Version en couleurs - Bibliothèque numérique de l'école nationale ...
Version en couleurs - Bibliothèque numérique de l'école nationale ...
Version en couleurs - Bibliothèque numérique de l'école nationale ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
I<br />
PRÉFACE.<br />
IL y a un an <strong>en</strong>viron que, par un beau jour d'été,<br />
je fis un pèlerinage à la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc.<br />
Jamais je n'éprouvai une émotion aussi vive que<br />
celle que je ress<strong>en</strong>tis <strong>en</strong> face <strong>de</strong> cette pau ie <strong>de</strong>meure.<br />
Ce fut par une nuit inagnilique que je quittai<br />
Domrc,nv. Mes <strong>de</strong>ux compagnons <strong>de</strong> voyage gar -<br />
dai<strong>en</strong>t le sil<strong>en</strong>ce: le souv<strong>en</strong>ir (les lieux que nous<br />
v<strong>en</strong>ions (le visiter était bi<strong>en</strong> fait pour r<strong>en</strong>dre l&<br />
rêverie longue et attachante. Pour moi, je frissonnai:-<br />
<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant que Jeanne avait u ces côtes que je<br />
voyais. Je me la représ<strong>en</strong>tais suivant ce chemin sur<br />
lequel nous avancions rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t je nie <strong>de</strong>mandais<br />
quels avai<strong>en</strong>t dù être ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> approchant<br />
<strong>de</strong> Vau<strong>couleurs</strong> puis la vie <strong>en</strong>tière tic la Pucelle<br />
Documefl<br />
Il II il I il Il 1111 IlI<br />
0000005578788<br />
t
I PItEF.U.E.<br />
se déroulait <strong>de</strong>vant moi, pr<strong>en</strong>ant toutes les tonnes<br />
d'une tragédie , et cette tragédie, il me semblait que<br />
je pourrais la révéler telle qu'elle se passait dans<br />
ITOJI esprit.<br />
Je m'aperçus douloureusem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mon erreur,<br />
lorsqu'à mon retour tic Doniremy, je travaillai au<br />
drame que je publie. mon <strong>en</strong>thousiasme, <strong>en</strong> voulant<br />
se matérialiser, <strong>de</strong>vint l'essai que l'on va lire, cx-<br />
presion inexacte , bi<strong>en</strong> faible bi<strong>en</strong> pâle réverbéra-<br />
tion (le l'extase, -je, ne trouve pas (laure mot, -<br />
qui m'avait un instant ravi.<br />
Après avoir (lit comm<strong>en</strong>t je nie trouvai <strong>en</strong>trajné<br />
A composer cette oeuvre, je dois exposer quel fut<br />
mon <strong>de</strong>ssein. Je voulus essayer <strong>de</strong> transporter Jeanne<br />
d'Are dans une composition dramatique (lotit le récit<br />
<strong>de</strong>s chroniqueurs fournirait A peu près tous les élé-<br />
m<strong>en</strong>ts. Si j'avais eu l'ambition <strong>de</strong> risquer ma tra-<br />
gédie sur la scène, cette loi que je m'étais imposée<br />
<strong>de</strong> nie conformer autant que possible A la vérité,<br />
m'eût peut-être, je l'avoue, été fatale. Toutefois,<br />
la vie <strong>de</strong> Jeanne d'Are est si gran<strong>de</strong>, si sainte, si<br />
patriotique, qu'u ifl homme <strong>de</strong> tal<strong>en</strong>t aurait pu je le<br />
crois, compter sur les applaudissem<strong>en</strong>ts sans beaucoup<br />
s'écarter du plaui que jai suivi. Il est tics faits tel-<br />
lem<strong>en</strong>t connus qu'il rue doit, pas être permis <strong>de</strong> les<br />
J altérer, tellem<strong>en</strong>t beaux que l'on doit craindre d'y<br />
ajouter tics péripéties imaginaires.<br />
N'ayant pas la hardiesse <strong>de</strong> désirer la publicité<br />
tliéAIrale pour ma tragédie , j'ai pu lui donner <strong>de</strong>s
PREIACL. VII<br />
développem<strong>en</strong>ts que probablem<strong>en</strong>t la scène m'eût<br />
interdits. Ainsi j'ai fréqu<strong>en</strong>iinciit employé la poésie<br />
lyrique. Cet emploi n'est, du reste. pas uiie inno-<br />
vation: Corneille, dans le Cid et dans Poimjeucte;<br />
Racine, dans Athalie (je mie parle point d'Estime,',<br />
parce que la poésie lyrique y apparaît seulem<strong>en</strong>t<br />
dans les choeurs), ont montré lexemple d'un s<strong>en</strong>i-<br />
blable mélange. En Allemagne, . Sehiller, dans sa Pucelle<br />
d'Oriéwms, s'est <strong>de</strong> même servi du rlivthme <strong>de</strong><br />
l'o<strong>de</strong> pour exprimer les élans inspirés <strong>de</strong> son héroïne.<br />
Indigne interprète (l'un grand poète, plusieurs fois<br />
j'ai osé imiter ce célèbre tragique. Le prologue., le<br />
premier acte et plusieurs scènes <strong>de</strong> nia pièce sont<br />
<strong>de</strong>s réminisc<strong>en</strong>ces (le SOil inagnilique drame.<br />
Vauv<strong>en</strong>argues a dit : Ce qui fait le mécompte<br />
» d'un écrivain, c'est qu'il croit r<strong>en</strong>dre les choses<br />
» telles qu'il les aperçoit ou les s<strong>en</strong>t. » Peut-ètrc<br />
éprouverai-je. CC mécompte; peut-ètl'e n'ai-je pas<br />
réussi à peindre Jeanne d'Are comme je l'ai coin-<br />
prise. Tout <strong>en</strong> poétisant la Pucelle , tout <strong>en</strong> m 'efforçant<br />
<strong>de</strong> revêtir ses discours dune spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur que<br />
l'état d'inspiré peut r<strong>en</strong>dre vraisemblable, j'ai t<strong>en</strong>té<br />
<strong>de</strong> représ<strong>en</strong>ter Jeanne telle que les chroniques nous<br />
la montr<strong>en</strong>t. Héroïne tant que Dieu est avec elle,<br />
à la fin du (]rame, elle re<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte<br />
jeune fille; elle retrouve par mom<strong>en</strong>ts son énergie<br />
Première , et pourtant elle s'effraie dc la mort qui<br />
l'att<strong>en</strong>d. Déterminée à ne pas prononcer une parole<br />
qui soit contraire à l'honneur <strong>de</strong> la France , à ne
VIII PKEF/CE.<br />
pas nier la divinité <strong>de</strong> sa mission, elle pleure ce-<br />
p<strong>en</strong>dant sa jeunesse si vite passée. Faible <strong>en</strong> face<br />
<strong>de</strong> ses souv<strong>en</strong>irs, elle est forte <strong>en</strong> face <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>ne-<br />
mis. Son courage alors est un courage humain,<br />
qu'agrandiss<strong>en</strong>t quelquefois la mémoire <strong>de</strong> ses exploits<br />
et le retour fugitif <strong>de</strong> l'inspiration céleste.<br />
Je n'ai pas à m'excuser. - puisque ma Jeanne<br />
d'Are n'est <strong>de</strong>stinée qu'à être lue, - d'avoir mis <strong>en</strong><br />
scène le cortège du sacre, l'archevêque <strong>de</strong> Rheims<br />
et d'autres membres du clergé. Quant à Pierre Cau-<br />
chon qui semblera bi<strong>en</strong> odieux, il est tel que l'his-<br />
toire le dépeint, et souv<strong>en</strong>t je n'ai fait que traduire<br />
<strong>en</strong> vers ses propres paroles. Loyseleur n'est pas non<br />
plus <strong>de</strong> mon inv<strong>en</strong>tion. Polir Ladv<strong>en</strong>u, il assista réel-<br />
lem<strong>en</strong>t Jeanne à sa mort; mais il n'eut pas toute la<br />
fermeté que je lui ai attribuée.<br />
J'ai fait précé<strong>de</strong>r mon po3me, mon drame, ma<br />
lég<strong>en</strong><strong>de</strong>, - n'importe le nom que l'on donne à cet<br />
essai, - d'une revue <strong>de</strong>s potes <strong>de</strong> Jeanne d'Arc.<br />
Le lecteur sourira sans doute <strong>en</strong> me voyant hardi<br />
au point <strong>de</strong> juger <strong>de</strong>s écrivains émin<strong>en</strong>ts; il se<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra comm<strong>en</strong>t j'ai osé signaler <strong>en</strong> eux <strong>de</strong>s<br />
défauts qui peut-être n'exist<strong>en</strong>t pas, tandis que, dans<br />
mon oeuvre, j'<strong>en</strong> ai tant laissé subsister qui sont<br />
saillants. Je ne puis que répéter ce que je dis plus<br />
loin à propos <strong>de</strong> la Pucelle <strong>de</strong> Schiller, que me<br />
comparer à ces coniadini qui, s'arrêtant <strong>de</strong>vant les<br />
statues dont Flor<strong>en</strong>ce est peuplée, admir<strong>en</strong>t ou<br />
critiqu<strong>en</strong>t Miehel-Ange et Baccio Bandinelli.
PRÉFACE.<br />
Parmi les nombreux défauts que l'on remarquera<br />
dans ce volume, il <strong>en</strong> est que probablem<strong>en</strong>t je<br />
n'aperçois pas, et il <strong>en</strong> est d'autres que mon impuissance<br />
m'empêche <strong>de</strong> faire disparaître. On me<br />
reprochera sans doute <strong>de</strong> ne pas avoir toujours<br />
repoussé l'<strong>en</strong>jambem<strong>en</strong>t, d'avoir quelquefois violé la<br />
césure. J'ai cru <strong>de</strong>voir me permettre ces lic<strong>en</strong>ces,<br />
parce que j'ai voulu donner du naturel à mon style.<br />
Employant avec modération les épithètes, bannissant<br />
la périphrase , figure <strong>de</strong>structive <strong>de</strong> toute vérité<br />
dans le dialogue, je me suis privé <strong>de</strong> ces termes<br />
explétifs qui, s'ils r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t le vers plus régulier,<br />
qui, s'ils lui donn<strong>en</strong>t plus d'harnionie , nuis<strong>en</strong>t à<br />
la p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong> lui <strong>en</strong>levant <strong>de</strong> la simplicité dans l'ex-<br />
pression .<br />
La connaissance que j'ai <strong>de</strong> ma faiblesse ne m'a<br />
pas détourné <strong>de</strong> publier cette nouvelle Jeanne dtrr,<br />
Jeune, j'ai besoin <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> la crilique pour<br />
faire mieux à l'av<strong>en</strong>ir.<br />
inglange, 15 Août 4842.<br />
Ix
^bivàz 13<br />
Lms
LES POÈTES<br />
DE JEI%LNNE D'ARC.<br />
I.<br />
Clijislirie <strong>de</strong> Pisan. - martial <strong>de</strong> Paris. - Martin Franc. —Astezan,<br />
- Sliakspeare - Sotitiwy.<br />
li y aunhorniiie,—et il n été salué du nom d'Ai'istarque,<br />
et il a écrit seize volumes sur la littérature, et toute une<br />
génération n'a ri<strong>en</strong> admiré qu'h travers ses criliques , -<br />
( 1 111 a osé douter que le règne <strong>de</strong> Charles VII pût fournir (L<br />
l'épopée un ouvrage intéressant; qui n été assez malheureux<br />
pour écrire ces lignes: Il est bon qu'un poème troue<br />
l'imagination prév<strong>en</strong>ue pour le héros, et ni Dunois, ni<br />
Charles VII, ni nréne Jeanne d'Arc, malgré son courage<br />
et ses exploits, n'ont joué, ce me semble , un assez<br />
grand rôle pour remplir la majesté <strong>de</strong> l'épopée.<br />
Au fait, pauvres poètes, que voulez—vous faire <strong>de</strong> Jeanne<br />
d'Arc, <strong>de</strong> cette jeune fille dont la vie, <strong>en</strong>core si près (le notre<br />
siècle, est tout héroïque, toute naïve, et pourtant toute<br />
1
LES POLIES DE JEANNE I)AaC.<br />
surnaturelle? L'églogue, l'o<strong>de</strong>, l'épopée, la tragédie, sem-<br />
blerai<strong>en</strong>t pouvoir i peine peindre la fraîche vallée <strong>de</strong> la<br />
Meuse , l'arbre <strong>de</strong>s fées, faire parler le ciel, décrire la dé-<br />
livrance d'Orléans, r<strong>en</strong>dre une odieuse exist<strong>en</strong>ce à l'évéquc<br />
<strong>de</strong> Beauvais, et pourtant dans toutes ces choses qui parais-<br />
s<strong>en</strong>t s'adresser aux plus nobles formes <strong>de</strong> la poésie, il n'y a<br />
pas la matière <strong>de</strong>s douze ou <strong>de</strong>s vingt-quatre chants voulus.<br />
Pour comble <strong>de</strong> malheur, si vous vouliez célébrer Jeanne,<br />
il faudrait vous montrer chréti<strong>en</strong>s; vous seriez obligés <strong>de</strong><br />
parler <strong>de</strong>s anges et <strong>de</strong>s saints, comme Dante et Milton dont<br />
les coryphées du XViII' siècle ont fait si bonne justice; vous<br />
le voyez, Jeanne d'Arc ne peut remplir la majesté <strong>de</strong> l'épo-<br />
pée. En définitive, <strong>de</strong> quoi s'agirait-il dans un poime dont la<br />
Pucelle serait l'héroïne? Oh! mon Dieu, <strong>de</strong> ri<strong>en</strong>, <strong>de</strong> presque<br />
ri<strong>en</strong>, du salut <strong>de</strong> la France, voilà tout. La France sauvée,<br />
<strong>en</strong> quoi cela nous intéresse-t-il? Parlez-nous <strong>de</strong> quelques<br />
événem<strong>en</strong>ts arrivés <strong>en</strong> Grèce dans <strong>de</strong>s olympia<strong>de</strong>s inconnues,<br />
au sein d'un royaume OLI d'une république <strong>de</strong> la taille d'un<br />
<strong>de</strong> nos départem<strong>en</strong>ts, dans une ville gran<strong>de</strong> comme un chef-<br />
lieu d'arrondissem<strong>en</strong>t; redites-nous les infortunes <strong>de</strong> quelques<br />
personnages ayant l'honneur d'appart<strong>en</strong>ir à la famille<br />
dAgamemnon; célébrez, si vous l'aimez mieux, les pu<strong>de</strong>urs<br />
<strong>de</strong> Lucrèce et <strong>de</strong> Virginie.......Mais Jeanne d'Arc! allons<br />
donc!<br />
Ne suffit-il pas <strong>de</strong> r<strong>en</strong>contrer une assertion comme celle<br />
<strong>de</strong> La Harpe pour douter <strong>de</strong> l'infaillibilité <strong>de</strong> tout un écri-<br />
vain, pont' craindre <strong>de</strong> s'éti'e laissé égarer par celui que l'on<br />
se donnait pour gui<strong>de</strong>? M. <strong>de</strong> Maistre disait <strong>en</strong> parlant <strong>de</strong><br />
fausses opinions répandues sur la religion et la philosophie:<br />
Les fausses opinions ressembl<strong>en</strong>t h la fausse monnaie,<br />
qui est frappée d'abord par <strong>de</strong> grands coupables, et dé-
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
p p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong>suite par d'honnêtes g<strong>en</strong>s, qui perpétu<strong>en</strong>t le<br />
crime sans savoir ce qu'ils font.<br />
Cette p<strong>en</strong>sée pourrait, avec quelques adoucissem<strong>en</strong>ts, être<br />
appliquée h la littérature. Durant le siècle passé, la secte<br />
philosophique a émis une gran<strong>de</strong> quantité (le fausse mon-<br />
naie, a fait circuler comme étant d'or, bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s pailles<br />
pourries qu'il fallait laisser au fumier d'Ennius. Aujourd'hui,<br />
si nous regardons dans le creuset <strong>de</strong> ces autres alchimistes,<br />
nous n'y trouvons que peu <strong>de</strong> parcelles précieuses, mais<br />
cep<strong>en</strong>dant les effets <strong>de</strong> leur frau<strong>de</strong> se font <strong>en</strong>core s<strong>en</strong>tir, et<br />
beaucoup <strong>de</strong> pièces qui n'ont pas été mises au trébuchet<br />
circul<strong>en</strong>t parmi nous.<br />
Il est si commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser d'après les autres, que nous<br />
ne serions pas surpris si Jeanne d'Arc apparaissait à quel-<br />
ques esprits comme un personnage non poétique; cela serait<br />
d'autant moins étonnant, que le XVIIIe siècle nous a aussi<br />
légué le sacrilége <strong>de</strong> Voltaire, et qu'<strong>en</strong> France le ridicule<br />
fait <strong>de</strong> larges taches. Un héros u chez nous bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> la peine<br />
à se débarrasser d'une plaisanterie; le nom d'un brave ca-<br />
pitaine, <strong>de</strong> la Palisse, ne rappelle à notre peuple ni la<br />
bataille <strong>de</strong> Rav<strong>en</strong>ne, ni la bataille <strong>de</strong> Marignan, ni. le siège<br />
<strong>de</strong> Marseille, il ne le fait souv<strong>en</strong>ir que (l'une complainte<br />
stupi<strong>de</strong> comme celle <strong>de</strong> Marlborough.<br />
Nos voisins d'au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s Pyrénées sont moins oublieux<br />
que nous <strong>de</strong> leur gloire; <strong>de</strong>s romances transmett<strong>en</strong>t (le gé-<br />
nération <strong>en</strong> génération la mémoire <strong>de</strong> leurs guerriers. Si<br />
Jeanne d'Arc fût née au milieu d'eux, elle aurait été chantée<br />
par tout un peuple, chantée comme l'a été le Cid, c'est-à-<br />
dire <strong>de</strong> manière à r<strong>en</strong>dre Corneille jaloux. Jeanne d'Arc n'a<br />
inspiré aucune oeuvre remarquable à ses contemporains; ce<br />
n 'est pas elle qui manquait aux poètes, ce sont les poètes
4 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
qui lui ont manqué. Il faut bi<strong>en</strong> l'avouer: au moy<strong>en</strong> âge, la<br />
poésie française n'a ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> relevé; elle raconte <strong>de</strong> longues<br />
av<strong>en</strong>tures que l'Arioste s'est appropriées <strong>en</strong> mettant <strong>en</strong><br />
pratique la maxime <strong>de</strong> Voltaire : i Il faut tuer ceux que l'on<br />
vole. s Elle médit, dans <strong>de</strong> spirituels fabliaux, <strong>de</strong> la vertu<br />
<strong>de</strong>s femmes; elle fredonne quelques villanelles le long <strong>de</strong>s<br />
haies verdissantes, elle chante <strong>de</strong>s couplets bachiques <strong>en</strong><br />
face <strong>de</strong> hanaps pleins <strong>de</strong> vin d'Auxerre, elle psalmodie <strong>de</strong>s<br />
complaintes sur la mort, elle <strong>en</strong>tre dans les couv<strong>en</strong>ts <strong>en</strong><br />
rimant quelque miracle apocryphe; elle saute sur <strong>de</strong>s tré-<br />
teaux où, sans le savoir, elle imite Aristophane; elle cbame<br />
les érudits <strong>en</strong> s'<strong>en</strong>veloppant <strong>de</strong> voiles allégoriques; elle a (le<br />
l'esprit presque toujours, du génie, jamais. —En lisant les<br />
vers que la Pucelle a inspiré <strong>de</strong> son temps, on se souvi<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> François 1er . : i Le sujet surpasse le disant.<br />
Le potte le plus célèbre du XV° siècle qui se soit occupé<br />
<strong>de</strong> Jeanne d'Arc, est une femme: c'est Christine <strong>de</strong> Pisan.<br />
La pièce qu'elle nous a laissée témoigne une gran<strong>de</strong> admira-<br />
tion pour l'héroïne, mais n'est guère autre chose qu 'une chro-<br />
nique rimée. Christine <strong>de</strong> Pisan rappelle, comme la plupart<br />
<strong>de</strong>s auteurs qui ont parlé <strong>de</strong> Jeanne, les prophéties qui,<br />
avant son apparition, promettai<strong>en</strong>t un v<strong>en</strong>geur.<br />
Par Merlin, Schille cL lie<strong>de</strong><br />
Plus <strong>de</strong> cinq c<strong>en</strong>s a, la veir<strong>en</strong>t<br />
En esperit, et pour remè<strong>de</strong><br />
A France <strong>en</strong> leur escripts la mir<strong>en</strong>t;<br />
Et leurs prophéties <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t<br />
Disant que porteroit bannière<br />
Es guerres françoyses, et dir<strong>en</strong>t<br />
De son faict toute la manière.<br />
Martial <strong>de</strong> Paris, dans les Vigiles du roy Charles li!, i
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC. 5<br />
eu aussi à redire les prodiges <strong>de</strong> la noble jeune fille. On<br />
se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> face <strong>de</strong> tels événem<strong>en</strong>ts, le rimeur a<br />
pu <strong>de</strong>meurer froid; comm<strong>en</strong>t il se petit faire que, dans<br />
l'énorme quantité <strong>de</strong> lignes <strong>de</strong> huit syllabes où il raconte la<br />
vie <strong>de</strong> Jeanne, il ne se trouve pas un vers vigoureux, pas<br />
une p<strong>en</strong>sée saillante; Martial semble craindre (le SC compro-<br />
mettre <strong>en</strong> blâmant les Anglais <strong>de</strong> leur crime:<br />
Voilà le jugem<strong>en</strong>t<br />
Et la s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce bi<strong>en</strong> cruelle<br />
Qui fut donnée trop asprem<strong>en</strong>t<br />
Contre lieue povre pucelle.<br />
Si fir<strong>en</strong>t niai ou autrem<strong>en</strong>t<br />
Ii s'<strong>en</strong> faut à Dieu rapporter,<br />
Qui <strong>de</strong> tels cas peut seulem<strong>en</strong>t<br />
Lassus cognoistre et discuter.<br />
Dans le Champion <strong>de</strong>s Darnes, ouvrage écrit pour v<strong>en</strong>ger<br />
les femmes <strong>de</strong>s satires cont<strong>en</strong>ues dans le roman <strong>de</strong> la Rose,<br />
Jeanne (l'Arc <strong>de</strong>vait être citée, aussi Martin Franc ne l'a<br />
pas oubliée. Mais, hélas! on ne peut guère louer l'auteur<br />
que <strong>de</strong> ses bonnes int<strong>en</strong>tions:<br />
De la pucelle dire veuil,<br />
Laquelle Orléans délivra,<br />
Ois Sallelieri y perdit l'iii<br />
Et puis male-mort le narra.<br />
Ce fut elle qui recouvra<br />
L'honneur <strong>de</strong>s François tellem<strong>en</strong>t<br />
Que par raison elle <strong>en</strong> aura<br />
R<strong>en</strong>om perpétuellem<strong>en</strong>t.<br />
Tu secs comm<strong>en</strong>t estoit apprise<br />
A porter lances et harnois<br />
Comm<strong>en</strong>t, par sa gran<strong>de</strong> <strong>en</strong>treprise,<br />
Abattus fur<strong>en</strong>t les Anglois<br />
Comm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Bourges ou <strong>de</strong> Blois<br />
Le roy saillit sous sa fiance,<br />
Et <strong>en</strong> I rs-grand ost mie Fr;unçoy<br />
Alla <strong>de</strong>vant Paris <strong>en</strong> France.
6<br />
LES POÈTES i JEANNE D'ARC.<br />
En voilà assez, trop peut-être, sur les vieux poètes fran-<br />
çais qui se sont occupés <strong>de</strong> Jeanne d'Arc; il est temps <strong>de</strong> dire<br />
qu'elle a aussi fait naître beaucoup <strong>de</strong> vers latins: les plus<br />
remarquables sont, sans contredit, ceux d'Antoine Astezan.<br />
Cet Itali<strong>en</strong> s'attacha à Charles d'Orléans, l'aimable poète<br />
dont on a ret<strong>en</strong>u ces jolis vers:<br />
Le temps a laissié son manteau<br />
De v<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> froidure et <strong>de</strong>pinyc.<br />
Et c'est h ce spirituel prince que, dans une épître, Astezan<br />
raconte une partie <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Jeanne. Nous allons donner<br />
la substance <strong>de</strong> cette épître <strong>en</strong> cmploafl( souv<strong>en</strong>t les propres<br />
expressions (le M. Berriat-Saint-Prix, à qui l'on doit d'in-<br />
téressants détails sur Astezan.<br />
D'après le poète, Jeanne d'Arc naquit le jour <strong>de</strong> l'épi-<br />
phanie; à l'instant <strong>de</strong> sa naissance, les habitants du village,<br />
agités d'une joie dont ils ignorai<strong>en</strong>t le motif, courur<strong>en</strong>t çà<br />
et là et chantèr<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>ux heures. On donna à la<br />
Pucelle le nom (l'une fontaine sainte du lieu.<br />
À sept ans, son père lui confia la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses troupeaux.<br />
Elle s'acquittait un jour <strong>de</strong> ce soin, - elle avait alors<br />
douze ans,—lorsqu'à l'invitation d'une bergère, elle se r<strong>en</strong>-<br />
(lit dans un pré ot ses compagnes se défiai<strong>en</strong>t h la course.<br />
La si<strong>en</strong>ne fut si rapi<strong>de</strong>, qu'on s'écria (1UC ses pieds ne sem-<br />
blai<strong>en</strong>t pas toucher la terre. P<strong>en</strong>dant qu'elle se reposait <strong>de</strong><br />
ses fatigues, un jeune homme lui apparut, et lui dit <strong>de</strong> se<br />
r<strong>en</strong>dre auprès <strong>de</strong> sa mère. Jeanne , obéissant à cet ordre,<br />
s'acheminait vers la maison paternelle, quand sa mère vint<br />
au-<strong>de</strong>vant d'elle, et la querella <strong>de</strong> ce qu'elle abandonnait son<br />
troupeau. Jeanne, surprise, retourna sur ses pas. A l'instant
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC. 7<br />
les nuées <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t étincelantes, et une voix lui dit qu'il<br />
fallait changer <strong>de</strong> vie, que Dieu l'avait choisie pour sauver<br />
la France, et qu'elle eût il se r<strong>en</strong>dre près <strong>de</strong> Charles VI 1.<br />
Jeanne, stupéfaite <strong>de</strong> cette vision, n'<strong>en</strong> parla point p<strong>en</strong>dant<br />
<strong>en</strong>viron cinq ans; mais les maux <strong>de</strong>s Français arrivèr<strong>en</strong>t h<br />
leur comble; la voix céleste se fit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> nouveau, et<br />
reprocha i Jeanne sa néglig<strong>en</strong>ce. Jeanne restait indécise<br />
cep<strong>en</strong>dant; tuais les ordres d'<strong>en</strong> haut, <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t si pressants,<br />
qu'il fallut obéir. Elle se r<strong>en</strong>dit auprès du gouverneur <strong>de</strong> la<br />
seule ville <strong>de</strong> Champagne qui fût <strong>en</strong>core fidèle au roi. Le gouverneur<br />
la conduisit à Charles, auquel elle inspira la plus<br />
gran<strong>de</strong> confiance.<br />
Le roi <strong>en</strong>voya Jeanne secourir Orléans. Elle sauva cette<br />
ville, quoique les <strong>en</strong>nemis fuss<strong>en</strong>t très-nombreux, et qu'elle<br />
eût peu <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> avec elle.<br />
Jeanne revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite auprès <strong>de</strong> Charles, qui l'accueille<br />
avec transport et la fait asseoir à ses côtés. Elle le supplie<br />
<strong>de</strong> la r<strong>en</strong>voyer combattre le reste <strong>de</strong>s Anglais; elle les ilé-<br />
fait, recouvre <strong>en</strong> peu <strong>de</strong> temps une vaste ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> terri-<br />
toire, et tout le mon<strong>de</strong> lui attribue le salut <strong>de</strong> la patrie.<br />
La plupart <strong>de</strong>s détails dont Astezan a rempli son épître<br />
se retrouv<strong>en</strong>t dans une lettre publiée par M. Buchon, t il est<br />
permis <strong>de</strong> croire cep<strong>en</strong>dant que ces détails ne sont pas his-<br />
toriques, puisqu'on ne r<strong>en</strong>contre ni dans les interrogatoires,<br />
ni dans le procès <strong>de</strong> révision, aucune allusion à la joie<br />
subite dont les habitants <strong>de</strong> Donur<strong>en</strong>n' aurai<strong>en</strong>t été saisis lors<br />
<strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> Jeanne; b la course où elle aurait <strong>de</strong>vancé<br />
toutes ses compagnes; à l'ange qui lui serait apparu <strong>en</strong>suite,<br />
Docum<strong>en</strong>ts sur Jeanne d'Arc.
S LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
et 'a'quelques autres faits racontés par le poète itali<strong>en</strong>.<br />
Quant h nous, il nous semble qu'il n'est pas donné h l'ima-<br />
gination humaine d'embellir une vie que Dieu a faite si belle,<br />
si merveilleuse, et nous nOUS étonnons que, dans sa Jehanne<br />
kf pucelle , M. A. Dumas ait préféré les fictions d'Astezan au<br />
naïf récit <strong>de</strong>s chroniqueurs.<br />
De l'itali<strong>en</strong> inconnu nous <strong>de</strong>vons maint<strong>en</strong>ant passer h un<br />
grand dramatiste. Les Anglais avai<strong>en</strong>t livré Jeanne au bû-<br />
cher : cela ne suffisait pas, il fallait ternir sa mémoire.<br />
Shakspeai'e <strong>en</strong>treprit cette tâche iiifAnie, mais moins facile<br />
que ne l'avait été l'oeuvre du bourreau. Ce n'est pas la Pu-<br />
celle que la première partie <strong>de</strong> li<strong>en</strong>ri VI couvre <strong>de</strong> honte.<br />
La tragédie comm<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> Angleterre, au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />
funérailles (lu roi H<strong>en</strong>ri V. Trois messagers se succèd<strong>en</strong>t,<br />
apportant <strong>de</strong> Franco <strong>de</strong>s nouvelles fatales pour les Anglais.<br />
Ce début pourrait avoir donné à Schiller l'exposition <strong>de</strong><br />
Son beau drame; exposition dans laquelle, avec plus <strong>de</strong><br />
vérité historique, les nouvelles désastreuses sont non pour<br />
Bedfort, mais pour Charles Vil, auquel les <strong>en</strong>voyés d'Orléans,<br />
puis Lahire, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t faire <strong>de</strong> sinistres récits.<br />
Shakspeare fait paraître Jeanne pour la première fois<br />
<strong>de</strong>vant Orléans; c'est 1h que Dunois appr<strong>en</strong>d à Charles<br />
l'arrivée <strong>de</strong> la m ystérieuse jeune fille Elle possè<strong>de</strong>, dit-il,<br />
l'esprit <strong>de</strong> prophétie bi<strong>en</strong> mieux que les neuf sibylles <strong>de</strong><br />
home; elle peut raconter le passé et l'av<strong>en</strong>ir; dites, la<br />
i ferai-je <strong>en</strong>trer? Charles cons<strong>en</strong>t à voir Jeanne, et<br />
comme dans Schiller, comme dans l'histoire, il cherche h<br />
lui faire croire qu'il n'est pas le roi, qu'<strong>en</strong> s'adressant à lui,<br />
elle s'est trompée. Jeanne ne tar<strong>de</strong> pas à r<strong>en</strong>dre Charles<br />
confiant <strong>en</strong> elle; Orléans est bi<strong>en</strong>tot délivré et r<strong>en</strong>dant<br />
grâces à lhéroine, le roi s'écrie t Ce n'est P u is saint D<strong>en</strong>is
LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 9<br />
que nous invoquerons, .Jeanne la Pucelle sera désormais<br />
la patronne <strong>de</strong> la France<br />
Le rôle <strong>de</strong> Jeanne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t presque nul jusqu'au troisième<br />
acte, où elle s'empare <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> que les Anglais repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>suite. Dans cet acte se trouve un fort beau passage qu'a<br />
imité Schiller: la Pucelle, par son éloqu<strong>en</strong>ce, déci<strong>de</strong> le duc<br />
<strong>de</strong> Bourgogne à se séparer <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis et à se consacrer<br />
tout <strong>en</strong>tier h la France. Il semble que le poète s'est laissé<br />
d'abord toucher par la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> celle qu'il marquait<br />
comme sa victime. Il est v<strong>en</strong>u son <strong>en</strong>nemi, il l'a vue, et il<br />
l'a admirée malgré lui. La poésie l'a récomp<strong>en</strong>sé alors, elle<br />
lui a donné un noble ton; il s'exprime comme voudrait<br />
s'exprimer un poète français. Malheureusem<strong>en</strong>t, le grand<br />
dramaturge va bi<strong>en</strong>tôt expier cette impartialité passagère.<br />
Ce public qui assiste à ses pièces veut que l'<strong>en</strong>nemie <strong>de</strong><br />
l'Angleterre soit sacrifiée, et le poète va jeter à pleines<br />
mains l'odieux sur celle dont il eût pu faire la soeur <strong>de</strong><br />
Juliette ou <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona.<br />
La Pucelle voyant les si<strong>en</strong>s défaits, évoque les démons et<br />
leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une victoire pour la France. Les mauvais<br />
esprits rest<strong>en</strong>t sil<strong>en</strong>cieux, et Jeanne compr<strong>en</strong>d que tout est<br />
perdu. En effet, un combat a bi<strong>en</strong>tôt lieu, et elle tombe au<br />
pouvoir <strong>de</strong>s Anglais qui la condamn<strong>en</strong>t à être brûlée. Son<br />
père vi<strong>en</strong>t implorer sa grâce, mais Jeanne ne veut pas qu'on<br />
la croie la fille d'un berger; elle le méconnait, et le vieillard<br />
s'éloigne <strong>en</strong> la maudissant. Ce n'était pas assez <strong>de</strong> ces<br />
profanations, Sliakspcare va plus loin Jeanne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
un délai, sous le prétexte qu'elle va ètre mère, et elle<br />
indique, comme ayant été ses amants, Charles VII, le duc<br />
d'Al<strong>en</strong>çon et R<strong>en</strong>é d'Anjou.<br />
rÛlà ce que Shakspeare a fait <strong>de</strong> la vierge <strong>de</strong> Domrewy
F<br />
10<br />
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
dans une pièce, -M. Guizot l'a fort bi<strong>en</strong> dit, -historique,<br />
<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'elle donne l'idée la plus juste du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />
avec lequel les chroniqueurs anglais ont écrit l'histoire <strong>de</strong><br />
la Pucelle.<br />
Au XVLW siècle, un autre poète anglais s'occupa aussi<br />
<strong>de</strong> Jeanne d'Arc, mais ce fut pour la célébrer dignem<strong>en</strong>t.<br />
Robert Southey raconta dans dix chants la vie <strong>de</strong> l'héroïne<br />
jusqu'au sacre <strong>de</strong> Rheims. T<strong>en</strong>ant à la vérité historique,<br />
lorsque l'auteur altère ou déplace un événem<strong>en</strong>t, il <strong>en</strong><br />
prévi<strong>en</strong>t scrupuleusem<strong>en</strong>t le lecteur. Son poème manque<br />
cep<strong>en</strong>dant quelquefois <strong>de</strong> vérité; la cause <strong>en</strong> est que Southey,<br />
<strong>en</strong>thousiaste <strong>de</strong> la révolution française, prête ses idées, ses<br />
opinions aux personnages qu'il crée. Nous ne parlerons pas<br />
plus longtemps <strong>de</strong> ce poime, parce qu'on <strong>en</strong> trouve une<br />
analyse détaillée dans la notice que MM. Michaud et<br />
Poujoulat ont publiée sur la Pucelle. Nous allons mainte-<br />
nant rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> France, où, <strong>en</strong> reculant d'un siècle nous<br />
r<strong>en</strong>contrerons Chapelain.
il<br />
hae!ain.<br />
VÂuvEAnGrEs a tracé un caractère qui est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u assez<br />
commun <strong>de</strong> nos jours, c'est celui <strong>de</strong> ce Phocas qui, si vous<br />
lui pailczd'éloqu<strong>en</strong>ce, ne vous nommera point Cicéron, mais<br />
vous fera l'éloge d'Abdalah oud'Abutalès; qui , s'il est ques-<br />
tion <strong>de</strong> guerre, n'admirera ni Tur<strong>en</strong>ne, ni Condé, mais<br />
vous vantera les tal<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> quelques généraux obscurs. Nous<br />
aurions pu, <strong>en</strong> parlant <strong>de</strong> Chapelain, adopter ce système,<br />
essayer <strong>de</strong> réhabiliter le pauvre poète qui jouait le rôle <strong>de</strong><br />
génie méconnu, qui appelait <strong>de</strong> son siècle ii la postérité.<br />
En citant quelques beaux vers, <strong>en</strong> déroulant le plan <strong>de</strong> la<br />
Pucelle qui ne flanque pas d 'intérêt, il eût été possible<br />
<strong>de</strong> montrer Chapelain comme une victime <strong>de</strong> Boileau.
LES POÈTES DE JEANNE D'AÎIC.<br />
Nous aimons mieux dire que Chapelain avait <strong>en</strong>trepris une<br />
oeuvre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses forces, que son style est presque<br />
toujours raboteux, et qu'il fatigue par (le nombreux confetti.<br />
Reconnaissons cep<strong>en</strong>dant que le poéte n'était pas un homme<br />
sans mérite ; il avait, tons son exTirn<strong>en</strong> du Gid , montré un ta-<br />
l<strong>en</strong>t <strong>de</strong> critique dont il donne <strong>de</strong> nouvelles preuves dans sa<br />
préface <strong>de</strong> la Pucelle. Eirfin, le choix qu'il fit <strong>de</strong> Jeanne pour<br />
héroïne, prouve qu'il avait le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la haute poésie.<br />
N'est-il pas singulier que ce soi<strong>en</strong>t les plus mauvais écrivains<br />
du XVII° siècle qui , sous le rapport (le l'inspiration pre-<br />
mière , ai<strong>en</strong>t montré le plus <strong>de</strong> génie ? Corneille, Racine,<br />
n'aperçur<strong>en</strong>t pas dans notre histoire les beautés qu'y <strong>en</strong>-<br />
trevir<strong>en</strong>t Scudéry, Desmarets et le père L<strong>en</strong>ioine. Les uns<br />
consacrèr<strong>en</strong>t leur tal<strong>en</strong>t à célébrer <strong>de</strong>s sujets qui nous étai<strong>en</strong>t<br />
étrangers, les autres traitèr<strong>en</strong>t nos plus beaux épiso<strong>de</strong>s<br />
nationaux ; mais ils ne pûr<strong>en</strong>t le faire avec assez d'éclat,<br />
et tombées sous <strong>de</strong>s plumes inhabiles, les gran<strong>de</strong>s phases <strong>de</strong><br />
notre histoire ne gagnèr<strong>en</strong>t qu'un long discrédit à ce qui<br />
aurait dû <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir leur illustration.<br />
Peut-être dira-t-on que les <strong>de</strong>ux écoles <strong>de</strong> poites eur<strong>en</strong>t<br />
un point <strong>de</strong> ressemblance, c'est-à-dire que tous, soit qu'ils<br />
traitass<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sujets étrangers ou nationaux, se mo<strong>de</strong>lèr<strong>en</strong>t<br />
sui l'antiquité. Cep<strong>en</strong>dant cette opinion ne serait pas <strong>en</strong>tiè-<br />
r<strong>en</strong>)<strong>en</strong>t vraie. Ainsi Chapelain avait compris qu'<strong>en</strong> célé<br />
brant Jeanne d'Arc, il <strong>de</strong>vait perdre jusqu'aux moindres<br />
souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> la mythologie si chère à Boucau. Chapelain<br />
proscrit l'Olympe <strong>de</strong> son poème, et ceci est d'autant plus<br />
remarquable qu'il passait pour imiter le Tasse. C'est au<br />
Christianisme que notre auteur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le merveilleux; la<br />
plupart <strong>de</strong>s passages où il fuit interv<strong>en</strong>ir le ciel, sont réel-<br />
m<strong>en</strong>t remarquables. Probablem<strong>en</strong>t Despréaux n'eût pas
LES POÈTES DE JEANÇE b 'AC. 15<br />
été capable d'<strong>en</strong> écrire <strong>de</strong> pareils. Ne prét<strong>en</strong>dait-il point<br />
que la fable était lii plus belle parure <strong>de</strong> la poésie; ne disait-<br />
il pas dans <strong>de</strong>s vers peu dignes <strong>de</strong> sa réputation<br />
De la fui d'un chréti<strong>en</strong> les mystères terribles<br />
D'ornem<strong>en</strong>ts égayés ne sont point susceptibles.<br />
L'Evangile à l'esprit n'oiFre <strong>de</strong> tous ci',t&e<br />
Que pénit<strong>en</strong>ce à faire et tourm<strong>en</strong>ts mérités.<br />
Et <strong>de</strong> vos fictions le mélange coupable<br />
Même à ses vérités donne l'air <strong>de</strong> la fable;<br />
Et quel objet <strong>en</strong>fin à prés<strong>en</strong>ter aux yeux,<br />
Que le diable toujours hurlant contre les cieux.<br />
Comm<strong>en</strong>t Boucau eût-il parlé (le la Divine Comédie et du<br />
Paradis perdu?<br />
On s'est beaucoup amusé <strong>de</strong> voir Chapelain interpréter<br />
allégoriquem<strong>en</strong>t sa Pucelle. L'idée <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> Charles VII<br />
la volonté; <strong>de</strong>s Anglais et <strong>de</strong>s Bourguignons, les divers trans-<br />
ports <strong>de</strong> l'appétit irascible; d'Amaury et d'Àgnès, les mou-<br />
vem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'appétit concupiscible, etc. Cette idée, v<strong>en</strong>ue<br />
<strong>de</strong> l'Italie avec les comm<strong>en</strong>taires sur Dante, ne semblerait<br />
pas trop bizarre ii quelques-uns <strong>de</strong> nos critiques mo<strong>de</strong>rnes.<br />
N'a-t-on pas voulu expliquer l'inexplicable fin <strong>de</strong> Faust ?<br />
Ne s'est-on pas tout récemm<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>du sur le s<strong>en</strong>s littéral<br />
le s<strong>en</strong>s allégorique et le s<strong>en</strong>s anagogique <strong>de</strong> la Notre-!)ame<br />
<strong>de</strong> Paris <strong>de</strong> V. Ilugo? Les plaisanteries que Ulric <strong>de</strong><br />
Hutt<strong>en</strong> écrivait an XVI' siècle sur la triple interprétation<br />
d'un livre, serai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>de</strong> saison aujourd'hui.<br />
Ce n'est pas sans avoir accumulé les précautions oratoires<br />
que Chapelaiti permet au lecteur d'arriver à son poéme.<br />
Hélas! sa préface, portique élevé si soigneusem<strong>en</strong>t, ne doit
14<br />
LES POÈTES »E JEANNE D'ARC.<br />
pas introduire dans un pays <strong>en</strong>chanté. Chapelain comm<strong>en</strong>ce<br />
son oeuvre par une dédicace au duc <strong>de</strong> Longueville, <strong>de</strong>s-<br />
eciidant <strong>de</strong> Dunois. II dépeint <strong>en</strong>suite, quelquefois avec<br />
assez d'énergie , la triste position <strong>de</strong> la France. Orléans<br />
seul se déf<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core; Dunois, qui est dans cette ville,<br />
n résolu <strong>de</strong> l'inc<strong>en</strong>dier plutôt que <strong>de</strong> la livrer aux <strong>en</strong>nemis.<br />
Charles VII, retiré h Chinon, appr<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong>tôt que la fidèle<br />
cité est sur le point <strong>de</strong> ne pouvoir plus supporter un assaut;<br />
il se r<strong>en</strong>d dans un ermitage, où il invoque l'appui du Sei-<br />
gneur. La prière monte jusqu'à Dieu, vers lequel Chapelain<br />
s'élève d'un élan vraim<strong>en</strong>t poétique<br />
Loin <strong>de</strong>s murs flamboyants qui r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t le immon<strong>de</strong><br />
Dans le c<strong>en</strong>tre caché d'une clarté profon<strong>de</strong>,<br />
Dieu repose <strong>en</strong> lui-même , et vêtu <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur<br />
Sans bornes, est rempli do sa propre gran<strong>de</strong>ur.<br />
Une triple personne <strong>en</strong> une seule ess<strong>en</strong>ce<br />
Le suprême pouvoir, la suprême sci<strong>en</strong>ce<br />
Et le suprême amour unis <strong>en</strong> trinité,<br />
Dans son règne éternel form<strong>en</strong>t la majesté.<br />
Sous son tr'ine étoilé, patriarches , prophètes,<br />
Aptlrce, confesseurs, vierges, anachorètes,<br />
Et ceux qui par leur sang ont cim<strong>en</strong>té la foi<br />
L'ador<strong>en</strong>t à g<strong>en</strong>oux, saint peuple du saint roi.<br />
La NierIge Maeie intercè<strong>de</strong> pour la Franco et Dieu va lui<br />
<strong>en</strong>voyer un sauveur. Ce sauveur, c'est une jeune fille née<br />
sur les confins douteux <strong>de</strong> Franco et <strong>de</strong> Lorraine.<br />
Jeanne était dans uui bois qui s'ét<strong>en</strong>d auprès <strong>de</strong> Dom-<br />
rem, lorsqu'un ange <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dit vers elle et lui dit que Dieu<br />
lavait choisie pour battre les Anglais et pour l'aire sacrer
LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 15<br />
à Reims le roi Charles. Jeanne se s<strong>en</strong>t pleine d'un <strong>en</strong>thou-<br />
siasme guerrier et d'un trouble bi<strong>en</strong> exprimé par ce vers<br />
Elle se cherche <strong>en</strong> elle et ne s'y trouve plus.<br />
Les bois, les fontaines, les troupeaux, le calme (le la<br />
vie champêtre ont cessé <strong>de</strong> la charnier, et, accompagnée<br />
<strong>de</strong> son frère Rodoiphe, elle part pour Chinon.<br />
P<strong>en</strong>dant ce temps, le siége d'Orléans continue; la ville est<br />
dans un état déplorable et le (Inc (le Bourgogne supplie,<br />
mais <strong>en</strong> vain, le duc <strong>de</strong> Bedfort d'avoir pitié <strong>de</strong>s habitants<br />
et <strong>de</strong> leur offrir une capitulation honorab le. La nouvelle<br />
fausse <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Dunois arrive à Chinon ; le roi est<br />
tout à fait abattu lorsque Jeanne paraît; elle reconnaît<br />
Charles confondu avec tous ses courtisans, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />
épée qui doit se trouver dans l'église <strong>de</strong> Fierbois, inspire<br />
une confiance miraculeuse, et détermine Charles à lever une<br />
armée. Go<strong>de</strong>froi arrive d'Orléans, Dunois veut brMer la<br />
ville; le roi montre Jeanne à l'<strong>en</strong>vo yé et lui dit d'espérer.<br />
La Pucelle ne tar<strong>de</strong> pas à remplir ses promesses; elle<br />
accomplit les prodiges que l'histoire nous a racontés,<br />
Orléans est délivré, les <strong>en</strong>nemis sont dans la consterna-<br />
tion.<br />
Parmi ceux qu'émeut le plus vivem<strong>en</strong>t la délivrance<br />
d'Orléans, est Marie, nièce du duc <strong>de</strong> Bourgogne. Agnès<br />
Sorel aurait seule pu lutter <strong>de</strong> beauté avec cette princesse.<br />
Des cheveux châtains flott<strong>en</strong>t sur soit cou; sa phy-<br />
sionomie est grave <strong>en</strong> (louer.<br />
Dans l'ouverte prison <strong>de</strong> ses blanches paupières,<br />
Deux soleils animés r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t leurs lumières.
