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Le docteur Dethève appelé en consultation par l'empereur ... - AFEC

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<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> <strong>appelé</strong> <strong>en</strong> <strong>consultation</strong><br />

<strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Docum<strong>en</strong>ts rassemblés et prés<strong>en</strong>tés<br />

<strong>par</strong><br />

Serge Franzini 1<br />

Déjà anci<strong>en</strong>, r<strong>en</strong>du public et comm<strong>en</strong>té <strong>en</strong> son temps, l'événem<strong>en</strong>t n'<strong>en</strong><br />

continue pas moins de <strong>par</strong>aître nouveau, inouï : le 18 octobre 1898, le<br />

médecin de la légation de France à Pékin, Claude <strong>Dethève</strong>, fut conduit<br />

auprès de <strong>l'empereur</strong> Guangxu 2 pour un exam<strong>en</strong> médical.<br />

Cette <strong>consultation</strong> n'a pas eu de conséqu<strong>en</strong>ce directe ; sa dim<strong>en</strong>sion<br />

ne dépasse pas celle d'une anecdote impériale. Mais elle est sans précéd<strong>en</strong>t<br />

dans l'histoire et l'on s'explique mal qu'elle reste si peu connue.<br />

L'événem<strong>en</strong>t n'ap<strong>par</strong>aît pas dans les travaux historiques sur l'époque.<br />

<strong>Le</strong> nom de <strong>Dethève</strong> figure <strong>par</strong>fois dans les rec<strong>en</strong>sions des personnels<br />

<strong>en</strong> poste <strong>en</strong> Chine, <strong>en</strong> sa qualité de médecin de la légation, puis du<br />

chantier de construction de la ligne de chemin de fer Pékin-Hankou,<br />

mais sans qu'il soit fait m<strong>en</strong>tion de la <strong>consultation</strong> impériale. C'est <strong>par</strong><br />

des auteurs chinois réc<strong>en</strong>ts que j'<strong>en</strong> ai eu connaissance. Il fut <strong>en</strong>suite<br />

aisé d'<strong>en</strong> trouver la confirmation et le détail dans les archives diplomatiques<br />

françaises.<br />

1 Serge Franzini est médecin et membre de l'URA 1063 du CNRS, 52 rue<br />

du Cardinal-<strong>Le</strong>moine, 75231 Paris Cedex 05.<br />

2 <strong>Le</strong>s transcriptions du chinois sont ici données ou transposées <strong>en</strong> pinyin,<br />

quelle que soit la transcription utilisée dans le texte original, et sauf excep-<br />

Êtudes chinoises, vol. XIV, n° 1, printemps 1995


Serge Franzini<br />

Mais à mieux y regarder, la presse d'actualité, tant française<br />

qu'anglaise, rapporta immédiatem<strong>en</strong>t la nouvelle, car des « Événem<strong>en</strong>ts<br />

de Chine » alim<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t alors une rubrique régulière. La « Réforme des<br />

c<strong>en</strong>t jours » avait pris fin le 21 septembre <strong>par</strong> un coup d'État de<br />

l'impératrice douairière Cixi et des conservateurs. <strong>Le</strong> 28 septembre, il<br />

y avait eu six exécutions capitales exemplaires. Des dirigeants<br />

réformistes (Kang Youwei, Liang Qichao) n'avai<strong>en</strong>t trouvé refuge que<br />

dans la fuite vers l'étranger, et <strong>l'empereur</strong> se trouva écarté du pouvoir.<br />

Dès le 21 septembre, des rumeurs l'avai<strong>en</strong>t dit séquestré, ou même<br />

assassiné, puis arrêté lors d'une t<strong>en</strong>tative d'évasion. C'est dans ces<br />

circonstances <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dues et confuses qu'eut lieu la<br />

<strong>consultation</strong> du médecin français.<br />

Une actualité aussi dramatique donna naturellem<strong>en</strong>t matière à une<br />

littérature hâtivem<strong>en</strong>t rédigée et largem<strong>en</strong>t diffusée, dont l'intérêt est<br />

qu'elle reflétait la m<strong>en</strong>talité commune sous ses différ<strong>en</strong>tes facettes. On<br />

verra plus loin que la <strong>consultation</strong> de <strong>Dethève</strong> n'a pas été ignorée de<br />

cette littérature, du moins jusque vers 1911. Parmi les auteurs plus réc<strong>en</strong>ts,<br />

seule Charlotte Haldane m<strong>en</strong>tionne la <strong>consultation</strong> de <strong>Dethève</strong>,<br />

brièvem<strong>en</strong>t et <strong>en</strong> ne relevant que les appréciations moqueuses des<br />

contemporains 3 .<br />

tion signalée, lorsque les caractères chinois rest<strong>en</strong>t indéterminés. De manière<br />

générale, majuscules, minuscules et ponctuation originales ont été respectées.<br />

3 « Parmi les <strong>docteur</strong>s, il y avait aussi un Français, M. <strong>Dethève</strong> — manœuvre<br />

astucieuse du Vieux Bouddha (l'impératrice Cixi) pour calmer les questions<br />

impertin<strong>en</strong>tes des critiques étrangers — dont les méthodes provoquèr<strong>en</strong>t<br />

l'hilarité de ses collègues chinois, tandis que les leurs fir<strong>en</strong>t la<br />

joie des cercles des Légations » (Charlotte Haldane, The Last Great<br />

Empress of China, Londres, Constable Edition, 1965. Traduction française<br />

de Marianne Rachline : Tsou Hsi, dernière grande impératrice de Chine,<br />

Paris, Fayard, 1967, p. 132).<br />

96


Publications chinoises réc<strong>en</strong>tes<br />

<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

<strong>Le</strong> nom de <strong>Dethève</strong>, avec la m<strong>en</strong>tion de sa <strong>consultation</strong>, figure tout<br />

d'abord dans un répertoire des étrangers ayant eu un poste officiel <strong>en</strong><br />

Chine 4 . Pour cette source, qui sur ce point ne fait que suivre la presse<br />

étrangère de l'époque, ce serait dans le but d'apaiser l'inquiétude du<br />

corps diplomatique, à la suite des rumeurs inquiétantes concernant<br />

<strong>l'empereur</strong>, que <strong>Dethève</strong> aurait été spécialem<strong>en</strong>t convié à examiner ce<br />

dernier. Une stricte préoccupation de santé est donc mise <strong>en</strong> doute, voire<br />

totalem<strong>en</strong>t écartée, au profit d'int<strong>en</strong>tions toutes politiques, comme si<br />

les registres étai<strong>en</strong>t exclusifs l'un de l'autre.<br />

C'est <strong>en</strong>suite Zhou W<strong>en</strong>quan 5 qui, travaillant à l'édition des docum<strong>en</strong>ts<br />

médicaux du palais impérial des Qing, nous dit avoir r<strong>en</strong>contré<br />

avec surprise et intérêt le texte chinois d'une observation médicale<br />

concernant <strong>l'empereur</strong> Guangxu, rédigée <strong>par</strong> un médecin français<br />

nommé <strong>en</strong> chinois Duodefu. <strong>Le</strong> texte publié correspond au compte r<strong>en</strong>du<br />

de <strong>Dethève</strong>, légèrem<strong>en</strong>t abrégé, tel qu'il a été remis <strong>en</strong> chinois au Zongli<br />

Yam<strong>en</strong> deux jours après la <strong>consultation</strong> (voir plus loin). Enfin, plus<br />

récemm<strong>en</strong>t, la reproduction photographique d'une <strong>par</strong>tie de cette observation<br />

a été publiée 6 .<br />

On dispose <strong>en</strong> outre, à titre de docum<strong>en</strong>t annexe, de la reproduction<br />

photographique d'une observation médicale autographe de <strong>l'empereur</strong><br />

Guangxu, plus tardive (1907), mais qui expose la même pathologie 7 .<br />

4 Jindai laihua waiguo r<strong>en</strong>ming cidian (Dictionnaire biographique des étrangers<br />

v<strong>en</strong>us <strong>en</strong> Chine à l'époque moderne), Pékin, Zhongguo shehui kexue<br />

chubanshe, 1981,réimp. 1984.<br />

5 Zhou W<strong>en</strong>quan, « Faguo yiguan Duodefu wei Guangxu zh<strong>en</strong>bing jilûe »<br />

(Extrait de l'observation médicale du médecin français <strong>Dethève</strong> à propos<br />

de Guangxu), in Ch<strong>en</strong> Keji (éd.), Qingdai gongting yihua (Notes médicales<br />

du palais de la dynastie des Qing), Pékin, R<strong>en</strong>min weish<strong>en</strong>g chubanshe,<br />

1987, p. 34-36.<br />

6 Li Jingwei (éd.), Zhongguo gudai yishi tulu (Iconographie de l'histoire de<br />

la médecine dans la Chine anci<strong>en</strong>ne), Pékin, R<strong>en</strong>min weish<strong>en</strong>g chubanshe,<br />

1992, pi. 246.<br />

7 Ch<strong>en</strong> Keji (éd.), Cixi Guangxu yifang xuanyi (Choix d'ordonnances médicales<br />

concernant Cixi et Guangxu), Pékin, Zhonghua shuju, 1981, p. iv.<br />

97


Serge Franzini<br />

Archives diplomatiques françaises<br />

Elles constitu<strong>en</strong>t ici la docum<strong>en</strong>tation principale et seront largem<strong>en</strong>t<br />

citées 8 . <strong>Le</strong>s principaux acteurs m<strong>en</strong>tionnés sont les suivants :<br />

— Stéph<strong>en</strong> Pichon (1857-1933) était l'ambassadeur de France à Pékin.<br />

Il a t<strong>en</strong>u ce poste d'avril 1898 jusqu'au début de 1901, avant d'être<br />

à plusieurs reprises ministre des Affaires étrangères (1906-1911,<br />

1913,1917-1920). Radical-socialiste, d'abord député, puis sénateur,<br />

proche de Clem<strong>en</strong>ceau, Stéph<strong>en</strong> Pichon a déf<strong>en</strong>du l'« emprunt<br />

russe » devant le Parlem<strong>en</strong>t et <strong>par</strong>ticipé à la signature du Traité de<br />

Versailles <strong>en</strong> 1919. Ses premiers goûts lui avai<strong>en</strong>t fait <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre<br />

des études de médecine, avant qu'il ne se consacre au journalisme,<br />

puis à la politique 9 .<br />

— Arnold Vissière (1858-1930), l'ori<strong>en</strong>taliste bi<strong>en</strong> connu, a été l'interprète<br />

principal, l'intermédiaire indisp<strong>en</strong>sable dans ces circonstances.<br />

Il était <strong>en</strong> Chine depuis 1882, et avait déjà t<strong>en</strong>u plusieurs postes<br />

consulaires.<br />

— Claude <strong>Dethève</strong> (1867-1936) était médecin de la légation française<br />

à Pékin depuis le 2 septembre 1898 (voir élém<strong>en</strong>ts biographiques <strong>en</strong><br />

Annexe), <strong>en</strong> remplacem<strong>en</strong>t de Jean-Jacques Matignon. Ce dernier<br />

s'est <strong>en</strong>suite fait largem<strong>en</strong>t connaître <strong>par</strong> ses écrits anecdotiques ;<br />

alors titulaire du poste de médecin de la légation, il était<br />

temporairem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>tré <strong>en</strong> France (du 14 août 1898 au 26 septembre<br />

1899).<br />

— <strong>Le</strong> Zongli Yam<strong>en</strong> est le « Conseil impérial des affaires étrangères »,<br />

selon la traduction régulière de Vissière. Il fut créé <strong>en</strong> 1861, dans<br />

les suites du conflit de 1860 avec le corps expéditionnaire francoanglais.<br />

8 Archives diplomatiques : Nouvelle Série — Chine 2, politique intérieure,<br />

dossier général, août 1898-décembre 1899 (Ministère des Affaires étrangères,<br />

Paris). <strong>Le</strong> recueil des traductions <strong>en</strong> chinois est conservé au siège<br />

de Nantes : Correspondance <strong>en</strong> chinois 1861-1935, registre Bi[sh<strong>en</strong>g]-<br />

Qinchai (Correspondance Pichon-Palais impérial), n° 2, août-octobre 1898.<br />

9 Cf. « Un évadé de la médecine : M. Stéph<strong>en</strong> Pichon, ministre de France à<br />

Pékin », La Chronique médicale, 1900, p. 438.<br />

98


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Quelques brèves pages sans apport <strong>par</strong>ticulier étant écartées, j'ai<br />

choisi de reproduire ici huit pièces de ces archives diplomatiques, auxquelles<br />

on peut joindre une publication de Vissière, acteur et rapporteur<br />

principal de l'événem<strong>en</strong>t (pièce 9).<br />

Pièce 1 : Dépêche de l'ambassadeur Stéph<strong>en</strong> Pichon détaillant les<br />

circonstances politiques et l'appel officiel à un médecin extérieur au<br />

palais (dépêche n°75, du 26 septembre 1898)<br />

Dépêche n° 75, Pékin, le 26 septembre 1898.<br />

Monsieur le Ministre,<br />

Tout porte à croire que Li Hongzhang n'aura pas été longtemps<br />

abs<strong>en</strong>t du pouvoir. <strong>Le</strong> décret qui l'a frappé est du 7 septembre. <strong>Le</strong> 21 du<br />

même mois, Zhang Yinhuan, le rival et l'adversaire de l'anci<strong>en</strong> vice-roi<br />

du Beizhili, était arrêté, emprisonné et déféré au « Ministère des<br />

peines », qui instruit un procès contre lui. En même temps, l'impératrice<br />

douairière r<strong>en</strong>trait <strong>en</strong> scène et repr<strong>en</strong>ait toute l'autorité dont <strong>l'empereur</strong><br />

avait voulu la déposséder. J'ai porté ces événem<strong>en</strong>ts à la connaissance<br />

de Votre Excell<strong>en</strong>ce <strong>par</strong> mes télégrammes 229, 225, 290 et 231. On<br />

annonce aujourd'hui (et la nouvelle est vraisemblable) que le retour de<br />

Li Hongzhang aux affaires, soit comme membre du Zongli Yam<strong>en</strong>, soit<br />

comme membre du Grand Conseil, soit avec un autre titre, est dans les<br />

projets qui ne tarderont pas à être réalisés.<br />

Il est difficile de démêler le vrai du faux <strong>par</strong>mi les mille bruits qui<br />

circul<strong>en</strong>t. Ce qui semble véridique, c'est que des accusations de complot<br />

contre la vie de l'impératrice, ou tout au moins contre son gouvernem<strong>en</strong>t<br />

et son <strong>par</strong>ti, ont déterminé les actes qui s'accompliss<strong>en</strong>t. L'empereur,<br />

