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Dimanche 25 septembre

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mtm.m. LE <strong>25</strong> SEPTEMBRE 1938 DIMANCHE-ILLUSTRE<br />

Une curieuse scène de « l'Hôtel de Bourgogne », où apparaissent Gaultier-Garguille<br />

Gros Guillaume et Turhipin. (D'après une ancienne estampe d'Abraham Bosse, à<br />

'a Bibliothèque nationale.^<br />

,as COMMENCERONS, si vous le voulez bien,<br />

l'histoire de Gaultier-Garguille par un portrait<br />

qui fixera, d'une manière précise, dans<br />

^otre esprit, les traits physiques, pour le<br />

moins surprenants, de cet étrange personnage.<br />

Voici comment le dépeint un de ses<br />

ontemporains :<br />

« Efflanqué au possible, avec des jambes<br />

interminables et un buste grêle, ce<br />

uvlesque édifice était surmonté d'une<br />

g. ^oouriffée dont la seule vue dilatait la rate.<br />

Quand il parlait, et surtout quand il chantait, c'était un<br />

véritable triomphe. Pas de front morose qu'il n'ait déridé,<br />

pas de souci qu'il n'ait rendu plus léger. Comme disait<br />

Richelieu, on sortait de son théâtre tout ragaillardi avec<br />

des envies folles d'éclater de rire, sans savoir pourquoi.<br />

Mais le rire est si bon... »<br />

Mais d'où venait donc cet homme étonnant ? De quel<br />

argile était-i! pétri ? Qui lui infusa cette verve généreuse,<br />

qui lui mit dans les veines ce feu et lui inonda l'âme de<br />

cette joie ensoleillée ?<br />

On se perdit penjant longtemps en suppositions de toutes<br />

sortes ; puis on finit par découvrir que Gaultier-Garguille,<br />

qui avait pour prénom Hugues, s'appelait, en réalité,<br />

Guéru. fils d'un sieur de Flechels et d'une dame Catherine<br />

de Frische, et qu'il avait vu le jour vers 1573 ou 1574. Luimême<br />

donna sur son compte ces précieux et curieux renseignements<br />

: « Tu sauras, répondait-il à un ami, que la<br />

Normandie m'enfanta, qu'en cette année, les pommes vinrent<br />

en telle abondance qu'il y eut double automne, et qu'on<br />

n'aporéhendait pas moins qu'un déluge de cidre. On vit, en<br />

plusieurs endroits, des pierres, des arbres, des citrouilles et<br />

des personnes qui n'avaient rien de plus que quarante ans-<br />

Ce qui fut interprété par Nostradamus — qui vivait pour<br />

lors — que ma naissance serait alors la mort de la mélancolie<br />

et la production d'un homme qui aurait un souverain<br />

remède contre le mal de rate. »<br />

N effet, Gaultier-Garguille, d'un entrain débordant,<br />

E d'une gaieté invraisemblable, se riait de tout ; et, dès sa<br />

prime jeunesse, on le voit courant les cabarets, en compagnie<br />

de joyeux lurons comme lui ; il fait des farces, on<br />

lui en fait : il rit ; il provoque, en riant, les bandits de<br />

grand chemin ; il se bat, au coin des ruelles... le rire aux<br />

lèvres ! Cependant, une fois, une nuit, il faillit avoir peur<br />

et mourir de terreur l Voici l'aventure qui lui était advenue.<br />

Passant dans un village, il entendit parler d'une auberge<br />

où il y avait — à en croire la rumeur publique —<br />

des revenants qui étouffa'ient tous ceux qui avaient le<br />

malheur d'y coucher. L'aubergiste, accusé de sorcellerie,<br />

avait déjà failli être pendu haut et court...<br />

Gaultier-Garguille, lui. eût affronté une légion de revenants<br />

! Il eut la curiosité de vouloir passer une nuit dans<br />

