Les Nouvelles du TOP20 - Jean-Pierre Planque
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<strong>Les</strong> <strong>Nouvelles</strong> <strong>du</strong> <strong>TOP20</strong><br />
je réussi à faire ça ? Moi qui ne ferais pas de mal à une mouche. S'il faut encore me<br />
défendre, pourrais-je le refaire ? »<br />
Le train retourne dans la lumière. Dans le compartiment, il n'y a plus que la<br />
vieille femme, qui me regarde, très pâle. Je murmure :<br />
— Il s'est sauvé ? Il faut alerter le contrôleur.<br />
Mais, à bout de forces, je m'écroule à ma place. Quelques minutes passent.<br />
Mon souffle revient lentement.<br />
La porte <strong>du</strong> compartiment s'ouvre doucement. La vieille femme se tourne et<br />
pousse un petit cri, je lève les yeux. Dans l'embrasure un homme, la trentaine, vêtu<br />
d'un T-shirt noir immaculé nous regarde. Une casquette lui couvre le front et descend<br />
jusqu'aux yeux. Il ne porte pas de bagage. Il n'a aucune trace de blessure.<br />
Je me mets à trembler. L'homme tire le store qui bouche la vitre de la porte. Il<br />
s'avance, se penche légèrement, m'attrape le poignet. Je n'ouvre pas la bouche. Je<br />
devine ce qu'il tient dans l'autre main.<br />
La vieille femme n'essaie pas de se lever. Il ricane, sans la regarder : « Alors la<br />
vieille, t'as les j'tons ? T'inquiète pas, ça va te plaire, tu ne dois même plus savoir<br />
comment on fait. »<br />
Il me force à me lever. Je sens la tablette qui me rentre dans le dos.<br />
Il soulève ma jupe.<br />
La vieille dame me glisse les ciseaux dans la main.<br />
« Non, je ne peux pas. C'est trop horrible, c'est un cauchemar. Je n'y arriverai<br />
pas. Je savais que je ne pourrai pas recommencer. »<br />
J'ouvre la main. <strong>Les</strong> ciseaux tombent par terre. Le violeur essaie de baisser ma<br />
culotte.<br />
Il s'effondre à terre, en se tordant de douleur. Il pousse des petits gémissements<br />
entremêlés de juron : « Putain, salope, je vais avoir ta peau. » Je le regarde,<br />
incré<strong>du</strong>le.<br />
Il a un trou au côté. Je lève les yeux. Ma compagne de voyage tient une aiguille<br />
à tricoter ensanglantée dans sa main.<br />
Elle me regarde, avec une grimace d'excuse. « Je n'ai pas essayé de me lever,<br />
excusez-moi, les personnes âgées apprennent avec l'expérience. »<br />
Je suis moins sage qu'elle. Je tente d'attraper le signal d'alarme. Au moment où<br />
je tiens la poignée entre mes doigts, le train pénètre dans un tunnel. Je tire de toutes<br />
mes forces, mais je n'entends que le bruit de l'air contre les parois. Dans le noir, je<br />
sens monter une envie de vomir. « Est-ce que ça va recommencer ? Comment<br />
échapper à ça ? » Le train retourne dans la lumière.<br />
La vieille femme me regarde, les yeux mi-clos, l'air rêveur.<br />
— Ma chère, après le prochain tunnel, si vous changiez de compartiment ? Je<br />
crois que votre présence ici est une erreur.<br />
Je rougis, comme une écolière grondée par son institutrice.<br />
— Vous avez raison, madame, et vous ?<br />
— Oh moi, vous savez, je ne risque rien. Je ne suis qu'une vieille femme. Et<br />
puis, j'ai mes aiguilles à tricoter.<br />
Et alors que la porte <strong>du</strong> compartiment s'ouvre doucement et que nous voyons<br />
sans surprise apparaître un homme vêtu d'un T-shirt noir, elle secoue en souriant<br />
l'ouvrage qu'elle tient à la main, une longue écharpe aux fils multicolores entremêlés.<br />
Elle marmonne :<br />
— Que voulez-vous, ma chère, à chacun son destin…