Zhang Yinhuan, un académici<strong>en</strong> du nom de Kang Youwei et des<br />

mandarins d'un rang moins élevé aurai<strong>en</strong>t noué l'intrigue que les<br />

mesures prises font avorter. On <strong>par</strong>le d'une scène viol<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre Guangxu<br />

et l'Impératrice, d'une saisie de papiers compromettants opérée sur<br />

l'ordre de cette dernière à la suite d'une conversation surprise ; d'une<br />

conspiration, à laquelle serai<strong>en</strong>t mêlés des eunuques et des officiers et<br />

qui aurait reposé sur une interv<strong>en</strong>tion militaire. Quoi qu'il <strong>en</strong> soit, il y<br />

a des décrets officiels qui ne laiss<strong>en</strong>t aucun doute sur la portée du<br />

mouvem<strong>en</strong>t qui remet <strong>l'empereur</strong> <strong>en</strong> tutelle et détruit la politique à<br />

laquelle Li Hongzhang avait été sacrifié.<br />

99


Franzini<br />

L'un de ces décrets, dont la traduction est ci-jointe, est une sorte de<br />

mea culpa de <strong>l'empereur</strong>, qui prie humblem<strong>en</strong>t la véritable souveraine<br />

de la Chine « de lui accorder, avec sa maternelle bi<strong>en</strong>veillance, ses directions<br />

dans le gouvernem<strong>en</strong>t ». Désormais, Sa Majesté Cixi assistera aux<br />

délibérations du Grand Conseil et aura le premier rang dans l'empire.<br />

<strong>Le</strong>s princes et les ministres lui seront conduits <strong>par</strong> le Fils du Ciel pour<br />

s'ag<strong>en</strong>ouiller devant elle, suivant les rites. L'empereur lui-même fera<br />

comme eux, et, pr<strong>en</strong>ant <strong>par</strong>t à leurs génuflexions, se frappera trois fois<br />

et à trois reprises le front contre terre <strong>en</strong> hommage de respect et de<br />

soumission. Cette cérémonie a eu lieu le 24 septembre.<br />

Un autre décret, égalem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>du <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong>, est ainsi conçu :<br />

« Depuis la quatrième lune [du 20 mai au 18 juin], Nous avons été à<br />

plusieurs reprises dans un état de santé défectueux, auquel les soins<br />

médicaux qui Nous ont été donnés p<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> des jours n'ont pas<br />

apporté grande amélioration. Si, <strong>en</strong> dehors de Pékin, ou dans la ville, il<br />

se trouve des personnes très expertes dans la sci<strong>en</strong>ce médicale, Nous<br />

ordonnons dès maint<strong>en</strong>ant à Nos ministres et fonctionnaires de la capitale<br />

et des provinces de Nous les recommander <strong>en</strong> toute sincérité et<br />

d'att<strong>en</strong>dre Nos ordres. Celles d'<strong>en</strong>tre ces personnes qui serai<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t<br />

dans les provinces devront être <strong>en</strong>voyées d'urg<strong>en</strong>ce et rapidem<strong>en</strong>t<br />

à Pékin. » 10<br />

On voit dans ces déclarations d'une façon singulière la confirmation<br />

de nouvelles d'après lesquelles l'impératrice aurait l'int<strong>en</strong>tion de<br />

rapporter la plu<strong>par</strong>t des écrits publiés depuis quelques mois. <strong>Le</strong> prétexte<br />

serait qu'ils ont été promulgués sous l'influ<strong>en</strong>ce d'un état maladif<br />

qui leur ôte la valeur et la raison d'être. Il <strong>par</strong>aît établi, d'ailleurs, que<br />

la santé de <strong>l'empereur</strong> serait vraim<strong>en</strong>t des plus chancelantes, comme je<br />

le disais dans ma dépêche n° 65, et qu'il y aurait lieu de s'att<strong>en</strong>dre à sa<br />

fin prochaine. Son héritier serait choisi, et la future rég<strong>en</strong>te (qui exerce<br />

déjà <strong>en</strong> fait les fonctions qu'elle se réserve <strong>en</strong> droit) aurait eu soin de<br />

Ce décret est <strong>par</strong>u dans un numéro de la Gazette de Pékin (Jingbao), dont<br />

la British Library possède une copie. Il figure aussi dans les Annales véridiques<br />

du règne de Guangxu, le Dezong shilu, Mukd<strong>en</strong>/Tokyo, 1937-1938,<br />

réimp. Taipei, 1963-1964, juan 426, p. 601. Pour d'autres traductions, cf.<br />

J. Tobar (trad.), « Décrets impériaux — 1898 », Série d'Ori<strong>en</strong>t (Shanghai),<br />

n° 4, 1900 ; ainsi que Translation of the Peking Gazette for 1898,<br />

Shanghai, 1899.<br />

100


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

désigner un très jeune prince afin de s'assurer pour plus longtemps la<br />

toute-puissance.<br />

On ne saurait prévoir les conséqu<strong>en</strong>ces de ces événem<strong>en</strong>ts. S'il arrive<br />

pourtant que Li Hongzhang repr<strong>en</strong>ne son influ<strong>en</strong>ce, comme cela semble<br />

indiqué, la politique anglaise aura été bi<strong>en</strong> inutilem<strong>en</strong>t au-devant d'un<br />

échec. La disgrâce du vieil homme d'État chinois a été, <strong>en</strong> effet, célébrée<br />

<strong>par</strong> les sujets de la reine comme une victoire fort importante. Ils ont<br />

raconté, dans leurs journaux de Chine, qu'elle était due à la fermeté de<br />

Sir Claude Macdonald 11 et aux sommations du gouvernem<strong>en</strong>t de<br />

Londres. Ils ont déclaré que leur ministre à Pékin avait fait savoir au<br />

Zongli Yam<strong>en</strong> « qu'il ne traiterait plus d'affaires tant que Li Hongzhang<br />

conserverait sa place, tous les secrets des négociations étant livrés <strong>par</strong><br />

lui à la Russie ». Zhang Yinhuan avait, d'autre <strong>par</strong>t, des t<strong>en</strong>dances<br />

anglophiles. Il était l'espoir des déf<strong>en</strong>seurs des prét<strong>en</strong>tions britanniques<br />

auxquelles il donnait, disait-on, des gages qui n'étai<strong>en</strong>t pas absolum<strong>en</strong>t<br />

désintéressés. On le soupçonnait d'avoir trempé dans des affaires<br />

d'arg<strong>en</strong>t négociées <strong>par</strong> des banques de Londres, et de n'être pas rev<strong>en</strong>u<br />

les mains vides du jubilé de la reine Victoria. <strong>Le</strong> coup qui l'atteint peut<br />

difficilem<strong>en</strong>t laisser ins<strong>en</strong>sible le <strong>par</strong>ti qui s'est maladroitem<strong>en</strong>t réjoui<br />

de la courte dis<strong>par</strong>ition du personnage auquel on attribue la plus grande<br />

<strong>par</strong>t dans les succès de la politique russe. En supposant même que Zhang<br />

Yinhuan ne soit pas complètem<strong>en</strong>t perdu, qu'il se disculpe et réussisse<br />

à r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> grâce (car il faut compter ici avec les év<strong>en</strong>tualités les plus<br />

imprévues), il ne peut reconquérir une autorité suffisante pour servir<br />

comme au<strong>par</strong>avant les projets à la réussite desquels on le représ<strong>en</strong>tait<br />

comme acquis.<br />

À un autre point de vue, les bouleversem<strong>en</strong>ts incessants qui font<br />

alternativem<strong>en</strong>t passer le sceptre des mains d'un empereur ignorant et<br />

débile à celles d'une impératrice hostile aux réformes dénot<strong>en</strong>t une<br />

décomposition profonde. Et la dislocation du Zongli Yam<strong>en</strong> <strong>par</strong> l'abs<strong>en</strong>ce<br />

de ses deux membres principaux (les seuls qui connaissai<strong>en</strong>t l'Europe<br />

et <strong>par</strong> qui l'on pouvait se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre) met les représ<strong>en</strong>tants des<br />

puissances dans l'impossibilité presque complète de traiter.<br />

Cette situation coïncide avec la prés<strong>en</strong>ce du marquis Itô 12 à Pékin.<br />

L'anci<strong>en</strong> ministre japonais a été reçu <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong>, auquel il a <strong>par</strong>lé,<br />

11 Sir Claude Maxwell Macdonald (1852-1915) : ambassadeur britannique à<br />

Pékin de 1896 à 1900, il fut choisi comme commandant <strong>par</strong> les représ<strong>en</strong>tants<br />

étrangers durant le siège de 1900.<br />

12 Itô Hirobumi (1841-1909) : homme politique japonais de premier plan<br />

101


Franzini<br />

à ce qu'on assure, des desseins que j'ai m<strong>en</strong>tionnés dans ma lettre du<br />

12 septembre. Il a été fêté <strong>par</strong> le Zongli Yam<strong>en</strong> qui lui a offert un dîner<br />

sous la présid<strong>en</strong>ce du prince Qing. Il est v<strong>en</strong>u me faire une visite comme<br />

à tous mes collègues. J'ai essayé de savoir ce qu'il comptait faire <strong>en</strong><br />

Chine, mais il s'est montré très réservé. Il m'a seulem<strong>en</strong>t dit qu'il<br />

visiterait la région du Yangzi. Je crois qu'il ira à Hankou, et je ne serais<br />

pas surpris qu'il se r<strong>en</strong>dît <strong>en</strong>suite dans le Fujian. <strong>Le</strong> chargé d'affaires<br />

du Japon avait d'abord manifesté son int<strong>en</strong>tion de ne pas aller l'att<strong>en</strong>dre<br />

à son arrivée, att<strong>en</strong>du qu'il n'a plus de fonctions officielles, mais<br />

M. Hayashi 13 s'est ravisé et a fait le voyage de Tianjin pour aller audevant<br />

de son anci<strong>en</strong> chef. <strong>Le</strong> vice-roi du Beizhili avait reçu l'ordre de<br />

pré<strong>par</strong>er une réception au négociateur japonais de 1895 et les hauts<br />

fonctionnaires se sont r<strong>en</strong>dus à Dagu pour l'escorter jusqu'à Tianjin.<br />

Bi<strong>en</strong> que les <strong>par</strong>tisans les plus ard<strong>en</strong>ts d'une politique empruntée au<br />

Japon et basée sur une <strong>en</strong>t<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre les gouvernem<strong>en</strong>ts de Pékin et de<br />

Tokyo, soi<strong>en</strong>t <strong>par</strong>mi les mandarins poursuivis pour avoir conspiré contre<br />

l'impératrice, je ne crois pas qu'il y ait — comme on l'a prét<strong>en</strong>du —<br />

une corrélation <strong>en</strong>tre ce qui se passe au palais et les projets du marquis<br />

Itô contre lesquels les décisions de ces jours derniers serai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie<br />

dirigées. Ces deux ordres de faits me <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants l'un de<br />

l'autre, et Li Hongzhang n'est pas moins que Zhang Yinhuan l'ami de<br />

l'anci<strong>en</strong> ministre du Mikado.<br />

Pichon.<br />

durant la période Meiji. Principal artisan de la première constitution du<br />

Japon. Signataire du traité de Shimonoseki (1895), <strong>en</strong> face de Li Hongzhang.<br />

Pour la troisième fois, premier ministre <strong>en</strong> 1898.<br />

Hayashi Tadasu (1850-1913) : ministre délégué du gouvernem<strong>en</strong>t japonais,<br />

chargé d'affaires <strong>en</strong> Chine <strong>en</strong> 1898. Par la suite, ambassadeur <strong>en</strong> Russie,<br />

puis à Londres. Ministre des Affaires étrangères <strong>en</strong> 1906.<br />

102


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Pièces 2 et 3 : Proposition des services du médecin français et premier<br />

refus (annexes n° 1 et 2 à la dépêche n° 92, du 23 octobre 1898)<br />

<strong>Le</strong>ttre de M. Pichon à S.A. Mgr. le Prince Qing et à LL.EE. MM. les<br />

Ministres du Zongli Yam<strong>en</strong>.<br />

Pékin, le 26 septembre 1898.<br />

Mgr., MM. les Ministres,<br />

J'ai su, <strong>par</strong> la lecture de la Gazette de Pékin du 25 de ce mois, que<br />

S.M. l'Empereur se trouvait dans un état défectueux de santé et j'<strong>en</strong><br />

éprouve une réelle et profonde anxiété. <strong>Le</strong> médecin de la Légation, M.<br />

le Dr <strong>Dethève</strong>, qui n'est pas sans avoir acquis une bonne expéri<strong>en</strong>ce<br />

dans la sci<strong>en</strong>ce médicale, serait très heureux de r<strong>en</strong>dre service à Sa<br />

Majesté, dans ces circonstances.<br />

J'ai l'honneur, <strong>par</strong> cette lettre, d'<strong>en</strong> faire <strong>par</strong>t à V.A. et à VV. EE.,<br />

<strong>en</strong> <strong>Le</strong>ur demandant s'il <strong>Le</strong>ur est possible d'<strong>en</strong> informer le Trône, pour<br />

qu'ordre soit donné à Mr le Dr <strong>Dethève</strong> d'examiner l'état de S.M. Il se<br />

r<strong>en</strong>drait auprès d'Elle, lorsque votre réponse me serait <strong>par</strong>v<strong>en</strong>ue.<br />

Veuillez agréer (etc.).<br />

Réponse du Zongli Yam<strong>en</strong> à M. Pichon. <strong>Le</strong> 14 de la huitième lune [29<br />

septembre 1898]<br />

<strong>Le</strong> 11 de la huitième lune de la vingt-quatrième année Guangxu (26<br />

septembre), nous avons reçu la lettre dans laquelle vous nous dites que<br />

vous avez appris avec respect, <strong>par</strong> la lecture de la Gazette de Pékin du<br />

10 (25 septembre), que la santé de Sa Majesté l'Empereur était défectueuse,<br />

ce qui était pour vous un sujet de réelle et profonde anxiété.<br />

Vous ajoutez que le Dr <strong>Dethève</strong>', médecin de votre Légation, n'est pas<br />

sans expéri<strong>en</strong>ce dans la sci<strong>en</strong>ce médicale et qu'il est tout désireux de<br />

prêter ses services, dans cette occurr<strong>en</strong>ce. Vous nous priez d'<strong>en</strong> informer<br />

Sa Majesté, pour que celui-ci soit <strong>appelé</strong> à L'examiner.<br />

Ce fait montre l'intérêt que V.Exc. veut bi<strong>en</strong> nous témoigner abondamm<strong>en</strong>t<br />

et est <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t digne de notre reconnaissance. Toutefois,<br />

S.M. l'Empereur n'a pas <strong>en</strong>core expérim<strong>en</strong>té les médecins ni les<br />

médicam<strong>en</strong>ts de l'Extrême-Occid<strong>en</strong>t. Il ne serait donc pas conv<strong>en</strong>able<br />

de donner inutilem<strong>en</strong>t la peine de faire cette visite médicale. Mais, nous<br />

devrons, nous Prince et Ministres, faire connaître verbalem<strong>en</strong>t au Trône<br />

la bonne p<strong>en</strong>sée de V.Exc.<br />

103


Serge Franzini<br />

En vous adressant ceci spécialem<strong>en</strong>t pour vous répondre et vous<br />

exprimer nos remerciem<strong>en</strong>ts, nous <strong>en</strong> profitons pour vous adresser nos<br />

souhaits de bonheur <strong>en</strong> ce jour.<br />

(Avec les cartes du Prince Qing, de Wang W<strong>en</strong>shao, Chongli, Liao<br />

Shouh<strong>en</strong>g et Xu Yongyi.)<br />

Pour trad. conf., le Consul 1 er interprète, Vissière.<br />

Pièce 4 : Compte r<strong>en</strong>du détaillé, <strong>par</strong> Vissière, du déroulem<strong>en</strong>t de l'<strong>en</strong>trevue<br />

et de la <strong>consultation</strong> (annexe n°4 à la dépêche n°92, du 23 octobre 1898)<br />

Ainsi que le Prince Qing et les Ministres du Zongli Yam<strong>en</strong> l'avai<strong>en</strong>t<br />

annoncé, la veille, <strong>par</strong> lettre à M. Pichon, des officiers chinois se<br />

r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t à la Légation de France de grand matin, le 18 octobre, pour<br />

conduire auprès de l'Empereur de Chine, dans les jardins du Palais de<br />

Pékin, M. le Dr <strong>Dethève</strong>, médecin de la Légation, dont les services<br />

avai<strong>en</strong>t été offerts à Sa Majesté. Deux de ces officiers étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>voyés<br />

