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I<br />

PRÉFACE.<br />

IL y a un an <strong>en</strong>viron que, par un beau jour d'été,<br />

je fis un pèlerinage à la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc.<br />

Jamais je n'éprouvai une émotion aussi vive que<br />

celle que je ress<strong>en</strong>tis <strong>en</strong> face <strong>de</strong> cette pau ie <strong>de</strong>meure.<br />

Ce fut par une nuit inagnilique que je quittai<br />

Domrc,nv. Mes <strong>de</strong>ux compagnons <strong>de</strong> voyage gar -<br />

dai<strong>en</strong>t le sil<strong>en</strong>ce: le souv<strong>en</strong>ir (les lieux que nous<br />

v<strong>en</strong>ions (le visiter était bi<strong>en</strong> fait pour r<strong>en</strong>dre l&<br />

rêverie longue et attachante. Pour moi, je frissonnai:-<br />

<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant que Jeanne avait u ces côtes que je<br />

voyais. Je me la représ<strong>en</strong>tais suivant ce chemin sur<br />

lequel nous avancions rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t je nie <strong>de</strong>mandais<br />

quels avai<strong>en</strong>t dù être ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> approchant<br />

<strong>de</strong> Vau<strong>couleurs</strong> puis la vie <strong>en</strong>tière tic la Pucelle<br />

Documefl<br />

Il II il I il Il 1111 IlI<br />

0000005578788<br />

t


I PItEF.U.E.<br />

se déroulait <strong>de</strong>vant moi, pr<strong>en</strong>ant toutes les tonnes<br />

d'une tragédie , et cette tragédie, il me semblait que<br />

je pourrais la révéler telle qu'elle se passait dans<br />

ITOJI esprit.<br />

Je m'aperçus douloureusem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mon erreur,<br />

lorsqu'à mon retour tic Doniremy, je travaillai au<br />

drame que je publie. mon <strong>en</strong>thousiasme, <strong>en</strong> voulant<br />

se matérialiser, <strong>de</strong>vint l'essai que l'on va lire, cx-<br />

presion inexacte , bi<strong>en</strong> faible bi<strong>en</strong> pâle réverbéra-<br />

tion (le l'extase, -je, ne trouve pas (laure mot, -<br />

qui m'avait un instant ravi.<br />

Après avoir (lit comm<strong>en</strong>t je nie trouvai <strong>en</strong>trajné<br />

A composer cette oeuvre, je dois exposer quel fut<br />

mon <strong>de</strong>ssein. Je voulus essayer <strong>de</strong> transporter Jeanne<br />

d'Are dans une composition dramatique (lotit le récit<br />

<strong>de</strong>s chroniqueurs fournirait A peu près tous les élé-<br />

m<strong>en</strong>ts. Si j'avais eu l'ambition <strong>de</strong> risquer ma tra-<br />

gédie sur la scène, cette loi que je m'étais imposée<br />

<strong>de</strong> nie conformer autant que possible A la vérité,<br />

m'eût peut-être, je l'avoue, été fatale. Toutefois,<br />

la vie <strong>de</strong> Jeanne d'Are est si gran<strong>de</strong>, si sainte, si<br />

patriotique, qu'u ifl homme <strong>de</strong> tal<strong>en</strong>t aurait pu je le<br />

crois, compter sur les applaudissem<strong>en</strong>ts sans beaucoup<br />

s'écarter du plaui que jai suivi. Il est tics faits tel-<br />

lem<strong>en</strong>t connus qu'il rue doit, pas être permis <strong>de</strong> les<br />

J altérer, tellem<strong>en</strong>t beaux que l'on doit craindre d'y<br />

ajouter tics péripéties imaginaires.<br />

N'ayant pas la hardiesse <strong>de</strong> désirer la publicité<br />

tliéAIrale pour ma tragédie , j'ai pu lui donner <strong>de</strong>s


PREIACL. VII<br />

développem<strong>en</strong>ts que probablem<strong>en</strong>t la scène m'eût<br />

interdits. Ainsi j'ai fréqu<strong>en</strong>iinciit employé la poésie<br />

lyrique. Cet emploi n'est, du reste. pas uiie inno-<br />

vation: Corneille, dans le Cid et dans Poimjeucte;<br />

Racine, dans Athalie (je mie parle point d'Estime,',<br />

parce que la poésie lyrique y apparaît seulem<strong>en</strong>t<br />

dans les choeurs), ont montré lexemple d'un s<strong>en</strong>i-<br />

blable mélange. En Allemagne, . Sehiller, dans sa Pucelle<br />

d'Oriéwms, s'est <strong>de</strong> même servi du rlivthme <strong>de</strong><br />

l'o<strong>de</strong> pour exprimer les élans inspirés <strong>de</strong> son héroïne.<br />

Indigne interprète (l'un grand poète, plusieurs fois<br />

j'ai osé imiter ce célèbre tragique. Le prologue., le<br />

premier acte et plusieurs scènes <strong>de</strong> nia pièce sont<br />

<strong>de</strong>s réminisc<strong>en</strong>ces (le SOil inagnilique drame.<br />

Vauv<strong>en</strong>argues a dit : Ce qui fait le mécompte<br />

» d'un écrivain, c'est qu'il croit r<strong>en</strong>dre les choses<br />

» telles qu'il les aperçoit ou les s<strong>en</strong>t. » Peut-ètrc<br />

éprouverai-je. CC mécompte; peut-ètl'e n'ai-je pas<br />

réussi à peindre Jeanne d'Are comme je l'ai coin-<br />

prise. Tout <strong>en</strong> poétisant la Pucelle , tout <strong>en</strong> m 'efforçant<br />

<strong>de</strong> revêtir ses discours dune spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur que<br />

l'état d'inspiré peut r<strong>en</strong>dre vraisemblable, j'ai t<strong>en</strong>té<br />

<strong>de</strong> représ<strong>en</strong>ter Jeanne telle que les chroniques nous<br />

la montr<strong>en</strong>t. Héroïne tant que Dieu est avec elle,<br />

à la fin du (]rame, elle re<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte<br />

jeune fille; elle retrouve par mom<strong>en</strong>ts son énergie<br />

Première , et pourtant elle s'effraie dc la mort qui<br />

l'att<strong>en</strong>d. Déterminée à ne pas prononcer une parole<br />

qui soit contraire à l'honneur <strong>de</strong> la France , à ne


VIII PKEF/CE.<br />

pas nier la divinité <strong>de</strong> sa mission, elle pleure ce-<br />

p<strong>en</strong>dant sa jeunesse si vite passée. Faible <strong>en</strong> face<br />

<strong>de</strong> ses souv<strong>en</strong>irs, elle est forte <strong>en</strong> face <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>ne-<br />

mis. Son courage alors est un courage humain,<br />

qu'agrandiss<strong>en</strong>t quelquefois la mémoire <strong>de</strong> ses exploits<br />

et le retour fugitif <strong>de</strong> l'inspiration céleste.<br />

Je n'ai pas à m'excuser. - puisque ma Jeanne<br />

d'Are n'est <strong>de</strong>stinée qu'à être lue, - d'avoir mis <strong>en</strong><br />

scène le cortège du sacre, l'archevêque <strong>de</strong> Rheims<br />

et d'autres membres du clergé. Quant à Pierre Cau-<br />

chon qui semblera bi<strong>en</strong> odieux, il est tel que l'his-<br />

toire le dépeint, et souv<strong>en</strong>t je n'ai fait que traduire<br />

<strong>en</strong> vers ses propres paroles. Loyseleur n'est pas non<br />

plus <strong>de</strong> mon inv<strong>en</strong>tion. Polir Ladv<strong>en</strong>u, il assista réel-<br />

lem<strong>en</strong>t Jeanne à sa mort; mais il n'eut pas toute la<br />

fermeté que je lui ai attribuée.<br />

J'ai fait précé<strong>de</strong>r mon po3me, mon drame, ma<br />

lég<strong>en</strong><strong>de</strong>, - n'importe le nom que l'on donne à cet<br />

essai, - d'une revue <strong>de</strong>s potes <strong>de</strong> Jeanne d'Arc.<br />

Le lecteur sourira sans doute <strong>en</strong> me voyant hardi<br />

au point <strong>de</strong> juger <strong>de</strong>s écrivains émin<strong>en</strong>ts; il se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra comm<strong>en</strong>t j'ai osé signaler <strong>en</strong> eux <strong>de</strong>s<br />

défauts qui peut-être n'exist<strong>en</strong>t pas, tandis que, dans<br />

mon oeuvre, j'<strong>en</strong> ai tant laissé subsister qui sont<br />

saillants. Je ne puis que répéter ce que je dis plus<br />

loin à propos <strong>de</strong> la Pucelle <strong>de</strong> Schiller, que me<br />

comparer à ces coniadini qui, s'arrêtant <strong>de</strong>vant les<br />

statues dont Flor<strong>en</strong>ce est peuplée, admir<strong>en</strong>t ou<br />

critiqu<strong>en</strong>t Miehel-Ange et Baccio Bandinelli.


PRÉFACE.<br />

Parmi les nombreux défauts que l'on remarquera<br />

dans ce volume, il <strong>en</strong> est que probablem<strong>en</strong>t je<br />

n'aperçois pas, et il <strong>en</strong> est d'autres que mon impuissance<br />

m'empêche <strong>de</strong> faire disparaître. On me<br />

reprochera sans doute <strong>de</strong> ne pas avoir toujours<br />

repoussé l'<strong>en</strong>jambem<strong>en</strong>t, d'avoir quelquefois violé la<br />

césure. J'ai cru <strong>de</strong>voir me permettre ces lic<strong>en</strong>ces,<br />

parce que j'ai voulu donner du naturel à mon style.<br />

Employant avec modération les épithètes, bannissant<br />

la périphrase , figure <strong>de</strong>structive <strong>de</strong> toute vérité<br />

dans le dialogue, je me suis privé <strong>de</strong> ces termes<br />

explétifs qui, s'ils r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t le vers plus régulier,<br />

qui, s'ils lui donn<strong>en</strong>t plus d'harnionie , nuis<strong>en</strong>t à<br />

la p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong> lui <strong>en</strong>levant <strong>de</strong> la simplicité dans l'ex-<br />

pression .<br />

La connaissance que j'ai <strong>de</strong> ma faiblesse ne m'a<br />

pas détourné <strong>de</strong> publier cette nouvelle Jeanne dtrr,<br />

Jeune, j'ai besoin <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> la crilique pour<br />

faire mieux à l'av<strong>en</strong>ir.<br />

inglange, 15 Août 4842.<br />

Ix


^bivàz 13<br />

Lms


LES POÈTES<br />

DE JEI%LNNE D'ARC.<br />

I.<br />

Clijislirie <strong>de</strong> Pisan. - martial <strong>de</strong> Paris. - Martin Franc. —Astezan,<br />

- Sliakspeare - Sotitiwy.<br />

li y aunhorniiie,—et il n été salué du nom d'Ai'istarque,<br />

et il a écrit seize volumes sur la littérature, et toute une<br />

génération n'a ri<strong>en</strong> admiré qu'h travers ses criliques , -<br />

( 1 111 a osé douter que le règne <strong>de</strong> Charles VII pût fournir (L<br />

l'épopée un ouvrage intéressant; qui n été assez malheureux<br />

pour écrire ces lignes: Il est bon qu'un poème troue<br />

l'imagination prév<strong>en</strong>ue pour le héros, et ni Dunois, ni<br />

Charles VII, ni nréne Jeanne d'Arc, malgré son courage<br />

et ses exploits, n'ont joué, ce me semble , un assez<br />

grand rôle pour remplir la majesté <strong>de</strong> l'épopée.<br />

Au fait, pauvres poètes, que voulez—vous faire <strong>de</strong> Jeanne<br />

d'Arc, <strong>de</strong> cette jeune fille dont la vie, <strong>en</strong>core si près (le notre<br />

siècle, est tout héroïque, toute naïve, et pourtant toute<br />

1


LES POLIES DE JEANNE I)AaC.<br />

surnaturelle? L'églogue, l'o<strong>de</strong>, l'épopée, la tragédie, sem-<br />

blerai<strong>en</strong>t pouvoir i peine peindre la fraîche vallée <strong>de</strong> la<br />

Meuse , l'arbre <strong>de</strong>s fées, faire parler le ciel, décrire la dé-<br />

livrance d'Orléans, r<strong>en</strong>dre une odieuse exist<strong>en</strong>ce à l'évéquc<br />

<strong>de</strong> Beauvais, et pourtant dans toutes ces choses qui parais-<br />

s<strong>en</strong>t s'adresser aux plus nobles formes <strong>de</strong> la poésie, il n'y a<br />

pas la matière <strong>de</strong>s douze ou <strong>de</strong>s vingt-quatre chants voulus.<br />

Pour comble <strong>de</strong> malheur, si vous vouliez célébrer Jeanne,<br />

il faudrait vous montrer chréti<strong>en</strong>s; vous seriez obligés <strong>de</strong><br />

parler <strong>de</strong>s anges et <strong>de</strong>s saints, comme Dante et Milton dont<br />

les coryphées du XViII' siècle ont fait si bonne justice; vous<br />

le voyez, Jeanne d'Arc ne peut remplir la majesté <strong>de</strong> l'épo-<br />

pée. En définitive, <strong>de</strong> quoi s'agirait-il dans un poime dont la<br />

Pucelle serait l'héroïne? Oh! mon Dieu, <strong>de</strong> ri<strong>en</strong>, <strong>de</strong> presque<br />

ri<strong>en</strong>, du salut <strong>de</strong> la France, voilà tout. La France sauvée,<br />

<strong>en</strong> quoi cela nous intéresse-t-il? Parlez-nous <strong>de</strong> quelques<br />

événem<strong>en</strong>ts arrivés <strong>en</strong> Grèce dans <strong>de</strong>s olympia<strong>de</strong>s inconnues,<br />

au sein d'un royaume OLI d'une république <strong>de</strong> la taille d'un<br />

<strong>de</strong> nos départem<strong>en</strong>ts, dans une ville gran<strong>de</strong> comme un chef-<br />

lieu d'arrondissem<strong>en</strong>t; redites-nous les infortunes <strong>de</strong> quelques<br />

personnages ayant l'honneur d'appart<strong>en</strong>ir à la famille<br />

dAgamemnon; célébrez, si vous l'aimez mieux, les pu<strong>de</strong>urs<br />

<strong>de</strong> Lucrèce et <strong>de</strong> Virginie.......Mais Jeanne d'Arc! allons<br />

donc!<br />

Ne suffit-il pas <strong>de</strong> r<strong>en</strong>contrer une assertion comme celle<br />

<strong>de</strong> La Harpe pour douter <strong>de</strong> l'infaillibilité <strong>de</strong> tout un écri-<br />

vain, pont' craindre <strong>de</strong> s'éti'e laissé égarer par celui que l'on<br />

se donnait pour gui<strong>de</strong>? M. <strong>de</strong> Maistre disait <strong>en</strong> parlant <strong>de</strong><br />

fausses opinions répandues sur la religion et la philosophie:<br />

Les fausses opinions ressembl<strong>en</strong>t h la fausse monnaie,<br />

qui est frappée d'abord par <strong>de</strong> grands coupables, et dé-


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

p p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong>suite par d'honnêtes g<strong>en</strong>s, qui perpétu<strong>en</strong>t le<br />

crime sans savoir ce qu'ils font.<br />

Cette p<strong>en</strong>sée pourrait, avec quelques adoucissem<strong>en</strong>ts, être<br />

appliquée h la littérature. Durant le siècle passé, la secte<br />

philosophique a émis une gran<strong>de</strong> quantité (le fausse mon-<br />

naie, a fait circuler comme étant d'or, bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s pailles<br />

pourries qu'il fallait laisser au fumier d'Ennius. Aujourd'hui,<br />

si nous regardons dans le creuset <strong>de</strong> ces autres alchimistes,<br />

nous n'y trouvons que peu <strong>de</strong> parcelles précieuses, mais<br />

cep<strong>en</strong>dant les effets <strong>de</strong> leur frau<strong>de</strong> se font <strong>en</strong>core s<strong>en</strong>tir, et<br />

beaucoup <strong>de</strong> pièces qui n'ont pas été mises au trébuchet<br />

circul<strong>en</strong>t parmi nous.<br />

Il est si commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser d'après les autres, que nous<br />

ne serions pas surpris si Jeanne d'Arc apparaissait à quel-<br />

ques esprits comme un personnage non poétique; cela serait<br />

d'autant moins étonnant, que le XVIIIe siècle nous a aussi<br />

légué le sacrilége <strong>de</strong> Voltaire, et qu'<strong>en</strong> France le ridicule<br />

fait <strong>de</strong> larges taches. Un héros u chez nous bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> la peine<br />

à se débarrasser d'une plaisanterie; le nom d'un brave ca-<br />

pitaine, <strong>de</strong> la Palisse, ne rappelle à notre peuple ni la<br />

bataille <strong>de</strong> Rav<strong>en</strong>ne, ni la bataille <strong>de</strong> Marignan, ni. le siège<br />

<strong>de</strong> Marseille, il ne le fait souv<strong>en</strong>ir que (l'une complainte<br />

stupi<strong>de</strong> comme celle <strong>de</strong> Marlborough.<br />

Nos voisins d'au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s Pyrénées sont moins oublieux<br />

que nous <strong>de</strong> leur gloire; <strong>de</strong>s romances transmett<strong>en</strong>t (le gé-<br />

nération <strong>en</strong> génération la mémoire <strong>de</strong> leurs guerriers. Si<br />

Jeanne d'Arc fût née au milieu d'eux, elle aurait été chantée<br />

par tout un peuple, chantée comme l'a été le Cid, c'est-à-<br />

dire <strong>de</strong> manière à r<strong>en</strong>dre Corneille jaloux. Jeanne d'Arc n'a<br />

inspiré aucune oeuvre remarquable à ses contemporains; ce<br />

n 'est pas elle qui manquait aux poètes, ce sont les poètes


4 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

qui lui ont manqué. Il faut bi<strong>en</strong> l'avouer: au moy<strong>en</strong> âge, la<br />

poésie française n'a ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> relevé; elle raconte <strong>de</strong> longues<br />

av<strong>en</strong>tures que l'Arioste s'est appropriées <strong>en</strong> mettant <strong>en</strong><br />

pratique la maxime <strong>de</strong> Voltaire : i Il faut tuer ceux que l'on<br />

vole. s Elle médit, dans <strong>de</strong> spirituels fabliaux, <strong>de</strong> la vertu<br />

<strong>de</strong>s femmes; elle fredonne quelques villanelles le long <strong>de</strong>s<br />

haies verdissantes, elle chante <strong>de</strong>s couplets bachiques <strong>en</strong><br />

face <strong>de</strong> hanaps pleins <strong>de</strong> vin d'Auxerre, elle psalmodie <strong>de</strong>s<br />

complaintes sur la mort, elle <strong>en</strong>tre dans les couv<strong>en</strong>ts <strong>en</strong><br />

rimant quelque miracle apocryphe; elle saute sur <strong>de</strong>s tré-<br />

teaux où, sans le savoir, elle imite Aristophane; elle cbame<br />

les érudits <strong>en</strong> s'<strong>en</strong>veloppant <strong>de</strong> voiles allégoriques; elle a (le<br />

l'esprit presque toujours, du génie, jamais. —En lisant les<br />

vers que la Pucelle a inspiré <strong>de</strong> son temps, on se souvi<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> François 1er . : i Le sujet surpasse le disant.<br />