46<br />
LES POÈTES DE JEÀNE D'ARC.<br />
Avant l'union <strong>de</strong> la Bourgogne et <strong>de</strong> l'Angleterre, les<br />
<strong>de</strong>ux soleils avai<strong>en</strong>t ébloui toute la cour à leur lever.<br />
De leur puissant rayon nul ne se put déf<strong>en</strong>dre,<br />
Et quiconque aperçut un si divin objet,<br />
N'eut le sein que <strong>de</strong> roche ou <strong>de</strong>vint son sujet.<br />
Parmi les jeunes seigneurs qui se pressai<strong>en</strong>t sur ses pas,<br />
Marie distingua Dunois, et tous <strong>de</strong>ux s'aimèr<strong>en</strong>t. La guerre<br />
sépara les amants, et ce fut à Fontainebleau, où, mécont<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s Anglais, s'était retiré le duc <strong>de</strong> Bourgogne, que la<br />
fidèle Yolante viciit appr<strong>en</strong>dre à sa mahrcsse la délivrance<br />
d'Orléans. A la joie qu'éprouve d'abord Marie, succè<strong>de</strong> une<br />
sombre appréh<strong>en</strong>sion: Yolante est triste, que lui cache-telle?<br />
La princesse lui ordonne <strong>de</strong> parler , , et la suivante lui<br />
appr<strong>en</strong>d que Dunois passe pour avoir oublié tous ses ser-<br />
m<strong>en</strong>ts: on prét<strong>en</strong>d qu'il est amoureux <strong>de</strong> Jeanne. Ce bruit<br />
n'est que trop vrai. La douleur <strong>de</strong> Marie éclate <strong>en</strong> quarante<br />
vers, et la pauvre princesse est (tans un tel désespoir,<br />
Que pour vouloir trop dire, elle ne dit plus ri<strong>en</strong>.<br />
S<strong>en</strong>sible aux peines <strong>de</strong> sa maîtresse, Yolante lui offre<br />
d'aller trouver Dunois et d'essayer <strong>de</strong> le rappeler à ses<br />
premiers s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts. Marie y cons<strong>en</strong>t, et la fille part dé-<br />
guisée <strong>en</strong> homme pour Orléans.<br />
La Pucelle avait quitté cette ville pour informer elle-même<br />
le roi du succès <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>treprise; elle se prés<strong>en</strong>te à Chinon<br />
et annonce à Charles qu'il ait à se préparer au sacre. Meung,<br />
Gergeau, Bang<strong>en</strong>cy la réclam<strong>en</strong>t; clic veut s'emparer <strong>de</strong><br />
ces villes et repart accompagnée du (Inc d'Al<strong>en</strong>çon.<br />
Yolaute arrive à Orléans; elle r<strong>en</strong>contre Dunois qui Se
LES POÈTES DE JEANNE D'AtC<br />
promène tristem<strong>en</strong>t sur le rempart. Le guerrier finit par<br />
avouer qu'il aime Jeanne. Il se laisse un instant toucher par<br />
les souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> son anci<strong>en</strong> amour, mais la Pucelle se montre;<br />
le héros court vers elle, et voyant que tout est perdu, la<br />
suivante retourne à Fontainebleau.<br />
Jeanne veut Continuer l'oeuvre qu'elle a Comm<strong>en</strong>cée; elle<br />
marche sur Gergeau qui est vaillamm<strong>en</strong>t attaqué. L'<strong>en</strong>fer<br />
protège les Anglais qui, d'après les conseils <strong>de</strong> Satan,<br />
ébranl<strong>en</strong>t le faîte d'une tour et le font rouler sur Jeanne;<br />
un ange se jette <strong>en</strong>tre elle et les décombres, les débris<br />
n'ébranl<strong>en</strong>t même pas l'héroïne qui pénètre dans la place.<br />
Charles appr<strong>en</strong>d la prise <strong>de</strong> Gergeau; mais près <strong>de</strong> lui<br />
il est un homme qui ne partage pas la joie générale: cet<br />
homme, c'est Amaury, le favori du roi. Chapelain a bi<strong>en</strong><br />
dépeint cet intrigant qui<br />
De fameux exilas a rempli les provinces;<br />
qui, jaloux <strong>de</strong> toute influ<strong>en</strong>ce capable <strong>de</strong> balancer la<br />
si<strong>en</strong>ne, est parv<strong>en</strong>u à faire éloigne" la belle Agnès. La<br />
gloire <strong>de</strong> Jeanne importune Amaury ; que faire pour<br />
perdre l'héroïne? Il consulte son père Gillon qui l'<strong>en</strong>gage<br />
à rappeler Agnès, qui lui dit<br />
Oppose fille 1€ fille <strong>en</strong> cette extrémité,<br />
Et fais <strong>de</strong> la valeur triompher la beauté.<br />
Aniaury approuve fort ce conseil et charge Roger, frère<br />
d'Agnès, d'aller trouver la maîtresse disgraciée et (le la<br />
déterminer à rev<strong>en</strong>ir à Chinon. Roger s'embarque sur la<br />
Loire et arrive au château <strong>de</strong> Cliantonceaux, habité par<br />
sa soeur. Elle se déci<strong>de</strong> sans peine à rev<strong>en</strong>ir vers son amant;<br />
17
18<br />
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
mais ce n'est pas seulem<strong>en</strong>t Jeanne qu'elle veut perdre, elle<br />
se rappelle les mauvais procédés d'Amaury et espère aussi<br />
lui <strong>en</strong>lever la faveur du roi.<br />
Jeanne poursuit le cours <strong>de</strong> ses triomphes; elle se dirige<br />
sur Beaug<strong>en</strong>cy, et, chemin faisant, elle r<strong>en</strong>contre krtur <strong>de</strong><br />
Riclieinont qui, longtemps mal avec Charles Vil, veut ce-<br />
p<strong>en</strong>dant prêter son appui à la Pucelle. Beaug<strong>en</strong>cy se r<strong>en</strong>d,<br />
et la guerrière défait Talbot. Nous passons rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t sur<br />
tous ces combats; les grands coups d'épée sont aussi <strong>en</strong>nuyeux<br />
dans Chapelain qu'amusants dans l'Àrioste, qu'intéressants<br />
dans le Tasse.<br />
Charles VII qui a tout à fait repris courage, n rassemblé<br />
une armée avec laquelle il marche contre Bedfort. Chapelain<br />
(lui s'inquiète peu d'imiter les g<strong>en</strong>s par les beaux côtés, à<br />
l'exemple <strong>de</strong> tous les poètes épiques, fait I'énuniéi'atiorl <strong>de</strong>s<br />
troupes ; il lui faut pour cela douze mortelles pages infolio.<br />
La revue vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin d'être teriniiiée, lorsque l'on voit une<br />
légère embarcation glisser sur la Loire ; le bateau s'arrête,<br />
et la belle Agnès <strong>en</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d; elle s'approche <strong>de</strong> Charles<br />
et lui, ti<strong>en</strong>t un long discours.<br />
Elle p<strong>en</strong>se que, puisque Jeanne (l'Arc joue un si grand<br />
rôle, elle peut aussi espérer une part dans les événem<strong>en</strong>ts.<br />
Charles va peut-être cé<strong>de</strong>r à sa niattresse, mais la Pucelle<br />
ne lui <strong>en</strong> laisse pas le temps; elle <strong>en</strong>gage Agnès à retourner<br />
à son château et s'écrie avec beaucoup <strong>de</strong> franchise:<br />
Éloigne <strong>de</strong>, ce camp ton agréable peste.<br />
Agnès ne veut pas <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre davantage et se rembarque.<br />
Pour Charles, triste mais sage, il suit l'héroïne (lu i , afin <strong>de</strong><br />
le distraire, le mène voir l'artillerie. Durant cette inspection,
LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC.<br />
la Pucelle parle <strong>de</strong> Richemont au roi et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa<br />
grâce. Charles qui n'a ri<strong>en</strong> à refuser à celle qui lui r<strong>en</strong>d la<br />
couronne, redonne sa confiance à Artur et trouve <strong>en</strong> lui nu<br />
soli<strong>de</strong> appui. 11 ne faut pas permettre aux Anglais <strong>de</strong> re-<br />
pr<strong>en</strong>dre quelque confiance, et Jeanne <strong>en</strong>gage le roi à mar-<br />
cher sur Reims. Bi<strong>en</strong> que, dans une vision, ce hardi conseil<br />
lui eût déjà été donné, Charles hésite: Satan, toujours<br />
contraire 'n la France, a fait naître (les doutes dans l'âme<br />
du prince et <strong>de</strong> ses conseillers; mais Jeanne finit par vaincre<br />
toutes les difficultés.<br />
Agnès, très-irritée <strong>de</strong> la manière dont elle a été reçue, se<br />
déci<strong>de</strong> à réveiller la haine du duc <strong>de</strong> Bourgogne; il vi<strong>en</strong>t<br />
d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> négociation avec Charles, mais satis doute il est<br />
<strong>en</strong>core temps <strong>de</strong> le ram<strong>en</strong>er au parti <strong>de</strong>s Anglais. Nouvelle<br />
Armi<strong>de</strong>, Agnès ne réussit que trop dans ses projets et<br />
Philippe va <strong>de</strong> nouveau s'offrir à Bedfort.<br />
C'est après le sacre , c'est au milieu d'un joyeux festin<br />
que le roi appr<strong>en</strong>d les dispositions <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>nemis. Inquiet<br />
<strong>de</strong> l'av<strong>en</strong>ir, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Jeanne si elle ne pourrait pas lui<br />
faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ses voix. Jeanne y cons<strong>en</strong>t, et accompagnée<br />
<strong>de</strong> Dunois et (le Charles, elle se r<strong>en</strong>d dans la grotte <strong>de</strong><br />
Sain L-Marculplie. —II fallait être Chapelain pour mettre un<br />
tel nom dans un vers. —Dans cette grotte, une vision ap-<br />
pr<strong>en</strong>d à Jeanne qu'elle mourra à Rou<strong>en</strong>; Jeanne bénit la<br />
volonté <strong>de</strong> Dieu, et Charles est tout joyeux <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant les<br />
voix lui prédire les gran<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> Louis XIV. Chapelain<br />
profite (le l'occasion l)0UV adresser divers complim<strong>en</strong>ts à<br />
son Mécène, le duc <strong>de</strong> Longueville.<br />
Les Anglais sont <strong>en</strong>core UHC fois battus; ils s'<strong>en</strong>fui<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
désordre vers Paris, dont la reine Isabeau leur fait ouvrir<br />
les portes. Les Français emport<strong>en</strong>t les faubourgs, qu'ils<br />
1)
20 LES POÈTES DE JEANt4F. 'ARc,<br />
brûl<strong>en</strong>t d'après les conseils d'Amaury; <strong>de</strong> toutes parts on<br />
fihiL <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> valeur, l'attaque <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t désastreuse<br />
pour les assaillants. Dunois est tombé dangereusem<strong>en</strong>t<br />
blessé, peut-être il va expirer; mais la princesse Marie qui<br />
J'a aperçu <strong>de</strong> son palais, sort <strong>en</strong> toute hâte, court à son<br />
perfi<strong>de</strong> et le réclame comme son prisonnier.<br />
Jeanne qui voit ses troupes repoussées s'élance h l'assaut,<br />
atteinte d'une flèche, elle combat 'vaillamm<strong>en</strong>t contre Tal-<br />
hoi qui se r<strong>en</strong>d. —Grâce à la valeur qu'elle montre, Paris<br />
va être pris; tout à coup la retraite sonne, Jeanne ne pou-<br />
vant compr<strong>en</strong>dre que l'on ait pu donner un tel ordre, est<br />
onti'air1te <strong>de</strong> se retirer et arrive auprès du roi. Charles<br />
l'accueille avec <strong>de</strong>s outrages et la bannit <strong>de</strong> sa prés<strong>en</strong>ce.<br />
Qui n pu causer un tel changem<strong>en</strong>t? Le démon, qui n dirigé<br />
un trait sur Amaury, puis qui pr<strong>en</strong>ant la figure d'un guer-<br />
rier, a dénoncé Jeanne comme l'auteur <strong>de</strong> cette mort.<br />
Dieu veut punir l'ingratitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Charles, il s'adresse à<br />
Jeanne et lui ordonne <strong>de</strong> se retirer. La Pucelle intercè,<strong>de</strong>,<br />
mais inutilem<strong>en</strong>t pour son roi; Dieu comman<strong>de</strong> à Jeanne<br />
(le quitter l'armée sur-le-champ.<br />
p.<br />
La nouvelle du départ <strong>de</strong> l'héroïne jette la consternation<br />
dans les troupes; elles ne reconnaiss<strong>en</strong>t plus <strong>de</strong> chefs et<br />
se dispers<strong>en</strong>t dans le plus grand trouble. Pont' Jeanne, elle<br />
s'est réfugiée dans la forêt <strong>de</strong> Compiègne; une grotte lui<br />
a offert un asile, d'où son frère Rodolphe 'vi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt<br />
l'arracher. L'armée du duc <strong>de</strong> Bourgogne est dans les <strong>en</strong>-<br />
virons, et si la Pucelle persistait h rester dans ces lieux,<br />
elle pourrait tomber dans les mains <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis. C'est à<br />
Compiègne que Jeanne CL son fière se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t. Le peuple<br />
accueille l'héroïne pal' <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> joie: cette allégresse est<br />
<strong>de</strong> peu (le durée, Jeanne déclare qu'elle ne doit plus pr<strong>en</strong>dre
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
les armes, que Dieu le lui déf<strong>en</strong>d. Cep<strong>en</strong>dant la ville est<br />
assiégée, on force la Pucelle à combattre; elle s'élance sut<br />
soit et se précipite an milieu (les Bourguignons. Au<br />
retour <strong>de</strong> cette sottie, elle trouve le pont <strong>de</strong> Compiègne<br />
levé; les <strong>en</strong>nemis l'<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t. Prisonnière et blessée elle<br />
est transportée avec son frère dans le camp bourguignon.<br />
Là se trouve cet évéque <strong>de</strong> Beauvais dont le nom cira-<br />
rouché tous les poètes; Pierre Cauchon , zélé et farouche<br />
partisan <strong>de</strong>s Anglais, a <strong>de</strong>puis longtemps conçu pour<br />
l'héroïne une haine implacable; déjà il la voue ait<br />
il soigne la blessure <strong>de</strong> Jeanne qui, guérie, est conduite<br />
à Rou<strong>en</strong>. Dieu pardonne à la Pucelle sa désobéissance,<br />
<strong>de</strong>s esprits bi<strong>en</strong>heureux vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'ai<strong>de</strong>r à supporter ses<br />
maux, et les gar<strong>de</strong>s qui veill<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>tré <strong>de</strong> la prison tes-<br />
t<strong>en</strong>t stupéfaits <strong>en</strong> voyant quelquefois les sombres voùtcs<br />
éblouissantes d'une céleste clarté et <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant résonner<br />
(le divins concerts autour <strong>de</strong> la captive.<br />
C'est ainsi que finit le douzième chant du poème <strong>de</strong> Cha-<br />
pelain; douze aunes chants (lui le termin<strong>en</strong>t sont restés<br />
manuscrits. Agnès <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte l'héroïne <strong>de</strong><br />
cette secon<strong>de</strong> partie, et Jeanne n'y parait guère que pour<br />
monter sur le bûcher, dont l'auteur décrit longuem<strong>en</strong>t les<br />
formes.<br />
Nous avons cité assez <strong>de</strong> mauvais vers <strong>de</strong> la Pucelle pour<br />
que, sans que l'on nous accuse (le partialité à l'égard <strong>de</strong><br />
Chapelain , nous puissions répéter que la première partie<br />
<strong>de</strong> son poème n'est pas mal conduite. Nous dirons même<br />
que cette oeuvre, dans son <strong>en</strong>semble, n'est pas aussi ri-<br />
dicule qu'on le croirait d'après la lecture <strong>de</strong> Boucau.<br />
Chapelain a droit, ce nous semble, à quelque i'eeon-<br />
naissance pour avoir traité oit sujet national, pour avoir
LES POÈTES DE 3EÂNNE D'ARC.<br />
banni la mythologie, pour avoir <strong>en</strong>fin comm<strong>en</strong>cé cette<br />
révolution littéraire qui s 'est accomplie <strong>de</strong> nos jours. Pour-<br />
quoi, <strong>en</strong> ouvrant son oeuvre, ne dirions-nous pas avec<br />
Cal<strong>de</strong>ron.<br />
BaeLa<br />
Ifaherlo int<strong>en</strong>ta(14) que hay<br />
Perdidas con alahanza.'<br />
Il eif1it <strong>de</strong> l'avoir t<strong>en</strong>té, il ',' a <strong>de</strong>s tcliecs qui peuv<strong>en</strong>t mériter<br />
<strong>de</strong>s louanges.
M.<br />
La Pucelle d'Orléans dé, Schiller.<br />
La plus singulière idée qui ait pu passer par la tête <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux faiseurs <strong>de</strong> couplets, a certainem<strong>en</strong>t été celle <strong>de</strong><br />
transporter Jeanne d'Arc sur les planches du théAtre du<br />
vau<strong>de</strong>ville. Ce fut ce que MM. l)eulafoy et Gersin exécu-<br />
tèr<strong>en</strong>t avec succès <strong>en</strong> 181.<br />
P<strong>en</strong>dant qu'<strong>en</strong> France, la Pucelle chantait <strong>de</strong>s concetti<br />
patriotiques sur les airs: T<strong>en</strong>ez, moi je suis un bon homme...<br />
Qu'il est flatteur d'épouser celle, l'Allemagne saluait avec<br />
<strong>en</strong>thousiasme une autre Jeanne d'Arc. Un poète étranger<br />
avait v<strong>en</strong>gé l'héroïne <strong>de</strong> nos injures, <strong>de</strong> notre oubli, <strong>de</strong><br />
notre mauvais goût : Schiller avait écrit sa belle tragédie.
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
C'est cette pièce qui va maint<strong>en</strong>ant nous occuper. Nous<br />
n'abordons qu'avec crainte cette partie <strong>de</strong> notre travail. Le<br />
nom <strong>de</strong> Schiller est si grand, que nous nous épouvantons à<br />
la p<strong>en</strong>sée que nous oserons iie pas toujours admirer l'il<br />
lustre dramatiste. La Jeanne d'Arc <strong>de</strong> Schiller n'est pas celle<br />
que nous montr<strong>en</strong>t nos chroniques. Celle-ci ne <strong>de</strong>vint<br />
sublime que par une inspiration céleste; jusqu'à ce que<br />
Dieu lui eût manifesté ses volontés, ce n'était qu ' une jeune<br />
fille timi<strong>de</strong> dont ri<strong>en</strong> ne pouvait faire présager les hautes<br />
<strong>de</strong>stinées. Ayant <strong>en</strong>tassé <strong>de</strong>rrière elle les prodi ges et les<br />
exploits, l'héroïne n'a point perdu sa simplicité, sa can<strong>de</strong>ur<br />
toute virginale; ses succès ne l'<strong>en</strong>orgueilliss<strong>en</strong>t pas, c'est<br />
à Dieu seul qu'elle rapporte sa gloire Vivant au milieu<br />
d'hommes d'armes, combattant chaque jour, ayant conti-<br />
nuellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lugubres tableaux sous les yeux, la Pucelle<br />
a conservé la douceur, l'horreur du sang, tous les s<strong>en</strong>ti-<br />
m<strong>en</strong>ts, toutes les vertus <strong>de</strong> son sexe. Voilà comme l'histoire<br />
nous u dépeint Jeanne d'Arc, <strong>en</strong> établissant <strong>de</strong>s contrastes<br />
merveilleux et faits, il nous semble, pour charmer le<br />
poite.<br />
Jeanne d'Arc, dans Schiller, n montré, tout <strong>en</strong>fant, un<br />
courage viril. Raymond parle d'un loup auquel, bi<strong>en</strong> jeune<br />
<strong>en</strong>core, elle arracha un agneau.<br />
Cette énergie dont Jeanne n toujours fait preuve, r<strong>en</strong>d<br />
ses désirs belliqueux moins extraordinaires. Schiller, tout<br />
<strong>en</strong> se privant d'un contraste poétique à un haut <strong>de</strong>gré,<br />
r<strong>en</strong>d l'interv<strong>en</strong>tion céleste moins visible. il cache <strong>en</strong>core le<br />
doigt <strong>de</strong> Dieu, <strong>en</strong> provoquant par la vue d'un casque l'<strong>en</strong>-<br />
thousiasme guerrier qui s'empale <strong>de</strong> la Pucelle. Le récit <strong>de</strong>s<br />
nmlheurs <strong>de</strong> la France , les ordres donnés par les saintes<br />
voix, <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t suffire pour le faire n'aître.
LÉS POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
Jeanne est peut-être trop guerrière dans la tragédie<br />
alleman<strong>de</strong>; elle oublie Domremv, les souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> son <strong>en</strong>-<br />
fance, elle s'<strong>en</strong>ivre <strong>de</strong>s grands bruits <strong>de</strong>s combats, elle tue<br />
avec cruauté Montgomery qui lui crie gièce. On croirait<br />
que la Clorin<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Jérusalem a quelquefois posé sous<br />
les yeux <strong>de</strong> Schiller.<br />
Par rapport au plan que s'était proposé le poète, il était<br />
probablem<strong>en</strong>t nécessaire, du reste, <strong>de</strong> tracer ainsi le carac-<br />
tère <strong>de</strong> la Pucelle; pour préparer à l'amour subit que lui<br />
inspire Lionel, il fallait montrer que les passions humaines<br />
avai<strong>en</strong>t prise sur son ème.<br />
Mais cet amour, né d'une manière si invraisemblable,<br />
n'est-il pas une fûcheuse conception? —Aristote tant citéja-<br />
dis, si peu lu aujourd'hui, dit qu'il ne faut pas représ<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s<br />
personnages d'une vertu sans taches, passant du bonheur<br />
au malheur; qu'une telle chose excite non la terreur ou la<br />
pitié, niais l'horreur. Il ajoute que le héros d'une tragédie<br />
doit avoir eu quelques erreurs graves, dont la catastrophe<br />
<strong>de</strong> la pièce soit <strong>en</strong> quelque sorte ht conséqu<strong>en</strong>ce.' Schiller<br />
a-t-il songé à Atistote? cela n'est pas probable; mais <strong>en</strong>fin<br />
il s'est conformé, par suite peut-être <strong>de</strong> ses propres ré-<br />
flexions, aux préceptes <strong>de</strong> la poétique. Nous ne savons pas,<br />
du reste, si la loi inv<strong>en</strong>tée par Aristote est d'une <strong>en</strong>tière<br />
vérité. En lisant le récit <strong>de</strong> l'exécution <strong>de</strong> Marie Stuart,<br />
nous sommes moins touchés qu'<strong>en</strong> lisant les détails du sup-<br />
plice <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, parce que nous nous souv<strong>en</strong>ons <strong>de</strong><br />
Darnley, <strong>de</strong> Bothwell, et que le billot préparé par Elisabeth<br />
nous semble v<strong>en</strong>ger d'autres morts. 11 se peut que l'on<br />
nous dise qu'il ne faut pas faire <strong>de</strong> parallèle <strong>en</strong>tre l'histoire<br />
Poétique, ch. Xlii.<br />
4<br />
t
L__ _____<br />
26 LES FO?TES DE JEANNE D'ARC.<br />
et une oeuvre dramatique; cette objection nous semblerait<br />
manquer <strong>de</strong> justesse.<br />
L'émotion qu'excite tin même événem<strong>en</strong>t, quelle que soit<br />
la forme sous laquelle cet événem<strong>en</strong>t soit rappelé, ne saurait<br />
changer <strong>de</strong> caractère. Qu'un lugubre épiso<strong>de</strong> Soit dialogué<br />
ou simplem<strong>en</strong>t raconté, il ne produira sur nous qu'une s<strong>en</strong>-<br />
sation id<strong>en</strong>tique; cette s<strong>en</strong>sation s'accroiLra suivant le tal<strong>en</strong>t<br />
du pote et <strong>de</strong> l'histori<strong>en</strong>; elle pourra être portée par le<br />
premier 'a un plus haut <strong>de</strong>gré que par le second, mais elle<br />
ne changera pas d'espèce. Nous pourrions, du reste, aua-<br />
quer par <strong>de</strong>s faits le principe <strong>en</strong> question; plusieurs tiagé-<br />
dies ou il se trouve violé ont obt<strong>en</strong>u <strong>de</strong> beaux succès:<br />
ainsi nous sommes vivem<strong>en</strong>t touchés <strong>de</strong> la mort dés Enfants<br />
d'Édouard, et leur innoc<strong>en</strong>ce est complète.<br />
Nadaaie <strong>de</strong> Staël croit que la passion donnée h Jeanne<br />
est une conception habile, parce que, dans une pièce <strong>de</strong><br />
théâtre , une fime tout b fait sainte produirait le même effet<br />
que <strong>de</strong>s êtres allégoriques ou merveilleux dont on prévoit<br />
d'avance toutes les actions, et qui , n'étant point agités par<br />
les passions humaines, ne nous représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t point le combat<br />
ni l'intérêt dramatique. M. Chau<strong>de</strong>s-Aigues p<strong>en</strong>se <strong>de</strong> même<br />
que Jeanne, h cause <strong>de</strong> la perfection <strong>de</strong> sa nature, ne doit pas<br />
être mise <strong>en</strong> scène. N'y a-t-il pas dans ces assertions une<br />
erreur qui provi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce que l'on n'a pas assez étudié le<br />
caractère 41e la Pucelle. Si l'on veut, suivant l'exemple <strong>de</strong><br />
Goerres, <strong>en</strong> faire une sainte, il tic faut pas la choisir pour<br />
l'héroïne d'une tragédie; mais qu'on la pr<strong>en</strong>ne telle que<br />
l'histoire l'a représ<strong>en</strong>tée, et l'on verra diverses passions lutter<br />
<strong>en</strong> elle. Après le sacre <strong>de</strong> Charles VII, Jeanne se jette h<br />
ses g<strong>en</strong>oux <strong>en</strong> le priant <strong>de</strong> la laisser retourner h Domrcmy<br />
le roi l'<strong>en</strong>gage h l'ester avec lui; il s'<strong>en</strong>suit une opposition
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
<strong>en</strong>tre l'amour <strong>de</strong> la patrie et l'amour <strong>de</strong> la famille. Ici<br />
la Jeanne <strong>de</strong> l'histoire remplit même les conditions voulues<br />
par Aristote; elle s<strong>en</strong>t que le ciel l'abandonne, cite veut<br />
continuer sans Dieu iiiie oeuvre COflIIHCHCéC avec Dieu il<br />
y a là une sorte <strong>de</strong> désobéissance dont le liùcher <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong><br />
<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le châtim<strong>en</strong>t.<br />
Vers la fin <strong>de</strong> sa vie, Jeanne offre le spcctacle d'autres<br />
combats. L'effroi que lui cause la perspective d'une mort<br />
affreuse, le désir <strong>de</strong> l'ester digne d'elle, la crainte <strong>de</strong> suc-<br />
comber <strong>en</strong> iie se s<strong>en</strong>tant plus Foitifiée par les voix, font naître<br />
<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s luttes. Enfin l'exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tière <strong>de</strong>Jeanne prés<strong>en</strong>te<br />
un contraste qui est admirable d'un côté, la faiblesse qui<br />
vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la terre; <strong>de</strong> l'autre, la force qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Dieu.<br />
Plus nous considérons tout ce que la vie <strong>de</strong> Jeanne n <strong>de</strong><br />
dramatique, plus nous nous désolons que Schiller se soit<br />
écarté <strong>de</strong> la vérité; plus nous regrettons <strong>de</strong> lui voir donner<br />
à la Pucelle un amour ins<strong>en</strong>sé, d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre Thibaut d'Arc<br />
dénoncer sa fille comme sorcière; <strong>de</strong> trouver, au lieu du<br />
bûcher <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong>, une tour d'où l'héroïne, prisonnière <strong>de</strong>s<br />
Anglais, s'échappe pour aller une <strong>de</strong>rnière fois assurer le<br />
triomphe <strong>de</strong>s si<strong>en</strong>s. Le dénouem<strong>en</strong>t que Schiller a donné h<br />
sa pièce a été généralem<strong>en</strong>t blâmé. Madame <strong>de</strong> Staël a dit<br />
avec beaucoup <strong>de</strong> raison : e Le merveilleux d'inv<strong>en</strong>tion, à<br />
côté du merveilleux transmis par l'histoire, ôte h ce sujet<br />
quelque chose <strong>de</strong> sa gravité......Le simple récit <strong>de</strong> la<br />
fin <strong>de</strong> Jeanne d'Arc émeut bi<strong>en</strong> pins que le dénouem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> Schiller. Lorsque la poésie veut ajouter à l'éclat d'un<br />
Personnage historique, il faut (lu moins qu'elle lui con-<br />
serve avec soin la physionomie qui le caractérise, car la<br />
gran<strong>de</strong>ur n'est viaimeiit frappante que quand on sait lui<br />
donner l'air naturel. Or, dans le sujet (le Jeanne d'Arc
28 LES POÈTES ES JEANNE D'ARC.<br />
c'est le fait véritable qui non-seulem<strong>en</strong>t a plus <strong>de</strong> natu-<br />
rel, mais plus <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur que la fiction.<br />
Si le <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Schiller eût été plus<br />
conforme i l'histoire, cette tragédie, cri dépit <strong>de</strong>s défauts<br />
que nous avons cru y remarquer et que nous avons eu la<br />
hardiesse <strong>de</strong> signaler, aurait mérité d'être appelée un chef-<br />
d'oeuvre. Telle qu'elle est, la Pucelle d'Orléans est <strong>en</strong>core<br />
une belle et gran<strong>de</strong> production ; le prologue, le premier<br />
acte, la scène <strong>de</strong> Jeanne et du duc <strong>de</strong> Bourgogne sont d'ad-<br />
mirables morceaux,<br />
Nous n'avons point parlé <strong>de</strong> la charp<strong>en</strong>te complète du<br />
drame <strong>de</strong> Schiller, parce qu'elle n déjà été l'objet d'exam<strong>en</strong>s<br />
nombreux et quelquefois sévères.<br />
Lorsque nous nous occupons d'un auteur étranger, i est<br />
rare que nous sachions placer son oeuvre ir son jour. C'est<br />
avec <strong>de</strong>s idées françaises que nous critiquons les conceptions<br />
<strong>de</strong> l'Espagne, <strong>de</strong> l'Angleterre, <strong>de</strong> l'Italie, <strong>de</strong> l'Allemagne;<br />
nous prononçons hardim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s arrêts qui seront sans va-<br />
leur tant que nous n'aurons pas su <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir les compatriotes<br />
et les contemporains (le l'écrivain que nous prét<strong>en</strong>dons ap-<br />
précier. On o reproché CI Schiller <strong>de</strong>s longueurs, <strong>de</strong>s scènes<br />
incid<strong>en</strong>tes; si l'on avait considéré ces scènes plus att<strong>en</strong>tive-<br />
m<strong>en</strong>t, on aurait vu qu'elles sont souv<strong>en</strong>t utiles pour faire<br />
<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t connaitre un caractère, pour peindre une<br />
époque. On aurait vu que les Allemands, plus pati<strong>en</strong>ts (lue<br />
nous, - qui voulons que ri<strong>en</strong> ne retar<strong>de</strong> la marche <strong>de</strong><br />
'action, —<strong>en</strong> écoutant att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s scènes qui nous<br />
sembl<strong>en</strong>t oiseuses, s'initi<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>t à la connaissance<br />
<strong>de</strong>s personnages. 011 aurait vu <strong>en</strong>fin que, p' suite <strong>de</strong> cCtt<br />
Allemagne, tome 4, pats 44-446.
LES POÈTES DE 3EANE D ' ARC. 29<br />
initiation, le drame a pour eux plus <strong>de</strong> vie, plus <strong>de</strong> vérité<br />
qu'il n'<strong>en</strong> peut avoir pour nous.<br />
Notre caractère léger n'a pas pu supporter dans la tragé-<br />
die <strong>de</strong>s digressions qu'il a tolérées dans la comédie: dans<br />
l'une, elles aurai<strong>en</strong>t eu une gravité qui et effrayé; tandis<br />
i tie dans l'autre, ces scènes accessoires ont pu s'empreindre<br />
d'assez dc gaîté pour se faire pardonner d'avoir <strong>en</strong>travé un<br />
instant la progression <strong>de</strong> l'intrigue. Plusieurs comédies <strong>de</strong><br />
Molière offr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s exeinples<strong>de</strong> scènes incid<strong>en</strong>tes: on pourrait<br />
supprimer beaucoup <strong>de</strong> passages (le Don Juan sans que le<br />
spectateur fût frappé <strong>de</strong> cette mutilation ; ces passages qui<br />
sembl<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants les uns (les antres, sont toutefois unis<br />
par un li<strong>en</strong> puissant (]ans l'imagination du poéte, et con-<br />
coul<strong>en</strong>t tous àl'elfct général <strong>de</strong> ]*oeuvre. Remarquons qu'il est<br />
injuste <strong>de</strong> permettre ii la comédie <strong>de</strong>s développem<strong>en</strong>ts que<br />
l'on refuse à la tragédie; elle <strong>en</strong> a moins besoin que cette<br />
<strong>de</strong>rnière, parce qu'elle retrace <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la vie bout-<br />
geoise, parce que le spectateur y r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong>s caractères,<br />
<strong>de</strong>s passions qu'il peut avoir tous les jours sous les yeux, et<br />
que, pal' conséqu<strong>en</strong>t, il peut compr<strong>en</strong>dre sans préparation.<br />
La tragédie s'inspirant d'événem<strong>en</strong>ts auxquels il n'est pas<br />
donné h tons les hommes <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre part, (le passions plus<br />
ard<strong>en</strong>tes que celles <strong>de</strong> la vie ordinaire, animant <strong>de</strong>s êtres<br />
r<strong>en</strong>dus exceptionnels ou par leurs malheurs ou par leurs<br />
crimes, aurait besoin au contraire <strong>de</strong> tous ces développe-<br />
m<strong>en</strong>ts qu'on lui refuse; ils lui serai<strong>en</strong>t nécessaires pour<br />
familiariser les spectateurs avec <strong>de</strong>s situations auxquelles ils<br />
sont étrangers, avec <strong>de</strong>s caractères dont ils ne sautai<strong>en</strong>t<br />
découvrir aucun type autour d'eux. Ces développem<strong>en</strong>ts ne<br />
<strong>de</strong>vrai<strong>en</strong>t pas sans doute tomber sur <strong>de</strong>s personnages se-<br />
condaires, et pour cette raison on pourrait, dans la Pucelle
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
d'Orléans, Mûmer la création d'Agnès Sorel. Dans un poénie,<br />
dans Lin roman, cette création eût été heureuse, parce que<br />
Fauteur aurait <strong>en</strong> assez d'espace pour opposer Agnès i<br />
Jeanne. Dans un drame, cette opposition peut ii peine être<br />
indiquée; Agnès <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t alors un rôle parasite qui attire<br />
I'atteiition sans produire d'effet. Quant au rôle d'lsabeau <strong>de</strong><br />
Bavière, troisième contraste clierdié par Seliiller, il a été<br />
généralem<strong>en</strong>t regardé comme une fôclieuse conception.<br />
Il y a quelques années, une nouvelle école littéraire pré-<br />
conisait l'imitation constante <strong>de</strong> la nature. Cette nouvelle<br />
école plaçait Schuller au nombre <strong>de</strong> ses cIiel ; Schiller<br />
cep<strong>en</strong>dant nous semble loin d'être toujours vrai dans les<br />
détails. Thibaut, Raymond, Berirand, parl<strong>en</strong>t avec une<br />
poésie trop continue, se serv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> trop d'épithètes, et<br />
leurs discours suppos<strong>en</strong>t une instruction qu'ils n'ont point<br />
reçue. Un drame ne peut exister sans <strong>de</strong> nombreuses iii-<br />
vraisemblances; ces invraisemblances augm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />
(Jans un drame <strong>en</strong> vers, puisque les personnages mis <strong>en</strong> scène<br />
s'exprim<strong>en</strong>t comme jamais aucun peuple ne s'est exprimé,<br />
mais il y a une vérité relative qui doit être respectée.<br />
C'est li la poésie comme 'a la peinture (lue s'adresse le<br />
conseil <strong>de</strong> Raphaël On doit peindre la nature non pas<br />
telle qu'elle est, mais telle qu'elle <strong>de</strong>vrait être. Ceci ne<br />
veut pas dire qu'il faut se créer un mon<strong>de</strong> fantastique, niais<br />
qu'il faut idéaliser cc qui se trouve dans le mon<strong>de</strong> réel.<br />
Lorsque le poète anime <strong>de</strong>s hommes grossiers, il ne doit<br />
pas les peindre dans toute leur rusticité, mais il iie<br />
doit leur prêter que <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, que <strong>de</strong>s discours qu'ils<br />
puiss<strong>en</strong>t avoir. Ces lionunes éprouv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> vives émotions,<br />
conçoiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s p<strong>en</strong>sées qu'ils ne sav<strong>en</strong>t pas r<strong>en</strong>dre.<br />
Si le poéte s'empare <strong>de</strong> ces êtres abrupts, il doit, ce nous
LES POÈTES ]DE. JEANNE D'ARC. 51<br />
semble, leur faire formuler ces idées, ces émotions qui<br />
dans la réalité , manquerai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> eux (le termes Pont , se tra-<br />
duire; mais l'expression dont ils se serviront, quoique noble<br />
ou élégante, restera empreinte (le simplicité. Le poéte, dans<br />
ces circonstances, ne repoussera pas toutes les ligures, car<br />
il <strong>en</strong> est quelques-unes que le peuple emploie souv<strong>en</strong>t avec<br />
une énergie vraim<strong>en</strong>t dantesque; uiiais si le poéte yeti tconserver<br />
du naturel ait il évitera soigneusem<strong>en</strong>t toutes péri-<br />
phrases et toute allusion érudite. Schiller détruit l'illusion<br />
du spectateur <strong>en</strong> faisant dire à Bertrand Telles que <strong>de</strong>s<br />
essaims d'abeilles qui se press<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nuages obscurs autour<br />
<strong>de</strong> leur ruche i°' un jour d'été; telles que ces milliers<br />
(le sauterelles qui, poussées par un v<strong>en</strong>t funeste, four-<br />
mill<strong>en</strong>t sur nos champs et couvr<strong>en</strong>t (les lieues <strong>en</strong>tières à<br />
perte <strong>de</strong> vue; telles se sont, rassemblées vers les campagnes<br />
d'Orléans les aimées (le toutes les nations. ' 13e, trand<br />
parle <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s peuples qui habit<strong>en</strong>t l'heureux Brabant; <strong>de</strong><br />
ceux qui, dans l'opul<strong>en</strong>te cité <strong>de</strong> Gand, s'<strong>en</strong>orgueilliss<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
leurs vétem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> soie, <strong>de</strong> la lointaine Osi-Frise, et méne <strong>de</strong>s<br />
contrées voisines <strong>de</strong>s glaces du pôle.<br />
Il est singulier qu'au temps <strong>de</strong> nos guerres littéraires, on<br />
ait accusé Racine d'avoir prêté à ses héros titi sans<br />
vérité, et que cette raison ait contribué à le faire meure<br />
beaucoup au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Shakspeare, (le Lope <strong>de</strong> Vega<br />
<strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron, <strong>de</strong> Schiller. Nous croyons que Racine ne peut<br />
offrir aucun exemple d'une invraisemblance aussi gran<strong>de</strong> que<br />
celle que nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> citer.<br />
Que Jeanne d'Arc s'exprime souv<strong>en</strong>t avec une haute poésie,<br />
(lue ses discours dénot<strong>en</strong>t même <strong>de</strong>s connaissances dont,<br />
sa position , elle dut être privée, il n 'y ari<strong>en</strong> là qu'à loue,'.<br />
Jeanne est inspirée; cette inspiration agrandit soit et
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
peut lui dévoiler le passé comme l'av<strong>en</strong>ir. L'histoire ne lui<br />
attribue pas ces élans d'une éloqu<strong>en</strong>ce biblique que Schiller<br />
lai u prètés; mais cep<strong>en</strong>dant l'héroïne eut, durant ses in-<br />
terrogatoires, <strong>de</strong>s réponses assez sublimes, mit assez <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> noblesse dans ses phrases, pour que le poète,<br />
prodiguant pour elle toutes les richesses <strong>de</strong> la poésie Iviique,<br />
soit <strong>en</strong>core plus fidèle à la vérité qu'on n'a le droit <strong>de</strong> l'exiger<br />
<strong>de</strong> lui.<br />
Telles sont les différ<strong>en</strong>tes remarques que nous u suggérées<br />
la lecture att<strong>en</strong>tive <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Scijillet'. En les faisant,<br />
nous nous sommes plus d'une fois rappelé ces paysans <strong>de</strong><br />
la Toscane qui, am<strong>en</strong>és à Flor<strong>en</strong>ce par quelques affaires<br />
s'arrêt<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant le Perse tic B<strong>en</strong>v<strong>en</strong>uto Cellini, <strong>de</strong>vant le<br />
David <strong>de</strong> Michel-An ge , et dans leur esprit inculte, a(lflhii'eflt<br />
ou critiqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s oeuvres que l'artiste s'effi'aierait d'avoir à<br />
juger,
Iv.<br />
Voltaire. - D'Arigny. - Soumet. - ancv. - C. 1idaiglle.<br />
Dans cette revue <strong>de</strong>s poètes <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, on n'aura<br />
sans doute pas été surpris <strong>de</strong> notre sil<strong>en</strong>ce h l'égard <strong>de</strong> Vol-<br />
taire. 11 y a quelques années, un exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> son poème<br />
aurait pu être utile; il eut été bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> faire voir quelle<br />
flagornerie il y avait à mettre sur la même ligne la Pucelle<br />
et Roland. Dans la Pucelle, on eût dénoncé un <strong>en</strong>tassem<strong>en</strong>t<br />
d'épiso<strong>de</strong>s sans liaison; on eût montré que dans tous ces vers<br />
souv<strong>en</strong>t si pleins (l'esprit, il n'y e pas une p<strong>en</strong>sée du coeur; on<br />
aurait fait remarquer combi<strong>en</strong> ce parti pris <strong>de</strong> tout dénigrer,<br />
5<br />
s
34 LES POÈTES DE JEANT'IE D'ARC.<br />
cette monotonie <strong>de</strong> scepticisme et d'impiété sont contraires<br />
à la poésie; il eût été facile à la plume la moins exercée <strong>de</strong><br />
noter les nombreux passages où, par la vulgarité <strong>de</strong>s ex-<br />
pressions, par la froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s plaisanteries, Voltaire se<br />
ravale à n'&re que l'imitateur <strong>de</strong> Saint-Amant, <strong>de</strong> Pulci et<br />
<strong>de</strong> Scaron.<br />
Ce vers, à propos d'un homme qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> perdre la main,<br />
est du plus mauvais burlesque.<br />
Poton <strong>de</strong>puis n, sut Jamais écrire,<br />
Et j'ai trahi La Trémouille et l'amour<br />
Pour assister à <strong>de</strong>ux n:essesparjour.<br />
Telle est la pitoyable facétie que débite Dorothée i l'instant ofr<br />
elle craint pour la vie <strong>de</strong> son amant. Ou sont le naturel et la vérité?<br />
Est—ce ainsi que l'Ariostc parle dans le touchant épiso<strong>de</strong><br />
d'isabelle ?<br />
Ces trois vers-<br />
Jeanne, qu'anime une chréti<strong>en</strong>ne rage,<br />
Eu s'éveillant lui ,Iétvlic un soufflet<br />
A point fermé sur son vilain visage,<br />
,appell<strong>en</strong>t tout à fait le style trivial <strong>de</strong> I'ulci disant: quo l'ange <strong>de</strong><br />
Dieu vous ti<strong>en</strong>ne par le toupet,<br />
L'angel di Dio vi t<strong>en</strong>ga pci ciuffetto.<br />
C'est à Pulci à lierni qu'il fallait comparer Voltaire, mais non<br />
L'An osto.