cette auberge, et dans la chambre sordide où s'étaient<br />

déroulées tant de tragiques aventures. Il se munit de pistolets,<br />

se coucha et ne tarda pas à tomber dans un profond<br />

sommeil. A l'aube, un voyageur ouvrit par erreur la porte<br />

de la chambre où reposait Gaultier-Garguille. Il recula<br />

épouvanté. L'homme qu'il avait devant lui baignait dans son<br />

sang. Le voyageur s'en fut réveiller l'aubergiste ; des garçons<br />

de ferme, accourus au bruit, se précipitèrent à travers<br />

les couloirs de l'étrange demeure et... on découvrit enfin l'auteur<br />

de tout le mal. Une araignée, d'une grosseur monstrueuse,<br />

appliquée sur le sein gauche de Gaultier-Garquille,<br />

lui suçait le sang. Le futur comédien de l'Hôtel de Bourgogne,<br />

sans se laisser impressionner par le spectacle dont<br />

il était l'un des principaux personnages, courut à la cheminée,<br />

et. s'armant des pincettes qui lui tombèrent sous la<br />

main, il saisit l'animal et l'écrasa sous son talon. Cette<br />

fois-là, Gaultier-Garguille n'avait point ri !<br />

En dehors de cette curieuse aventure, toutes les conjonctures<br />

de la vie le mettaient en joie. Il ne rêvait que chansons<br />

et ripailles. Il était passé maître, au surplus, dans<br />

l'art de mystifier ses contemporains. Voici une des farces<br />

qu'il fit un jour à un brave homme auquel il avait demandé<br />

de lui procurer une sorte de carrosse ou de coche (ce mode<br />

de locomotion était alors fort peu usité) dans lequel, disaitil,<br />

il voulait faire une assez longue promenade- Le cocher<br />

prit place sur le siège, en avant du majestueux carrosse, et<br />

Gaultier-Garguille s'installa confortablement à l'intérieur<br />

du véhicule.<br />

— Conduisez-moi, dit-il, à la Taverne du Soleil !<br />

A l'instant où le carrosse était prêt d'arriver, Gaultier<br />

s'aperçut qu'une croisée de la taverne était ouverte : adroit<br />

comme un singe, léger comme une plume, il se hissa au faîte<br />

de la voiture, d'où, avec la rapidité d'une flèche, il s'élança<br />

dans la direction de l'établissement.<br />

Le cocher, déjà fort étonné de ne point voir son voya-<br />

geur descendre au lieu dit, ouvrit le carrosse et poussa un<br />

cri de stupéfaction en constatant qu'il était vide !<br />

Après avoir bien juré, bien tempêté, contre l'escroquerie<br />

dont il venait d'être l'objet, il remonta sur son siège et,<br />

fouettant ses chevaux, fit demi-tour. Mais Gaultier-Garguille<br />

épiait l'instant où, en rebroussant chemin, le carrosse<br />

se retrouverait en face de la même fenêtre, et, d'un bond,<br />

il fut à nouveau dedans ! Alors, d'une voix impérative,<br />

il cria au cocher qu'il s'était trompé et qu'il avait passé la<br />

taverne ! Le cocher, cette fois tremblant de peur, reprit<br />

le chemin qu'il avait déjà parcouru et s'arrêta derechef<br />

devant la porte du cabaret ; mais lorsque, quelques instants<br />

après, Gaultier-Garguille tira sa bourse : « A d'autres,<br />

monsieur le Diable, s'écria le bonhomme complètement<br />

ahuri. Gardez votre argent ! » Il fouetta ses chevaux<br />

et s'en fut à toutes brides !<br />

I\4AIS GAULTIER-GARGUILLE ne tarda point à se découvrir<br />

sa véritable vocation : il était né comédien, il<br />

avait un sens prodigieux du comique et de la farce. Dans<br />

des rôles de vieillard ridicule et de barbon, il était impayable.<br />