<strong>par</strong> le Zongli Yam<strong>en</strong> ; deux autres, égalem<strong>en</strong>t à cheval, se prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t<br />

de la <strong>par</strong>t du Gouverneur Militaire de la ville, S.Exc. Chongli. Au Dr<br />

<strong>Dethève</strong> fut adjoint, pour lui servir d'interprète, M. Vissière, Consul de<br />

France et premier interprète de la Légation. Tous deux montèr<strong>en</strong>t dans<br />

des charrettes chinoises et <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> uniforme officiel, à six heures<br />

du matin, accompagnés des officiers chinois et de cavaliers d'escorte.<br />

Pour gagner la porte Xiyuanm<strong>en</strong> qui donne accès, à l'Est, aux jardins<br />

impériaux, il est nécessaire de contourner les murs crénelés de la « Ville<br />

Rouge Interdite » et la « Montagne de Charbon », puis de redesc<strong>en</strong>dre<br />

vers le Sud <strong>par</strong> l'étroit quartier qui sé<strong>par</strong>e le Palais même des Jardins<br />

de l'Ouest. Ce quartier est <strong>en</strong>core occupé <strong>par</strong> de nombreuses habitations<br />

du peuple et l'av<strong>en</strong>ue transversale qui mène de la porte Fuhuam<strong>en</strong> 14<br />

(ville interdite) à Xiyuanm<strong>en</strong>, se trouvait, à sept heures et demie du<br />

matin, lorsque les deux Français eur<strong>en</strong>t à s'y frayer un passage, remplie<br />

14 II y a visiblem<strong>en</strong>t confusion avec la porte Xihuam<strong>en</strong> du Palais impérial :<br />

la porte Fuhuam<strong>en</strong> fait <strong>en</strong>trer dans les jardins de Zhonghai <strong>par</strong> le Nord, sur<br />

la rive Est du lac, aujourd'hui face à la Bibliothèque nationale, alors que<br />

les portes Xihuam<strong>en</strong> (Palais impérial) et Xiyuanm<strong>en</strong> (jardins impériaux)<br />

sont bi<strong>en</strong> aux deux extrémités d'une courte av<strong>en</strong>ue transversale.<br />

104


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

de mandarins <strong>en</strong> costume formant une foule compacte jusqu'à une haute<br />

barrière de bois peinte <strong>en</strong> rouge, qui précède la triple porte <strong>en</strong> maçonnerie<br />

percée dans le mur massif du <strong>par</strong>c. En dehors de l'ouverture Nord de<br />

celle-ci, — la seule qui ne fût pas fermée, — plusieurs secrétaires du<br />

Zongli Yam<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t MM. <strong>Dethève</strong> et Vissière et les conduisir<strong>en</strong>t<br />

auprès de LL. EE. Chongli et Xu Yongyi, tous deux membres du Conseil<br />

Impérial des Affaires Étrangères, — le premier commandant militaire<br />

de Pékin, —• qui devai<strong>en</strong>t leur servir de guide dans les jardins, sinon<br />

dans le voisinage de la Salle du Trône. À l'<strong>en</strong>trée se t<strong>en</strong>ait égalem<strong>en</strong>t<br />

M. Ng<strong>en</strong>-K'ing [Enqing ?] répétiteur de français au Collège des langues<br />

étrangères dép<strong>en</strong>dant du Zongli Yam<strong>en</strong>, qui avait été convoqué la veille<br />

pour servir, si besoin était, d'interprète, qui suivit <strong>par</strong>tout MM. <strong>Dethève</strong><br />

et Vissière, mais dont le rôle devait rester muet. Une propreté <strong>par</strong>faite<br />

règne dans les allées et les cours intérieures. Un premier et court arrêt<br />

eut lieu dans une maisonnette adossée au mur, où le thé fut apporté et<br />

où un autre Ministre du Yam<strong>en</strong>, S.Exe. Liao Shouh<strong>en</strong>g, vint rejoindre<br />

les visiteurs et s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir avec eux.<br />

On se dirigea alors, <strong>en</strong> assez nombreuse compagnie, vers le Sud-<br />

Ouest, passant <strong>par</strong> une longue route macadamisée à la chinoise, bordée<br />

de tournesols espacés et d'un effet assez minable, tandis que s'ouvre,<br />

sur les vastes lacs nommés Mer du Milieu, du Nord et du Sud, un<br />

panorama plein de grandeur, qu'égai<strong>en</strong>t les mille couleurs des pavillons<br />

semés ça et là sur leurs rives, les barques de plaisance, et le va-et-vi<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce, des fonctionnaires et des serviteurs du palais <strong>en</strong> vêtem<strong>en</strong>ts<br />

officiels, sous les arbres magnifiques du <strong>par</strong>c. Un peu plus loin, un pont<br />

<strong>en</strong> forme de ligne brisée mène au groupe de constructions <strong>en</strong>vironnant<br />

la Salle du Trône qui porte le nom spécial de Qinzh<strong>en</strong>gdian (Salle du<br />

Trône « de l'application au gouvernem<strong>en</strong>t ») 15 .<br />

15 <strong>Le</strong>s élém<strong>en</strong>ts de <strong>par</strong>cours scrupuleusem<strong>en</strong>t détaillés <strong>par</strong> Vissière laiss<strong>en</strong>t<br />

dans l'incertitude. L'accès aux jardins de Zhongnanhai était conv<strong>en</strong>u et<br />

semble avoir eu lieu <strong>par</strong> la porte Xiyuanm<strong>en</strong>, mais une <strong>en</strong>trée <strong>par</strong> celle de<br />

Fuhuam<strong>en</strong>, évoquée plus haut, serait seule compatible avec la « longue<br />

route » décrite <strong>en</strong>suite. <strong>Le</strong> « pont <strong>en</strong> forme de ligne brisée » peut être la<br />

longue galerie <strong>en</strong> forme de swastika (wanzilang), <strong>par</strong>fois <strong>appelé</strong>e « pont<br />

<strong>en</strong> zigzag », de Zhonghai, et la salle du trône serait alors installée dans<br />

une des constructions de Zhonghai. De ces indications incomplètes de<br />

Vissière, aucune ne confirme que la <strong>consultation</strong> aurait eu lieu sur l'ilôt de<br />

Yingtai (Nanhai), où la rumeur disait <strong>l'empereur</strong> séquestré.<br />

105


Serge Franzini<br />

À la porte d'un pavillon le prince Qing, premier Grand Chambellan,<br />

présid<strong>en</strong>t du Zongli Yam<strong>en</strong> et cousin éloigné du Souverain, reçoit<br />

le Docteur et son compagnon. On <strong>en</strong>tre. Des prés<strong>en</strong>tations ont lieu avec<br />

les autres chambellans, princes Ma, K'o [Ke ?] et Duan, puis un assez<br />

long <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> a lieu sur la maladie de l'Empereur. <strong>Le</strong> prince Qing remet<br />

une copie sur papier jaune de la dernière <strong>consultation</strong>, faite la veille,<br />

<strong>par</strong> les médecins chinois et qui se termine <strong>par</strong> une longue ordonnance.<br />

Des difficultés sont prévues pour pouvoir ausculter le Souverain et le<br />

prince Qing les estime insurmontables, mais la résolution est prise de<br />

faire franchem<strong>en</strong>t une demande directe à l'Empereur et de s'<strong>en</strong> remettre<br />

à sa volonté. L'ordre est transmis de se r<strong>en</strong>dre dans la salle<br />

d'audi<strong>en</strong>ce. <strong>Le</strong> prince Qing ouvre la marche, suivi de MM. <strong>Dethève</strong> et<br />

Vissière et des princes grands chambellans.<br />

Une petite cour conduit, <strong>par</strong> une porte basse, dans celle beaucoup<br />

plus vaste et plantée de beaux arbres, où s'élève, brillante de couleurs<br />

vives et de vernis frais, la Salle du Trône. Dans la cour déserte, quatre<br />

haies de gardes du corps, peu nombreux, et ne se distinguant des autres<br />

mandarins que <strong>par</strong> le port du sabre, p<strong>en</strong>du presque horizontalem<strong>en</strong>t et<br />

la poignée <strong>en</strong> arrière.<br />

Quelques degrés de pierre conduis<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t dans la Salle, d'un<br />

ton général jaune, et très éclairée, au milieu de laquelle s'élève le Trône<br />

Impérial, situé sur une estrade. Sur le côté de cette salle, et occupant<br />

toute sa profondeur, a été ménagée une sorte de cabinet étroit, où pénètre<br />

aussi le jour abondant, et qui peut avoir sept mètres sur trois. On y<br />

accède de la Salle du Trône <strong>par</strong> une petite baie sans battant de porte<br />

autour de laquelle se pressai<strong>en</strong>t une tr<strong>en</strong>taine de Chinois dont le chapeau<br />

orné des globules inférieurs du mandarinat dénotai<strong>en</strong>t des serviteurs du<br />

palais, des eunuques.<br />

<strong>Le</strong> prince Qing, <strong>en</strong> montant les degrés de pierre situés à sa gauche<br />

pour <strong>en</strong>trer dans le Qinzh<strong>en</strong>gdian, prévint les deux étrangers qu'ils allai<strong>en</strong>t<br />

se trouver, dans le cabinet latéral, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du jeune empereur,<br />

assis au fond, et de l'Impératrice Douairière, lui faisant vis-à-vis.<br />

Il ne fut, d'ailleurs, nullem<strong>en</strong>t question pour eux de se défaire de leurs<br />

épées avant de se trouver <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du souverain et de la Rég<strong>en</strong>te et<br />

aucune question de cérémonial ne fut soulevée. <strong>Le</strong> groupe d'hommes<br />

qui obstruait la porte leur fit passage, et, sur le seuil, MM. <strong>Dethève</strong> et<br />

Vissière, suivis des quatre princes, fir<strong>en</strong>t une inclinaison profonde de<br />

tête <strong>en</strong> se découvrant, d'abord vers l'Impératrice, puis vers l'Empereur.<br />

Quelques pas vers la droite les fir<strong>en</strong>t passer tout près de ce dernier, à<br />

qui ils r<strong>en</strong>ouvelèr<strong>en</strong>t le même salut. <strong>Le</strong>s deux visages augustes demeurèr<strong>en</strong>t,<br />

d'ailleurs, impassibles, le regard haut et sans qu'aucune réponse<br />

106


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

accueillît ces témoignages de respect destinés à remplacer les ag<strong>en</strong>ouillem<strong>en</strong>ts<br />

des sujets chinois.<br />

L'Empereur, assis sur un large fauteuil couvert de coussins de satin<br />

jaune, et ayant devant lui une table très étroite et longue, toute simple<br />

de style et sans ornem<strong>en</strong>ts, portait le chapeau d'hiver avec effilés de<br />

soie rouge et nœud de même couleur t<strong>en</strong>ant lieu de bouton ou globule<br />

mandarinal, et le manteau de taffetas prune ou violet noir, sans dragons<br />

brodés. La tante et mère adoptive était vêtue d'un habit bleu <strong>en</strong> soie,<br />

avec bordures brodées de fleurs sur fond blanc ; la coiffure était celle<br />

des dames tartares avec une large barre transversale précédée de fleurs<br />

montées, <strong>en</strong> perles ou <strong>en</strong> pierres précieuses. <strong>Le</strong> visage ne portait ni<br />

fard, ni couleurs ; l'expression était énergique et hautaine, empreinte<br />

d'une grande sérénité. <strong>Le</strong> nez est très fort pour une personne de sa race,<br />

même busqué. Dans une circonstance antérieure, M. Vissière l'avait<br />

vue passer, <strong>en</strong> chaise presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t vitrée, se r<strong>en</strong>dant au Palais<br />

d'Été : le visage était alors complètem<strong>en</strong>t fardé et peint, le vêtem<strong>en</strong>t et<br />

la coiffure beaucoup plus riches et le regard plus impérieux <strong>en</strong>core.<br />

Devant l'Impératrice Douairière, siégeant aussi sur un ample fauteuil<br />

garni de coussins, s'ét<strong>en</strong>dait une table plus grande, recouverte d'un tapis<br />

de satin jaune retombant, sur trois côtés, jusqu'au sol.<br />

Après un sil<strong>en</strong>ce, M. Vissière s'adressa à l'Empereur, d'aspect doux<br />

et maladif, la figure glabre et maigre, l'œil <strong>en</strong>core noir et profond,<br />

<strong>par</strong>aissant à peine plus de la moitié de ses vingt-huit ans d'âge. Il lui dit<br />

que la nouvelle de sa maladie avait été apprise avec un profond regret,<br />

que le Dr <strong>Dethève</strong> serait heureux de lui donner ses soins et qu'il priait<br />

Sa Majesté de lui indiquer la cause et la nature de son mal. Un long<br />

sil<strong>en</strong>ce suivit <strong>en</strong>core, p<strong>en</strong>dant lequel l'Empereur regardait son<br />

interlocuteur comme s'il eût été gêné pour répondre ; puis, faisant un<br />

signe des yeux au prince Qing, qui alla aussitôt s'ag<strong>en</strong>ouiller auprès de<br />

lui pour l'écouter <strong>par</strong>ler, il lui dit très bas : « Qu'on regarde d'abord<br />

mon pouls. » <strong>Le</strong> Dr <strong>Dethève</strong> passa alors dans le coin de la chambre à la<br />

droite du Souverain et lui tâta le pouls droit.<br />

L'auteur de ces lignes laisse au Médecin le soin de r<strong>en</strong>dre compte<br />

lui-même, <strong>par</strong> son diagnostic ci-joint, des résultats de son exam<strong>en</strong>.<br />

L'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> dura <strong>en</strong>viron cinquante minutes ; le malade cons<strong>en</strong>tit à se<br />

laisser ausculter, <strong>en</strong> gardant sur sa poitrine un seul vêtem<strong>en</strong>t, après avoir<br />

sollicité et obt<strong>en</strong>u à cet effet le cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de l'Impératrice<br />

Douairière, et remit à M. Vissière un écrit de sa main, qu'il tira de sa<br />

botte et où il avait relaté avec détail l'origine de sa maladie et les<br />

manifestations diverses de celle-ci. Durant cet <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>, l'Impératrice<br />

Douairière intervint à plusieurs reprises, le ton vibrant de sa voix<br />

contrastant singulièrem<strong>en</strong>t avec celui de son fils adoptif, soit que celui-<br />

107


Serge Franzini<br />

ci la fît consulter ou non. <strong>Le</strong> prince Qing ou quelque autre des grands<br />

chambellans ne manquait pas de s'ag<strong>en</strong>ouiller alors chaque fois qu'il<br />

était <strong>appelé</strong> à servir d'intermédiaire <strong>en</strong>tre les Souverains ou à recueillir<br />

leurs <strong>par</strong>oles avant de les transmettre à M. Vissière. Au mom<strong>en</strong>t où ce<br />

dernier allait se retirer avec le Dr <strong>Dethève</strong>, l'Impératrice l'interpella<br />

pour lui demander quelle était la maladie de l'Empereur, et, sur la<br />

réponse qui lui fut faite, elle manifesta le désir qu'un bon moy<strong>en</strong> fût<br />

trouvé pour guérir l'auguste malade, et elle exprima ses remerciem<strong>en</strong>ts<br />

aux deux Français, pour la peine qu'ils avai<strong>en</strong>t prise.<br />

<strong>Le</strong> Dr <strong>Dethève</strong> et M. Vissière se retirèr<strong>en</strong>t alors à reculons, <strong>en</strong> faisant<br />

deux salutations profondes, et, au milieu du groupe des eunuques qui<br />

ont <strong>en</strong>vahi <strong>par</strong>tiellem<strong>en</strong>t le cabinet, ils gagn<strong>en</strong>t la cour avec les princes.<br />