Le potte le plus célèbre du XV° siècle qui se soit occupé<br />

<strong>de</strong> Jeanne d'Arc, est une femme: c'est Christine <strong>de</strong> Pisan.<br />

La pièce qu'elle nous a laissée témoigne une gran<strong>de</strong> admira-<br />

tion pour l'héroïne, mais n'est guère autre chose qu 'une chro-<br />

nique rimée. Christine <strong>de</strong> Pisan rappelle, comme la plupart<br />

<strong>de</strong>s auteurs qui ont parlé <strong>de</strong> Jeanne, les prophéties qui,<br />

avant son apparition, promettai<strong>en</strong>t un v<strong>en</strong>geur.<br />

Par Merlin, Schille cL lie<strong>de</strong><br />

Plus <strong>de</strong> cinq c<strong>en</strong>s a, la veir<strong>en</strong>t<br />

En esperit, et pour remè<strong>de</strong><br />

A France <strong>en</strong> leur escripts la mir<strong>en</strong>t;<br />

Et leurs prophéties <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t<br />

Disant que porteroit bannière<br />

Es guerres françoyses, et dir<strong>en</strong>t<br />

De son faict toute la manière.<br />

Martial <strong>de</strong> Paris, dans les Vigiles du roy Charles li!, i


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC. 5<br />

eu aussi à redire les prodiges <strong>de</strong> la noble jeune fille. On<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> face <strong>de</strong> tels événem<strong>en</strong>ts, le rimeur a<br />

pu <strong>de</strong>meurer froid; comm<strong>en</strong>t il se petit faire que, dans<br />

l'énorme quantité <strong>de</strong> lignes <strong>de</strong> huit syllabes où il raconte la<br />

vie <strong>de</strong> Jeanne, il ne se trouve pas un vers vigoureux, pas<br />

une p<strong>en</strong>sée saillante; Martial semble craindre (le SC compro-<br />

mettre <strong>en</strong> blâmant les Anglais <strong>de</strong> leur crime:<br />

Voilà le jugem<strong>en</strong>t<br />

Et la s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce bi<strong>en</strong> cruelle<br />

Qui fut donnée trop asprem<strong>en</strong>t<br />

Contre lieue povre pucelle.<br />

Si fir<strong>en</strong>t niai ou autrem<strong>en</strong>t<br />

Ii s'<strong>en</strong> faut à Dieu rapporter,<br />

Qui <strong>de</strong> tels cas peut seulem<strong>en</strong>t<br />

Lassus cognoistre et discuter.<br />

Dans le Champion <strong>de</strong>s Darnes, ouvrage écrit pour v<strong>en</strong>ger<br />

les femmes <strong>de</strong>s satires cont<strong>en</strong>ues dans le roman <strong>de</strong> la Rose,<br />

Jeanne (l'Arc <strong>de</strong>vait être citée, aussi Martin Franc ne l'a<br />

pas oubliée. Mais, hélas! on ne peut guère louer l'auteur<br />

que <strong>de</strong> ses bonnes int<strong>en</strong>tions:<br />

De la pucelle dire veuil,<br />

Laquelle Orléans délivra,<br />

Ois Sallelieri y perdit l'iii<br />

Et puis male-mort le narra.<br />

Ce fut elle qui recouvra<br />

L'honneur <strong>de</strong>s François tellem<strong>en</strong>t<br />

Que par raison elle <strong>en</strong> aura<br />

R<strong>en</strong>om perpétuellem<strong>en</strong>t.<br />

Tu secs comm<strong>en</strong>t estoit apprise<br />

A porter lances et harnois<br />

Comm<strong>en</strong>t, par sa gran<strong>de</strong> <strong>en</strong>treprise,<br />

Abattus fur<strong>en</strong>t les Anglois<br />

Comm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Bourges ou <strong>de</strong> Blois<br />

Le roy saillit sous sa fiance,<br />

Et <strong>en</strong> I rs-grand ost mie Fr;unçoy<br />

Alla <strong>de</strong>vant Paris <strong>en</strong> France.


6<br />

LES POÈTES i JEANNE D'ARC.<br />

En voilà assez, trop peut-être, sur les vieux poètes fran-<br />

çais qui se sont occupés <strong>de</strong> Jeanne d'Arc; il est temps <strong>de</strong> dire<br />

qu'elle a aussi fait naître beaucoup <strong>de</strong> vers latins: les plus<br />

remarquables sont, sans contredit, ceux d'Antoine Astezan.<br />

Cet Itali<strong>en</strong> s'attacha à Charles d'Orléans, l'aimable poète<br />

dont on a ret<strong>en</strong>u ces jolis vers:<br />

Le temps a laissié son manteau<br />

De v<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> froidure et <strong>de</strong>pinyc.<br />

Et c'est h ce spirituel prince que, dans une épître, Astezan<br />

raconte une partie <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Jeanne. Nous allons donner<br />

la substance <strong>de</strong> cette épître <strong>en</strong> cmploafl( souv<strong>en</strong>t les propres<br />

expressions (le M. Berriat-Saint-Prix, à qui l'on doit d'in-<br />

téressants détails sur Astezan.<br />

D'après le poète, Jeanne d'Arc naquit le jour <strong>de</strong> l'épi-<br />

phanie; à l'instant <strong>de</strong> sa naissance, les habitants du village,<br />

agités d'une joie dont ils ignorai<strong>en</strong>t le motif, courur<strong>en</strong>t çà<br />

et là et chantèr<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>ux heures. On donna à la<br />

Pucelle le nom (l'une fontaine sainte du lieu.<br />

À sept ans, son père lui confia la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses troupeaux.<br />

Elle s'acquittait un jour <strong>de</strong> ce soin, - elle avait alors<br />

douze ans,—lorsqu'à l'invitation d'une bergère, elle se r<strong>en</strong>-<br />

(lit dans un pré ot ses compagnes se défiai<strong>en</strong>t h la course.<br />

La si<strong>en</strong>ne fut si rapi<strong>de</strong>, qu'on s'écria (1UC ses pieds ne sem-<br />

blai<strong>en</strong>t pas toucher la terre. P<strong>en</strong>dant qu'elle se reposait <strong>de</strong><br />

ses fatigues, un jeune homme lui apparut, et lui dit <strong>de</strong> se<br />

r<strong>en</strong>dre auprès <strong>de</strong> sa mère. Jeanne , obéissant à cet ordre,<br />

s'acheminait vers la maison paternelle, quand sa mère vint<br />

au-<strong>de</strong>vant d'elle, et la querella <strong>de</strong> ce qu'elle abandonnait son<br />

troupeau. Jeanne, surprise, retourna sur ses pas. A l'instant


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC. 7<br />

les nuées <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t étincelantes, et une voix lui dit qu'il<br />

fallait changer <strong>de</strong> vie, que Dieu l'avait choisie pour sauver<br />

la France, et qu'elle eût il se r<strong>en</strong>dre près <strong>de</strong> Charles VI 1.<br />

Jeanne, stupéfaite <strong>de</strong> cette vision, n'<strong>en</strong> parla point p<strong>en</strong>dant<br />

<strong>en</strong>viron cinq ans; mais les maux <strong>de</strong>s Français arrivèr<strong>en</strong>t h<br />

leur comble; la voix céleste se fit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> nouveau, et<br />

reprocha i Jeanne sa néglig<strong>en</strong>ce. Jeanne restait indécise<br />

cep<strong>en</strong>dant; tuais les ordres d'<strong>en</strong> haut, <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t si pressants,<br />

qu'il fallut obéir. Elle se r<strong>en</strong>dit auprès du gouverneur <strong>de</strong> la<br />

seule ville <strong>de</strong> Champagne qui fût <strong>en</strong>core fidèle au roi. Le gouverneur<br />

la conduisit à Charles, auquel elle inspira la plus<br />

gran<strong>de</strong> confiance.<br />

Le roi <strong>en</strong>voya Jeanne secourir Orléans. Elle sauva cette<br />

ville, quoique les <strong>en</strong>nemis fuss<strong>en</strong>t très-nombreux, et qu'elle<br />

eût peu <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> avec elle.<br />

Jeanne revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite auprès <strong>de</strong> Charles, qui l'accueille<br />

avec transport et la fait asseoir à ses côtés. Elle le supplie<br />

<strong>de</strong> la r<strong>en</strong>voyer combattre le reste <strong>de</strong>s Anglais; elle les ilé-<br />

fait, recouvre <strong>en</strong> peu <strong>de</strong> temps une vaste ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> terri-<br />

toire, et tout le mon<strong>de</strong> lui attribue le salut <strong>de</strong> la patrie.<br />

La plupart <strong>de</strong>s détails dont Astezan a rempli son épître<br />

se retrouv<strong>en</strong>t dans une lettre publiée par M. Buchon, t il est<br />

permis <strong>de</strong> croire cep<strong>en</strong>dant que ces détails ne sont pas his-<br />

toriques, puisqu'on ne r<strong>en</strong>contre ni dans les interrogatoires,<br />

ni dans le procès <strong>de</strong> révision, aucune allusion à la joie<br />

subite dont les habitants <strong>de</strong> Donur<strong>en</strong>n' aurai<strong>en</strong>t été saisis lors<br />

<strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> Jeanne; b la course où elle aurait <strong>de</strong>vancé<br />

toutes ses compagnes; à l'ange qui lui serait apparu <strong>en</strong>suite,<br />

Docum<strong>en</strong>ts sur Jeanne d'Arc.


S LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

et 'a'quelques autres faits racontés par le poète itali<strong>en</strong>.<br />

Quant h nous, il nous semble qu'il n'est pas donné h l'ima-<br />

gination humaine d'embellir une vie que Dieu a faite si belle,<br />

si merveilleuse, et nous nOUS étonnons que, dans sa Jehanne<br />

kf pucelle , M. A. Dumas ait préféré les fictions d'Astezan au<br />

naïf récit <strong>de</strong>s chroniqueurs.<br />

De l'itali<strong>en</strong> inconnu nous <strong>de</strong>vons maint<strong>en</strong>ant passer h un<br />

grand dramatiste. Les Anglais avai<strong>en</strong>t livré Jeanne au bû-<br />

cher : cela ne suffisait pas, il fallait ternir sa mémoire.<br />

Shakspeai'e <strong>en</strong>treprit cette tâche iiifAnie, mais moins facile<br />

que ne l'avait été l'oeuvre du bourreau. Ce n'est pas la Pu-<br />

celle que la première partie <strong>de</strong> li<strong>en</strong>ri VI couvre <strong>de</strong> honte.<br />

La tragédie comm<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> Angleterre, au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

funérailles (lu roi H<strong>en</strong>ri V. Trois messagers se succèd<strong>en</strong>t,<br />

apportant <strong>de</strong> Franco <strong>de</strong>s nouvelles fatales pour les Anglais.<br />

Ce début pourrait avoir donné à Schiller l'exposition <strong>de</strong><br />

Son beau drame; exposition dans laquelle, avec plus <strong>de</strong><br />

vérité historique, les nouvelles désastreuses sont non pour<br />

Bedfort, mais pour Charles Vil, auquel les <strong>en</strong>voyés d'Orléans,<br />

puis Lahire, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t faire <strong>de</strong> sinistres récits.<br />

Shakspeare fait paraître Jeanne pour la première fois<br />

<strong>de</strong>vant Orléans; c'est 1h que Dunois appr<strong>en</strong>d à Charles<br />

l'arrivée <strong>de</strong> la m ystérieuse jeune fille Elle possè<strong>de</strong>, dit-il,<br />

l'esprit <strong>de</strong> prophétie bi<strong>en</strong> mieux que les neuf sibylles <strong>de</strong><br />

home; elle peut raconter le passé et l'av<strong>en</strong>ir; dites, la<br />

i ferai-je <strong>en</strong>trer? Charles cons<strong>en</strong>t à voir Jeanne, et<br />

comme dans Schiller, comme dans l'histoire, il cherche h<br />

lui faire croire qu'il n'est pas le roi, qu'<strong>en</strong> s'adressant à lui,<br />

elle s'est trompée. Jeanne ne tar<strong>de</strong> pas à r<strong>en</strong>dre Charles<br />

confiant <strong>en</strong> elle; Orléans est bi<strong>en</strong>tot délivré et r<strong>en</strong>dant<br />

grâces à lhéroine, le roi s'écrie t Ce n'est P u is saint D<strong>en</strong>is


LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 9<br />

que nous invoquerons, .Jeanne la Pucelle sera désormais<br />

la patronne <strong>de</strong> la France<br />

Le rôle <strong>de</strong> Jeanne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t presque nul jusqu'au troisième<br />

acte, où elle s'empare <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> que les Anglais repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>suite. Dans cet acte se trouve un fort beau passage qu'a<br />

imité Schiller: la Pucelle, par son éloqu<strong>en</strong>ce, déci<strong>de</strong> le duc<br />

<strong>de</strong> Bourgogne à se séparer <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis et à se consacrer<br />

tout <strong>en</strong>tier h la France. Il semble que le poète s'est laissé<br />

d'abord toucher par la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> celle qu'il marquait<br />

comme sa victime. Il est v<strong>en</strong>u son <strong>en</strong>nemi, il l'a vue, et il<br />

l'a admirée malgré lui. La poésie l'a récomp<strong>en</strong>sé alors, elle<br />

lui a donné un noble ton; il s'exprime comme voudrait<br />

s'exprimer un poète français. Malheureusem<strong>en</strong>t, le grand<br />

dramaturge va bi<strong>en</strong>tôt expier cette impartialité passagère.<br />

Ce public qui assiste à ses pièces veut que l'<strong>en</strong>nemie <strong>de</strong><br />

l'Angleterre soit sacrifiée, et le poète va jeter à pleines<br />

mains l'odieux sur celle dont il eût pu faire la soeur <strong>de</strong><br />

Juliette ou <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona.<br />

La Pucelle voyant les si<strong>en</strong>s défaits, évoque les démons et<br />

leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une victoire pour la France. Les mauvais<br />

esprits rest<strong>en</strong>t sil<strong>en</strong>cieux, et Jeanne compr<strong>en</strong>d que tout est<br />

perdu. En effet, un combat a bi<strong>en</strong>tôt lieu, et elle tombe au<br />

pouvoir <strong>de</strong>s Anglais qui la condamn<strong>en</strong>t à être brûlée. Son<br />

père vi<strong>en</strong>t implorer sa grâce, mais Jeanne ne veut pas qu'on<br />

la croie la fille d'un berger; elle le méconnait, et le vieillard<br />

s'éloigne <strong>en</strong> la maudissant. Ce n'était pas assez <strong>de</strong> ces<br />

profanations, Sliakspcare va plus loin Jeanne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

un délai, sous le prétexte qu'elle va ètre mère, et elle<br />

indique, comme ayant été ses amants, Charles VII, le duc<br />

d'Al<strong>en</strong>çon et R<strong>en</strong>é d'Anjou.<br />

rÛlà ce que Shakspeare a fait <strong>de</strong> la vierge <strong>de</strong> Domrewy


F<br />

10<br />

LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

dans une pièce, -M. Guizot l'a fort bi<strong>en</strong> dit, -historique,<br />

<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'elle donne l'idée la plus juste du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

avec lequel les chroniqueurs anglais ont écrit l'histoire <strong>de</strong><br />

la Pucelle.<br />

Au XVLW siècle, un autre poète anglais s'occupa aussi<br />

<strong>de</strong> Jeanne d'Arc, mais ce fut pour la célébrer dignem<strong>en</strong>t.<br />

Robert Southey raconta dans dix chants la vie <strong>de</strong> l'héroïne<br />

jusqu'au sacre <strong>de</strong> Rheims. T<strong>en</strong>ant à la vérité historique,<br />

lorsque l'auteur altère ou déplace un événem<strong>en</strong>t, il <strong>en</strong><br />

prévi<strong>en</strong>t scrupuleusem<strong>en</strong>t le lecteur. Son poème manque<br />

cep<strong>en</strong>dant quelquefois <strong>de</strong> vérité; la cause <strong>en</strong> est que Southey,<br />

<strong>en</strong>thousiaste <strong>de</strong> la révolution française, prête ses idées, ses<br />

opinions aux personnages qu'il crée. Nous ne parlerons pas<br />

plus longtemps <strong>de</strong> ce poime, parce qu'on <strong>en</strong> trouve une<br />

analyse détaillée dans la notice que MM. Michaud et<br />

Poujoulat ont publiée sur la Pucelle. Nous allons mainte-<br />

nant rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> France, où, <strong>en</strong> reculant d'un siècle nous<br />

r<strong>en</strong>contrerons Chapelain.


il<br />

hae!ain.<br />

VÂuvEAnGrEs a tracé un caractère qui est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u assez<br />

commun <strong>de</strong> nos jours, c'est celui <strong>de</strong> ce Phocas qui, si vous<br />

lui pailczd'éloqu<strong>en</strong>ce, ne vous nommera point Cicéron, mais<br />

vous fera l'éloge d'Abdalah oud'Abutalès; qui , s'il est ques-<br />

tion <strong>de</strong> guerre, n'admirera ni Tur<strong>en</strong>ne, ni Condé, mais<br />

vous vantera les tal<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> quelques généraux obscurs. Nous<br />

aurions pu, <strong>en</strong> parlant <strong>de</strong> Chapelain, adopter ce système,<br />

essayer <strong>de</strong> réhabiliter le pauvre poète qui jouait le rôle <strong>de</strong><br />

génie méconnu, qui appelait <strong>de</strong> son siècle ii la postérité.<br />

En citant quelques beaux vers, <strong>en</strong> déroulant le plan <strong>de</strong> la<br />

Pucelle qui ne flanque pas d 'intérêt, il eût été possible<br />

<strong>de</strong> montrer Chapelain comme une victime <strong>de</strong> Boileau.


