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me présenter à <strong>des</strong> confrères et rédiger une thèse sur mon cas.<br />
Je m’enfuis à toutes jambes, au grand dam de ma main gauche<br />
qui ne cessait de s’accrocher aux portes pour me ralentir.<br />
De retour chez moi, j’interrogeai directement ma main<br />
gauche. Chaque fois qu’elle me donnait une mauvaise réponse,<br />
je lui tapais sur les doigts avec une règle en fer. Bien sûr, au<br />
début, elle tenta de se défendre, me projetant au visage tous les<br />
stylos et les gommes à sa portée. Mais je l’attachai au pied de la<br />
table et entrepris de la frapper avec un annuaire téléphonique<br />
jusqu’à ce qu’elle consente à écrire. Les annuaires<br />
téléphoniques, ça fait mal et ça ne laisse pas de traces. Dans la<br />
police, on s’efforce d’éviter les sévices corporels mais il y a <strong>des</strong><br />
cas où il faut quand même faire parler les suspects.<br />
La main gauche se résolut à coopérer. Avec un stylo, elle<br />
nota :<br />
« Oui, c’est moi qui ai tué la vendeuse du supermarché. Tu<br />
ne t’intéressais plus à moi et je n’ai trouvé que ce moyen pour<br />
retrouver ton attention. »<br />
— Mais comment t’y es-tu prise pour transporter l’ensemble<br />
de mon corps sur le lieu du crime ?<br />
Elle inscrivit :<br />
« J’ai beaucoup souffert lorsque j’étais dans le plâtre mais<br />
j’ai eu le temps de réfléchir et de mettre un plan au point. J’ai<br />
utilisé l’hypnose. Alors que tu t’étais endormi, je t’ai pincé pour<br />
te réveiller à demi, et puis j’ai agité un pendule devant toi pour<br />
te contraindre à obéir à tout ce que j’ordonnais sur un calepin.<br />
Même la main droite a consenti à servir de support au carnet.<br />
« Va au supermarché », ai-je réclamé. Tu y es allé. Là-bas, il ne<br />
restait plus qu’une vendeuse qui recomptait la recette du jour.<br />
Elle était seule, l’occasion rêvée. J’ai bondi, tu as suivi, j’ai<br />
serré. »<br />
L’horreur ! Jamais je ne pourrais expliquer ça à mes<br />
supérieurs hiérarchiques. Qui me croirait lorsque je dirais que<br />
ma main gauche avait tué parce qu’elle se sentait négligée ?<br />
J’hésitai longtemps : fallait-il châtier ma main gauche ?<br />
Fallait-il lui ronger les ongles jusqu’au sang ?<br />
Je la regardai entre deux yeux et cinq doigts. Elle était belle,<br />
ma main gauche. Après tout, c’est formidable une main. Ça peut<br />
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