Il est à peu près neuf heures du matin. <strong>Le</strong> retour se fait <strong>par</strong> le même<br />

chemin, et, dans la cour voisine, les grands secrétaires d'État Ronglu,<br />

Gangyi et Wang W<strong>en</strong>shao, sortant d'une salle d'att<strong>en</strong>te, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

s'<strong>en</strong>quérir du résultat de la visite et recueillir des impressions. <strong>Le</strong> prince<br />

Qing et les Ministres Chongli et Xu Yongyi pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>par</strong>t, avec le Dr<br />

<strong>Dethève</strong> et M. Vissière, dans la salle où avait eu lieu leur première<br />

réunion, à une collation chinoise (potage aux nids d'hirondelles, potage<br />

au riz et purée de haricots rouges, gâteaux) servie sur l'ordre exprès de<br />

l'Impératrice Douairière. Un résumé de diagnostic est écrit <strong>par</strong> un des<br />

secrétaires du Zongli Yam<strong>en</strong>, sur papier jaune, d'après les indications<br />

du médecin de la Légation de France, pour être aussitôt transmis à LL.<br />

MM.<br />

Congé est pris du prince Qing sur le seuil de la salle d'att<strong>en</strong>te, et les<br />

Ministres Chong et Xu reconduis<strong>en</strong>t <strong>par</strong> le même chemin, à travers le<br />

<strong>par</strong>c, MM. <strong>Dethève</strong> et Vissière jusqu'à la porte Xiyuanm<strong>en</strong>, qu'ils<br />

franchiss<strong>en</strong>t à dix heures et demie pour r<strong>en</strong>trer à la Légation de France,<br />

emportant avec eux l'écrit impérial, la <strong>consultation</strong> des médecins chinois<br />

et une substance à analyser, et escortés comme à l'aller <strong>par</strong> des officiers<br />

chinois.<br />

Pékin, le 20 octobre 1898. A. Vissière.<br />

Pièce 5 : Compte r<strong>en</strong>du médical du Dr <strong>Dethève</strong><br />

<strong>Le</strong>s archives diplomatiques ne sembl<strong>en</strong>t pas avoir conservé le rapport<br />

rédigé <strong>en</strong> français <strong>par</strong> <strong>Dethève</strong>. Elles ont <strong>par</strong> contre gardé (à Nantes) la<br />

copie de sa traduction <strong>en</strong> chinois, dans le recueil des correspondances<br />

108


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

remises aux autorités chinoises 16 . Comme il est signalé plus haut, de<br />

larges extraits de cette traduction des conclusions de <strong>Dethève</strong>, ainsi<br />

qu'une reproduction photographique <strong>par</strong>tielle, ont été publiés <strong>en</strong> Chine 17 .<br />

On trouvera ci-après une retraduction <strong>en</strong> français (avec les réserves<br />

qui s'impos<strong>en</strong>t) de cette traduction <strong>en</strong> chinois des conclusions du Dr<br />

<strong>Dethève</strong>, remises au Zongli Yam<strong>en</strong> le 20 octobre 1898, soit deux jours<br />

après la <strong>consultation</strong>.<br />

<strong>Le</strong> quatrième jour de la neuvième lune, vingt-quatrième année Guangxu<br />

[18 octobre 1898], <strong>Dethève</strong>, médecin de la légation de France à Pékin,<br />

a été invité à examiner l'Empereur. Il lui a été directem<strong>en</strong>t remis un<br />

résumé du cours de la maladie. Après avoir mûrem<strong>en</strong>t considéré les<br />

élém<strong>en</strong>ts communiqués de vive voix, il livre ici ses conclusions :<br />

Il y a affaiblissem<strong>en</strong>t physique, avec amaigrissem<strong>en</strong>t et asthénie,<br />

pâleur du teint. L'appétit est satisfaisant mais la digestion ral<strong>en</strong>tie ; les<br />

selles sont plutôt molles, de teinte claire, avec des élém<strong>en</strong>ts incomplètem<strong>en</strong>t<br />

digérés. Parfois <strong>en</strong>core il y a des nausées et des vomissem<strong>en</strong>ts,<br />

une gêne respiratoire intermitt<strong>en</strong>te, une obstruction dans la poitrine, un<br />

souffle court.<br />

Ce jour il a été accordé d'ausculter le souffle du poumon, qui est<br />

sans anomalie, mais la circulation sanguine est assez perturbée ; le pouls<br />

est accéléré et sans vigueur. Il y a <strong>en</strong>core un mal de tête, avec fébricule<br />

dans la poitrine, bourdonnem<strong>en</strong>ts d'oreille, vertiges. <strong>Le</strong>s jambes <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t<br />

instables. On note d'autre <strong>par</strong>t une frilosité, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

marquée aux jambes et aux g<strong>en</strong>oux. <strong>Le</strong>s doigts sont <strong>en</strong>gourdis et les<br />

jambes <strong>en</strong>dolories. Cela s'accompagne de démangeaisons sporadiques,<br />

d'une légère surdité, avec baisse de l'acuité visuelle, et douleur lombaire.<br />

Quant à la fonction urinaire, sa perturbation est marquée. À l'inspection<br />

les urines sont claires et peu abondantes. <strong>Le</strong>ur analyse chimique montre<br />

qu'elles ne conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas d'albumine et qu'elles sont de faible d<strong>en</strong>sité.<br />

<strong>Le</strong>s mictions sont fréqu<strong>en</strong>tes et de quantité faible, comme si elles ne<br />

suffisai<strong>en</strong>t pas à l'urine d'un jour.<br />

• Dans le résumé clinique [directem<strong>en</strong>t remis] il est insisté sur les<br />

pertes séminales qui, surv<strong>en</strong>ant la nuit, sont rapportées à l'émotion des<br />

s<strong>en</strong>s ; dans la journée elles ne survi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas, mais il y a alors impossibilité<br />

d'obt<strong>en</strong>ir une érection.<br />

16 Cf. n. 8.<br />

17 Cf. Zhou W<strong>en</strong>quan, op. cit., et Li Jingwei (éd.), op. cit.<br />

109


Franzini<br />

Ses conclusions sont les suivantes : ce qui afflige l'Empereur est<br />

manifestem<strong>en</strong>t dû à la défaillance du rein. Dans les termes de la médecine<br />

occid<strong>en</strong>tale cela s'appelle néphrite chronique 18 .<br />

<strong>Le</strong> rôle du rein chez le sujet sain est le suivant : les substances toxiques<br />

prov<strong>en</strong>ant de la digestion des alim<strong>en</strong>ts constitu<strong>en</strong>t des déchets que<br />

la circulation sanguine porte jusqu'au rein qui les extrait et les évacue<br />

avec l'urine, ce qui évite l'intoxication nerveuse. En cas d'insuffisance<br />

du rein, les déchets ne peuv<strong>en</strong>t être joints à l'urine pour être éliminés,<br />

le sang les remporte et les dissémine dans tout le corps, chaque jour un<br />

peu plus, jusqu'à provoquer tous les troubles décrits ci-dessus.<br />

Dans la conduite du traitem<strong>en</strong>t, d'une façon générale il faudra éviter<br />

le surcroît de travail du rein, afin qu'il puisse mêler les déchets à l'urine,<br />

et les éliminer <strong>en</strong>semble. <strong>Le</strong> meilleur traitem<strong>en</strong>t est diététique et consiste<br />

à n'ingérer, chaque jour, que du lait de nourrice ou du lait de vache ;<br />

qu'aucun autre alim<strong>en</strong>t ne soit porté à la bouche. Chaque jour absorber<br />

<strong>en</strong>viron six litres [sh<strong>en</strong>g] de lait. Si l'on choisit le lait de vache il faut y<br />

ajouter une once et demie de lactose. Une telle diète lactée doit être<br />

poursuivie p<strong>en</strong>dant plusieurs mois. Quant à traiter <strong>par</strong> des médicam<strong>en</strong>ts,<br />

on peut utiliser la poudre de digitale 19 , efficace sur les douleurs<br />

lombaires lorsqu'on <strong>en</strong> frotte les régions douloureuses. En Occid<strong>en</strong>t il<br />

existe des bocaux à aspiration, d'une efficacité com<strong>par</strong>able.<br />

Si l'on suit cette méthode diététique, les urines s'équilibreront, les<br />

difficultés respiratoires dis<strong>par</strong>aîtront, jusqu'à une complète guérison.<br />

<strong>Le</strong>s pertes séminales sont dues à ce que l'affaiblissem<strong>en</strong>t général s'ét<strong>en</strong>d<br />

à la peau et aux muscles du bas-v<strong>en</strong>tre, si bi<strong>en</strong> que ceux-ci ne peuv<strong>en</strong>t<br />

cont<strong>en</strong>ir la sem<strong>en</strong>ce. Il faut d'abord traiter le rein, <strong>en</strong>suite il sera aisé<br />

d'obt<strong>en</strong>ir l'arrêt des pertes séminales.<br />

D'un simple et dévoué médecin, ceci est l'humble opinion.<br />

Communiqué au Zongli Yam<strong>en</strong> le sixième jour de la neuvième lune,<br />

vingt-quatrième année Guangxu [20 octobrel898].<br />

Yaohuo changzh<strong>en</strong>g : « feu prolongé des lombes ».<br />

Yangdihuang : « Rehmannia d'Occid<strong>en</strong>t ». La plante dihuang (Rehmannia<br />

glutinosà), qui donne un antiphlogistique connu dans la pharmacopée<br />

chinoise, est une scrofulariacée comme la digitale pourprée officinale.<br />

110


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Pièces 6 et 7 : Premiers comptes r<strong>en</strong>dus diagnostiques<br />

Pékin via Shanghai, 18 octobre 9h.<br />

Télégramme 244 — Lorsque la maladie de l'Empereur Guangxu fut<br />

officiellem<strong>en</strong>t déclarée, et qu'un appel fut adressé à tous les médecins,<br />

j'avais offert les soins du <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>. Cette proposition a été acceptée<br />

à la suite d'un rapport au Trône et le médecin de la légation a été<br />

<strong>appelé</strong> <strong>en</strong> <strong>consultation</strong> <strong>par</strong> l'Empereur. Il y est allé, accompagné de M.<br />

Vissière. La <strong>consultation</strong> a eu lieu <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de l'Impératrice<br />

douairière. La nouvelle de ce fait a produit grande émotion à Pékin.<br />

Très confid<strong>en</strong>tiel — D'après le <strong>docteur</strong> qui a examiné avec soin et ausculté<br />

l'Empereur celui-ci serait atteint de faiblesse constitutionnelle très<br />

grande avec anémie et trace <strong>en</strong>core douteuse de phtisie pulmonaire : sa<br />

vie ne courrait pas de danger immédiat.<br />

Pichon.<br />

Pékin, le 21 octobre 1898, 9h45. Reçu le 22 à 9h45 mat.<br />

Suite à mon télégramme n° 244.<br />

Après exam<strong>en</strong> minutieux et complété <strong>par</strong> une note rédigée <strong>par</strong> le <strong>docteur</strong><br />

<strong>Dethève</strong> la conclusion est que l'Empereur est atteint du mal de<br />

Bright 20 .<br />

Pichon.<br />

Pièce 8 : Dernière appréciation diplomatique (dépêche n°82, du 23<br />

octobre 1898)<br />

Monsieur le Ministre, j'ai eu l'honneur de vous informer, <strong>par</strong> mon télégramme<br />

n° 244 du 18 courant, que le <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>, médecin intérimaire<br />

de la légation, avait été <strong>appelé</strong> <strong>en</strong> <strong>consultation</strong> <strong>par</strong> l'Empereur.<br />

La nouvelle de ce fait a produit, comme je le disais dans mon télégramme<br />

précité une grande impression à Pékin.<br />

C'est peut-être la première fois, <strong>en</strong> effet, depuis plus de deux c<strong>en</strong>ts<br />

ans, qu'un médecin europé<strong>en</strong> donne ses soins à un Empereur de Chine 21 .<br />

20 Mal de Bright : inflammation chronique du rein, avec albuminurie<br />

(« néphrite albumineuse »). Cf. plus loin « Aspects médicaux ».<br />

21 Allusion aux missionnaires jésuites à la cour de <strong>l'empereur</strong> Kangxi <strong>en</strong><br />

1692. Cf. plus loin « Aspects médicaux ».<br />

111


Serge Franzini<br />

<strong>Le</strong>s docum<strong>en</strong>ts ci-joints fourniront à Votre Excell<strong>en</strong>ce tous les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />

sur les conditions dans lesquelles cet événem<strong>en</strong>t a eu lieu.<br />

<strong>Le</strong> 25 septembre, avait <strong>par</strong>u un décret signalant la maladie du souverain<br />

et réclamant le concours de tous les médecins r<strong>en</strong>ommés de<br />

l'Empire. <strong>Le</strong> jour même, j'écrivais officiellem<strong>en</strong>t au Zongli Yam<strong>en</strong> pour<br />

mettre le <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> à la disposition du Gouvernem<strong>en</strong>t Chinois. Il<br />

me fut répondu d'abord qu'un rapport serait fait au Trône, bi<strong>en</strong> que,<br />

jusqu'alors, la médecine europé<strong>en</strong>ne n'ait pas été employée dans des<br />

cas de ce g<strong>en</strong>re. Puis, <strong>par</strong> une seconde lettre, le Zongli Yam<strong>en</strong> m'informa<br />

qu'à la suite du rapport qu'il avait reçu, l'Empereur avait décidé<br />

d'accepter l'offre que j'avais faite. R<strong>en</strong>dez-vous était, <strong>en</strong> même temps,<br />

fixé au médecin de la Légation, que des mandarins devai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir<br />

pr<strong>en</strong>dre pour le conduire au Palais. <strong>Le</strong>s comptes r<strong>en</strong>dus de cette visite,<br />

faits <strong>par</strong> M. Vissière et M. <strong>Dethève</strong>, sont annexés à la prés<strong>en</strong>te dépêche.<br />

<strong>Le</strong> résultat de la <strong>consultation</strong> est que le malade serait atteint d'une<br />

néphrite chronique (mal de Bright), ainsi que je vous l'ai télégraphié le<br />

21 courant. Il est difficile de se faire illusion sur la gravité de cette<br />

constatation, qui laisserait peu de doute sur l'ouverture probablem<strong>en</strong>t<br />

peu éloignée de la succession de Guangxu. L'Empereur, auquel il reste<br />

assez d'intellig<strong>en</strong>ce et de lucidité d'esprit pour compr<strong>en</strong>dre<br />

l'insuffisance du traitem<strong>en</strong>t que les médecins chinois lui ont ordonné, a<br />

pris soin d'énumérer, dans une note rédigée <strong>par</strong> lui-même, tous les<br />

symptômes de sa maladie, tels qu'il les a observés. Je joins égalem<strong>en</strong>t<br />

une traduction de cette pièce curieuse aux annexes de mon rapport, bi<strong>en</strong><br />

qu'elle ait un caractère assez spécial. Elle serait <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

intéressante pour qui voudrait com<strong>par</strong>er à la réserve habituelle des races<br />

civilisées dans l'étude des manifestations intimes de l'organisme humain<br />

l'abs<strong>en</strong>ce complète de ret<strong>en</strong>ue de la race tartare.<br />