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
Dans !îoland, on eût fait admirer ces vingt intrigues<br />
qui se crois<strong>en</strong>t, s'interromp<strong>en</strong>t, se r<strong>en</strong>ou<strong>en</strong>t, sans que le<br />
lecteur soit fatigué <strong>de</strong> cette multiplicité d'événem<strong>en</strong>ts, sans<br />
qu'il per<strong>de</strong> <strong>de</strong> vue tous ces personnages, tant ils sont<br />
vigoureusem<strong>en</strong>t tracés, tant les physionomies sont diffé-<br />
r<strong>en</strong>tes, tant les caractères sont bi<strong>en</strong> observés; on eût<br />
montré cette inépuisable imagination qui jette ici un<br />
joyeux conte, là un touchant épiso<strong>de</strong>, qui passe avec une<br />
prodigieuse mobilité d'une s<strong>en</strong>sation à l'autre; on eût Iàit<br />
écouter cette douce philosophie qui parle au milieu <strong>de</strong>s plus<br />
extravagantes fantaisies; on eût fait reconnaître, dans tous<br />
ces héros fantastiques, <strong>de</strong>s passions vraies; on eût fait voir<br />
l'homme savamm<strong>en</strong>t étudié sous le magique armet (le<br />
Mambrin, ou sous la peau invulnérable <strong>de</strong> Roland; on eût<br />
ri <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ce sérieux avec lequel l'Arioste s'appuie <strong>de</strong><br />
l'autorité <strong>de</strong> Turpin, <strong>de</strong> ce bon et franc comique qui naît<br />
<strong>de</strong>s situations, qui r<strong>en</strong>d le personnage divertissant à son<br />
insu, comme Alceste disant<br />
1'a1embleu je ne croyais pas être<br />
Si plaisant que je suis.<br />
Ce parallèle eût conduit à p<strong>en</strong>ser que Voltaire n'était<br />
qu'un homme (]'infinim<strong>en</strong>t d'esprit. M. <strong>de</strong> Maistre, parlant<br />
du philosophe <strong>de</strong> Ferney, n dit qu'il rappelle Corneille et<br />
Racine connue les hypocrites rappell<strong>en</strong>t les saints. Cette<br />
p<strong>en</strong>sée nous semble d ' une gran<strong>de</strong> vérité. L'inspiration véri-<br />
table ne se montre pas chez Voltaire, il n'<strong>en</strong> n que le reflet.<br />
Byron. qui tant (le fois lit para<strong>de</strong> <strong>de</strong> scepticisme, re-<br />
connaissait que tout grand poéte est nécessairem<strong>en</strong>t un
36 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
homme religieux , et souv<strong>en</strong>t comme <strong>en</strong> dépit <strong>de</strong> lui-mrnç,<br />
il traduisait les mouvem<strong>en</strong>ts pieux qui s'élevai<strong>en</strong>t dans sou<br />
âme; puis une plaisanterie obscène, un rire d'incrédule le<br />
remettai<strong>en</strong>t dans le triste rôle qu'il s'était assigné.<br />
La Pucelle suffirait à prouver que Voltaire n'était pas<br />
poéte dans la plus belle, la plus complète acception <strong>de</strong> cc<br />
mot; l'homme semblable à Virgile et à Dante n'eût jamais<br />
songé à souiller le nom (le Jeanne d'Arc, à écrire un livre<br />
où tout ce qui <strong>en</strong>noblit notre nature, où tout ce qui s'adresse<br />
avec le plus d'éloqu<strong>en</strong>ce à notre coeur, la religion , le mal-<br />
heur, la gloire <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'objet (le pei'pétuelles dérisions.<br />
Schiller est resté stupéfait <strong>de</strong>vant l'oeuvre dépravée <strong>de</strong><br />
Voltaire, et il u signalé <strong>en</strong> quelque sorte la différ<strong>en</strong>ce qui<br />
existe <strong>en</strong>tre l'esprit et le génie. S'adressant à Jeanne d'Arc,<br />
il u (lit<br />
Pour souiller la plus noble création <strong>de</strong> l'humanité, In<br />
raillerie te jeta dans la poussière. L'esprit est <strong>en</strong> lutte<br />
éternelle avec le beau; il ne croit ni à Dieu, ni aux anges;<br />
il ravit au coeur ses trésors; pour combattre l'erreur, il<br />
ofF<strong>en</strong>se la foi.<br />
Mais la poésie, comme Loi du sexe doux, comme toi<br />
une pieuse bergère, la poésie te prés<strong>en</strong>te sa main divine;<br />
, elle attache l'auréole à ton front, et s'élève avec toi vers<br />
les astres immortels. Le coeur te créa , tu vivras éter-<br />
nellem<strong>en</strong>t.<br />
Le mon<strong>de</strong> aime à ternir l'éclat; il aime à traîner ce<br />
I qui est sublime dans la poussière. Mais ne crains ri<strong>en</strong><br />
i li y u <strong>en</strong>core <strong>de</strong> belles âmes qui brûl<strong>en</strong>t pour le beau<br />
Conversations <strong>de</strong> Lard Byron.
LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 37<br />
Que Momus égaie la foule, un esprit noble n'aimera<br />
jamais que les nobles créations.<br />
Notre siècle u v<strong>en</strong>gé Jeanne d'Arc <strong>de</strong> Voltaire; <strong>en</strong> France,<br />
plusieurs poites ont aussi réhabilité la mémoire <strong>de</strong> la Pucelle.<br />
Le premier <strong>en</strong> date est d'Avrigny. La tragédie <strong>de</strong> cet auteur<br />
obtint du succès, mais cep<strong>en</strong>dant elle donna lieu à <strong>de</strong>s criti-<br />
ques assez vives: selon les uns, 1'liioïne était continuellem<strong>en</strong>t<br />
dans la même situation ; selon les autres, ce n'était qu'une<br />
longue agonie, qu'un procès à la cour d'assises. Ces re-<br />
proches, qui ne Sont pas privés (le toute vérité, Ont €Le<br />
vivem<strong>en</strong>t repoussés par Hoffmann.<br />
Le spirituel critique montre, ii notre s<strong>en</strong>s, beaucoup <strong>de</strong><br />
partialité à l'égard <strong>de</strong> d'Àvrigny. Dans Jeanne d'Arc,<br />
dit-il, les beaux vers se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1ule; ils form<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> longues tira<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s scènes <strong>en</strong>tières; ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
tellem<strong>en</strong>t à l'action, ils dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t l'un <strong>de</strong><br />
i l'autre, ils sont si égaux <strong>en</strong> mérite, qu'ils paraiss<strong>en</strong>t être<br />
sortis <strong>en</strong> masse dit <strong>de</strong> l'auteur, et ne peuv<strong>en</strong>t être<br />
isolés sans perdre <strong>de</strong> leur élégance et <strong>de</strong> leur, éclat. J'ai<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du (lire souv<strong>en</strong>t d'autres tragédies qu'il y avait (le<br />
i beaux vers; on peut (lire <strong>de</strong> celle-ci qu'elle est écrite cri<br />
beaux vers.<br />
Nous ne saurions être <strong>de</strong> l'avis d'Iloffniann: les vers <strong>de</strong><br />
M. d'Avrigny sont <strong>en</strong> général corrects, mais ne sont réell<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t<br />
point beaux; ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t i <strong>l'école</strong> (le Delille; c'est<br />
Aire que le naturel <strong>en</strong> est banni, et que la périphrase y<br />
triomphe. NOUS allons (lu reste mettre le lecteur à même <strong>de</strong><br />
voir si nous nous trompons<br />
Chanis joj lzr'.s <strong>de</strong> l'Allemagne I: Iu,ii,n d, I L AtIiiu. r '2!4
LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
Mon nom vous est connu . Depuis que je suie ndc,<br />
L'hiver n'a pas vingt foie vu s'achever l'année.<br />
Sous un rustique toit Dieu cacha mon berceau<br />
Non loi,, <strong>de</strong> Vaucoulcurs quelques prés, un troupeau,<br />
Des auteurs <strong>de</strong> sues Jours composai<strong>en</strong>t la richesse<br />
Le travail <strong>de</strong> leurs mains nourrissait leur vieillesse.<br />
Docile 'a leurs leçons, heureuse à leur côté,<br />
Mon <strong>en</strong>Fance croissait dans la simplicité.<br />
Un soir (il m'<strong>en</strong> Souvi<strong>en</strong>t) , <strong>de</strong> la cime <strong>de</strong>s monte<br />
L'orage ers s'ét<strong>en</strong>dant m<strong>en</strong>açait nos vallons.,<br />
Tout fuyait.... Près <strong>de</strong> là, l'ombre d'un chènc antique<br />
Protégeait du hameau la chapelle rustique.<br />
J'y cours, et sur la pierre ois j'implorais tes cieux,<br />
Le sommeil malgré moi vint me fermer les veux.<br />
Tout à coup , <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> gloire éclatante<br />
Du céleste ssjour une jeune habitante,<br />
La houlette à la main, se montre <strong>de</strong>vant moi<br />
- Humble fille <strong>de</strong>s uliatIips, (lit-Clic, lève—toi!<br />
1)u souverain <strong>de</strong>s cieux l'ordre vers toi nnn'aminie;<br />
a G<strong>en</strong>eviève est mon non,. Les rives <strong>de</strong> la Seine<br />
Me vir<strong>en</strong>t comme toi conduire <strong>de</strong>s troupeaux.<br />
Quand du fier Attila les funestes drapeaux<br />
Envoyai<strong>en</strong>t la terreur aux <strong>de</strong>ux bouts <strong>de</strong> la France,<br />
» Ma voix, au nom du ciel, promit sa délivrance.><br />
Dans ce passage, nous avons souligné les tournures<br />
<strong>de</strong> phrase (Jiti nous sdnhI)l<strong>en</strong>t donner <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>flure au style<br />
les expressions qui nous paraiss<strong>en</strong>t pouvoir être regardées<br />
comme <strong>de</strong>s chevilles, et <strong>en</strong>fin un pronom sa employé <strong>en</strong><br />
(lépit <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la grammaire. Si Hotfmann avait eu alliiic<br />
ii ce qu'il appelait un roniantique, ci[-il iuiontr l'iriduleiic<br />
Jean,7 ,1 Ire s m it III . ar '
LÉS POÈTES DE JRANNE D'ARC. 39<br />
dont il fait preuve dans les lignes que nous avons citées tout<br />
à l'heure?<br />
Après d'Avrigny est v<strong>en</strong>u M. Soumet dont la réputation<br />
n été si fort augm<strong>en</strong>tée par la publication <strong>de</strong> la Divine Épopée.<br />
Comme sa tragédie est peut-être moins connue que celle <strong>de</strong><br />
d'Avrigny, nous <strong>en</strong> tracerons le plan.<br />
Jeanne, captive à Rou<strong>en</strong>, est consolée dans sa prison<br />
par un pieux solitaire, Adhéniar, qui lutte, niais <strong>en</strong> vain,<br />
contre Hermangart. Ce <strong>de</strong>rnier, remarquons-le <strong>en</strong> passant,<br />
montre à la Pucelle une haine qui n'est pas assez motivée.<br />
On a employé une ruse affreuse pour perdre Jeanne: l'évêque<br />
<strong>de</strong> Beauvais s'est r<strong>en</strong>du à Vau<strong>couleurs</strong>, il y a vu Jacques<br />
d'Arc, cc lui n persuadé <strong>de</strong> dénoncer sa fille comme abusée<br />
par la magie; il lui n prés<strong>en</strong>té cette dénonciation comme<br />
un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> salut. Jeanne appr<strong>en</strong>d que son père est un<br />
<strong>de</strong> ses accusateurs; Adhémar la rassure, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que<br />
Jacques soit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Jacques est arrivé le jour même à<br />
Rou<strong>en</strong>; le solitaire Fa vu, c'est <strong>de</strong> lui qu'il a appris la trame<br />
ourdie par l'évêque <strong>de</strong> Beauvais. On ordonne que Jacques<br />
soit introduit; une partie <strong>de</strong> la vérité se décourc, et lier-<br />
mangari ne compte plus pour perdre Jeanne que sur le<br />
duc <strong>de</strong> Bourgogne.<br />
Celui-ci aune <strong>en</strong>trevue avec la Pucelle, et dans une scène<br />
dérivée <strong>de</strong> Shakspearc, pleine <strong>de</strong> beautés poétiques, mais<br />
manquant peut-être <strong>de</strong> vraisemblance, Jeanne détermine<br />
Philippe à oublier la mort <strong>de</strong> son pèle et h pr<strong>en</strong>dre le parti<br />
<strong>de</strong> la France.<br />
Dans cet instant, on vi<strong>en</strong>t lire à Jeanne l'arrêt qu'Her-<br />
mangart est parv<strong>en</strong>u h faire prononcer contre elle. Philippe,<br />
se faisajit le déf<strong>en</strong>seur <strong>de</strong> la Pucelle, réclame le jugem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> Dieu; il combat Bedfort, il est vaincu, et Jeanne arrachée
40<br />
LES P0ITES DE JEANNE D'ARC.<br />
à son père et à ses soeurs qui ont accompagné le vieillard,<br />
monte sur le bêcher.<br />
La tragédie <strong>de</strong> M. Soumet nous semble, sous le rapport<br />
du style, supérieure à celle <strong>de</strong> (l'Avrigny; on y remarque<br />
quelques vers qui rappell<strong>en</strong>t Corneille: tels sont, <strong>en</strong>tre<br />
autres, les <strong>de</strong>ux suivants;<br />
Tu trahis ton pays et parles <strong>de</strong> serm<strong>en</strong>ts<br />
La révolte touj ours finit par l'esclavage.<br />
On pourrait cep<strong>en</strong>dant reprocher aussi à M. Soumet une<br />
forme <strong>de</strong> vers un peu vieillie, un peu monotone, <strong>de</strong> ces mots<br />
qui arriv<strong>en</strong>t appelés par le seul besoin <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s syllabes,<br />
l'emploi d'épithètes inutiles, d'hémistiches qui se trouv<strong>en</strong>t<br />
partout. t Adhémar <strong>en</strong> nos murs! .......Mais dans cette<br />
prison, pourquoi porter vos pas? s<br />
Quant à la donnée <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> M. Soumet, elle a,<br />
comme celle <strong>de</strong> d'Avrignv, l'inconvéni<strong>en</strong>t d'offrir p<strong>en</strong>dant<br />
cinq actes une même situation, La fin <strong>de</strong> Jeanne d'Arc<br />
est tellem<strong>en</strong>t connue, que la chance <strong>de</strong> salut que vi<strong>en</strong>t<br />
lui offrir le duc <strong>de</strong> Bourgogne n'est peut-être pas une<br />
heureuse inv<strong>en</strong>tion. On n'aime pas à voir ce prince vaincu<br />
par Bedfort. Pour dire notre p<strong>en</strong>sée tout <strong>en</strong>tière, nous<br />
trouvons aussi la Jeanne d'Arc <strong>de</strong> M. Soumet trop lacé-<br />
démoni<strong>en</strong>ne; il flOUS semble qu'<strong>en</strong> elle l'antagonisme <strong>de</strong><br />
la faiblesse <strong>de</strong> la jeune fille et <strong>de</strong> l'inspiration céleste n'est<br />
pas assez vigoureusem<strong>en</strong>t indiqué; <strong>en</strong>fin nous regrettons<br />
Ce défaut est causé par la fameuse règle d'unité <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> lieu<br />
que les <strong>de</strong>ux poetea n'ont pas osé <strong>en</strong>freindre. Manzoni, l'illustre auteur<br />
'les Fiancés, du comte <strong>de</strong> Carmagnola, s combattu cette règle pat<br />
iexcelkntc p raisons.
LES PÙi'TF.S 1)1' jEANNrDARC. 41<br />
que M. Soumet n'ait pas profité <strong>de</strong>s interrogatoires, ils con-<br />
ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s traits vraim<strong>en</strong>t remarquables.<br />
Un autre poète qui, moins heureux que M. Soumet, n'a<br />
pas vu représ<strong>en</strong>ter son oeuvre, M. Nancy, n compris que l'on<br />
pouvait tirer parti <strong>de</strong>s réponses <strong>de</strong> Jeanne<br />
Lorsque <strong>de</strong>s sainte autels bravant la iiiajesté,<br />
Valois osa dans Reims y pr<strong>en</strong>dre la couronne,<br />
Votre él<strong>en</strong>dard <strong>en</strong> main , voue étiez près du trône?<br />
- J'ai mérik l'honneur qu'on m'ose reprocher;<br />
Et qui relèe un trône, a droit d '<strong>en</strong> approcher....<br />
- Par <strong>de</strong>s acc<strong>en</strong>ts magiques,<br />
Vous saviez exalter vos guerriers fanatiques?<br />
- Je leur disais: <strong>en</strong>trez dans les rangs <strong>de</strong>s Anglais,<br />
Et ma bannière <strong>en</strong> main <strong>de</strong>vant eux j'y courais.<br />
On pourrait blâmer M. Nancy <strong>de</strong> n'avoir pas r<strong>en</strong>du assez<br />
simplem<strong>en</strong>t les interrogatoires; il n, comme ses rivaux,<br />
employé l'alexandrin classique, qui , avec ses épithètes,<br />
ses hémistiches réguliers, son affection pour la périphrase,<br />
nous semble fatal à tous les tableaux empruntés au moy<strong>en</strong><br />
âge. La simplicité <strong>de</strong>s chroniqueurs disparaît <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t,<br />
sous un tel système rhythmique. La ' stricte observance <strong>de</strong><br />
la césure, la prohibition <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>jambem<strong>en</strong>t force à délayer<br />
l'idée, et donne quelque vérité à la plaisanterie <strong>de</strong> Voltaire<br />
disant à l'empereur <strong>de</strong> la Chine:<br />
Ton peuple est-il soumis ?s cette loi si dure<br />
Qui veut qu'avec six pieds d'une égale mesure,<br />
De <strong>de</strong>ux alexandrins, cite à côte marchans,<br />
L'un serve pour la rime et l'autre pour te s<strong>en</strong>s?<br />
Si bi<strong>en</strong> que sans ri<strong>en</strong> perdre, <strong>en</strong> bravant cet usage,<br />
On pourrait retrancher la moitié d'un ouvrage.<br />
6
LES I'OITI5 LE JEANNE D'ARC.<br />
Un livre dont la réputation a été bi<strong>en</strong> gran<strong>de</strong>, les Messé -<br />
ni<strong>en</strong>nes, nous offre <strong>de</strong>ux morceaux sur Jeanne d'Arc. L'idée<br />
première <strong>de</strong>s Messéni<strong>en</strong>nes semble avoir été (le populariser<br />
les malheurs et les gloires <strong>de</strong> la patrie; <strong>de</strong> remplir, mais<br />
d'une manière plus relevée , la mission tloiit l'Espagne a<br />
chargé ses Romances historiques. Nous ne savons si ce <strong>de</strong>ssein<br />
n été heureusem<strong>en</strong>t exécuté dans les <strong>de</strong>ux pièces sur la<br />
Pucelle; il nous semble qu'elles sont un peu déclamatoires,<br />
que les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts qu'elles exprim<strong>en</strong>t paraiss<strong>en</strong>t avoir été<br />
quelquefois péniblem<strong>en</strong>t cherchés; nous croyons <strong>en</strong>core<br />
qu'on peut y remarquer <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> style complètem<strong>en</strong>t<br />
eu désaccord avec le g<strong>en</strong>re du sujet.<br />
Tu ne reverras pIUS tes rianIe montagnes<br />
Le temple, le hameau, les champs <strong>de</strong> Vau<strong>couleurs</strong>.<br />
Pourquoi donc ce mot <strong>de</strong> temple, qui, an lieu <strong>de</strong> transporter<br />
l'imagination sous la grossière ogive d'une église <strong>de</strong> village,<br />
l'appelle au milieu <strong>de</strong>s spl<strong>en</strong><strong>de</strong>urs mythologiques <strong>de</strong> Rouie<br />
ou <strong>de</strong> la Crèce? Remarquons, <strong>en</strong> passant, (lue presque tous<br />
les poêles <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, à comm<strong>en</strong>cer par Martial <strong>de</strong><br />
Paris, ont célébré Vau<strong>couleurs</strong> au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Domremv,<br />
qui n'amène à sa suite que <strong>de</strong>s rimes <strong>en</strong> petit nombre et<br />
d'un emploi difficile.<br />
V<strong>en</strong>ez, jeunes I autts ; v<strong>en</strong>ez, braves guerriers;<br />
Versez sur s<strong>en</strong> tombeau <strong>de</strong>s lauricis et <strong>de</strong>s roses.<br />
Qu'un jour le voyageur, <strong>en</strong> parcourant ces bois,<br />
Cueille un rameau sacré, l'y dépose et s'écrie<br />
A celle qui sauva le trinc et la patrie,<br />
t Et n'obtint qu'un tombeau pour prix <strong>de</strong> ses exploite. »<br />
Mais ce tombeau, Jeanne d'Arc ne l'a pas même obt<strong>en</strong>u;
LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 43<br />
et ces vers, outre le tort qu'ils ont d'exprimer une fausseté,<br />
sembl<strong>en</strong>t faits pint& pour Clélie ou pour Lucrèce que pour<br />
Jeanne d'Arc. Ais lieu <strong>de</strong> ce froid appel aux jeunes beautés,<br />
aux braves guerriers, au lieu <strong>de</strong> ces lauriers, <strong>de</strong> ces roses, <strong>de</strong><br />
ce voyageur et <strong>de</strong> son rameau sacré, pourquoi M. Delavigne<br />
n'a-t-il point parlé <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>dres <strong>de</strong> la Pucelle jetées dans la<br />
Seine, <strong>de</strong> son coeur resté intact au milieu <strong>de</strong>s flammes, (le<br />
la blanche colombe qui s'élança du bûcher au ciel, <strong>de</strong> toutes<br />
ces choses t<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> la lég<strong>en</strong><strong>de</strong>, dont un poète bi<strong>en</strong> ignoré<br />
paraît avoir compris la poésie:<br />
Postremo <strong>en</strong>ituit pietas in morte pueiI:<br />
In cinerem cunctos dùm flamma resoîverat anus,<br />
Illϐas cor liabet v<strong>en</strong>as (mirabile dictu) ,<br />
j'ec sinceri anjmi temerant inc<strong>en</strong>dia se<strong>de</strong>m.<br />
Albaque tum visa est orbi prodire columba,<br />
Et petcre athereos multis spectantibus orbes. 2<br />
Les six vers suivants n'exprim<strong>en</strong>t, selon nous, que <strong>de</strong>s<br />
p<strong>en</strong>sées communes, usées, lrniles faites <strong>en</strong>fin<br />
Des armes, voilà sa parure<br />
Et ses plaisirs sont <strong>de</strong>s combats.<br />
Ah ! pleures, fille in['ortun.e,<br />
Ta jeunesse va se flétrir<br />
Dans sa fleur trop tôt moissonnée!<br />
Adieu, beau ciel, il faut mourir!<br />
Valerandus Vatanius De gesis Joannœ s'irgizzis.<br />
2 e Enfin la piété <strong>de</strong> la Pucelle brilla dans la mort: tandis que la<br />
flamme réduisait tous ses membres <strong>en</strong> c<strong>en</strong>dres, son coeur se conserva<br />
intact (chose admirable à dire). Le feu n'osa toucher au siége <strong>de</strong> sort<br />
noble courage, et une colombe blanche , aux yeux <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong><br />
spectateurs, s'éleva du bûcher et gagna les plaines éthérées, »
44 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />
N'y a-t-il pas plus d'<strong>en</strong>flure que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur dans cette<br />
idée? Le poète s'adresse à Dieu:<br />
Gui<strong>de</strong>z au lieu du supplice,<br />
A défaut du tonnerre, un chevalier français?<br />
M. Delavigne a été généralem<strong>en</strong>t loué pour la pureté <strong>de</strong><br />
son style; nous doutons pourtant que le mot pieux puisse<br />
être pris <strong>en</strong> mauvaise part, s'appliquer aux juges <strong>de</strong> Jeanne<br />
d'Arc:<br />
lis seront rejetés ces pieux imposteurs!<br />
On pourrait désigner ainsi non Pierre Cauchon et ses<br />
complices, mais <strong>de</strong>s hommes qui, pour faire le bi<strong>en</strong>, userai<strong>en</strong>t<br />
d'une frau<strong>de</strong> innoc<strong>en</strong>te.<br />
Dans les <strong>de</strong>ux Messéni<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> question, M. C. Delavigne<br />
n'a pas, nous le croyons, r<strong>en</strong>contré cet élan, cet <strong>en</strong>thou-<br />
siasme qui anime quelques-uns <strong>de</strong> ses chants, Parthénopc<br />
et l'Étrangère, par exemple.<br />
Pour r<strong>en</strong>dre plus complète cette revue <strong>de</strong>s poétes <strong>de</strong><br />
Jeanne d'Arc, nous rappellerons que, dans la Chevalerie<br />
française, notre spirituelle compatriote M Tastu n écrit<br />
quelques stances sur la Pucelle; que les Annales romantiques<br />
ont jadis publié divers fragm<strong>en</strong>ts d'un poi'rne <strong>de</strong> M. Sou--<br />
met et un morceau <strong>de</strong> M. Bignon sur notre héroine; que<br />
tout récemm<strong>en</strong>t M. A. Barbier lui n consacré un sonnet.<br />
Les poètes n'ont pas été seuls à s'émouvoir au souv<strong>en</strong>ir<br />
<strong>de</strong> la Pucelle; la femme distinguée qui se cache sous le<br />
pseudonyme d'Anna Marie, et plus nouvellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,<br />
M. Alexandre Dumas, ont écrit chacun un ouvrage<br />
seini- romanesque sur Jeatiit d.i. Iltv t <strong>de</strong>attt
LES POÈTES DE JEANNE D ' AlU;. 4i<br />
plusieurs peintres. Enfin la princesse Matie d'Orléans a Èiit<br />
une statue <strong>de</strong> la Pucelle que l'on peut admirer sans être<br />
courtisan.<br />
Mais Jeanne d'Arc n'est pas à sa place; c'est à l'épopée<br />
bi<strong>en</strong> plus <strong>en</strong>core qu'à la tragédie, qu'à l'o<strong>de</strong>, qu'à la<br />
statue, qu'au tableau, à s'inspirer <strong>de</strong> sa vie, épopée toute faite<br />
et faite <strong>de</strong> Dieu. Il n' y :t plus qu'à confier aux vers le soin<br />
<strong>de</strong> traduire l'histoire; niais où est le sublime traducteur qui<br />
<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dra cet ouvrage? Quand paraitra-t-il? paraîtra-t-il<br />
jamais.' Verra-t-on rassemblées dans un nième esprit les<br />
vertus poétiques <strong>de</strong> Corneille, <strong>de</strong> Racine, (le Laniartine et<br />
<strong>de</strong> V. Hugo? Et c'est cet inespéralile faisceau <strong>de</strong> génies qu'il<br />
faudrait à celui qui voudrait être l'llomère <strong>de</strong> la Pucelle.<br />
Peut-être ec que nous aurons toujours <strong>de</strong> plus admirable<br />
sur Jeanne d'Arc, est-il tout simplem<strong>en</strong>t la chronique naïve<br />
qui raconte ses exploits.
JEANNE DARC.<br />
CHARLES VII.<br />
DUNOLS.<br />
TANNEGUY DU CUASTIL.<br />
LAHIRE.<br />
POTON DE SAINTRAILLES.<br />
PERSONNAGES.<br />
Louis DE CULANT, amiral <strong>de</strong> France.<br />
GEORGES DE LA TRÉMOIIILLE.<br />
TILI.OYE<br />
r <strong>en</strong>voyés d'Orléans.<br />
1LLARS,<br />
LE DUC D'ALENÇON.<br />
JACQUES »'Anc.<br />
RAYMOND.<br />
JEAN F0NTAN,<br />
GUILIIERT DE LA HAYE,<br />
MI(.ILEL NORVIL,<br />
GUILLAUME BERLIER,<br />
GAZZOT DE IJAUTEVILLE,<br />
ROBERT JAY,<br />
LN ÉCUYER.<br />
UN PAGE.<br />
PIERRE,<br />
JACQUEMIN, frères <strong>de</strong> Jean-ne.<br />
JEAN,<br />
MARGUERITE, sur <strong>de</strong> Jeanne.<br />
hommes d'armes.<br />
I<br />
4
PIERRE CArCR0N, évêque <strong>de</strong> Battrais.<br />
LE COMTE DE VÂRW1CK.<br />
LE DUC DE LUÏEM BOURG .<br />
FRÈRE MARTIN LADVENU.<br />
NICOLLE LOYSLLEUR.<br />
JEAN DESTIVLT. -<br />
LN HÉRAUT ANGLAIS.<br />
UN APPARITEUR OU HUISSIER.<br />
UN CHEVALIER ANGLAIS.<br />
L'archevêque <strong>de</strong> h11ei111s<br />
L'abbé <strong>de</strong> Saint-R<strong>en</strong>i.<br />
L'évêque <strong>de</strong> S<strong>en</strong>s.<br />
L'iqne <strong>de</strong> CIiûlons.<br />
Le sire <strong>de</strong> Boussac.<br />
Le sire <strong>de</strong> GraviLle.<br />
Le baron <strong>de</strong> Raiz.<br />
Le sire <strong>de</strong> Mailly.<br />
Le sire <strong>de</strong> Clermont.<br />
Le sire <strong>de</strong> J3eaurnanoir.<br />
PERSONXI GIS flh1JE7.<br />
Jean Daulon, écuyer <strong>de</strong> Jeanne.<br />
Raymond <strong>de</strong> Contes, pages <strong>de</strong> JC(LI11U.<br />
Louis <strong>de</strong> Contes,<br />
A rnblev il] e<br />
Guy<strong>en</strong>ne,<br />
Quinze assesseurs.<br />
hérauts <strong>de</strong>Jeanne.<br />
Trois notaires apostoliques.
A<br />
Un bourreau.<br />
L'ai<strong>de</strong> du bourreau.<br />
Un chirurgi<strong>en</strong>.<br />
Trois femmes.<br />
Un hôtelier.<br />
Deux hommes d'armes.<br />
Prélats, Prêtres, Chevaliers, Magistrats tic Rheims. -<br />
Itoinmcs d'armes, Peuple, Enfants, Timbaliers, '1't'o,.<br />
peLtes etc., etc.<br />
Le prologue à Doinrcmy. —Le premier acte et le <strong>de</strong>uxième<br />
acte à Chinon, - Le troisième à Rheims. - Le quatriènie<br />
et le Cinquième à Rou<strong>en</strong>.<br />
'1L29. -. 1 i5•1.
JEANE D ARC.<br />
COSTUMES.<br />
JJN,E D',RC. Durant le prologue et le <strong>de</strong>uxième acte, elle<br />
est vèttie d'une robe <strong>de</strong> laine d'un rouge bruit-' Au troisième<br />
acte, elle est couerte d'une armure blanche, non <strong>en</strong> mailles<br />
mais <strong>en</strong> fer plein; cite porte une cotte d'armes <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant<br />
moins bas que le g<strong>en</strong>ou, f<strong>en</strong>due par les côtés , serrée par un<br />
ceinturon auquel est susp<strong>en</strong>due l'épée <strong>de</strong> Fierbois. D'une époque<br />
cette arme diffère <strong>de</strong>s épées <strong>en</strong><br />
bi<strong>en</strong> anLrieure au xve siècle,<br />
usage alois ; elle est <strong>de</strong> la longueur dti lnas, large do trois<br />
doigts à la gar<strong>de</strong> et. <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux à la pointe. 2 La poignée est <strong>en</strong><br />
croix. La cotte d'armes est <strong>de</strong> lin pourpre, brodée d'or et<br />
d'arg<strong>en</strong>t: cest ainsi qu'était celle que Jeanne portait lorsqu'elle<br />
fut prise. a Signo militari ce reste quam supra arma rerebat wjnila<br />
(crut au 1cm ca pur purca byssia auro argcntuque intexlcrto fiarcc<strong>en</strong>s)<br />
d robuslo equite qui restem appreh<strong>en</strong>dcrat equo <strong>de</strong>trahitur.<br />
» ( Lib. 1V Iter. Burg.)<br />
J'ai cherché, mais <strong>en</strong> vain, à découvrir d'où u pu v<strong>en</strong>ir<br />
l'usage <strong>de</strong> coiffer Jeanne d'Arc d'une espèce <strong>de</strong> loque garnie<br />
<strong>de</strong> plumes. Une statue placée à Domrcxuy sous le règne <strong>de</strong><br />
Louis Xi représ<strong>en</strong>te l'héroïne ayant un casque à côté d'elle.<br />
lans l'ouvrage <strong>de</strong> hlordal (heronce nobilissimœ Joannœ 1)arc<br />
historia), on voit la représ<strong>en</strong>tation d'une sculpture qui ortiait<br />
le pont d'Orléans, et qui montre Jeanne ayant aussi un<br />
casque à ses pieds.<br />
Au quatrième et an cinquième acte, Jeanne est <strong>en</strong> habits<br />
d'homme, chaperon <strong>de</strong> laine, biake, pourpoint <strong>de</strong> drap som-<br />
bre. 3 Elle ne porte les cheveux rumme une femme que p<strong>en</strong>dant<br />
le prologue et le <strong>de</strong>uxième acte.<br />
Nonce <strong>de</strong> M. Mettaul.<br />
.t'at/iauz Le.-rand d'Aussv, t. I, p. 2O.<br />
3 J)oc'um<strong>en</strong>:s sur 11 Pucelle.<br />
s
JEÀtE i)%L(.<br />
Le gonfanon <strong>de</strong> Jeanne est <strong>de</strong> satin blanc parsemé <strong>de</strong> fleurs<br />
<strong>de</strong> lis d'or; au milieu est Dieu assis sur <strong>de</strong>s nuées et t<strong>en</strong>ant<br />
un globe dans ses mains. Au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>ux anges sont <strong>en</strong><br />
adoration; dans la main <strong>de</strong> l'un d'eux est un lis sur lequel Dieu<br />
semble répandre ses bénédictions. Les noms Jltesus. Marie,<br />
brill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lettres d'or sur ce gonfaaon. 1 Je n'ai pu découvrir si<br />
cet ét<strong>en</strong>dard était attaché comme nos drapeaux mo<strong>de</strong>rnes ou<br />
comme les bannières <strong>de</strong> nos églises.<br />
Cn&nrEs \11. Au premier et au <strong>de</strong>uxième acte, il porte un<br />
pourpoint, espèce <strong>de</strong> camisole fort serrée, attachée par <strong>de</strong>s<br />
aiguillettes à <strong>de</strong>s hauts-<strong>de</strong>-chausses collant à la jambe, et <strong>de</strong><br />
tissu blanc. Des épaules, que l'on élargissait avec cc que Ion<br />
appelait <strong>de</strong>s ina/wiircs, part<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s manches qui vont jusqu'au<br />
cou<strong>de</strong>, d'où elles <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t amples et tailladées. Le chapeau<br />
est pointu, et le bord, qui <strong>en</strong> est assez large, se relève par <strong>de</strong>rrière<br />
<strong>de</strong> manière à former sur le front une sorte <strong>de</strong> gouttière.<br />
Les cheveux <strong>de</strong> Charles tomb<strong>en</strong>t jusqu'au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ses oreilles,<br />
il n'a ni barbe ni moustaches. Son pourpoint est bleu, parsemé<br />
<strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis d'or. A sou cou est l'ordre <strong>de</strong> l'Étoile. Il porte<br />
ers baudrier une écharpe blanche.' Au troisième acte, Charles<br />
est couvert d'un pourpoint <strong>de</strong> damas violet, d'une robe <strong>de</strong> velours<br />
bleu semée <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis, d'un manteau royal <strong>de</strong> la<br />
même couleur aussi semé <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis et garni d'hermine.<br />
La couronne, posée sur une calotte, est rehaussée <strong>de</strong> huit fleurs<br />
<strong>de</strong> lis d'or, épée et sceptu'e.<br />
LEs CUEVALIERS DF CHARLES VII. Au premier et ait<br />
à peu près comme le roi, saut la couleur <strong>de</strong><br />
acte, ils sont mis<br />
l<strong>en</strong>ts vctem<strong>en</strong>ts (lui 'varie. Beaucoup <strong>de</strong> pourpoints sont écarlate,<br />
couleur qui n'était guère portée que par <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />
In trroga o ires, llïographe un werselle.<br />
Mémorial <strong>de</strong> l'Hist oire <strong>de</strong> Fiance, par L<strong>en</strong>oir.<br />
Mai1iiiu <strong>de</strong> Cousv. - Coutumes et Cérémonies reliqiemes <strong>de</strong> tous<br />
les peuples, tome VII.<br />
51
5 12<br />
JEANNE D'ARC.<br />
haute qualité.' Les g<strong>en</strong>tilshommes employai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant aussi<br />
d'autres <strong>couleurs</strong>: Mathieu <strong>de</strong> Couss!' parle <strong>de</strong> chevaliers vètus<br />
<strong>de</strong> velours noir doublé d'hermine; cheveux comme le roi, point<br />
<strong>de</strong> barbe. Épées , la gar<strong>de</strong> <strong>en</strong> croix, longues <strong>de</strong> trois pieds,<br />
effilées à la pointe.<br />
Au troisième acte, les chevaliers sont couverts <strong>de</strong> leurs armures<br />
et <strong>de</strong> cottes d'armes armoriées. Dunois porte d'azur à<br />
trois fleurs <strong>de</strong> lis d'or, chargé d'un lambeau d'arg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chef<br />
et d'une brisure <strong>de</strong> méme; Culant, d'azur semé d'étoiles d'or,<br />
au lion <strong>de</strong> même sur le tout; Saintrailles, d'arg<strong>en</strong>t à la croix<br />
alaisée <strong>de</strong> gueules; le duc d'Al<strong>en</strong>çon, d'azur à trois fleurs <strong>de</strong> lis<br />
d'or, brisé d'une bordure (le gueules, chargée et sous-brisé (' <strong>de</strong><br />
huit besans d'arg<strong>en</strong>t; Lahire, d'azur au paon rouant d'or, ete.2<br />
Le duc d'Al<strong>en</strong>çon, les seigneurs <strong>de</strong> Mailly, <strong>de</strong> Clermont, <strong>de</strong><br />
Beaumanoir, <strong>de</strong> La Trémouille, port<strong>en</strong>t sur leurs armes <strong>de</strong>s<br />
manteaux <strong>de</strong> pair. 3 Les chevaux sont richem<strong>en</strong>t harnachés, les<br />
mors sont dorés.4 L'a rchevêque <strong>de</strong> Reims et les autres évêques<br />
sont <strong>en</strong> grand costume. Les armes <strong>de</strong> l'église <strong>de</strong>Rheims sont<br />
d'azur semé <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis d'or, à la croix <strong>de</strong> gueules.<br />
LES ENVOYÉS D'ORLÉ25. Robes noires.<br />
JACQUES, RAYMOND, AIWItÉ , LES FRÈRES DE JEAN.-JE. Pourpoint,<br />
hauts-<strong>de</strong>-chausses <strong>de</strong> couleur grise; ceintures et escarcelles <strong>de</strong><br />
peau <strong>de</strong> chèvre, le poil <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors; houseaux montant à peine<br />
aux mollets; chapeaux clabauds, garnis <strong>de</strong> médailles <strong>de</strong> la Vierge<br />
<strong>en</strong> plomb. A Arnicas, dans la chapelle <strong>de</strong>s Machabées, on voyait<br />
une danse macabre du XVe siècle, où un labour<strong>en</strong>t' était représ<strong>en</strong>té<br />
<strong>en</strong> espèce <strong>de</strong> blouse, coiffé d'un bonnet ayant la forme<br />
d'un bonnet <strong>de</strong> coton, portant <strong>de</strong> gros souliers, <strong>de</strong>s culottes.<br />
Laeurne <strong>de</strong> Sainte-Palaye. - Legrand d'Auisy.<br />
L'art hérozque, par La Colombiee.<br />
MonireI.<br />
Monteil, histoire <strong>de</strong>s .Prançai.g <strong>de</strong> di'ers etats. klui.
JEANNE D'ARC.<br />
)t.nGcE1uTE. Mise comme Jeanne.<br />
LES HOMMES D'ARMES. Bottes , éperons , pourpoints <strong>de</strong> c-<br />
lours brodés d'or et mi-partie, chapeaux ornés <strong>de</strong> plumes,<br />
épées.l<br />
L'IHTELIER. Hauts-<strong>de</strong>-chausses, bonnet et pourpoint blancs;<br />
au côté, un couteau à manche <strong>de</strong> cuivre.2<br />
LES CouItTlsNEs. Hcnins. coiffure dans le g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> celles<br />
<strong>de</strong>s Cauchoises, cheveux tressés, robes collantes <strong>de</strong> la taille<br />
et <strong>de</strong>s manches, ceintures dorées, oripeaux.<br />
WAnwIex, LEXEMBOURG, etc. Costume du mémo g<strong>en</strong>re que<br />
celui <strong>de</strong> Charles VII.<br />
PIERRE CÂUCII0N. Soutane violette; sur la tête, un chaperon<br />
couvrant les oreilles.4<br />
LE IIOUIHIRAII. Pourpoint, hauts-<strong>de</strong>-chausses rouges, 5 l'épée à<br />
droite.<br />
LE CHIRURGIEN. Robe grise, ceinture noire, toque et collet<br />
rouges.6<br />
LES ASSESSEURS. Frocs <strong>de</strong> diverses <strong>couleurs</strong>, robes noires et<br />
grises.<br />
LADVENU. Froc brun.<br />
LOYSELEUR. Robe noire f<strong>en</strong>due par <strong>de</strong>vant, ceinture <strong>de</strong> cuir<br />
noir.7<br />
LE IIÉRAIT ANGLAIS. 'ionique <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant au g<strong>en</strong>ou, ample<br />
et flottante, manches larges et tailladées , les trois léopards<br />
brodés sur la poitrine.5<br />
Monteil, Histofre <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> divers états. l<strong>de</strong>uj.<br />
Miniatures <strong>de</strong> Manuscrits du IF siècle.<br />
' C'est ainsi que l'a représ<strong>en</strong>té M. P. Delaroche.<br />
'-Miniatures.<br />
Nonteil , Jfistore <strong>de</strong>i Français <strong>de</strong> dù'ers étais. I<strong>de</strong>m.<br />
Livre d'heures.
