br />

Patrice Leconte s’intéresse depuis longtemps à la musique d’Antoine Duhamel, en particulier <strong>au</strong>x musiques<br />

qu’il a composées pour Godard et pour Méditerranée, de Pollet, mais il ne le connaît pas personnellement.<br />

Il va entrer en contact avec lui par l’intermédiaire d’un de ses producteurs, Philippe Carcassonne. « Les<br />

choses ont démarré ainsi. C’est parti d’un enthousiasme personnel sur lequel un producteur intelligent a<br />

soufflé comme sur une braise » 1<br />

D’abord intrigué, Leconte éprouve rapidement de la sympathie pour le « personnage » Duhamel : « j’aime<br />

cet homme, sa musique, son physique fou, son allure extraterrestre, mais <strong>au</strong>ssi la bienveillance, la bonté<br />

qu’il dégage ».<br />

Place de la musique dans le film :<br />

La musique dans le film est présente pendant environ 34 minutes, soit le tiers de la durée totale (1h 42).<br />

Il s’agit la plupart du temps d’une musique instrumentale, à l’exception du « Libera me »qui accompagne la<br />

scène du duel, la plus longue séquence musicale du film (environ 2’ 30), et de la chanson «Le Bel esprit »,<br />

que l’on entend quand Mathilde fait son apparition à la cour, rompant ainsi le contrat passé avec son futur<br />

époux, le vieux Montalieri.<br />

Musique d’écran- musique de fosse :<br />

En suivant la terminologie de Michel Chion, on peut distinguer <strong>au</strong> <strong>cinéma</strong> deux types de musiques, dont la<br />

frontière, d’ailleurs est très perméable : la musique « d’écran » dont le lien avec l’action peut être établie,<br />

et la musique « de fosse » (en référence à l’opéra) que les personnages du film ne sont pas censés<br />

entendre, et dont le spectateur ne peut identifier la provenance.<br />

Outre «Le Bel esprit », il y a dans Ridicule d’<strong>au</strong>tres musiques « d’écran », Ainsi lorsqu’on entend du clavecin<br />

dans les salons (variations sur Ah vous dirai-je maman, citation de la musique de Mozart, chap. 4, 14’40 et<br />

16’27), ou lors de la leçon de danse chez le marquis de Bellegarde, où l’on voit le personnage joué par<br />

Rochefort mener la leçon depuis le clavecin (chap. 5, 27’33) ; lors du dîner de Guines (chap. 5, 31’54), une<br />

jeune fille, là encore, joue du clavecin, placé directement sous la table du repas.<br />

Mais la principale musique « de source », bien qu’on ne voit pas les musiciens à l’écran, est certainement la<br />

gavotte qui accompagne la scène du « bal de l’<strong>au</strong>tomne », une scène cruciale du film, <strong>au</strong> cours de laquelle<br />

les personnages princip<strong>au</strong>x « tombent les masques », <strong>au</strong> sens propre comme <strong>au</strong> figuré. C’est d’ailleurs<br />

cette musique qui va servir de thème principal <strong>au</strong> film, et l’une des premières composées, puisqu’elle a dû<br />

servir de support <strong>au</strong> tournage de la scène du bal, <strong>au</strong> même titre que « la volte », « le dîner de Guines », ou<br />

«Le Bel esprit » (chap. 10, 63’45), dans les scènes où l’on voit la source de la musique (le clavecin, la<br />

chanteuse) à l’écran.<br />

Cette contrainte fonctionnelle, imposée par les impératifs du tournage, n’est pas toujours du goût du<br />

compositeur, mais peut influencer ses choix et même conditionner l’ensemble de son projet musical,<br />

comme l’explique Antoine Duhamel :<br />

« Composer la musique avant, je n’y crois pas tellement, et j’ai même souvent pensé que dans plusieurs des<br />

films sur lesquels j’ai travaillé, les musiques obligatoirement composées avant parce qu’elles jouaient un<br />

rôle dans le tournage m’influençaient dans un sens que je n’avais pas vraiment voulu. Dans Ridicule, j’avais<br />

