Agone n° 25 - pdf - Atheles
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JACQUES BOUVERESSE 11<br />
interdit de penser que notre système, malgré ses défauts et ses ratés,<br />
qui sont ceux de toute institution et de toute entreprise humaines,<br />
réussit tout de même à faire connaître ceux qui sont réellement dignes<br />
d’être connus et à faire connaître davantage ceux qui méritent davantage<br />
de l’être ?<br />
Les éditeurs, qui sont des gens sérieux, nous disent qu’il n’y a aujourd’hui<br />
aucun risque qu’un livre réellement important échappe à<br />
leur attention et ne réussisse pas à être publié à peu près immédiatement.<br />
Et je ne crois pas non plus qu’il faille craindre qu’un<br />
livre réellement important qui a été publié échappe totalement à l’attention<br />
des médias et ne soit pas traité par eux comme il le mérite. Je<br />
vous entends déjà ricaner et citer un de vos auteurs favoris,<br />
Lichtenberg : « Il y a des gens qui peuvent croire ce qu’ils veulent, ce<br />
sont d’heureuses créatures. » Mais si vous n’étiez pas à ce point prévenu<br />
contre notre système libéral et incapable de lui reconnaître des<br />
vertus et des mérites quelconques, vous admettriez peut-être que rien<br />
n’autorise à supposer que, dans le domaine intellectuel comme dans<br />
tous les autres, il favorise nécessairement plus les bluffeurs, les faiseurs,<br />
les escrocs et les cyniques que les gens honnêtes. Je n’irais certes<br />
pas jusqu’à dire qu’il est capable de remplacer la Providence ou,<br />
comme l’a fait un économiste libéral d’autrefois, que « digitus Dei est<br />
hic ». Mais, jusqu’ici, qu’a-t-on inventé de plus satisfaisant et de plus<br />
juste pour distinguer et avantager les meilleurs et servir en même<br />
temps au mieux l’intérêt général ?<br />
Je sais, naturellement, très bien que vous n’avez jamais été vraiment<br />
intéressé et encore moins séduit par la théorie marxiste. Mais, en vous<br />
lisant, je trouve que ce que vous écrivez rappelle fâcheusement les méthodes<br />
dogmatiques et désuètes de la critique de l’idéologie et également<br />
celles de la philosophie du soupçon en général. Vous faites partie<br />
de ces gens qui, à force de refuser de croire les apparences, finissent<br />
par ne plus reconnaître la réalité qu’ils ont sous les yeux. Et même si<br />
un de vos contemporains et compatriotes, Robert Musil, a écrit qu’il ne<br />
fallait pas accorder trop d’importance à la forme que prend une activité<br />
(intellectuelle ou autre) dans la conscience de ceux qui l’exercent, je<br />
dois vous dire franchement que les gens n’acceptent plus aujourd’hui<br />
que l’on porte atteinte aussi brutalement et injustement que vous le<br />
faites dans le cas des journalistes à l’idée qu’ils se font de leur profes-