Paul d'Estournelles de Constant et le péril jaune - AFEC
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<strong>Paul</strong> d’Estournel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Constant</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>péril</strong> <strong>jaune</strong><br />
Dans un artic<strong>le</strong> publié dans Le Temps, d’Estournel<strong>le</strong>s envisage avec<br />
quatre années d’avance la guerre russo-japonaise. En eff<strong>et</strong>, pour beaucoup<br />
<strong>de</strong> spécialistes <strong>de</strong> l’Extrême-Orient, si une nation peut s’imposer dans c<strong>et</strong>te<br />
région, c’est sans conteste <strong>le</strong> Japon. D’Estournel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> constate à la <strong>le</strong>cture<br />
<strong>de</strong> nombreux artic<strong>le</strong>s <strong>et</strong> fait sienne c<strong>et</strong>te idée 12 .<br />
L’appétit colonial <strong>et</strong> la soif <strong>de</strong> nouveaux débouchés ne justifient pas<br />
la présence française en Chine. L’avidité <strong>de</strong> quelques industriels <strong>et</strong><br />
commerçants, précédés par <strong>le</strong>s militaires <strong>et</strong> guidés par <strong>de</strong>s profits à court<br />
terme, ne doit pas <strong>le</strong>urrer <strong>le</strong>s hommes politiques qui déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />
éventuel<strong>le</strong>s expéditions militaires. D’Estournel<strong>le</strong>s observe qu’il y a<br />
« d’abord la joie <strong>de</strong>s conquêtes <strong>et</strong> ensuite la carte à payer » 13 . Dans une<br />
France chauvine <strong>et</strong> convaincue du bien fondé <strong>de</strong> sa politique colonia<strong>le</strong>,<br />
d’Estournel<strong>le</strong>s doit avancer ses arguments avec pru<strong>de</strong>nce. Son expérience<br />
dans l’établissement d’un protectorat en Tunisie joue un rô<strong>le</strong> essentiel dans<br />
la position qu’il adopte. À ses yeux, la force <strong>et</strong> <strong>le</strong>s armes ne peuvent faire<br />
disparaître <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntités <strong>et</strong> <strong>le</strong>s cultures. Pour <strong>le</strong> député sarthois, chantre<br />
passionné <strong>de</strong> la paix mondia<strong>le</strong>, la guerre en c<strong>et</strong>te fin <strong>de</strong> XIX e sièc<strong>le</strong><br />
constitue même un anachronisme. Les conquêtes colonia<strong>le</strong>s ne sont<br />
aucunement la garantie d’une implantation durab<strong>le</strong>, au contraire même.<br />
L’Occi<strong>de</strong>nt ne doit donc pas chercher à s’imposer en Chine car c<strong>et</strong>te<br />
attitu<strong>de</strong> pourrait bien un jour attiser en r<strong>et</strong>our un sentiment justifié <strong>de</strong><br />
vengeance.<br />
D’Estournel<strong>le</strong>s est conforté dans son opinion par la correspondance<br />
qu’il entr<strong>et</strong>ient pendant plusieurs années avec Auguste François, consul <strong>de</strong><br />
France au Yunnan 14 . Les Français envisagent la construction d’une voie<br />
ferrée dans c<strong>et</strong>te province. L’ambitieux gouverneur général <strong>de</strong> l’Indochine,<br />
<strong>Paul</strong> Doumer, est à l’origine du proj<strong>et</strong>. Pourtant, Auguste François constate<br />
que c<strong>et</strong>te construction n’a que peu d’intérêt : la province est montagneuse<br />
ce qui engendrera inévitab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s coûts <strong>de</strong> réalisation é<strong>le</strong>vés alors que<br />
<strong>le</strong> sous-sol du Yunnan apparaît pauvre.<br />
Auguste François insiste aussi sur <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s Chinois sont<br />
profondément hosti<strong>le</strong>s à la présence occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong>. Émi<strong>le</strong> Barb<strong>et</strong> l’avait déjà<br />
12 <strong>Paul</strong> d’Estournel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Constant</strong> (préf.), op. cit., p. 24.<br />
13 <strong>Paul</strong> d’Estournel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Constant</strong>, Journal Officiel <strong>de</strong> la République Française, débat<br />
Chambre <strong>de</strong>s députés, 8 décembre 1899.<br />
14 Auguste François, consul <strong>de</strong> France au Yunnan, l<strong>et</strong>tres datées <strong>de</strong>s 19 mai 1902, 3<br />
juin 1902, 11 octobre 1902, 21 mars 1903 <strong>et</strong> 5 décembre 1903, 14 p., A.D.S., 12J 273<br />
<strong>et</strong> 12J 290.<br />
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