écrit <strong>au</strong> piano cette gavotte sur laquelle ils dansent. Leconte s’en est servi <strong>au</strong> tournage, et, <strong>au</strong> montage,<br />

j’entendais la gavotte partout dans le film... C’était une nouvelle contrainte, qui m’incitait à faire des<br />

variations sur la gavotte. Souvent, les musiques faites avant tournage vous limitent quelquefois dans le<br />

choix final ». 2<br />

Sur le même sujet, voici l’analyse de Patrice Leconte : « Le problème de la musique originale <strong>au</strong> <strong>cinéma</strong>,<br />

c’est qu’elle arrive souvent en bout de course, une fois le montage terminé. Alors qu’on <strong>au</strong>rait précisément<br />

1 Témoignage de P. Leconte dans l’ouvrage de Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, editions Textuel.<br />

2 http://www.polyphonies.eu/lemensuel/spip.php?article144 (mars 2007)


esoin d’elle <strong>au</strong> début du montage, pour servir de colonne vertébrale pour charpenter le film. Du coup, sur<br />

Ridicule, avec Joëlle Hache ma fidèle monteuse, on a be<strong>au</strong>coup utilisé la maquette de gavotte d’Antoine<br />

comme musique témoin, à titre provisoire. Et, c’est vrai, cette gavotte a fini par nous rentrer dans la tête :<br />

Sa ligne mélodique est vraiment marquante. Résultat, Antoine a construit le thème principal en partant des<br />

quatre premières notes de la gavotte. Ce qui donne un mal pour un bien : cela donne une homogénéité<br />

musicale à l’ensemble du film. J’aime les partitions qui creusent un seul sillon mais qui le creusent bien. » 1<br />

Couleur et unité :<br />

Pour Ridicule, deux possibilités s’offraient <strong>au</strong> compositeur : Soit recréer une musique « d’époque » avec un<br />

orchestre moderne, soit composer une musique <strong>au</strong>x sonorités plus actuelles, mais avec des instruments<br />

d’époque : en commun accord avec Patrice Leconte, c’est ce choix qui a été retenu, et la musique de<br />

Duhamel a été enregistrée par la Grande Ecurie et la Chambre du Roy, l’orchestre de Jean-Cl<strong>au</strong>de Malgoire,<br />

un des premiers ensembles français à s’être consacré à l’interprétation des musiques anciennes sur<br />

instruments d’époque.<br />

Ce choix d’une couleur particulière, sonorités moelleuses des flûtes, ou plus rudes et incisives des cors<br />

naturels, donne à la musique de Ridicule son originalité et son unité première, sans rechercher à obtenir<br />

une <strong>au</strong>thenticité historique qui ne serait pas conforme <strong>au</strong> projet de Patrice Leconte, « ne pas faire un film<br />

de gardien de musée ».<br />

Le deuxième facteur d’unité est, bien entendu, le fait d’utiliser un thème unique qui se prêtera à de<br />

multiples variations : c’est la gavotte de la « Fête de l’<strong>au</strong>tomne » citée plus h<strong>au</strong>t, qui jouera ce rôle. Ce<br />

thème « originel » ne sera entendu que 5 minutes environ avant la fin du film, <strong>au</strong> moment du bal costumé<br />

(chap. 15, 88’51). Il suit le schéma formel d’une gavotte du XVIIIe siècle, c'est-à-dire une danse à 2 temps,<br />

avec un départ en anacrouse, découpée en phrases régulières de 8 mesures. Le thème principal est en<br />

mode mineur. Un épisode central fait entendre de nouve<strong>au</strong>x motifs mélodiques, cette fois ci en majeur,<br />

avant le retour du thème initial mineur. Les timbres prédominants sont les h<strong>au</strong>tbois et les bassons,<br />

renforcés par les cuivres et percussions, sans utilisation des cordes. L’aspect rythmique du thème est<br />

nettement marqué, <strong>au</strong>tour de la cellule de dactyle (longue/brève/brève).<br />

