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44 Courrier international | n° 1071 | du 12 au 18 mai 2011<br />
Médias<br />
Indép<strong>en</strong>dance<br />
Pas facile d’être un journal libre <strong>en</strong> pays letton<br />
Un hebdomadaire lituani<strong>en</strong><br />
décrit le triste état des médias<br />
<strong>en</strong> Lettonie. Il déplore<br />
la mainmise des politiques<br />
et des hommes d’affaires<br />
sur ce secteur.<br />
IQ The Economist Vilnius<br />
U<br />
n triste brouillard s’est abattu<br />
sur les médias lettons. Ils ont<br />
non seulem<strong>en</strong>t essuyé des<br />
pertes considérables depuis trois ans,<br />
mais ils ont dû aussi dire adieu à une belle<br />
part de leur indép<strong>en</strong>dance.<br />
A cela plusieurs causes. D’abord, la<br />
crise économique qui a assommé la Lettonie<br />
(<strong>en</strong> 2009, le PIB a chuté de 19 %, le<br />
taux de chômage a atteint des records, à<br />
plus de 20 %). Dans la foulée, les médias<br />
ont perdu la moitié de leurs recettes publicitaires,<br />
et le pouvoir d’achat des lecteurs<br />
a chuté. En outre, de plus <strong>en</strong> plus de g<strong>en</strong>s<br />
s’<strong>info</strong>rm<strong>en</strong>t sur Internet ; or les rev<strong>en</strong>us<br />
tirés des médias <strong>en</strong> ligne ne comp<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t<br />
pas, loin s’<strong>en</strong> faut, les pertes subies par<br />
ailleurs. Enfin, des personnalités se servant<br />
de leur pouvoir politique et économi<br />
que cherch<strong>en</strong>t à pr<strong>en</strong>dre le contrôle<br />
d’organes de presse et abus<strong>en</strong>t de la position<br />
de faiblesse des médias.<br />
Ri<strong>en</strong> d’étonnant, donc, à ce que l’orga -<br />
nisation américaine Freedom House,<br />
dans son dernier classem<strong>en</strong>t pour la<br />
liberté de la presse mondiale, fasse reculer<br />
la Lettonie de la 17e à la 55e place. Le<br />
pays s’approche ainsi dangereusem<strong>en</strong>t<br />
de la limite à partir de laquelle la presse<br />
est qualifiée de “partiellem<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>-<br />
Dessin de Vlahovic, Serbie.<br />
dante”. Ce recul résulte, <strong>en</strong>tre autres, de<br />
“données non transpar<strong>en</strong>tes concernant les<br />
v<strong>en</strong>tes du principal quotidi<strong>en</strong>”. Ce quotidi<strong>en</strong>,<br />
Di<strong>en</strong>a, autrefois fleuron de la presse<br />
lettonne, a été v<strong>en</strong>du <strong>en</strong> 2009 par Bonnier,<br />
ses propriétaires suédois, <strong>en</strong> raison<br />
de difficultés financières. L’acheteur était<br />
une société <strong>en</strong>registrée au Luxembourg,<br />
dont les représ<strong>en</strong>tants n’ont pas su expliquer<br />
d’où prov<strong>en</strong>ait l’arg<strong>en</strong>t de l’acquisition.<br />
Quand la rédaction <strong>en</strong> chef de Di<strong>en</strong>a<br />
et une partie des journalistes ont quitté<br />
le groupe d’édition, <strong>en</strong> 2009, nous avons<br />
soupçonné l’implication d’oligarques<br />
locaux dans cet accord – que nous appelons<br />
<strong>en</strong> Lettonie les trois “nantis” :<br />
Aivars Lembergs, Andris Skele et Aïnars<br />
Chlessers, des poids lourds de la politique<br />
et du business [Skele a été Premier<br />
ministre à deux reprises]. Aujourd’hui, la<br />
situation apparaît au grand jour : les personnes<br />
nommées au conseil d’administration<br />
de Di<strong>en</strong>a ont des li<strong>en</strong>s avec les<br />
trois oligarques.<br />
Le cas de Di<strong>en</strong>a – qui a perdu sa qualité,<br />
son influ<strong>en</strong>ce et ses lecteurs – n’est<br />
pas une malheureuse exception. Il y a<br />
quelques mois, le quotidi<strong>en</strong> russophoneTelegraf<br />
a égalem<strong>en</strong>t été v<strong>en</strong>du dans<br />
des circonstances peu claires. Ses nouveaux<br />
propriétaires sont liés au riche<br />
homme d’affaires russe Vladimir Antonov,<br />
par le biais de la banque Snoras. “La<br />
c<strong>en</strong>sure a toujours existé.” Ces propos de<br />
la porte-parole des nouveaux propriétaires<br />
résum<strong>en</strong>t de manière éloqu<strong>en</strong>te la<br />
situation actuelle de la presse. Elle les a<br />
t<strong>en</strong>us devant la rédaction le jour où le<br />
rédacteur <strong>en</strong> chef de Telegraf a été lic<strong>en</strong>cié<br />
pour avoir autorisé la publication d’un<br />
article rapportant les brimades <strong>en</strong>vers<br />
un élève de CE2 qui avait traité de stupide<br />
le maire de Riga, Nil Ouchakov,<br />
leader influ<strong>en</strong>t du parti prorusse C<strong>en</strong>tre<br />
de l’harmonie.<br />
C’est dommage, mais il ne reste pas<br />
<strong>en</strong> Lettonie un seul journal d’importance<br />