LES POÈTES DE JEANNE D'AÎIC.<br />

Nous aimons mieux dire que Chapelain avait <strong>en</strong>trepris une<br />

oeuvre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses forces, que son style est presque<br />

toujours raboteux, et qu'il fatigue par (le nombreux confetti.<br />

Reconnaissons cep<strong>en</strong>dant que le poéte n'était pas un homme<br />

sans mérite ; il avait, tons son exTirn<strong>en</strong> du Gid , montré un ta-<br />

l<strong>en</strong>t <strong>de</strong> critique dont il donne <strong>de</strong> nouvelles preuves dans sa<br />

préface <strong>de</strong> la Pucelle. Eirfin, le choix qu'il fit <strong>de</strong> Jeanne pour<br />

héroïne, prouve qu'il avait le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la haute poésie.<br />

N'est-il pas singulier que ce soi<strong>en</strong>t les plus mauvais écrivains<br />

du XVII° siècle qui , sous le rapport (le l'inspiration pre-<br />

mière , ai<strong>en</strong>t montré le plus <strong>de</strong> génie ? Corneille, Racine,<br />

n'aperçur<strong>en</strong>t pas dans notre histoire les beautés qu'y <strong>en</strong>-<br />

trevir<strong>en</strong>t Scudéry, Desmarets et le père L<strong>en</strong>ioine. Les uns<br />

consacrèr<strong>en</strong>t leur tal<strong>en</strong>t à célébrer <strong>de</strong>s sujets qui nous étai<strong>en</strong>t<br />

étrangers, les autres traitèr<strong>en</strong>t nos plus beaux épiso<strong>de</strong>s<br />

nationaux ; mais ils ne pûr<strong>en</strong>t le faire avec assez d'éclat,<br />

et tombées sous <strong>de</strong>s plumes inhabiles, les gran<strong>de</strong>s phases <strong>de</strong><br />

notre histoire ne gagnèr<strong>en</strong>t qu'un long discrédit à ce qui<br />

aurait dû <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir leur illustration.<br />

Peut-être dira-t-on que les <strong>de</strong>ux écoles <strong>de</strong> poites eur<strong>en</strong>t<br />

un point <strong>de</strong> ressemblance, c'est-à-dire que tous, soit qu'ils<br />

traitass<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sujets étrangers ou nationaux, se mo<strong>de</strong>lèr<strong>en</strong>t<br />

sui l'antiquité. Cep<strong>en</strong>dant cette opinion ne serait pas <strong>en</strong>tiè-<br />

r<strong>en</strong>)<strong>en</strong>t vraie. Ainsi Chapelain avait compris qu'<strong>en</strong> célé<br />

brant Jeanne d'Arc, il <strong>de</strong>vait perdre jusqu'aux moindres<br />

souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> la mythologie si chère à Boucau. Chapelain<br />

proscrit l'Olympe <strong>de</strong> son poème, et ceci est d'autant plus<br />

remarquable qu'il passait pour imiter le Tasse. C'est au<br />

Christianisme que notre auteur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le merveilleux; la<br />

plupart <strong>de</strong>s passages où il fuit interv<strong>en</strong>ir le ciel, sont réel-<br />

m<strong>en</strong>t remarquables. Probablem<strong>en</strong>t Despréaux n'eût pas


LES POÈTES DE JEANÇE b 'AC. 15<br />

été capable d'<strong>en</strong> écrire <strong>de</strong> pareils. Ne prét<strong>en</strong>dait-il point<br />

que la fable était lii plus belle parure <strong>de</strong> la poésie; ne disait-<br />

il pas dans <strong>de</strong>s vers peu dignes <strong>de</strong> sa réputation<br />

De la fui d'un chréti<strong>en</strong> les mystères terribles<br />

D'ornem<strong>en</strong>ts égayés ne sont point susceptibles.<br />

L'Evangile à l'esprit n'oiFre <strong>de</strong> tous ci',t&e<br />

Que pénit<strong>en</strong>ce à faire et tourm<strong>en</strong>ts mérités.<br />

Et <strong>de</strong> vos fictions le mélange coupable<br />

Même à ses vérités donne l'air <strong>de</strong> la fable;<br />

Et quel objet <strong>en</strong>fin à prés<strong>en</strong>ter aux yeux,<br />

Que le diable toujours hurlant contre les cieux.<br />

Comm<strong>en</strong>t Boucau eût-il parlé (le la Divine Comédie et du<br />

Paradis perdu?<br />

On s'est beaucoup amusé <strong>de</strong> voir Chapelain interpréter<br />

allégoriquem<strong>en</strong>t sa Pucelle. L'idée <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> Charles VII<br />

la volonté; <strong>de</strong>s Anglais et <strong>de</strong>s Bourguignons, les divers trans-<br />

ports <strong>de</strong> l'appétit irascible; d'Amaury et d'Àgnès, les mou-<br />

vem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'appétit concupiscible, etc. Cette idée, v<strong>en</strong>ue<br />

<strong>de</strong> l'Italie avec les comm<strong>en</strong>taires sur Dante, ne semblerait<br />

pas trop bizarre ii quelques-uns <strong>de</strong> nos critiques mo<strong>de</strong>rnes.<br />

N'a-t-on pas voulu expliquer l'inexplicable fin <strong>de</strong> Faust ?<br />

Ne s'est-on pas tout récemm<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>du sur le s<strong>en</strong>s littéral<br />

le s<strong>en</strong>s allégorique et le s<strong>en</strong>s anagogique <strong>de</strong> la Notre-!)ame<br />

<strong>de</strong> Paris <strong>de</strong> V. Ilugo? Les plaisanteries que Ulric <strong>de</strong><br />

Hutt<strong>en</strong> écrivait an XVI' siècle sur la triple interprétation<br />

d'un livre, serai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>de</strong> saison aujourd'hui.<br />

Ce n'est pas sans avoir accumulé les précautions oratoires<br />

que Chapelaiti permet au lecteur d'arriver à son poéme.<br />

Hélas! sa préface, portique élevé si soigneusem<strong>en</strong>t, ne doit


14<br />

LES POÈTES »E JEANNE D'ARC.<br />

pas introduire dans un pays <strong>en</strong>chanté. Chapelain comm<strong>en</strong>ce<br />

son oeuvre par une dédicace au duc <strong>de</strong> Longueville, <strong>de</strong>s-<br />

eciidant <strong>de</strong> Dunois. II dépeint <strong>en</strong>suite, quelquefois avec<br />

assez d'énergie , la triste position <strong>de</strong> la France. Orléans<br />

seul se déf<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core; Dunois, qui est dans cette ville,<br />

n résolu <strong>de</strong> l'inc<strong>en</strong>dier plutôt que <strong>de</strong> la livrer aux <strong>en</strong>nemis.<br />

Charles VII, retiré h Chinon, appr<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong>tôt que la fidèle<br />

cité est sur le point <strong>de</strong> ne pouvoir plus supporter un assaut;<br />

il se r<strong>en</strong>d dans un ermitage, où il invoque l'appui du Sei-<br />

gneur. La prière monte jusqu'à Dieu, vers lequel Chapelain<br />

s'élève d'un élan vraim<strong>en</strong>t poétique<br />

Loin <strong>de</strong>s murs flamboyants qui r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t le immon<strong>de</strong><br />

Dans le c<strong>en</strong>tre caché d'une clarté profon<strong>de</strong>,<br />

Dieu repose <strong>en</strong> lui-même , et vêtu <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur<br />

Sans bornes, est rempli do sa propre gran<strong>de</strong>ur.<br />

Une triple personne <strong>en</strong> une seule ess<strong>en</strong>ce<br />

Le suprême pouvoir, la suprême sci<strong>en</strong>ce<br />

Et le suprême amour unis <strong>en</strong> trinité,<br />

Dans son règne éternel form<strong>en</strong>t la majesté.<br />

Sous son tr'ine étoilé, patriarches , prophètes,<br />

Aptlrce, confesseurs, vierges, anachorètes,<br />

Et ceux qui par leur sang ont cim<strong>en</strong>té la foi<br />

L'ador<strong>en</strong>t à g<strong>en</strong>oux, saint peuple du saint roi.<br />

La NierIge Maeie intercè<strong>de</strong> pour la Franco et Dieu va lui<br />

<strong>en</strong>voyer un sauveur. Ce sauveur, c'est une jeune fille née<br />

sur les confins douteux <strong>de</strong> Franco et <strong>de</strong> Lorraine.<br />

Jeanne était dans uui bois qui s'ét<strong>en</strong>d auprès <strong>de</strong> Dom-<br />

rem, lorsqu'un ange <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dit vers elle et lui dit que Dieu<br />

lavait choisie pour battre les Anglais et pour l'aire sacrer


LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 15<br />

à Reims le roi Charles. Jeanne se s<strong>en</strong>t pleine d'un <strong>en</strong>thou-<br />

siasme guerrier et d'un trouble bi<strong>en</strong> exprimé par ce vers<br />

Elle se cherche <strong>en</strong> elle et ne s'y trouve plus.<br />

Les bois, les fontaines, les troupeaux, le calme (le la<br />

vie champêtre ont cessé <strong>de</strong> la charnier, et, accompagnée<br />

<strong>de</strong> son frère Rodoiphe, elle part pour Chinon.<br />

P<strong>en</strong>dant ce temps, le siége d'Orléans continue; la ville est<br />

dans un état déplorable et le (Inc (le Bourgogne supplie,<br />

mais <strong>en</strong> vain, le duc <strong>de</strong> Bedfort d'avoir pitié <strong>de</strong>s habitants<br />

et <strong>de</strong> leur offrir une capitulation honorab le. La nouvelle<br />

fausse <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Dunois arrive à Chinon ; le roi est<br />

tout à fait abattu lorsque Jeanne paraît; elle reconnaît<br />

Charles confondu avec tous ses courtisans, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />

épée qui doit se trouver dans l'église <strong>de</strong> Fierbois, inspire<br />

une confiance miraculeuse, et détermine Charles à lever une<br />

armée. Go<strong>de</strong>froi arrive d'Orléans, Dunois veut brMer la<br />

ville; le roi montre Jeanne à l'<strong>en</strong>vo yé et lui dit d'espérer.<br />

La Pucelle ne tar<strong>de</strong> pas à remplir ses promesses; elle<br />

accomplit les prodiges que l'histoire nous a racontés,<br />

Orléans est délivré, les <strong>en</strong>nemis sont dans la consterna-<br />

tion.<br />

Parmi ceux qu'émeut le plus vivem<strong>en</strong>t la délivrance<br />

d'Orléans, est Marie, nièce du duc <strong>de</strong> Bourgogne. Agnès<br />

Sorel aurait seule pu lutter <strong>de</strong> beauté avec cette princesse.<br />

Des cheveux châtains flott<strong>en</strong>t sur soit cou; sa phy-<br />

sionomie est grave <strong>en</strong> (louer.<br />

Dans l'ouverte prison <strong>de</strong> ses blanches paupières,<br />

Deux soleils animés r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t leurs lumières.


46<br />

LES POÈTES DE JEÀNE D'ARC.<br />

Avant l'union <strong>de</strong> la Bourgogne et <strong>de</strong> l'Angleterre, les<br />

<strong>de</strong>ux soleils avai<strong>en</strong>t ébloui toute la cour à leur lever.<br />

De leur puissant rayon nul ne se put déf<strong>en</strong>dre,<br />

Et quiconque aperçut un si divin objet,<br />

N'eut le sein que <strong>de</strong> roche ou <strong>de</strong>vint son sujet.<br />

Parmi les jeunes seigneurs qui se pressai<strong>en</strong>t sur ses pas,<br />

Marie distingua Dunois, et tous <strong>de</strong>ux s'aimèr<strong>en</strong>t. La guerre<br />

sépara les amants, et ce fut à Fontainebleau, où, mécont<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s Anglais, s'était retiré le duc <strong>de</strong> Bourgogne, que la<br />

fidèle Yolante viciit appr<strong>en</strong>dre à sa mahrcsse la délivrance<br />

d'Orléans. A la joie qu'éprouve d'abord Marie, succè<strong>de</strong> une<br />

sombre appréh<strong>en</strong>sion: Yolante est triste, que lui cache-telle?<br />

La princesse lui ordonne <strong>de</strong> parler , , et la suivante lui<br />

appr<strong>en</strong>d que Dunois passe pour avoir oublié tous ses ser-<br />

m<strong>en</strong>ts: on prét<strong>en</strong>d qu'il est amoureux <strong>de</strong> Jeanne. Ce bruit<br />

n'est que trop vrai. La douleur <strong>de</strong> Marie éclate <strong>en</strong> quarante<br />

vers, et la pauvre princesse est (tans un tel désespoir,<br />

Que pour vouloir trop dire, elle ne dit plus ri<strong>en</strong>.<br />

S<strong>en</strong>sible aux peines <strong>de</strong> sa maîtresse, Yolante lui offre<br />

d'aller trouver Dunois et d'essayer <strong>de</strong> le rappeler à ses<br />

premiers s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts. Marie y cons<strong>en</strong>t, et la fille part dé-<br />

guisée <strong>en</strong> homme pour Orléans.<br />

La Pucelle avait quitté cette ville pour informer elle-même<br />

le roi du succès <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>treprise; elle se prés<strong>en</strong>te à Chinon<br />

et annonce à Charles qu'il ait à se préparer au sacre. Meung,<br />

Gergeau, Bang<strong>en</strong>cy la réclam<strong>en</strong>t; clic veut s'emparer <strong>de</strong><br />

ces villes et repart accompagnée du (Inc d'Al<strong>en</strong>çon.<br />

Yolaute arrive à Orléans; elle r<strong>en</strong>contre Dunois qui Se


LES POÈTES DE JEANNE D'AtC<br />

promène tristem<strong>en</strong>t sur le rempart. Le guerrier finit par<br />

avouer qu'il aime Jeanne. Il se laisse un instant toucher par<br />

les souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> son anci<strong>en</strong> amour, mais la Pucelle se montre;<br />

le héros court vers elle, et voyant que tout est perdu, la<br />

suivante retourne à Fontainebleau.<br />

Jeanne veut Continuer l'oeuvre qu'elle a Comm<strong>en</strong>cée; elle<br />

marche sur Gergeau qui est vaillamm<strong>en</strong>t attaqué. L'<strong>en</strong>fer<br />

protège les Anglais qui, d'après les conseils <strong>de</strong> Satan,<br />

ébranl<strong>en</strong>t le faîte d'une tour et le font rouler sur Jeanne;<br />

un ange se jette <strong>en</strong>tre elle et les décombres, les débris<br />

n'ébranl<strong>en</strong>t même pas l'héroïne qui pénètre dans la place.<br />

Charles appr<strong>en</strong>d la prise <strong>de</strong> Gergeau; mais près <strong>de</strong> lui<br />

il est un homme qui ne partage pas la joie générale: cet<br />

homme, c'est Amaury, le favori du roi. Chapelain a bi<strong>en</strong><br />

dépeint cet intrigant qui<br />

De fameux exilas a rempli les provinces;<br />

qui, jaloux <strong>de</strong> toute influ<strong>en</strong>ce capable <strong>de</strong> balancer la<br />

si<strong>en</strong>ne, est parv<strong>en</strong>u à faire éloigne" la belle Agnès. La<br />

gloire <strong>de</strong> Jeanne importune Amaury ; que faire pour<br />

perdre l'héroïne? Il consulte son père Gillon qui l'<strong>en</strong>gage<br />

à rappeler Agnès, qui lui dit<br />

Oppose fille 1€ fille <strong>en</strong> cette extrémité,<br />

Et fais <strong>de</strong> la valeur triompher la beauté.<br />

Aniaury approuve fort ce conseil et charge Roger, frère<br />

d'Agnès, d'aller trouver la maîtresse disgraciée et (le la<br />

déterminer à rev<strong>en</strong>ir à Chinon. Roger s'embarque sur la<br />

Loire et arrive au château <strong>de</strong> Cliantonceaux, habité par<br />

sa soeur. Elle se déci<strong>de</strong> sans peine à rev<strong>en</strong>ir vers son amant;<br />

17


18<br />

LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

mais ce n'est pas seulem<strong>en</strong>t Jeanne qu'elle veut perdre, elle<br />

se rappelle les mauvais procédés d'Amaury et espère aussi<br />

lui <strong>en</strong>lever la faveur du roi.<br />

Jeanne poursuit le cours <strong>de</strong> ses triomphes; elle se dirige<br />

sur Beaug<strong>en</strong>cy, et, chemin faisant, elle r<strong>en</strong>contre krtur <strong>de</strong><br />

Riclieinont qui, longtemps mal avec Charles Vil, veut ce-<br />

p<strong>en</strong>dant prêter son appui à la Pucelle. Beaug<strong>en</strong>cy se r<strong>en</strong>d,<br />

et la guerrière défait Talbot. Nous passons rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t sur<br />

tous ces combats; les grands coups d'épée sont aussi <strong>en</strong>nuyeux<br />

dans Chapelain qu'amusants dans l'Àrioste, qu'intéressants<br />

dans le Tasse.<br />

Charles VII qui a tout à fait repris courage, n rassemblé<br />

une armée avec laquelle il marche contre Bedfort. Chapelain<br />

(lui s'inquiète peu d'imiter les g<strong>en</strong>s par les beaux côtés, à<br />

l'exemple <strong>de</strong> tous les poètes épiques, fait I'énuniéi'atiorl <strong>de</strong>s<br />

troupes ; il lui faut pour cela douze mortelles pages infolio.<br />

La revue vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin d'être teriniiiée, lorsque l'on voit une<br />

légère embarcation glisser sur la Loire ; le bateau s'arrête,<br />

et la belle Agnès <strong>en</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d; elle s'approche <strong>de</strong> Charles<br />

et lui, ti<strong>en</strong>t un long discours.<br />

Elle p<strong>en</strong>se que, puisque Jeanne (l'Arc joue un si grand<br />

rôle, elle peut aussi espérer une part dans les événem<strong>en</strong>ts.<br />

Charles va peut-être cé<strong>de</strong>r à sa niattresse, mais la Pucelle<br />

ne lui <strong>en</strong> laisse pas le temps; elle <strong>en</strong>gage Agnès à retourner<br />

à son château et s'écrie avec beaucoup <strong>de</strong> franchise:<br />

Éloigne <strong>de</strong>, ce camp ton agréable peste.<br />

Agnès ne veut pas <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre davantage et se rembarque.<br />

Pour Charles, triste mais sage, il suit l'héroïne (lu i , afin <strong>de</strong><br />

le distraire, le mène voir l'artillerie. Durant cette inspection,


LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC.<br />

la Pucelle parle <strong>de</strong> Richemont au roi et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa<br />

grâce. Charles qui n'a ri<strong>en</strong> à refuser à celle qui lui r<strong>en</strong>d la<br />

couronne, redonne sa confiance à Artur et trouve <strong>en</strong> lui nu<br />

soli<strong>de</strong> appui. 11 ne faut pas permettre aux Anglais <strong>de</strong> re-<br />

pr<strong>en</strong>dre quelque confiance, et Jeanne <strong>en</strong>gage le roi à mar-<br />

cher sur Reims. Bi<strong>en</strong> que, dans une vision, ce hardi conseil<br />

lui eût déjà été donné, Charles hésite: Satan, toujours<br />

contraire 'n la France, a fait naître (les doutes dans l'âme<br />

du prince et <strong>de</strong> ses conseillers; mais Jeanne finit par vaincre<br />

toutes les difficultés.<br />

Agnès, très-irritée <strong>de</strong> la manière dont elle a été reçue, se<br />

déci<strong>de</strong> à réveiller la haine du duc <strong>de</strong> Bourgogne; il vi<strong>en</strong>t<br />

d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> négociation avec Charles, mais satis doute il est<br />

<strong>en</strong>core temps <strong>de</strong> le ram<strong>en</strong>er au parti <strong>de</strong>s Anglais. Nouvelle<br />

Armi<strong>de</strong>, Agnès ne réussit que trop dans ses projets et<br />

Philippe va <strong>de</strong> nouveau s'offrir à Bedfort.<br />

C'est après le sacre , c'est au milieu d'un joyeux festin<br />

que le roi appr<strong>en</strong>d les dispositions <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>nemis. Inquiet<br />

<strong>de</strong> l'av<strong>en</strong>ir, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Jeanne si elle ne pourrait pas lui<br />

faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ses voix. Jeanne y cons<strong>en</strong>t, et accompagnée<br />

<strong>de</strong> Dunois et (le Charles, elle se r<strong>en</strong>d dans la grotte <strong>de</strong><br />