PROLOGUE. 1<br />
A pauche, la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc: elle se compose d'un rez-<strong>de</strong>—<br />
chaussée et d'un gr<strong>en</strong>ier; 'a <strong>en</strong>té <strong>de</strong> la porte, terminée par une<br />
grossière ogive, s'ouvre une feri&trc aux vitraux <strong>en</strong>cadrés dans <strong>de</strong><br />
filets <strong>de</strong> plomb; un jardin touche à la cabane, une haie le ferme et<br />
aboutit au jour du cimetière qui occupe te fond. Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce<br />
mur, s'élèv<strong>en</strong>t une croix , <strong>de</strong>s tombes et l'église; <strong>de</strong> l'autre côté du<br />
cimetière , on aperçoit <strong>de</strong>s arbres et quelques maisons <strong>de</strong> J)oinremy.<br />
A droite, un ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> pcupliers.<br />
SCÈNE I.<br />
JEANNE, JACQUES.<br />
JACQUES.<br />
'fil sais l'affection (lue flOUS avons pour loi;<br />
Quels que soi<strong>en</strong>t tes chagrins, ô Jeanne, dis-les moi,<br />
Et tu me trouveras tout prêt, comme ta mère,<br />
A te plaindre, à chercher cc que je pourrais faire<br />
Pour te r<strong>en</strong>dre le calme et la sérénité.<br />
Je m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>s : <strong>en</strong>fant, tu grandis sans gaîté,
56 PROLOGUE.<br />
Je ne te vis jamais folàtre ni rieuse<br />
Tu te montras toujours posée et sérieuse;<br />
Mais Ion front révélait le calme intérieur<br />
li n'<strong>en</strong> est plus ainsi, <strong>de</strong> là vi<strong>en</strong>t ma frayeur......<br />
Moi qui complais te voir, avant peu, mariée<br />
A Rayinond., et heureuse! En vain je t'ai priée<br />
D'accomplir mes souhaits. Dans ces terribles jours,<br />
Une femme n besoin (le trouver du secours,<br />
Cep<strong>en</strong>dant. Aujourd]iui, nous sommes <strong>en</strong>cor maîtres<br />
Des champs qu'ont autrefois cultivés nos ancêtres,<br />
Nous sommes maint<strong>en</strong>ant Francais; mais, dès <strong>de</strong>main,<br />
Sur nos bi<strong>en</strong>s l'<strong>en</strong>nemi pourra mettre la maul.....<br />
JEANNE.<br />
Que je désirerais vous obéir, mon père<br />
JÂCQIJES.<br />
Qui donc à mon vouloir peut te r<strong>en</strong>dre contraire ?<br />
Est-ce qu'un autre amour (hIC tu ti<strong>en</strong>drais secret<br />
De t'unir à Raymoiid , Jeanne, t'empècherait.?<br />
Ah ! ne le croyez pas<br />
JEANNE.<br />
JACQUES.<br />
Pourquoi ces regards tristes<br />
Cet air préoccupé, ue trouble . .... Tu persistes
JEANE D'ARC.<br />
A te taire et pourtant ma douleur, tu la voi<br />
Mes ordres , mes désirs ne peuv<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> sur toi<br />
.lcannc , icanite , qu'as-lu? Parle, je t'<strong>en</strong> supplie,<br />
Je le veux; d'où Le vi<strong>en</strong>t, celte mélancolie<br />
De gràcc, appr<strong>en</strong>ds-le moi.<br />
JEANNE.<br />
Va se manifester la volonté <strong>de</strong> Dieu.<br />
JACQUES.<br />
Peut-étre qu'avant iui<br />
Jeanne, quand un <strong>en</strong>fant fuit les yeux <strong>de</strong> son père,<br />
Cet <strong>en</strong>fant est coupable 5 et c'est 1.01 (lui doit faire<br />
La honte et le malheur <strong>de</strong> mes jouis <strong>de</strong> vieillard<br />
JEANNE 'IoignanI.<br />
Mon père, vous serez moins sévère plus tard.<br />
8
PROLOGUE.<br />
SCÈNE H.<br />
JACQUES, RAYMOND,<br />
JACQUES.<br />
C'est toi, Raymond. Hélas! c'était un nom plus t<strong>en</strong>dre,<br />
C'était le nom <strong>de</strong> fils que tu <strong>de</strong>vais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />
Mais Jeanne ne veut pas me donner ce bonheur.<br />
Employer la m<strong>en</strong>ace, employer la douceur,<br />
Tout est vain; c'est toujours ce même caractère,<br />
Opposant le respect, le calme à la colère,<br />
Cet esprit qui parait plein <strong>de</strong> timidité,<br />
Qui semble se soumettre et se lève indompté..<br />
RAYMOND.<br />
Votre tille n'est pas une femme vulgaire,<br />
Peut-être il lui faut plus qu'une vie ordinaire.<br />
Son regard est profond; souv<strong>en</strong>t à son aspect,<br />
En moi je s<strong>en</strong>s l'amour se changer <strong>en</strong> respect.<br />
Un jour, l'air s'embaumait d'odorantes bouffées,<br />
Je l'aperçus <strong>de</strong> loin sous le hêtre <strong>de</strong>s Fées;
JEANNE 1)'AI(t. 59<br />
La source qui, dit-on, soulage tant <strong>de</strong> maux,<br />
S'écoulait à ses pieds chantant dans les roseaux.<br />
Jeanne était à g<strong>en</strong>oux et priait.; <strong>de</strong>rrière elle,<br />
Des brises murmurai<strong>en</strong>t dans la moisson nouvelle;<br />
Au bas <strong>de</strong> la colline, on voyait dans les prés<br />
Se grouper un troupeau dont s'étai<strong>en</strong>t séparés<br />
Des moutons qui, bêlant, s'égarai<strong>en</strong>t vers la Meiise<br />
Et cherchai<strong>en</strong>t la fraîcheur sous l'ombrage d'une yeuse,<br />
Enveloppé dc lierre et gazouillant d'oiseaux<br />
Le vieux hêtre, sur Jeanne, ét<strong>en</strong>dait ses rameaux<br />
Elle, joignant les mains, et la (aille inclinée<br />
Relevait par mom<strong>en</strong>ts sa tête illuminée<br />
Et tournait vers le ciel un spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> regard.<br />
Je n'osai lui parler, je inc titis à l'écart.<br />
Elle était telle ainsi que je crus faire un rêve.<br />
Je p<strong>en</strong>sai <strong>de</strong>vant moi voir sainte G<strong>en</strong>eviève.<br />
JACQUES.<br />
Tout doit être, à seize ans, et parfum et saveur<br />
Je plains la jeune fille à l'air triste et rêveur,<br />
Et CC (lui te séduit fait mon inquiétu<strong>de</strong>.<br />
Pour Jeanne quel attrait :1 donc la solitu<strong>de</strong> ?<br />
Quel êtrntigc m y stère occupe son esprit?<br />
Son front , <strong>de</strong> 1)1115 CIL plus, chaque jour s'assombrit.<br />
Les jeux et les travaux qui la charmai<strong>en</strong>t naguère<br />
'Fout paraît maint<strong>en</strong>ant la lasser, lui déplaire.<br />
Aux champs sont aujourd'hui ses frères et sa soeur,<br />
Et Jeanne ne court point partager leur labeur.
60 pROLOt;II.<br />
RAYMOND.<br />
Oh ! votre fille est bonne, elle est pure, clic est sainte,<br />
Elle ne <strong>de</strong>vrait pas vous inspirer <strong>de</strong> crainte.<br />
Un malin, suivez-la: quand le jour est v<strong>en</strong>u,<br />
Elle pr<strong>en</strong>d le chemin qui monte au Bois-Chesnu<br />
L'abandonne bi<strong>en</strong>tôt, <strong>en</strong>tre dans la chapelle<br />
De Bermont, <strong>de</strong> ta Vierge et si chaste et si belle:<br />
Elle y tombe à g<strong>en</strong>oux, que voyant sa ferveur,<br />
Vous direz: cet <strong>en</strong>fant est fille du Seigneur;<br />
L'ange la montre à l'ange, aime une soeur <strong>en</strong> elle,<br />
Et voudrait l'appeler dans la joie éternelle.<br />
JACQIES.<br />
J'ai , Raymond, eu trois fois la même vision:'<br />
Jeanne était gran<strong>de</strong>, et moi rempli d'affliction.<br />
Dans cc rêve étonnant, je la voyais assise<br />
Près d'un prince. au-<strong>de</strong>ssus (l'une foule soumise.<br />
Elle t<strong>en</strong>ait un Sceptre orné (le fleurs <strong>de</strong> lis;<br />
Eu long vêtem<strong>en</strong>t blanc l'<strong>en</strong>tourait <strong>de</strong> ses plis,<br />
Et d'autres lis <strong>en</strong>cor scintillai<strong>en</strong>t dans ses voiles<br />
Sur son front reluisait le feu <strong>de</strong> sept étoiles.<br />
Le peuple, les barons, autour d'elle alignés,<br />
Semblai<strong>en</strong>t pleins <strong>de</strong> respect et sétai<strong>en</strong>t inclinés.<br />
Dans cette vision , l'av<strong>en</strong>ir Se révèle<br />
l)c SCS par<strong>en</strong>ts obscurs Jeanne rougirait-elle<br />
En souhaitant déjà (l'atteindre à ces honneurs<br />
Qu'<strong>en</strong> songe , je ne vois qu'au travers <strong>de</strong> mes pleurs
JEANM D'ARC.<br />
Ce trône sur lequel, dans mon rêve, clic monte,<br />
Qui l'y fera placer".... Ah! si c'était la honte.<br />
Jeanne arrive t<strong>en</strong>ant une qu<strong>en</strong>ouille et un I'ucan elle semble<br />
très—preocCupée.<br />
RAYMOND.<br />
Quoi, Jacques, vous croyez qu'un être aimé (le tous,<br />
Et que chacun respecte, et indigne <strong>de</strong> vous?<br />
JACQUES considérant Scanne.<br />
Regar<strong>de</strong> donc, Rayinond, quelle tête p<strong>en</strong>sive<br />
Aucun (le flOS discours à son esprit n'arrive<br />
Son front est abaLtu, puis <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t triomphant...<br />
Mon Dieu! mon Dieu! Raymond, qu'a donc mon pauvre <strong>en</strong>fant?<br />
6j
Mais, qui vi<strong>en</strong>t ?<br />
Quelle nouvelle, André?<br />
A Vau<strong>couleurs</strong>?<br />
D'Orléans <strong>de</strong>s A11-lais?<br />
PROLOGUE<br />
SCÈNE 1H.<br />
LES MÊMES, ANI)RE.<br />
RYt MOrD.<br />
JACQUES.<br />
C'est. André, <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> la ville.<br />
RAYMOND.<br />
JACQUES.<br />
Parlez , est-on tranquille<br />
RAYMOND.<br />
Dit-on t1 11C1( 1 UC chose du roi
JEANNE DARC.<br />
ANDItÉ.<br />
La ville est dans l'effroi.<br />
Dieu gar<strong>de</strong> notre sire et protège la France!<br />
On dit que l'<strong>en</strong>nemi <strong>de</strong> nos côtés s'avance,<br />
Qu'il assiège toujours Orléans; que bi<strong>en</strong>tôt<br />
Orléans ne pourra supporter wi assaut:<br />
Que le duc <strong>de</strong> Bourgogne au roi <strong>de</strong>meure hostile;<br />
Que la lutte parait <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir inutile;<br />
Qu'à Rouvray nous avons <strong>en</strong>core été battus....<br />
Sans un miracle, <strong>en</strong>fin, les Français sont perdus!<br />
Aux succès <strong>de</strong>s Anglais la reine s'associe.....<br />
JACQTJES.<br />
Ainsi s'accomplit donc l'antique prophétie:<br />
N'avait-on pas prédit qu'une femme perdrait<br />
La Fraiice!<br />
JEANNE.<br />
Et qu'une femme aussi la sauverait!<br />
ANï)R.<br />
Où donc est celle-là? Quellc tar<strong>de</strong> à paraitre!<br />
Hélas! où donc est-elle?<br />
JACQUES.
6 If PROLOCUE.<br />
Et le roi, que fait-il?<br />
JEANE.<br />
Elle est J)rOCllC, peut-être.<br />
JACQUES.<br />
RAYMOND.<br />
Veut-il combattre?<br />
ANDRÉ.<br />
Le roi découragé ne quitte pas Chinon.<br />
Ainsi plus d'espérance!<br />
RAYMOND.<br />
ANDRÉ.<br />
Non:<br />
Une terreur extrème',<br />
Etrange, et qu'oncroirait que répand Dieu lui-même,<br />
A fait <strong>de</strong> CCS Français, naguère si hardis,<br />
Des soldats tout craintifs et comme abfitardis.<br />
JACQUES.<br />
Non, Dieu ne voudra pas laisser périr la France<br />
H l'aime, la protège, et pour notre déf<strong>en</strong>se,
JEANNE O'MtC. 65<br />
Qui VOUS dit que le ciel n'a pas déjà choisi<br />
Un grand homme, inconnu tic nous tous jusqu'ici ?<br />
Peut-être à [instant mènic où chacun désespère,<br />
Un v<strong>en</strong>geur va changer la face <strong>de</strong> la guerre.<br />
JEANNE.<br />
Oui , la mesure est pleine , et voici la saison<br />
Où la Vierge s'<strong>en</strong> va comm<strong>en</strong>cer la moisson:<br />
Elle pr<strong>en</strong>dra la faux tranchante,<br />
Et comme <strong>de</strong> pesants épis,<br />
Devant elle, les eflflCIllis<br />
Couvriront la terre sanglante;<br />
La Vierge ne saura pas fuir,<br />
Elle trouvera la victoire<br />
Et sur les rives <strong>de</strong> la Loire,<br />
Les chevaux <strong>de</strong>s Anglais ne vi<strong>en</strong>dront plus h<strong>en</strong>nir<br />
JACQIJES.<br />
Que dit-elle? O mon Dieu! c'est un esprit farouche<br />
Qui possè<strong>de</strong> ma tille et parle par sa bouche<br />
.JEANNE.<br />
En serait-ce donc fait du trône <strong>de</strong>s vieux rois?<br />
Les Anglais verront-ils se soumettre la France?<br />
Un vainqueur odieux, s'appuyant sur sa lance,<br />
Va-t-il monter sur le pavois?<br />
9
-- .-<br />
66 PROLOGUE.<br />
Va-t-il, le fils <strong>de</strong> l'Angleterre,<br />
Régner sur cette noble terre<br />
Où ses aïeux ne dorm<strong>en</strong>t pas!<br />
Pourra-t-il, dans les plis d'une pourpre usurpée,<br />
Étancher tout le sang qu'a fait couler l'épée<br />
De ses bourreaux, <strong>de</strong> ses soldats? S<br />
JACQUES.<br />
Raymond, quelle fureur vi<strong>en</strong>t animer ma fille!<br />
Comme son sein bondit, comme son oeil scintille!<br />
Son regard m'épouvante et semble être <strong>de</strong> feu.<br />
RAYMOND.<br />
Jacques, inclinez-vous <strong>de</strong>vant l'esprit <strong>de</strong> Dieu.<br />
JEANNE.<br />
Quand tout fuyait <strong>de</strong>vant la guerre,<br />
Qu'Attila poussait <strong>de</strong>vant lui,<br />
Dieu regarda jadis la vierge <strong>de</strong> Nanterre;<br />
Pour sauver tout un peuple, est-ce une autre bergère<br />
Que Dieu choisirait aujourd'hui?<br />
Oui, c'est le Seigneur qui m'inspire;<br />
C'est le Dieu <strong>de</strong>s combats<br />
Qui, par mon faible bras,<br />
Veut sauver un empire!
JEANNE D'ARC.<br />
A la fin, l'horizon est pour vous in<strong>en</strong>acant:<br />
De vos gloires, Anglais, le <strong>de</strong>rnier éclat brille.<br />
Dieu se glorifiera par une jeune fille,<br />
Car il est le Dieu tout-puissant;<br />
La colombe <strong>en</strong> aigle se change<br />
Une épée au lieu d'un fuseau,<br />
Une armée au lieu d'un troupeau.<br />
Et la France, moi, je la v<strong>en</strong>ge<br />
Aux léopards hurlants j'arracherai les lis,<br />
Et jamais l'huile sainte<br />
Au front d'un étranger ne marquera l'empreinte<br />
De la couronne <strong>de</strong> Clovis!<br />
Jeanne reste immobile, la tète inclinée, les bras croisés sur su<br />
poitrine. André, Jacques, Raymond , l'<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t et seuill<strong>en</strong>t<br />
dans Te plus grand étonnem<strong>en</strong>t.<br />
JACQUES.<br />
C'est Jeanne que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds, qui parle ce langage;<br />
Elle que tOLIL émeut, elle l'<strong>en</strong>fant sauvage,<br />
Qu'une question trouble, et qui, les yeux baissés,'<br />
N'ose répondre aux mots qui lui sont adressés.<br />
C'est Jeanne que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds!.... Ce changem<strong>en</strong>t étrange<br />
Vi<strong>en</strong>t-il <strong>de</strong> vous, mon Dieu vi<strong>en</strong>t-il du mauvais ange?<br />
La voilà qui se tait.<br />
ANDRÉ à Jacques.<br />
67
08 Pli()LOGITt.<br />
JACQUES à Jeanne qui parait ne pas l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre.<br />
Jeanne, regar<strong>de</strong>-moi:<br />
Qu'as-tu, mon <strong>en</strong>fant dis-moi, qu'as-tu?... Calme-toi,<br />
Est-ce à nous pauvres g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre fait et cause<br />
Pour les princes, les rois.... Nous avons autre chose<br />
A faire, n'est-cc pas, que <strong>de</strong> nous occuper<br />
De ces événem<strong>en</strong>ts où l'on ne peut tremper,<br />
A moins d'être soldat, évêque ou g<strong>en</strong>tilhomme.<br />
Calme-toi, Dieu donna sou labeur à chaque homme,<br />
Et noire rôle, à nous, est dans l'obscurité;<br />
Le ciel a mis la paix avec la pauvreté.<br />
II est dans chaque état un côté qui comp<strong>en</strong>se<br />
Ce que dans chaque état l'on trouve <strong>de</strong> souffrance.<br />
JEANNE comice se réveillant et saisje,ant la main <strong>de</strong> Jacques.<br />
Mon père!<br />
JACQUES.<br />
Toujours sombre! ah! terrible av<strong>en</strong>ir!<br />
On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> chariots , <strong>de</strong>s moutons qui hu<strong>en</strong>t, et diverses<br />
voix qui chant<strong>en</strong>t. La nuit comm<strong>en</strong>ce à tomber.<br />
Tes frères et ta soeur, les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-tu v<strong>en</strong>ir,<br />
Chantant comme toujours, <strong>en</strong> quittant leur ouvrage.<br />
fis sont heureux et gais, eux; ils ont bleu leur âge.
JEANNE D'ARC.<br />
Les chants se rapproch<strong>en</strong>t; on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ce couplet<br />
Monté sui mon <strong>de</strong>strier,<br />
Je r<strong>en</strong>contre une pastourelle;<br />
Auprès d'un buisson (l'églantier,<br />
Se repose la belle.<br />
Je l'abor<strong>de</strong> fort polim<strong>en</strong>t<br />
En lui faisant un complim<strong>en</strong>t<br />
Elle se pr<strong>en</strong>d i rire,<br />
Et me répond (1110 air mutin<br />
Passez votre chemin,<br />
Passez votre chemin, beau sire.<br />
(9
71) 19{01104,%JE.<br />
SCÈNE IV.<br />
Lrs MÊMES, PIERRE, JACQUEMIN, JEAN, MARGUERITE;<br />
ils sont armés <strong>de</strong> faux et <strong>de</strong> fourches.<br />
JACQUFS à Jeanne.<br />
Ah! que n'es-tu comme eux!<br />
A ses <strong>en</strong>fanta qui <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans sa maison.<br />
Entrez, <strong>en</strong>fants, <strong>en</strong>trez,<br />
Le laitage et le pain pour vous sont préparés;<br />
Et votre mère att<strong>en</strong>d.<br />
A Jeanne , <strong>en</strong> lui montrant Marguerite qui s'éloigne gatru<strong>en</strong>L<br />
Comme elle a l'air joyeux!<br />
A Raymond et à André.<br />
Vois La soeur Marguerite,<br />
Raymond, je vous invite<br />
A pr<strong>en</strong>dre, avec André. part à notre repas.
JEANNE D'ARC. 74<br />
il Ici introduit dans sa maison , puis il revi<strong>en</strong>t sur le seuil et regar<strong>de</strong><br />
Jeanne avec tristesse.<br />
Jeanne!.. Mon Dieu, qu'a-t-elle? clic ne m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas!<br />
Il jette un regard désolé sur sa flic, lèse les mains au ciel et se retire.<br />
Jeanne reste un instant absorbée dans ses p<strong>en</strong>sées.
72 PROLOGUE<br />
SCENE V.<br />
JEANNE seule.<br />
La nuit est tombée.<br />
JEANNE.<br />
Oui, Dieu le veut, je te quitte<br />
Pour les dangers, les combats,<br />
Vieux toit dont le chaume abrite<br />
Tous ceux que ,j'aime ici bas!<br />
Fleurs que, dans les jours ari<strong>de</strong>s,<br />
J'abreuvais d'on<strong>de</strong>s limpi<strong>de</strong>s,<br />
Gar<strong>de</strong>z longtemps votre o<strong>de</strong>ur!<br />
Arbres plantés par moi-même,<br />
Que votre ombrage que j'aime,<br />
Verse longtemps la fraicheur.<br />
Je te fuis. chère contrée,<br />
Reçois mes <strong>de</strong>rniers adieux<br />
Terre que me r<strong>en</strong>d sacrée<br />
Le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s aieux!<br />
Je vais, pour sauver la France,<br />
Lieux témoins <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance,
JEANNE D'ARC.<br />
Vous délaisser aujourd'hui....<br />
Au foyer <strong>de</strong> la famille,<br />
Lorsque manquera ta fille,<br />
Mon père, pardonne-lui!<br />
Quoi! j'abondonnerai cette pauvre chaumière!<br />
Quoi! je ne prierai plus <strong>de</strong>vant la croix <strong>de</strong> pierre<br />
Qui s'élève au milieu <strong>de</strong>s morts;<br />
Divin emblème d'espérance,<br />
Qui leur promet une exist<strong>en</strong>ce<br />
Dont le temps, l'av<strong>en</strong>ir, ne fix<strong>en</strong>t plus les bords!<br />
Je quitterai ces champs, ces arbres, ces prairies,<br />
Ces s<strong>en</strong>tiers raboteux, ces montagnes chéries,<br />
Ce premier et doux horizon.<br />
Quoi! lorsque le soleil décline,<br />
Je n'irai plus sur la colline<br />
Dont mon pied a, seize ans, foulé le vert gazon!<br />
Je ne reverrai plus le grand bois, l'ermitage,<br />
La source <strong>de</strong>s Crosiers le hêtre au large ombrage;<br />
Les toits jaunes <strong>de</strong> Domremy,<br />
La Meuse, <strong>de</strong> saules voilée;<br />
Cette riche et fraîche vallée,<br />
Où le moindre buisson me parait un ami!<br />
Mais soudain mon âme timi<strong>de</strong><br />
Se remplit <strong>de</strong> douleur.<br />
Pourquoi donc pleurer? Qui me gui<strong>de</strong>?<br />
N'est-ce pas le Seigneur?<br />
•10
PROLOGUE.<br />
Des anges m'ont parlé sous le hêtre <strong>de</strong>s Fées,<br />
Cet arbre où chaque année, nu retour du printemps,<br />
Les pâtres du village, <strong>en</strong> odorants trophées,<br />
Vont susp<strong>en</strong>dre les fleurs <strong>de</strong>s champs;<br />
Et ces anges m'ont dit <strong>en</strong> agitant leurs ailes,<br />
En répandant sur moi leurs clartés immortelles<br />
« Tu te revêtiras d'acier,<br />
» Tu pr<strong>en</strong>dras une épée <strong>en</strong> tes mains virginales,<br />
Tu couvriras ton front, non <strong>de</strong> fleurs nuptiales,<br />
» Mais d'un casque au pesant cimier!<br />
• Jamais le nom si doux <strong>de</strong> mère<br />
• Jusqu'à ton coeur ne vibrera;<br />
• Des tristes plaisirs (le la terre<br />
• Ton âme se délivrera.<br />
• O Jeanne, le Dieu <strong>de</strong>s armées<br />
• Pour ton ét<strong>en</strong>dard combattra,<br />
• Et sur toutes les r<strong>en</strong>ommées.<br />
• Ton nom, ô Jeanne, grandira! »<br />
Jeanne se jette à g<strong>en</strong>oux.<br />
Est-il donc arrivé le jour du sacrilice?<br />
De la gloire faut-il vi<strong>de</strong>r l'amer calice?<br />
Parlez, parlez , ô gran<strong>de</strong>s voix;<br />
Parlez, Dieu tout-puissant, à votre humble servante;<br />
Blancs Séraphins, portez nia prière ferv<strong>en</strong>te<br />
Au pied du céleste pavois
V<strong>en</strong>ez me révéler les divines Paroles<br />
JEANNE D'ARC. 7j<br />
Vous qui m'apparaissez le front ceint d'auréoles<br />
Dont s'éclaire l'azur <strong>de</strong>s cieux!<br />
O sainte Marguerite, ô sainte Catherine,<br />
Vous que l'éclat <strong>de</strong> Dieu pour jamais illumine,<br />
Montrez-vous <strong>en</strong>core à mes yeux<br />
L'Ae Pi vs sonne, Jeanne se rel s e.<br />
J<strong>en</strong>tcnds une voix qui iii appelle<br />
Au milieu <strong>de</strong>s combats.<br />
Le fer sur le fer étincelle<br />
Un éclair <strong>en</strong> tonnant ruisselle<br />
Au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s soldats<br />
Voilà la trompette qui sonne<br />
Au flanc <strong>de</strong>s bataillons<br />
Le sol sous les guerriers résonne;<br />
Plein d'ar<strong>de</strong>ur, le cheval frissonne<br />
Et semble dire: allons!<br />
O mon Dieu ! je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds la voix qui mc réclame<br />
Me voici! me voici! Seigneur;<br />
Je t'obéis , je pars que la timi<strong>de</strong>, femme<br />
Devi<strong>en</strong>ne un terrible v<strong>en</strong>geur<br />
FIN DU PROLOGUE,
ACTE PREMIER.<br />
Une salle; ut fond, une porte à ogive; à droite, trois f<strong>en</strong>êtres à<br />
<strong>de</strong> couleur représ<strong>en</strong>tant divers traits <strong>de</strong> l'histoire sacrée; à gauche,<br />
une haute cheminée délicatem<strong>en</strong>t sculptée à côté <strong>de</strong> cette cheminée,<br />
une porte; <strong>de</strong>s hanes garnis <strong>de</strong> velours, un grand fauteuil a dossier<br />
fleur<strong>de</strong>lisé, tels sont les meubles <strong>de</strong> cette pièc e. dont les murs sont<br />
revêtus <strong>de</strong> bois (le chiie.<br />
SCENE I.<br />
TANNEGUY DU CHASTEL, l)UNOIS.<br />
DUN OIS.<br />
Que je reste à Chinon! pourquoi? Pour voir un prince,<br />
Appr<strong>en</strong>dre chaque jour qu'il perd une province;<br />
Pour voir un roi songer à (les plaisirs nouveaux.<br />
Tandis que les Anglais lui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ses chàteaux?<br />
Pour le voir prodiguer hi sol<strong>de</strong> d'une armée,<br />
Sol<strong>de</strong> que la révolte a déjà réclamée,<br />
A <strong>de</strong>s ménétriers qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t chaque jour<br />
Transformer ce palais <strong>en</strong> une cour dainoui'
75 JEANNE 1)'AR(.<br />
Et la France est <strong>en</strong> feu.... Des meurtres, la misère,<br />
Le pillage, du sang partout, partout la guerre;<br />
Tout cc qui peut s'armer, se relève et combat;<br />
Dans sa longue agonie, Orléans se débat....<br />
Et p<strong>en</strong>dant ce temps-là, monarque sans royaume,<br />
D'une brillante cour évoquant le fantôme,<br />
Charles vit <strong>en</strong>touré d'odieux favoris;<br />
II rêve à ses amours, à (les fêtes !... Quel prix<br />
A pour les courtisans la faveur sans puissance,<br />
Qu'ils laiss<strong>en</strong>t le dauphin reconquérir la France<br />
Leur proie alors sera belle du moins.... Pour moi.<br />
Je ne vins à Chinon (lue pour chercher un roi<br />
Je ne l'ai pas frOilVé.<br />
I'ÂEGY.<br />
I )u nois , un tel laiiagc<br />
Ifl '015.<br />
J'ai tort.... Mais , Tanneguy, c'est à pleurer <strong>de</strong> rage<br />
Un Valois se laisser ainsi ravir du front<br />
Sa couronne <strong>en</strong> détail et fleuron par fleuron<br />
Indi gné, Richemond est parti. Je l'imite;<br />
Ne me ret<strong>en</strong>ez plus, comme lui je vous quitte,<br />
Et je vais ii la Lin faire voir quelque part,<br />
Que e'(-si ii ii noble saiig (lue mon sang (le bâtard.<br />
sil<strong>en</strong>ce, i isi le nu,
ACTE I, SCÈNE IL<br />
SCÈNE H.<br />
LES MÊMES, CHARLES.<br />
CJIARLJS,<br />
DUNOIS.<br />
713<br />
Vous SaiCZ hi flot! (l1(<br />
Oui , sire , vous per<strong>de</strong>z un serviteur fidèle<br />
Richemond ne veut plus VOUS servir -<br />
CHARLES.<br />
Grâce aux cieux,<br />
Nous sommes délivrés <strong>de</strong> ce comte orgueilleux!<br />
DUNOIS.<br />
Ah! sire, croyez-moi, dans les temps où nous sommes,<br />
Elle est à déplorer la perte <strong>de</strong> tels hommes!<br />
Georges <strong>de</strong> la Trénioui11c a-t-il eu le tal<strong>en</strong>t,<br />
Sire , <strong>de</strong> vous montrer sous un jour consolant,<br />
Un départ que chacun trouve (je sombre augure?<br />
Corrompant à plaisir votre noble nature,
80<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Georges <strong>de</strong> La Trémouille a pour but d'éloigner<br />
Quiconque veut sur vous l'empêcher <strong>de</strong> régner:<br />
Richemond l'effrayait par son grand caractère,<br />
Car û vos favoris il pouvait vous soustraire.<br />
CHARLES à Tannegu,.<br />
A propos, ces chanteurs <strong>en</strong>voyés par R<strong>en</strong>é?..,.<br />
Dtr( o j s<br />
Dignes ambassa<strong>de</strong>urs d'un prince détrôné!<br />
ChARLES.<br />
Je veux qu'ils soi<strong>en</strong>t traités avec magnilicelice;<br />
11 faudra leur donner <strong>de</strong>s chaînes d'or. Je p<strong>en</strong>se,<br />
Dunois, que vous allez vous récrier <strong>en</strong>cor?<br />
J)LNOIS.<br />
Dieu m'<strong>en</strong> gar<strong>de</strong>!... Mais, sire, où sont ces chaînes d'or<br />
Que vous comptez donner avec tant (je largesse?<br />
Voire épargne est. vi<strong>de</strong>.<br />
TANNEGUY.<br />
CHARLES.<br />
Eh! quoi, veux-tu que je laisse<br />
Ces aimables chanteurs s'éloigner <strong>de</strong> nia cour<br />
Sans même les payer <strong>de</strong> leurs doux chants d'amour-?
ACTE 1, SCENE LI. 81<br />
TANNEGUY.<br />
Sire, tant que j'ai pu trouver quelque ressource,<br />
Tant que j'ai vu pour vous s'<strong>en</strong>tr'ouvrir une bourse,<br />
J'ai voulu vous cacher la triste vérité.<br />
Enfin je suis contraint parla nécessité,<br />
A rompre le sil<strong>en</strong>ce, à vous dire, ô mon maître,<br />
Que nous n'avons plus ri<strong>en</strong>, et que <strong>de</strong>main, peut-être,<br />
Vous verrez vos soldats exiger bruyamm<strong>en</strong>t<br />
La sol<strong>de</strong> dont on a retardé le paiem<strong>en</strong>t.<br />
CHARLES.<br />
Mes rev<strong>en</strong>us royaux, eh bi<strong>en</strong>! qu'on les <strong>en</strong>gage!<br />
Ils le sont pour trois ans.<br />
TANMGUY.<br />
CHARLES.<br />
Je ne perds pas courage,<br />
Nous possédons <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> fertiles pays.<br />
1)UNOIS.<br />
Sans doute, mais <strong>de</strong>main qu'il plaise aux <strong>en</strong>nemis<br />
De vous les <strong>en</strong>lever! ..... Orléans, à cette heure,<br />
Les occupe, et bi<strong>en</strong>tôt, sans troupes, sans <strong>de</strong>meure,<br />
Dans le comte d'Anjou trouvant un digne appui,<br />
Paisible, vous irez chanter auprès <strong>de</strong> lui.<br />
11
82<br />
JEA?NE D'ARC.<br />
CHARLES.<br />
li est heureux, R<strong>en</strong>é ; les arts, la poésie,<br />
Adouciss<strong>en</strong>t pour lui les chagrins <strong>de</strong> la vie;<br />
D'un rôle pastoral aimant à se charger,<br />
II conduit un troupeau dont il s'est fait berger.<br />
Assis sur le gazon, respirant une rose,<br />
Il redit <strong>de</strong>s chansons que lui-même il compose<br />
Il n'a pas près <strong>de</strong> lui, du moins, <strong>de</strong>s confid<strong>en</strong>ts<br />
Dévoués jusqu'au point <strong>de</strong> paraître impud<strong>en</strong>ts.<br />
Vraim<strong>en</strong>t, il est <strong>de</strong>s jours tUamertume où j'<strong>en</strong>vie<br />
A R<strong>en</strong>é ses troupeaux et sa philosophie.<br />
I) tN OIS.<br />
Sire, mais vous aussi vous êtes un berger;<br />
C'est lin peuple que vous, vous <strong>de</strong>vez diriger.<br />
CHARLES.<br />
Trop <strong>de</strong> sang a déjà coulé pour ma personne!<br />
Que puis-je faire <strong>en</strong>cor, si le ciel m'abandonne?<br />
Oui, si la voix du peuple est un écho (le Dieu,<br />
Le ciel m'a déclaré déchu <strong>de</strong> ce haut lieu,<br />
Auquel il me semblait que je <strong>de</strong>vais prét<strong>en</strong>dre.<br />
DLNOIS.<br />
Sire, la voix <strong>de</strong> Dieu ne peut se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />
Au milieu <strong>de</strong>s clameurs <strong>de</strong> quelques révoltés<br />
Avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pouvoir, riches <strong>de</strong> lâchetés.<br />
n
ACTE 1, SCÈNE 11.<br />
Non, Dieu ne parle pas par <strong>de</strong>s bouches impures<br />
Où (les serm<strong>en</strong>ts trahis ont laissé leurs souillures:<br />
Non, Dieu ne <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d pas dans <strong>de</strong>s coeurs avilis,<br />
Où l'on trouve le crime à v<strong>en</strong>dre à lotis les prix.<br />
Mais, quand moi je vous dis, ô mon noble roi Charte!<br />
De mourir <strong>en</strong> guerrier, c'est Dieu, Dieu qui vous parte.<br />
CHARLES.<br />
I)e ma mort je voudrais voir arriver le jour,<br />
Si ce jour, les Anglais s'<strong>en</strong>fuyai<strong>en</strong>t à leur tour.<br />
Je voudrais, pour sauver ma chère et belle France,<br />
M'offrant comme victime, emporter l'espérance<br />
Que le ciel, apaisé par un sang généreux,<br />
Donnerait à mon peuple un avçnir heureux.<br />
Mais, hélas ! contre moi tout, Dunois, se déclare,<br />
Et je craindrais d'agir comme un prince barbare,<br />
En prolongeant <strong>en</strong>core un combat acharné,<br />
Alors que Dieu paraît m'avoir abandonné.<br />
Saintrailles est allé l'aire une t<strong>en</strong>tative<br />
Près du duc <strong>de</strong> Bourgogne, et j'att<strong>en</strong>ds qu'il arrive,<br />
Avant <strong>de</strong> vouloir pr<strong>en</strong>dre une décision.<br />
Si je vois rejeter ma proposition.....<br />
Sire , naclievez pas<br />
DUNOIS.<br />
83
84 JEANNE IÏARC.<br />
Arrive d'Orléans.<br />
SCÈNE III.<br />
LES MÊMES • UN ÉCUYER.<br />
]L'ÉCUYER.<br />
CHARLES.<br />
Le chevalier Lahire<br />
Sans doute il vi<strong>en</strong>t m'instruire<br />
De désastres nouveaux.<br />
L'ÉCIJYER<br />
Peut-il être introduit<br />
Avec les magistrats que vers vous il conduit?<br />
CHARLES.<br />
Qu'ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t sur le champ.<br />
flTJNOJS.<br />
Allons, sire, courage!<br />
Ils rempliss<strong>en</strong>t sans doute un pénible message.
ACTE I, SCÈNE 1V.<br />
SCÈNJ IV.<br />
LES MÊMES, LMIIRE, VILLARS, TILLOYE.<br />
CHARLES.<br />
Dieu vous gar<strong>de</strong>, messieurs. Ma loyale cité<br />
Mc fait-elle assurer <strong>de</strong> sa fidélité?<br />
O Lahire, parlez, dites: quelle nouvelle?<br />
Que fait ma bonne ville?<br />
LAIIIRE.<br />
Elle est <strong>en</strong>cor fidèle.<br />
Sire, mais chaque jour avance le mom<strong>en</strong>t<br />
Où la nécessité vaincra son dévouem<strong>en</strong>t.<br />
VILLARS.<br />
Chaque combat pour nous <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une défaite.<br />
TILLOYL.<br />
Le découragem<strong>en</strong>t saccroit par la disette;<br />
Cc nouvel adversaire est le plus m<strong>en</strong>açant<br />
Une mère a nouri sa fille <strong>de</strong> son<br />
85
86 JEANNE D'ARC.<br />
Malheur à moi!<br />
CHARLES.<br />
VILLARS.<br />
Déjà le peuple veut se r<strong>en</strong>dre.<br />
« Reconnaissons un roi qui sache nous déf<strong>en</strong>dre<br />
» Mieux que ce Charles Sept qui ne faitri<strong>en</strong> pour nous. »<br />
Sire, l'oii ose ainsi murmurer contre vous.<br />
Mais faites un effort pour v<strong>en</strong>ir à notre ai<strong>de</strong>,<br />
Et ce peuple égaré, que la famine obsè<strong>de</strong>,<br />
Fidèle <strong>de</strong> nouveau, courra (le toutes parts,<br />
Eu poussant ses vieux cris, disputer nos remparts<br />
Aux Anglais dont la ville est tout <strong>en</strong>veloppée.<br />
Sire, ét<strong>en</strong><strong>de</strong>z sur nous votre royale épée.<br />
Un écuyer <strong>en</strong>tre, et dit à Dunois quelques mots à voix basse.<br />
DU.NOJS à Charles.<br />
S'ils ne sont pas soldés, le comte <strong>de</strong> Douglas<br />
Ne saurait plus longtemps maint<strong>en</strong>ir ses soldats.<br />
Tanneguyl<br />
CHARLES à Tanneguy.<br />
TAT''EGUY.<br />
Nous n'avons plus <strong>de</strong> ressources, sire
ACTE 1, SCÈNE IV, 87<br />
CHARLES.<br />
Parle; à tout, Tanneguy, je suis prêt à souscrire<br />
Mais que mes Écossais, que mes braves soldats,<br />
Dans ce fatal instant ne mabant1onneut. pas.<br />
TAVE GUY .<br />
Je ne vois plus aucun moy<strong>en</strong>.....La provid<strong>en</strong>ce<br />
Peut seule maint<strong>en</strong>ant sauver le roi <strong>de</strong> Fiance.<br />
Char1e, au désespoir, veut orLir ; Lahire, Villars, Tillove le reti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t.<br />
LA lU RE.<br />
Voyez ce qu'Orléans a supporté pour vous.<br />
Sire, protégez-nous<br />
TILLOYE.<br />
VILLARS.<br />
Sire, déf<strong>en</strong><strong>de</strong>z-nous!<br />
CHARLES.<br />
Mais. juste ciel, comm<strong>en</strong>t!... Mes troupes où sont-elles<br />
Vous déf<strong>en</strong>dre ! avec qui? ....Combi<strong>en</strong> <strong>de</strong> mes fidèles<br />
Qui dorm<strong>en</strong>t aujourd'hui le sommeil du cercueil<br />
Dans les champs <strong>de</strong>. Rouvray, (le Crevant, <strong>de</strong> Verneuil
88 JEANNE D'ARC.<br />
DUNOIS , qui a regardé par une fcntrc.<br />
Paraissant à la lin d'une pénible route,<br />
Je ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong> voit' <strong>en</strong>trer un guerrier sous la voûte;<br />
Ses ai'utes me l'ont fait rcconnaitrc aisém<strong>en</strong>t<br />
Saintrailles près <strong>de</strong> vous sera dans un mom<strong>en</strong>t.<br />
CHARLES.<br />
Je saurai donc bi<strong>en</strong>tôt ce qui me reste à faire!
ACTE J, SCÈNE V. 89<br />
SCÈNE V.<br />
LES MÈMES, SAINTRAILLES.<br />
CHARLES.<br />
Voici Saintrailic, eh bi<strong>en</strong>! que faut-il que j'espère<br />
Ri<strong>en</strong> que <strong>de</strong> votre épée.<br />
Oui, Sire, je l'ai vu.<br />
SAIITB.AILLES.<br />
CHARLES.<br />
SAINTRAILLES.<br />
CHARLES.<br />
Et le duc, tu l'as vu?<br />
Que t'a-t-il répondu?<br />
SAINTRAILLES.<br />
A tout rapprochem<strong>en</strong>t il a mis une clause,<br />
Telle que......
90 JEAN?E D'ARC.<br />
CHARLES.<br />
Qu'est-ce <strong>en</strong>fin que le duc me propose?<br />
SA1NTRAILLES.<br />
Non, je ne dirai pas ce qu'il ose exiger;<br />
Vous l'appr<strong>en</strong>dre serait déjà vous outrager.<br />
TANNEGUT à Char1e.<br />
Cette condition que l'on craint <strong>de</strong> vous dire,<br />
11 m'apparti<strong>en</strong>t â moi <strong>de</strong> la <strong>de</strong>viner, Sire.<br />
Philippe se souvi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> Montereau;<br />
11 lui faudrait mon sang versé par le bourreau.<br />
D'une scène terrible il voudrait la revanche,<br />
II vous fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ma vieille tète blanche.<br />
Ce n'est pas aujourd'hui, pour la première fois,<br />
Qu'il désire ajouter à ses brillants exploits<br />
La gloire <strong>de</strong> tramer, déchiré sur la claie,<br />
Celui qui, dans sa race, a fait la gran<strong>de</strong> plaie.<br />
Je r<strong>en</strong>ds grâces au duc, mon bras est bi<strong>en</strong> usé;<br />
L'armure siérait mal à mon corps épuisé;<br />
En me voyant ainsi, pauvre vieillard débile,<br />
Au roi je n'osais plus espérer d'être utile,<br />
Et par ma mort voilà que je le puis servir.<br />
Ayant vécu pour lui, pour lui je puis mourir!<br />
C'est heureux et tout fier, Sire, que j'abandonne<br />
Une tète qu'on pèse au poids d'une couronne.