L'appel d'un médecin français au palais a naturellem<strong>en</strong>t éveillé<br />

beaucoup de curiosité dans les légations étrangères, dont plusieurs<br />

n'aurai<strong>en</strong>t pas été fâchées sans doute d'avoir été l'objet de la préfér<strong>en</strong>ce<br />

qui nous a été accordée. Mais j'avais été le seul <strong>par</strong>mi mes collègues à<br />

faire au Zongli Yam<strong>en</strong> la proposition qui a été acceptée, et nous avons<br />

été <strong>par</strong> conséqu<strong>en</strong>t seuls à <strong>en</strong> bénéficier. Je n'ai fait connaître aux<br />

membres du Corps Diplomatique le résultat de l'exam<strong>en</strong> du <strong>docteur</strong><br />

<strong>Dethève</strong> que dans la limite où le permettait le secret professionnel.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, comme le Zongli Yam<strong>en</strong> s'est fait communiquer le<br />

diagnostic et l'ordonnance r<strong>en</strong>dus à la suite de la <strong>consultation</strong>, il est<br />

probable que des indiscrétions auront révélé plus ou moins ce que je<br />

n'avais cru pouvoir dire.<br />

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre (etc.).<br />

S. Pichon.<br />

112


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Pièce 9 : Récit d'Arnold Vissière deux ans plus tard<br />

En 1900, après avoir obt<strong>en</strong>u une chaire à l'École des Langues Ori<strong>en</strong>tales<br />

de Paris, donc ayant quitté ses fonctions consulaires à Pékin, Vissière<br />

est v<strong>en</strong>u rappeler cette <strong>consultation</strong>, son caractère exceptionnel et les<br />

élém<strong>en</strong>ts qu'il estimait pouvoir <strong>en</strong> livrer lors d'une confér<strong>en</strong>ce, puis<br />

dans une publication relativem<strong>en</strong>t discrète 22 .<br />

[...] En dehors des réceptions officielles dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong>ler, je ne<br />

connais qu'un seul cas d'audi<strong>en</strong>ce privée accordée <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong> à<br />

des étrangers. Ce fut lorsque le médecin de la légation de France, M. le<br />

<strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>, que j'accompagnais, fut <strong>appelé</strong> au palais pour y examiner<br />

l'état de santé du jeune souverain. <strong>Le</strong>s services de notre compatriote<br />

avai<strong>en</strong>t été offerts <strong>par</strong> le ministre de France et agréés. Une telle<br />

visite était, cep<strong>en</strong>dant, contraire aux traditions les mieux <strong>en</strong>racinées de<br />

la cour de Chine, où les soins à donner aux empereurs incomb<strong>en</strong>t aux<br />

membres nombreux d'un collège impérial de médecine, qui doiv<strong>en</strong>t être<br />

fort jaloux de leurs prérogatives et dont les principes touchant l'art de<br />

guérir s'écart<strong>en</strong>t fort assurém<strong>en</strong>t des méthodes suivies <strong>par</strong> nos pratici<strong>en</strong>s.<br />

L'audi<strong>en</strong>ce eut lieu, cette fois, dans une chambre latérale à une<br />

salle du trône située dans les Jardins de l'ouest. L'empereur Guangxu,<br />

assis à l'une des extrémités de la chambre, avait devant lui une petite<br />

table ; l'impératrice douairière Cixi lui faisait vis-à-vis, derrière une<br />

table plus grande et couverte d'un riche tapis de soie jaune. La <strong>consultation</strong><br />

dura plus d'une heure et les deux étrangers n'eur<strong>en</strong>t aussi qu'à se<br />

louer des procédés courtois dont il ne cessèr<strong>en</strong>t d'être l'objet tant de la<br />

<strong>par</strong>t du malade que de sa tante. Des princes, des eunuques, des serviteurs<br />

assistai<strong>en</strong>t seuls à l'audi<strong>en</strong>ce et ne manquai<strong>en</strong>t pas de s'ag<strong>en</strong>ouiller<br />

auprès de leur auguste interlocuteur, dès que l'un des souverains leur<br />

adressait la <strong>par</strong>ole ou qu'ils avai<strong>en</strong>t à lui <strong>par</strong>ler. Ce fut, sans doute, la<br />

seule occasion qu'ait eue jusqu'ici <strong>l'empereur</strong> actuel de converser directem<strong>en</strong>t<br />

avec des Europé<strong>en</strong>s. Il passe, cep<strong>en</strong>dant, pour avoir eu la curiosité<br />

d'appr<strong>en</strong>dre un peu de français et d'anglais.<br />

Atteint d'un mal peut-être incurable, <strong>l'empereur</strong>, dont le tr<strong>en</strong>tième<br />

anniversaire doit être célébré avec une sol<strong>en</strong>nité <strong>par</strong>ticulière le 22 juillet<br />

prochain 23 , — si le programme édicté peut être suivi, — a désigné derniè-<br />

22 Arnold Vissière, Pékin, le palais et la cour, Ca<strong>en</strong>, [s.éd.], 1900, p. 21-22.<br />

23 L'empereur <strong>en</strong>trait dans sa tr<strong>en</strong>tième année aux derniers jours du sixième<br />

113


Serge Franzini<br />

rem<strong>en</strong>t son héritier au trône dans la personne du jeune prince Pujun,<br />

fils du prince Duan [...].<br />

Aspects médicaux<br />

Comme on l'a bi<strong>en</strong> noté à l'époque, cette interv<strong>en</strong>tion d'un médecin<br />

étranger sur la personne d'un empereur de Chine était pour l'ess<strong>en</strong>tiel<br />

une innovation, que quelques antécéd<strong>en</strong>ts vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core mettre <strong>en</strong><br />

relief.<br />

<strong>Le</strong> plus anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t docum<strong>en</strong>té est sans doute le cas d'Aixue 24 .<br />

Originaire de l'Ori<strong>en</strong>t méditerrané<strong>en</strong>, on l'a dit Franc du <strong>Le</strong>vant, Syri<strong>en</strong>,<br />

Arabe chréti<strong>en</strong>, nestori<strong>en</strong>. <strong>Le</strong>s Annales dynastiques des Yuan dis<strong>en</strong>t de<br />

lui qu'il est un « Fulin » (Fulin r<strong>en</strong>), ce que l'on peut rapprocher de<br />

notre anci<strong>en</strong> terme « poulain », qui s'appliquait à l'« <strong>en</strong>fant né du<br />

mariage d'un Franc et d'une femme indigène chréti<strong>en</strong>ne » 25 . Dev<strong>en</strong>u<br />

astrologue et médecin de rang élevé au service des empereurs mongols<br />

vers 1260, Aixue est resté connu pour avoir introduit <strong>en</strong> Chine des<br />

connaissances et des ouvrages médicaux arabes ou perses, et pour avoir<br />

mis <strong>en</strong> place la première structure hospitalière, le Guanghuisi (Bureau<br />

pour ét<strong>en</strong>dre la bi<strong>en</strong>faisance), dans la capitale chinoise, sur un modèle<br />

arabe ou levantin. Aixue aurait <strong>en</strong>core été l'instigateur de mesures<br />

administratives hostiles aux musulmans. Il persiste bi<strong>en</strong> des incertitudes<br />

sur ce personnage qui a manifestem<strong>en</strong>t été d'abord dirigeant ou courtisan<br />

et non pratici<strong>en</strong> de la médecine. On sait <strong>par</strong> ailleurs que la dynastie<br />

mongole a volontiers fait appel à des tal<strong>en</strong>ts étrangers à la Chine.<br />

mois lunaire. Vissière a visiblem<strong>en</strong>t pré<strong>par</strong>é sa confér<strong>en</strong>ce durant les<br />

troubles qui ont conduit au siège de Pékin.<br />

24 Transcription chinoise pour 'Isa ou Isaiah ? Cf. Paul Pelliot, T'oung Pao,<br />

15, 1914, p. 623-641 ; et A.C. Moule, Christians in China Before the Year<br />

1550, Londres, 1930, p. 228-233.<br />

25 Cf. Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l'anci<strong>en</strong>ne langue française et de<br />

tous ses dialectes du IX e au XV e siècle, Paris, 1881-1902, réimp. Slatkine,<br />

1982.<br />

114


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

De manière plus précise on sait qu'<strong>en</strong> 1692 des jésuites <strong>en</strong> mission à<br />

Pékin ayant reçu du quinquina, <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance de leurs pairs d'Amérique<br />

du Sud, l'ont proposé à l'<strong>en</strong>tourage de <strong>l'empereur</strong> Kangxi. Celui-ci<br />

souffrait de fièvres récurr<strong>en</strong>tes, assimilées aujourd'hui au paludisme,<br />

sans qu'il soit possible de confirmer rétrospectivem<strong>en</strong>t ce diagnostic ni<br />

la réalité de l'effet thérapeutique. Il faut observer qu'il n'y a pas eu<br />

alors d'exam<strong>en</strong> physique de <strong>l'empereur</strong>, et que la narration de<br />

l'événem<strong>en</strong>t lui est postérieure de onze années 26 . L'usage thérapeutique<br />

d'un végétal n'avait ri<strong>en</strong> de remarquable pour des médecins chinois ;<br />

sa prov<strong>en</strong>ance d'un pays lointain pouvait <strong>par</strong> contre illustrer une capacité<br />

des missionnaires jésuites, comme cela s'était produit au<strong>par</strong>avant <strong>en</strong><br />

Europe, lors de la difficile réception du quinquina, «poudre des<br />

jésuites », remède ignoré des auteurs vénérables 27 .<br />

On rapporte <strong>en</strong>core que le Frère Bernard Rhodes fut, vers 1699,<br />

considéré comme infirmier ou chirurgi<strong>en</strong> <strong>par</strong>ticulier de <strong>l'empereur</strong><br />

Kangxi : « Il r<strong>en</strong>dit deux fois la santé à <strong>l'empereur</strong> : la première fois<br />

<strong>par</strong> la confection d'un alkermès qui fit cesser les palpitations viol<strong>en</strong>tes<br />

de cœur qui l'oppressai<strong>en</strong>t ; <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> lui <strong>en</strong>levant une tumeur fâcheuse<br />

qui lui était v<strong>en</strong>ue sur la lèvre supérieure. » On pourrait voir là un<br />

antécéd<strong>en</strong>t plus com<strong>par</strong>able à la <strong>consultation</strong> de <strong>Dethève</strong> s'il n'était<br />

que Bernard Rhodes n'avait pas de formation médicale <strong>par</strong>ticulière et<br />

qu'il est resté longtemps dans l'<strong>en</strong>tourage de <strong>l'empereur</strong> sans avoir ce<br />

rôle précis. Ce n'est qu'après qu'on eut remarqué chez lui un tal<strong>en</strong>t<br />

personnel d'herboriste et de chirurgi<strong>en</strong> qu'il fut sollicité. Il y a eu là<br />

une appréciation de qualités personnelles, indép<strong>en</strong>dantes de la formation<br />

et de la position, et sans différ<strong>en</strong>ce avec les qualités qu'aurait prés<strong>en</strong>té<br />

un pratici<strong>en</strong> chinois.<br />

26 <strong>Le</strong>ttre du P. de Fontaney au P. de La Chaise, du 15 février 1703 ; cf. <strong>Le</strong>ttres<br />

édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères, Lyon, 1819, vol. 9,<br />

p. 388.<br />

27 Cf., <strong>par</strong> exemple, l'Arrêt burlesque de Boileau (1671) ou le Poème du<br />

quinquina de La Fontaine (1682).<br />

28 Cf. <strong>Le</strong>ttres édifiantes et curieuses, vol. 10, p. 53, p. 207.<br />

115


Serge Franzini<br />

Près d'un siècle plus tard, le 16 septembre 1793, Hugh Gillan, médecin<br />

de l'ambassade anglaise de Macartney, fut sollicité <strong>par</strong> Hesh<strong>en</strong>, grand<br />

secrétaire ou « premier ministre » de <strong>l'empereur</strong> Qianlong. Hesh<strong>en</strong> se<br />

plaignait depuis plusieurs années de douleurs articulaires d'allure inflammatoire<br />

et d'une hernie inguinale. Gillan précise dans ses notes annexées<br />

au journal de Macartney qu'il a lui-même examiné le ministre et a bi<strong>en</strong><br />

constaté la hernie. Il y a donc eu <strong>en</strong> cette occasion un exam<strong>en</strong> physique<br />

du plus important des dignitaires du palais, proche de <strong>l'empereur</strong><br />

Qianlong, et à sa propre demande. Dans ses notes, Gillan ne précise pas<br />

s'il y a eu traitem<strong>en</strong>t effectif pour cette hernie 29 .<br />

Rev<strong>en</strong>ant à <strong>Dethève</strong>, on voit que s'il n'est pas le premier médecin<br />

étranger convié à approcher un empereur de Chine, il <strong>par</strong>aît bi<strong>en</strong> le<br />

premier à l'avoir été non pour un tal<strong>en</strong>t personnel <strong>par</strong>ticulier, mais pour<br />

sa formation et sa position de médecin. Dans les circonstances qui nous<br />

occup<strong>en</strong>t il n'a été que le représ<strong>en</strong>tant de la médecine europé<strong>en</strong>ne, interv<strong>en</strong>ant<br />

après les médecins impériaux et <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce avec les médecins<br />

chinois extérieurs au palais.<br />

L'empereur Guangxu est connu pour avoir été <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t maladif<br />

et féru de littérature médicale. Très préoccupé de sa santé, il a copié<br />

ou rédigé lui-même un certain nombre d'observations et d'ordonnances,<br />

qui font maint<strong>en</strong>ant <strong>par</strong>tie des docum<strong>en</strong>ts curieux de la littérature<br />

médicale chinoise. Plusieurs des prescriptions de ses médecins attitrés,<br />

pour la même plainte de pertes séminales, ont été récemm<strong>en</strong>t publiées 30 .<br />

Elles sont données aujourd'hui sans date précise, mais d'après l'observation<br />

autographe déjà évoquée, qui peut être datée de 1907 31 , on sait<br />

que <strong>l'empereur</strong> a prés<strong>en</strong>té cette plainte depuis l'âge de 14 ou 15 ans.<br />

29 An Embassy to China — Being the Journal Kept by Lord Macartney During<br />

his Embassy to the Emperor Ch'i<strong>en</strong>-lung 1793-1794, Londres, Longmans,<br />

1962, p. 283 (p. 279-303 : « Dr. Gillan's Observations on the State of<br />

Medicine, Surgery, and Chemistry in China »).<br />

30 Cf. Ch<strong>en</strong> Keji (éd.), Qingdai gongting yihua, p. 125-130, et Cixi Guangxu<br />

yifang xuanyi, p. 271-277.<br />

31 Cf. Ch<strong>en</strong> Keji (éd.), Qingdai gongting yihua, p. 125.<br />

116


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Rappelons que Guangxu est mort <strong>en</strong> novembre 1908, à l'âge de 36 ans,<br />

dans des circonstances soudaines mal élucidées, <strong>en</strong> même temps ou presque<br />

que mourait l'impératrice Cixi, et sans que l'on ait pu déterminer si<br />

l'une a eu un rôle dans la fin de l'autre.<br />

Dans la littérature médicale chinoise d'inspiration anci<strong>en</strong>ne, les<br />

pertes séminales constitu<strong>en</strong>t un chapitre à <strong>par</strong>t <strong>en</strong>tière et sont régulièrem<strong>en</strong>t<br />

imputées à une défaillance de la fonction de rét<strong>en</strong>tion, de<br />

préservation, attribuée au rein. Dans le cadre des relations analogiques<br />

de l'anci<strong>en</strong>ne médecine, une correspondance majeure <strong>en</strong>tre le rein et<br />

les os conduit à <strong>en</strong>visager l'<strong>en</strong>semble du squelette comme cont<strong>en</strong>ant et<br />

protégeant les moelles ess<strong>en</strong>tielles, au premier chef desquelles la moelle<br />