Sain L-Marculplie. —II fallait être Chapelain pour mettre un<br />

tel nom dans un vers. —Dans cette grotte, une vision ap-<br />

pr<strong>en</strong>d à Jeanne qu'elle mourra à Rou<strong>en</strong>; Jeanne bénit la<br />

volonté <strong>de</strong> Dieu, et Charles est tout joyeux <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant les<br />

voix lui prédire les gran<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> Louis XIV. Chapelain<br />

profite (le l'occasion l)0UV adresser divers complim<strong>en</strong>ts à<br />

son Mécène, le duc <strong>de</strong> Longueville.<br />

Les Anglais sont <strong>en</strong>core UHC fois battus; ils s'<strong>en</strong>fui<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

désordre vers Paris, dont la reine Isabeau leur fait ouvrir<br />

les portes. Les Français emport<strong>en</strong>t les faubourgs, qu'ils<br />

1)


20 LES POÈTES DE JEANt4F. 'ARc,<br />

brûl<strong>en</strong>t d'après les conseils d'Amaury; <strong>de</strong> toutes parts on<br />

fihiL <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> valeur, l'attaque <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t désastreuse<br />

pour les assaillants. Dunois est tombé dangereusem<strong>en</strong>t<br />

blessé, peut-être il va expirer; mais la princesse Marie qui<br />

J'a aperçu <strong>de</strong> son palais, sort <strong>en</strong> toute hâte, court à son<br />

perfi<strong>de</strong> et le réclame comme son prisonnier.<br />

Jeanne qui voit ses troupes repoussées s'élance h l'assaut,<br />

atteinte d'une flèche, elle combat 'vaillamm<strong>en</strong>t contre Tal-<br />

hoi qui se r<strong>en</strong>d. —Grâce à la valeur qu'elle montre, Paris<br />

va être pris; tout à coup la retraite sonne, Jeanne ne pou-<br />

vant compr<strong>en</strong>dre que l'on ait pu donner un tel ordre, est<br />

onti'air1te <strong>de</strong> se retirer et arrive auprès du roi. Charles<br />

l'accueille avec <strong>de</strong>s outrages et la bannit <strong>de</strong> sa prés<strong>en</strong>ce.<br />

Qui n pu causer un tel changem<strong>en</strong>t? Le démon, qui n dirigé<br />

un trait sur Amaury, puis qui pr<strong>en</strong>ant la figure d'un guer-<br />

rier, a dénoncé Jeanne comme l'auteur <strong>de</strong> cette mort.<br />

Dieu veut punir l'ingratitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Charles, il s'adresse à<br />

Jeanne et lui ordonne <strong>de</strong> se retirer. La Pucelle intercè,<strong>de</strong>,<br />

mais inutilem<strong>en</strong>t pour son roi; Dieu comman<strong>de</strong> à Jeanne<br />

(le quitter l'armée sur-le-champ.<br />

p.<br />

La nouvelle du départ <strong>de</strong> l'héroïne jette la consternation<br />

dans les troupes; elles ne reconnaiss<strong>en</strong>t plus <strong>de</strong> chefs et<br />

se dispers<strong>en</strong>t dans le plus grand trouble. Pont' Jeanne, elle<br />

s'est réfugiée dans la forêt <strong>de</strong> Compiègne; une grotte lui<br />

a offert un asile, d'où son frère Rodolphe 'vi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt<br />

l'arracher. L'armée du duc <strong>de</strong> Bourgogne est dans les <strong>en</strong>-<br />

virons, et si la Pucelle persistait h rester dans ces lieux,<br />

elle pourrait tomber dans les mains <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis. C'est à<br />

Compiègne que Jeanne CL son fière se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t. Le peuple<br />

accueille l'héroïne pal' <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> joie: cette allégresse est<br />

<strong>de</strong> peu (le durée, Jeanne déclare qu'elle ne doit plus pr<strong>en</strong>dre


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

les armes, que Dieu le lui déf<strong>en</strong>d. Cep<strong>en</strong>dant la ville est<br />

assiégée, on force la Pucelle à combattre; elle s'élance sut<br />

soit et se précipite an milieu (les Bourguignons. Au<br />

retour <strong>de</strong> cette sottie, elle trouve le pont <strong>de</strong> Compiègne<br />

levé; les <strong>en</strong>nemis l'<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t. Prisonnière et blessée elle<br />

est transportée avec son frère dans le camp bourguignon.<br />

Là se trouve cet évéque <strong>de</strong> Beauvais dont le nom cira-<br />

rouché tous les poètes; Pierre Cauchon , zélé et farouche<br />

partisan <strong>de</strong>s Anglais, a <strong>de</strong>puis longtemps conçu pour<br />

l'héroïne une haine implacable; déjà il la voue ait<br />

il soigne la blessure <strong>de</strong> Jeanne qui, guérie, est conduite<br />

à Rou<strong>en</strong>. Dieu pardonne à la Pucelle sa désobéissance,<br />

<strong>de</strong>s esprits bi<strong>en</strong>heureux vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'ai<strong>de</strong>r à supporter ses<br />

maux, et les gar<strong>de</strong>s qui veill<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>tré <strong>de</strong> la prison tes-<br />

t<strong>en</strong>t stupéfaits <strong>en</strong> voyant quelquefois les sombres voùtcs<br />

éblouissantes d'une céleste clarté et <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant résonner<br />

(le divins concerts autour <strong>de</strong> la captive.<br />

C'est ainsi que finit le douzième chant du poème <strong>de</strong> Cha-<br />

pelain; douze aunes chants (lui le termin<strong>en</strong>t sont restés<br />

manuscrits. Agnès <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte l'héroïne <strong>de</strong><br />

cette secon<strong>de</strong> partie, et Jeanne n'y parait guère que pour<br />

monter sur le bûcher, dont l'auteur décrit longuem<strong>en</strong>t les<br />

formes.<br />

Nous avons cité assez <strong>de</strong> mauvais vers <strong>de</strong> la Pucelle pour<br />

que, sans que l'on nous accuse (le partialité à l'égard <strong>de</strong><br />

Chapelain , nous puissions répéter que la première partie<br />

<strong>de</strong> son poème n'est pas mal conduite. Nous dirons même<br />

que cette oeuvre, dans son <strong>en</strong>semble, n'est pas aussi ri-<br />

dicule qu'on le croirait d'après la lecture <strong>de</strong> Boucau.<br />

Chapelain a droit, ce nous semble, à quelque i'eeon-<br />

naissance pour avoir traité oit sujet national, pour avoir


LES POÈTES DE 3EÂNNE D'ARC.<br />

banni la mythologie, pour avoir <strong>en</strong>fin comm<strong>en</strong>cé cette<br />

révolution littéraire qui s 'est accomplie <strong>de</strong> nos jours. Pour-<br />

quoi, <strong>en</strong> ouvrant son oeuvre, ne dirions-nous pas avec<br />

Cal<strong>de</strong>ron.<br />

BaeLa<br />

Ifaherlo int<strong>en</strong>ta(14) que hay<br />

Perdidas con alahanza.'<br />

Il eif1it <strong>de</strong> l'avoir t<strong>en</strong>té, il ',' a <strong>de</strong>s tcliecs qui peuv<strong>en</strong>t mériter<br />

<strong>de</strong>s louanges.


M.<br />

La Pucelle d'Orléans dé, Schiller.<br />

La plus singulière idée qui ait pu passer par la tête <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux faiseurs <strong>de</strong> couplets, a certainem<strong>en</strong>t été celle <strong>de</strong><br />

transporter Jeanne d'Arc sur les planches du théAtre du<br />

vau<strong>de</strong>ville. Ce fut ce que MM. l)eulafoy et Gersin exécu-<br />

tèr<strong>en</strong>t avec succès <strong>en</strong> 181.<br />

P<strong>en</strong>dant qu'<strong>en</strong> France, la Pucelle chantait <strong>de</strong>s concetti<br />

patriotiques sur les airs: T<strong>en</strong>ez, moi je suis un bon homme...<br />

Qu'il est flatteur d'épouser celle, l'Allemagne saluait avec<br />

<strong>en</strong>thousiasme une autre Jeanne d'Arc. Un poète étranger<br />

avait v<strong>en</strong>gé l'héroïne <strong>de</strong> nos injures, <strong>de</strong> notre oubli, <strong>de</strong><br />

notre mauvais goût : Schiller avait écrit sa belle tragédie.


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

C'est cette pièce qui va maint<strong>en</strong>ant nous occuper. Nous<br />

n'abordons qu'avec crainte cette partie <strong>de</strong> notre travail. Le<br />

nom <strong>de</strong> Schiller est si grand, que nous nous épouvantons à<br />

la p<strong>en</strong>sée que nous oserons iie pas toujours admirer l'il<br />

lustre dramatiste. La Jeanne d'Arc <strong>de</strong> Schiller n'est pas celle<br />

que nous montr<strong>en</strong>t nos chroniques. Celle-ci ne <strong>de</strong>vint<br />

sublime que par une inspiration céleste; jusqu'à ce que<br />

Dieu lui eût manifesté ses volontés, ce n'était qu ' une jeune<br />

fille timi<strong>de</strong> dont ri<strong>en</strong> ne pouvait faire présager les hautes<br />

<strong>de</strong>stinées. Ayant <strong>en</strong>tassé <strong>de</strong>rrière elle les prodi ges et les<br />

exploits, l'héroïne n'a point perdu sa simplicité, sa can<strong>de</strong>ur<br />

toute virginale; ses succès ne l'<strong>en</strong>orgueilliss<strong>en</strong>t pas, c'est<br />

à Dieu seul qu'elle rapporte sa gloire Vivant au milieu<br />

d'hommes d'armes, combattant chaque jour, ayant conti-<br />

nuellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lugubres tableaux sous les yeux, la Pucelle<br />

a conservé la douceur, l'horreur du sang, tous les s<strong>en</strong>ti-<br />

m<strong>en</strong>ts, toutes les vertus <strong>de</strong> son sexe. Voilà comme l'histoire<br />

nous u dépeint Jeanne d'Arc, <strong>en</strong> établissant <strong>de</strong>s contrastes<br />

merveilleux et faits, il nous semble, pour charmer le<br />

poite.<br />

Jeanne d'Arc, dans Schiller, n montré, tout <strong>en</strong>fant, un<br />

courage viril. Raymond parle d'un loup auquel, bi<strong>en</strong> jeune<br />

<strong>en</strong>core, elle arracha un agneau.<br />

Cette énergie dont Jeanne n toujours fait preuve, r<strong>en</strong>d<br />

ses désirs belliqueux moins extraordinaires. Schiller, tout<br />

<strong>en</strong> se privant d'un contraste poétique à un haut <strong>de</strong>gré,<br />

r<strong>en</strong>d l'interv<strong>en</strong>tion céleste moins visible. il cache <strong>en</strong>core le<br />

doigt <strong>de</strong> Dieu, <strong>en</strong> provoquant par la vue d'un casque l'<strong>en</strong>-<br />

thousiasme guerrier qui s'empale <strong>de</strong> la Pucelle. Le récit <strong>de</strong>s<br />

nmlheurs <strong>de</strong> la France , les ordres donnés par les saintes<br />

voix, <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t suffire pour le faire n'aître.


LÉS POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

Jeanne est peut-être trop guerrière dans la tragédie<br />

alleman<strong>de</strong>; elle oublie Domremv, les souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> son <strong>en</strong>-<br />

fance, elle s'<strong>en</strong>ivre <strong>de</strong>s grands bruits <strong>de</strong>s combats, elle tue<br />

avec cruauté Montgomery qui lui crie gièce. On croirait<br />

que la Clorin<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Jérusalem a quelquefois posé sous<br />

les yeux <strong>de</strong> Schiller.<br />

Par rapport au plan que s'était proposé le poète, il était<br />

probablem<strong>en</strong>t nécessaire, du reste, <strong>de</strong> tracer ainsi le carac-<br />

tère <strong>de</strong> la Pucelle; pour préparer à l'amour subit que lui<br />

inspire Lionel, il fallait montrer que les passions humaines<br />

avai<strong>en</strong>t prise sur son ème.<br />

Mais cet amour, né d'une manière si invraisemblable,<br />

n'est-il pas une fûcheuse conception? —Aristote tant citéja-<br />

dis, si peu lu aujourd'hui, dit qu'il ne faut pas représ<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s<br />

personnages d'une vertu sans taches, passant du bonheur<br />

au malheur; qu'une telle chose excite non la terreur ou la<br />

pitié, niais l'horreur. Il ajoute que le héros d'une tragédie<br />

doit avoir eu quelques erreurs graves, dont la catastrophe<br />

<strong>de</strong> la pièce soit <strong>en</strong> quelque sorte ht conséqu<strong>en</strong>ce.' Schiller<br />

a-t-il songé à Atistote? cela n'est pas probable; mais <strong>en</strong>fin<br />

il s'est conformé, par suite peut-être <strong>de</strong> ses propres ré-<br />

flexions, aux préceptes <strong>de</strong> la poétique. Nous ne savons pas,<br />

du reste, si la loi inv<strong>en</strong>tée par Aristote est d'une <strong>en</strong>tière<br />

vérité. En lisant le récit <strong>de</strong> l'exécution <strong>de</strong> Marie Stuart,<br />

nous sommes moins touchés qu'<strong>en</strong> lisant les détails du sup-<br />

plice <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, parce que nous nous souv<strong>en</strong>ons <strong>de</strong><br />

Darnley, <strong>de</strong> Bothwell, et que le billot préparé par Elisabeth<br />

nous semble v<strong>en</strong>ger d'autres morts. 11 se peut que l'on<br />

nous dise qu'il ne faut pas faire <strong>de</strong> parallèle <strong>en</strong>tre l'histoire<br />

Poétique, ch. Xlii.<br />

4<br />

t


L__ _____<br />

26 LES FO?TES DE JEANNE D'ARC.<br />

et une oeuvre dramatique; cette objection nous semblerait<br />

manquer <strong>de</strong> justesse.<br />

L'émotion qu'excite tin même événem<strong>en</strong>t, quelle que soit<br />

la forme sous laquelle cet événem<strong>en</strong>t soit rappelé, ne saurait<br />

changer <strong>de</strong> caractère. Qu'un lugubre épiso<strong>de</strong> Soit dialogué<br />

ou simplem<strong>en</strong>t raconté, il ne produira sur nous qu'une s<strong>en</strong>-<br />

sation id<strong>en</strong>tique; cette s<strong>en</strong>sation s'accroiLra suivant le tal<strong>en</strong>t<br />

du pote et <strong>de</strong> l'histori<strong>en</strong>; elle pourra être portée par le<br />

premier 'a un plus haut <strong>de</strong>gré que par le second, mais elle<br />

ne changera pas d'espèce. Nous pourrions, du reste, aua-<br />

quer par <strong>de</strong>s faits le principe <strong>en</strong> question; plusieurs tiagé-<br />

dies ou il se trouve violé ont obt<strong>en</strong>u <strong>de</strong> beaux succès:<br />

ainsi nous sommes vivem<strong>en</strong>t touchés <strong>de</strong> la mort dés Enfants<br />

d'Édouard, et leur innoc<strong>en</strong>ce est complète.<br />

Nadaaie <strong>de</strong> Staël croit que la passion donnée h Jeanne<br />

est une conception habile, parce que, dans une pièce <strong>de</strong><br />

théâtre , une fime tout b fait sainte produirait le même effet<br />

que <strong>de</strong>s êtres allégoriques ou merveilleux dont on prévoit<br />

d'avance toutes les actions, et qui , n'étant point agités par<br />

les passions humaines, ne nous représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t point le combat<br />

ni l'intérêt dramatique. M. Chau<strong>de</strong>s-Aigues p<strong>en</strong>se <strong>de</strong> même<br />

que Jeanne, h cause <strong>de</strong> la perfection <strong>de</strong> sa nature, ne doit pas<br />

être mise <strong>en</strong> scène. N'y a-t-il pas dans ces assertions une<br />

erreur qui provi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce que l'on n'a pas assez étudié le<br />

caractère 41e la Pucelle. Si l'on veut, suivant l'exemple <strong>de</strong><br />

Goerres, <strong>en</strong> faire une sainte, il tic faut pas la choisir pour<br />

l'héroïne d'une tragédie; mais qu'on la pr<strong>en</strong>ne telle que<br />

l'histoire l'a représ<strong>en</strong>tée, et l'on verra diverses passions lutter<br />

<strong>en</strong> elle. Après le sacre <strong>de</strong> Charles VII, Jeanne se jette h<br />

ses g<strong>en</strong>oux <strong>en</strong> le priant <strong>de</strong> la laisser retourner h Domrcmy<br />

le roi l'<strong>en</strong>gage h l'ester avec lui; il s'<strong>en</strong>suit une opposition


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

<strong>en</strong>tre l'amour <strong>de</strong> la patrie et l'amour <strong>de</strong> la famille. Ici<br />

la Jeanne <strong>de</strong> l'histoire remplit même les conditions voulues<br />

par Aristote; elle s<strong>en</strong>t que le ciel l'abandonne, cite veut<br />

continuer sans Dieu iiiie oeuvre COflIIHCHCéC avec Dieu il<br />

y a là une sorte <strong>de</strong> désobéissance dont le liùcher <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le châtim<strong>en</strong>t.<br />

Vers la fin <strong>de</strong> sa vie, Jeanne offre le spcctacle d'autres<br />

combats. L'effroi que lui cause la perspective d'une mort<br />

affreuse, le désir <strong>de</strong> l'ester digne d'elle, la crainte <strong>de</strong> suc-<br />

comber <strong>en</strong> iie se s<strong>en</strong>tant plus Foitifiée par les voix, font naître<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s luttes. Enfin l'exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tière <strong>de</strong>Jeanne prés<strong>en</strong>te<br />

un contraste qui est admirable d'un côté, la faiblesse qui<br />

vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la terre; <strong>de</strong> l'autre, la force qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Dieu.<br />

Plus nous considérons tout ce que la vie <strong>de</strong> Jeanne n <strong>de</strong><br />

dramatique, plus nous nous désolons que Schiller se soit<br />

écarté <strong>de</strong> la vérité; plus nous regrettons <strong>de</strong> lui voir donner<br />

à la Pucelle un amour ins<strong>en</strong>sé, d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre Thibaut d'Arc<br />

dénoncer sa fille comme sorcière; <strong>de</strong> trouver, au lieu du<br />

bûcher <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong>, une tour d'où l'héroïne, prisonnière <strong>de</strong>s<br />

Anglais, s'échappe pour aller une <strong>de</strong>rnière fois assurer le<br />

triomphe <strong>de</strong>s si<strong>en</strong>s. Le dénouem<strong>en</strong>t que Schiller a donné h<br />

sa pièce a été généralem<strong>en</strong>t blâmé. Madame <strong>de</strong> Staël a dit<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> raison : e Le merveilleux d'inv<strong>en</strong>tion, à<br />

côté du merveilleux transmis par l'histoire, ôte h ce sujet<br />

quelque chose <strong>de</strong> sa gravité......Le simple récit <strong>de</strong> la<br />

fin <strong>de</strong> Jeanne d'Arc émeut bi<strong>en</strong> pins que le dénouem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> Schiller. Lorsque la poésie veut ajouter à l'éclat d'un<br />

