Intervention du P. Vincent Leclercq - Alliance Assomptionniste

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DURKEIM a laissé place à la « famille moderne » : soulignant l’intimité, l’espace privatif des relations personnelles. Cette famille est prioritairement relationnelle, s’intéressant d’abord aux personnes plus qu’aux objets ou au patrimoine à conserver et à transmettre. La privatisation de la famille est une contraction ou un repli de la famille vécue sous une pluralité de formes de vie et sur le fond d’une déstabilisation institutionnelle. 6 Pour François de SINGLY : « La famille contemporaine existe moins en fonction de critères formels qu’en référence à une double exigence : la création d’un cadre de vie où chacun peut se développer tout en participant à une œuvre commune ». 7 II. 2 La famille moderne continue à être à la fois privée et publique. Est-ce à dire que nos familles perdent peu à peu toute inscription sociale? Certes la désaffection de la famille contemporaine vis-à-vis de l’institution constitue un constat indéniable des sciences humaines (sociologie, droit, histoire) et un deuil pour les communautés chrétiennes qui les accompagne notamment lorsque les familles sont de plus en plus nombreuses à s’éloigner des pratiques évangéliques. Mais en même temps, la famille résiste même si ces modèles évolutifs constituent une nouvelle donne pour l’éthique. Comme le faisait remarquer le théologien Eric FUCHS, la famille est aujourd’hui à la fois « dévalorisée » et « surinvestie ». « Surinvestie » par tout ce qu’on lui demande d’accomplir dans nos vies. Et « dévalorisée » car la famille est aujourd’hui dépossédées de ses rôles traditionnels, et ses prérogatives 8 . 1. Le travail et la famille sont aujourd’hui presque toujours dissociés. Par conséquent, il faut mener une « carrière » familiale et une vie sociale et professionnelle en même temps, et souvent de front, pour ne pas dire en concurrence. Il n’en était pas ainsi dans la France rurale des années 1950. 2. Par l’école et la performance du système éducatif, la famille n’est plus le premier lieu de la transmission du savoir et de socialisation de l’enfant. 3. Par l’urbanisation, la famille n’est plus autant liée au patrimoine et à sa transmission d’une génération à l’autre. 4. Enfin, avec l’avènement fort heureux de la sécurité sociale (branche maladie, vieillesse, chômage) ; la famille n’est plus la garantie première de la solidarité entre les générations. Bref, le fonctionnement de l’Etat, nos modes d’organisation en société, et jusqu’à nos modes de vies et emploi du temps, en viennent à nous décentrer constamment de la famille et nous en éloignent concrètement voire même physiquement. Dans une famille, ces mêmes fonctionnements peuvent éloigner les enfants des parents, les conjoints l’un et l’autre. Mais dans le même temps cette tension entre l’espace privé qu’est la famille et tout ce qui l’en éloigne la fait vivre socialement et plus ouvertement qu’auparavant. 6 « A partir des années 1960, les individus ont apporté un démenti à cette prévision durkheimienne, avec l’augmentation du concubinage, du divorce par consentement mutuel, de la séparation conjugale, de la cohabitation, des naissances hors mariage. Lorsqu’il n’est pas entravé, le processus d’individualisation conduit à une certaine déstabilisation institutionnelle et à une pluralité des formes de vie familiale », François de SINGLY Sociologie de la famille Contemporaine 3 ème édition. Paris, Armand Colin, 2007 p. 17. 7 François de SINGLY Sociologie de la famille Contemporaine 3 ème édition. Paris, Armand Colin, 2007, p. 8. 8 Eric FUCHS, « la famille, réflexions théologiques et éthiques », in l’exigence et le don, Genève : Labor et Fides, 2000, pp. 153-169. 6
Familiaris Consortio, l’exhortation apostolique de Jean-Paul II sur la famille commence par souligner les aspects positifs d’une telle évolution : « On constate une conscience plus vive de la liberté personnelle et une attention plus grande à la qualité des relations personnelles dans le mariage, à la promotion de la dignité de la femme, à la procréation responsable, à l’éducation des enfants ». 9 II. 3 L’aventure des enfants : après l’aventure de la différence des sexes, celle de l’intergénérationnel Les choix de la naissance se démultiplient aujourd’hui. D’un côté, il y a la science et les techniques médicales qui maitrisent de mieux en mieux le tout début de la vie humaine : avec la contraception, les procréations médicalement assistées, le diagnostic préimplantatoire sur l’embryon ou le diagnostic prénatal sur le fœtus… Et de l’autre côté, notre manière de vivre en société inventent de nouveaux modes de filiation : développement de l’adoption, familles monoparentales ou recomposées, homoparentalité voire sans doute homofiliation, et bientôt peut-être la gestation pour autrui,... En croisant ces nouvelles possibilités de la médecine avec les mutations qui traversent actuellement la société française, et en faisant jouer toutes les combinaisons possibles entre ces deux paramètres, nous obtenons une grande diversité dans l’expression du désir d’enfant et dans les choix de la grossesse. Une telle diversité ne peut que nous interroger sur la signification de la naissance. Et reconnaissons que les chrétiens ne sont pas les seuls à être interpellés. II. 4 Une légitimité à exister qui appelle la responsabilité des parents La naissance est certes le commencement de la vie extra-utérine. Mais elle renvoie aussi à une question plus fondamentale qui est celle de l’origine de la vie. Commencement et origine de la vie ne sont pas tout à fait identiques. Habituellement, les croyants fondent l’origine et le sens de toute vie en Dieu. Et donc pour eux, la naissance ne tient pas seulement du « hasard », ou des possibilités actuelles de la technique médicale, ni même de l’optimisme ou de la bonne forme sexuelle des parents… elle est aussi un don de Dieu. Pour l’enfant, une telle conviction religieuse représente une très forte légitimité à exister : sa vie est donnée mais elle est aussi voulue par Dieu. Pour le couple, un tel positionnement quant à l’origine de la vie va avoir des conséquences importantes dans la manière d’envisager sa responsabilité de parents. Ils ne sont pas à l’origine de la vie de leur enfant, finalement ils ne font que la transmettre – et c’est déjà beaucoup. Aussi pour des parents croyants, la filiation va de paire avec l’inscription du nouveau-né dans la société. Et à chaque fois qu’il en a été besoin dans l’histoire, 9 Familiaris Consortio, n° 6 7
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