épinière et le cerveau. Toutes ces moelles résult<strong>en</strong>t de l'activité du rein<br />

et sont <strong>en</strong> continuité avec la sem<strong>en</strong>ce génitale. Dans cette perspective,<br />

l'émission séminale excessive conduit à un déficit ess<strong>en</strong>tiel, à un<br />

évidem<strong>en</strong>t de l'ossature, et l'on conçoit sans peine qu'affectant la<br />

personne de <strong>l'empereur</strong> ce trouble équivaut à une déliquesc<strong>en</strong>ce de<br />

l'empire. Accepter l'interv<strong>en</strong>tion d'un médecin étranger dans ces circonstances<br />

difficiles témoigne d'un grand désarroi. Que cette interv<strong>en</strong>tion<br />

reste sans effet est finalem<strong>en</strong>t un moindre mal et peut-être même, pour<br />

certains, la marque d'une supériorité dans la faiblesse.<br />

On peut regretter que l'observation autographe détaillée, directem<strong>en</strong>t<br />

remise <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong> à Vissière lors de l'audi<strong>en</strong>ce, soit aujourd'hui<br />

perdue. Cep<strong>en</strong>dant, on verra plus loin que des traductions ou transpositions<br />

<strong>par</strong>tielles <strong>en</strong> ont été publiées <strong>en</strong> France quelque temps après,<br />

d'abord <strong>par</strong> Jean Hess <strong>en</strong> 1900, puis <strong>par</strong> George Soulié de Morant <strong>en</strong><br />

1911.<br />

Il ne faudrait pas ignorer qu'<strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t les pertes séminales ont<br />

fait pleinem<strong>en</strong>t et <strong>par</strong>eillem<strong>en</strong>t <strong>par</strong>tie des questions médicales jusqu'au<br />

début du xx e siècle, voire jusque dans les années 1920-1930, sous<br />

diverses appellations telles que profluvium seminis, « phtisie dorsale »<br />

ou <strong>en</strong>core « consomption dorsale » (ce qui impliquait aussi une<br />

déperdition des moelles), <strong>en</strong>fin celle de « spermatorrhée ».<br />

Cette question des causes et du traitem<strong>en</strong>t des pertes séminales était<br />

donc <strong>en</strong>core débattue <strong>en</strong> 1898, mais <strong>par</strong> des auteurs secondaires ou déjà<br />

dépassés, car la sé<strong>par</strong>ation <strong>en</strong>tre les fonctions urinaire et génitale était<br />

117


Serge Franzini<br />

déjà clairem<strong>en</strong>t établie. Ce serait à la suite d'auteurs comme Lallemand<br />

(1790-1853) et Trousseau (1801-1867) que la notion de pertes séminales<br />

symptomatiques a progressivem<strong>en</strong>t dis<strong>par</strong>u et pouvait, <strong>en</strong> 1898, être<br />

assimilée aux pertes urinaires 32 . <strong>Dethève</strong> a donc avec raison transposé<br />

la plainte de <strong>l'empereur</strong>, alors déjà désuète et irrecevable dans cette<br />

formulation, <strong>en</strong> celle d'un écoulem<strong>en</strong>t d'urines coagulables, ce qui<br />

<strong>en</strong>trait dans le cadre des hydropisies (épanchem<strong>en</strong>ts, œdèmes) d'origine<br />

rénale, <strong>par</strong> distinction avec les hydropisies d'origine hépatique (telles<br />

que l'ascite abdominale de la cirrhose).<br />

<strong>Le</strong>s premiers élém<strong>en</strong>ts diagnostiques, télégraphiés le jour même de<br />

la <strong>consultation</strong> (18 octobre), sont imprécis ou prud<strong>en</strong>ts : faiblesse constitutionnelle,<br />

anémie, traces de phtisie pulmonaire. Ils témoign<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t<br />

de l'ap<strong>par</strong><strong>en</strong>ce affaiblie de <strong>l'empereur</strong>, et peut-être du cont<strong>en</strong>u<br />

de l'observation autographe remise à Vissière. À compter du 20 octobre,<br />

les docum<strong>en</strong>ts diplomatiques fourniss<strong>en</strong>t le diagnostic de « mal de<br />

Bright », qui passait pour technique et précis. Depuis les célèbres travaux<br />

de Bright 33 , ce terme (Bright's Disease, morbus Brightii) a été longtemps<br />

de mise pour l'association de certaines lésions histologiques du rein et<br />

d'hydropisies (œdèmes) avec urines coagulables à la chaleur ou au réactif<br />

chimique, car cont<strong>en</strong>ant des protéines (albumine). Dès avant 1898, la<br />

spécificité du terme était discutée ou limitée aux lésions anatomiques<br />

avérées, et certains auteurs préférai<strong>en</strong>t celui de « néphrite albumineuse »<br />

pour l'<strong>en</strong>semble du tableau clinique, sans exam<strong>en</strong> anatomique du rein,<br />

<strong>en</strong> distinguant des formes plus ou moins sévères, des causes diverses<br />

32 Cf. <strong>par</strong> exemple le Dictionnaire <strong>en</strong>cyclopédique des sci<strong>en</strong>ces médicales,<br />

sous la direction des Drs Jacques Raigé-Delorme et Amédée Dechambre,<br />

Paris, Asselin-Masson, 1864-1889 (article « Spermatorrhée »).<br />

33 Richard Bright (1789-1858), Reports of Médical Cases Selected with a<br />

View of Illustrating the Symptoms and Cure of Diseases, by Référ<strong>en</strong>ce to<br />

MorbidAnatomy, Londres, 1827-1831. Ses travaux visai<strong>en</strong>t à rapporter la<br />

symptomatologie aux lésions anatomiques. Son nom reste <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

attaché à cette « affection granuleuse » des reins avec albuminurie. Il reçut<br />

plus tard le titre de « médecin de la Reine ».<br />

118


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

et une albuminurie variable, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t abs<strong>en</strong>te. Mais aujourd'hui<br />

le terme et la notion sont eux-mêmes abandonnés et <strong>en</strong>globés <strong>par</strong>mi les<br />

différ<strong>en</strong>tes néphropathies chroniques avec insuffisance rénale, c'est-àdire<br />

insuffisance d'élimination, d'où les manifestations du type de<br />

l'œdème.<br />

Ce diagnostic de mal de Bright posé <strong>par</strong> <strong>Dethève</strong>, tel qu'il nous est<br />

indiqué <strong>par</strong> les dépêches diplomatiques, ne s'appuyait que sur les<br />

élém<strong>en</strong>ts donnés sur le cours de sa maladie <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong> lui-même<br />

(anamnèse) et l'exam<strong>en</strong> clinique, car on aura noté que l'analyse chimique<br />

effectuée <strong>en</strong>suite n'a pas retrouvé d'albumine dans les urines de<br />

<strong>l'empereur</strong>. On reti<strong>en</strong>dra surtout de cette analyse d'urines que le<br />

déroulem<strong>en</strong>t de l'exam<strong>en</strong> médical est allé jusqu'à ce point de simplicité<br />

technique. Vissière écrit bi<strong>en</strong> à la fin de son compte r<strong>en</strong>du : « MM.<br />

<strong>Dethève</strong> et Vissière [se sont retirés] emportant avec eux l'écrit impérial,<br />

la <strong>consultation</strong> des médecins chinois et une substance à analyser [...]. »<br />

Que la substance effectivem<strong>en</strong>t analysée, et ap<strong>par</strong>emm<strong>en</strong>t peu pathologique<br />

ou même normale, provi<strong>en</strong>ne ou non de <strong>l'empereur</strong> ne change<br />

ri<strong>en</strong> au fait que la seule appréciation diagnostique à ret<strong>en</strong>ir aujourd'hui<br />

à propos de cette plainte répétée se situe dans le registre psychopathologique<br />

et dans le cadre de préoccupations hypocondriaques ou<br />

d'appréh<strong>en</strong>sions phobiques. Ce qui ne serait pas exactem<strong>en</strong>t une<br />

reconnaissance « sci<strong>en</strong>tifique » et moderne du trouble, mais plutôt sa<br />

mise à l'écart, aux marges de l'activité médicale technique. Ce dont se<br />

plaignait <strong>l'empereur</strong> existait bi<strong>en</strong> pour son <strong>en</strong>tourage, mais n'a plus<br />

aucun s<strong>en</strong>s pour nous, comme déjà pour <strong>Dethève</strong>. Fût-elle lettrée, la<br />

plainte du maître du plus grand des empires ne domine pas la rationalité<br />

médicale <strong>en</strong> vigueur pour son médecin. Quelques-uns, comme Vissière,<br />

<strong>par</strong>tageai<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t cette optique, mais pour les plus nombreux<br />

et pour longtemps <strong>en</strong>core, il fallait imputer l'inanité de l'affaire à<br />

quelqu'un, qui ne pouvait être que le médecin.<br />

La diète exclusivem<strong>en</strong>t lactée proposée comme remède <strong>par</strong> <strong>Dethève</strong><br />

avait alors <strong>en</strong>core de nombreuses indications, dont une des plus<br />

largem<strong>en</strong>t admises était précisém<strong>en</strong>t les hydropisies. Sans grand péril<br />

vu d'aujourd'hui, ce type de diète a connu un <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t démesuré<br />

119


Serge Franzini<br />

dont témoigne l'ouvrage intitulé <strong>Le</strong>s victimes du lait et du régime lacté .<br />

Mais même pour son auteur, les hydropisies restai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> une des<br />

quelques indications à maint<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> usage 35 . On peut <strong>en</strong>core considérer<br />

que <strong>Dethève</strong> l'aurait proposée sans assurance d'efficacité mais dans<br />

une saine prud<strong>en</strong>ce.<br />

Du côté des médecins chinois, on ne reti<strong>en</strong>t pas de grand nom <strong>par</strong>mi<br />

les médecins du palais de cette fin du xix e siècle. On a <strong>par</strong> contre gardé<br />

l'image, le lieu commun, d'une position risquée pour le médecin<br />

défaillant ou malchanceux, d'autant que les préoccupations de santé de<br />

<strong>l'empereur</strong> étai<strong>en</strong>t notoires. La procédure de décret d'appel à des<br />

médecins extérieurs au palais et à la capitale a été répétée durant le<br />

règne. On sait <strong>par</strong> exemple qu'<strong>en</strong> 1880, l'impératrice douairière étant<br />

souffrante, un de ces appels a fait recommander Ma W<strong>en</strong>zhi (zi Peizhi,<br />

1820-1903) <strong>par</strong> les autorités de la province du Jiangsu 36 . Sa <strong>consultation</strong><br />

eut lieu vingt jours après la recommandation officielle.<br />

<strong>Le</strong> décret d'appel reproduit dans la Gazette de Pékin qui nous intéresse<br />

ici date du 25 septembre 1898, la proposition du médecin français<br />

du 26, la première réponse, formelle et négative, du Zongli Yam<strong>en</strong> du<br />

29. Vissière nous précise que la réponse écrite favorable est du 17<br />

octobre, fixant la <strong>consultation</strong> de <strong>Dethève</strong> pour le l<strong>en</strong>demain. D'après<br />

les Annales véridiques, deux médecins avai<strong>en</strong>t été recommandés depuis<br />

leur province du Jiangsu <strong>par</strong> des télégrammes datés du 28 et du 29<br />

septembre 37 . <strong>Le</strong> premier, Zhu Kun, nous est à peine connu, ce qui peut<br />

laisser perplexe quant au critère de notoriété pour une telle recommandation<br />

officielle. L'autre, Ch<strong>en</strong> Bingjun (zi Lianfang, 1840-1914), a<br />

acquis ou vu grandir sa réputation <strong>en</strong> cette occasion. <strong>Le</strong> Times du 31<br />

mars 1899 nous précise que sa <strong>consultation</strong> serait interv<strong>en</strong>ue après celle<br />

34 Dr Georges-H<strong>en</strong>ri Meunier, <strong>Le</strong>s victimes du lait et du régime lacté, Paris,<br />

Société d'éditions sci<strong>en</strong>tifiques, 1898.<br />

35 Ibid., p. 307.<br />

36 Cf. Li Yun (éd.), Zhongyi r<strong>en</strong>ming cidian (Dictionnaire biographique de la<br />

médecine <strong>en</strong> Chine), Pékin, Guoji w<strong>en</strong>hua chuban gongsi, 1988, p. 15.<br />

37 Dezong shilu,juan 426, p. 605.<br />

120


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

de <strong>Dethève</strong> et avant la mi-novembre . Par la suite, jusqu'à la fin du<br />

règne <strong>en</strong> 1908, Ch<strong>en</strong> Bingjun a été r<strong>appelé</strong> quatre fois au palais, toujours<br />

avec succès, <strong>par</strong>fois accompagné d'un de ses collègues ou élèves. Il<br />

s'est retiré <strong>en</strong>suite à Shanghai, avec les honneurs d'un « médecin<br />

impérial » 39 . Ch<strong>en</strong> Bingjun avait été initialem<strong>en</strong>t recommandé <strong>par</strong> les<br />

gouverneurs Liu Kunyi et Zhang Zhidong, tous deux grands rivaux<br />

politiques de Li Hongzhang.<br />

<strong>Le</strong> texte de la <strong>consultation</strong> des médecins chinois datant de la veille<br />

et remis à Vissière lors de l'<strong>en</strong>trevue semble perdu. Il n'y a pas de relation<br />

directe à établir <strong>en</strong>tre cet épisode <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t maladif de la<br />

biographie de <strong>l'empereur</strong> et sa fin, dix années plus tard. Une insuffisance<br />

rénale fonctionnelle réelle, au s<strong>en</strong>s d'aujourd'hui, sans traitem<strong>en</strong>t<br />

actif à l'époque, aurait rapidem<strong>en</strong>t conduit à des manifestations graves<br />

et évid<strong>en</strong>tes. De tous ces élém<strong>en</strong>ts d'ordre médical, il devrait ap<strong>par</strong>aître<br />

que cette préoccupation concernant la santé de <strong>l'empereur</strong> était<br />

auth<strong>en</strong>tique, c'est-à-dire qu'elle pr<strong>en</strong>ait le pas sur les considérations<br />

diplomatiques, et qu'elle correspondait aussi bi<strong>en</strong> à son histoire personnelle<br />

qu'aux conceptions médicales <strong>en</strong> vigueur <strong>en</strong> Chine. De la même<br />

manière, l'interprétation qu'<strong>en</strong> a fait <strong>Dethève</strong> et sa proposition thérapeutique<br />

correspondai<strong>en</strong>t à sa propre formation médicale. Peut-être doiton<br />

<strong>en</strong>visager que les circonstances exceptionnelles l'ont fait opter pour<br />

le diagnostic le plus sévère et le traitem<strong>en</strong>t le plus prud<strong>en</strong>t. Cela dit, le<br />

fait qu'au moins deux médecins chinois extérieurs au palais ont été conviés<br />

<strong>par</strong> la même procédure et que l'un d'eux (Ch<strong>en</strong> Bingjun) a construit<br />

sa notoriété <strong>en</strong> cette occasion ne peut aller que dans le s<strong>en</strong>s de<br />

l'auth<strong>en</strong>ticité de l'événem<strong>en</strong>t et des préoccupations de santé qui y ont<br />

présidé. Ce qui n'exclut <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> une appréciation politique de tout ce<br />