Personnage historique, il faut (lu moins qu'elle lui con-<br />

serve avec soin la physionomie qui le caractérise, car la<br />

gran<strong>de</strong>ur n'est viaimeiit frappante que quand on sait lui<br />

donner l'air naturel. Or, dans le sujet (le Jeanne d'Arc


28 LES POÈTES ES JEANNE D'ARC.<br />

c'est le fait véritable qui non-seulem<strong>en</strong>t a plus <strong>de</strong> natu-<br />

rel, mais plus <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur que la fiction.<br />

Si le <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Schiller eût été plus<br />

conforme i l'histoire, cette tragédie, cri dépit <strong>de</strong>s défauts<br />

que nous avons cru y remarquer et que nous avons eu la<br />

hardiesse <strong>de</strong> signaler, aurait mérité d'être appelée un chef-<br />

d'oeuvre. Telle qu'elle est, la Pucelle d'Orléans est <strong>en</strong>core<br />

une belle et gran<strong>de</strong> production ; le prologue, le premier<br />

acte, la scène <strong>de</strong> Jeanne et du duc <strong>de</strong> Bourgogne sont d'ad-<br />

mirables morceaux,<br />

Nous n'avons point parlé <strong>de</strong> la charp<strong>en</strong>te complète du<br />

drame <strong>de</strong> Schiller, parce qu'elle n déjà été l'objet d'exam<strong>en</strong>s<br />

nombreux et quelquefois sévères.<br />

Lorsque nous nous occupons d'un auteur étranger, i est<br />

rare que nous sachions placer son oeuvre ir son jour. C'est<br />

avec <strong>de</strong>s idées françaises que nous critiquons les conceptions<br />

<strong>de</strong> l'Espagne, <strong>de</strong> l'Angleterre, <strong>de</strong> l'Italie, <strong>de</strong> l'Allemagne;<br />

nous prononçons hardim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s arrêts qui seront sans va-<br />

leur tant que nous n'aurons pas su <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir les compatriotes<br />

et les contemporains (le l'écrivain que nous prét<strong>en</strong>dons ap-<br />

précier. On o reproché CI Schiller <strong>de</strong>s longueurs, <strong>de</strong>s scènes<br />

incid<strong>en</strong>tes; si l'on avait considéré ces scènes plus att<strong>en</strong>tive-<br />

m<strong>en</strong>t, on aurait vu qu'elles sont souv<strong>en</strong>t utiles pour faire<br />

<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t connaitre un caractère, pour peindre une<br />

époque. On aurait vu que les Allemands, plus pati<strong>en</strong>ts (lue<br />

nous, - qui voulons que ri<strong>en</strong> ne retar<strong>de</strong> la marche <strong>de</strong><br />

'action, —<strong>en</strong> écoutant att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s scènes qui nous<br />

sembl<strong>en</strong>t oiseuses, s'initi<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>t à la connaissance<br />

<strong>de</strong>s personnages. 011 aurait vu <strong>en</strong>fin que, p' suite <strong>de</strong> cCtt<br />

Allemagne, tome 4, pats 44-446.


LES POÈTES DE 3EANE D ' ARC. 29<br />

initiation, le drame a pour eux plus <strong>de</strong> vie, plus <strong>de</strong> vérité<br />

qu'il n'<strong>en</strong> peut avoir pour nous.<br />

Notre caractère léger n'a pas pu supporter dans la tragé-<br />

die <strong>de</strong>s digressions qu'il a tolérées dans la comédie: dans<br />

l'une, elles aurai<strong>en</strong>t eu une gravité qui et effrayé; tandis<br />

i tie dans l'autre, ces scènes accessoires ont pu s'empreindre<br />

d'assez dc gaîté pour se faire pardonner d'avoir <strong>en</strong>travé un<br />

instant la progression <strong>de</strong> l'intrigue. Plusieurs comédies <strong>de</strong><br />

Molière offr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s exeinples<strong>de</strong> scènes incid<strong>en</strong>tes: on pourrait<br />

supprimer beaucoup <strong>de</strong> passages (le Don Juan sans que le<br />

spectateur fût frappé <strong>de</strong> cette mutilation ; ces passages qui<br />

sembl<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants les uns (les antres, sont toutefois unis<br />

par un li<strong>en</strong> puissant (]ans l'imagination du poéte, et con-<br />

coul<strong>en</strong>t tous àl'elfct général <strong>de</strong> ]*oeuvre. Remarquons qu'il est<br />

injuste <strong>de</strong> permettre ii la comédie <strong>de</strong>s développem<strong>en</strong>ts que<br />

l'on refuse à la tragédie; elle <strong>en</strong> a moins besoin que cette<br />

<strong>de</strong>rnière, parce qu'elle retrace <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la vie bout-<br />

geoise, parce que le spectateur y r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong>s caractères,<br />

<strong>de</strong>s passions qu'il peut avoir tous les jours sous les yeux, et<br />

que, pal' conséqu<strong>en</strong>t, il peut compr<strong>en</strong>dre sans préparation.<br />

La tragédie s'inspirant d'événem<strong>en</strong>ts auxquels il n'est pas<br />

donné h tons les hommes <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre part, (le passions plus<br />

ard<strong>en</strong>tes que celles <strong>de</strong> la vie ordinaire, animant <strong>de</strong>s êtres<br />

r<strong>en</strong>dus exceptionnels ou par leurs malheurs ou par leurs<br />

crimes, aurait besoin au contraire <strong>de</strong> tous ces développe-<br />

m<strong>en</strong>ts qu'on lui refuse; ils lui serai<strong>en</strong>t nécessaires pour<br />

familiariser les spectateurs avec <strong>de</strong>s situations auxquelles ils<br />

sont étrangers, avec <strong>de</strong>s caractères dont ils ne sautai<strong>en</strong>t<br />

découvrir aucun type autour d'eux. Ces développem<strong>en</strong>ts ne<br />

<strong>de</strong>vrai<strong>en</strong>t pas sans doute tomber sur <strong>de</strong>s personnages se-<br />

condaires, et pour cette raison on pourrait, dans la Pucelle


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

d'Orléans, Mûmer la création d'Agnès Sorel. Dans un poénie,<br />

dans Lin roman, cette création eût été heureuse, parce que<br />

Fauteur aurait <strong>en</strong> assez d'espace pour opposer Agnès i<br />

Jeanne. Dans un drame, cette opposition peut ii peine être<br />

indiquée; Agnès <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t alors un rôle parasite qui attire<br />

I'atteiition sans produire d'effet. Quant au rôle d'lsabeau <strong>de</strong><br />

Bavière, troisième contraste clierdié par Seliiller, il a été<br />

généralem<strong>en</strong>t regardé comme une fôclieuse conception.<br />

Il y a quelques années, une nouvelle école littéraire pré-<br />

conisait l'imitation constante <strong>de</strong> la nature. Cette nouvelle<br />

école plaçait Schuller au nombre <strong>de</strong> ses cIiel ; Schiller<br />

cep<strong>en</strong>dant nous semble loin d'être toujours vrai dans les<br />

détails. Thibaut, Raymond, Berirand, parl<strong>en</strong>t avec une<br />

poésie trop continue, se serv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> trop d'épithètes, et<br />

leurs discours suppos<strong>en</strong>t une instruction qu'ils n'ont point<br />

reçue. Un drame ne peut exister sans <strong>de</strong> nombreuses iii-<br />

vraisemblances; ces invraisemblances augm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />

(Jans un drame <strong>en</strong> vers, puisque les personnages mis <strong>en</strong> scène<br />

s'exprim<strong>en</strong>t comme jamais aucun peuple ne s'est exprimé,<br />

mais il y a une vérité relative qui doit être respectée.<br />

C'est li la poésie comme 'a la peinture (lue s'adresse le<br />

conseil <strong>de</strong> Raphaël On doit peindre la nature non pas<br />

telle qu'elle est, mais telle qu'elle <strong>de</strong>vrait être. Ceci ne<br />

veut pas dire qu'il faut se créer un mon<strong>de</strong> fantastique, niais<br />

qu'il faut idéaliser cc qui se trouve dans le mon<strong>de</strong> réel.<br />

Lorsque le poète anime <strong>de</strong>s hommes grossiers, il ne doit<br />

pas les peindre dans toute leur rusticité, mais il iie<br />

doit leur prêter que <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, que <strong>de</strong>s discours qu'ils<br />

puiss<strong>en</strong>t avoir. Ces lionunes éprouv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> vives émotions,<br />

conçoiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s p<strong>en</strong>sées qu'ils ne sav<strong>en</strong>t pas r<strong>en</strong>dre.<br />

Si le poéte s'empare <strong>de</strong> ces êtres abrupts, il doit, ce nous


LES POÈTES ]DE. JEANNE D'ARC. 51<br />

semble, leur faire formuler ces idées, ces émotions qui<br />

dans la réalité , manquerai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> eux (le termes Pont , se tra-<br />

duire; mais l'expression dont ils se serviront, quoique noble<br />

ou élégante, restera empreinte (le simplicité. Le poéte, dans<br />

ces circonstances, ne repoussera pas toutes les ligures, car<br />

il <strong>en</strong> est quelques-unes que le peuple emploie souv<strong>en</strong>t avec<br />

une énergie vraim<strong>en</strong>t dantesque; uiiais si le poéte yeti tconserver<br />

du naturel ait il évitera soigneusem<strong>en</strong>t toutes péri-<br />

phrases et toute allusion érudite. Schiller détruit l'illusion<br />

du spectateur <strong>en</strong> faisant dire à Bertrand Telles que <strong>de</strong>s<br />

essaims d'abeilles qui se press<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nuages obscurs autour<br />

<strong>de</strong> leur ruche i°' un jour d'été; telles que ces milliers<br />

(le sauterelles qui, poussées par un v<strong>en</strong>t funeste, four-<br />

mill<strong>en</strong>t sur nos champs et couvr<strong>en</strong>t (les lieues <strong>en</strong>tières à<br />

perte <strong>de</strong> vue; telles se sont, rassemblées vers les campagnes<br />

d'Orléans les aimées (le toutes les nations. ' 13e, trand<br />

parle <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s peuples qui habit<strong>en</strong>t l'heureux Brabant; <strong>de</strong><br />

ceux qui, dans l'opul<strong>en</strong>te cité <strong>de</strong> Gand, s'<strong>en</strong>orgueilliss<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

leurs vétem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> soie, <strong>de</strong> la lointaine Osi-Frise, et méne <strong>de</strong>s<br />

contrées voisines <strong>de</strong>s glaces du pôle.<br />

Il est singulier qu'au temps <strong>de</strong> nos guerres littéraires, on<br />

ait accusé Racine d'avoir prêté à ses héros titi sans<br />

vérité, et que cette raison ait contribué à le faire meure<br />

beaucoup au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Shakspeare, (le Lope <strong>de</strong> Vega<br />

<strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron, <strong>de</strong> Schiller. Nous croyons que Racine ne peut<br />

offrir aucun exemple d'une invraisemblance aussi gran<strong>de</strong> que<br />

celle que nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> citer.<br />

Que Jeanne d'Arc s'exprime souv<strong>en</strong>t avec une haute poésie,<br />

(lue ses discours dénot<strong>en</strong>t même <strong>de</strong>s connaissances dont,<br />

sa position , elle dut être privée, il n 'y ari<strong>en</strong> là qu'à loue,'.<br />

Jeanne est inspirée; cette inspiration agrandit soit et


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

peut lui dévoiler le passé comme l'av<strong>en</strong>ir. L'histoire ne lui<br />

attribue pas ces élans d'une éloqu<strong>en</strong>ce biblique que Schiller<br />

lai u prètés; mais cep<strong>en</strong>dant l'héroïne eut, durant ses in-<br />

terrogatoires, <strong>de</strong>s réponses assez sublimes, mit assez <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> noblesse dans ses phrases, pour que le poète,<br />

prodiguant pour elle toutes les richesses <strong>de</strong> la poésie Iviique,<br />

soit <strong>en</strong>core plus fidèle à la vérité qu'on n'a le droit <strong>de</strong> l'exiger<br />

<strong>de</strong> lui.<br />

Telles sont les différ<strong>en</strong>tes remarques que nous u suggérées<br />

la lecture att<strong>en</strong>tive <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Scijillet'. En les faisant,<br />

nous nous sommes plus d'une fois rappelé ces paysans <strong>de</strong><br />

la Toscane qui, am<strong>en</strong>és à Flor<strong>en</strong>ce par quelques affaires<br />

s'arrêt<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant le Perse tic B<strong>en</strong>v<strong>en</strong>uto Cellini, <strong>de</strong>vant le<br />

David <strong>de</strong> Michel-An ge , et dans leur esprit inculte, a(lflhii'eflt<br />

ou critiqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s oeuvres que l'artiste s'effi'aierait d'avoir à<br />

juger,


Iv.<br />

Voltaire. - D'Arigny. - Soumet. - ancv. - C. 1idaiglle.<br />

Dans cette revue <strong>de</strong>s poètes <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, on n'aura<br />

sans doute pas été surpris <strong>de</strong> notre sil<strong>en</strong>ce h l'égard <strong>de</strong> Vol-<br />

taire. 11 y a quelques années, un exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> son poème<br />

aurait pu être utile; il eut été bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> faire voir quelle<br />

flagornerie il y avait à mettre sur la même ligne la Pucelle<br />

et Roland. Dans la Pucelle, on eût dénoncé un <strong>en</strong>tassem<strong>en</strong>t<br />

d'épiso<strong>de</strong>s sans liaison; on eût montré que dans tous ces vers<br />

souv<strong>en</strong>t si pleins (l'esprit, il n'y e pas une p<strong>en</strong>sée du coeur; on<br />

aurait fait remarquer combi<strong>en</strong> ce parti pris <strong>de</strong> tout dénigrer,<br />

5<br />

s


34 LES POÈTES DE JEANT'IE D'ARC.<br />

cette monotonie <strong>de</strong> scepticisme et d'impiété sont contraires<br />

à la poésie; il eût été facile à la plume la moins exercée <strong>de</strong><br />

noter les nombreux passages où, par la vulgarité <strong>de</strong>s ex-<br />

pressions, par la froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s plaisanteries, Voltaire se<br />

ravale à n'&re que l'imitateur <strong>de</strong> Saint-Amant, <strong>de</strong> Pulci et<br />

<strong>de</strong> Scaron.<br />

Ce vers, à propos d'un homme qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> perdre la main,<br />

est du plus mauvais burlesque.<br />

Poton <strong>de</strong>puis n, sut Jamais écrire,<br />

Et j'ai trahi La Trémouille et l'amour<br />

Pour assister à <strong>de</strong>ux n:essesparjour.<br />

Telle est la pitoyable facétie que débite Dorothée i l'instant ofr<br />

elle craint pour la vie <strong>de</strong> son amant. Ou sont le naturel et la vérité?<br />

Est—ce ainsi que l'Ariostc parle dans le touchant épiso<strong>de</strong><br />

d'isabelle ?<br />

Ces trois vers-<br />

Jeanne, qu'anime une chréti<strong>en</strong>ne rage,<br />

Eu s'éveillant lui ,Iétvlic un soufflet<br />

A point fermé sur son vilain visage,<br />

,appell<strong>en</strong>t tout à fait le style trivial <strong>de</strong> I'ulci disant: quo l'ange <strong>de</strong><br />

Dieu vous ti<strong>en</strong>ne par le toupet,<br />

L'angel di Dio vi t<strong>en</strong>ga pci ciuffetto.<br />

C'est à Pulci à lierni qu'il fallait comparer Voltaire, mais non<br />

L'An osto.


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

Dans !îoland, on eût fait admirer ces vingt intrigues<br />

qui se crois<strong>en</strong>t, s'interromp<strong>en</strong>t, se r<strong>en</strong>ou<strong>en</strong>t, sans que le<br />

lecteur soit fatigué <strong>de</strong> cette multiplicité d'événem<strong>en</strong>ts, sans<br />

qu'il per<strong>de</strong> <strong>de</strong> vue tous ces personnages, tant ils sont<br />

vigoureusem<strong>en</strong>t tracés, tant les physionomies sont diffé-<br />

r<strong>en</strong>tes, tant les caractères sont bi<strong>en</strong> observés; on eût<br />

montré cette inépuisable imagination qui jette ici un<br />

joyeux conte, là un touchant épiso<strong>de</strong>, qui passe avec une<br />

prodigieuse mobilité d'une s<strong>en</strong>sation à l'autre; on eût Iàit<br />

écouter cette douce philosophie qui parle au milieu <strong>de</strong>s plus<br />

extravagantes fantaisies; on eût fait reconnaître, dans tous<br />

ces héros fantastiques, <strong>de</strong>s passions vraies; on eût fait voir<br />

l'homme savamm<strong>en</strong>t étudié sous le magique armet (le<br />

Mambrin, ou sous la peau invulnérable <strong>de</strong> Roland; on eût<br />

ri <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ce sérieux avec lequel l'Arioste s'appuie <strong>de</strong><br />

l'autorité <strong>de</strong> Turpin, <strong>de</strong> ce bon et franc comique qui naît<br />

<strong>de</strong>s situations, qui r<strong>en</strong>d le personnage divertissant à son<br />

insu, comme Alceste disant<br />

1'a1embleu je ne croyais pas être<br />

Si plaisant que je suis.<br />

Ce parallèle eût conduit à p<strong>en</strong>ser que Voltaire n'était<br />

qu'un homme (]'infinim<strong>en</strong>t d'esprit. M. <strong>de</strong> Maistre, parlant<br />

du philosophe <strong>de</strong> Ferney, n dit qu'il rappelle Corneille et<br />

Racine connue les hypocrites rappell<strong>en</strong>t les saints. Cette<br />

p<strong>en</strong>sée nous semble d ' une gran<strong>de</strong> vérité. L'inspiration véri-<br />

table ne se montre pas chez Voltaire, il n'<strong>en</strong> n que le reflet.<br />

Byron. qui tant (le fois lit para<strong>de</strong> <strong>de</strong> scepticisme, re-<br />

connaissait que tout grand poéte est nécessairem<strong>en</strong>t un


36 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

homme religieux , et souv<strong>en</strong>t comme <strong>en</strong> dépit <strong>de</strong> lui-mrnç,<br />

il traduisait les mouvem<strong>en</strong>ts pieux qui s'élevai<strong>en</strong>t dans sou<br />

âme; puis une plaisanterie obscène, un rire d'incrédule le<br />

remettai<strong>en</strong>t dans le triste rôle qu'il s'était assigné.<br />

La Pucelle suffirait à prouver que Voltaire n'était pas<br />

poéte dans la plus belle, la plus complète acception <strong>de</strong> cc<br />

mot; l'homme semblable à Virgile et à Dante n'eût jamais<br />

songé à souiller le nom (le Jeanne d'Arc, à écrire un livre<br />

où tout ce qui <strong>en</strong>noblit notre nature, où tout ce qui s'adresse<br />

avec le plus d'éloqu<strong>en</strong>ce à notre coeur, la religion , le mal-<br />

heur, la gloire <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'objet (le pei'pétuelles dérisions.<br />

Schiller est resté stupéfait <strong>de</strong>vant l'oeuvre dépravée <strong>de</strong><br />

Voltaire, et il u signalé <strong>en</strong> quelque sorte la différ<strong>en</strong>ce qui<br />

existe <strong>en</strong>tre l'esprit et le génie. S'adressant à Jeanne d'Arc,<br />

il u (lit<br />

Pour souiller la plus noble création <strong>de</strong> l'humanité, In<br />

raillerie te jeta dans la poussière. L'esprit est <strong>en</strong> lutte<br />

éternelle avec le beau; il ne croit ni à Dieu, ni aux anges;<br />

il ravit au coeur ses trésors; pour combattre l'erreur, il<br />

ofF<strong>en</strong>se la foi.<br />

Mais la poésie, comme Loi du sexe doux, comme toi<br />

une pieuse bergère, la poésie te prés<strong>en</strong>te sa main divine;<br />

, elle attache l'auréole à ton front, et s'élève avec toi vers<br />

les astres immortels. Le coeur te créa , tu vivras éter-<br />

nellem<strong>en</strong>t.<br />

Le mon<strong>de</strong> aime à ternir l'éclat; il aime à traîner ce<br />

I qui est sublime dans la poussière. Mais ne crains ri<strong>en</strong><br />

i li y u <strong>en</strong>core <strong>de</strong> belles âmes qui brûl<strong>en</strong>t pour le beau<br />

Conversations <strong>de</strong> Lard Byron.


LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 37<br />

Que Momus égaie la foule, un esprit noble n'aimera<br />

jamais que les nobles créations.<br />

Notre siècle u v<strong>en</strong>gé Jeanne d'Arc <strong>de</strong> Voltaire; <strong>en</strong> France,<br />

plusieurs poites ont aussi réhabilité la mémoire <strong>de</strong> la Pucelle.<br />

Le premier <strong>en</strong> date est d'Avrigny. La tragédie <strong>de</strong> cet auteur<br />

obtint du succès, mais cep<strong>en</strong>dant elle donna lieu à <strong>de</strong>s criti-<br />

ques assez vives: selon les uns, 1'liioïne était continuellem<strong>en</strong>t<br />

dans la même situation ; selon les autres, ce n'était qu'une<br />

longue agonie, qu'un procès à la cour d'assises. Ces re-<br />

proches, qui ne Sont pas privés (le toute vérité, Ont €Le<br />

vivem<strong>en</strong>t repoussés par Hoffmann.<br />

Le spirituel critique montre, ii notre s<strong>en</strong>s, beaucoup <strong>de</strong><br />

partialité à l'égard <strong>de</strong> d'Àvrigny. Dans Jeanne d'Arc,<br />

dit-il, les beaux vers se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1ule; ils form<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> longues tira<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s scènes <strong>en</strong>tières; ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

tellem<strong>en</strong>t à l'action, ils dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t l'un <strong>de</strong><br />

i l'autre, ils sont si égaux <strong>en</strong> mérite, qu'ils paraiss<strong>en</strong>t être<br />

sortis <strong>en</strong> masse dit <strong>de</strong> l'auteur, et ne peuv<strong>en</strong>t être<br />

isolés sans perdre <strong>de</strong> leur élégance et <strong>de</strong> leur, éclat. J'ai<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du (lire souv<strong>en</strong>t d'autres tragédies qu'il y avait (le<br />

i beaux vers; on peut (lire <strong>de</strong> celle-ci qu'elle est écrite cri<br />

beaux vers.<br />

Nous ne saurions être <strong>de</strong> l'avis d'Iloffniann: les vers <strong>de</strong><br />

M. d'Avrigny sont <strong>en</strong> général corrects, mais ne sont réell<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t<br />

point beaux; ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t i <strong>l'école</strong> (le Delille; c'est<br />

Aire que le naturel <strong>en</strong> est banni, et que la périphrase y<br />

triomphe. NOUS allons (lu reste mettre le lecteur à même <strong>de</strong><br />

voir si nous nous trompons<br />

Chanis joj lzr'.s <strong>de</strong> l'Allemagne I: Iu,ii,n d, I L AtIiiu. r '2!4


LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

Mon nom vous est connu . Depuis que je suie ndc,<br />

L'hiver n'a pas vingt foie vu s'achever l'année.<br />

Sous un rustique toit Dieu cacha mon berceau<br />

Non loi,, <strong>de</strong> Vaucoulcurs quelques prés, un troupeau,<br />

Des auteurs <strong>de</strong> sues Jours composai<strong>en</strong>t la richesse<br />

Le travail <strong>de</strong> leurs mains nourrissait leur vieillesse.<br />

Docile 'a leurs leçons, heureuse à leur côté,<br />

Mon <strong>en</strong>Fance croissait dans la simplicité.<br />

Un soir (il m'<strong>en</strong> Souvi<strong>en</strong>t) , <strong>de</strong> la cime <strong>de</strong>s monte<br />

L'orage ers s'ét<strong>en</strong>dant m<strong>en</strong>açait nos vallons.,<br />

Tout fuyait.... Près <strong>de</strong> là, l'ombre d'un chènc antique<br />

Protégeait du hameau la chapelle rustique.<br />

J'y cours, et sur la pierre ois j'implorais tes cieux,<br />

Le sommeil malgré moi vint me fermer les veux.<br />

Tout à coup , <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> gloire éclatante<br />

Du céleste ssjour une jeune habitante,<br />

La houlette à la main, se montre <strong>de</strong>vant moi<br />

- Humble fille <strong>de</strong>s uliatIips, (lit-Clic, lève—toi!<br />

1)u souverain <strong>de</strong>s cieux l'ordre vers toi nnn'aminie;<br />

a G<strong>en</strong>eviève est mon non,. Les rives <strong>de</strong> la Seine<br />

Me vir<strong>en</strong>t comme toi conduire <strong>de</strong>s troupeaux.<br />

Quand du fier Attila les funestes drapeaux<br />

Envoyai<strong>en</strong>t la terreur aux <strong>de</strong>ux bouts <strong>de</strong> la France,<br />

» Ma voix, au nom du ciel, promit sa délivrance.><br />

Dans ce passage, nous avons souligné les tournures<br />

<strong>de</strong> phrase (Jiti nous sdnhI)l<strong>en</strong>t donner <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>flure au style<br />

les expressions qui nous paraiss<strong>en</strong>t pouvoir être regardées<br />

comme <strong>de</strong>s chevilles, et <strong>en</strong>fin un pronom sa employé <strong>en</strong><br />

(lépit <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la grammaire. Si Hotfmann avait eu alliiic<br />

ii ce qu'il appelait un roniantique, ci[-il iuiontr l'iriduleiic<br />

Jean,7 ,1 Ire s m it III . ar '


LÉS POÈTES DE JRANNE D'ARC. 39<br />

dont il fait preuve dans les lignes que nous avons citées tout<br />

à l'heure?<br />

Après d'Avrigny est v<strong>en</strong>u M. Soumet dont la réputation<br />

n été si fort augm<strong>en</strong>tée par la publication <strong>de</strong> la Divine Épopée.<br />

Comme sa tragédie est peut-être moins connue que celle <strong>de</strong><br />

d'Avrigny, nous <strong>en</strong> tracerons le plan.<br />

Jeanne, captive à Rou<strong>en</strong>, est consolée dans sa prison<br />

par un pieux solitaire, Adhéniar, qui lutte, niais <strong>en</strong> vain,<br />

contre Hermangart. Ce <strong>de</strong>rnier, remarquons-le <strong>en</strong> passant,<br />

montre à la Pucelle une haine qui n'est pas assez motivée.<br />

On a employé une ruse affreuse pour perdre Jeanne: l'évêque<br />

<strong>de</strong> Beauvais s'est r<strong>en</strong>du à Vau<strong>couleurs</strong>, il y a vu Jacques<br />

d'Arc, cc lui n persuadé <strong>de</strong> dénoncer sa fille comme abusée<br />

par la magie; il lui n prés<strong>en</strong>té cette dénonciation comme<br />

un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> salut. Jeanne appr<strong>en</strong>d que son père est un<br />

<strong>de</strong> ses accusateurs; Adhémar la rassure, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que<br />

Jacques soit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Jacques est arrivé le jour même à<br />

Rou<strong>en</strong>; le solitaire Fa vu, c'est <strong>de</strong> lui qu'il a appris la trame<br />

ourdie par l'évêque <strong>de</strong> Beauvais. On ordonne que Jacques<br />

soit introduit; une partie <strong>de</strong> la vérité se décourc, et lier-<br />

mangari ne compte plus pour perdre Jeanne que sur le<br />

duc <strong>de</strong> Bourgogne.<br />

Celui-ci aune <strong>en</strong>trevue avec la Pucelle, et dans une scène<br />

dérivée <strong>de</strong> Shakspearc, pleine <strong>de</strong> beautés poétiques, mais<br />

manquant peut-être <strong>de</strong> vraisemblance, Jeanne détermine<br />

Philippe à oublier la mort <strong>de</strong> son pèle et h pr<strong>en</strong>dre le parti<br />

<strong>de</strong> la France.<br />

Dans cet instant, on vi<strong>en</strong>t lire à Jeanne l'arrêt qu'Her-<br />

mangart est parv<strong>en</strong>u h faire prononcer contre elle. Philippe,<br />

se faisajit le déf<strong>en</strong>seur <strong>de</strong> la Pucelle, réclame le jugem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> Dieu; il combat Bedfort, il est vaincu, et Jeanne arrachée


40<br />

LES P0ITES DE JEANNE D'ARC.<br />

à son père et à ses soeurs qui ont accompagné le vieillard,<br />

monte sur le bêcher.<br />

La tragédie <strong>de</strong> M. Soumet nous semble, sous le rapport<br />

du style, supérieure à celle <strong>de</strong> (l'Avrigny; on y remarque<br />

quelques vers qui rappell<strong>en</strong>t Corneille: tels sont, <strong>en</strong>tre<br />

autres, les <strong>de</strong>ux suivants;<br />

Tu trahis ton pays et parles <strong>de</strong> serm<strong>en</strong>ts<br />

La révolte touj ours finit par l'esclavage.<br />

On pourrait cep<strong>en</strong>dant reprocher aussi à M. Soumet une<br />

forme <strong>de</strong> vers un peu vieillie, un peu monotone, <strong>de</strong> ces mots<br />

qui arriv<strong>en</strong>t appelés par le seul besoin <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s syllabes,<br />

l'emploi d'épithètes inutiles, d'hémistiches qui se trouv<strong>en</strong>t<br />

partout. t Adhémar <strong>en</strong> nos murs! .......Mais dans cette<br />

prison, pourquoi porter vos pas? s<br />

Quant à la donnée <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> M. Soumet, elle a,<br />

comme celle <strong>de</strong> d'Avrignv, l'inconvéni<strong>en</strong>t d'offrir p<strong>en</strong>dant<br />

cinq actes une même situation, La fin <strong>de</strong> Jeanne d'Arc<br />

est tellem<strong>en</strong>t connue, que la chance <strong>de</strong> salut que vi<strong>en</strong>t<br />

lui offrir le duc <strong>de</strong> Bourgogne n'est peut-être pas une<br />

heureuse inv<strong>en</strong>tion. On n'aime pas à voir ce prince vaincu<br />

par Bedfort. Pour dire notre p<strong>en</strong>sée tout <strong>en</strong>tière, nous<br />

trouvons aussi la Jeanne d'Arc <strong>de</strong> M. Soumet trop lacé-<br />

démoni<strong>en</strong>ne; il flOUS semble qu'<strong>en</strong> elle l'antagonisme <strong>de</strong><br />

la faiblesse <strong>de</strong> la jeune fille et <strong>de</strong> l'inspiration céleste n'est<br />

pas assez vigoureusem<strong>en</strong>t indiqué; <strong>en</strong>fin nous regrettons<br />

Ce défaut est causé par la fameuse règle d'unité <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> lieu<br />

que les <strong>de</strong>ux poetea n'ont pas osé <strong>en</strong>freindre. Manzoni, l'illustre auteur<br />

'les Fiancés, du comte <strong>de</strong> Carmagnola, s combattu cette règle pat<br />

iexcelkntc p raisons.


LES PÙi'TF.S 1)1' jEANNrDARC. 41<br />

que M. Soumet n'ait pas profité <strong>de</strong>s interrogatoires, ils con-<br />

ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s traits vraim<strong>en</strong>t remarquables.<br />

Un autre poète qui, moins heureux que M. Soumet, n'a<br />

pas vu représ<strong>en</strong>ter son oeuvre, M. Nancy, n compris que l'on<br />

pouvait tirer parti <strong>de</strong>s réponses <strong>de</strong> Jeanne<br />

Lorsque <strong>de</strong>s sainte autels bravant la iiiajesté,<br />

Valois osa dans Reims y pr<strong>en</strong>dre la couronne,<br />

Votre él<strong>en</strong>dard <strong>en</strong> main , voue étiez près du trône?<br />

- J'ai mérik l'honneur qu'on m'ose reprocher;<br />

Et qui relèe un trône, a droit d '<strong>en</strong> approcher....<br />

- Par <strong>de</strong>s acc<strong>en</strong>ts magiques,<br />

Vous saviez exalter vos guerriers fanatiques?<br />

- Je leur disais: <strong>en</strong>trez dans les rangs <strong>de</strong>s Anglais,<br />

Et ma bannière <strong>en</strong> main <strong>de</strong>vant eux j'y courais.<br />

On pourrait blâmer M. Nancy <strong>de</strong> n'avoir pas r<strong>en</strong>du assez<br />

simplem<strong>en</strong>t les interrogatoires; il n, comme ses rivaux,<br />

employé l'alexandrin classique, qui , avec ses épithètes,<br />

ses hémistiches réguliers, son affection pour la périphrase,<br />

nous semble fatal à tous les tableaux empruntés au moy<strong>en</strong><br />

âge. La simplicité <strong>de</strong>s chroniqueurs disparaît <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t,<br />

sous un tel système rhythmique. La ' stricte observance <strong>de</strong><br />

la césure, la prohibition <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>jambem<strong>en</strong>t force à délayer<br />

l'idée, et donne quelque vérité à la plaisanterie <strong>de</strong> Voltaire<br />

disant à l'empereur <strong>de</strong> la Chine:<br />

Ton peuple est-il soumis ?s cette loi si dure<br />

Qui veut qu'avec six pieds d'une égale mesure,<br />

De <strong>de</strong>ux alexandrins, cite à côte marchans,<br />

L'un serve pour la rime et l'autre pour te s<strong>en</strong>s?<br />

Si bi<strong>en</strong> que sans ri<strong>en</strong> perdre, <strong>en</strong> bravant cet usage,<br />

On pourrait retrancher la moitié d'un ouvrage.<br />

6


LES I'OITI5 LE JEANNE D'ARC.<br />

Un livre dont la réputation a été bi<strong>en</strong> gran<strong>de</strong>, les Messé -<br />

ni<strong>en</strong>nes, nous offre <strong>de</strong>ux morceaux sur Jeanne d'Arc. L'idée<br />

première <strong>de</strong>s Messéni<strong>en</strong>nes semble avoir été (le populariser<br />

les malheurs et les gloires <strong>de</strong> la patrie; <strong>de</strong> remplir, mais<br />

d'une manière plus relevée , la mission tloiit l'Espagne a<br />

chargé ses Romances historiques. Nous ne savons si ce <strong>de</strong>ssein<br />

n été heureusem<strong>en</strong>t exécuté dans les <strong>de</strong>ux pièces sur la<br />

Pucelle; il nous semble qu'elles sont un peu déclamatoires,<br />

que les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts qu'elles exprim<strong>en</strong>t paraiss<strong>en</strong>t avoir été<br />

quelquefois péniblem<strong>en</strong>t cherchés; nous croyons <strong>en</strong>core<br />

qu'on peut y remarquer <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> style complètem<strong>en</strong>t<br />

eu désaccord avec le g<strong>en</strong>re du sujet.<br />

Tu ne reverras pIUS tes rianIe montagnes<br />

Le temple, le hameau, les champs <strong>de</strong> Vau<strong>couleurs</strong>.<br />

Pourquoi donc ce mot <strong>de</strong> temple, qui, an lieu <strong>de</strong> transporter<br />

l'imagination sous la grossière ogive d'une église <strong>de</strong> village,<br />

l'appelle au milieu <strong>de</strong>s spl<strong>en</strong><strong>de</strong>urs mythologiques <strong>de</strong> Rouie<br />

ou <strong>de</strong> la Crèce? Remarquons, <strong>en</strong> passant, (lue presque tous<br />

les poêles <strong>de</strong> Jeanne d'Arc, à comm<strong>en</strong>cer par Martial <strong>de</strong><br />

Paris, ont célébré Vau<strong>couleurs</strong> au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Domremv,<br />

qui n'amène à sa suite que <strong>de</strong>s rimes <strong>en</strong> petit nombre et<br />

d'un emploi difficile.<br />

V<strong>en</strong>ez, jeunes I autts ; v<strong>en</strong>ez, braves guerriers;<br />

Versez sur s<strong>en</strong> tombeau <strong>de</strong>s lauricis et <strong>de</strong>s roses.<br />

Qu'un jour le voyageur, <strong>en</strong> parcourant ces bois,<br />

Cueille un rameau sacré, l'y dépose et s'écrie<br />

A celle qui sauva le trinc et la patrie,<br />

t Et n'obtint qu'un tombeau pour prix <strong>de</strong> ses exploite. »<br />

Mais ce tombeau, Jeanne d'Arc ne l'a pas même obt<strong>en</strong>u;


LES POÈTES DE JEANNE D ' ARC. 43<br />

et ces vers, outre le tort qu'ils ont d'exprimer une fausseté,<br />

sembl<strong>en</strong>t faits pint& pour Clélie ou pour Lucrèce que pour<br />

Jeanne d'Arc. Ais lieu <strong>de</strong> ce froid appel aux jeunes beautés,<br />

aux braves guerriers, au lieu <strong>de</strong> ces lauriers, <strong>de</strong> ces roses, <strong>de</strong><br />

ce voyageur et <strong>de</strong> son rameau sacré, pourquoi M. Delavigne<br />

n'a-t-il point parlé <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>dres <strong>de</strong> la Pucelle jetées dans la<br />

Seine, <strong>de</strong> son coeur resté intact au milieu <strong>de</strong>s flammes, (le<br />

la blanche colombe qui s'élança du bûcher au ciel, <strong>de</strong> toutes<br />

ces choses t<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> la lég<strong>en</strong><strong>de</strong>, dont un poète bi<strong>en</strong> ignoré<br />

paraît avoir compris la poésie:<br />

Postremo <strong>en</strong>ituit pietas in morte pueiI:<br />

In cinerem cunctos dùm flamma resoîverat anus,<br />

Illϐas cor liabet v<strong>en</strong>as (mirabile dictu) ,<br />

j'ec sinceri anjmi temerant inc<strong>en</strong>dia se<strong>de</strong>m.<br />

Albaque tum visa est orbi prodire columba,<br />

Et petcre athereos multis spectantibus orbes. 2<br />

Les six vers suivants n'exprim<strong>en</strong>t, selon nous, que <strong>de</strong>s<br />

p<strong>en</strong>sées communes, usées, lrniles faites <strong>en</strong>fin<br />