L’idée de départ est de d’abord faire entendre ce thème sous ses différentes transformations, de telle<br />

sorte qu’il soit familier <strong>au</strong> spectateur <strong>au</strong> moment où il apparaît sous sa forme première, dans la scène clé<br />

du bal, point culminant et dénouement de l’action.<br />

Ainsi, dès la séquence d’ouverture, le thème est déjà présent, sous une forme morcelée et théâtrale,<br />

comme insidieuse, hachée par le silence, qui contribue largement <strong>au</strong> climat n<strong>au</strong>séeux et inquiétant de<br />

cette scène, <strong>au</strong> même titre que la lumière très travaillée des rayons de soleil qui percent les volets fermés<br />

et découpent comme des lames l’obscurité censée protéger le vieillard impotent et mourant qui s’y terre,<br />

privé de la parole dont il usait si bien <strong>au</strong>trefois, comme d’une arme tranchante.<br />

Le générique qui suit est, lui <strong>au</strong>ssi, dérivé de la gavotte, dans une version plus lente et plus accentuée,<br />

moins dansante, dans une orchestration plus étoffée et une texture plus touffue où les cordes et les<br />

cuivres dominent, ce qui donne un aspect plus solennel et plus pesant <strong>au</strong> thème, exposé d’abord dans le<br />

grave :<br />

1 Témoignage de P. Leconte dans l’ouvrage de Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, editions Textuel.


Tout <strong>au</strong> long du film, ce thème subira ainsi toutes sortes de transformations, du rythme, de la métrique, de<br />

l’harmonie, de l’orchestration, de l’arrangement, qui l’éloignent même parfois largement de sa version<br />

originale.<br />

Ce principe de variation, qui assure l’unité musicale de la composition, est sans doute <strong>au</strong>ssi à l’origine de la<br />

citation par Duhamel des variations sur « Ah vous dirai-je maman » de Mozart, une oeuvre de référence de<br />

la forme « thème et variations ».<br />

D’<strong>au</strong>tre part, comme l’explique Antoine Duhamel, cet emprunt à Mozart était <strong>au</strong>ssi un moyen d’adresser<br />

un clin d’œil à son illustre prédécesseur, qui <strong>au</strong>rait très bien pu être présent à Paris à l’époque où se situe<br />

l’action.<br />

Mathilde :<br />

Ce thème est l’un des seuls dans la musique du film à être associé à un personnage précis. La mélodie est<br />

<strong>au</strong>ssi dérivée du thème principal, même si sa parenté paraît lointaine, tant la présentation en est<br />

transformée : cette fois ci le thème est en majeur, d’allure ternaire, joué par 2 flûtes accompagnées par un<br />

luth, ce qui lui donne un caractère intime et sensuel, dans un style galant <strong>au</strong>x lignes mélodiques<br />

nonchalantes entrelacées en imitation, propre à évoquer la fraîcheur et la grâce de la jeune femme, qui<br />

séduit Ponceludon dès sa première apparition…<br />

Ce thème reviendra 3 fois, toujours associé à une scène où les deux jeunes gens se trouvent en tête à tête<br />

dans la nature ensoleillée : à la première apparition de Mathilde (chap. 5, 23’ 38’’), lors de la récolte du<br />

pollen par une méthode originale, à l’érotisme subtil et raffiné (chap. 5, 33’ 36’’), et enfin lors d’une<br />

promenade <strong>au</strong> bord de la rivière (chap. 6, 41’ 04’’).<br />

Rôle de la musique dans la dramaturgie :<br />

L’action de Ridicule se déroule à une période charnière, où se joue en arrière-plan l’affrontement imminent<br />

entre deux mondes, celui qui finit, le cercle fermé et pourrissant de la Cour, et celui qui s’annonce, celui du<br />

progrès scientifique et social, de la fin des privilèges. Le parcours de Ponceludon dans le film est une sorte<br />

de métaphore de l’évolution de la société, il est l’homme du monde à venir, il en pressent les nouve<strong>au</strong>x<br />

enjeux. La perception du conflit entre ces deux mondes, exprimé par le scénario et la mise en scène, est<br />

renforcée par la musique, qui, à plusieurs moments dans le film confronte deux climats music<strong>au</strong>x<br />

différents, en jouant de l’ambiguïté entre les modes mineur (le monde du passé) et majeur (l’avenir). Cette<br />

confrontation souligne des moments charnières du film.<br />

Ainsi, la première fois, lorsque Ponceludon retourne dans la Dombes, après s’être ridiculisé dans un dîner<br />