Il se couvrait le visage d'une calotte noire à aigrette<br />

blanche et d'un masque à chevelure grise et barbe pointue.<br />

D'énormes lunettes sans verre chevauchaient le nez pustuieùx...<br />

en carton ! Le pourpoint et les chausses de frise<br />

noire soulignaient les angles du corps maigre. Les bras<br />

s'agitaient, en des manches de pourpre ratine de Florence<br />

GAULTIER-GARGUILLE<br />

d'après une estampe de Buret (Bibliothèque nationale)<br />

et les pieds chaussés d'escarpins noirs se démenaient étrangement.<br />

A la ceinture pendaient une dague inoffensive et<br />

une gibecière-..<br />

Gaultier-Garguille ne tarda point à devenir célèbre sur<br />

les planches d'un théâtre fameux construit sur une partie<br />

des terrains de l'ancien hôtel des ducs de Bourgogne, et<br />

qui prit le nom de théâtre de l'hôtel de Bourgogne. Il y<br />

joua, notamment, en la compagnie de deux autres farceurs<br />

émérites surnommés Gros-Guillaume et Turlupin.<br />

Le cardinal de Richelieu ayant entendu parler des trois<br />

compères, à l'époque où ceux-ci divertissaient les écoliers<br />

sur un petit théâtre ambulant, il se les attacha et en fit<br />

les comédiens ordinaires de l'hôtel de Bourgogne. Ils y<br />

remportèrent de véritables triomphes ; mais ces triomphes<br />

alternaient avec des incidents parfois assez vifs, au cours<br />

desquels Gaultier-Garguille faisait preuve, d'ailleurs, d'un<br />

LES ROMANS DE LA VIE...<br />

Une étrange figure<br />

du XVII e siècle<br />

GAULTIER-GARGUILLE<br />

par MAURICE HAMEL<br />

Sous les oripeaux du pitre, sous les allures singulières de<br />

l'homme, Gaultier-Garguille cachait peut-être un comédien<br />

de génie. Qui sait ? En tout cas, sa vie originale et décousue,<br />

son talent primesautier, ses baroques aventures sont<br />

demeurés fameux. Nous allons tenter de les faire revivre ici.<br />

sang-froid remarquable et d'un non moins remarquable esprit<br />

d'à-propos. En voici un exemple.<br />

Les mousquetaires, les gardes du corps étaient autorisés<br />

à entrer sans payer et le parterre en était rempli. Gaultier-<br />

Garguille s'avisa un jour de faire connaître au public que<br />

personne, désormais, ne pénétrerait dans l'enceinte du<br />

théâtre sans avoir acquitté le montant de sa place ; la soldatesque,<br />

indignée, força la porte de la salle, et ivre de<br />

colère, s'enhardit jusqu'à pourchasser les comédiens auxquels<br />

elle voulait infliger une sanguinaire punition ! Gaultier-Garguille<br />

était déjà habillé en vieillard pour la pièce<br />

qu'on allait jouer. Il se présenta sur le théâtre : « Eh !<br />

messieurs, dit-il, en s'adressant aux perturbateurs, épargnez,<br />

je vous en supplie, un vieillard de soixante-quinze<br />

ans qui n'a plus que quelques jours à vivre ! »<br />

Cette plaisanterie fit rire les mutins, et ce que n'auraient<br />

peut-être pas fait les meilleures raisons calma leur<br />

fureur.<br />

Cependant, Gaultier-Garguille continuait de se livrer à<br />

ses habituelles mystifications, et le cardinal de Richelieu<br />

était aussi disposé à les tolérer que prompt à s'en réjouir.<br />

Il avait dans sa troupe un certain abbé qui jouait supérieurement<br />

de la basse de viole, mais qui était fort borné<br />

et avait le crâne très étroit. Gaultier - Garguille, qui<br />

avait eu à se plaindre de l'abbé, feignit de se réconcilier<br />