Des armes, voilà sa parure<br />

Et ses plaisirs sont <strong>de</strong>s combats.<br />

Ah ! pleures, fille in['ortun.e,<br />

Ta jeunesse va se flétrir<br />

Dans sa fleur trop tôt moissonnée!<br />

Adieu, beau ciel, il faut mourir!<br />

Valerandus Vatanius De gesis Joannœ s'irgizzis.<br />

2 e Enfin la piété <strong>de</strong> la Pucelle brilla dans la mort: tandis que la<br />

flamme réduisait tous ses membres <strong>en</strong> c<strong>en</strong>dres, son coeur se conserva<br />

intact (chose admirable à dire). Le feu n'osa toucher au siége <strong>de</strong> sort<br />

noble courage, et une colombe blanche , aux yeux <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong><br />

spectateurs, s'éleva du bûcher et gagna les plaines éthérées, »


44 LES POÈTES DE JEANNE D'ARC.<br />

N'y a-t-il pas plus d'<strong>en</strong>flure que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur dans cette<br />

idée? Le poète s'adresse à Dieu:<br />

Gui<strong>de</strong>z au lieu du supplice,<br />

A défaut du tonnerre, un chevalier français?<br />

M. Delavigne a été généralem<strong>en</strong>t loué pour la pureté <strong>de</strong><br />

son style; nous doutons pourtant que le mot pieux puisse<br />

être pris <strong>en</strong> mauvaise part, s'appliquer aux juges <strong>de</strong> Jeanne<br />

d'Arc:<br />

lis seront rejetés ces pieux imposteurs!<br />

On pourrait désigner ainsi non Pierre Cauchon et ses<br />

complices, mais <strong>de</strong>s hommes qui, pour faire le bi<strong>en</strong>, userai<strong>en</strong>t<br />

d'une frau<strong>de</strong> innoc<strong>en</strong>te.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux Messéni<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> question, M. C. Delavigne<br />

n'a pas, nous le croyons, r<strong>en</strong>contré cet élan, cet <strong>en</strong>thou-<br />

siasme qui anime quelques-uns <strong>de</strong> ses chants, Parthénopc<br />

et l'Étrangère, par exemple.<br />

Pour r<strong>en</strong>dre plus complète cette revue <strong>de</strong>s poétes <strong>de</strong><br />

Jeanne d'Arc, nous rappellerons que, dans la Chevalerie<br />

française, notre spirituelle compatriote M Tastu n écrit<br />

quelques stances sur la Pucelle; que les Annales romantiques<br />

ont jadis publié divers fragm<strong>en</strong>ts d'un poi'rne <strong>de</strong> M. Sou--<br />

met et un morceau <strong>de</strong> M. Bignon sur notre héroine; que<br />

tout récemm<strong>en</strong>t M. A. Barbier lui n consacré un sonnet.<br />

Les poètes n'ont pas été seuls à s'émouvoir au souv<strong>en</strong>ir<br />

<strong>de</strong> la Pucelle; la femme distinguée qui se cache sous le<br />

pseudonyme d'Anna Marie, et plus nouvellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,<br />

M. Alexandre Dumas, ont écrit chacun un ouvrage<br />

seini- romanesque sur Jeatiit d.i. Iltv t <strong>de</strong>attt


LES POÈTES DE JEANNE D ' AlU;. 4i<br />

plusieurs peintres. Enfin la princesse Matie d'Orléans a Èiit<br />

une statue <strong>de</strong> la Pucelle que l'on peut admirer sans être<br />

courtisan.<br />

Mais Jeanne d'Arc n'est pas à sa place; c'est à l'épopée<br />

bi<strong>en</strong> plus <strong>en</strong>core qu'à la tragédie, qu'à l'o<strong>de</strong>, qu'à la<br />

statue, qu'au tableau, à s'inspirer <strong>de</strong> sa vie, épopée toute faite<br />

et faite <strong>de</strong> Dieu. Il n' y :t plus qu'à confier aux vers le soin<br />

<strong>de</strong> traduire l'histoire; niais où est le sublime traducteur qui<br />

<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dra cet ouvrage? Quand paraitra-t-il? paraîtra-t-il<br />

jamais.' Verra-t-on rassemblées dans un nième esprit les<br />

vertus poétiques <strong>de</strong> Corneille, <strong>de</strong> Racine, (le Laniartine et<br />

<strong>de</strong> V. Hugo? Et c'est cet inespéralile faisceau <strong>de</strong> génies qu'il<br />

faudrait à celui qui voudrait être l'llomère <strong>de</strong> la Pucelle.<br />

Peut-être ec que nous aurons toujours <strong>de</strong> plus admirable<br />

sur Jeanne d'Arc, est-il tout simplem<strong>en</strong>t la chronique naïve<br />

qui raconte ses exploits.


JEANNE DARC.<br />

CHARLES VII.<br />

DUNOLS.<br />

TANNEGUY DU CUASTIL.<br />

LAHIRE.<br />

POTON DE SAINTRAILLES.<br />

PERSONNAGES.<br />

Louis DE CULANT, amiral <strong>de</strong> France.<br />

GEORGES DE LA TRÉMOIIILLE.<br />

TILI.OYE<br />

r <strong>en</strong>voyés d'Orléans.<br />

1LLARS,<br />

LE DUC D'ALENÇON.<br />

JACQUES »'Anc.<br />

RAYMOND.<br />

JEAN F0NTAN,<br />

GUILIIERT DE LA HAYE,<br />

MI(.ILEL NORVIL,<br />

GUILLAUME BERLIER,<br />

GAZZOT DE IJAUTEVILLE,<br />

ROBERT JAY,<br />

LN ÉCUYER.<br />

UN PAGE.<br />

PIERRE,<br />

JACQUEMIN, frères <strong>de</strong> Jean-ne.<br />

JEAN,<br />

MARGUERITE, sur <strong>de</strong> Jeanne.<br />

hommes d'armes.<br />

I<br />

4


PIERRE CArCR0N, évêque <strong>de</strong> Battrais.<br />

LE COMTE DE VÂRW1CK.<br />

LE DUC DE LUÏEM BOURG .<br />

FRÈRE MARTIN LADVENU.<br />

NICOLLE LOYSLLEUR.<br />

JEAN DESTIVLT. -<br />

LN HÉRAUT ANGLAIS.<br />

UN APPARITEUR OU HUISSIER.<br />

UN CHEVALIER ANGLAIS.<br />

L'archevêque <strong>de</strong> h11ei111s<br />

L'abbé <strong>de</strong> Saint-R<strong>en</strong>i.<br />

L'évêque <strong>de</strong> S<strong>en</strong>s.<br />

L'iqne <strong>de</strong> CIiûlons.<br />

Le sire <strong>de</strong> Boussac.<br />

Le sire <strong>de</strong> GraviLle.<br />

Le baron <strong>de</strong> Raiz.<br />

Le sire <strong>de</strong> Mailly.<br />

Le sire <strong>de</strong> Clermont.<br />

Le sire <strong>de</strong> J3eaurnanoir.<br />

PERSONXI GIS flh1JE7.<br />

Jean Daulon, écuyer <strong>de</strong> Jeanne.<br />

Raymond <strong>de</strong> Contes, pages <strong>de</strong> JC(LI11U.<br />

Louis <strong>de</strong> Contes,<br />

A rnblev il] e<br />

Guy<strong>en</strong>ne,<br />

Quinze assesseurs.<br />

hérauts <strong>de</strong>Jeanne.<br />

Trois notaires apostoliques.


A<br />

Un bourreau.<br />

L'ai<strong>de</strong> du bourreau.<br />

Un chirurgi<strong>en</strong>.<br />

Trois femmes.<br />

Un hôtelier.<br />

Deux hommes d'armes.<br />

Prélats, Prêtres, Chevaliers, Magistrats tic Rheims. -<br />

Itoinmcs d'armes, Peuple, Enfants, Timbaliers, '1't'o,.<br />

peLtes etc., etc.<br />

Le prologue à Doinrcmy. —Le premier acte et le <strong>de</strong>uxième<br />

acte à Chinon, - Le troisième à Rheims. - Le quatriènie<br />

et le Cinquième à Rou<strong>en</strong>.<br />

'1L29. -. 1 i5•1.


JEANE D ARC.<br />

COSTUMES.<br />

JJN,E D',RC. Durant le prologue et le <strong>de</strong>uxième acte, elle<br />

est vèttie d'une robe <strong>de</strong> laine d'un rouge bruit-' Au troisième<br />

acte, elle est couerte d'une armure blanche, non <strong>en</strong> mailles<br />

mais <strong>en</strong> fer plein; cite porte une cotte d'armes <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant<br />

moins bas que le g<strong>en</strong>ou, f<strong>en</strong>due par les côtés , serrée par un<br />

ceinturon auquel est susp<strong>en</strong>due l'épée <strong>de</strong> Fierbois. D'une époque<br />

cette arme diffère <strong>de</strong>s épées <strong>en</strong><br />

bi<strong>en</strong> anLrieure au xve siècle,<br />

usage alois ; elle est <strong>de</strong> la longueur dti lnas, large do trois<br />

doigts à la gar<strong>de</strong> et. <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux à la pointe. 2 La poignée est <strong>en</strong><br />

croix. La cotte d'armes est <strong>de</strong> lin pourpre, brodée d'or et<br />

d'arg<strong>en</strong>t: cest ainsi qu'était celle que Jeanne portait lorsqu'elle<br />

fut prise. a Signo militari ce reste quam supra arma rerebat wjnila<br />

(crut au 1cm ca pur purca byssia auro argcntuque intexlcrto fiarcc<strong>en</strong>s)<br />

d robuslo equite qui restem appreh<strong>en</strong>dcrat equo <strong>de</strong>trahitur.<br />

» ( Lib. 1V Iter. Burg.)<br />

J'ai cherché, mais <strong>en</strong> vain, à découvrir d'où u pu v<strong>en</strong>ir<br />

l'usage <strong>de</strong> coiffer Jeanne d'Arc d'une espèce <strong>de</strong> loque garnie<br />

<strong>de</strong> plumes. Une statue placée à Domrcxuy sous le règne <strong>de</strong><br />

Louis Xi représ<strong>en</strong>te l'héroïne ayant un casque à côté d'elle.<br />

lans l'ouvrage <strong>de</strong> hlordal (heronce nobilissimœ Joannœ 1)arc<br />

historia), on voit la représ<strong>en</strong>tation d'une sculpture qui ortiait<br />

le pont d'Orléans, et qui montre Jeanne ayant aussi un<br />

casque à ses pieds.<br />

Au quatrième et an cinquième acte, Jeanne est <strong>en</strong> habits<br />

d'homme, chaperon <strong>de</strong> laine, biake, pourpoint <strong>de</strong> drap som-<br />

bre. 3 Elle ne porte les cheveux rumme une femme que p<strong>en</strong>dant<br />

le prologue et le <strong>de</strong>uxième acte.<br />

Nonce <strong>de</strong> M. Mettaul.<br />

.t'at/iauz Le.-rand d'Aussv, t. I, p. 2O.<br />

3 J)oc'um<strong>en</strong>:s sur 11 Pucelle.<br />

s


JEÀtE i)%L(.<br />

Le gonfanon <strong>de</strong> Jeanne est <strong>de</strong> satin blanc parsemé <strong>de</strong> fleurs<br />

<strong>de</strong> lis d'or; au milieu est Dieu assis sur <strong>de</strong>s nuées et t<strong>en</strong>ant<br />

un globe dans ses mains. Au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>ux anges sont <strong>en</strong><br />

adoration; dans la main <strong>de</strong> l'un d'eux est un lis sur lequel Dieu<br />

semble répandre ses bénédictions. Les noms Jltesus. Marie,<br />

brill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lettres d'or sur ce gonfaaon. 1 Je n'ai pu découvrir si<br />

cet ét<strong>en</strong>dard était attaché comme nos drapeaux mo<strong>de</strong>rnes ou<br />

comme les bannières <strong>de</strong> nos églises.<br />

Cn&nrEs \11. Au premier et au <strong>de</strong>uxième acte, il porte un<br />

pourpoint, espèce <strong>de</strong> camisole fort serrée, attachée par <strong>de</strong>s<br />

aiguillettes à <strong>de</strong>s hauts-<strong>de</strong>-chausses collant à la jambe, et <strong>de</strong><br />

tissu blanc. Des épaules, que l'on élargissait avec cc que Ion<br />

appelait <strong>de</strong>s ina/wiircs, part<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s manches qui vont jusqu'au<br />

cou<strong>de</strong>, d'où elles <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t amples et tailladées. Le chapeau<br />

est pointu, et le bord, qui <strong>en</strong> est assez large, se relève par <strong>de</strong>rrière<br />

<strong>de</strong> manière à former sur le front une sorte <strong>de</strong> gouttière.<br />

Les cheveux <strong>de</strong> Charles tomb<strong>en</strong>t jusqu'au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ses oreilles,<br />

il n'a ni barbe ni moustaches. Son pourpoint est bleu, parsemé<br />

<strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis d'or. A sou cou est l'ordre <strong>de</strong> l'Étoile. Il porte<br />

ers baudrier une écharpe blanche.' Au troisième acte, Charles<br />

est couvert d'un pourpoint <strong>de</strong> damas violet, d'une robe <strong>de</strong> velours<br />

bleu semée <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis, d'un manteau royal <strong>de</strong> la<br />

même couleur aussi semé <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis et garni d'hermine.<br />

La couronne, posée sur une calotte, est rehaussée <strong>de</strong> huit fleurs<br />

<strong>de</strong> lis d'or, épée et sceptu'e.<br />

LEs CUEVALIERS DF CHARLES VII. Au premier et ait<br />

à peu près comme le roi, saut la couleur <strong>de</strong><br />

acte, ils sont mis<br />

l<strong>en</strong>ts vctem<strong>en</strong>ts (lui 'varie. Beaucoup <strong>de</strong> pourpoints sont écarlate,<br />

couleur qui n'était guère portée que par <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

In trroga o ires, llïographe un werselle.<br />

Mémorial <strong>de</strong> l'Hist oire <strong>de</strong> Fiance, par L<strong>en</strong>oir.<br />

Mai1iiiu <strong>de</strong> Cousv. - Coutumes et Cérémonies reliqiemes <strong>de</strong> tous<br />

les peuples, tome VII.<br />

51


5 12<br />

JEANNE D'ARC.<br />

haute qualité.' Les g<strong>en</strong>tilshommes employai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant aussi<br />

d'autres <strong>couleurs</strong>: Mathieu <strong>de</strong> Couss!' parle <strong>de</strong> chevaliers vètus<br />

<strong>de</strong> velours noir doublé d'hermine; cheveux comme le roi, point<br />

<strong>de</strong> barbe. Épées , la gar<strong>de</strong> <strong>en</strong> croix, longues <strong>de</strong> trois pieds,<br />

effilées à la pointe.<br />

Au troisième acte, les chevaliers sont couverts <strong>de</strong> leurs armures<br />

et <strong>de</strong> cottes d'armes armoriées. Dunois porte d'azur à<br />

trois fleurs <strong>de</strong> lis d'or, chargé d'un lambeau d'arg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chef<br />

et d'une brisure <strong>de</strong> méme; Culant, d'azur semé d'étoiles d'or,<br />

au lion <strong>de</strong> même sur le tout; Saintrailles, d'arg<strong>en</strong>t à la croix<br />

alaisée <strong>de</strong> gueules; le duc d'Al<strong>en</strong>çon, d'azur à trois fleurs <strong>de</strong> lis<br />

d'or, brisé d'une bordure (le gueules, chargée et sous-brisé (' <strong>de</strong><br />

huit besans d'arg<strong>en</strong>t; Lahire, d'azur au paon rouant d'or, ete.2<br />

Le duc d'Al<strong>en</strong>çon, les seigneurs <strong>de</strong> Mailly, <strong>de</strong> Clermont, <strong>de</strong><br />

Beaumanoir, <strong>de</strong> La Trémouille, port<strong>en</strong>t sur leurs armes <strong>de</strong>s<br />

manteaux <strong>de</strong> pair. 3 Les chevaux sont richem<strong>en</strong>t harnachés, les<br />

mors sont dorés.4 L'a rchevêque <strong>de</strong> Reims et les autres évêques<br />

sont <strong>en</strong> grand costume. Les armes <strong>de</strong> l'église <strong>de</strong>Rheims sont<br />

d'azur semé <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> lis d'or, à la croix <strong>de</strong> gueules.<br />

LES ENVOYÉS D'ORLÉ25. Robes noires.<br />

JACQUES, RAYMOND, AIWItÉ , LES FRÈRES DE JEAN.-JE. Pourpoint,<br />

hauts-<strong>de</strong>-chausses <strong>de</strong> couleur grise; ceintures et escarcelles <strong>de</strong><br />

peau <strong>de</strong> chèvre, le poil <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors; houseaux montant à peine<br />

aux mollets; chapeaux clabauds, garnis <strong>de</strong> médailles <strong>de</strong> la Vierge<br />

<strong>en</strong> plomb. A Arnicas, dans la chapelle <strong>de</strong>s Machabées, on voyait<br />

une danse macabre du XVe siècle, où un labour<strong>en</strong>t' était représ<strong>en</strong>té<br />

<strong>en</strong> espèce <strong>de</strong> blouse, coiffé d'un bonnet ayant la forme<br />

d'un bonnet <strong>de</strong> coton, portant <strong>de</strong> gros souliers, <strong>de</strong>s culottes.<br />

Laeurne <strong>de</strong> Sainte-Palaye. - Legrand d'Auisy.<br />

L'art hérozque, par La Colombiee.<br />

MonireI.<br />

Monteil, histoire <strong>de</strong>s .Prançai.g <strong>de</strong> di'ers etats. klui.


JEANNE D'ARC.<br />

)t.nGcE1uTE. Mise comme Jeanne.<br />

LES HOMMES D'ARMES. Bottes , éperons , pourpoints <strong>de</strong> c-<br />

lours brodés d'or et mi-partie, chapeaux ornés <strong>de</strong> plumes,<br />

épées.l<br />

L'IHTELIER. Hauts-<strong>de</strong>-chausses, bonnet et pourpoint blancs;<br />

au côté, un couteau à manche <strong>de</strong> cuivre.2<br />

LES CouItTlsNEs. Hcnins. coiffure dans le g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> celles<br />

<strong>de</strong>s Cauchoises, cheveux tressés, robes collantes <strong>de</strong> la taille<br />

et <strong>de</strong>s manches, ceintures dorées, oripeaux.<br />

WAnwIex, LEXEMBOURG, etc. Costume du mémo g<strong>en</strong>re que<br />

celui <strong>de</strong> Charles VII.<br />

PIERRE CÂUCII0N. Soutane violette; sur la tête, un chaperon<br />

couvrant les oreilles.4<br />

LE IIOUIHIRAII. Pourpoint, hauts-<strong>de</strong>-chausses rouges, 5 l'épée à<br />

droite.<br />

LE CHIRURGIEN. Robe grise, ceinture noire, toque et collet<br />

rouges.6<br />

LES ASSESSEURS. Frocs <strong>de</strong> diverses <strong>couleurs</strong>, robes noires et<br />

grises.<br />

LADVENU. Froc brun.<br />

LOYSELEUR. Robe noire f<strong>en</strong>due par <strong>de</strong>vant, ceinture <strong>de</strong> cuir<br />

noir.7<br />

LE IIÉRAIT ANGLAIS. 'ionique <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant au g<strong>en</strong>ou, ample<br />

et flottante, manches larges et tailladées , les trois léopards<br />

brodés sur la poitrine.5<br />

Monteil, Histofre <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> divers états. l<strong>de</strong>uj.<br />

Miniatures <strong>de</strong> Manuscrits du IF siècle.<br />

' C'est ainsi que l'a représ<strong>en</strong>té M. P. Delaroche.<br />

'-Miniatures.<br />

Nonteil , Jfistore <strong>de</strong>i Français <strong>de</strong> dù'ers étais. I<strong>de</strong>m.<br />

Livre d'heures.