(chap. 10).<br />

Pendant sa chev<strong>au</strong>chée, filmée en caméra subjective, la bande-son mêle galop du cheval, musique et<br />

bribes de conversations entendues <strong>au</strong>paravant, qui figurent les pensées qui viennent à l’esprit du jeune<br />

homme, <strong>au</strong> gré des paysages traversés. La musique, de la même manière, évolue <strong>au</strong> fil du voyage : <strong>au</strong><br />

début on entend nettement le thème principal, sous une forme dynamique qui correspond à la<br />

chev<strong>au</strong>chée, puis, progressivement, le tempo se ralentit et on entend un nouve<strong>au</strong> motif, dérivé de la tête<br />

du thème, exposé dans un tempo très lent, devenu presque méditatif. Ce motif, à l’origine en mineur, va<br />

presque imperceptiblement muter dans un mode ambigu, entre majeur et mineur.


Cette juxtaposition, ici assez progressive, peut correspondre à l’évolution des sentiments du personnage,<br />

qui a subi un premier échec à la cour, qui rentre chez lui, dans le monde de la réalité, de la misère et des<br />

solutions à apporter, non plus par les mots, mais par l’intelligence – la raison – et l’action concrète.<br />

Et c’est ce même motif qui reviendra, suite à une semblable superposition, mais be<strong>au</strong>coup plus crue que la<br />

première fois, une sorte de « tuilage » entre plusieurs musiques, à la fin du « Bal de l’Automne », juste<br />

après le discours libérateur de Ponceludon (chap.15, 1h 32’ 52’’). Cette fois, c’est <strong>au</strong> thème principal, la<br />

gavotte, danse de cour, que se substitue peu à peu le motif « majeur-mineur », qui fait la transition directe<br />

avec l’épilogue, en Angleterre, avant le retour du générique final, sensiblement semblable <strong>au</strong> générique de<br />

début.<br />

Le Duel :<br />

L’idée de mise en scène de Patrice Leconte pour la séquence du duel (« comment tourner une scène si<br />

connotée ? ») a été de « filmer <strong>au</strong> ralenti des personnages presqu’immobiles » 1 . Ensuite, <strong>au</strong> montage, pour<br />

donner une cohérence à la séquence, le réalisateur a utilisé une chanson composée par Angelo<br />

Badalamonti pour La Cité des enfants perdus, le film de Caro et Jeunet, interprétée par Marianne Faithfull.<br />

Comme souvent, lorsqu’un réalisateur utilise <strong>au</strong> montage une musique préexistante, Patrice Leconte a<br />

ensuite eu du mal à imaginer pour cette séquence une <strong>au</strong>tre musique que la chanson de Marianne<br />

Faithfull. Cette anecdote est mentionnée par Antoine Duhamel dans les bonus de l’édition DVD, mais <strong>au</strong>ssi<br />

racontée par Stéphane Lerouge dans une conférence visible sur internet 2 , dans laquelle il explique combien<br />

Antoine Duhamel a dû user de toute sa persuasion pour convaincre Leconte de ne pas conserver la<br />

chanson de Badalamonti, <strong>au</strong> risque de nuire à la cohérence et à l’esprit unitaire de la partition qu’il avait<br />

conçue pour le film.<br />

Toujours d’après Stéphane Lerouge, Antoine Duhamel s’est cependant en quelque sorte inspiré lui <strong>au</strong>ssi de<br />

la chanson du montage, en concevant une pièce vocale à 3 voix, dérivée là-encore du thème principal, sur<br />

le texte du « Libera me », qui fait partie de la messe de requiem. Cette pièce <strong>au</strong> caractère funèbre,<br />

méditatif, contribue parfaitement à la réussite de cette séquence, sorte de table<strong>au</strong> onirique, comme<br />

suspendu hors du temps.<br />

Patrice Leconte, quant à lui, a surmonté sa frustration, puisqu’il a eu, depuis, l’occasion d’utiliser la<br />

chanson de Marianne Faithfull "Who Will Take My Dreams Away » dans son film La Fille sur le pont, en<br />

1999.<br />

Sources :<br />

Bibliographie :<br />

Lerouge, Stéphane, Conversations avec Antoine Duhamel, Editions Textuel, 2007.<br />

Chion, Michel, La musique <strong>au</strong> <strong>cinéma</strong>, Fayard, "Les Chemins de la musique", 1995.<br />