38 The Times, 31 mars 1899, p. 6 : « APhysician in Ordinary at the Court of<br />

Kwang-hsii. » Repris <strong>en</strong> français <strong>par</strong> Auguste Moireau : « La maladie de<br />

<strong>l'empereur</strong> de Chine <strong>en</strong> 1898 » (La Revue bleue, 29 juillet 1899, p. 112-<br />

113), puis dans La Chronique médicale, 1 er août 1900, p. 524-525. L'article<br />

est <strong>en</strong>core largem<strong>en</strong>t cité <strong>par</strong> J.O.P. Bland et E. Backhouse, China Under<br />

the Empress Dowager, Londres, Heinemann, 1910, p. 216-219.<br />

39 Cf. Zhongyi r<strong>en</strong>ming cidian, p. 519.<br />

121


Serge Franzini<br />

qui affecte <strong>l'empereur</strong>, sur le mode de la continuité <strong>en</strong>tre sa personne et<br />

l'état de l'empire. <strong>Le</strong>s réformes qu'il a promulguées dans la faiblesse<br />

et la maladie sont sans fondem<strong>en</strong>t et, réciproquem<strong>en</strong>t, la confusion de<br />

la situation politique autour de <strong>l'empereur</strong> r<strong>en</strong>d vaine toute appréciation<br />

médicale de son état.<br />

Diffusion du détail de la <strong>consultation</strong><br />

Dans sa lettre au Ministère du 23 octobre, l'ambassadeur Stéph<strong>en</strong> Pichon<br />

précise qu'il a pu y avoir quelques indiscrétions, qu'il impute au Zongli<br />

Yam<strong>en</strong>. L'article du Times daté du 31 mars 1899 rappelle égalem<strong>en</strong>t<br />

que la plainte de <strong>l'empereur</strong> avait donné matière à plaisanteries dans<br />

les légations 40 .<br />

Si l'observation autographe directem<strong>en</strong>t remise à Vissière semble<br />

avoir dis<strong>par</strong>u des archives diplomatiques, on <strong>en</strong> connaît deux traductions,<br />

ou transpositions, publiées <strong>en</strong> français quelques années après <strong>par</strong><br />

des écrivains à succès : Jean Hess <strong>en</strong> 1901 et George Soulié de Morant<br />

<strong>en</strong> 1911. Certaines de leurs tournures techniques correspond<strong>en</strong>t à des<br />

formulations médicales typiquem<strong>en</strong>t chinoises, que l'on retrouve dans<br />

l'observation autographe de 1907 et très régulièrem<strong>en</strong>t dans la littérature<br />

spécialisée.<br />

Voici des larges extraits de la première de ces publications du cont<strong>en</strong>u<br />

de l'observation autographe, rapportée <strong>par</strong> Jean Hess 41 :<br />

40 « Dr. <strong>Dethève</strong>, of the Fr<strong>en</strong>ch Légation, had already paid his historical visit<br />

to the Emperor, and his remarkable diagnosis of the Son of Heav<strong>en</strong>'s<br />

symptoms was still affording amusem<strong>en</strong>t to the Légations » (The Times,<br />

31 mars 1899). L'allusion a dis<strong>par</strong>u dans la traduction française de Moireau<br />

(cf. n. 38).<br />

41 Jean Hess, « Chez l'Empereur de Chine », <strong>Le</strong> Journal, 9 février 1900, p. 1-<br />

2. Article reproduit dans La Chronique médicale, 15 juillet 1900, p. 441-<br />

442. On doit <strong>en</strong>core à cet auteur diverses publications de reportage sur les<br />

colonies (Cay<strong>en</strong>ne, la Martinique, le « magasin colonial », le Maroc et<br />

l'Algérie). C'est probablem<strong>en</strong>t à cet article que fit allusion Jean Rodes<br />

122


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Chez l'Empereur de Chine.<br />

M. Jean Hess, l'explorateur dont l'Académie française a couronné le<br />

mois dernier un beau livre, Y Âme nègre, vi<strong>en</strong>t d'accomplir un long<br />

voyage <strong>en</strong> Extrême-Ori<strong>en</strong>t [...].<br />

Dans le palais dont les murs sont couverts de pourpre et d'or, sous<br />

le plus élevé de ces toits à la masse énorme, dessinée légère comme une<br />

t<strong>en</strong>te du désert, dans ce palais qui est un sanctuaire, vit l'homme que<br />

cinq c<strong>en</strong>ts millions de sujets dis<strong>en</strong>t le Fils du Ciel et le maître de toutes<br />

les exist<strong>en</strong>ces... Dans cette <strong>en</strong>ceinte de forteresse, à l'heure où l'on doit<br />

dormir, quand les officiers, les scribes, les courtisans, les ministres et<br />

les soldats se sont éloignés, c'est là que, pour les nuits au milieu de<br />

c<strong>en</strong>taines de femmes et de milliers d'eunuques, un seul homme reste...<br />

chétif et pitoyable souverain, écrasé de son empire, de son <strong>en</strong>nui et de<br />

son mal.<br />

Ah ! si les dépêches dis<strong>en</strong>t vrai, s'il est mort, « monté sur le dragon<br />

pour dev<strong>en</strong>ir un hôte d'<strong>en</strong> haut », je crois qu'on aurait tort de chercher<br />

à sa fin une cause criminelle. Depuis longtemps il n'était <strong>en</strong> effet qu'un<br />

incurable malade. C'est miracle même qu'il ait pu vivre tant d'années<br />

dans la torture des rites, les inflexibles rites qui font là-bas d'un empereur,<br />

lorsqu'il souffre dans sa chair ou dans son âme, un malheureux<br />

plus à plaindre que le plus misérable de ses sujets. En 1898, lorsque<br />

l'impératrice douairière eut le courage et la force de réprimer le « coup<br />

d'État anglais » du faux réformateur Kang Youwei, on l'accusa d'avoir<br />

assassiné <strong>l'empereur</strong>. Pour se justifier devant l'opinion europé<strong>en</strong>ne,<br />

l'impératrice Tsi-An [Cian, 1837-1881, <strong>par</strong> confusion avec Cixi], sur<br />

les conseils de son vieil ami Li Hongzhang, pria le ministre de France<br />

d'<strong>en</strong>voyer son médecin au palais. Il s'agissait moins de soigner <strong>l'empereur</strong><br />

que de constater officiellem<strong>en</strong>t son exist<strong>en</strong>ce. La constatation fut<br />

faite <strong>par</strong> le <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>, qu'accompagnait M. Vissière, interprète<br />

de la légation. Li Hongzhang m'a dit qu'il supposait, <strong>en</strong> la lui faisant<br />

demander, que M. Pichon confierait cette mission au <strong>docteur</strong> Dépasse 42<br />

lors de la dis<strong>par</strong>ition de <strong>l'empereur</strong> <strong>en</strong> 1908, <strong>en</strong> rappelant que « d'après un<br />

rapport du <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>, dont la publication fit scandale, [<strong>l'empereur</strong>]<br />

était un type <strong>par</strong>fait de névrosé » (« Autour du Trône Céleste »,<br />

L'Illustration, 21 novembre 1908. Repris dans <strong>Le</strong>s grands dossiers de<br />

L'Illustration — La Chine, Paris, Sefag/L'Illustration, 1987, p. 88).<br />

42 <strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> Dépasse est décédé à Tianjin le mois précéd<strong>en</strong>t (janvier 1901).<br />

Cf. T'oung Pao, 2 e série, 2, 1901, p. 96.<br />

123


Franzini<br />

qui, <strong>en</strong> sa qualité de directeur de l'École impériale de médecine de<br />

Tianjin, aurait eu plus de chance de conserver son impérial cli<strong>en</strong>t d'un<br />

jour.<br />

On constata que <strong>l'empereur</strong> Guangxu était vivant, et très malade.<br />

Suivant la coutume chinoise, il avait rédigé lui-même l'observation de<br />

sa maladie.<br />

Ce docum<strong>en</strong>t est curieux, je le transcris. On me permettra seulem<strong>en</strong>t<br />

d'<strong>en</strong> atténuer quelques termes.<br />

Ma maladie, écrit <strong>l'empereur</strong>, est l'insuffisance des organes nobles...<br />

Il arrive que j'ai des pertes successives p<strong>en</strong>dant deux ou trois fois. Cela<br />

lorsque j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds <strong>en</strong> rêve le bruit du gong 43 . J'éprouve alors des désirs<br />

et des pertes. Plus récemm<strong>en</strong>t, j'<strong>en</strong> eus sans rêve. J'<strong>en</strong> eus égalem<strong>en</strong>t la<br />

s<strong>en</strong>sation sans la réalité... Ces pertes <strong>en</strong> écoutant le son du gong provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

de ce que, lorsque j'avais seize ans, p<strong>en</strong>dant l'automne, assistant à<br />

des représ<strong>en</strong>tations théâtrales, chaque fois que l'on battait le gong, <strong>en</strong><br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant ce bruit, j'éprouvais au cœur de la satisfaction, si bi<strong>en</strong> que<br />

des désirs s<strong>en</strong>suels se produisir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moi. J'avais alors à volonté des<br />

preuves de ma virilité. Il me semblait que quelqu'un me commandait.<br />

C'est de ce temps que date mon initiation aux s<strong>en</strong>sations charnelles.<br />

P<strong>en</strong>dant l'année dernière et l'avant-dernière, ce n'est que p<strong>en</strong>dant<br />

la nuit, lorsque j'ai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du du bruit <strong>en</strong> rêve, que j'ai eu des pertes.<br />

Ce n'est pas guérison, mais faiblesse plus grande... je ne puis être<br />

homme à ma volonté.<br />

Après avoir décrit certaines douleurs trop spéciales, il ajoute :<br />

... Je ne puis supporter ni le froid, ni la chaleur, ni la fatigue. Si je<br />

reste longtemps debout, mes reins et mes jambes sont <strong>en</strong>core plus<br />

douloureux. Ma poitrine est pleine. Mon souffle est précipité, et je ne<br />

s<strong>en</strong>s pas de base sous mes pieds. Si je reste assis longtemps, mes yeux<br />

éprouv<strong>en</strong>t un gonflem<strong>en</strong>t et mes quatre membres sont douloureusem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>gourdis ; ma poitrine est obstruée et mon souffle pressé. P<strong>en</strong>dant que<br />

je dors, la nuit, mes jambes et mes g<strong>en</strong>oux devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t froids. Après le<br />

réveil, tout mon corps est inerte, et il m'est difficile de bouger ou de me<br />

retourner ; à l'ordinaire, j'ai un bourdonnem<strong>en</strong>t constant d'oreilles, et<br />

une légère surdité. Mes mains ont une s<strong>en</strong>sation perman<strong>en</strong>te de froid.<br />

C'est <strong>en</strong>core des symptômes difficiles à publier. Puis il termine ainsi :<br />

<strong>Le</strong> rôle décl<strong>en</strong>chant d'un bruit de gong ap<strong>par</strong>aît égalem<strong>en</strong>t dans l'observation<br />

autographe de 1907 sous la forme yi w<strong>en</strong> luosh<strong>en</strong>g (« dès que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds<br />

le son du gong ») et ne correspond ni à une formulation médicale ni<br />

à une allusion littéraire répertoriée.<br />

124


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

... J'ai, p<strong>en</strong>dant le jour, de la <strong>par</strong>esse à me remuer ou à faire quelque<br />

chose, et le plus grand désir de me coucher. Cep<strong>en</strong>dant, lorsque je reste<br />

longtemps couché, j'ai à la poitrine un malaise difficile à supporter. Je<br />

crains aussi au plus haut point le v<strong>en</strong>t. Si le v<strong>en</strong>t frais m'a quelque peu<br />

atteint, j'éprouve une douleur au-dessus de la tempe droite, et je ne me<br />

s<strong>en</strong>s soulagé que lorsque j'ai vomi... Il est, <strong>en</strong> vérité, difficile de soigner<br />

ce mal et de maint<strong>en</strong>ir la santé [...].<br />

Dix années plus tard, dans un recueil d'anecdotes volontiers piquantes,<br />

George Soulié de Morant a utilisé la même observation autographe,<br />

<strong>en</strong> des termes très com<strong>par</strong>ables, mais <strong>en</strong> semblant ignorer son prédécesseur<br />

Jean Hess 44 . On peut p<strong>en</strong>ser qu'ils ont tous deux utilisé une même<br />

traduction première, nécessairem<strong>en</strong>t livrée <strong>par</strong> Vissière <strong>en</strong> son temps.<br />

Après avoir t<strong>en</strong>u divers postes de représ<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> Chine à <strong>par</strong>tir de<br />

1901, lorsqu'il publie l'ouvrage <strong>en</strong> question <strong>en</strong> 1911, George Soulié de<br />

Morant (Georges Soulié pour l'état civil) est au quai d'Orsay, au poste<br />

<strong>par</strong>ticulier de secrétaire interprète auprès du ministre des Affaires étrangères,<br />

qui n'est autre que Stéph<strong>en</strong> Pichon, l'ambassadeur à Pékin <strong>en</strong><br />

1898. Cette position explique probablem<strong>en</strong>t le recours à un autre pseudonyme<br />

d'auteur (G. Lié Sou) et à une simple initiale pour désigner<br />

<strong>Dethève</strong> et Vissière dans son ouvrage, mais aussi elle laisse supposer<br />

que Soulié de Morant a eu accès à un docum<strong>en</strong>t qui selon ses propres<br />

termes « resta longtemps secret », et a dis<strong>par</strong>u depuis.<br />

Rejet de la <strong>consultation</strong>, déplacem<strong>en</strong>ts et réminisc<strong>en</strong>ces<br />

Dans leur interv<strong>en</strong>tion, <strong>Dethève</strong> et Vissière sont restés techniques et<br />

discrets, ap<strong>par</strong>emm<strong>en</strong>t sans souci des rumeurs qui prévalai<strong>en</strong>t à propos<br />

de la situation au palais. Si, sauf erreur, il faut constater qu'aucun auteur<br />

savant ou de premier plan n'a seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>registré l'événem<strong>en</strong>t, la<br />

presse d'actualité <strong>en</strong> a bi<strong>en</strong> r<strong>en</strong>du compte, <strong>par</strong>fois de manière peu<br />

flatteuse.<br />

44 G. Lié Sou [George Soulié de Morant], <strong>Le</strong>s femmes illustres : Tseu-hsi,<br />

impératrice des Boxers, Paris, 1911, p. 138-141.<br />

125


Serge Franzini<br />

<strong>Le</strong> Daily Mail du 20 octobre rapporte la <strong>consultation</strong> <strong>en</strong> titrant que<br />

« <strong>l'empereur</strong> a été touché <strong>par</strong> des mains profanes » 45 . <strong>Le</strong> 22 octobre, un<br />

chroniqueur du journal La Paix croit devoir faire <strong>par</strong>tager sa consternation<br />

: « Vit-on jamais scène plus mérovingi<strong>en</strong>ne que cette visite de<br />

médecin, au Fils du Ciel ! » 46 Car il lui <strong>par</strong>aît bi<strong>en</strong> évid<strong>en</strong>t que la Russie<br />

a été de conniv<strong>en</strong>ce avec l'impératrice douairière pour faire assassiner<br />

<strong>l'empereur</strong> et que l'Angleterre, inquiétée, a alors poussé le Zongli Yam<strong>en</strong><br />

à monter le stratagème de la <strong>consultation</strong>, dans laquelle <strong>Dethève</strong> est<br />

dev<strong>en</strong>u « l'huissier d'Albion ».<br />

Des écrivains ont <strong>par</strong> la suite <strong>par</strong>tagé ce rejet. Parmi eux, Jean-<br />

