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Dossier pédagogique Journal d'une femme de chambre

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NOTES DE TRAVAIL<br />

En 1900, lors <strong>de</strong> sa parution, Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> fit l’effet d’une bombe.<br />

Malgré la presse conservatrice, qui le passa sous silence, il connut un immense succès <strong>de</strong><br />

librairie. C’est encore aujourd’hui le titre le plus célèbre d’Octave Mirbeau.<br />

D’aucuns, hypocritement pudiques, le relèguent au second rayon, enfer <strong>de</strong>s<br />

bibliothèques, parmi les opuscules croustillants ou sulfureux. C’est le dévaluer pour ne<br />

pas l’entendre. C’est refuser <strong>de</strong> le lire pour ce qu’il est : un cri <strong>de</strong> détresse et <strong>de</strong> colère,<br />

un appel à l’indignation que Mirbeau reprend à son compte. Célestine, c’est elle et c’est<br />

lui. Elle a son rire <strong>de</strong> satiriste, sa verve <strong>de</strong> pamphlétaire, sa fulgurance <strong>de</strong> poète.<br />

Née à Audierne, dans une famille <strong>de</strong> pêcheurs. On n’y mange pas à sa faim. Par une nuit<br />

d’épouvante elle a vu, <strong>de</strong> ses yeux d’enfant, le corps sanglant <strong>de</strong> son père, fracassé par<br />

la tempête. A douze ans, elle n’est plus vierge. Comme beaucoup <strong>de</strong> jeunes Bretonnes, la<br />

voici, encore gamine, qui débarque à Paris pour s’y placer comme bonne. Et c’est, <strong>de</strong><br />

« place » en « place », dans les beaux quartiers <strong>de</strong> la capitale ou chez les notables <strong>de</strong><br />

province, un parcours d’humiliation, d’asservissement physique et moral.<br />

Mais Célestine n’est pas douée pour la soumission. Sous le fard <strong>de</strong>s bonnes manières elle<br />

a tôt fait <strong>de</strong> découvrir le hi<strong>de</strong>ux visage du cynisme et <strong>de</strong> la rapacité ; bafouée dans sa<br />

dignité <strong>de</strong> <strong>femme</strong>, d’être humain à part entière, cette « assommée » tient tête aux<br />

« assommeurs ». Elle rembarre les patrons qui se prévaudraient volontiers d’on se sait<br />

quel droit <strong>de</strong> cuissage. Quand son désir répond au leur, et seulement alors, elle court<br />

l’aventure, au risque d’y laisser <strong>de</strong>s plumes. Quand survient l’amour, elle s’y lance<br />

éperdument, au risque <strong>de</strong> s’y broyer l’âme.<br />

Les mentalités sont contagieuses. Dis-moi qui tu fréquentes je te dirai qui tu <strong>de</strong>viens.<br />

Célestine est une victime, mais une victime intoxiquée par les fallacieuses « valeurs » et<br />

la canaillerie secrète <strong>de</strong>s maîtres et <strong>de</strong> leurs larbins. Comme Brecht, mais bien avant lui,<br />

Mirbeau accompagne son héroïne jusque dans ses aveuglements. Croit-elle trouver son<br />

salut dans une planche pourrie, il nous la montre ravagée <strong>de</strong> ce pitoyable espoir. La<br />

gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ce livre est <strong>de</strong> ne pas rêver un mon<strong>de</strong> où d’increvables orphelines<br />

survivraient à tous les outrages, à jamais immaculées. Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>chambre</strong> est un anti-mélodrame. Et c’est en quoi il nous atteint.<br />

Voici bientôt cent ans que Mirbeau est mort. Les <strong>chambre</strong>s <strong>de</strong> bonne sont <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s<br />

« stu<strong>de</strong>ttes » qui se louent à prix d’or. L’ère du petit personnel féminin, corvéable et<br />

jetable, n’est pas pour autant révolue. Nos assommées d’aujourd’hui sont caissières <strong>de</strong><br />

supermarché ou « techniciennes <strong>de</strong> surface ». Le bureau <strong>de</strong> placement a changé <strong>de</strong> nom,<br />

mais on y fait toujours la queue. Dans les beaux quartiers, la nuit, fouillant poubelle<br />

après poubelle, <strong>de</strong>s ombres vont la faim au ventre. Et l’espoir est toujours en crise.<br />

Du <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> Luis Buñuel a tiré la matière d’un film qui transpose<br />

l’action dans les années 30. La banalité <strong>de</strong> cette petite ville où Célestine est enlisée, la<br />

monotonie <strong>de</strong>s alentours ,le conformisme et la mesquinerie <strong>de</strong>s uns, la brutalité , le<br />

dévergondage, l’intolérance et le fanatisme <strong>de</strong>s autres composent le sombre tableau<br />

d’une province pousse-au-crime qui pourrait assez convenir à un roman <strong>de</strong> Simenon.<br />

Pour être fidèle à Mirbeau il eut fallu nous rendre témoins <strong>de</strong> ces heures enfiévrées où la<br />

<strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>, seule dans sa mansar<strong>de</strong>, reprend le fil <strong>de</strong> ses journées dans une<br />

prose vengeresse. Du matin au soir elle a dû répondre à un prénom qui n’est pas le sien,<br />

être « Marie » pour ses patrons comme celles qui l’ont précédée, n’exprimer rien <strong>de</strong><br />

personnel, n’être qu’un meuble <strong>de</strong> plus, meuble à peine vivant parmi les meubles morts.<br />

Lorsque tout le mon<strong>de</strong> est couché, rendue à elle-même, elle re<strong>de</strong>vient Célestine et ne se<br />

refuse aucune violence d’expression, aucun sursaut <strong>de</strong> révolte. Le film en noir et blanc,<br />

glacial et incisif, ne pouvait laisser place à ces giclées <strong>de</strong> couleurs pures. Il y manque les<br />

coups <strong>de</strong> brosse rageurs d’un Munch, d’un Soutine ou d’un Bacon.<br />

<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 5 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>

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