Discographie :<br />

Le <strong>cinéma</strong> d’Antoine Duhamel, vol. 1 &2, compilation réalisée par Stéphane Lerouge, Universal Jazz<br />

B.O. du film Ridicule, Decca 452 697-2, 1996<br />

Sites internet :<br />

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Duhamel. La page très complète sur le site « MNL » n’est malheureusement<br />

plus active .<br />

http://www.seances.org/html/cycle.asp?id=406 extrait de conversations avec AD, Stéphane Lerouge<br />

http://www.cinezik.org/infos/affinfo.php?titre0=20061217131127 (liens vers interviews avec AD)<br />

http://www.zzproductions.fr/pdf/antoine_duhamel_et_pierre_jansen.pdf: entretien à l’occasion de la musique<br />

réalisée en commun pour le film Intolérance ; bibliographie et webographie (liens manquants).<br />

Conférence de Stéphane Lerouge : Cours de <strong>cinéma</strong> : « La projection musicale »<br />

La conférence dure 54’. Le passage concernant Ridicule commence à 34’<br />

http://www.forumdesimages.fr/fdi/L-Academie/Les-Cours-de-cinema-en-video<br />

1 « Leçon de Cinéma » de Patrice Leconte, Association Collège <strong>au</strong> Cinéma <strong>37</strong>, 24 mars 2010.<br />

2 http://www.forumdesimages.fr/fdi/L-Academie/Les-Cours-de-cinema-en-video


Pistes pédagogiques<br />

Le principe de variation : variations « Ah vous dirai-je maman », WA Mozart<br />

Gavottes baroques avec variations (par exemple gavotte et 6 doubles J. Ph. Rame<strong>au</strong>)<br />

Timbre : la différence entre instruments anciens et modernes : flûte traversière, clavecin, cuivres naturels<br />

Musique et danse : danse baroque, exemple de la gavotte.<br />

Musique et image - étude de séquences :<br />

La scène du duel : comparaison avec d’<strong>au</strong>tres musiques (Marianne Faithfull…) et avec la scène du duel de<br />

Barry Lyndon (1975) de Kubrick, variations sur la Sarabande de Haendel.<br />

Utilisation de "Who Will Take My Dreams Away?" par Patrice Leconte dans La Fille sur le pont et par<br />

Caro/Jeunet dans la cité des enfants perdus.<br />

Fonctions de la musique :<br />

Musique d’écran/musique de fosse : par exemple dans l’enchainement des scènes : « retour vers la<br />

Dombes » (chap.10) <strong>au</strong> « Bel esprit ».<br />

Un thème attaché à un personnage : Mathilde – comparaison des 3 scènes.<br />

Progression dramatique par la musique à partir du « Bal de l’<strong>au</strong>tomne » (chap. 15 & 16).<br />

Comparaisons avec d’<strong>au</strong>tres séquences équivalentes d’<strong>au</strong>tres films « en costumes » :<br />

Que la fête commence, Bertrand Tavernier (1974). Musique de Philippe d’Orléans arrangée par Antoine<br />

Duhamel.<br />

Casanova, Fellini (1976).<br />

Amadeus, Milos Forman (1984)<br />

Marie-Antoinette, Sofia Coppola (2006) (avec Marianne Faithfull !)<br />

Liens :<br />

La Fille sur le pont : http://www.youtube.com/watch?v=OaamZLKRul0<br />

Gavotte extraite des Boréades, par les Musiciens du Louvre : (version concert) :<br />

http://www.youtube.com/watch#!v=qMXw7mJM6e4&feature=related<br />

Gavotte extraite d’Atys de Lully (version dansée) :<br />

http://www.youtube.com/watch#!v=u9b6ldKKqu0&feature=related<br />

Exemple de gavotte dansée à 4 : http://www.youtube.com/watch?v=sZGcW2JX7rk<br />

Le duel de Barry Lyndon : http://www.youtube.com/watch?v=6bos2ZTGNZc<br />

Le duel de Ridicule : http://www.youtube.com/watch?v=7g4H2Ivstn8&feature=related<br />

La scène d’ouverture de Ridicule : http://www.youtube.com/watch?v=2ZKG555N6Rg&feature=related

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