ACTE I, SCÈNE V.<br />
CHARLES.<br />
Pourrais-tu bi<strong>en</strong> ainsi douter <strong>de</strong> mon honneur?<br />
Je ne connaissais pas <strong>en</strong>cor tout mon malheur;<br />
Je ne présumais pas qu'une parole amie<br />
Me vi<strong>en</strong>drait proposer une telle infamie.<br />
Non, mon vieux du Chastel, non, je ne croyais pas<br />
Dans votre estime à tous être tombé si bas.<br />
TANNEGTJY.<br />
Je vous ai consacré, sire, ma vie <strong>en</strong>tière,<br />
Oh! que ma mort répon<strong>de</strong> à toute ma carrière.<br />
CHARLES.<br />
Sil<strong>en</strong>ce! Tanneguy, voudrais-tu m'insulter?<br />
A Saintrailles.<br />
Et mon loyal cousin daigne-t-il accepter<br />
Le combat <strong>en</strong> champ clos contre son roi, Saintrailles?<br />
SAINTRAILLES.<br />
En jetant à ses pieds un <strong>de</strong> vos gants <strong>de</strong> mailles,<br />
Sire, j'ai dit au duc, que, comme chevalier,<br />
Vous lui faisiez offrir un combat singulier.<br />
Et le (lue, sans vouloir m'écouter davantage,<br />
A repris: « Si ton roi veut montrer son courage,<br />
• Et si c'est contre moi qu'il songe à l'éprouver,<br />
• Sous les murs d'Orléans qu'il me vi<strong>en</strong>ne trouver.<br />
94
92 JEANNE D'ARC.<br />
CIIARL<br />
La voix <strong>de</strong> la justice est-elle donc muette?<br />
SAIrÇTRAILLES.<br />
Oui, car le parlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Paris vous rejette;<br />
11 prét<strong>en</strong>d annuler vos légitimes droits.<br />
Votre race ne doit plus nous donner <strong>de</strong>s rois,<br />
II les veut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au trône d'Angleterre.<br />
CHARLES.<br />
Saintraille, et n'as-tu ri<strong>en</strong> t<strong>en</strong>té près <strong>de</strong> ma mère?<br />
Près <strong>de</strong> votre mère?<br />
SAINTJIAJLLES<br />
CHARLES.<br />
SAIN TItAILLES.<br />
Oui, qu'a-t-elle répondu?<br />
A Saint-D<strong>en</strong>is, le jour où je m'y suis r<strong>en</strong>du,<br />
Des tapis recouvrai<strong>en</strong>t les maisons jusqu'au faîte,<br />
Et témoins odieux d'une sinistre fête,<br />
Couverts comme auxbeaux jours, <strong>de</strong> somptueux habits,<br />
De rebelles sujets avai<strong>en</strong>t, quitté Paris.
ACTE I, SCENE V. 95<br />
Sous <strong>de</strong>s arcs <strong>de</strong> triomphe, au bout <strong>de</strong> chaque rue,<br />
La vile populace, avec joie accourue,<br />
Saluait les Anglais par <strong>de</strong> vives clameurs,<br />
Et jetait <strong>de</strong>s rameaux sous les las <strong>de</strong>s vainqueurs.<br />
CIIARLES.<br />
Ah! si ce peuple ingrat lisait dans ma p<strong>en</strong>sée!<br />
SAITRA1LLES.<br />
Tout à coup, au milieu <strong>de</strong> la foule empressée,<br />
Un <strong>en</strong>fant a paru; puis je l'ai vu monter<br />
Sur un trône dont seul vous <strong>de</strong>viez hériter;<br />
Mais l'<strong>en</strong>fant, gravissant les hauts <strong>de</strong>grés du trône,<br />
Chancelle ..... Uii long murmure aussitôt l'<strong>en</strong>vironne;<br />
Alors Iedfort parait, et le pr<strong>en</strong>d dans ses bras.<br />
Mais le peuple moqueur, pourtant ne se tait pas;<br />
II voit dans cc faux pas <strong>de</strong> sinistres présages,<br />
Et se rit <strong>de</strong> celui qu'il <strong>en</strong>tourait d'hommages.<br />
Votre mère était là '.....<br />
CHARLES.<br />
Vous L'avez <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du,<br />
Le ciel est contre moi; tout est fini, perdu.<br />
C'<strong>en</strong> est fait <strong>de</strong>s Valois! Qu'<strong>en</strong> moi meure leur race,<br />
Puisqu'un prince étranger vi<strong>en</strong>t occuper sa place.......<br />
O ma mère . ....Tout est fini, vous le voyez.<br />
Allez, <strong>de</strong> vos serm<strong>en</strong>ts vous êtes déliés.....
94 JEANNE D'ARC.<br />
Vous, messieurs, retournez dire à ma bonne ville<br />
Qu'il est temps <strong>de</strong> cesser une lutte inutile.<br />
LAuRE.<br />
Sire, un <strong>de</strong>rnier effort pour sauver la cité<br />
Qui vous a conservé tant <strong>de</strong> fidélité.<br />
TILLOYE.<br />
Vous ne voudriez pas qu'un jour, nos <strong>en</strong>fants, sire,<br />
Maudissant votre nom <strong>en</strong>tre eux, se puiss<strong>en</strong>t dire:<br />
« C'est au roi Charles Sept que les Orléanais<br />
» Doiv<strong>en</strong>t d'être aujourd'hui sous le joug <strong>de</strong>s Anglais.'<br />
D1JNOIS.<br />
Mais peut-on s'écrier: c'<strong>en</strong> est fait <strong>de</strong> ma race,<br />
Tant que pour se vêtir ou trouve une cuirasse;<br />
Lorsqu'on peut voir s'armer et combattre à sa voix<br />
Des hommes par la guerre illustrés tant <strong>de</strong> fois,<br />
Et Louis <strong>de</strong> Culant, et Lahire, et Saintrailles,<br />
Et d'autres pour paraitre att<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s batailles?<br />
Sire, rappelez-vous quels fur<strong>en</strong>t vos aïeux;<br />
Sachez mourir du moins pour être digne d'eux.<br />
Que le roi qu'on détrône <strong>en</strong> chevalier succombe,<br />
Dans un <strong>de</strong>rnier combat qu'il se cherche une tombe,<br />
Et qu'il ne dise pas comme un homme énervé<br />
Tout est fini, perdu! si l'honneur est sauvé
ACTE I, SCÈNE V.<br />
CHARLES.<br />
Du sang, toujours du sang! Mais déjà pour ma cause,<br />
Regar<strong>de</strong> donc, la France <strong>en</strong>tière s'<strong>en</strong> arrose;<br />
Je ne veux plus lutter.... Ne te l'ai-je pas dit'...<br />
Et ne le vois-tu pas, le Seigneur m'a maudit!<br />
JI a contre mes droits armé jusqu'à ma mère;<br />
Mon peuple me r<strong>en</strong>ie, et l'armée étrangère<br />
A déjà recruté les soldats <strong>de</strong> ses rangs<br />
Jusque sous les drapeaux <strong>de</strong> mes proches par<strong>en</strong>ts.<br />
Abandonné <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong>s mi<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> la victoire,<br />
Il faut m'y déci<strong>de</strong>r, je vais franchir la Loire.<br />
Charles Sept a régné; la race <strong>de</strong>s Valois<br />
A désormais perdu sa place <strong>en</strong>tre les rois!<br />
TAIEGUY.<br />
Un roi peut-il parler ainsi; peut-il lui-mèmc<br />
Prononcer sur sa race un semblable anathème!<br />
O sire, rétractez ces paroles.<br />
Qui peut lui résister?<br />
CHABLES, trèj-troub1.<br />
DIJNOIS.<br />
Le sort,<br />
Montrez-vous grand et fort.<br />
95
90 JEANNE D'ARC.<br />
CHARLES, comme égaré.<br />
Dans le fils sont l)UfliS les crimes <strong>de</strong> la mère ,<br />
Le ciel me fait souffrir pour la femme adultère;<br />
C'est moi qui suis chargé <strong>de</strong>s expiations,<br />
Et je dois racheter bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s corruptions.<br />
Mais vous qui me voulez pour roi, qui vous assure<br />
Que mon droit au pouvoir n'est pas une imposture -?<br />
Laissez-moi! laissez-moi L... je ne puis pas régner.<br />
Ma prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vrait seule vous indigner,<br />
Et le ciel contre moi justem<strong>en</strong>t se déclare.....<br />
Mais, mon Dieu! qu'ai-je dit?... Ah! nia raison s'égare.<br />
La dém<strong>en</strong>ce dans moi, furieuse, a passé....<br />
Oui, je suis bi<strong>en</strong> le fils <strong>de</strong> Charles l'ins<strong>en</strong>sé!<br />
TÂNNEGUY.<br />
Vous êtes notre roi sire, et Dieu vous <strong>de</strong>stine<br />
A relever un trône à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ruine;<br />
A vous il apparti<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sauver un état<br />
Sur lequel vos aïeux ont jeté tant d'éclat!<br />
ChARLES, très-ab&uu.<br />
J'aurais pu gouverner un royaume tranquille;<br />
Mon règne aurait alors pu <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir utile.<br />
Au nombre <strong>de</strong>s bons rois j'aurais pu pr<strong>en</strong>dre rang;<br />
Mais je ne suis pas né pour être un conquérant..
ACTE 1, SCÈNE V<br />
Si j'avais seulem<strong>en</strong>t les Anglais à combattre,<br />
Vous ne me verriez pas aussi prompt à m'abattre;<br />
Mais savoir que mou peuple est armé contre moi<br />
Qu'il mc liait, me bannit, oh!<br />
DUNOIS.<br />
Votre peuple, quoi!<br />
Vous donnez un tel nom à cette ignoble foule,<br />
Fange que dans ses flots toute nation roule<br />
A ces g<strong>en</strong>s sans aveu, sans courage, sans coeur,<br />
Pour lesquels le bon droit n'est qu'auprès du vainqueur!<br />
Votre peuple est celui qui vous reste fidèle,<br />
Qui change chaque ville <strong>en</strong> forte cita<strong>de</strong>lle,<br />
Qui déf<strong>en</strong>d Orléans, grandit dans le combat,<br />
Qui, laboureur hier, est aujourd'hui soldat<br />
Sire, il vous faut <strong>en</strong>cor faire une t<strong>en</strong>tative,<br />
Un effort, grand, terrible, et beau quoi (11l'il ariive.<br />
Oui, si vous succombez, que le mon<strong>de</strong> tremblant<br />
Ent<strong>en</strong><strong>de</strong> quel grand bruit produit <strong>en</strong> s'écroulant<br />
Un trône qu'a bàti Clovis, d'où Charlemagne<br />
Regardait sous ses pieds la France et l'Allemagne,<br />
Où Capet séleva , s'aidant (l'un beau passé,<br />
De la vertu d'un père <strong>en</strong> lui récomp<strong>en</strong>sé;<br />
Où Philippe Second obtint le imin (l'Auguste<br />
Où s'assit Louis Neuf, le grand saint, le roi juste;<br />
Où, quand tant (le spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur semblait sur le déclin<br />
Charles Cinq remonta , porté par Duguesclin.<br />
Faisons-nous un rempart <strong>de</strong> la moindre muraille<br />
Que la France se change Cil un champ (le bataille<br />
15<br />
97
J1<br />
Que tout <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>ne une ariiie, et 10111, homme im guerrier;<br />
Sire, imitez Samson r<strong>en</strong>versant le pilier.<br />
Que les moissons <strong>en</strong> feu. que les villes brûlées,<br />
Prépar<strong>en</strong>t aux Anglais <strong>de</strong>s terres désolées;<br />
Qu'ils ne repos<strong>en</strong>t pas vainqueurs sous nos abris<br />
S'il faut mourir, mourons sous le poids <strong>de</strong>s débris,<br />
Et laissons le pouvoir (les <strong>en</strong>nemis s'étcndre<br />
Sur <strong>de</strong>s fleuves <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong>s déserts, <strong>de</strong> la c<strong>en</strong>dre,<br />
CHARLES.<br />
Qui! moi! sur mes sujets j'attirerais ces maux<br />
Mais les Anglais n 'ont. point <strong>de</strong> plus cruels fléaux<br />
DljSOIS.<br />
Et le joug que subit tout peuple qui s'abaisse<br />
CHARLES.<br />
()Il! que la France vive , et qu'un roi disparaisse!<br />
DUN OIS.<br />
Elle tombe avec vous, sire.<br />
CHARLES.<br />
Voyez <strong>en</strong> moi<br />
Le comte <strong>de</strong> PonUiieu , j'ai cessé d'èlre roi.
ACTE I, SCÈNE V.<br />
DUN OIS.<br />
Vous mc déliez donc <strong>de</strong> tonte obéissance!<br />
Aux <strong>en</strong>voyés.<br />
Libre, je me consacre à votre délivrance.<br />
A Charles.<br />
Allez chercher la paix, ô comte <strong>de</strong> Ponthieu<br />
Nous elle rchcrons l'honneur à otre place ....Adiit.<br />
Aux e ii v es.<br />
Messires, suivez-moi.<br />
II sort brusquem<strong>en</strong>t.<br />
'rANNEGUY à Saintrailles et i Lahire.<br />
Courez, qu'on Iciivironne<br />
Qu'il reste; dites-lui que le roi lui pardonne<br />
Qu'il le fait rappeler.<br />
4 Charles.<br />
Sire ptuIoiinez-lui.<br />
CHARLES.<br />
Pour fuir, ah je n'ai pas besoin dc son appui<br />
FEN DU PREMIER ACJ'E.
ACTE I)EUXIÈME.<br />
La marne salle qu'au preutii acte.<br />
SCÈNE 1.<br />
1)IJNOIS, LÀ TRÉMOIJILLE,<br />
LA TRMOU1LLE.<br />
Ainsi ce bruit étrange est la vérité, comte<br />
J)UNOIS.<br />
Oui, c'est la vérité, je l'avoue et sans honte.<br />
LA TRÉMOt1LLI.<br />
C'est ù Jeanne qu'on doit <strong>de</strong> vous gar<strong>de</strong>r céans?<br />
11uN0JS.<br />
Sans Jeanne, je serais sur les murs d'Orléans.
102 JEANNE D'ARC.<br />
Lue autre lois déjà, j'a ais voulu m'y r<strong>en</strong>dre<br />
On inc retint alors. Mais , litigué d'att<strong>en</strong>dre<br />
Et las <strong>de</strong> voir le roi perdre <strong>en</strong> discussion<br />
[n temps dont il fallait user pour Faction<br />
J'allais exécuter iiia volonté première,<br />
Quand j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis, parler d'une jeune guerrière<br />
LA 'rn;ouijj riant.<br />
Qui gardait <strong>de</strong>s troupeaux naguère à Domrerny,<br />
Qui trouva le secret <strong>de</strong> vaincre 1<strong>en</strong>nemj<br />
Dans im pré, dans un champ, au milieu d'une étable<br />
Et veut tout simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir connétable.<br />
Ce sera fort plaisant lorsque tous nos barons<br />
S'<strong>en</strong> iront suivant .Jcaime ainsi que (les moutons<br />
Ne le trouvez-s-oiis pas<br />
1) U\ OIS.<br />
Sire <strong>de</strong> La Trémouille ........<br />
LA. TRIMOUJLLI.<br />
Oui, nous verrons tomber la victoire cii qu<strong>en</strong>ouille<br />
Puis au lieu <strong>de</strong> crier Montjoie et Saint-Dciiis,<br />
Nous bèlerons e n semble ti l'instar <strong>de</strong>s brebis.<br />
Dirions.<br />
.Jc n'aime pas ce ton d'une ironie amère.<br />
LA TIIEMOUILJ,L.<br />
A VOUS, je le COneois . il doit un peu déplaire
ACTE II, SCÈNE I. 105<br />
I)U?O1S.<br />
J'ai confiance <strong>en</strong> Dieu qui daigne nous v<strong>en</strong>ger.<br />
LA TRÉMOUILLE.<br />
Et confiance <strong>en</strong> qui vous pouvez diriger.<br />
I)U i OIS.<br />
Que prét<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous dire avec un tel langage-?<br />
LA TRÉMOLILLL<br />
Comte, allons, soyons francs.<br />
I) UNOIS.<br />
LA TRÉMO1JILLE.<br />
Ce n'est pas votre usage.<br />
Jeanne peut r<strong>en</strong>contrer quelques faibles esprits<br />
Qui, (lu surnaturel naïvem<strong>en</strong>t épris,<br />
P<strong>en</strong>seront saluer une Judith nouvelle.<br />
Ce n'est ni VOUS, ni moi, qui pouvons croire <strong>en</strong> elle.<br />
J'y crois, je vous J'ai (lit.<br />
DUNOIS.
104<br />
JEANNE DAR(.<br />
LA TJIÉMOULLE.<br />
Vous croyez simplem<strong>en</strong>t<br />
Que l'on peut employer Jeanne comme instrum<strong>en</strong>t<br />
Que l'oit peut diriger la céleste inspirée,<br />
Et quêtant <strong>de</strong> la sorte avec art préparée,<br />
Elle dirigerait la volonté (lu roi.<br />
DU N OIS.<br />
l)oit-on juger ainsi les attires d'après soi?<br />
Si du roi je prét<strong>en</strong>ds diriger la conduite<br />
Je ne veux pas chercher à trouver qui m'al)ritc.<br />
Mes conseils sont <strong>de</strong> ceux qu'on donne sans rougeur,<br />
Et soi-iiième l'on veut <strong>en</strong> gar<strong>de</strong>r tout l'honneur.<br />
L t 'I'REMOIT!LLE.<br />
Et soi-même Fon veut <strong>en</strong> gar<strong>de</strong>r l'avantage.<br />
DtOIS , 1* main sur $on pés.<br />
Je vous réponds, messire, <strong>en</strong> homme qu'on outrage.
ACTE ii, SCÈNE II. ioi<br />
SCÈNE Il.<br />
LES MIMES, L'AMIRAL DE CULANT, TANNECUY,<br />
Qu'est-ce (Jonc?<br />
SAINTRAILLES, LAIIIRE.<br />
L'AMIRAL.<br />
LA TRÊMOIJILLE.<br />
Je ne puis voir un puissant souti<strong>en</strong><br />
Dans nue pauvre fille au timi<strong>de</strong> mainti<strong>en</strong><br />
Supposer qu'elle montre, innoc<strong>en</strong>te bergère,<br />
La valeur d 'uii Roland.<br />
Monirant Dunois.<br />
Et <strong>de</strong> là sa colère.<br />
L'AMIRAL.<br />
Un ètre surhumain est <strong>en</strong>voyé vers nous,<br />
Messires, et son nom met le trouble cuire vous<br />
Celle <strong>de</strong> qui dép<strong>en</strong>d notre salut, peut-être,<br />
Comme un sujet <strong>de</strong> duel <strong>de</strong>vrait-elle apparaître?<br />
14<br />
Np
106<br />
JEANNE flAnC.<br />
1)egrCe, calmez-vous , et ne disposez pas<br />
D'un sang qUil faut gar<strong>de</strong>r pour d'utiles combats<br />
C'est au prince, au pays, dans les temps où nous sommes,<br />
Qu'apparl leu n<strong>en</strong>t les jours <strong>de</strong>s loyaux g<strong>en</strong>tilshommes.<br />
L'amiral u raison.<br />
TANNEGUY.<br />
SMNTJIAILLLS.<br />
La mort ! que les Français<br />
N'aill<strong>en</strong>t plus la chercher qu'au milieu <strong>de</strong>s Anglais<br />
LAJTHtE.<br />
Que tout ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre vous <strong>de</strong>ux expire!<br />
Que lotit soit oublié!<br />
uUi'(OIS.<br />
LA TRÉMOUILLE.<br />
j'y cons<strong>en</strong>s.<br />
LAMIRAL : Dunois.<br />
TANECUY.<br />
Du reste, vous pourrez avec plus d'appareil<br />
Ri<strong>en</strong> , messire.<br />
Donner sur Jeanne d'Arc votre avis au conseil,
ACTE H, SCÈNE II.<br />
Messire ; c'est ici dans l'instant qu'il s'assemble<br />
Le roi nous réunit; il veut que tous <strong>en</strong>semble.<br />
Nous décidions <strong>en</strong>fin si l'on doit se fier<br />
A celle que le ciel parait nous <strong>en</strong>voyer.<br />
L'AMIRAL.<br />
fles docteurs, i Poitiers, ont interrogé icanue<br />
À tous, vous le savez, la jeune paysanne<br />
A semblé mériter qu'<strong>en</strong> elle l'on ait foi.<br />
LAuRE.<br />
Lorsque Ion 1)FéSCI1LL la jeune fille au roi,<br />
Conirne épreuve il voulut qifun autre prît, sa place<br />
\TOLiS vous le rappelez: sans trouble , salis audace,<br />
Jeanne alla droit i Charles avec nous confondu<br />
Sifils l'avoir vu , comm<strong>en</strong>t l'a-t-elle reconnu!<br />
LA TItÉMOIJILLE.<br />
Ne pouvait-elle pas avoir vu son image?<br />
SAINTIIA ILI.ES.<br />
lL conrnieiit expliquer le périlleux voyage<br />
Qu'elle a fait presque Seule au milieu <strong>de</strong> pays<br />
Entièrem<strong>en</strong>t livrés aux soldats <strong>en</strong>nemis ?<br />
TANr'ŒGUY.<br />
Avez-vous oublié cette antique croyance<br />
« Une femme vivra qui doit perdre la t?rancc
108 JEANNE D'ARC.<br />
• Mais une femme aussi plus tard la sauvera,<br />
• Et c'est du Bois-Chesnu que le salut vi<strong>en</strong>dra. »<br />
Or, près <strong>de</strong> Domremv, cest ainsi que l'on nomme.<br />
Un bois.....<br />
LA TRÉMOUILLE.<br />
De mieux <strong>en</strong> mieux, je vois, mon g<strong>en</strong>tilhomme,<br />
Je vois que nous croyons à Merlin l'<strong>en</strong>chanteur.<br />
TÂNNEGLY.<br />
Avez-vous oublié que, vers la Chan<strong>de</strong>leur,<br />
Une visionnaire ayant pour nom Marie<br />
Et s'il m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, Avigiion l)0u1 patrie<br />
Dit au roi qu'elle avait, <strong>en</strong> songe , plusieurs fois<br />
Vu briller une armure, et que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s voix<br />
Tandis qu'elle restait d'épouvante saisie,<br />
S'écriai<strong>en</strong>t : « 'fii n'es point l'héroïne choisie<br />
• Pour combattre et vètir CC harnois du guerrier<br />
• L'héroïne est ailleurs, cesse <strong>de</strong> t'effrayer<br />
Ta mission se borne à porter l'espérance.<br />
• Une femme s'apprête à délivrer la France<br />
• Va dire à Charles Sept qu'il la verra sous peu<br />
• Qu'il accepte son ai<strong>de</strong> et qu'il espère <strong>en</strong> Dieu. i'<br />
LA TREMOUILLE.<br />
La déesse Minerve . n , pour nous, pris la peine<br />
De se faire bergère aux marches <strong>de</strong> Lorraine.
ACTE lE, SCÈNE H. $09<br />
Nous allons laisser loin toute la cour d'Artus<br />
Nous ferons oublier Tristan et Méliadus<br />
Oui, grâce û Jeanne d'Arc, la vieille Table Ron<strong>de</strong><br />
Va perdre le r<strong>en</strong>om qu'elle avait dans le inon<strong>de</strong>.<br />
011! comme les Anglais seront remplis (udrI'oi<br />
En appr<strong>en</strong>ant qui vi<strong>en</strong>t pOUF nous v<strong>en</strong>ger.
140<br />
JEArE I)AI1i.<br />
SCÈNE [Il.<br />
LES ILMES ChAuLES VII , LE DUC IÏALENCON<br />
LE SIRE DE, BOUSSA(: LE BARON DE RAIZ<br />
LE SIRE Dl," GRAULLE ET I)iUTRES SEIGNEURS.<br />
UN PAGE, annotuanI<br />
CHARLES, après s'être assis.<br />
Le roi<br />
Tout semble avoir changé <strong>de</strong>puis ilile s<strong>en</strong>iaiiie<br />
Messires. Aujourd'hui, voili huit jours à peine<br />
J'appr<strong>en</strong>ais à la fois les iiiallieurs (lOrléaJis<br />
L'affreuse trahison <strong>de</strong> mes proches par<strong>en</strong>ts<br />
Des soldats écossais les révoltes vénales<br />
Le sacre d'un Anglais sur nos tombes royales<br />
Voilà huit jours <strong>en</strong>fin tout paraissait perdu.<br />
Comm<strong>en</strong>t un peu d'espoir nous est-il donc r<strong>en</strong>du ?<br />
Une vierge, un <strong>en</strong>fant, par sa seule prés<strong>en</strong>ce,<br />
A causé dans nos rangs ce changem<strong>en</strong>t imm<strong>en</strong>se.<br />
;s0115 VOVOflS avcourir. au seul bruit <strong>de</strong> son nom<br />
L'amiral <strong>de</strong> Culant vi k duc dAl<strong>en</strong> n
ACTE II, SCENE HI.<br />
Et «autres chevaliers qui, confiants <strong>en</strong> clic<br />
Se (lis<strong>en</strong>t: tout va pr<strong>en</strong>dre une face nouvelle.<br />
Par l'apparition d'un fantôme , jadis<br />
Le ciel <strong>de</strong> la raison a privé Charles Six<br />
Le ciel ne peut-il pas, par lin autre prodige,<br />
Réparer les malheurs dont la France s'afflige,<br />
Malheurs tous prov<strong>en</strong>us du spectre s'écriant<br />
« O roi ! l'on te trahit, ne va pas plus avant!<br />
Jeanne d'ire, à Poitiers, vi<strong>en</strong>t d'ètre interrogée,<br />
Et là, cligne <strong>de</strong> foi, les docteurs l'ont jugée;<br />
Mais avant, d'accepter un semblable secours,<br />
Je (lois vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>en</strong>cor votre concours<br />
Vous examinerez Jeanne. Qu'on nous l'amène;<br />
Et si Jeanne a dit vrai, bénissons la Lorraine<br />
41
U JEANNE DAR(.<br />
SCÈNE IV.<br />
LES MÊMES; on introduit .JEANNE.<br />
JEA'1iE, s'inclinant <strong>de</strong>vant Charles.<br />
De nouveau je m'incline ('n prés<strong>en</strong>ce du roi<br />
Et vi<strong>en</strong>s lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il se ronfle <strong>en</strong> moi?<br />
LA TItÉMOL IlLJ a Jeanne.<br />
Vous dites, jeune fille, être par le ciel même<br />
Envoyée au secours d'un royaume qu'il aime?<br />
.Ic te dis.<br />
JEANNE.<br />
LA TRÉMOUILLE.<br />
Mais, si Dieu veut sauver ces états<br />
Dieu pour le faire a-t-il besoin <strong>de</strong> nos soldats?<br />
JEANNE.<br />
ils combattront et Dieu donnera la victoire !
A'TE I!, SCÈNE 1V. 113<br />
LA 'FREMOI:IIu:.<br />
Mais <strong>en</strong>fin, pour qu'<strong>en</strong> vous il fût permis <strong>de</strong> croire<br />
Il faudrait nous prouver pal Ufi Signe certain<br />
Que votre mission part d'un ordre divin.<br />
JEANNE.<br />
Je ne suis pas v<strong>en</strong>ue ici pour qu'on exige<br />
Qu'<strong>en</strong> moi je fasse croire à l'ai<strong>de</strong> (l'un prodige<br />
Ces prodiges, Messire, ils auront pourtant lieu<br />
Dans Orléans sauvé vous reconnaitrez Dieu. s<br />
A Charles.<br />
Mais, je Pulls vous prouver à l'instant, ô roi Charte,<br />
Que l'on doit se fier à celle qui vous parle:<br />
Huit jours se sont passés <strong>de</strong>puis cet affreux jour<br />
Où l'espoir vous semblait avoir fui sans retour,<br />
Ou vous-même à vos droits vous refusiez <strong>de</strong> croire.<br />
Vous étant retiré seul dans votre oratoire,<br />
Vous vous êtes jeté brusquem<strong>en</strong>t à g<strong>en</strong>oux,<br />
Une prière alors s'est élevée <strong>en</strong> vous.<br />
Sire, Dieu, vous et moi savons cette prière,<br />
Qui <strong>de</strong> votre ûnie au ciel s'est <strong>en</strong>volée <strong>en</strong>tière,<br />
Et sans même emprunter <strong>de</strong> Sons à votre voix:<br />
Vous disiez : « Si je suis le rejeton <strong>de</strong>s rois,<br />
O Seigneur! protégez un effort légitime;<br />
» Daignez du moins, Seigneur, mc pr<strong>en</strong>dre pour victime;
114 JEANNE D'ARC.<br />
S'il faut que qticlquiin meure <strong>en</strong> expiation,<br />
• Laissez tomber sur moi la condamnation;<br />
• Puissé-je par ma mort acheter à la France<br />
• Autant dcj ours <strong>de</strong> paix qu'elle <strong>en</strong> eut <strong>de</strong> souffrance! »<br />
CHARLES se levant.<br />
Jeanne, je m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>s, oui, j'ai s<strong>en</strong>ti cc voeu<br />
Se former dans mon coeur, puis s'élancer vers Dieu!<br />
Aux chevaliers.<br />
Après un tel prodige, il faut <strong>en</strong>fin se r<strong>en</strong>dre;<br />
Le doute oserait-il <strong>en</strong>cor se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre?<br />
Toue les seigneurs , excepti La Trémouille, font un mouvem<strong>en</strong>t vers<br />
Jeajuic.<br />
TAN1YEGtY.<br />
Un miracle aujourd'hui pouvait seul nous sauver!<br />
DUNOIS.<br />
De grands jours <strong>de</strong> combats vont <strong>en</strong>fin se lever!<br />
SAINTRAILLES.<br />
O Jeanne, vous4jrez un noble et beau cortége!<br />
LAJIIRE.<br />
Malheur aux <strong>en</strong>nemis, c'est Dieu qui nous protège!
ACTE 11, SCENE IV.<br />
L'AMIRAL,<br />
Parlez, Jeanne, parlez, nous vous obéirons!<br />
LE, DUC D'ALENÇON.<br />
Criez-nous: <strong>en</strong> avant! et tous nous vous suivrons!<br />
LA 'lItÉMOUILLE.<br />
Calmez-vous, Messeigneurs, vous ne pr<strong>en</strong>ez pas gar<strong>de</strong>,<br />
Je p<strong>en</strong>se, que l'Europe <strong>en</strong>tière nous regar<strong>de</strong>.<br />
Que dira-t-elle donc à cet étrange bruit,<br />
Qu'une femme est le chef dont l'ordre nous conduit?<br />
Nous allons ù fuS maux joindre le ridicule,<br />
Et l'on nous traitera <strong>de</strong> nation crédule.<br />
CHARLES à Scanne.<br />
Le doute <strong>en</strong> mon esprit ne doit plus pénétrer<br />
Et je me Laisse aller au bonheur d'espérer.<br />
O Jeanne! <strong>de</strong> nouveau, raconte-moi ta vie,<br />
Les saintes visions qui L'ont souv<strong>en</strong>t ravie<br />
Dis-moi ce que le ciel, pal' <strong>de</strong> puissantes voix<br />
T'a, noble jeune fille, annoncé tant. <strong>de</strong> fois<br />
Sur ton sort, sur le mi<strong>en</strong> , sur le sort <strong>de</strong> la France<br />
JEANNE.<br />
Il faut que je remonte au temps <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance
416 JEANNE D'ARC.<br />
Pour retrouver l'instant si plein d'émotion<br />
Où je ne pus douter <strong>de</strong> ma vocation.<br />
Je n'avais pas <strong>en</strong>cor treize ans; pieuse offran<strong>de</strong>,<br />
Je composais <strong>de</strong> fleurs une longue guirlan<strong>de</strong>,<br />
Dont je <strong>de</strong>vais bi<strong>en</strong>tôt, pour un jour sol<strong>en</strong>nel,<br />
De la Vierge Marie, embaumer l'humble autel.<br />
Près du vieux mur qui ceint, les tombeaux et l'église,<br />
Dans notre étroit jardin, seule j'étais assise;<br />
Tout à coup je laissai s'échapper <strong>de</strong> ma main<br />
La rose que j'ornais d'un rameau <strong>de</strong> jasmin.<br />
De joie et <strong>de</strong> frayeur indicible mélange,<br />
Il se passait <strong>en</strong> moi quelque chose d'étrange;<br />
Comme un frisson glacé courut dans mes cheveux;<br />
Mon oeil fut ébloui <strong>de</strong> rayons merveilleux<br />
Le vieux mur, le jardin et le mon<strong>de</strong>, et moi-même,<br />
Je vis tout s'effacer dans cet instant suprême<br />
Mon âme me semblait rompre un <strong>de</strong>rnier lieu,<br />
J'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dais résonner un chant aéri<strong>en</strong><br />
Gloire à Dieu ! tout le ciel redisait ces paroles;<br />
L'air était <strong>en</strong>flammé d'étoiles , d'auréoles;<br />
Les soleils, les éclairs confondai<strong>en</strong>t leur clarté;<br />
Les nuages roulai<strong>en</strong>t, océan arg<strong>en</strong>té;<br />
Semblables à la mer se brisant sur la rive,<br />
Leurs Ibis <strong>en</strong> reculant, imm<strong>en</strong>se perspective,<br />
De vierges, <strong>de</strong> martyrs, d'anges, <strong>de</strong> séraphins,<br />
Mc montrai<strong>en</strong>t le cortége aux pieds du Saint (les saints.<br />
Une voix vint alors vibrer à mes oreilles<br />
« Invoque le Seigneur dans tes jours et tes veilles<br />
» Sois lotit <strong>en</strong>tière à lui, car un instant vi<strong>en</strong>dra
ACTE H, SCÈNE IV, 117<br />
Où pour <strong>de</strong> grands travaux il te désignera. »<br />
Moi, l'indigne témoin du sublinie mystère<br />
Je tombais prosternée et le front sur la terre.<br />
Et <strong>de</strong>puis ce jour-h'i, souv<strong>en</strong>t (les bi<strong>en</strong>heureux<br />
Les traits respl<strong>en</strong>dissant d'un disque lumineux<br />
Le corps <strong>en</strong>veloppé d'une spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> étole,<br />
Desc<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t jusqu'à moi, m'adressai<strong>en</strong>t la parole,<br />
Me donnai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s conseils , me montrai<strong>en</strong>t le chemin<br />
Que traçait à ma vie un pouvoir surhumain.<br />
C'est près d'un liètre antique, et dont le large ombrage<br />
Réunit au printemps les <strong>en</strong>fants du village<br />
Que je vis mapparaitre, abaissant son essor,<br />
Un ange que dans l'air portai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux ailes d'or;<br />
Et cet ange me dit « Tu pr<strong>en</strong>dras une épée,<br />
• On te verra marcher (le fer <strong>en</strong>veloppée;<br />
• D'un lourd casque (l'acier tu chargeras ton front<br />
Ceux que tu conduiras partout triompheront.<br />
» Nul ne t'appellera son épouse ou sa mère<br />
L'homme te gar<strong>de</strong>ra peu <strong>de</strong> temps sur la terie<br />
» Et les peuples pourtant, te verront accomplir<br />
» Des choses dont le bruit vivra dans Fav<strong>en</strong>ir. »<br />
A peine à ces discours mon esprit osait croire,<br />
Je inc s<strong>en</strong>tais trembler (levant autant (le gloire<br />
Mais peu <strong>de</strong> temps après, plusieurs fois j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis<br />
Les saintes qui pour moi quittai<strong>en</strong>t le paradis;<br />
Et leurs voix nie pressai<strong>en</strong>t d'obéir, et sans cesse<br />
Elles nie répétai<strong>en</strong>t cette gran<strong>de</strong> promesse,<br />
Qu'Orléans accablé s&ait sauvé par moi,<br />
Que mon épée à filiciuns <strong>de</strong>vait inciier Uli 1(11.
I t S JI\NE DIRC.<br />
Et Saillie Marguerite, et sainte Catherine<br />
Qui m'apportai<strong>en</strong>t ainsi la parole divine<br />
M'avertissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cor que p<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s jours,<br />
Les hommes peu croyants rirai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mes discours;<br />
Elles m'<strong>en</strong>courageai<strong>en</strong>t ù la persévérance,<br />
Et inc montrai<strong>en</strong>t pour but le salut <strong>de</strong> la France.<br />
:t tout ce qui m'est cher au inon<strong>de</strong> je l'ai fui<br />
J'ai fui cette maison où mon père aujourdliui<br />
Ne retrouvera plus une famille <strong>en</strong>tière<br />
L'église où , tout <strong>en</strong>fant Je lisais ma prière;<br />
Ces vallons et ces prés, ces plaines, ces coteaux,<br />
Où d'autres i prés<strong>en</strong>t conduis<strong>en</strong>t mes troupeaux<br />
Qui sait nième? qui sait où iiia tombe doit étre?<br />
Sera-ce à Doinremy, sous Une croix champêtre?<br />
Mais tous ces souv<strong>en</strong>irs, ah ! qu'ils soi<strong>en</strong>t oubliés!<br />
Tous ces regrets craintifs qu'ils soi<strong>en</strong>t Sacrifiés<br />
Je ne dis pas: Seigneur, éloignez le calice,<br />
Mais:Seigneur, que toujours votre ordre s'accomplisse<br />
CHARLES.<br />
Jeanne , nous acceptons Votre Puissant appui<br />
Vous étes notre chef à dater d'aujourd'hui.<br />
Vos p<strong>en</strong>sers, vos <strong>de</strong>sseins, faites-nous les connaitre;<br />
A VOUS il apparti<strong>en</strong>t d'ordontier comme un maure.
ACTE 1!, SCÈNE V 119<br />
SCÈNE v:<br />
LES MÊMES, UN ÉCUYER<br />
L'ÉCUYER.<br />
Un héraut blasonné <strong>de</strong>s léopards anglais,<br />
Sire vi<strong>en</strong>t k l'instant d'arriver au palais.<br />
Qu'il nous soit am<strong>en</strong>é.<br />
CHARLES.<br />
L'écuyer sort.
24) JEANNE D'ARC.<br />
SCEINE VI.<br />
Us MEMES , LE HEIIAUT.<br />
LE HÉRAUT.<br />
Lequel <strong>de</strong> vous se nomme<br />
Le comte <strong>de</strong> Ponthieu , Charles <strong>de</strong> Valois?<br />
Voilà le roi <strong>de</strong> France!<br />
Ce roi, c'est fleuri Six.<br />
TANNEGUT.<br />
LE HÉRAUT.<br />
Homme,<br />
En France il n'est qu'un roi;<br />
D UN OIS<br />
Insol<strong>en</strong>t<br />
CHARLES.<br />
Conti<strong>en</strong>s-toi;<br />
Un héraut est sacré, pardonnons son audacc
ACTE Il, SCÈNE VI.<br />
JEANNE.<br />
Sire, permettez-moi <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre votre place,<br />
D'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir pour VOuS l'impud<strong>en</strong>t messager.<br />
CHARLES.<br />
Je nie confie à toi, tu peux l'interroger.<br />
JEE au h4raut.<br />
Quelle est la mission qui vers le roi t'amène<br />
Et d'abord qui t'<strong>en</strong>voie?<br />
Salisbury.<br />
LE HÉRAUT.<br />
JEANNE.<br />
4•1<br />
Ln vaillant capitaine<br />
Tu m<strong>en</strong>s , les morts ne parl<strong>en</strong>t pas.<br />
LE HÉRAUT.<br />
Mon rnaitrc n'est pas mort.<br />
A SOiIt!( ce matin<br />
JEANNE-<br />
<strong>de</strong> soit trépas<br />
lu
122 JEANNE 1ARC.<br />
Pour votre perte il vit.<br />
De ses iniquités.<br />
LE HERAU'I'.<br />
JEANNE.<br />
LE HÉRAUT.<br />
Dieu prOtége le Comte;<br />
Dieu lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> compte<br />
Vous.n'avez pas besoin,<br />
Puisque votre, regard peut s'ét<strong>en</strong>dre aussi loin<br />
De m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre exposer mou message; je p<strong>en</strong>se<br />
Que déjà vous <strong>de</strong>vez <strong>en</strong> avoir connaissance,<br />
Vous savez comme moi ce dont on m'a chargé?<br />
JEANNE.<br />
Je sais qe mon pays sera bi<strong>en</strong>tôt v<strong>en</strong>gé.<br />
Et par vous?<br />
Tu l'as dit.<br />
LE HÉRAUT.<br />
JEANNE.<br />
LE JIÉRAUI' à Charles.<br />
Quelle est votre détresse,<br />
Vous croyez aux discours (le cette prophétesse?
ACTE li, SCÈNE VI. 125<br />
JEAN1E.<br />
Avant bi<strong>en</strong> peu <strong>de</strong> jours les Anglais y croiront,<br />
Avant bi<strong>en</strong> l)CU <strong>de</strong> jours les Anglais treiubleroiit.<br />
Ecoute ces discours dont tu feins <strong>de</strong> sourire,<br />
Reti<strong>en</strong>s-les, à tes chefs tu pourras les redire.<br />
A Charles.<br />
Qu'on creuse l'autel <strong>de</strong> Fierbois:<br />
Là se trouve une forte épée<br />
Qui, dans les vieux siècles trcinpte<br />
A sa gar<strong>de</strong> porte cinq croix:<br />
C'est ce glaive que je réclame.<br />
Au héraut.<br />
Tes chefs verront leurs soldats fuir,<br />
Lorsque, sous la maiii d'une femme<br />
Comme un éclair, la noble laine<br />
Hors du fourreau pourra ,jaillir<br />
A Charles.<br />
Que j'aie un ét<strong>en</strong>dard aussi blanc que les voiles<br />
l)otit la vierge pudique aime les longs replis<br />
Nombreuses comme les étoiles<br />
Qu'oii y sème <strong>de</strong>s fleurs <strong>de</strong> lis.<br />
Que du Sauveur du mon<strong>de</strong> on y peigne limage;<br />
A ses pieds, que , dans un nuage,
124<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Des anges 'soi<strong>en</strong>t ag<strong>en</strong>ouillés;<br />
Qu'on écrive son nom près du nom (le sa mère.<br />
Au héraut.<br />
Et <strong>de</strong>vant ce drapeau le premier à la guerre<br />
Tes chefs seront terrifiés!<br />
A Charles.<br />
Du ciel va s'accomplir la promesse sublime<br />
Il se lève le jour si longtemps souhaité.<br />
La gloire a choisi sa victime<br />
Le doute a disparu, l'espoir est écouté<br />
II se lève le jour <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s représailles!<br />
Orléans va jeter SOU vétem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil.<br />
AU liciaul.<br />
Devant ses murs tes chefs courberont leur orgueil,<br />
Car moi je vais changer la face <strong>de</strong>s batailles!<br />
A Charles.<br />
Il se lève à la fin le jour où le Seigneur<br />
Laisse <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre sa clém<strong>en</strong>ce,<br />
Le jour où l'opprimé trouve Un libérateur,<br />
Où Charles <strong>de</strong> Valois <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le roi (le France
ACTE H, SCENE \J. 123<br />
Rheims, la plus flOI)IC (les cites<br />
Ouvre ta sainte basilique;<br />
Que ses échos soi<strong>en</strong>t agités<br />
Parle vol dun joyeux cantique<br />
Je vous mène le fils <strong>de</strong>s rois,<br />
Accourez, prêtres et lévites,<br />
Et que Dieu, suivant les vieux rites,<br />
L'ai<strong>de</strong> à monter sur le pavois!<br />
Charles s'incline <strong>de</strong>vant Jeanne autour <strong>de</strong> laquelle tous les clievaliei<br />
se group<strong>en</strong>t.<br />
FIN DU DEUXIENE ACTE.