Jacques Matignon ti<strong>en</strong>t une place <strong>par</strong>ticulière <strong>en</strong> tant que médecin<br />

titulaire à la légation de France à Pékin, temporairem<strong>en</strong>t abs<strong>en</strong>t et<br />

remplacé <strong>par</strong> <strong>Dethève</strong> <strong>en</strong> septembre 1898. Matignon a beaucoup écrit,<br />

surtout sur des questions de mœurs, et ses ouvrages ont longtemps<br />

circulé. Il ne pouvait ignorer la <strong>consultation</strong> impériale de son<br />

remplaçant 47 , mais son insistance a été dans le s<strong>en</strong>s des idées mieux<br />

admises :<br />

45 « Son of Heav<strong>en</strong>'s health. Chinese majesty touched by profane médical<br />

hands. From our own correspond<strong>en</strong>t. Peking, Oct. 19 : A fortnight ago the<br />

Fr<strong>en</strong>ch Légation wrote to the Tsung-li-Yam<strong>en</strong> offering the services of its<br />

physicians. Strange to say, the offer was accepted, for it was thought impossible<br />

that the Dowager Empress would permit the visit, which, it may be<br />

remarked, was kept very secret. The doctor, who was accompanied by a<br />

foreign interpréter, saw the Emperor, in the prés<strong>en</strong>ce of the Dowager<br />

Empress. He says that his Celestial Majesty did not seem well, but that<br />

there is no danger of death. Dr. <strong>Dethève</strong> will not give any further détails<br />

respecting his Majesty. He will call again, taking with him instrum<strong>en</strong>ts in<br />

order to arrive at a thorough diagnosis of the state of the Emperor's health »<br />

(Daily Mail, 20 octobre 1898, p. 5).<br />

46 Edouard Waldteufel, « <strong>Le</strong> Fils du Ciel », La Paix, 22 octobre 1898, p. 1.<br />

47 Matignon a m<strong>en</strong>tionné la <strong>consultation</strong> de <strong>Dethève</strong> dans une communication<br />

au Congrès colonial d'avril 1903, à Paris. Cf. Archives générales de<br />

médecine, 1903, p. 2023.<br />

126


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

II n'est pas jusqu'à la façon de soigner le souverain qui n'ait été réglée<br />

<strong>par</strong> les rites inflexibles. L'empereur ne peut être vu <strong>par</strong> ses médecins.<br />

Couché sur son lit, il passe ses bras, à droite et à gauche, au travers<br />

d'épais rideaux. Sa figure reste invisible [...]. 48<br />

<strong>Le</strong> thème de l'inutilité technique d'une telle <strong>consultation</strong> a été <strong>en</strong>core<br />

repris <strong>par</strong> Isaac T. Headland, autre auteur connu au début du siècle :<br />

« <strong>Le</strong> médecin [<strong>Dethève</strong>] n'a ri<strong>en</strong> constaté qui ne se soigne <strong>par</strong> un peu<br />

d'air frais et d'exercice. » 49<br />

Mais le plus accompli des refus de cette <strong>consultation</strong> se r<strong>en</strong>contre<br />

sans doute sous la plume de Victor Segal<strong>en</strong>. Celui-ci <strong>en</strong> a probablem<strong>en</strong>t<br />

eu connaissance dès 1898, lors de son admission à l'Ecole du Service<br />

de santé de Bordeaux, d'où <strong>Dethève</strong> était sorti <strong>en</strong> 1894. Dans la dernière<br />

<strong>par</strong>tie de son roman <strong>Le</strong> Fils du Ciel, laissé inachevé à sa mort <strong>en</strong><br />

1919 et publié seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1975, la maladie de <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

s'aggravant, les diplomates étrangers insist<strong>en</strong>t pour <strong>en</strong>voyer leur médecin.<br />

On leurre ce dernier et lui fait examiner le « T<strong>en</strong>ant-Lieu », ou sosie<br />

de <strong>l'empereur</strong> : « Ne compr<strong>en</strong>dront-ils donc jamais, ces g<strong>en</strong>s, que le<br />

48 <strong>Le</strong> long article brièvem<strong>en</strong>t cité ici aura eu le succès de la répétition : initialem<strong>en</strong>t<br />

<strong>par</strong>u sous le nom de Jacques Du Taurat [J.-J. Matignon ?] dans La<br />

Revue hebdomadaire de mars 1902 (p. 408-426 : « S.M. Koûang-Sû, le<br />

Fils du Ciel »), il a été reproduit dans La Gazette hebdomadaire des sci<strong>en</strong>ces<br />

médicales de Bordeaux (n° 32, 10 août 1902, p. 393 : « L'Empereur de<br />

Chine au point de vue médical »), puis est dev<strong>en</strong>u un chapitre du recueil<br />

« Superstition, crime et misère <strong>en</strong> Chine » (Bibliothèque de criminologie,<br />

vol. 21, Lyon/Paris, Storck, 4 e éd., 1903) ; publié de nouveau dans L'Ori<strong>en</strong>t<br />

lointain, Chine, Corée, Mongolie, Japon (même éd., 1903), il fut <strong>en</strong>fin<br />

cond<strong>en</strong>sé dans « Souv<strong>en</strong>irs d'Extrême-Ori<strong>en</strong>t — Anecdotes sur les<br />

médecins chinois » (La Chronique médicale, 1907, p. 484).<br />

49 Isaac T. Headland, Court Life in China — The Capital, its Officiais and<br />

People, New York, [1909], p. 153-154. De Headland on a pu avancer qu'il<br />

« avait de bonnes sources d'information : sa femme a été plus de vingt ans<br />

médecin des dames de la Cour impériale » (Hugh Trevor-Roper, Hermit of<br />

Peking — The Hidd<strong>en</strong> Life ofSir Edmond Backhouse, Londres, Macmillan,<br />

1986, note p. 308).<br />

127


Serge Franzini ——<br />

Fils du Ciel ne relève pas des mesures des hommes ? » 50 S'il n'était pas<br />

clair qu'il s'agit là d'un avatar romanesque de notre anecdote, sur le<br />

second manuscrit, utilisé pour l'édition première de 1975, le passage<br />

<strong>en</strong> question est précédé, <strong>en</strong> marge, de ces mots : « La ridicule<br />

<strong>consultation</strong> <strong>Dethève</strong>. » 51<br />

Enfin, détachés de leur contexte, certains élém<strong>en</strong>ts de l'anecdote<br />

réap<strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t, déplacés ou à peine transformés, chez des auteurs de<br />

second plan. Dès 1901, un chroniqueur de la presse quotidi<strong>en</strong>ne peut<br />

amalgamer le personnage de Li Hongzhang à la prescription de diète<br />

lactée <strong>par</strong> des médecins europé<strong>en</strong>s, sans abandonner le registre<br />

moqueur :<br />

<strong>Le</strong>s nounous du vieux Li Hongzhang.<br />

[...] Li Hongzhang avait des nourrices. Non pour ses petits-<strong>en</strong>fants<br />

ou ses arrière-petits-<strong>en</strong>fants, mais pour lui-même. Il souffrait, depuis<br />

quelques années, de l'ulcère de l'estomac qui l'a emporté [le 7 novembre<br />

1901]. Et ses médecins — europé<strong>en</strong>s ou chinois ? — l'avai<strong>en</strong>t mis<br />

au régime... du lait de femme !<br />

Li avait de la sorte chez lui, <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce, quatre ou cinq nourrices<br />

qui se relayai<strong>en</strong>t. Et s'il ne payait pas les soldats qui <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

ses rizières, il appointait fort conv<strong>en</strong>ablem<strong>en</strong>t ses nourrices.<br />

Buvait-il à la mamelle ? Se cont<strong>en</strong>tait-il d'absorber un lait préalablem<strong>en</strong>t<br />

et soigneusem<strong>en</strong>t recueilli ? Ce point demeure obscur. Espérons<br />

qu'un jour ce m<strong>en</strong>u, mais intéressant, petit problème de l'histoire<br />

sera éclairci. 52<br />

Plus tard, <strong>en</strong> 1941, et toujours incidemm<strong>en</strong>t dans un contexte littéraire<br />

d'anecdotes de mœurs, c'est l'impératrice Cixi qui est atteinte de<br />

« néphrite chronique » (Bright's disease dans le texte anglais). <strong>Le</strong> mot<br />

« néphrite » s'appliquant <strong>en</strong> français soit à une maladie rénale, soit à<br />

50 Victor Segal<strong>en</strong>, <strong>Le</strong> Fils du Ciel, Paris, Flammarion, 1975, p. 160-161.<br />

51 Second manuscrit, troisième <strong>par</strong>tie, f. 72 (Fonds Segal<strong>en</strong>, Dé<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>t<br />

des manuscrits, Bibliothèque nationale de France).<br />

52 Ernest Beauguitte, « Machiavel chinois », La Lanterne, 12novembre 1901,<br />

p. 1.<br />

128


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

un type de jade, c<strong>en</strong>sé guérir les affections du rein, on conçoit que les<br />

sources, allusions et traductions sont déjà intriquées à souhait, sans qu'il<br />

soit <strong>en</strong>visagé d'exhumer notre anecdote, désormais reléguée à<br />

l'obscurité :<br />

J'ai un collier [de jade], dont l'histoire est unique. Il a ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>u à la<br />

dernière impératrice douairière. Celle qui souffrait de néphrite<br />

chronique. 53<br />

53 Harold Acton, Peonies and Ponies, Londres, Chatto-Windus, 1941, réimp.<br />

Oxford University Press, 1983, p. 53, chap. « Jade » : « I hâve a necklace.<br />

And its history is unique. It belonged to the last Empress Dowager, the<br />

one who suffered from Bright's disease » ; traduction française de Christian<br />

Thimonier : Pivoines et poneys, Paris, Rivages, 1990, p. 71.<br />

129


Claude <strong>Dethève</strong><br />

et la promotion février 1894 de l'École de Médecine navale<br />

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130


<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

Annexe<br />

Élém<strong>en</strong>ts biographiques du <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong>,<br />

d'après les dossiers « Personnels » des Archives diplomatiques<br />

et du Service historique de l'armée de terre<br />

<strong>Dethève</strong> Claude (1867-1936), né et décédé à Roanne (Loire).<br />

1889 : <strong>en</strong>trée à l'École de médecine navale de Toulon ; élève du Service<br />

de santé de la Marine ; 1894 (5 janvier) : thèse sout<strong>en</strong>ue à Bordeaux.<br />

1894-1898 : campagnes : Obock (territoire de Djibouti), Madagascar,<br />

Tonkin.<br />

1898 à 1906: <strong>en</strong> Chine<br />

— médecin de la légation à Pékin à <strong>par</strong>tir du 2 septembre 1898, <strong>en</strong><br />

remplacem<strong>en</strong>t du Dr Jean-Jacques Matignon ;<br />

— de novembre 1899 jusqu'à février 1906, détaché au chantier de<br />

construction de la ligne de chemin de fer Pékin-Hankou (<strong>en</strong>treprise<br />

franco-belge, avec résid<strong>en</strong>ce à Changxindian, près de Pékin).<br />

1907-1912 : hôpitaux de Dakar (juin 1907) et Hanoï (juillet 1911).<br />

1912 : retour <strong>en</strong> métropole<br />

— front de l'Est <strong>en</strong> août 1914, retraité <strong>en</strong> 1917.<br />

— retiré à Roanne <strong>en</strong> 1921 ; rayé des cadres <strong>en</strong> 1928.<br />

Domicilié à Roanne au 12 rue Beaulieu (aujourd'hui siège de la Croix-<br />

Rouge), puis dans la commune voisine de Riorges, où une voie secondaire<br />

porte son nom (« montée Claude <strong>Dethève</strong> »), Claude <strong>Dethève</strong> ne<br />

semble pas avoir laissé d'autre écrit que sa thèse de médecine. Toutefois,<br />

la Bibliothèque municipale de Roanne possède un « fonds<br />

<strong>Dethève</strong> » constitué d'albums de cartes postales et de photographies<br />

personnelles, dont un bon nombre prises durant son séjour <strong>en</strong> Chine.<br />

131


Serge Franzini<br />

Aixue Sif?<br />

Beizhili jbJûi<br />

Bi[sh<strong>en</strong>g]-Qinchai flïâSi^lt<br />

Changxindian j|3^J3î<br />

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Zhongguo gudai yishi tulu<br />

Zhonghai fpM<br />

Zhongnanhai tf'^ïî'S<br />

<strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> et <strong>l'empereur</strong> Guangxu<br />

133<br />

Zhongyi r<strong>en</strong>ming cidian<br />

Zhou W<strong>en</strong>quan JH^^<br />

Zhu Kun %M<br />

Zongli Yam<strong>en</strong>


Serge Franzini<br />

Résumé<br />

Serge FRANZINI : <strong>Le</strong> <strong>docteur</strong> <strong>Dethève</strong> <strong>appelé</strong> <strong>en</strong> <strong>consultation</strong> <strong>par</strong> <strong>l'empereur</strong><br />

Guangxu<br />

Peu de temps après la fin de la « Réforme des c<strong>en</strong>t jours », la <strong>consultation</strong><br />

médicale de <strong>l'empereur</strong> Guangxu <strong>par</strong> le Dr <strong>Dethève</strong> le 18 octobre 1898 a été<br />

immédiatem<strong>en</strong>t rapportée et comm<strong>en</strong>tée dans la presse d'actualité. Curieusem<strong>en</strong>t,<br />

les ouvrages de référ<strong>en</strong>ce ignor<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core cet événem<strong>en</strong>t, pourtant sans<br />

précéd<strong>en</strong>t dans l'histoire. Cet article rassemble les quelques m<strong>en</strong>tions de la<br />

<strong>consultation</strong> dans les publications chinoises réc<strong>en</strong>tes et, plus longuem<strong>en</strong>t, les<br />

archives diplomatiques françaises qui permett<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong> reconstituer le déroulem<strong>en</strong>t.<br />

L'auteur expose certains élém<strong>en</strong>ts médicaux, tant à propos de la plainte<br />

de <strong>l'empereur</strong> que de l'interprétation du médecin français. Il se dégage clairem<strong>en</strong>t<br />

que le caractère historique d'abord reconnu à cette <strong>consultation</strong> a rapidem<strong>en</strong>t<br />

fait place à la conviction de son inanité.<br />

Abstract<br />

Serge FRANZINI: Dr. <strong>Dethève</strong> Requested to Give a Médical Advice About Emperor<br />

Guangxu<br />

Occuring shortly after the "Hundred Days of Reform," the médical <strong>consultation</strong><br />

giv<strong>en</strong> by the Fr<strong>en</strong>ch physician to the Emperor on 18th October 1898 was<br />

immediatly reported and comm<strong>en</strong>ted in various newspapers as an historical<br />

ev<strong>en</strong>t. But till now it remains almost unknown through académie works. This<br />

article collects the few m<strong>en</strong>tions in Chinese réc<strong>en</strong>t publications and, more<br />

widely, the Fr<strong>en</strong>ch diplomatie docum<strong>en</strong>ts about the ev<strong>en</strong>t. Médical appréciations<br />

of the Emperor complaint, his personal history, and about the physician diagnosis<br />

are giv<strong>en</strong>, either according to Chinese anci<strong>en</strong>t medicine as well as in Western<br />

médical conceptions at the time. The conclusion shows that the att<strong>en</strong>tion first<br />

paid to the ev<strong>en</strong>t, and only from authors of minor importance, became soon<br />

rejection of its relevance.<br />

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