nationale qui ne soit pas soupçonné<br />
d’être influ<strong>en</strong>cé politiquem<strong>en</strong>t. En ce qui<br />
concerne la presse russophone, tout se<br />
passe très ouvertem<strong>en</strong>t. Les membres du<br />
conseil d’administration des journaux les<br />
plus populaires sont candidats aux élections<br />
ou figur<strong>en</strong>t sur la liste de Chlessers,<br />
et de Skele. Mais il n’y a pas que les<br />
hommes politiques qui ont accès aux<br />
médias, chacun peut acheter un peu<br />
d’influ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> contrepartie d’espèces. La<br />
publicité cachée est légion. Les organes<br />
de presse se batt<strong>en</strong>t pour chaque lats [la<br />
devise lettonne] qui puisse comp<strong>en</strong>ser<br />
les rev<strong>en</strong>us perdus de la publicité. Et il<br />
est impossible de connaître les réactions<br />
des lecteurs face à cette situation pitoyable,<br />
car, depuis janvier 2011, l’association lettonne<br />
des éditeurs de presse a cessé de<br />
publier les données relatives à la diffusion<br />
des journaux.<br />
Il faudrait féliciter les lecteurs perspicaces<br />
qui se détourn<strong>en</strong>t de cette presse<br />
Di<strong>en</strong>a, Riga<br />
“Nous restons parmi<br />
l’élite”, affirme<br />
le quotidi<strong>en</strong>, fier<br />
de la victoire de l’équipe<br />
nationale de hockey<br />
devant l’Autriche.<br />
Elle leur permet de rester<br />
dans le groupe A.<br />
trop partiale. Nous le pourrions si nous<br />
avions à notre disposition une alternative<br />
valable. Et elle devrait exister dans<br />
un Etat qui consacre annuellem<strong>en</strong>t<br />
10 millions de lats [plus de 14 millions<br />
d’euros] prov<strong>en</strong>ant des contribuables<br />
pour financer les médias nationaux. Mais<br />
l’influ<strong>en</strong>ce politique n’épargne pas non<br />
plus ces ressources. La radio publique,<br />
qui a su attirer les auditeurs grâce à des<br />
émissions d’<strong>info</strong>rmation et d’analyse de<br />
qualité, dispose d’un budget qui n’est pas<br />
établi sur la base d’une redevance.<br />
Chaque année, il lui faut se battre pour<br />
son financem<strong>en</strong>t avec les hommes politiques<br />
et l’organisme de contrôle où sièg<strong>en</strong>t<br />
des représ<strong>en</strong>tants des partis.<br />
La chaîne de télévision la plus populaire<br />
de Lettonie, LNT, apparti<strong>en</strong>t formellem<strong>en</strong>t<br />
à son fondateur, Andrejs Ekis.<br />
Avant les élections, il a ouvertem<strong>en</strong>t utilisé<br />
le temps d’ant<strong>en</strong>ne pour favoriser le<br />
Premier Parti de Lettonie (PPL), le parti<br />
de Skele et de Chlessers ; il a même orga-<br />
Telegraf, Riga<br />
Le quotidi<strong>en</strong> russophone<br />
consacre le principal<br />
titre de son édition<br />
du 9 mai aux vétérans<br />
lettons, qui sont<br />
considérés<br />
comme des Russes<br />
à part <strong>en</strong>tière.<br />
nisé une association d’hommes d’affaires<br />
pour les sout<strong>en</strong>ir. Malgré une campagne<br />
de publicité importante et disp<strong>en</strong>dieuse,<br />
le PPL a obt<strong>en</strong>u de justesse le pourc<strong>en</strong>tage<br />
de voix nécessaire pour siéger et fait<br />
aujourd’hui partie de l’opposition. Dans<br />
le même temps, les sponsors de l’alliance<br />
qui espérai<strong>en</strong>t l’aide de l’Etat pour panser<br />
les blessures de la crise annonc<strong>en</strong>t l’un<br />
après l’autre leur insolvabilité. Le temps<br />
montrera comm<strong>en</strong>t LNT arrivera à faire<br />
face à ses défis financiers. Son PDG est<br />
assis <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t sur le banc des accusés<br />
dans ce qui se trouve être la plus<br />
grande affaire criminelle de ces dernières<br />
années concernant le passage à la télévision<br />
numérique <strong>en</strong> Lettonie. Dans cette<br />
affaire, vingt personnalités influ<strong>en</strong>tes<br />
sont accusées de t<strong>en</strong>tative d’<strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t<br />
personnel aux dép<strong>en</strong>s de l’Etat.<br />
A travers cette nappe de brouillard, on<br />
aperçoit quand même une faible lueur :<br />
la décision prise récemm<strong>en</strong>t par les journalistes<br />
de différ<strong>en</strong>ts organes de presse<br />
d’unir leurs forces au sein d’une nouvelle<br />
organisation professionnelle pour exiger<br />
de la part des hommes politiques des<br />
règles du jeu plus transpar<strong>en</strong>tes dans le<br />
monde des médias (par exemple, que la<br />
loi fasse obligation de révéler le nom des<br />
propriétaires d’un organe de presse) et<br />
déterminer, <strong>en</strong>tre nous, des principes<br />
communs d’éthique professionnelle.<br />
Nellija Locmele