ACTE TROISIÈME.<br />
Ais fond, la cathédrale <strong>de</strong> Rheims; à gauche, une hôtellerie c'est une<br />
maison à pignon, au—<strong>de</strong>ssus Je la porte une <strong>en</strong>seigne représ<strong>en</strong>te<br />
l'arche <strong>de</strong> Noé, aux f<strong>en</strong>êtres <strong>de</strong> laquelle se montr<strong>en</strong>t divers ani-<br />
maux; aux c.4tés <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> l'hôtellerie sont <strong>de</strong>s montoirs <strong>en</strong><br />
pierre pour ici chevaux et les mules.<br />
SCÈNE I.'<br />
Le peuple se presse vers le portail <strong>de</strong> la cathédrale; on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par<br />
mom<strong>en</strong>t les sons <strong>de</strong> l'orgue. JACQU ES et RAYMOND sont<br />
sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène.<br />
JACQUES.<br />
La revoir, ô mon Dieu! la revoir aujourd'hui,<br />
Tout à rheure, à l'instant, et la revoir l'appui<br />
Le v<strong>en</strong>geur, le conseil, le sauveur (lu royaume;<br />
Elle, née humblem<strong>en</strong>t sous mon vieux toit <strong>de</strong> chaume!<br />
9
1<br />
I28<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Mais n'est-ce pas un rêve? 0111 non, ma fille est là!<br />
Le peuple s'écriait la voilà! la voilà<br />
Chacun se la montrait, ou voulait l'avoir vue<br />
Son nom circulait seul dans celte foule émue,<br />
Qui, <strong>de</strong> la cathédrale, occupait les abords....<br />
Et pour l'apercevoir j'ai fait <strong>de</strong> vains efforts;<br />
Vers Féglise j'avance avec peine, et la foule,<br />
A vingt pas du portail, aussitôt me refoule.<br />
J'aurais pu m'écrier, mais Jeanne est mon <strong>en</strong>fant<br />
Que je la voie aussi près du roi triomphant<br />
Laissez-moi donc <strong>en</strong>trer que j'assiste à sa gloire<br />
Si j'avais (lit cela, qui m'aurait voulu croire?<br />
.J'aurais passé 1)0111' fou, l'on aurait ri <strong>de</strong> moi.<br />
Et celle cep<strong>en</strong>dant qui fait sacrer un roi,<br />
Celle qui vint à tous r<strong>en</strong>dre la confiance,<br />
Celle qui sut gar<strong>de</strong>r Orléans à ht France,<br />
Celle dont le regard consterne l'<strong>en</strong>nemi,<br />
C'est ma fille pourtanl.......Chacun à I)omremy<br />
A pu la voir, l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ..... Oh c'est un tel prodige<br />
Que l'on n'y peut songer salis avoir un vertige!<br />
On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ce fragm<strong>en</strong>t d'une prière faite <strong>en</strong> l'honneur <strong>de</strong> Jeanne:<br />
Deus auctor pacis, qui sine arca et sagiita inirnicos in te sperantes<br />
e1idis subr<strong>en</strong>L quœsumus. Domine, st nostram propitiit s<br />
tue-ans wlversiaem, ut sicut poputum tuurn per manum fw7rtine<br />
liberasti,. sic Carolo regi nostro brachium, nictorie erige ...... 2<br />
Les sons <strong>de</strong> l'orgue s'élèv<strong>en</strong>t-
ACTE III, SCÈNE 1. 129<br />
Ecoute: l'orgue chante, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d à la fois<br />
Un hymne glorieux accompagner sa voix.....<br />
Et tout serait muet sous ces voûtes antiques,<br />
Point d'orgue résonnant et point <strong>de</strong> saints cautiques,<br />
Point <strong>de</strong> prince à g<strong>en</strong>oux et le front incliné,<br />
De chevaliers <strong>de</strong>bout, <strong>de</strong> peuple prosterné,<br />
Au royaume, ô mon Dieu! point <strong>de</strong> roi, si ma fille<br />
Était toujours restée au sein <strong>de</strong> sa famille!<br />
RAYMOD.<br />
Ne vous souvi<strong>en</strong>t-il pas d'un songe singulier<br />
Que ces événem<strong>en</strong>ts sembl<strong>en</strong>t vérifier?<br />
Jeanne était sur un trône, et le front ceint d'étoiles,<br />
La foule l'<strong>en</strong>tourait, <strong>de</strong>s lis couvrai<strong>en</strong>t ses voiles....<br />
JACQUES.<br />
Je me rappelle <strong>en</strong>cor ce rêve étrange, alors,<br />
Que pour l'interpréter, je fis <strong>de</strong> vains efforts!<br />
Mais pouvais-je prévoir cette gran<strong>de</strong> journée!<br />
Devais-je jamais croire à cette <strong>de</strong>stinée!<br />
O Raymond! cep<strong>en</strong>dant, â travers mon orgueil,<br />
Il passe maint<strong>en</strong>ant comme un souffle <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil.<br />
La gloire ne vaut pas 1 bonheur, non, et Jeanne<br />
Le ramènera-t-elle un jour dans ma cabane?<br />
Après tant <strong>de</strong> succès, tant d'honneurs, tant d'exploits,<br />
Pourra-t-elle avec nous vivre comme autrefois?<br />
Ce doute m'est affreux!<br />
17
150<br />
JEANNE D'ARC.<br />
RAYMOND.<br />
Hélas! je le partage;<br />
Votre 1111e voudra terminer son ouvrage,<br />
Encor combattre et vaincre. Oh ! que lui direz-vous<br />
Pour la déterminer à partir avec nous!<br />
JACQUES.<br />
Nous lui rappellerons et ses soeurs et sa mère,<br />
Ses frères, son <strong>en</strong>fance, et puis notre chaumière<br />
Si triste maint<strong>en</strong>ant.....Puis elle me verra<br />
Crois-tu qu'à ma douleur elle résistera?<br />
Et quand je lui peindrai sa pauvre mère <strong>en</strong> larmes!<br />
Pour toi, Raymond, il faut qu'aussi tu la désarmes;<br />
Tu t'aimes, tu sauras peut-être l'att<strong>en</strong>drir!<br />
RAYMOD.<br />
Aujourd'hui, cet amour, pour jamais doit mourir.<br />
Aimer Jeanne d'amour! Qui serait digne d'elle?<br />
JACQUES.<br />
Regar<strong>de</strong>, le portail d'armures étincelle.<br />
RAYMOND.<br />
Le cortêge comm<strong>en</strong>ce à sortir.<br />
11 se fait un grand mouvem<strong>en</strong>t dans le peuple ; 1e cloebes sonn<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>s<br />
tètes se montr<strong>en</strong>t à loue les fetitres <strong>de</strong>s varleI aiiin<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cheon<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d un grand bruit <strong>de</strong> trompettes et <strong>de</strong> hautbois. Après
ACTE III, SCÈNE 1. 151<br />
les musici<strong>en</strong>s qui ouvr<strong>en</strong>t la marche, on voit sortir <strong>de</strong> la cathédrale<br />
les <strong>en</strong>fants vêtus <strong>de</strong> blanc et agitant <strong>de</strong>s rameaux; <strong>de</strong>rrière eux<br />
s'avanc<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s hallebardiers; puis les magistrats <strong>de</strong> Rheims, l'amiral<br />
<strong>de</strong> Culant, le maréchal <strong>de</strong> Bussc et les seigneurs <strong>de</strong> Crauille<br />
et <strong>de</strong> Raie sort<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite à cheval le la caihédrale 3 ils surit armés<br />
<strong>de</strong> toutes pièces et ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leurs bannières; ilsaccompagn<strong>en</strong>t la<br />
sainte ampoule quo l'abbé <strong>de</strong> Saint—Remy porte sous un dais; ils<br />
sont suivis par Jcanne, par ic sire d'Aulon et par les <strong>de</strong>ux hérauts<br />
<strong>de</strong> la Fucelle. Au mom<strong>en</strong>t où elle se montre , ses pages font avancer<br />
un coursier noir, l'aline a confia sa bannière à son éctiyer.<br />
Comme il bat!<br />
JACQUES.<br />
LE PEUPLE , à la vue <strong>de</strong> Jeanne.<br />
Ah! mon coeur,<br />
La voilà, voilà notre sauveur<br />
Nol! vive le roi! Dieu gar<strong>de</strong> la Pucelle!<br />
Noël! Noël! Nol! Vive le roi!<br />
JACQUES.<br />
(est elle!
I 2 JEANNE D'ARC.<br />
SCÈNE II.<br />
LES MÊMEs, JEANNE; elle aperçoit son père, court à lui et<br />
tombe dans ses bras.<br />
(J mou père! è Ilaymond!<br />
Je vous revois <strong>en</strong>cor!<br />
JEAE.<br />
JACQUES.<br />
J EAE.<br />
JACQUES.<br />
Ma fille!<br />
(ràre û Dieu<br />
Jeanne, exauce mon voeu!<br />
Revi<strong>en</strong>s à Domremy, j'ai peu <strong>de</strong> jours à vivre.<br />
JEANNE.<br />
Mon plus ard<strong>en</strong>t désir est (le pouvoir vous suivre!<br />
Et je sais quelle gràce au prince <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.
ACTE III, SCENE 1f. 153<br />
RAYMOND.<br />
Jeanne! fasse le ciel qu'il la veuille accor<strong>de</strong>r!<br />
LE PEUPLE.<br />
Noël! Noi1! Noël! voilà le roi <strong>de</strong> Ii'rancc!<br />
Si l'oit te refusait!, ...<br />
JACQUES.<br />
JEANNE.<br />
0 mort père, espérauet'
JEANE D'ARC.<br />
SCÈNE 11!.<br />
P<strong>en</strong>dant la scène précéd<strong>en</strong>te, on a Nit sortir <strong>de</strong> la cathédrale<br />
<strong>de</strong>ux maréchaux, une foule <strong>de</strong> chevaliers et d'hommes d'armes.<br />
ChARLES , au bruit du ranon et <strong>de</strong>s cloches n paru <strong>en</strong><br />
suite, ayant auprès <strong>de</strong> lui l'arclicvéque <strong>de</strong> Rheims, cinq<br />
antres pairs ecclésiastiques et six pairs laïques; il porte la<br />
couronne, Ic sceptre et le manteau royal. Parmi les pairs<br />
et les seigneurs qui l'<strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>t, on remarque le duc<br />
D'ALENCON , DEMIS, SAINTRAlLLES, LAIIIRE,<br />
LA TRÉMOUILLE, TANNFGUY DU CHASTEL; sur<br />
les cottes d'armes blasonnées qui brill<strong>en</strong>t <strong>de</strong>rrière lui, on<br />
distingue les armoiries <strong>de</strong>s seigneurs <strong>de</strong> Lavai, <strong>de</strong> Caucourt,<br />
<strong>de</strong> Beaumanoir, etc.<br />
CHARLES,s'avançant ,rs Jeanne.4<br />
Où donc est I'litroïne à laquelle je dois<br />
De remonter <strong>en</strong>fin sur le trône <strong>de</strong>s rois?<br />
Mais la place <strong>de</strong> Jeanne est auprès <strong>de</strong> la mi<strong>en</strong>ne.<br />
Et j'ai besoin <strong>en</strong>cor que son bras mc souti<strong>en</strong>ne.<br />
O Jeanne, approchez- vous, marchez à mes côtés;<br />
Jouissez <strong>de</strong>s travaux par vous cxécuks
A Dunois.<br />
ACTE UI, SCÈNE iii.<br />
Comte <strong>de</strong> Longueville, aux yeux <strong>de</strong> cette foule,<br />
Que sa vie à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tière se déroule:<br />
Qu'il <strong>en</strong>t<strong>en</strong><strong>de</strong>, ce peuple avi<strong>de</strong> (le la voir.<br />
Ce que Jeanne a su faire; <strong>en</strong>suite mon pouvoir<br />
S'emploiera pour trouver quelle est la récomp<strong>en</strong>se<br />
De celle qui sauva le royaume <strong>de</strong> France.<br />
n'joIs.<br />
De raconter sa vie, eh! qu'est-il donc besoin<br />
Le bruit <strong>de</strong> ses exploits s'ét<strong>en</strong>d déjà bi<strong>en</strong> loin.<br />
Qui pourrait oublier comm<strong>en</strong>t ses prophéties<br />
Dans Orléans sauvé vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être remplies<br />
Qui ne sait les détails du siège <strong>de</strong> Gergeau,<br />
Déf<strong>en</strong>du par Suffolck, et pourtant pris d'assaut?<br />
Qui n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit parler <strong>de</strong> ces jours <strong>de</strong> victoire<br />
Qu'elle nous a donnés sur les bords <strong>de</strong> la Loire?<br />
Qui n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit conter comm<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>nemis,<br />
A Patay, <strong>de</strong>vant elle, <strong>en</strong> fuite fur<strong>en</strong>t mis?<br />
Puis après ce succès obt<strong>en</strong>u dans la Beauce,<br />
C'est un hardi désir qu'elle veut qu'on exauce.<br />
A tous, marcher sur Rheims, paraît trop imprud<strong>en</strong>t;<br />
Jeanne, sans s'ébranler, insiste cep<strong>en</strong>dant.<br />
Ses plans sont au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la sagesse humaine;<br />
On cè<strong>de</strong>, et triomphants, la vierge nous cutraine.<br />
De combats <strong>en</strong> combats sur ses pas nous allons;<br />
Nous pénétrons ù'1'rye, à nous s'ouvre Chàlons
456 JEANNE D'ARC.<br />
Et cc n'est qu'à l'autel <strong>de</strong> cette cathédrale<br />
Que s'arrête un instant la marche triomphale<br />
De ces actes si grands déjà <strong>de</strong> toutes parts<br />
Le bruit est répandu par l'effroi <strong>de</strong>s fuyards.<br />
Chacun sait ce qu'a fait la mo<strong>de</strong>ste bergère;<br />
L'Angleterre la craint, la France la vénère.<br />
Mais qui petit peindre - Jeanne au milieu du danger?<br />
Alors que le combat comm<strong>en</strong>ce à s'<strong>en</strong>gager,<br />
Le front calme, l'oeil fier, on la voit apparaître;<br />
Elle craint <strong>de</strong> frapper et ne craint pas <strong>de</strong> l'être;<br />
Son épée à regret se rouille dans le sang.<br />
Les vaincus sur leur mort la trouv<strong>en</strong>t gémissant.<br />
Humble dans les combats, gran<strong>de</strong> dans la victoire,<br />
Sacrifiant à Dieu tout l'orgueil <strong>de</strong> la gloire,<br />
Jeanne semble à la fois une sainte, un héros!<br />
Ah! si votre royaume oublie <strong>en</strong>fin ses maux,<br />
Et si vous, vous régnez, polir être juste, sire,<br />
En montrant cette femme, à tous vous <strong>de</strong>vez dire:<br />
Qu'on bénisse son nom, car elle m'a fait roi!<br />
JEANNE à Charte,.<br />
C'est Dieu qu'il faut bénir, ô sire, et non pas moi!<br />
LE PEUPLE.<br />
Vive notre roi Charle et .Jeanne la Pucelle !
ACTE 111, SCÈNE lU. 137<br />
CItARLES à Jeanue<br />
Qu'à votre nom s'attache une gloire immortelle!<br />
Votre famille, ô Jeanne, est gran<strong>de</strong> désormais.<br />
Que sur votre blason on lise VOS hauts faits<br />
Qu'<strong>en</strong> un champ d'azur, d'or croisée et pommelée.<br />
Une épée élevant sur sa lame arg<strong>en</strong>tée<br />
La couronne <strong>de</strong> France <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux fleurs <strong>de</strong> lis,<br />
Redise les travaux par vous, Jeanne, accomplis.<br />
Que la royale fleur à voire race donne<br />
A tout jamais son nom, éloqu<strong>en</strong>te patronne;<br />
Et quand, dans l'av<strong>en</strong>ir, on verra ce blason,<br />
Et quand, dans l'av<strong>en</strong>ir, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dra ce nom,<br />
Surpris, on se dira : cette famille est celle<br />
Que dans les anci<strong>en</strong>s jours illustra la Pucelle.<br />
JEANNE.<br />
Pourquoi m'<strong>en</strong>orgueillir par un si grand bi<strong>en</strong>fait?<br />
Obéir au Seigneur, c'est tout ce que j'ai fait.<br />
Je suis un instrum<strong>en</strong>t, sire, dia provid<strong>en</strong>ce,<br />
En le choisissant faible, a montré sa puissance.<br />
Si le roi cep<strong>en</strong>dant veut me récomp<strong>en</strong>ser,<br />
Je ne forme qu'un voeu, qu'il daigne l'exaucer?<br />
Ce voeu, c'est <strong>de</strong> quitter aujourd'hui cette armure;<br />
C'est <strong>de</strong> retourner, sire, à cette vie obscure,<br />
Abandonnée un jour, non par ambition,<br />
Mais parce que le ciel traçait ma mission.<br />
Cette mission sainte est <strong>en</strong>fin accomplie;<br />
Ma <strong>de</strong>rnière promesse est maint<strong>en</strong>ant remplie.<br />
18
138 JEANNE D'ARC.<br />
CHARLES.<br />
Comm<strong>en</strong>t, Jeanne, c'est vous qui v<strong>en</strong>ez <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r?..<br />
JEANNE.<br />
La seule grâce, ô roi, qu'on puisse m'accor<strong>de</strong>r.<br />
CHARLES.<br />
Une grâce qu'il faut pourtant que je refuse.<br />
JEAN\ E.<br />
Mais sur mon importance, ô sire, l'on s'abuse:<br />
Je ne suis maint<strong>en</strong>ant qu'une femme,...<br />
Ri<strong>en</strong> ne dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong> moi.<br />
Que puis-je faire <strong>en</strong>cor?<br />
CHARLES.<br />
JEA{1'IE.<br />
CHARLES.<br />
Un v<strong>en</strong>geur!<br />
La France et sa gran<strong>de</strong>ur!<br />
JEANNE.<br />
CHARLES.<br />
Combattre!
ACTE III, SCÈNE 111. 139<br />
JEANNE.<br />
Dieu termine<br />
Au maître-autel <strong>de</strong> Rheims ma mission divine.<br />
Prét<strong>en</strong>dre me quitter!<br />
CHARLES.<br />
JEANNE.<br />
Mais, sire, écoutez-moi;<br />
Mon père est un vieillard, il me pleure'....<br />
Te réclame.<br />
CHARLES.<br />
JEAM'E.<br />
Ton roi<br />
Ma mère, au désespoir, m'appelle;<br />
Par grâce! laissez-moi retourner auprès d'elle<br />
O sire, regar<strong>de</strong>z, je suis àvos g<strong>en</strong>oux....<br />
Ne me refusez pas, ayez pitié <strong>de</strong> nous!<br />
J'ai mérité, d'avoir, sire, une récomp<strong>en</strong>se<br />
C'est vous qui l'avez dit, car j'ai sauvé la France.<br />
Eh bi<strong>en</strong>! montrez-vous donc clém<strong>en</strong>t et généreux!<br />
Mon père, iiia mère!.., Oh ! que je vive auprès d'eux<br />
Et leur fasse oublier jusques à la mémoire<br />
De ces jôurs <strong>de</strong> malheur qu'ils dur<strong>en</strong>t à ma gloire!
440 JEANNE D'ARC.<br />
CHARLES.<br />
Jeanne, à votre départ je n'ose cons<strong>en</strong>tir<br />
Sans l'avis du conseil que je vais réunir.<br />
Mais que ne m'avez-vous <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong>s provinces,<br />
Des villes, <strong>de</strong>s châteaux, et pour vassaux (les princes!<br />
Noël! Noël! Noél!<br />
Charles s'éloigne avec sa suite.<br />
LE PEUPLE, <strong>en</strong> l'accompagnant.
ACTE 111, SCENE IV.<br />
SCÈiI 1V.<br />
JEANNE, JACQUES, ltA\iION1).<br />
JEANNE fait signe ses g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> s'éloigner, puis elle revi<strong>en</strong>t vers<br />
JACQUES et RAYMO_'J) qui s'étai<strong>en</strong>t mé1s au peuple.<br />
JEANNE.<br />
RAYMOND.<br />
141<br />
Mon père. vous pleurez?<br />
Ah ! Jeanne. je le crains, vous nous sacrifierez<br />
JACQUES.<br />
Oh ! non, non, n'est-cc pas? N'es-tu pas assez gran<strong>de</strong><br />
La France te bénit. Cc que je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />
Oh! fais-le, je pourrai te bénir a mon tour.<br />
Revi<strong>en</strong>s, Jeanne, revi<strong>en</strong>s. Quel beau, quel heureuxjonr!<br />
Alors qu'on te verra regagner la vallée,<br />
J)'oû, par l'ordre <strong>de</strong> Dieu tu t'<strong>en</strong> étais allée<br />
Y reparaître, illustre <strong>en</strong>tre tous les hardis<br />
Et (fonce, et simple, autant que tu l'étais jadis.
142 JEANNE D'ARC.<br />
Mais tu restes muette nia fille, regar<strong>de</strong>!<br />
Mes cheveux sont blanchis, et ton retour, s'il tar<strong>de</strong><br />
Dans nia pauvre maison, serons-nous <strong>en</strong>cor tous,<br />
Qand tu cons<strong>en</strong>tiras à rev<strong>en</strong>ir vers nous.<br />
Jeanne, p<strong>en</strong>ses-y bi<strong>en</strong> , c'est auprès d'une pierre,<br />
Se cachant sous le buis au coin du cimetière,<br />
Que l'on te conduiras peut-être ..... En pleurs, alors<br />
Tu s<strong>en</strong>tiras <strong>en</strong> toi s'élever un remords<br />
Mais trop tard. rfj le tais?.. * De quoi suis-je coupable?<br />
Pourquoi donc cet <strong>en</strong>fant, dont la gloire m'accable?<br />
Mon Dieu! quai-je donc fait pour voir ilaitre <strong>de</strong> moi,<br />
La femme qui <strong>de</strong>vait r<strong>en</strong>dre à la France un roi<br />
JEÀVE.<br />
MI! ne blasphémez pas! ... Mais peut-être , mon père<br />
Sur moi dans cet instant le conseil délibère;<br />
Je vais aller savoir sa résolution.<br />
JACQUES.<br />
Ma fille, pr<strong>en</strong>ds pitié <strong>de</strong> mon affliction.<br />
JEANE.<br />
La volonté du roi, je vi<strong>en</strong>drai vous l'appr<strong>en</strong>dre;<br />
Mais pour vous retrouver, où faudra-t-il me r<strong>en</strong>dre?<br />
Nous vous att<strong>en</strong>drons là.<br />
PAYMOID, motiirant l'hôtellerie.
J'ose û peine espérer.<br />
ACTE III, SCÈNE IV. 143<br />
JEANNE.<br />
Raymond, mon père, adieu<br />
JACQUES.<br />
JEANNE.<br />
Confions-nous <strong>en</strong> Dieu!<br />
Jeannes'éloigne ; Jacques et Raymond <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans I'tutcUerie.
--..-.---'--.--<br />
144<br />
JIANNE D'ARC.<br />
SCENE V.<br />
GUILBERT DE LA II.\YE, MICIIEL NORVIL, GUIL-<br />
LAUME BERLIER - ROBERT JAY , GAZZOT DE<br />
HAUTEVILLE, JEAN FONTAINE.<br />
C IILBERT.<br />
Par ici, mes amis, c'est une. hôtellerie.<br />
A l'Arche <strong>de</strong> Noé.<br />
J AY.<br />
flERLIER.<br />
L'<strong>en</strong>seigne est bi<strong>en</strong> choisie-<br />
POR VIL.<br />
A l'Arche <strong>de</strong> Noé! r<strong>en</strong>seigne nous promet<br />
Ï)c tous les animaux un recueil fort complet.<br />
CULBERT.<br />
Trouvons-y <strong>de</strong>s beautés d'une vertu facile
Tel gibier n'est pas rare.<br />
ACTE III, SCÈNE V.<br />
F O FT AI NE.<br />
BERLIER.<br />
Pourtant (le le chercher parmi nous.<br />
JAY.<br />
Il serait inutile<br />
Les amours<br />
Hélas! <strong>de</strong> notre camp nefont plus les beaux jours.<br />
N OR VIL.<br />
Jeanne craint vingt Anglais beaucoup moins qu'un scandale.<br />
BERLIER.<br />
Plus que <strong>de</strong> vingt Anglais, j'ai peur <strong>de</strong> la morale.<br />
GIJILBER T.<br />
Nous suivons un régime i nous r<strong>en</strong>dre tous saints.<br />
Oui, vrai Dieu!<br />
'(ORVIL.<br />
FONTAINE.<br />
Nous vivons comme <strong>de</strong>s capucin.<br />
19
JEANNE D'ARC,<br />
JAY.<br />
Ah ! si tu disais vrai, nous serions dans la joie.<br />
GAZZOT.<br />
Profitons du bon temps que le ciel nous <strong>en</strong>voie.<br />
Arrêtons-nous ici.<br />
Buvons!<br />
Jouons!<br />
GIJ1LBERT.<br />
JAY.<br />
Nargue du couvre-feu.<br />
GAZ ZOT,<br />
BERLIER.<br />
FONTAINE.<br />
Chantons!<br />
GUILBERT, frappant à la porte <strong>de</strong> l'hôtellerie.<br />
IloLt !quelqu'un ici<br />
Quelqu'un, par la mordicu!<br />
CAZZOT.
Des cartes!<br />
ACTE III, SCÈNE V. 147<br />
Du bon vin<br />
ORVIL.<br />
1k! l'hôtelier du diable<br />
L'hôte parait.<br />
JAY.<br />
GUILBERT.<br />
BERLIER.<br />
FONTAINE.<br />
Trois dés!<br />
Vile une table!<br />
L'hôtelier sot-i let<br />
revi<strong>en</strong>t avec ce qu'on lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />
BEItLIEK.<br />
Va-t-cii sous les fagots nous chercher (lu meilleur.<br />
OIt VIL.<br />
Allons <strong>de</strong>pèclie-toi , maudit empoisonneur<br />
UOITAIE à Guilberi.<br />
liuilciuls-tu mon arg<strong>en</strong>t? il semble qu'il appelle<br />
Des parisis lassés d'être cii ton escarcelle.
--<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Le jeu vi<strong>en</strong>dra plus tard; comm<strong>en</strong>çons par goûter<br />
Ce que dans ces flacons on nous vi<strong>en</strong>t d'apporter.<br />
Pas mauvais, sur ma foi<br />
NOR VIL.<br />
IJERLIER.<br />
C'eût été grand dommage<br />
De laisser aux Anglais un aussi doux breuvage.<br />
La nuit est tout à fait tombée , 1'htc apporte une iatnpc , les hormiles<br />
d'armes sont assis et boiv<strong>en</strong>t.<br />
Hôtelier, payez-vous.<br />
A ses corripagnOns.<br />
NORVIL IL 1'1iite.<br />
Le jeu dira bi<strong>en</strong>tôt<br />
S'il <strong>en</strong> est parmi vous qui me <strong>de</strong>vront l'écot.<br />
Gijil 11f R'!' chante.<br />
Gros nez, qui te regar<strong>de</strong> à travers un grand veire.,<br />
Te trouve <strong>en</strong>core plus beau;<br />
Tu ne ressembles pas au nez d'un paurc hère<br />
Qui ne boit que <strong>de</strong> l'eau!
ACTE 111, scÈNI: \.<br />
0IIVIL.<br />
Au diable tes chansons (l'ivrogne, elles sont vieille'.<br />
BERLIER.<br />
Je vais par d'autres chants.....<br />
FONTAINE.<br />
Ecorcher nos oreillcs<br />
D 'autres hommes d'armess'approch<strong>en</strong>t ae.e <strong>de</strong>s fernttae.<br />
GAZZOT.<br />
lié ! mais, voici v<strong>en</strong>ir, attirés par le bruit,<br />
De nouveaux compagnons suivis d'oiseaux (le nuit.<br />
GUILBERI'.<br />
Oiseaux (le nuit ! Fi (Jonc, (lis <strong>de</strong> nymphes! .....<br />
JAY.<br />
Parées,<br />
Au lieu d'un bon r<strong>en</strong>om , (le Ceintures dorées.<br />
Quelques-uns <strong>de</strong>s hommes d'arme, vont au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s nouveau—v<strong>en</strong>u<br />
et les fuiti asseoir ils boiv<strong>en</strong>t , jou<strong>en</strong>t , causcti ri<strong>en</strong>t.<br />
149
150 JEANNE D'ARC.<br />
HERLJER chante.<br />
A sa f<strong>en</strong>trc, l'autre soir,<br />
J'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis <strong>de</strong> cette manière,<br />
Celle qui fut la belle licaulmière,<br />
Sur le temps prés<strong>en</strong>t se douloir:<br />
« hélas! les nus march<strong>en</strong>t si vite,<br />
« Que jo ne inc reconnais pas;<br />
» En me voyant si décrépite,<br />
» Dirait-on que j'eus tant d'appas. »<br />
'roui repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chœur tee quatre <strong>de</strong>rniers vers.<br />
EN CHOEUR.<br />
Hélas! les ans march<strong>en</strong>t si vite, etc.
ACTE III, SI;E \ I 1:iI<br />
SCÈNE VI.<br />
JEANNE parait, et s'arrête interdite près <strong>de</strong> la cathédrale.<br />
JEANNE,<br />
Qui donc près du saint lieu pousse <strong>de</strong>s chants profanes<br />
L'ivresse! <strong>de</strong>s soldats! le jeu! (les courtisanes<br />
Qui vi<strong>en</strong>t?<br />
Regar<strong>de</strong>.<br />
FONTAINE.<br />
GULJ3ER1.<br />
FONTAINE.<br />
JAY.<br />
Jeanne!<br />
Eh bi<strong>en</strong> ! à sa santé;<br />
L'air est doux, <strong>de</strong>ux beaux veux brill<strong>en</strong>t à mon côté,<br />
Le vin est excell<strong>en</strong>t, et je reste à ma place.
52<br />
A Berlier.<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Achève ta chanson; allons , un peu d'audace.<br />
JEANINE aux femmes.<br />
Du temple Jésus-Christ a chassé les v<strong>en</strong><strong>de</strong>urs<br />
Et vous v<strong>en</strong>ez ici v<strong>en</strong>dre vos impu<strong>de</strong>urs<br />
Arrière, éloignez-vous, infâmes créatures;<br />
Allez chercher ailleurs le prix (le vos souillu t'es.<br />
Les hommes d'armes se lèv<strong>en</strong>t.<br />
CAZZOT.<br />
De quel droit v<strong>en</strong>ez-vous pricher ainsi?<br />
REIILIER.<br />
Ne passez-vous donc pas votre chemin?<br />
FONTAINE.<br />
Pourquoi<br />
Eh quoi<br />
Vous croyez-vous contrainte, ô bergère effarée,<br />
De v<strong>en</strong>ir rechercher la brebis égarée?<br />
N OR VIL<br />
II ne nous fallait pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pour troupeau.
À(TE HI, SCI:NE n<br />
FONTAINE.<br />
Que le loup du mouton rejette <strong>en</strong>fin la peau<br />
JAY.<br />
Laissez-nous être <strong>en</strong>ajx d'liots hommes (l'armes.<br />
Ainiant, buvant, pillant et tuant sans alarmes.<br />
Qui m'ose ainsi parler?<br />
JEAT'NE.<br />
FONTAJr(I.<br />
Sommes-nous (les Anglais.<br />
Pour trembler (levant vous?<br />
JEANNE.<br />
S'ils ont été défaits,<br />
C'est pal' DÎCLI seul , et vous outragez sa <strong>de</strong>meure;<br />
Fuyez<br />
LES 110-MMES D'AflhIJ•:s.<br />
Fuyez VOUS-rn(flll'.<br />
•JI:Av'l:,<br />
User <strong>de</strong> violcnt• , et m Iolvel(z-<br />
A tirer flOU épée.
JEANNE D'ARC<br />
Elle tire 50fl épée et veut <strong>en</strong> frapper un <strong>de</strong>s hommes darmes, il évite<br />
le coup, la lame r<strong>en</strong>contre la muraille et sole <strong>en</strong> éclats.<br />
O ciel!<br />
LES HOMES D'ARMES regardant avec consternation l'épée brisée.<br />
Eloignons-nous!<br />
Ils se dispers<strong>en</strong>t.
ACTE 111, SCENE VII. 155<br />
SCÈNE VII.<br />
JEAjNE, dans le plus grand trouble.<br />
O mon Dieu! qu'ai-Je fait?.... mon épée est brisée<br />
Cette arme si souv<strong>en</strong>t aux combats exposée....<br />
Malheur ! Malheur! Cette arme que mes voix<br />
M'avai<strong>en</strong>t fait découvrir sous l'autel tic Fierbois,<br />
En voilà les morceaux! Ah j'étais trop sévère;<br />
Le Seigneur eut pitié <strong>de</strong>s Pleurs <strong>de</strong> l'adultère;<br />
Il laissa <strong>de</strong>vant lui Ma<strong>de</strong>laine à g<strong>en</strong>oux,<br />
Répandre sur ses pieds les parfums les plus doux.<br />
Quel droit avais-je donc, pour oser, faible femme,<br />
Aunom du Dieu clém<strong>en</strong>t, faire tomber le blàrne<br />
Pour prét<strong>en</strong>dre m'armer (le sa sévérité?<br />
Le ciel veut châtier ma folle vanité<br />
Le ciel veut plus <strong>en</strong>cor, le ciel me prophétise<br />
Qu'à prés<strong>en</strong>t c'<strong>en</strong> est fait.... Cet acier qui se brise<br />
Me dit : je ne dois plus désormais te servir.<br />
Et Charle à mon départ ne veut pas cons<strong>en</strong>tir<br />
Il mc dit: marche <strong>en</strong>cor couverte <strong>de</strong> tes armes!<br />
Et loi , Dieu tout-puissant, pourtant tu inc désai'iucs<br />
Oh ! (lue faire que faire?.... An ges , saintes, parlez!<br />
Me montrant les Anglais, inc crierez-vous: allez !
J<br />
156 JEANNE 1)ARC.<br />
Me rappellerez-vous sous le toit <strong>de</strong> mon père?<br />
Dois-je <strong>en</strong>cor triompher? Mais tout se tait! Que faire<br />
Orléans est sauvé, j'ai fait sacrer un roi,<br />
Et soudain l'av<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t soiuubre pour moi.<br />
Tous ces jours 11011 éclos (lOflt jadis <strong>de</strong>s extases,<br />
Comme d'un temps passé, me révélai<strong>en</strong>t les phases<br />
Se cach<strong>en</strong>t à prés<strong>en</strong>t sous <strong>de</strong>s voiles épais....<br />
Mes regards pourront-ils les percer désormais?<br />
Je ne vois plus (le but , et je marche sans gui<strong>de</strong>.<br />
hélas ! je ne suis puis qtf une femme intrépi<strong>de</strong>,<br />
Et l'on veut cep<strong>en</strong>dant que je comman<strong>de</strong> <strong>en</strong>cor<br />
On' veutque je repr<strong>en</strong>ne un vigoureux essor!<br />
Mais linspiralion <strong>de</strong> mon coeur se relire<br />
Ces soldats qu'on me donne, où vais-je les conduire?<br />
Puis-je <strong>en</strong>cor leur ouvrir un glorieux chemin ?<br />
Mon courage , mes plans n'ont plus ri<strong>en</strong> que d'humain.<br />
Les chiel l'ont dit, pourtant : si je quitte l'armée,<br />
Ils ne dirigeront qu'une foule alarmée,<br />
Que (le nouveau l'Anglais <strong>de</strong>vant lui verra fuir.<br />
Eh bi<strong>en</strong>! que la patrie <strong>en</strong> moi trouve un martyr<br />
Mais (mcl bruit vi<strong>en</strong>t soudain vibrer à mon oreille ?<br />
Dieu I l'inspiration dans mon ànie s'éveille<br />
Quelle terrible vision<br />
Ils r<strong>en</strong>aiss<strong>en</strong>t pour moi les grands jours (les batailles:<br />
Sons le choc <strong>de</strong>s combats, terre , au loin tu tressailles,<br />
Et je poursuis ma mission<br />
Comme <strong>de</strong>s épis mûrs, les casques se balaiic<strong>en</strong>t<br />
Smblables aux torr<strong>en</strong>ts, (le tous cÔtés s'avanc<strong>en</strong>t
ACTE III, SCÈNE vil.<br />
D'épaisses foules <strong>de</strong> guerriers.<br />
Des murailles (l'acier s'alongciit dans la plaine;<br />
Les chevaux, que le frein peut ret<strong>en</strong>ir a peine,<br />
Se cabr<strong>en</strong>t sous les cavaliers.<br />
L'éclat du fer s'unit à l'éclat <strong>de</strong> la flamme<br />
Qui jaillit et (lui tonne, et qui, brûlante trame<br />
Enveloppe les combattants.<br />
Le sable et la fumée <strong>en</strong> tourbillons ondoi<strong>en</strong>t;<br />
Les hommes, les coursiers se mticnt et tournoi<strong>en</strong>t<br />
Sous le v<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s drapeaux Ilottants.<br />
Les imprécations, les clameurs se confond<strong>en</strong>t:<br />
La terre boit le sang, partout les canons grond<strong>en</strong>t<br />
Et lorsque l'affreux tourbillon<br />
S'éclaircit nui instant sous le boulet qui passe<br />
Des cadavres sans nombre indiqu<strong>en</strong>t seuls la place<br />
Où s'alignait un bataillon.<br />
Mais les cris belliqueux que jcnt<strong>en</strong>dais se tais<strong>en</strong>t,<br />
Les grands bruits <strong>de</strong>s combats autour (le moi s'apais<strong>en</strong>t<br />
Des clefs ferm<strong>en</strong>t une prison.... to<br />
l)ans Fa<strong>en</strong>ir obscur je ne lis plus qu'à peine.<br />
fi, je 11'CIIEefl(ls plus ri<strong>en</strong> quun grincem<strong>en</strong>t(le chaiuic.<br />
Mon Dieu ! la mort, la trahison<br />
Je t'ai béni, ci-lieur, dans uuie juur> tic victoire<br />
Si les douleurs, la mort, Stii\tflI (le près la gloire
ffl JEANNE D'ARC.<br />
Je saurais <strong>en</strong>core te bénir.<br />
Devant moi je n'ai plus une longue exist<strong>en</strong>ce<br />
Puisse-t-elle suAire au salut <strong>de</strong> la France<br />
Et j'ai le plus bel av<strong>en</strong>ir
I<br />
ACTE HI, SCÈNE VIII. 159<br />
SCÈNE P4TIiJ<br />
JEANNE, JACQUES, RAYMOND.<br />
JACQUES.<br />
Ma fille tar<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> à paraître.<br />
RAYMOND.<br />
JACQUES.<br />
C'est elle!<br />
Je n'ose m'avancer, je tremble et je chancelle.<br />
Ah! Raymond, Charles Sept s'oppose û son départ;<br />
D'une heureuse nouvelle elle nous eût fait part<br />
Déjà. - Ma fille, eh bi<strong>en</strong>?<br />
JEANNE.<br />
JAQUES.<br />
Du courage, mon père!<br />
Je l'avais dit: le roi dans ses plans persévère;
JEANNE D'ARC.<br />
Il la gar<strong>de</strong> avec lui.... je Favais <strong>de</strong>viné.<br />
Que fait (1011e à ce roi, pal la main couronné<br />
Qu'un père au désespoir le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et te pleure<br />
Qu'importe ce vieillard? qu'il viN c ou bi<strong>en</strong> qu'il meure<br />
Quimporte cette vie 011 celle mort? Le moi<br />
T'ordonne <strong>de</strong> rester.... Eh bi<strong>en</strong> ! à mon tour, moi<br />
Je prét<strong>en</strong>ds ordonner à mon tour, (jIIC m'importe<br />
Ce roi? Que l'<strong>en</strong>nemi soit battu, qu'il remporte<br />
Des victoires <strong>en</strong>cor, que m'importe ? C'est toi<br />
Toi seule que je veux.... Un père est plus qu'un moi;<br />
Un roi n'a pas pas le di-oit <strong>de</strong> m'arracher nia fille!<br />
J EANNE.<br />
Dieu veut que le pays soit plus que la famille.<br />
JACQUES.<br />
A mon ordre oses-tu résister?<br />
JEANNE.<br />
JACQUES.<br />
Tu me désobéis une secon<strong>de</strong> fois!<br />
Je le dois.<br />
Rempli du désespoir qui maint<strong>en</strong>ant m'inspire<br />
Lorsque lu nous quittas, je voulus te maudire<br />
Ta mère alors retint mua malédiction.....<br />
Gràce! gràce!<br />
JEANNE.
ACTE HI, SCÈNE VIII. 461<br />
JACQUES.<br />
Tu ris <strong>de</strong> mon affliction,<br />
Et tu crois que fanrai pitié <strong>de</strong> toi? - Non!<br />
Ne nie maudissez pas.<br />
Ist près <strong>de</strong> Charles Sept.<br />
JEANNE.<br />
.1 tCQIJES.<br />
.1 EATfl.<br />
.JACQUES.<br />
JEANNE.<br />
Obéis (lOflC!<br />
Crâce<br />
Jlla place<br />
Tu ne iiie suivras pas?<br />
Le roi m'appelle <strong>en</strong>core à <strong>de</strong> nouveaux combats.<br />
Tu ne me suivras pas?<br />
J t CQT ES
102 JEANNE D'ARC.<br />
A notre mère, t tous.<br />
JEANNE.<br />
JACQUES.<br />
Je me dois t la France,<br />
Ta désobéissance<br />
Sera punie un jour, car un <strong>en</strong>fant maudit....<br />
Arrêtez ! arrêtez<br />
RAYMOND.<br />
JACQUES.<br />
Malheureux! qu'ai-je dit?<br />
JEANNE, aux gettoux <strong>de</strong> Jacques.<br />
Ah! <strong>de</strong>vons-nous <strong>en</strong>cor nous voir sur cette terre?<br />
Ne me maudissez pas; bénissez-moi, mon père.<br />
JACQUES.<br />
Mais j'étais ins<strong>en</strong>sé, j'étais fou <strong>de</strong> douleur;<br />
Te maudire, c'était maudire le Seigneur.<br />
J'osais lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que tu fusses punie!<br />
Pardon, mon Dieu! pardon! ô Jeanne, sois bénie!<br />
FIN DU TROIS1I04E ACTE.
ACTE QUATRIÈME.<br />
Une prison dans la grosse tour du cbfleau <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> ; au fond, un<br />
f<strong>en</strong>trc donnant sur une cour; à la droite <strong>de</strong> cette fcndtre, une<br />
porte à ogive; à gauche, une autre porte plus petite; du niiwe<br />
edté, dans la paroi latérale, u!, <strong>en</strong>knccmem<strong>en</strong>t formant une espèce<br />
<strong>de</strong> cabinet où se trouve k lit <strong>de</strong> Jeanne.<br />
SCÈNE I.<br />
JEANNE.<br />
Ce rayon <strong>de</strong> soleil qui, triste et pûle, arrive<br />
A travers les barreaux à la pauvre captive,<br />
Est-il bleu un rayon du soleil radieux<br />
Qui sur nies jeunes ans versait <strong>de</strong> si doux feux?<br />
Qui répandait les flots <strong>de</strong> sa chau<strong>de</strong> lumière<br />
Sur nos champs verdoyants et sur cette chaumière
A 6 JEANNE I)'ARC.<br />
Où mes rêves fuyai<strong>en</strong>t aux premiers bruits du jour;<br />
Où, le coeur tout rempli par un divin amour,<br />
Je remerciais Dieu <strong>de</strong> l'aurore sereine,<br />
Des brises qui courai<strong>en</strong>t embaumant leur haleine<br />
De la fraîche s<strong>en</strong>teur du serpolet, du thym,<br />
Et <strong>de</strong> tous les parfums qu'exhale le matin?<br />
M'éveillerai-je <strong>en</strong>cor au cri si gai que jette.<br />
En s'élaneant dans l'air, la rapi<strong>de</strong> alouette?<br />
Au vif gazouillem<strong>en</strong>t d'une foule d'oiseaux<br />
Humi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> rosée au milieu <strong>de</strong>s rameaux?<br />
Ma gloire faut-il donc qu'un long tourm<strong>en</strong>t l'expie?<br />
L'An glais commettra-t-il une action impie?<br />
Vaincu dans les combats, croit-il que <strong>de</strong>s bourreaux<br />
p ourront r<strong>en</strong>dre jamais l'honneur à ses drapeaux ?<br />
Des meurtres l'av<strong>en</strong>ir conserve la mémoire;<br />
De sa honte l'Anglais perpétuera l'histoire,<br />
En p<strong>en</strong>sant, avec moi, pouvoir l'<strong>en</strong>sevelir.....<br />
Mais cette honte, hélas! elle va rejaillir<br />
Sui' ceux qui si longtemps fur<strong>en</strong>t mes frères d'armes!<br />
Que leur font aujourd'hui mes douleurs et mes larmes?<br />
De miracles divins ils étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vieux....<br />
Si je suis à Rou<strong>en</strong>, je le dois à l'un d'eux!<br />
Gouverneur (le Compiègne, ah! que Dieu vous pardonne! £<br />
Mais pourquoi donc, pourquoi, puisque l'on m'abandonne.<br />
Après son sacre à Rheims, Chiarle a-t-il repoussé<br />
Un voeu qui, sans danger, pouvait être exaucé!<br />
Alors, on le disait, j'avais sauvé la France,<br />
Et je ne <strong>de</strong>mandais 1)0111' toute récomp<strong>en</strong>se<br />
Que d'aller retrouver, près d'un humble foer,
ACTE IV, SCÈNE I. I65<br />
Les faciles bonheurs qu'on ne peut oublier.<br />
Ce (lue je <strong>de</strong>mandais, c'était une vallée,<br />
De grands prés, le coteau , la chapelle. isolée;<br />
La Meuse <strong>en</strong>tre ses bords couverts d 'uii frais gazon<br />
Tout cc que, si longtemps, j'eus pour seul horizon....