avec lui pour mieux s'en moquer ensuite. Il le persuada<br />

qu'il y avait urgence à profiter de l'estime que Son Eminence<br />

avait pour lui en lui demandant l'abbaye de Crâne-<br />

Etroit dont le titulaire venait, lui avait-on dit, de mourir.<br />

Après beaucoup de remerciements et de protestations,<br />

l'abbé vole chez le ministre et lui demande YAbbaue de<br />

Crâne-Etroit. Le cardinal qui. dans ce moment, se doute<br />

que cet homme n'avait pu lui être envoyé que par Gaultier-<br />

Garguille, fait un effort pour conserver son sérieux, et<br />

répond au visiteur : « Oui da, monsieur l'abbé, je vous<br />

accorde avec plaisir l'abbaye de Crâne-Etroit et je ne<br />

doute point que vous ne la conserviez le reste de vos<br />

jours ! »<br />

Alors, l'abbé, comblé d'aise, ne perd point de temps, et<br />

va du même pas chez le secrétaire du ministre, homme très<br />

grave et qui n'aimait point les fariboles. U toise l'abbé<br />

de la tête aux pieds, et lui dit de l'air le plus méprisant :<br />

— Que diable, venez - vous me lanterner avec votre<br />

abbaye de Crâne-Etroit ? Apprenez, monsieur le visionnaire,<br />

que cette abbaye ne susbsisté' que sur votre front et laissezmoi<br />

en paix ! »<br />

D IEN n'était plus curieux que ce théâtre de l'hôtel de<br />

Bourgogne, dont les comédiens devaient ouvrir les<br />

portes à une heure de l'après-midi et commencer la représentation<br />

à deux heures, « soit, disait l'ordonnance de<br />

police, qu'il y eût du monde ou qu'il n'y en eût pas, et<br />

de les clore à 4 heures et demie du soir en hiver ». Il y<br />

était défendu d'exiger plus de 5 sous pour les places du<br />

parterre, et plus de 10 sous pour les galeries ; néanmoins,<br />

lorsque les pièces nouvelles avaient occasionné des frais<br />

extraordinaires, le lieutenant civil du Châtelet déterminait<br />

l'augmentation qui devait avoir lieu sur le prix des entrées.<br />

C'est sur ce théâtre que Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume,<br />

Turlupin, farceurs homériques, amusèrent tout Paris<br />

pendant un demi-siècle ; ils furent même, on peut le dire,<br />

les maîtres de Molière ; le grand auteur et comédien,<br />

lorsqu'il était à peine âgé de huit ans, était conduit par<br />

son grand-père maternel à l'hôtel de Bourgogne, et la tradition<br />

rapporte qu'il prenait un plaisir extrême à entendre<br />

les lazzi des trois compagnons. Il devait se souvenir de<br />

leurs spirituelles bouffonneries...<br />

La mort de Gaultier-Garguille est fort curieuse et profondément<br />

émouvante. Gros Guillaume, son fidèle ami, qui<br />

jouait à visage découvert, eut la hardiesse de contrefaire<br />

un magistrat à qui une certaine grimace était familière, et<br />

il le contrefit trop bien, car il fut décrété lui et ses compagnons.<br />

Ceux-ci prirent la fuite ; mais Gros Guillaume fut<br />

arrêté et mis dans un cachot : le saisissement qu'il en eut<br />

lui causa la mort ; et la douleur que Gaultier-Garguille en<br />

ressentit l'emporta dans la même semaine, en 1633.<br />

I A veuve de Gaultier-Garguille conçut à son tour, du décès<br />

*~" de son mari, une immense douleur... Mais son affliction<br />

ne fut que de courte durée, car — bien qu'elle eût<br />

du comédien deux enfants — elle se remaria quelques semaines<br />

après avec un gentilhomme normand.<br />

MAURICE HAMEL.

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