25.06.2013 Views

Dossier pédagogique Journal d'une femme de chambre

Dossier pédagogique Journal d'une femme de chambre

Dossier pédagogique Journal d'une femme de chambre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

UNE ŒUVRE DE JUSTICE SOCIALE<br />

L'une <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s les plus révoltantes <strong>de</strong> la société bourgeoise est la domesticité,<br />

forme mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l'esclavage : " On prétend qu'il n'y a plus d'esclavage... Ah ! Voilà une<br />

bonne blague, par exemple... Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon <strong>de</strong>s<br />

esclaves ?... Esclaves <strong>de</strong> fait, avec tout ce que l'esclavage comporte <strong>de</strong> vileté morale,<br />

d'inévitable corruption, <strong>de</strong> révolte engendreuse <strong>de</strong> haines. " Et les trafiquants d'esclaves<br />

mo<strong>de</strong>rnes, ce sont ces officines scandaleuses, mais légales, que sont les bureaux <strong>de</strong><br />

placement, relayés par <strong>de</strong>s sociétés prétendument "charitables" ou "philanthropiques",<br />

qui, au nom <strong>de</strong> Dieu ou <strong>de</strong> l'amour du prochain, s'engraissent impunément <strong>de</strong> la sueur et<br />

du sang <strong>de</strong>s nouveaux serfs.<br />

Le domestique est un être déclassé et " disparate ", " un monstrueux hybri<strong>de</strong> humain ",<br />

qui " n'est plus du peuple, d'où il sort ", sans être pour autant " <strong>de</strong> la bourgeoisie où il vit<br />

et où il tend ".<br />

• L'instabilité est son lot : les <strong>femme</strong>s <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> sont ballottées <strong>de</strong> place en place, au<br />

gré <strong>de</strong>s caprices <strong>de</strong>s maîtres.<br />

• Elles sont surexploitées économiquement.<br />

• Elles sont traitées comme <strong>de</strong>s travailleuses sexuelles à domicile – exutoires pour les<br />

maris frustrés, initiatrices pour les fils à déniaiser ou à retenir à la maison.<br />

• Elles sont humiliées à tout propos par <strong>de</strong>s maîtres à l'inébranlable bonne conscience,<br />

qui traitent leur valetaille comme du cheptel.<br />

• Elles sont aliénées idéologiquement par leurs employeurs, et, partant, incapables <strong>de</strong> se<br />

battre à armes égales, parce que hors d'état <strong>de</strong> trouver une nourriture intellectuelle qui<br />

leur laisse un espoir <strong>de</strong> révolte et d'émancipation.<br />

Aussi Mirbeau entend-il à la fois ai<strong>de</strong>r les opprimé(e)s à prendre conscience <strong>de</strong> leur<br />

misérable condition et susciter dans l'opinion publique un scandale tel qu'il oblige les<br />

gouvernants à intervenir pour mettre un terme à cette honte permanente. En nous<br />

obligeant à découvrir l'abus sous la règle, et, sous le vernis <strong>de</strong>s apparences, <strong>de</strong>s horreurs<br />

sociales insoupçonnées, il exprime sa pitié douloureuse pour " les misérables et les<br />

souffrants <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> " auxquels il a " donné son cœur ", comme le lui écrit Zola.<br />

Ce dégoût et cette révolte contre un ordre social inhumain s'enracinent dans<br />

un écœurement existentiel qui perdure ; et la pourriture morale <strong>de</strong>s classes dominantes<br />

reflète la pourriture universelle, d'où germe toute vie. " Il s'exhale du <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong><br />

<strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>une âcre o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> décomposition <strong>de</strong>s chairs et <strong>de</strong> corruption <strong>de</strong>s<br />

âmes, qui place l'œuvre sous le signe <strong>de</strong> la mort ", écrit Serge Duret ; " la loi <strong>de</strong><br />

l'entropie règne sur les corps " – et sur les âmes. Ici, le tragique <strong>de</strong> l'humaine<br />

condition sourd à tout instant <strong>de</strong> l'évocation <strong>de</strong> la quotidienneté dans tout ce qu'elle a <strong>de</strong><br />

vi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> vulgaire et <strong>de</strong> sordi<strong>de</strong>. "L'ennui" dont souffre Célestine, c'est "l'expérience du<br />

vi<strong>de</strong>" évoquée par André Comte-Sponville. Bien avant Sartre, Mirbeau s'emploie à<br />

susciter chez nous une véritable "nausée" existentielle.<br />

LA THÉRAPIE PAR L'ÉCRITURE<br />

Pourtant, si étouffante et morbi<strong>de</strong> que soit l'atmosphère, si décourageante que soit la perspective<br />

<strong>d'une</strong> humanité vouée sans rémission au pourrissement et au néant, une fois <strong>de</strong> plus, l'écrituresupplice<br />

se mue en délicieuse thérapie. Nouvelle illustration <strong>de</strong> la dialectique universelle : ce qui<br />

<strong>de</strong>vrait être source d'écœurement se révèle tonique et jubilatoire ; <strong>de</strong> l'exhibition <strong>de</strong> nos tares naît<br />

un amusement contagieux ; du fond du désespoir s'affirme la volonté d'un mieux qui ai<strong>de</strong> à<br />

supporter moins douloureusement une existence absur<strong>de</strong> ;la nausée n'est que la première étape<br />

indispensable à l'"élévation" et à l’engagement social ; et Mirbeau ne nous enfonce,<br />

<strong>pédagogique</strong>ment, la tête dans la boue, la "charogne" et les "miasmes morbi<strong>de</strong>s", que pour mieux<br />

nous inciter, comme Bau<strong>de</strong>laire, à chercher ailleurs une sérénité, voire un épanouissement<br />

spirituel.<br />

Pierre MICHEL<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la société Octave Mirbeau (sur http://mirbeau.asso.fr/rlejournal.htm)<br />

<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 11 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!