166 JEANNE D'ARC.<br />
SCÈNE II.<br />
JEANNE, LOYSELEUII.<br />
JEANNE.<br />
Ah! Loyseleur, c'est vous; que Dieu vous récomp<strong>en</strong>se,<br />
Vous, assez courageux pour pr<strong>en</strong>dre ma déf<strong>en</strong>se.<br />
LOYSELEUR.<br />
Oh t combi<strong>en</strong> je voudrais la pr<strong>en</strong>dre ouvertem<strong>en</strong>t!<br />
Oh! combi<strong>en</strong> je voudrais proclamer hautem<strong>en</strong>t,<br />
Devant ses <strong>en</strong>nemis, que Jeanne est innoc<strong>en</strong>te!<br />
Cette franchise, hélas! serait trop imprud<strong>en</strong>te:<br />
S'intéresser à vous, c'est être criminel;<br />
Et sans cesse il me faut, sous un discours cruel,<br />
Cacher le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui, dans mon âme émue,<br />
Est né le premier jour, Jeanne, où je vous ai vue.<br />
Oui, ce n'est qu'<strong>en</strong> sachant ainsi dissimuler,<br />
Que j'obti<strong>en</strong>s <strong>de</strong> vous voir et tic vous consoler.<br />
Il est étrange et faux le rôle que je joue:<br />
Je dois accuser celle à qui je me dévoue;<br />
Pour que <strong>de</strong> mes avis je la puisse servir,<br />
Je dois à chaque instant feindre <strong>de</strong> la haïr.
ACTE IV, SCÈNE H. 167<br />
Qu'importe, si je hâte ainsi cette journée<br />
Jeanne, où la liberté vous sera redonnée!<br />
JEANNE.<br />
Libre! Être libre <strong>en</strong>cor.... Libre! c'est un espoir<br />
Que <strong>de</strong>puis bi<strong>en</strong> longtemps je n'ose concevoir.<br />
L'évêque <strong>de</strong> Beauvais vous a pour secrétaire,<br />
Ne connaissez-vous pas quel est son caractère?<br />
Et ne savez-vous pas qu'il conduit ic procès?<br />
Oh ! comm<strong>en</strong>t pouvez-vous me flatter d'un succès<br />
L'évêque (le Beauvais me choisit pour victime,<br />
II est le plus avi<strong>de</strong> à me chercher un crime.<br />
Chassé d'un diocèse irrité contre lui,<br />
Par ma mort, <strong>de</strong>s Anglais il veut payer l'appui.<br />
LOYSELETJR.<br />
Vous laisser innoc<strong>en</strong>te <strong>en</strong>traîner au supplice,<br />
Ce serait <strong>de</strong>s bourreaux <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir le complice.<br />
Si l'on vous condamnait, autour <strong>de</strong> ce cachot<br />
Le peuple <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> s'ameuterait bi<strong>en</strong>tôt.<br />
Le peuple <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> vous plaint et vous admire;<br />
Je n'ai, pour l'<strong>en</strong>traîner, que quelques mots à dire;<br />
La force détruirait l'oeuvre d'iniquité.<br />
Je consacre ma vie à votre liberté,<br />
Vous serez libre, Jeanne, ounousmourrons <strong>en</strong>semble!<br />
S'il ose prononcer votre arrèt, ah! qu'il tremble,<br />
Qu'il tremble cet indigne et lâche tribunal,<br />
Qui omis veut un bûcher ait lieu d'un pié<strong>de</strong>stal
InS JEANNE D'ARC.<br />
Qui méconnaît <strong>en</strong> vous la puissance divine<br />
Et donne à vos exploits l'<strong>en</strong>fer pour origine.<br />
Mais sans <strong>en</strong> appeler au peuple révolté,<br />
Oh! vous verrez finir votre captivité,<br />
Car il faut un motif pour que l'on vous condamne;<br />
Vous n'ètes las coupable. A vous absoudre, Jeanne,<br />
Vos juges avant peu se trouveront forcés.<br />
Aux discours captieux qui vous sont adressés,<br />
Je vous ai déjà dit les réponses à faire;<br />
Poursuivez, tout bi<strong>en</strong>tôt sera fini , j'espère.<br />
JEANNE.<br />
,le sais apprécier cc que vaut le secours<br />
Que vous v<strong>en</strong>ez m'offrir au péril <strong>de</strong> vos jour,<br />
Et selon vos avis vous m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>drez répondre,<br />
Lorsque le tribunal, espérant me confondre<br />
Propose à mon esprit <strong>de</strong> ces subtilités<br />
Dont on gar<strong>de</strong> les clefs aux universités.<br />
Mais n'allez pas p<strong>en</strong>ser que jamais je déguise<br />
Ri<strong>en</strong> (le cc qui regar<strong>de</strong> une sainte <strong>en</strong>treprise.<br />
Lorsque les assesseurs me font <strong>de</strong>s questions<br />
Concernant mes exploits, mes révélations,<br />
Ali! je n'ai pas besoin que itiil me vi<strong>en</strong>ne appr<strong>en</strong>dre<br />
Quelle réponse alors je (lois leur faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre;<br />
J'éprouve un noble orgueil quand je puis raconter<br />
Ce que l'ordre (le Dieu m'a fait exécuter.<br />
Comme, dans d'antres temps, je me s<strong>en</strong>s gran<strong>de</strong> et fière,<br />
Et je triomphe <strong>en</strong>core eu étant prisonnière
ACTE 1V, SCÈNE II.<br />
I 4.) SE I EUH.<br />
Oui mais vous irritez vos <strong>en</strong>nemis. Enfin<br />
De Ce ,ombre procès quelle (JIIC soit la fin<br />
Jeanne, n'oubliez-pas qu'il est une personne<br />
A qui la prisonnière <strong>en</strong> souveraine ordonne;<br />
Qu'un homme est toujours l\ , prêt à vous obéir;<br />
Que sur un mot <strong>de</strong> vous, cet lioiiune, sans pâlir,<br />
Saura tout affronter, juges, bourreaux, supplices;<br />
Que cet homme ne craint tourm<strong>en</strong>ts ni sacrifices;<br />
Qu'à prés<strong>en</strong>t tians sa vie il ne voit plus qu'un but,<br />
[hit magnifique et grand , Jeanne, votre salut.!<br />
Le sain L d'un héros, (l'une feinnic sublime<br />
Pour laquelle on voudrait cliaiigcr la gloire <strong>en</strong> crime crime...<br />
Mais je VOUS quitte, on vi<strong>en</strong>t, on <strong>en</strong>tre dans la tour.<br />
'j')<br />
169<br />
1
__<br />
470 JEANNE D'ARC.<br />
SCÈNE III.<br />
JEANNE, LE COMTE DE WARWICK, LE DUC DE<br />
LUXEMBOURG, UN GENTILhOMME ANGLAIS. -<br />
LOYSELEUR S'jc1jnc <strong>de</strong>vant eux et sort.<br />
JEANNE.<br />
Le comte <strong>de</strong> Warwick, Le duc <strong>de</strong> Luxembourg!<br />
Au duc.<br />
Seigneur duc, c'est à vous que je me suis r<strong>en</strong>due;<br />
Vous m'avez aux Anglais, pour un PCU d'or, v<strong>en</strong>due;<br />
Vous osez <strong>de</strong>vant moi vous prés<strong>en</strong>ter <strong>en</strong>cor,<br />
Ce courage est-il bi<strong>en</strong> d'un chevalier?<br />
Au comte.<br />
Milord,<br />
Vos gar<strong>de</strong>s, vos geôliers sont pleins <strong>de</strong> vigilance,<br />
Ils sont dignes <strong>en</strong> tout <strong>de</strong> votre confiance;<br />
L'oeil du maître ne peut ri<strong>en</strong> ajouter, je croi,<br />
Au soin avec lequel ils veill<strong>en</strong>t tous sur moi.
ACTE IV, SCÈNE III. 171<br />
LE DUC DE LUXEMBOURG.<br />
Jeanne, c'est la pitié qui vers vous nous amène,<br />
JEANNE.<br />
A moi, votre pitié! j'aime mieux Votre haine<br />
WARWICK.<br />
Vous ne savez donc pas quel intérêt si grand<br />
Aux maux que vous souffrez, à votre valeur, pr<strong>en</strong>d<br />
Quiconque vous a vue <strong>en</strong> <strong>de</strong>s jours (te batailles?<br />
Je voudrais <strong>de</strong>vant vous r<strong>en</strong>verser ces murailles<br />
Et si <strong>de</strong>s chevaliers conduisai<strong>en</strong>t le procès.<br />
Je ne douterais pas un instant du succès.<br />
Hélas! l'Église seule a le droit <strong>de</strong> l'instruire,<br />
Et <strong>de</strong>vant le prélat le guerrier se retire.<br />
Si vous aviez nié ces révélations,<br />
Ces songes singuliers, ces apparitions<br />
Qui font <strong>de</strong> votre vie un étrange mystère,<br />
Oit aurait traitée <strong>en</strong> prisonnier <strong>de</strong> guerre;<br />
Et maint<strong>en</strong>ant, peut-être , il serait <strong>en</strong>cor temps,<br />
Jeanne , <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre ainsi vos juges indulg<strong>en</strong>ts.<br />
Vous pouvez les fléchir.<br />
JEAN NE.<br />
Vous voulez que je dise<br />
Le ciel ne fut pour ri<strong>en</strong> dans la France reprise<br />
J'ai trompé Charles Sept, les chefs et les soldats<br />
Le hasard m'a fait vaincre <strong>en</strong> ('inquimic combats
JEANNE D'ARC.<br />
Jai parlé plusieurs fois <strong>de</strong>s séraphins <strong>de</strong>s anges,<br />
Je frappais les esp r its par CeS fables étranges;<br />
M'adressant <strong>de</strong> la sorte à la crédulité<br />
Je m'<strong>en</strong>tourais <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> p1 d'autorité .....<br />
VOUS obéir, milord, ne serait-ce pas dire<br />
La terreur, bi<strong>en</strong> à tort, l'Angleterre l'iIISI)ire,<br />
Puisqu'une simple femme n su reconquérir<br />
Un ro yaume où Bcdfort avait cru s'établir,<br />
t puisque , sans (piC Dieu la gui<strong>de</strong> ou la protége,<br />
Cette feiiiiiie vulgaire a fait lever un siége<br />
fait trembler SulTolk dans les murs <strong>de</strong> Ger-eau<br />
Est <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> ces murs qu'elle emporta d'assaut,<br />
A battu les Anglais sur la Loire, <strong>en</strong> Champagne<br />
Derrière <strong>de</strong>s remparts, comme <strong>en</strong> rase campagne<br />
Et puis un jou i', à illiciins • <strong>de</strong>vant le maître-autel<br />
\ fait un front <strong>de</strong> roi SOUS l'onction du ciel.<br />
LE GENTILHOMME , \Varwick,<br />
Monseigneur, vous souffrez une telle insol<strong>en</strong>ce<br />
JEANNE.<br />
Je ime parlerai pas ainsi, car ma puissance<br />
3e la reçus <strong>de</strong> Dieu , <strong>de</strong> Dieu seul ! Le nier.<br />
Ce serait étre infâme et le répudier.<br />
Oui, c'est Dieu qui m'arma, c'est ])ici' qui nie fit gran<strong>de</strong>;<br />
Vous avez un bourreau qifit si<strong>en</strong>ne et nie <strong>de</strong>imian<strong>de</strong><br />
iVCC les chevalets, les t<strong>en</strong>ailles, le leti<br />
Qui m'arma ? Connue à vous , je répondrai c'est Dieu<br />
1
t<br />
ACTE 1V, SCENE M.<br />
Quand recomm<strong>en</strong>cera mon interrogatoire<br />
Je l'att<strong>en</strong>ds; avec lui recomm<strong>en</strong>ce ma loiic I<br />
WARWICX.<br />
Vous ne tar<strong>de</strong>rez pas à voir combler vos voeux<br />
Vos juges vont bi<strong>en</strong>tôt se r<strong>en</strong>dre dans ces lieux<br />
L'heure sonne, écoutez : celte heure les appelle.<br />
JEANNE.<br />
S'assembler dans ces lieux , et non (buis la ehmapelh'<br />
I)ii chûteau <strong>de</strong> Saint-Ou<strong>en</strong> ! pourquoi? par quel inotiL'<br />
Ali! je compr<strong>en</strong>ds, j'excite un intérêt trop vif<br />
Parmi les auditeurs; ici , la l)I'Oeédtul'c<br />
Sans doute, marchera d'une faroit plus sirc.<br />
Car tout un peuple ici, l' oeil triste et le front Jia<br />
Contre vos jugem<strong>en</strong>ts ne proteslera pas.<br />
Vous serez <strong>en</strong>tre vous. Ccsl. bi<strong>en</strong> , 111111e parole<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s barreaux et <strong>de</strong>s tours ne s'<strong>en</strong>vole<br />
'Fout est muet et sourd au fond <strong>de</strong> la prison.<br />
Ah ! l'on s'assemble ici I... Les juges ont raison<br />
Ils seront seuls du moins, seuls à pouvoir cnteud e<br />
Des discours qu'il serait dangereux (le r(paIm(1Ie.<br />
Contre ces sombres murs mua voix se brisera<br />
Quand <strong>en</strong> cris d'espérance vile ret<strong>en</strong> lira<br />
Quand je répéterai que l'Aimglais , quoi qu'il fas-c<br />
I)c honte et (le douleur se ouvra la face<br />
Quand je répéterai tjuic sur le sol fi tuu-,<br />
Le houe iluleii,r mu lIt'sCIii
174<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Que tant que ses débris parsemeront la France,<br />
Elle les secouera d'une secousse imm<strong>en</strong>se<br />
Que tant qu'IlIl seul donjon portera vos drapeaux<br />
lIle ne connaîtra ni trêves ni repos;<br />
Et que vous la verrez, la France, belle cL fière,<br />
Appuyant son long bras sur nia blanche bannière,<br />
Faisant tomber l'azur autour d'elle <strong>en</strong> longs plis<br />
Et le front couronné <strong>de</strong>s vieilles fleurs <strong>de</strong> lis,<br />
En reine, précé<strong>de</strong>r les peuples <strong>de</strong> la terre,<br />
Et braver i jamais l'effort <strong>de</strong> l'Angleterre!<br />
LE GENTILHOMME se jetant sur Jeanne, un poignard à la main.<br />
Que ce poignard répon<strong>de</strong> à ta prédiction!<br />
LE DUC DE LUXEI'tIDOVLIG 'e ret<strong>en</strong>ant.<br />
Arrêtez, malheureux<br />
Ptignardcr LUIC leiiiiiie<br />
LE GENTIL II OMM 1:.<br />
Ah ! iiialédiction<br />
LE DUC DE LUXEMBOURG.<br />
LE GETIL1IOMME.<br />
insulter l'Aiidcteri'e
iiiitai ui<br />
A Jeann.<br />
ACTE 1V, SCÈNE III. 175<br />
Eh bi<strong>en</strong>! laissez-les 1aii'
74;<br />
SCL\E IV.<br />
Ij: MÉMES PIERRE DE BEAUVAIS, TROiS NOlAiflL'<br />
.poST0L1QUES 1 JEAN D'ESTIVET, JEAN BEAUÊRE,<br />
PII!STEURS AUTRES ASSESSEURS, FRIRE MARTIN LAD-<br />
VENU; ils s'avanc<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t place sur (les<br />
bancs que l'on n apportés. WARWICR, LUXEMBOURG<br />
41 le GENTILHOMW ANULAIS se mèl<strong>en</strong>t :t e(lx.<br />
IUIIIU<br />
kauie * ap1nothcz h ez Li m;iiii ci<br />
Sur le saint Évangile apporté (levant vous,<br />
I)e vous montrer cii tout véridique et sincère;<br />
Accomplissez ciilin la formule ordinaire.<br />
IIL<br />
De parler sans détour, coiiirnc sans fausseté,<br />
De, dire <strong>de</strong>vant vous la seule vérité,<br />
Sur tout ce qui pourrait au procès être utile<br />
Je le jure, la main sur le saint Évangile.
ACTE IV, SCENE Iv. 177<br />
D'ESTIVET I Jeanne.<br />
Sur votre ét<strong>en</strong>dard blanc et parsemé dc lis<br />
Le saint 1111111 <strong>de</strong> Marie et <strong>de</strong> son divin lits<br />
Brillai<strong>en</strong>t cii lettres d'or au-<strong>de</strong>ssous d'un nuage,<br />
Où vous aviez , du Christ, fait retracer l'image?<br />
Dieu Je voulait ainsi.<br />
1.<br />
JEANNE.<br />
PIERRE.<br />
Nous direz-vous l)OIllquoi<br />
Alors que Fou sacrait votre prét<strong>en</strong>du roi<br />
On vous vil tout le temps que dura le mystère<br />
Ait Pied (lii niaitre-autel t<strong>en</strong>ir volte l)annièrc<br />
JEANNE.<br />
!.)iii pr<strong>en</strong>d j).lI't au péril doit l'avoir ù Flionneur<br />
C'est justice, je crois. —Mon drapeau, monseigneur,<br />
Dans ce jour dc triomphe était bi<strong>en</strong> à sa place.<br />
D'ESTIVJÇF.<br />
Pciisez-vous à prés<strong>en</strong>t étre <strong>en</strong> état <strong>de</strong> grûce ?<br />
JEANNE.<br />
Sijy suis, Dieu m' y gar<strong>de</strong>, et si je nv suis pas<br />
Que Dieu veuille iiiv mettre
e<br />
478 JEANNE D'ARC<br />
PIERRE.<br />
En marchant aux combats,<br />
N'avez-vous donc jamais ernJ)IOyé <strong>de</strong> pratiques<br />
Que l'Église réprouve cL traite <strong>de</strong> magiques;<br />
Dit <strong>de</strong>s mots inconnus, étranges?<br />
JEAE.<br />
.I(tcz-Vous hardim<strong>en</strong>t au milieu <strong>de</strong>s Anglais<br />
Et ni'y jetais moi-méfie.<br />
I)'ISl IV ET.<br />
Je disais:<br />
Est-ce un ordre céleste<br />
Qui vous a fait, choisir cet habit jnmnmo(lcste?R<br />
JEANE.<br />
Guerrier par mes travaux, je <strong>de</strong>vais l'être aussi<br />
Par mon habillem<strong>en</strong>t.<br />
D'ESTIVET.<br />
JEANNE.<br />
Mais à prés<strong>en</strong>t, ici?<br />
Qui inc gar<strong>de</strong>? - Ce sont ces mêmes hommes ([armes<br />
Que vin gt fois j'ai vus fuir, Poussant <strong>de</strong>s cris d'alarmes.
ACTE IV, SCENE IV. 179<br />
Ces indignes soldats chang<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lâcheté.<br />
PIERRE.<br />
Vous prét<strong>en</strong><strong>de</strong>z qu'à vous Dieu s'est manifesté;<br />
Sans doute, vois savez le peuple qu'il préfère?<br />
Dieu chérit mon pays.<br />
JEANNE.<br />
PIERRE.<br />
J EANE.<br />
II liait donc l'Angleterre<br />
Je le répéterai: les Français vous vaincront:<br />
I lors ceux qui seI'OIIt morts, tous les Anglais fuiront."<br />
Qui vous l'a (lit<br />
D'ESTIVET.<br />
JEANNE.<br />
Mes voix.<br />
D'ESTIVET.<br />
Quand?
8() JEANNE D'ARC.<br />
JEANNE.<br />
hier, la voix sainte<br />
M'a, (le plus, ordonné (le vous parler sans crainte.<br />
PIERRE.<br />
Puisque tous les <strong>de</strong>stins vous sont ainsi prcdihs,<br />
Dites, qui vous attcnd<br />
JEANNE.<br />
H'ESTIYET,<br />
La paix (lu l)ara(Ijs. paradis. 42<br />
Charles Sept crut <strong>en</strong> vous, grâce à quel stratagème?<br />
JEANNE.<br />
Allez l'interroger, qu'il répon<strong>de</strong> lui-même.<br />
DESTIVET.<br />
Votre père connut vos projets <strong>de</strong> départ?<br />
Non, il les eùt blâmés.<br />
JEANNE.
Vous l'avez délaissé?....<br />
AC'I'E IV, SCE\I IV. 184<br />
D'ESTIVET.<br />
MANNE.<br />
»ESTIVET.<br />
Ainsi donc, ce vieillard,<br />
Jt vous n'avez pas craint (l'irriter votre père<br />
De quitter Doinremy sans avoir son aveu?<br />
JEANNE.<br />
Lui (l(SohtiSsa1It j'obéissais i Dieu.<br />
PIERRE.<br />
M'attirant; sa colère.<br />
Quelle (tait votre vie au temps <strong>de</strong> votre <strong>en</strong>fance?<br />
J EANE.<br />
De grâce, monseigiicur, respectez la souffrance<br />
Que me fait; éprouver le poignant souv<strong>en</strong>ir<br />
De bonheurs qui , pour moi, ne peuv<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>ir.<br />
Ne inc rappelez pas û moi, triste et caJ)tiVe<br />
Ces jours dont le regret comme un parfum m'arrive<br />
Parfum cliariimamit , terrible, ineffable , navrant<br />
Qui VOUS ôte la foi-ce et tue eu eliivralit
182<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Nous allons arriver û ces Pâques fleuries,<br />
Celte fête si belle, où les jeunes prairies<br />
Repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lcui' éclat, où les arbres tremblants<br />
Neige <strong>de</strong> douce o<strong>de</strong>ur, jett<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bouquets blancs;<br />
oit les bergers chantant VOflt susp<strong>en</strong>dre au vieux 1u4.re<br />
Des guirlan<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fleurs que le printemps fait naitre.<br />
Et moi je suis ici dans un horrible lieu<br />
Devant un tribunal.... prisoiinni' ic.... ô mon Dieu t<br />
PIERRE.<br />
Persistez-vous <strong>en</strong>cor, maint<strong>en</strong>ant, û prét<strong>en</strong>dre<br />
Que (les anges <strong>de</strong> vous se font souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre?<br />
Qu'ils vous vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t trouver sur l'ordre du Scigneur<br />
Ne continuez pas tin discours imposteur:<br />
Dites la vérité , montrez-vous rep<strong>en</strong>tante.<br />
Vous r<strong>en</strong>drez <strong>en</strong>vers vous la justice iuidulg<strong>en</strong>te<br />
Avouez seulem<strong>en</strong>t que vous <strong>en</strong> imposiez<br />
J EAC'E.<br />
C'est affreux, monseigneur, affreux! Vous supposiez<br />
Que par <strong>de</strong>s souv<strong>en</strong>irs VOUS 1l1aIraLI)Iiriez l\ine<br />
VOUS présumiez ainsi triompher (l'une f<strong>en</strong>ime<br />
En une IlOUVaI1I <strong>en</strong> pleurs , VOUS COHCCV1CZ l'espoir<br />
Que jétais abauue , et quomu allait me voir,<br />
Ne l)ou \ lu1t résister à (le telles lort.UECS<br />
llcar(lcI mes hauts faits voinuiv autant diiiiposttLres
ACTE IV, SCENE 1V.<br />
Avant <strong>de</strong> me tuer vous vouliez m'avilir;<br />
Mais la guerrière aura la force du martyr!<br />
FIERRE.<br />
Nous allons le savoir. Que le bourreau paraisse<br />
La petite porte située à la gauche <strong>de</strong> I5 f<strong>en</strong>ètre s'ouvre, et laisse voir<br />
un corridor sombre et étroit éclairé par <strong>de</strong>s torches ; h l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong><br />
ce corridor, parait le bourreau su milieu d'instrum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> torture<br />
près <strong>de</strong> lui sont ses ai<strong>de</strong>s et un chirurgi<strong>en</strong>. Pierre pliuc sa place<br />
ainsi que les assesseurs, et conduit Jeanne <strong>en</strong> face <strong>de</strong>s instrum<strong>en</strong>ts<br />
<strong>de</strong> supplice.<br />
Il est temps à prés<strong>en</strong>t que la clém<strong>en</strong>ce cesse.<br />
En face tics tourm<strong>en</strong>ts le juge se taira,<br />
Et voilà désormais qui questionnera.<br />
Ces instrum<strong>en</strong>ts divers par la forme et la taille,<br />
Voyez-les. Regar<strong>de</strong>z celte horrible t<strong>en</strong>aille,<br />
Elle arrache à la fois les aveux et la chair.<br />
Approchez, regar<strong>de</strong>z tous ces monstres <strong>de</strong> fer;<br />
Leur aspect inconnu cause une horreur subite<br />
Mème à qui ne sachant quelle main les excite,<br />
Cherche à trouver û quoi l'on petit les <strong>en</strong>iplovei'.<br />
Montrant le bourreau.<br />
A cet homme l'on jette un coupable à hiover.<br />
Montrant le chirurgi<strong>en</strong>.<br />
Cet autre homme est celui (lui, sur le pouls, iiietire<br />
La force que l'on peut donner à la torture;
84<br />
JEANNE D'ARC.<br />
Qui , lorsqu'il s<strong>en</strong>t lavie au point dc sécttapper,<br />
Arrête les marteaux se levant pour frapper,<br />
Rassemble les morceaux du corps que l'oit déchire<br />
Et pour r<strong>en</strong>dre aux douleurs, empêche qu'oit expire.<br />
Jeanne, désarmez-nous par un sincère aveu,<br />
Car sinon....<br />
JEANNE reculant avec effroi.<br />
I)onnez-moi le courage, ô mon I)ieu<br />
I.ADVENIJ, regardant Pierre.<br />
Ces tourm<strong>en</strong>ts sont li<strong>en</strong> grands, niais le ciel ci' prépare<br />
1)e plus grands pour celui dont l'équité s'égare.<br />
PIERRE.<br />
Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-je quel outrage avez-vous prononcé?<br />
LAD VENU éclatant.<br />
J 'ai dit que <strong>de</strong>vant Dieu vous êtes !l'accusé,<br />
\TOLIS qui faites ici l'accusateur<br />
Pi ERRE à Ladv<strong>en</strong>it.<br />
Ou la Seine pourrait bi<strong>en</strong> charrier tua v<strong>en</strong>geance.<br />
Sil<strong>en</strong>ce!
ACTE 1V, SCÈNE 1V.<br />
LADS ENU à Jeanne.<br />
Il le faut , je nie tais, car si j'ajoute un mot.,<br />
Je fliC VOiS pour jamais fermer votre cachot<br />
Et, je veux cep<strong>en</strong>dant qu'une voix qui console,<br />
Puisse vous y porter la divine parole.<br />
PIERRE à Jeanne.<br />
C'est sur ce chevalet qu'on liera votre corps;<br />
L'eau le fer et le feu se succédant alors,<br />
En auront bi<strong>en</strong>tôt fait une effroyable plaie<br />
In amas dégoûtant dont la p<strong>en</strong>sée effraie.<br />
JEANNE.<br />
C'est la Palme Û prés<strong>en</strong>t, c'est la Palme <strong>de</strong>s saints<br />
Que Dieu, trahi par vous, veut remettre <strong>en</strong> mes mains.<br />
Je ne r<strong>en</strong>ierai pas sa céleste puissance;<br />
C'est Dieu qui iuiinspira. Que le bourreau conim<strong>en</strong>ce<br />
Jeanute tombe à g<strong>en</strong>oux et prie avec ferveur I.adv<strong>en</strong>u se tu<strong>en</strong>t auprès<br />
d'elle et semble prier aussi ; les bourreaux prépar<strong>en</strong>t les inslrumcnts<br />
<strong>de</strong> supplice; les assesseurs form<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s groupes sil<strong>en</strong>cieux ; Warwick,<br />
l'tv.q&us' (le Beauvais et d'EstivaL s'avanc<strong>en</strong>t sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène.<br />
PIERRE.<br />
Elle nt()iltl'e tOUjOUrS la même fermeté.<br />
D'ESTIVE'I'.<br />
La torture aisém<strong>en</strong>t yaiiuei'a cette fierté
JEANNE D'ARC.<br />
PIERRE<br />
Ia torturer serait hâter sa <strong>de</strong>rnière heure.<br />
WÀRWICK.<br />
Et ce n'est pas ainsi qu'il faut que Jeanne meure.<br />
PIERRE.<br />
Son crime, cep<strong>en</strong>dant, <strong>en</strong> vain le l'ai cherché.<br />
\A.RWiCK.<br />
Rou<strong>en</strong> a, monseigneur, un bel archevêché.<br />
PIERRE.<br />
Ce n'est pas sans remords que je poursuis l'<strong>en</strong>quête.<br />
WARWICK.<br />
Une fois archcviquc, on obti<strong>en</strong>t la barrette.<br />
LADVENU les interrompant et leur montrant Jeanne.<br />
Un courage aussi grand, du ciel on le reçoit;<br />
Jeanne n'est pas coupable.<br />
WAR\VICK à Pierre.<br />
FIN DU QUATRIÈME ACTE.<br />
Il faut qu'elle le soit.
ICTE CIQiJtÈUE.<br />
Le lieu <strong>de</strong> la scène et le iiime qu'an quatrièLnc acte.<br />
SCÈNE 1.<br />
LÀDVENLJ <strong>en</strong>tre; JEANNE' (111111e son ii;du<br />
LÂDYENU.<br />
Quoi! vous avez eiieor repris cet habit (lilolifilu'<br />
O Jeanne, et cep<strong>en</strong>dant le tribunal vous soittute<br />
De ne Plus VOUS montrer SOUS UU tel \C'telflellt.<br />
VOUS paraissiez hier VOUS soumettre liuliIblellI<strong>en</strong>t<br />
Jeaiiiie c'est votre mort que l 'on veut.
188 JEANNE I).tRC.<br />
JEAVE.<br />
On emploie<br />
La ruse, afin <strong>de</strong> mieux s'assure!' (le sa proie<br />
Pour m'ôter les habits (le mon sexe, la huit<br />
Auprès <strong>de</strong> mon grabat, quclqu 'itiu s'est ifltl0(luii,<br />
Quand l'évêque a paru, j'ai compris que lui-méiiie<br />
Aait imaginé l'odieux stratagème.<br />
Et que VOUS a-t-il dit?<br />
LAD VENU.<br />
JEANNE.<br />
Feignant fétoniieiiiciit<br />
« Voilà, s'écria-t-il , comme 011 rit (full serniemit<br />
» Envers toi la justice avait été trop douce<br />
J'usais d'une bonté qu'aujourd 11111 JC i'c)OtISse<br />
Tes juges à l'instant je les fais avertir,<br />
Ils vi<strong>en</strong>dront, ils verront quel est bu rep<strong>en</strong>tir<br />
» Ils sauront dévi<strong>de</strong>r quelle juste s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce<br />
» Doit te punir <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ton inipéitit<strong>en</strong>ce.<br />
LADVLiNU.<br />
Et l'on m'adresse à vous. Ah ! je compr<strong>en</strong>ds pourquoi.<br />
JEANNE.<br />
%toiu l)ii'u , 111011 Dieu . daignez flV 011 pitié <strong>de</strong> moi
ACTE V, SCÈNE I. •ISO<br />
Mourir niais qu'ai-je fait? qu 'on iii'apprcnne mon crime?<br />
LAD VENU.<br />
A. l'orgueil <strong>de</strong>s Anglais il luit une victime.<br />
JEANNE.<br />
()Il! n'avoir pas vingt ans et mourir, et savoir<br />
Que <strong>de</strong>s êtres bi<strong>en</strong> chers donnerai<strong>en</strong>t pour me voir<br />
Ri<strong>en</strong> q «un jour, qu'un instant, le reste <strong>de</strong> leur ie<br />
Et dire : pour jamais je leur serai raN ic.<br />
Savoir que tiioti nom seul fait palpiter leur coeur,<br />
Qu'à l'instant oi'i je parle, ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t ù leur sœur,<br />
A leur fille, \ ces temps si doux <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance,<br />
Que les moindres objets gard<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ma p1StIW(<br />
Comme lin triste parfum qui s'exhale autour (Feux<br />
Que ce banc dc gazon leur rappelle iiies jeux;<br />
La cloche, cc jour où, tremblante, anaiitic<br />
Pour la première fois je recevais l'hostie<br />
Le N ietix liètre , ces soirs où , chaque mois <strong>de</strong> niai<br />
Nous repr<strong>en</strong>ions <strong>en</strong> choeur un citant accoutumé<br />
Les près, ce blanc troupeau dont ,j'étais le seul gui<strong>de</strong>.<br />
Un regret a rempli chaque <strong>en</strong>droit, resté Ni<strong>de</strong>.<br />
Pour ces étres aimés, mon pas ait bruit léger<br />
Foule <strong>en</strong>cor le s<strong>en</strong>tier qui longe le verger<br />
Ces arbres dont, leté , 'aimais l'ombre si gran<strong>de</strong><br />
Ces rosiers que nia main effeuillait<br />
lait eu guirlan<strong>de</strong><br />
Dans leur fréinissemu<strong>en</strong>i, parl<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s jours passés<br />
A (CUX qui hie sOhit chers et tiuc j'ai délaissés.
JEANNE D'ARC-<br />
Ma inéilloile est près d'eux, partout comme a toute heure.<br />
O mon père ! non, Dieu ne veut pas que je meure<br />
Je le s<strong>en</strong>s, les bourreaux sur moi coinptCllt <strong>en</strong> vain,<br />
Car tout ce que j'ai l'ait pait «un ordre divin.<br />
L4DVEM.<br />
Le royaume du Christ est-il donc dc<br />
C( mon<strong>de</strong><br />
Ah ! laissez le ulurnhire ù la p<strong>en</strong>sée immon<strong>de</strong><br />
Qui ne connaissant plus les célestes essors<br />
I)'une espérance sainte n perdu les trésors.<br />
,,épris et le siècle et 58 fange;<br />
Regar<strong>de</strong>z CII<br />
Les veux tournés au ciel, ouvrez vos ailes d'auge;<br />
Vous eûtes bi<strong>en</strong> assez la gloire d'ici-bas,<br />
Une autre VOUS at.tefl(l qui ne finira pas.<br />
.1 EANE.<br />
Je ne suis plus la nième aujourd'hui; ma p<strong>en</strong>sée<br />
Sous le poids <strong>de</strong>s douleurs est restée affaissée.<br />
()Il ! combi<strong>en</strong> j'ai souffert ! Deux mois sur cc grabat<br />
.Je s<strong>en</strong>tis Cl la vie et la mort cil combat<br />
Ma force maint<strong>en</strong>ant est une force liuiiiaine<br />
L'inspiration dort dans tiion ùme iiteertaiile.<br />
Rarcii<strong>en</strong>t Cil 111011 SCIfl se ranime le feu<br />
Qui s'agitait jadis sous le souille <strong>de</strong> l)ieu<br />
Saint r,Iicltcl m'abandonne ; <strong>en</strong> vain je sollicite<br />
Et sainte Catherine cl sainte Marguerite<br />
A se montrer à iiioi. . . . le lie les revois I)1tl. -
A(Yl'E V, SCEINE I.<br />
LADY ENI.<br />
-, -.- '-',--,- ------,.-<br />
Dans la joie éternelle, û Jeanne, les élus<br />
Att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t mainfrnani leur soeur. Ils lui prépar<strong>en</strong>t<br />
Le spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> rayon (but leurs tètes se<br />
Le Seigneur vous privant (le Sou visible appui<br />
Veut vous laisser vous-mème arriver jusqu 'à lui.<br />
JEANNE.<br />
Ma force, je l'avoue, est tellem<strong>en</strong>t éteinte<br />
Qu'hier je me laissai dominer par la eraiuite<br />
Sur la place Saint-Ou<strong>en</strong> quand je me vis m<strong>en</strong>er,<br />
Quand je vis, (levant Iuiol, quatre chevaux traîner<br />
Le char où le bourreau s'appuyait sur sa hache<br />
Quand un (le ces longs cris (111e ma prés<strong>en</strong>ce arrache,<br />
Cri féroce, haineux, <strong>de</strong>s Anglais s'éleva;<br />
Quand vers le Vieux-Marché mon regard se leva;<br />
Quand au-<strong>de</strong>ssus d'un flot formé (le mille tètes,<br />
S'agitant, murmurant, joyeuses, inquiètes<br />
Le bûcher tout à coup à nies regards parut,<br />
Sur mon corps, (l'épouvanle un long fri s son courut.<br />
De mille souv<strong>en</strong>irs, <strong>de</strong> regrets poursuivie<br />
Je fuis prèLe à cé<strong>de</strong>r à l'amour (le la vie<br />
Dieu me lii. triompher (le ce mom<strong>en</strong>t d'effroi<br />
Et grûce à SOU appui, , je fuis digne <strong>de</strong> moi.
Cette er(hI le<br />
Parlez, vous mclïrayez.<br />
JE\E I)'!tRC.<br />
LAD V ENU.<br />
JEANNE.<br />
Eh bi<strong>en</strong>?<br />
LAI) VENU.<br />
.JEANNE.<br />
LADVEN 1.<br />
Que vous avez signée...<br />
Vous voyant résignée<br />
A monter au bûcher plutôt qu'à VOUS souiller,<br />
Les lâches, ils ont dit il nous faut employer<br />
Une ruse, altérer la r<strong>en</strong>ommée intacte<br />
De Jeanne, l'avilir; qu'elle signe un autre acte!<br />
horreur<br />
JEAINE consternée.<br />
LADVFNU.<br />
C'était trOp peu pour dIX qu 'un bûcher seul<br />
Il leur Fallait <strong>en</strong>cor arracher le linceul
ACTE \t, SCÈNE I. 19<br />
De gloire, (le vertu qui vous eût <strong>en</strong>tourée.<br />
Votre mémoire , Jeanne, <strong>en</strong> restant lioiioréc<br />
Eût condamné ta leur ; ils (levai<strong>en</strong>t VOUS ternji<br />
Pour oser prés<strong>en</strong>ter leur crime û l'av<strong>en</strong>ir....<br />
Ils n'y sons parv<strong>en</strong>us que par la fourberie.<br />
JEANNE avec désespoir.<br />
Et la France croira que je meure flétrie!
194 JEANNE D'ARC.<br />
SCÈNE ii.<br />
LES MÊMES. PIERRE DE BEAUVAIS, /SSESEURS.<br />
LAD VE\L.<br />
L'évque <strong>de</strong> Beauvais, quoi! déjà!<br />
PIERRE, a N' etiiportcrncul.<br />
Nous oblige à frapper aN cc si-vérité.<br />
L'équité<br />
Jeanne semblait hier plus digne d'indulg<strong>en</strong>ee<br />
Son remords attira sur elle la cliiii<strong>en</strong>ee<br />
Et Jeaune se jouait <strong>de</strong> nous. Qu'un châtim<strong>en</strong>t<br />
La punisse aujourd'hui du viol d'un serm<strong>en</strong>t.<br />
Hier 011 la voyait, rep<strong>en</strong>tante et soumise,<br />
Rétracter dcs discours que condamnait l'Église<br />
S'avouer l)tc11eresse , et reconnaitre <strong>en</strong>hiii<br />
Que sa vocation n'avait ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> divin.....<br />
JEANNE.<br />
Que tic peines, lTiOfl Dieu, pour tuer une feiiime<br />
Vous nie calomniez d'une manière infune<br />
Moi, dire que le ciel ne nie protégeait pas<br />
Que sans lui j'ai Naincu. dans soixante combats.
ACTE V, SCÈNE II.<br />
011 ! jamais, non, jamais... L'aspect <strong>de</strong> la torture<br />
M'avait-il ébranlée ?<br />
PIERRE, lui niuniralit un parchemin.<br />
Et cette sigilature.<br />
La reconnaissez-s ous -C'est, la vôtre je crois.<br />
oui, je la reconnais; J'ai tracé celte croix<br />
Sut' l'acte.,..<br />
PIERRE.<br />
Que je Li<strong>en</strong>s et que je N ais vous lire<br />
«Moi , Jeanne , dans (les jours d'orgueil et (le thlire<br />
• J'ai c<strong>en</strong>t l'ois profané noiti <strong>de</strong> Jésus-Christ<br />
• MOI , Jcaiine , qu'inspirait quelque mauvais esprit<br />
J'ai prét<strong>en</strong>du (IUC Dieu dirigeait ma conduite.<br />
» Je sais (luel cliùtim<strong>en</strong>t ilion m<strong>en</strong>songe itiérit. ....... »<br />
JEANNE, ii ça n t vers Pierre p o ur lui arracher le pti rcheitii ii.<br />
Oit ! je ii'ai pas signé l'acte que vous lisez.<br />
De quelle ruse affreuse <strong>en</strong>vers moi vous tisez<br />
Cet acte dont liici' ou une lit la lecture<br />
Au bas duquel je crus tracer nia Signature<br />
De ma loi cont<strong>en</strong>ait l'humble profession.<br />
Vous l'cnl<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />
PIERRE.
"^ -<br />
196 JEANNE D'ARC.<br />
JEANNE.<br />
Signer la rétractation'<br />
De ma gloire!.... Ma main se serait <strong>de</strong>sséchée.<br />
PIERRE.<br />
Ainsi cette raison que flous avions cherchée<br />
Pour qu'il nous fût permis <strong>de</strong> nous montrer clém<strong>en</strong>t...<br />
JEANNE.<br />
Clém<strong>en</strong>t! vous, monseigneur!... Voyez, le juge m<strong>en</strong>t,<br />
Il ni<strong>en</strong>t à sa victime; à l'instant du supplice<br />
Il a sans doute peur pie je ne le maudisse<br />
H craint que cette voix ne monte jusqu'au ciel,<br />
Ne livre, le faux juge au grand juge éternel<br />
Mais, vous n'y croyez pas à ce juge sévère....<br />
Vous, clém<strong>en</strong>t, monseigneur!... DérÎSkHL am ère!<br />
Vous, clém<strong>en</strong>t! Je ne vois ici que (les bourreaux.<br />
Ceux qui n'ont pas voulu l'horreur <strong>de</strong> vos Lravaux<br />
Vous les avez bannis.... Et parmi vos complices,<br />
Il <strong>en</strong> est qui , troublés par autant d'injustices<br />
S'éloign<strong>en</strong>t pleins d'effroi, sachant le prix du sang<br />
Qu'à l'heure <strong>de</strong> sa mort répand un innoc<strong>en</strong>t.<br />
PIERRE.<br />
A <strong>de</strong>s serm<strong>en</strong>ts trahis elle ajoute [outrage<br />
De terminer notre oeuvre ayons donc le courage.
ACTE V, SCÈNE Il. .197<br />
JEANNE,<br />
Du courage, CIL effet, pour cette oeuvre, il <strong>en</strong> faut<br />
Avant <strong>de</strong> me laisser monter sur l'échafaud<br />
On veut tuer ma gloire !. .. Un ait d'affreux martyre<br />
Pour atteindre ce but n'a pu nièiiic suffire<br />
La m<strong>en</strong>ace, l'adresse (1 l'aspect (lU tourm<strong>en</strong>t<br />
Ont passé <strong>de</strong>vant moi sans me vaincre un mom<strong>en</strong>t.<br />
Poui finir un procès que ma force prolonge<br />
011 SC trouve contraint <strong>de</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre au m<strong>en</strong>songe<br />
Car on ne veut La mort qu'après le pilori<br />
Mais ce n'est pas HIOII nom qui restera flétri.<br />
PIERRE.<br />
Ai ' ! l'av<strong>en</strong>ir ohscur <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t votre couI(Iuètc<br />
Vous désirez <strong>en</strong>cor le rôle <strong>de</strong> prophète.<br />
JF:AiNE.<br />
Dieu dont 'VOUS i'cFtscz (le voir l'ordre sacré<br />
Faisant d'un luuinulule esprit un esprit iuispiré<br />
Dieu (lui prit dans les champs une pauvre bergère,<br />
Qui lui dit « Lève-toi , la terre<br />
1)e grands exploits scia témoin<br />
» Marche, .Jeauiiic , et <strong>de</strong> l'Au)gletern<br />
» Les soldats effra yes reculeront au loin
199 JEANNE D'ARC.<br />
Cc l)ieu qui tua choisie au milieu <strong>de</strong> lit foule<br />
Soulève à mes regards les voiles amassés<br />
Sur ce temps îi v<strong>en</strong>ir qui pour lui, se déroule<br />
Prés<strong>en</strong>t cøiiinw les temps passés.<br />
Ils vont se terminer les longs jours (le l'épreuve<br />
Paris, avant sept ans , tu ne seras plus veuve<br />
Avant sept ans, <strong>de</strong> (es remparts<br />
On te verra dans la poussière<br />
Précipiter celte I)am1I1ire<br />
Qui porte les trois léopards<br />
France ! ne vi<strong>en</strong>s pas gémir sur mon sui)plitt'<br />
Qu'importe, maint<strong>en</strong>ant, qu'att inon<strong>de</strong> oit ravisse<br />
l)icmi m'a révélé l'aveuiir,<br />
De hcuN re que j'ai comm<strong>en</strong>cée<br />
La gran<strong>de</strong> liii uii'cst annoncée<br />
A prés<strong>en</strong>t la mort peut v<strong>en</strong>ir<br />
Ainsi (l uI'umu laboureur (jans le temps <strong>de</strong>s semitailles<br />
Au sillon (111 1il tmua jette <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> grains<br />
Sui un sol retourné par le choc <strong>de</strong>s batailles.<br />
C'est un germe puissant quont répandu mes mains.<br />
Oui, j 'ai semé la délivrance<br />
EL partout la terre <strong>de</strong> Fiance<br />
La oiL éclorv tic SOil liane.<br />
Mais pour èfte lerliikéc<br />
.%tm lieu (It' SU('LlI. tu' I'OS(<br />
La noble itialite N tumt UO111 sang !
ACTE V, SCÈNE II.<br />
PIERRE.<br />
Ctait le rep<strong>en</strong>tir que nous (levions atteiidre<br />
C'est hmpr(cation que l'on nous ltiL <strong>en</strong>tetidre.<br />
NOUS SOflIIUCS outragés par celle qui. vers nous<br />
Devrait <strong>en</strong> suppliant se tramer 'i g<strong>en</strong>oux.<br />
lh'P0USS011s désormais la fetiinic impénit<strong>en</strong>te<br />
Qui méconnait <strong>en</strong> nous l'Flise militante.<br />
N'<strong>en</strong>tourons 1)111S (le SOiIIS liii esprit perverti<br />
Par tant (l'avis pieux Vainciuciil averti.<br />
Ait bi<strong>en</strong>fait du remords puisque Jeanne r<strong>en</strong>once<br />
Que l'lioninic maint<strong>en</strong>ant sur elle se prononce.<br />
Nous, allons préparer un arrêt par lequel<br />
•Jeanne sera remise au pouvoir temporel.<br />
J ea nne , nous vous livrons à la jtlsticc liuinajiic.<br />
C'est-à-dire au bourreau<br />
J rA\ÏNE.<br />
LAI)VEMI.<br />
Ma fille point <strong>de</strong> haine.<br />
Souv<strong>en</strong>ez-vous du jour où, sur le Golgotha,<br />
Par sa fécon<strong>de</strong> mort un Dieu nous racheta.<br />
Il savait pardonner, Vous suivrez cet exemple.<br />
Et vous monterez pure à son céleste temple.<br />
O ma fille, v<strong>en</strong>ez, Dieu va VOUS écouter.<br />
II eiitiane Jeanne dans l'<strong>en</strong>foncem<strong>en</strong>t où ac trou,c le grabat.
200 JEANNE D'ARC.<br />
PIERRE i D'Estivet.<br />
Dans la salle voisije <strong>en</strong> IiLe allez dicter<br />
La <strong>de</strong>rnière s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce.<br />
Les assesseurs sort<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t oi Pirrc va les suivre. Warwick<br />
<strong>en</strong>tre et le reti<strong>en</strong>t.
ACTE V, SCÈNE M. 1201<br />
SCÈNE Iii.<br />
WAIIWICK I'IIRIW.<br />
WÂRWIK.<br />
PIERRE.<br />
WAR\VICK.<br />
ER bi<strong>en</strong> ?<br />
A vos serm<strong>en</strong>ts d'hier vous trouvé-je fidèle ?<br />
Avez-vous tout Uni? Vous me l'aviez juré.<br />
Le bûcher vainem<strong>en</strong>t est-il donc préparé?<br />
Une foule (l'Anglais aux al<strong>en</strong>tours s'empresse.<br />
Tout est-il lerniijié ?<br />
PIERRE.<br />
Bonne ii oii elle.<br />
J'ai rempli nia promesse.
JEANNE D'ARC.<br />
WAhS% ICK.<br />
Vit -on jamais procès marcher plus l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ?<br />
Ulionneur <strong>de</strong> ïÀnglcicri'e <strong>en</strong> souffrait gravem<strong>en</strong>t.<br />
PIERRE.<br />
Les jt1C5 , U' iiiallieiit', na'aidnt pas tous non zèle<br />
Jeanne d'Arc, n leurs veux, n'était pas criminelle.<br />
Pour arrivei' au but que wus m'aviez prescrit,<br />
.I'ai voulu, mais cmi viii dominer son esprit.<br />
I n homme adroit t<strong>en</strong>ta . gagwult sa confiance<br />
D'exercer sur soit àme une heureuse inilticimec<br />
A Jeanne il s'efforea bi<strong>en</strong> (les lois d'inspirer<br />
Des aveux (lCStifléS à tout accélérer.<br />
Mais Jeanne que le ciel ou que l'<strong>en</strong>fer )rotége,<br />
Trompait flOt.FC espérance ('t s'échappait dti piège.<br />
Les juges aux débats pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t part à regret,<br />
Ils restai<strong>en</strong>t effrayés <strong>en</strong> face <strong>de</strong> l'arrêt<br />
Et quelques-uns d'<strong>en</strong>tre eux ont à votre <strong>en</strong>nemie<br />
Laissé voir, vous prés<strong>en</strong>t, toute leur sympathie.<br />
Le frère Ladv<strong>en</strong>u , l'avez-vous oublié?<br />
A Jeanne n'a cessé <strong>de</strong> montrer sa pitié.<br />
\ 'otis avez <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du ce mine pleiii d'audace<br />
Me jeter le niépris et l'outrage à la face;<br />
II me brave, il m'insulte avec impunité<br />
Son chàtim<strong>en</strong>t , (le VOtIS je lai sollicité<br />
Et «est par Ladv<strong>en</strong>u que notre prisonnière
ACTE V, SCÈNE M.<br />
Doit se voir assister à 5011 heure <strong>de</strong>rnière<br />
Pat' lui qui volts ii'aliit , nw hall<br />
yARWlCX.<br />
Je ne veux pas<br />
Poursuivre la COIIIVII)lC autre part. c1ulci-l)as<br />
La laisser Salis appui lors (le l'iiïstaiit suprême<br />
Sa lâche, Ladv<strong>en</strong>u la recoit (le inoi-lunnie.<br />
Je cherchais un saint homme, et. (levais le choisir.<br />
PIERRE-<br />
Si vous n'aviez trouvé que lui pour VOUS servir.<br />
GrceùDieu, c'<strong>en</strong> est fait! niais, inoiiseigneur, j'spêie.<br />
WÂRWICK.<br />
Oui, vous avez conquis l'appui tic l'Angleterre.<br />
PIERRE.<br />
Les iands se sont montrés tant, <strong>de</strong> fois oublieux<br />
L'itistiiimeiit inutile, ils le ,jeltelut loin d'eux<br />
Le pi'iIlCC tilt lia i t i iez .....et SIlI' IIOUS seuIls se ligt<br />
Tout le sali qui jaillit StuIIS le toll() ((liii dirige.<br />
Vous P0U\'eZ (11'e cii paix.<br />
WÀRWICK.<br />
203
204 JEANNE D'ARC.<br />
PIERRE.<br />
Quel labeur ma donné.<br />
Cc procès, par mes soins aujourd'hui terminé<br />
Il m'a Fallu trois mois <strong>de</strong> ruses et (l'adresse<br />
Pour atteindre un IJùcl(er qui reculait sans cesse;<br />
Mais <strong>en</strong>fui, û l'iiisant , par arrêt sol<strong>en</strong>nel<br />
Jeanne sera remise au pouvoir temporel.<br />
Avec moi voulez-\ ous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la lecture<br />
De cet aete?j'y vais mettre ma signature.<br />
Je vous suis.<br />
W A]1WI CL<br />
Ils sort<strong>en</strong>t.
ACTE V, SCÈNE IV.<br />
SCÈNE 1V.<br />
JEANNE, LAI)VENU.<br />
JEANNE.<br />
Ali! Roueii , dois-tu inc voir mourir?<br />
L AI) VENU<br />
Courage, Jeaiine, Dieu vi<strong>en</strong>dra vous secourir.<br />
Les ClIr&iCIIs , autrefois , cii chaulant SCS lotiailges,<br />
Entre eux et les bourreaux apercevai<strong>en</strong>t (les auges<br />
Le ciel se dévoilait <strong>de</strong> ant leurs yeux ravis<br />
Et leurs ùnies montai<strong>en</strong>t aux célestes parvis<br />
Quand, paraissant braver les douleurs du uiiartyrc<br />
Sous les d<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s lions on les voyait sourire.<br />
Dieu qui donnait ainsi la force aux bi<strong>en</strong>lietireuu x<br />
ai<strong>de</strong>ra votre àlile à se placer dure dUX<br />
JEAI'IE.<br />
i\lu ! ec ui 'esl<br />
pas sur moi 111011 I(l1e hlu(I' Je pleure<br />
JduiÉ<strong>en</strong>(lrajs sans fJ(uIiir soutier iuua <strong>de</strong>rnière lietire
206 JEANNE D'ARC.<br />
Si je ne savais pas (le quel cruel sanglol<br />
Une pauvre maison ret<strong>en</strong>tira bi<strong>en</strong>tôt<br />
ta rêve , cc matin . transportait iiia<br />
Au milieu d'une joie îi jamais effacée<br />
J'étais dans cette pièce où , quand tombait le soir,<br />
Près du large foyer chacun v<strong>en</strong>ait s'asseoir.<br />
Mon père, sur un banc près <strong>de</strong> la cheminée<br />
Entret<strong>en</strong>ait ses fils <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> la journée;<br />
Ma mère avec ma soeur, (le laitage et <strong>de</strong> pain<br />
Avai<strong>en</strong>t chargé poureux la table <strong>de</strong> sapin.<br />
Moi , dans un doux loisir, je tressais la couronne<br />
Dont j'aimais à couvrir le front (le la madone<br />
De nos murs gris et nus le pieux ornem<strong>en</strong>t.<br />
Ce bonheur ne dura qu'un rapi<strong>de</strong> mom<strong>en</strong>t....<br />
EN cillée à <strong>de</strong>mi par l'éclat (le l'aurore<br />
A i)oinrcmv, pourtant , je me eroyais <strong>en</strong>core<br />
II me seiiibla.it <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre au loin le bruit <strong>de</strong>s champs<br />
Le roulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s chars , les chevaux h<strong>en</strong>nissants.<br />
Je cherchais du regard celte étroite ouverture,<br />
IJoù nues CU\ ne voyai<strong>en</strong>t que heurs et (hIC verdure<br />
J'écoutais si ma soeur, dont je connais le pas<br />
Vers ma chambre eu courant ne se dirigeait pas.<br />
Ce bague état t<strong>en</strong>ait (le la veille et du rêve.<br />
Près <strong>de</strong> fiiOi lotit à coup un citant joyeux s'élève.<br />
Qui chante? Est-ce tua soeur? Non, ce n'est pas sa VoiX<br />
Et ('cI air je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pou r la première Fois.<br />
De qui dans la. contrée eût-elle pu l'appr<strong>en</strong>dre ?<br />
Je inc soulève alors allu <strong>de</strong> mieux <strong>en</strong>teinlre<br />
Le sommeil Se dissipe ........ Hélas ! cette chaiisoit
ACTE V, SCENE IV. 07<br />
Un Anglais la disait, et jétais cii prison !<br />
JEANNE gar<strong>de</strong> p<strong>en</strong>dant quiques instants un sil<strong>en</strong>ce phi u 114 . u i<br />
Mais eloignons <strong>de</strong> nous ces l )e115(1S tic la terre<br />
Et <strong>de</strong>s décrets <strong>de</strong> Dieu bnjsons le nivstre.<br />
Que son 110111 Soit loué
08 JEANNE D'ABC.<br />
SCÈNE %.<br />
LES lIIF.s , LOYsELEI:R.<br />
JEANNE %aperlart.<br />
Que vois-je le Seigiwur<br />
Ne veut-il plus nia mort il m'<strong>en</strong>voie un sauveur<br />
Jeanne que dlles-vous?<br />
Vous v<strong>en</strong>ez nie sauver<br />
LAD VENU. U.<br />
JEANINE à Lwvekur.<br />
LOYSELEIJR.<br />
JEANNE.<br />
Grâce vous soit r<strong>en</strong>due<br />
lIoi ! je vous ai L)C1'(1t1( !<br />
Malheiim'eusc , perdue! .... Ainsi vous nie. trompiez<br />
Ainsi tous ces s<strong>en</strong>neilis (IUC VOUS IflC répétiez
-- - --<br />
ACTE V, SCÈNE V. 209<br />
Ces l)rOICStaIiOflS tic dévouem<strong>en</strong>t tic zèle<br />
Toul n'était qu'une ruse.... (3h ! c'est la plus cruelle<br />
LOÏSELEEYII.<br />
oui, je vous ai perdue, et VOUS mourez par moi<br />
Par moi, vii espion <strong>en</strong> qui VOUS aviez foi<br />
Par moi qui simulais la pitié.... Traître et lûelw<br />
De Pierre (le Beauvais je préparais la 1w.hc.<br />
Et mon inifime but était <strong>de</strong> vous dicter<br />
Des discours imprud<strong>en</strong>ts et faits pour tout hâter.<br />
Pour littcr votre mort.... Oh! ,je suis bi<strong>en</strong> coupable<br />
Pourtant, si vous saviez quel rep<strong>en</strong>tir m'accable.<br />
Vous me pardonneriez....<br />
JFANINF, ,veç un dnui,itrp i tloiiIini<strong>en</strong>t.<br />
Est-ce la vérité'?<br />
Se peut-il doue (jU'ufl homme ait tant <strong>de</strong> fausseté,<br />
Qu'il feigne l'intér& et qu'il VOUS espionne!<br />
Si vous avez dit vrai, je vous plains , vous pardonne.<br />
LOYSELLLJJI.<br />
Vous ne savez pas tout, ô Jeanne! susp<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />
Un instant cc pardon généreux. Att<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />
vous ignorez <strong>en</strong>cor Combi<strong>en</strong> je fus iuufiuic<br />
.J'ai heu d'autres remords dans le fond <strong>de</strong> mon âme.<br />
Vous souvi<strong>en</strong>t-il d'un prêtre introduit dans ce lieu ?<br />
Vous nue parliez à mi erovntl parler ù Dieu<br />
A iiioi qui commettais un affreux sacrilége I
210<br />
JEANNE D'ARC.<br />
JEANNE.<br />
Quoi ! la confession <strong>de</strong>v-<strong>en</strong>ait nième un piége!<br />
LOYSELEUR.<br />
oui, dans les premiers temps <strong>de</strong> votre long procès.<br />
C'est ainsi près tic vous que j'obtins un arcèS<br />
Et quand VOUS dévoiliez, dupe <strong>de</strong> l'imposture<br />
Votre sainte exist<strong>en</strong>ce à mon oreille impure<br />
Un scribe caché là transcrivait votre aveu;<br />
Des hommes écoutai<strong>en</strong>t (C qui n'était qu'à Dieu...<br />
Hier <strong>en</strong>fin, courage, achc ons <strong>de</strong> tout dire<br />
Hier je vous trompai, je sus, noble martyre<br />
Dérober à vos yeux tin premier 1)arcllelnln.....<br />
A signer votre iiioi't je vous guidai la main<br />
Ces crimes sonthi<strong>en</strong> grands, mais déjà Dieu VOUS v<strong>en</strong>ge,<br />
Le remords me poursuit, inc torture.... Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-je?<br />
Ce sont eux, c'est 1év éque!.. lis vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t... hâtez-vous<br />
Regar<strong>de</strong>z, l'espion se traîne à vos g<strong>en</strong>oux.....<br />
Que je SUiS lâche ! OSCF implorer <strong>de</strong> la sorte<br />
Celle(lue je tUe.<br />
On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d diverses rumeurs an <strong>de</strong>hors.<br />
oh! la foule est à la porte<br />
Miséricor<strong>de</strong>, Jeanne! .... lis ('lur<strong>en</strong>t dans la cour.<br />
Grâce . ....i'cnt<strong>en</strong>ds leurs pas sur le seuil (le la tour.<br />
Grâce 'Voilà le char du bourreau qui résonne<br />
Grâce!
ACTE V, SCÈNE V. 214<br />
JEANNE le regardant & y ee bonté.<br />
Que comme moi, le Seigneur vous pardonne<br />
Elle 'ag<strong>en</strong>o1IilIe.<br />
VOUS m'appelez à vous lorsque l'oeuvre est lifli.<br />
Maint<strong>en</strong>ant et, toujours, mon Dieu, soyez béni<br />
LAI) VENU.<br />
L'auréole <strong>de</strong>s saints autour d'elle rayonne.
JEANNE D'ARC.<br />
SCÈNE VI.<br />
UN APPARITEUR parait, il est accompagné <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s; L'ÉVÊQUE<br />
DE BEAUVAIS se ti<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> la prison, comme<br />
curieux <strong>de</strong> voir ce qui va se passer.<br />
L'APPARITEUR à Jinne qui est restée ag<strong>en</strong>ouillée.<br />
Suivez-nous, le pouvoir séculier vous l'ordonne.<br />
LAD VENU,s'avançant vers I'évirjue <strong>de</strong> Beauvais.<br />
Le pouvoir séculier!... Même à vos propres yeux,<br />
L'arrêt dicté par vous est un acte odieux<br />
Vous voulez obt<strong>en</strong>ir tous les profits du crime<br />
Sans <strong>en</strong> avoir la honte, et livrant la victime<br />
Vous vous lavez les mains cii Pilate nouveau,<br />
Et vos mains, cep<strong>en</strong>dant, sont <strong>de</strong>s mains (le bourreau<br />
'ru me parles ainsi?<br />
PIERRE avec. rage.<br />
LAD VENU.<br />
Sans redouter la Seine;<br />
Qu'importe maint<strong>en</strong>ant que son on<strong>de</strong> incittraitie
ACTE V, SCÈNE' VI.<br />
L'APPARITEUR, appuyant sa bain sur l'épaule <strong>de</strong> Jeanne qui frémit.<br />
Le l)ùe'Iler vous att<strong>en</strong>d.<br />
Dieu qui vas me juger.<br />
JEANNE, se relevant.<br />
LOYSELEUR, tombant g<strong>en</strong>oux.<br />
Oh! j'<strong>en</strong> appelle à toi<br />
Sainte, priez pour moi!<br />
On <strong>en</strong>tratne Jeanne, Ladvcnu la suit; Loyseleur reste prosterné la<br />
ttto dans ses mains 4,.t eonameanéanti. On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d comm<strong>en</strong>cer les<br />
prières <strong>de</strong>s agonisants. De gran<strong>de</strong>s rumeurs s'élèv<strong>en</strong>t dans la cour<br />
du ehàteau, et par la knètrc <strong>de</strong> la prison, on voit passer un char<br />
drapé <strong>de</strong> noir et attelé <strong>de</strong> quatre chevaux. Sur cc char sont le<br />
bourreau, frère Ladv<strong>en</strong>u et Jeanne; elle est vutin d'une robe<br />
blanche, et coiffée d'une mitre portant ces mots: Relapse , apostate,<br />
idolastre.<br />
tIi DE JEANNE D'ARC.
NOTES.
iî: :r<br />
L'idée première et beaucoup <strong>de</strong> détails <strong>de</strong> cc prologue sont cmpruntis<br />
i Schiller.<br />
2 D'après ce qui reste aujourd'hui <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc,<br />
on peut supposer qu'au XV' siècle, elle était telle ii peu près que je is<br />
dépeins. Dans un volume que j'ai publié SOuS le titre d'.Jqrzorelks,<br />
on peut lire la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> J.'anne d'Arc. La Re,u,<br />
d'Austua.ie, le Réparateur et la Quosids<strong>en</strong>ne ont reproduit ce morceau,<br />
intitulé: Pèlerinage ii Doinremy. -<br />
Interrogée <strong>de</strong> l'arbre, respond que assez près <strong>de</strong> Dornrcmy, e un<br />
• arbre qui se appelle arbre <strong>de</strong>s I)arrirs, et 1c5 autres l'appell<strong>en</strong>t arbre<br />
• <strong>de</strong>s Fées, et auprs a une fontaine et a iluir dire que les g<strong>en</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />
• <strong>de</strong> ficbvres eut boiv<strong>en</strong>t , et lutesine cri a vcu aller quirir pour <strong>en</strong><br />
• guérir, niais ne sait se ils <strong>en</strong> guériss<strong>en</strong>t ou non. ÇIV° interrogatoire.)<br />
Voyez la Notice sur Jeanne l'Arc.<br />
P<strong>en</strong>sée imitée <strong>de</strong> quelques vers d'une canzone <strong>de</strong> Dante:<br />
Angelo chiama in dicino un telletto<br />
E dice: Sire, nel mondo si verte<br />
ffilera piglia nelfalio clic proce<strong>de</strong><br />
J)'una anima cite fin quassù rispi<strong>en</strong><strong>de</strong>:<br />
Lo cielo cite non aie altro du//ctbo<br />
Cite d'aeerlei, al suo Signor la cluie<strong>de</strong>.<br />
e Interrogée <strong>de</strong>s songes <strong>de</strong> son père, rcspond que quand dli.<br />
I
n<br />
248 NOTES.<br />
• estoit <strong>en</strong>corr avec son père et mère, lui fut dit plusieurs fois par<br />
• sa mère que son père disoit qu'il avoit songé que avec les g<strong>en</strong>s<br />
• d'armes , s'<strong>en</strong> iroit la dicte Jehanne sa fille. (IX interrogatoire.)<br />
Le rêve que je fais raconter par Jacques est imite <strong>de</strong> Schiller.<br />
e Il courait <strong>de</strong>puis un temps une certaine prophétie qu'on disait<br />
• même tirée <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>chanteur Merlin, et qui annonçait que<br />
• la France, perdue par une femme, serait aauéc par une femme.<br />
(Ducs <strong>de</strong> Bourgogne , tome V, page<br />
Et dit outre, quand elle vint <strong>de</strong>vers le roy, que aucune <strong>de</strong>man-<br />
» doi<strong>en</strong>t se <strong>en</strong> SOLS pays avoit point <strong>de</strong> bois que oit appellast le Bois-<br />
* Cliesou , car il y avoit prophéties qui disoi<strong>en</strong>t: çie <strong>de</strong>vers le Bois-<br />
* Cheanu <strong>de</strong>voit v<strong>en</strong>ir une pucelle qui v<strong>en</strong>ruit Caire merveilles. »<br />
(I'' interrogatoire.)<br />
M. ).liirlou cite <strong>en</strong>core cette prophétie: « Dcsc<strong>en</strong>clet virgo <strong>de</strong>orsim<br />
sagttarii, c e flores virgined ohscuraLit. »<br />
3<br />
Ettiim Chritj:ic <strong>de</strong> Pisan parla <strong>de</strong>s prédictions qui circulai<strong>en</strong>t lors<br />
<strong>de</strong> l'apparition <strong>de</strong> Jeanne.<br />
L'épithète <strong>de</strong> bourreaux n'est pas <strong>de</strong> trop: Bcdfort fit égorger<br />
les garnisons françaises qui lui avai<strong>en</strong>t opposé une résistance trop<br />
opiniàtre.<br />
La timidité <strong>de</strong> Jeanne était extrême elle rougissait lorsqu'on lui<br />
parlait, et se troublait au point <strong>de</strong> pouvoir à peine répondre.
ITOZES Z7 LOTE.<br />
Cet acte est <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partit imité <strong>de</strong> Schiller. TOUS les détails<br />
n'<strong>en</strong> sont pas <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t historiques. Le sacre <strong>de</strong> ilciiri VI dont<br />
parle Saintrailles n'eut lieu que beaucoup plus tard. Le défi offert par<br />
Charles Vil au duc <strong>de</strong> Bourgogne est d'inv<strong>en</strong>tion. Taiuieguy du Chastel<br />
n'était pas alors aiipris du roi. Ce fidèle sujet s'était fait nu <strong>de</strong>voir<br />
<strong>de</strong> s'éloigner, parce qu'on le regardait comme un obstacle à la réconciliation<br />
<strong>de</strong> Charles et du duc <strong>de</strong> Bourgogne.<br />
La Trémouille , placé par Itieliemont près du roi , avait réussi<br />
supplanter son protecteur.<br />
On u prét<strong>en</strong>du <strong>de</strong>puis peu que Charles VII n'avait lias dans sa<br />
détresse, le temps (le songer aux plaisirs. Cep<strong>en</strong>dant lorsque Lahire,<br />
arrivant d'O,[éaiis , se r<strong>en</strong>dit pris du roi, il le trouva occupé <strong>de</strong>s<br />
préparatifs d'un ballet et peu disposé ii l'écouter.<br />
Dès que les plaisirs brillai<strong>en</strong>t ans yeux <strong>de</strong> Charles, il oubliait<br />
> ses affaires les plus importantes. Au lieu <strong>de</strong> parler à Laliire du siége<br />
d'Orléans , il lui <strong>de</strong>manda ce qu'il p<strong>en</strong>sait <strong>de</strong> sa fête. « Je p<strong>en</strong>se<br />
ré j oui l loyal guerrier, qu'on ne peut pas perdre un royaume plus<br />
,aim<strong>en</strong>t. » (Histoire (le I1'rance, par M. <strong>de</strong> Ségur.)<br />
Charles VII paraissait douter <strong>de</strong> ses droits ans trnne. C'est ce<br />
que n v la prière dont Jeanne d'rr eut connaissance d'une suaiaièr'<br />
si merveilleuse. Cette tira<strong>de</strong>, qui n'est qu'un germe dans Schiller,<br />
n'a donc ri<strong>en</strong> d'invraisemblable.<br />
Charles forma un mom<strong>en</strong>t, dit-on , le <strong>de</strong>ssein timi<strong>de</strong> d'abandonner<br />
son royaume et <strong>de</strong> se retirer <strong>en</strong> Dauphiné. , (Ségur,<br />
Hsi<strong>en</strong>re rie Fronce.
1T© 7 TZI±1 TL<br />
Quelques auteurs ont représ<strong>en</strong>té Jcatirie d'Arc comme étant l'instrum<strong>en</strong>t<br />
le Dunois. Cette opinion absur<strong>de</strong>, émise <strong>en</strong>core par Walter<br />
Scott dans la Démonologie, ne vaut pas la peine d'être rél',ikie.<br />
2 Jeanne d'Arc, sortie victorieuse (le toutes les épreuves auxquelles<br />
on l'avait soumise, fut déclaric bonne chréti<strong>en</strong>ne et vraie catholique<br />
et bonne personne. On décida qu'il n'y avait ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> mal dans son<br />
fait, que sa vie était sainte et ses paroles inspirées. (Nolice sur Jeanne<br />
d'Arc, par MM. Michaud et Poujoulat.)<br />
Elle adressa sa parole au roi , lequel elle fl'asOit jamais VU, et<br />
• lui dit: que Dieu vous donne bonne vie, très-noble roy! - Et<br />
• pour ce que <strong>en</strong> la compagnie y avoit plusieurs seigneurs vestims aussi<br />
• rielu'iii<strong>en</strong>t ou plus que luy, dit: - Se ne ecay-je pas que suis roi,<br />
• Jelianne, et cli luy montrant quelque un <strong>de</strong>s seigneurs qui estoint<br />
• là prés<strong>en</strong>ts, luy dit: voilà qui est roy ! Elle respondLt : c'est vomis<br />
• qui estes i'oy et non autre , je vous cognois bi<strong>en</strong>. » ( (Jim-on. <strong>de</strong> la<br />
Pucelle, p . W.)<br />
e Voyage <strong>de</strong> Jeanne à la cour <strong>de</strong> Charles VII.<br />
e De Vau<strong>couleurs</strong> à Chinon , <strong>en</strong> traversant beaucoup <strong>de</strong> ris lires<br />
's savoir: l'Ornaiiu , le Saux , la Maiiue , l'Amibe, l'Armaneon , le<br />
's Serait, , l'Yonne , le Douant , le Loing , la Loire , le Cher et<br />
l'Indre, <strong>en</strong> passant par Saint-Urbain <strong>en</strong>suite près d'Auxerre, <strong>en</strong>fin<br />
par ('.i<strong>en</strong> et Saiutt'-.Catherin-<strong>de</strong>-Ficrbis. 's (Jeanne d'Arc, par<br />
M. llerriat-Saint-Pt'ix, p. 2?5.)<br />
Voyez les Ducs <strong>de</strong> Bourgogne, t. V, p. '70.<br />
Vo y ez le mnème ouvrage t. V. p.
NOTES. 12,21<br />
vus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s geits d'armes , et si vous dites que c'est<br />
le plaisir <strong>de</strong> Dieu que les Anglais laiss<strong>en</strong>t le royaume <strong>de</strong> France<br />
» et s'<strong>en</strong> aill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> leur pays , si cela est, il ne faut pas <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s<br />
• d'armes car ic seul plaisir <strong>de</strong> Dieu les peut détruire et faire aller<br />
» <strong>en</strong> leur pays. —A quoy ciii . respondit qu'elle <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s<br />
non mie <strong>en</strong> grand nombre, lesquels combattrai<strong>en</strong>t, et Dieu don-<br />
neroit la victoire. , ( Chron. dc la Pucelle.)<br />
« Je ne suis pas xe,,iie à Poitiers pour faire <strong>de</strong>s signes; nui<br />
conduisez-moi à Orléans,je vous montrerai pourquoi je suis <strong>en</strong>voyé—<br />
(Notice, page 52.)<br />
e Sire, la première i' jueste que vous Itstes à Dieu fi,L que voti<br />
p1iaites que si vous ne étiez vrai héritier du royaume <strong>de</strong> France , que<br />
ce fut SOI, plaisir vous aster le coulage <strong>de</strong> le poursuivre, afin q"'<br />
vous ne fussiez plus cause <strong>de</strong> faire et sout<strong>en</strong>ir la guerre durit procè<strong>de</strong><br />
tant <strong>de</strong> maux , pour recouvrer ledit royaume. La secon<strong>de</strong> fut que vous<br />
lui priastes que se les gran<strong>de</strong>s adversités et tribulations que ic pans r<br />
peuple souffrait, que ce fut son plaisir <strong>en</strong> relever le peuple, et pi-<br />
vous seul cri fussiez puni. La tierce fut pic se le pic},t du peii,iii<br />
estoit cause <strong>de</strong>sdites adversités , que cc fut son plaisir pardonner au<br />
dit peuple. » (Chronique <strong>de</strong> la Pucelle.)<br />
0 Et si ,lit que dès l'âge do treize ans eut révélation <strong>de</strong> L S. par tin,<br />
voix qui ILty <strong>en</strong>seigna à soy gouverner, et pour la première luis<br />
qu'elle avoit eu grand paour. Et tut que ladite voix vint aimksy que<br />
à inidv, e,, temps d'est é, elle estant au jardin <strong>de</strong> son père <strong>en</strong> un<br />
jour (le •jeùne et dit que ladite voix n'est guères sans clarté. -<br />
(Interrogatoire dc la Pucelle.)<br />
II e Interrogée se cc estoit voix d'angel ou <strong>de</strong> saint ou <strong>de</strong> Dieu<br />
» sana moyeu, rcsporid ijiic c'est la voix <strong>de</strong>s saintes Cailterine<br />
Marguerite. » (J" interrogotone.)<br />
15 e Je açay bic,, que j'aurois beaucoup à faire, triais Messire m';iL<br />
dora ; or allons <strong>de</strong> par Dieu » ( chronique <strong>de</strong> la Pucelle.)<br />
5 Le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette scène est imité dc Schiller.<br />
Jeanne n'a pas vu la mort <strong>de</strong> Salisbury mais d'après la C/<br />
nique, page h'28 , elle a, par secon<strong>de</strong> vue, été, tiinoi,i <strong>de</strong> la ta<br />
<strong>de</strong> Rouvray.<br />
Il Voyez la chronique.<br />
16 Tulle fut eu effet la baniniène <strong>de</strong> Jea,i,ir<br />
M. MirI,a,ad , page 57, et le XVIl inzer?uqu/
I Jacques et sa fille se vir<strong>en</strong>t elFi'etivetii<strong>en</strong>t à livaehiss.<br />
Cette prière, fàlle à l'occasion <strong>de</strong> Jeanne, est citée par M. Jluchou,<br />
dans ses docum<strong>en</strong>ts relatifs à la Pucelle.<br />
Voyez la chronique, page 446, dans les docum<strong>en</strong>ts, la copie d'une<br />
lettre écrite sur le sacre <strong>de</strong> Charles VII. et Monstrelit.<br />
Astesan dit qu'après le siège d'Orléans , k roi vint au—<strong>de</strong>vant <strong>de</strong><br />
Jeanne, l'accueillit avec transport et la fit asseoir à ses côtés.<br />
Les lettres d'anoblissem<strong>en</strong>t fur<strong>en</strong>t données à la Pucelle à Chàteau—Meun.<br />
Jeanne fut autorisée à pr<strong>en</strong>dre le nom du Lys.<br />
Et qui cnst veu cette Pucelle accoler le roy à g<strong>en</strong>oux par les<br />
jambes et lui baiser le pied <strong>en</strong> plourarut à chau<strong>de</strong>s larmes, il cri<br />
cust eu Pitié - Mesuuic clic provoqumoit plusieurs à pleurer <strong>en</strong> disant:<br />
» G<strong>en</strong>til rov, or csi exécuté le plaisir <strong>de</strong> Dieu qui vouloit que vous<br />
viuusiez à ilhueims re.cepsoir vostre digne sacre. (hron., p . 446,'<br />
Ces vers sont d'Olivier Basselin.<br />
Imité <strong>de</strong> Villon.<br />
Cc fat à Saint—D<strong>en</strong>is et non à Rheims que Jeanne brisa ainsi<br />
son épée.<br />
Lui fust dit par ses voir qu'elle seroit prise avant qu'il fust la<br />
» sainet Jehan. ( VI' interrogatoire.)<br />
II nous est resté qulvlqus inuits qui prouv<strong>en</strong>t que Jacques d'Are<br />
était peu disposé à favoriser les projets <strong>de</strong> sa fille: Si je cuidoic<br />
que la chose ativinsit que j'ai songi d'elle, je voudrois que vous<br />
la noyissiez, et se vous ne ic faisiez, je la noverois moi—mime. »<br />
p 20. - !_1 lnzerroqnrotus'.
1TT P±1c<br />
Guillaume <strong>de</strong> Flavv, gouverneur <strong>de</strong> Compiègne, a été soupçonné<br />
d'avoir livré la Pucelle. (Voyez la Biographie universelle et la Notice<br />
<strong>de</strong> MM. Michaud et Poujoulat.)<br />
2 Pierre Cauchon avait été chassé <strong>de</strong> son diocèse.<br />
Dit que se elle disoit que Dieu ne l'a <strong>en</strong>voyée, elle se damp-<br />
» neroit. (XXII' interrogatoire.)<br />
Voyez la Notice.<br />
Il avait esté à la peine, c'est bi<strong>en</strong> raison qu'il fust à l'honneur. »<br />
(XVII' interrogatoire.)<br />
c Se je n'y suis, Dieu m'y veuille mettre , et se je y suis, Dieu<br />
• veuille m'y t<strong>en</strong>ir. a (IV' interrogatoire.)<br />
c Je disois : <strong>en</strong>trez hardim<strong>en</strong>t au milieu <strong>de</strong>s Anglais, et y <strong>en</strong>trais<br />
• moi-mesme. » (Interrogatoire.)<br />
On revint plusieurs fois sur les habits d'homme que portait Jeanne,<br />
on lui fit un crime dc ce costume.<br />
Le greffier Manchou déposa qu'ayant été le lundi à la prison,<br />
avec l'évêque <strong>de</strong> Beauvais, pour procé<strong>de</strong>r, Jeanne leur dit qu'elle<br />
avait pris l'habit d'homme pour la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> son honneur, att<strong>en</strong>du<br />
qu'on avait voulu att<strong>en</strong>ter à sa pu<strong>de</strong>ur. (Panthéon, XV' siècle,<br />
Notice litt. par M. J3uchon.)<br />
50 e Ils seront tous boutés hors <strong>de</strong> France, excepté ceux qui y<br />
mourront. »<br />
e Les saintes me disoi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> respondie hardim<strong>en</strong>t. »<br />
12 c Me di<strong>en</strong>t mes voix pr<strong>en</strong>ds tout <strong>en</strong> gré, ne te chaule <strong>de</strong> ton<br />
» martyre, tu t'eii v<strong>en</strong>ras <strong>en</strong>fin au royaume du paradis. »
224 NOTES.<br />
Interrogée sur ce qu'elle a dit au rot : - allez le lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.<br />
e Interrogée se quand elle partit <strong>de</strong> ses pèle et mère, elle cui-<br />
• doit point pescher, respond : 1iukqui . Dieu le commaiidoit, se elle<br />
• eust eu c<strong>en</strong>t pères et c<strong>en</strong>t mères , et se elle eust esté fille <strong>de</strong> roy,<br />
• elle l'est partie. »<br />
Je veux maint<strong>en</strong>ir le mesme que j'av toujours t<strong>en</strong>u <strong>en</strong> mon<br />
• procès et se je cetois ja cil jugem<strong>en</strong>t ci voie le feu allumé et le<br />
• bois préparé et le bourreau prêt à ma jeter <strong>de</strong>dans, et <strong>en</strong>core<br />
quand serois cil n'<strong>en</strong> diroit aulire chose que ce que j'<strong>en</strong> ai<br />
dict , mais veux soust<strong>en</strong>ir cc que j'<strong>en</strong> ai dirt jusques à la mort. »<br />
(XXI -1 interrogatoire. )<br />
01 Cette m<strong>en</strong>ace l'ut effectivem<strong>en</strong>t faite 'u Ladv<strong>en</strong>n , frère prdcbeur,<br />
qui assista Jeanne sur le bêcher.<br />
Il Voyez la délibération <strong>de</strong>s juges b la suite du XXIV i?ZterrOqa-<br />
toire, Ce qui empêcha (le livrer Jeanne à la torture, ce l'ut la crainte<br />
qu'elle ne pèt la supporter. C'était le bêcher qu'on lui voulait. Lors<br />
<strong>de</strong> la maladie qu'elle fit dans sa prison , Warwieli disait Pour<br />
• ri<strong>en</strong> ait Mon<strong>de</strong>, le roi ne voudrait qu'elle 1110 u 'miL <strong>de</strong> mort na tu-<br />
, relie ; il l'a u cii etée assez elle r , il mie veut pas pi 'elle mmi cii re au-<br />
• trcmcnt que par justice et veut qu'elle soit brèlée. »
ITCTZZ ZIT I1T©I±1 À.<br />
P<strong>en</strong>dant que Jeanne dormait, on lui <strong>en</strong>leva les habits <strong>de</strong> femme<br />
qu'elle avait repris, et on lui fit un crime <strong>de</strong> paraitre Bons un vètem<strong>en</strong>t<br />
d'homme, le ecui qu'on lui e,t laissé.<br />
2 Voyez la isole 17 du quatrième acte.<br />
Jeanne, durant sa captivité, n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit ses voix que rarem<strong>en</strong>t.<br />
Voyez le récit <strong>de</strong> cette scène dans la Notice sur Jeanne d'Arc<br />
et dans la Biographie universelle.<br />
La céduic qui lui avait été lise cont<strong>en</strong>ait simplem<strong>en</strong>t la promesse<br />
<strong>de</strong> ne plus porter les armes , <strong>de</strong> laisser eroitre ses cheveux<br />
• et <strong>de</strong> porter l'habit d'homme. Celle qu'elle signa r<strong>en</strong>fermait plusieurs<br />
• pages, et elle s'y reconnaissait dissolue, hérétique, siditieuse, invocatrice<br />
<strong>de</strong>s démons, coupable <strong>en</strong>fin <strong>de</strong>s forfaits les plus contraires<br />
et les plus abominables. (Biographie universelle. )<br />
Les Anglais, s'écria-t-elle, abandonneront un pins grand gage<br />
• qu'ils n'ont lait <strong>de</strong>vant Orléans, et perdront tout <strong>en</strong> France. -<br />
• Comm<strong>en</strong>t savez-vous cela ? - Par la révélation qui m'<strong>en</strong> s été faite;<br />
• cela arrivera avant sept ans, et je suis fichée que cela doive tant<br />
• tar<strong>de</strong>r. s Toutes les fois que, dans le procès il était question <strong>de</strong> l<br />
France, Jeanne oubliait sa propre cause, elle oubliait sa captivité et<br />
les périls dont elle était m<strong>en</strong>acée; prisonnière <strong>de</strong>s Anglais, elle leur<br />
parlait <strong>en</strong>core comme au temps <strong>de</strong> ses victoires. » ( Notice, p . 411.)<br />
Voyez cette s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce. Procès <strong>de</strong> la Pucelle, p. 509.)<br />
Il L'évêque <strong>de</strong> Beauvais dit au comte <strong>de</strong> Warwick, <strong>en</strong> sortant <strong>de</strong> la<br />
prison <strong>de</strong> Jeanne face well, fore sitU; faites bonne chère, il <strong>en</strong> est<br />
fait.<br />
LI
s<br />
r<br />
226 NOTES.<br />
° Cauchon n'obtint pas l'archev^f.-lié <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong>. Il mourut évêque<br />
<strong>de</strong> Lisieux.<br />
e Rou<strong>en</strong> , Rou<strong>en</strong>, est—ce donc ici que je dois mourir<br />
SI Ni lus odieuses ruses <strong>de</strong> Loyseleur, ni 50fl rep<strong>en</strong>tir ne sont <strong>de</strong><br />
l'inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l'auteur. (Voyez la Notice <strong>de</strong> M. Michaud et la Biographie<br />
universelle.)<br />
Oh 1 j '<strong>en</strong> appelle à Dieu, le grand juge »<br />
Celte phrase fut rei1e que prononça Jeanne vii appr<strong>en</strong>ant quel<br />
supplice l'att<strong>en</strong>dait. Plusieurs fois, durant le procès, elle avait rappelé<br />
à Pierre Cauchon qu'il y avait un grand juge au ciel ; elle s'écria<br />
dans ic 11° interrogatoire: c Vous dites que estes mon juge , je ne<br />
• sçay se vous l'estes mais advisez bi<strong>en</strong> que vous ne jugiez mal<br />
• car vous vous mettriez <strong>en</strong> grand danger, et vous <strong>en</strong> avertis aGn que<br />
• se oestre Seigneur voue <strong>en</strong> chastis, que je fais mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />
, vous le dire.<br />
Le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> cette plirisc a été r<strong>en</strong>du dans la scène II <strong>de</strong> l'acte V.
p<br />
:wx'1<br />
- --<br />
Préface V<br />
Les Poètes <strong>de</strong> Jeanne d'Are..<br />
I. Christine <strong>de</strong> Pisan, Martial <strong>de</strong> Paris, Martin Franc,<br />
Astesan, Shakspeare, Southey ............. ..... 1<br />
Il. Chapelain ..................................... .II<br />
III. La Pucelle d'Orléans <strong>de</strong> Schiller .................. 25<br />
IV. Voltaire, D'Avriguy, Soumet, Nancy, C. De]aizne 55<br />
Personnages......................................<br />
Costumes.......................................<br />
La tragédie......................................<br />
Notcs........................... ............. ...
Page i6, vers six, au lieu <strong>de</strong>:<br />
A Rayrnond, et heureuse! En vain, je t'ai prise<br />
Lisez: A Raymond. 1l,ilas! Jeanne, <strong>en</strong> vain, je t'ai priée.<br />
Page 57, vers huit, au lieu <strong>de</strong>:<br />
Lisez<br />
C'est toi qui doit faire<br />
C'est toi qui dois faire<br />
Page 150, vers cinq, au lieu <strong>de</strong>:<br />
Lisez<br />
Et ses soeurs<br />
Et sa soeur.<br />
Page lii, vers trois, au lieu <strong>de</strong>:<br />
Malheur Malheur Cette arme que nies voix<br />
Lisez:<br />
Malheur! Malheur I Malheur! Cette arme que mes voix<br />
Page 158, vers un, au lieu <strong>de</strong>:<br />
Lisez<br />
Je Saurais <strong>en</strong>core te bénir.<br />
Je saurais <strong>en</strong>cor te bénir.