PROLOGUE. 1<br />

A pauche, la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc: elle se compose d'un rez-<strong>de</strong>—<br />

chaussée et d'un gr<strong>en</strong>ier; 'a <strong>en</strong>té <strong>de</strong> la porte, terminée par une<br />

grossière ogive, s'ouvre une feri&trc aux vitraux <strong>en</strong>cadrés dans <strong>de</strong><br />

filets <strong>de</strong> plomb; un jardin touche à la cabane, une haie le ferme et<br />

aboutit au jour du cimetière qui occupe te fond. Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce<br />

mur, s'élèv<strong>en</strong>t une croix , <strong>de</strong>s tombes et l'église; <strong>de</strong> l'autre côté du<br />

cimetière , on aperçoit <strong>de</strong>s arbres et quelques maisons <strong>de</strong> J)oinremy.<br />

A droite, un ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> pcupliers.<br />

SCÈNE I.<br />

JEANNE, JACQUES.<br />

JACQUES.<br />

'fil sais l'affection (lue flOUS avons pour loi;<br />

Quels que soi<strong>en</strong>t tes chagrins, ô Jeanne, dis-les moi,<br />

Et tu me trouveras tout prêt, comme ta mère,<br />

A te plaindre, à chercher cc que je pourrais faire<br />

Pour te r<strong>en</strong>dre le calme et la sérénité.<br />

Je m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>s : <strong>en</strong>fant, tu grandis sans gaîté,


56 PROLOGUE.<br />

Je ne te vis jamais folàtre ni rieuse<br />

Tu te montras toujours posée et sérieuse;<br />

Mais Ion front révélait le calme intérieur<br />

li n'<strong>en</strong> est plus ainsi, <strong>de</strong> là vi<strong>en</strong>t ma frayeur......<br />

Moi qui complais te voir, avant peu, mariée<br />

A Rayinond., et heureuse! En vain je t'ai priée<br />

D'accomplir mes souhaits. Dans ces terribles jours,<br />

Une femme n besoin (le trouver du secours,<br />

Cep<strong>en</strong>dant. Aujourd]iui, nous sommes <strong>en</strong>cor maîtres<br />

Des champs qu'ont autrefois cultivés nos ancêtres,<br />

Nous sommes maint<strong>en</strong>ant Francais; mais, dès <strong>de</strong>main,<br />

Sur nos bi<strong>en</strong>s l'<strong>en</strong>nemi pourra mettre la maul.....<br />

JEANNE.<br />

Que je désirerais vous obéir, mon père<br />

JÂCQIJES.<br />

Qui donc à mon vouloir peut te r<strong>en</strong>dre contraire ?<br />

Est-ce qu'un autre amour (hIC tu ti<strong>en</strong>drais secret<br />

De t'unir à Raymoiid , Jeanne, t'empècherait.?<br />

Ah ! ne le croyez pas<br />

JEANNE.<br />

JACQUES.<br />

Pourquoi ces regards tristes<br />

Cet air préoccupé, ue trouble . .... Tu persistes


JEANE D'ARC.<br />

A te taire et pourtant ma douleur, tu la voi<br />

Mes ordres , mes désirs ne peuv<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> sur toi<br />

.lcannc , icanite , qu'as-lu? Parle, je t'<strong>en</strong> supplie,<br />

Je le veux; d'où Le vi<strong>en</strong>t, celte mélancolie<br />

De gràcc, appr<strong>en</strong>ds-le moi.<br />

JEANNE.<br />

Va se manifester la volonté <strong>de</strong> Dieu.<br />

JACQUES.<br />

Peut-étre qu'avant iui<br />

Jeanne, quand un <strong>en</strong>fant fuit les yeux <strong>de</strong> son père,<br />

Cet <strong>en</strong>fant est coupable 5 et c'est 1.01 (lui doit faire<br />

La honte et le malheur <strong>de</strong> mes jouis <strong>de</strong> vieillard<br />

JEANNE 'IoignanI.<br />

Mon père, vous serez moins sévère plus tard.<br />

8


PROLOGUE.<br />

SCÈNE H.<br />

JACQUES, RAYMOND,<br />

JACQUES.<br />

C'est toi, Raymond. Hélas! c'était un nom plus t<strong>en</strong>dre,<br />

C'était le nom <strong>de</strong> fils que tu <strong>de</strong>vais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />

Mais Jeanne ne veut pas me donner ce bonheur.<br />

Employer la m<strong>en</strong>ace, employer la douceur,<br />

Tout est vain; c'est toujours ce même caractère,<br />

Opposant le respect, le calme à la colère,<br />

Cet esprit qui parait plein <strong>de</strong> timidité,<br />

Qui semble se soumettre et se lève indompté..<br />

RAYMOND.<br />

Votre tille n'est pas une femme vulgaire,<br />

Peut-être il lui faut plus qu'une vie ordinaire.<br />

Son regard est profond; souv<strong>en</strong>t à son aspect,<br />

En moi je s<strong>en</strong>s l'amour se changer <strong>en</strong> respect.<br />

Un jour, l'air s'embaumait d'odorantes bouffées,<br />

Je l'aperçus <strong>de</strong> loin sous le hêtre <strong>de</strong>s Fées;


JEANNE 1)'AI(t. 59<br />

La source qui, dit-on, soulage tant <strong>de</strong> maux,<br />

S'écoulait à ses pieds chantant dans les roseaux.<br />

Jeanne était à g<strong>en</strong>oux et priait.; <strong>de</strong>rrière elle,<br />

Des brises murmurai<strong>en</strong>t dans la moisson nouvelle;<br />

Au bas <strong>de</strong> la colline, on voyait dans les prés<br />

Se grouper un troupeau dont s'étai<strong>en</strong>t séparés<br />

Des moutons qui, bêlant, s'égarai<strong>en</strong>t vers la Meiise<br />

Et cherchai<strong>en</strong>t la fraîcheur sous l'ombrage d'une yeuse,<br />

Enveloppé dc lierre et gazouillant d'oiseaux<br />

Le vieux hêtre, sur Jeanne, ét<strong>en</strong>dait ses rameaux<br />

Elle, joignant les mains, et la (aille inclinée<br />

Relevait par mom<strong>en</strong>ts sa tête illuminée<br />

Et tournait vers le ciel un spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> regard.<br />

Je n'osai lui parler, je inc titis à l'écart.<br />

Elle était telle ainsi que je crus faire un rêve.<br />

Je p<strong>en</strong>sai <strong>de</strong>vant moi voir sainte G<strong>en</strong>eviève.<br />

JACQUES.<br />

Tout doit être, à seize ans, et parfum et saveur<br />

Je plains la jeune fille à l'air triste et rêveur,<br />

Et CC (lui te séduit fait mon inquiétu<strong>de</strong>.<br />

Pour Jeanne quel attrait :1 donc la solitu<strong>de</strong> ?<br />

Quel êtrntigc m y stère occupe son esprit?<br />

Son front , <strong>de</strong> 1)1115 CIL plus, chaque jour s'assombrit.<br />

Les jeux et les travaux qui la charmai<strong>en</strong>t naguère<br />

'Fout paraît maint<strong>en</strong>ant la lasser, lui déplaire.<br />

Aux champs sont aujourd'hui ses frères et sa soeur,<br />

Et Jeanne ne court point partager leur labeur.


60 pROLOt;II.<br />

RAYMOND.<br />

Oh ! votre fille est bonne, elle est pure, clic est sainte,<br />

Elle ne <strong>de</strong>vrait pas vous inspirer <strong>de</strong> crainte.<br />

Un malin, suivez-la: quand le jour est v<strong>en</strong>u,<br />

Elle pr<strong>en</strong>d le chemin qui monte au Bois-Chesnu<br />

L'abandonne bi<strong>en</strong>tôt, <strong>en</strong>tre dans la chapelle<br />

De Bermont, <strong>de</strong> ta Vierge et si chaste et si belle:<br />

Elle y tombe à g<strong>en</strong>oux, que voyant sa ferveur,<br />

Vous direz: cet <strong>en</strong>fant est fille du Seigneur;<br />

L'ange la montre à l'ange, aime une soeur <strong>en</strong> elle,<br />

Et voudrait l'appeler dans la joie éternelle.<br />

JACQIES.<br />

J'ai , Raymond, eu trois fois la même vision:'<br />

Jeanne était gran<strong>de</strong>, et moi rempli d'affliction.<br />

Dans cc rêve étonnant, je la voyais assise<br />

Près d'un prince. au-<strong>de</strong>ssus (l'une foule soumise.<br />

Elle t<strong>en</strong>ait un Sceptre orné (le fleurs <strong>de</strong> lis;<br />

Eu long vêtem<strong>en</strong>t blanc l'<strong>en</strong>tourait <strong>de</strong> ses plis,<br />

Et d'autres lis <strong>en</strong>cor scintillai<strong>en</strong>t dans ses voiles<br />

Sur son front reluisait le feu <strong>de</strong> sept étoiles.<br />

Le peuple, les barons, autour d'elle alignés,<br />

Semblai<strong>en</strong>t pleins <strong>de</strong> respect et sétai<strong>en</strong>t inclinés.<br />

Dans cette vision , l'av<strong>en</strong>ir Se révèle<br />

l)c SCS par<strong>en</strong>ts obscurs Jeanne rougirait-elle<br />

En souhaitant déjà (l'atteindre à ces honneurs<br />

Qu'<strong>en</strong> songe , je ne vois qu'au travers <strong>de</strong> mes pleurs


JEANM D'ARC.<br />

Ce trône sur lequel, dans mon rêve, clic monte,<br />

Qui l'y fera placer".... Ah! si c'était la honte.<br />

Jeanne arrive t<strong>en</strong>ant une qu<strong>en</strong>ouille et un I'ucan elle semble<br />

très—preocCupée.<br />

RAYMOND.<br />

Quoi, Jacques, vous croyez qu'un être aimé (le tous,<br />

Et que chacun respecte, et indigne <strong>de</strong> vous?<br />

JACQUES considérant Scanne.<br />

Regar<strong>de</strong> donc, Rayinond, quelle tête p<strong>en</strong>sive<br />

Aucun (le flOS discours à son esprit n'arrive<br />

Son front est abaLtu, puis <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t triomphant...<br />

Mon Dieu! mon Dieu! Raymond, qu'a donc mon pauvre <strong>en</strong>fant?<br />

6j


Mais, qui vi<strong>en</strong>t ?<br />

Quelle nouvelle, André?<br />

A Vau<strong>couleurs</strong>?<br />

D'Orléans <strong>de</strong>s A11-lais?<br />

PROLOGUE<br />

SCÈNE 1H.<br />

LES MÊMES, ANI)RE.<br />

RYt MOrD.<br />

JACQUES.<br />

C'est. André, <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> la ville.<br />

RAYMOND.<br />

JACQUES.<br />

Parlez , est-on tranquille<br />

RAYMOND.<br />

Dit-on t1 11C1( 1 UC chose du roi


JEANNE DARC.<br />

ANDItÉ.<br />

La ville est dans l'effroi.<br />

Dieu gar<strong>de</strong> notre sire et protège la France!<br />

On dit que l'<strong>en</strong>nemi <strong>de</strong> nos côtés s'avance,<br />

Qu'il assiège toujours Orléans; que bi<strong>en</strong>tôt<br />

Orléans ne pourra supporter wi assaut:<br />

Que le duc <strong>de</strong> Bourgogne au roi <strong>de</strong>meure hostile;<br />

Que la lutte parait <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir inutile;<br />

Qu'à Rouvray nous avons <strong>en</strong>core été battus....<br />

Sans un miracle, <strong>en</strong>fin, les Français sont perdus!<br />

Aux succès <strong>de</strong>s Anglais la reine s'associe.....<br />

JACQTJES.<br />

Ainsi s'accomplit donc l'antique prophétie:<br />

N'avait-on pas prédit qu'une femme perdrait<br />

La Fraiice!<br />

JEANNE.<br />

Et qu'une femme aussi la sauverait!<br />

ANï)R.<br />

Où donc est celle-là? Quellc tar<strong>de</strong> à paraitre!<br />

Hélas! où donc est-elle?<br />

JACQUES.


6 If PROLOCUE.<br />

Et le roi, que fait-il?<br />

JEANE.<br />

Elle est J)rOCllC, peut-être.<br />

JACQUES.<br />

RAYMOND.<br />

Veut-il combattre?<br />

ANDRÉ.<br />

Le roi découragé ne quitte pas Chinon.<br />

Ainsi plus d'espérance!<br />

RAYMOND.<br />

ANDRÉ.<br />

Non:<br />

Une terreur extrème',<br />

Etrange, et qu'oncroirait que répand Dieu lui-même,<br />

A fait <strong>de</strong> CCS Français, naguère si hardis,<br />

Des soldats tout craintifs et comme abfitardis.<br />

JACQUES.<br />

Non, Dieu ne voudra pas laisser périr la France<br />

H l'aime, la protège, et pour notre déf<strong>en</strong>se,


JEANNE O'MtC. 65<br />

Qui VOUS dit que le ciel n'a pas déjà choisi<br />

Un grand homme, inconnu tic nous tous jusqu'ici ?<br />

Peut-être à [instant mènic où chacun désespère,<br />

Un v<strong>en</strong>geur va changer la face <strong>de</strong> la guerre.<br />

JEANNE.<br />

Oui , la mesure est pleine , et voici la saison<br />

Où la Vierge s'<strong>en</strong> va comm<strong>en</strong>cer la moisson:<br />

Elle pr<strong>en</strong>dra la faux tranchante,<br />

Et comme <strong>de</strong> pesants épis,<br />

Devant elle, les eflflCIllis<br />

Couvriront la terre sanglante;<br />

La Vierge ne saura pas fuir,<br />

Elle trouvera la victoire<br />

Et sur les rives <strong>de</strong> la Loire,<br />

Les chevaux <strong>de</strong>s Anglais ne vi<strong>en</strong>dront plus h<strong>en</strong>nir<br />

JACQIJES.<br />

Que dit-elle? O mon Dieu! c'est un esprit farouche<br />

Qui possè<strong>de</strong> ma tille et parle par sa bouche<br />

.JEANNE.<br />

En serait-ce donc fait du trône <strong>de</strong>s vieux rois?<br />

Les Anglais verront-ils se soumettre la France?<br />

Un vainqueur odieux, s'appuyant sur sa lance,<br />

Va-t-il monter sur le pavois?<br />

9


-- .-<br />

66 PROLOGUE.<br />

Va-t-il, le fils <strong>de</strong> l'Angleterre,<br />

Régner sur cette noble terre<br />

Où ses aïeux ne dorm<strong>en</strong>t pas!<br />

Pourra-t-il, dans les plis d'une pourpre usurpée,<br />

Étancher tout le sang qu'a fait couler l'épée<br />

De ses bourreaux, <strong>de</strong> ses soldats? S<br />

JACQUES.<br />

Raymond, quelle fureur vi<strong>en</strong>t animer ma fille!<br />

Comme son sein bondit, comme son oeil scintille!<br />

Son regard m'épouvante et semble être <strong>de</strong> feu.<br />

RAYMOND.<br />

Jacques, inclinez-vous <strong>de</strong>vant l'esprit <strong>de</strong> Dieu.<br />

JEANNE.<br />

Quand tout fuyait <strong>de</strong>vant la guerre,<br />

Qu'Attila poussait <strong>de</strong>vant lui,<br />

Dieu regarda jadis la vierge <strong>de</strong> Nanterre;<br />

Pour sauver tout un peuple, est-ce une autre bergère<br />

Que Dieu choisirait aujourd'hui?<br />

Oui, c'est le Seigneur qui m'inspire;<br />

C'est le Dieu <strong>de</strong>s combats<br />

Qui, par mon faible bras,<br />

Veut sauver un empire!


JEANNE D'ARC.<br />

A la fin, l'horizon est pour vous in<strong>en</strong>acant:<br />

De vos gloires, Anglais, le <strong>de</strong>rnier éclat brille.<br />

Dieu se glorifiera par une jeune fille,<br />

Car il est le Dieu tout-puissant;<br />

La colombe <strong>en</strong> aigle se change<br />

Une épée au lieu d'un fuseau,<br />

Une armée au lieu d'un troupeau.<br />

Et la France, moi, je la v<strong>en</strong>ge<br />

Aux léopards hurlants j'arracherai les lis,<br />

Et jamais l'huile sainte<br />

Au front d'un étranger ne marquera l'empreinte<br />

De la couronne <strong>de</strong> Clovis!<br />

Jeanne reste immobile, la tète inclinée, les bras croisés sur su<br />

poitrine. André, Jacques, Raymond , l'<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t et seuill<strong>en</strong>t<br />

dans Te plus grand étonnem<strong>en</strong>t.<br />

JACQUES.<br />

C'est Jeanne que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds, qui parle ce langage;<br />

Elle que tOLIL émeut, elle l'<strong>en</strong>fant sauvage,<br />

Qu'une question trouble, et qui, les yeux baissés,'<br />

N'ose répondre aux mots qui lui sont adressés.<br />

C'est Jeanne que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds!.... Ce changem<strong>en</strong>t étrange<br />

Vi<strong>en</strong>t-il <strong>de</strong> vous, mon Dieu vi<strong>en</strong>t-il du mauvais ange?<br />

La voilà qui se tait.<br />

ANDRÉ à Jacques.<br />

67


08 Pli()LOGITt.<br />

JACQUES à Jeanne qui parait ne pas l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre.<br />

Jeanne, regar<strong>de</strong>-moi:<br />

Qu'as-tu, mon <strong>en</strong>fant dis-moi, qu'as-tu?... Calme-toi,<br />

Est-ce à nous pauvres g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre fait et cause<br />

Pour les princes, les rois.... Nous avons autre chose<br />

A faire, n'est-cc pas, que <strong>de</strong> nous occuper<br />

De ces événem<strong>en</strong>ts où l'on ne peut tremper,<br />

A moins d'être soldat, évêque ou g<strong>en</strong>tilhomme.<br />

Calme-toi, Dieu donna sou labeur à chaque homme,<br />

Et noire rôle, à nous, est dans l'obscurité;<br />

Le ciel a mis la paix avec la pauvreté.<br />

II est dans chaque état un côté qui comp<strong>en</strong>se<br />

Ce que dans chaque état l'on trouve <strong>de</strong> souffrance.<br />

JEANNE comice se réveillant et saisje,ant la main <strong>de</strong> Jacques.<br />

Mon père!<br />

JACQUES.<br />

Toujours sombre! ah! terrible av<strong>en</strong>ir!<br />

On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> chariots , <strong>de</strong>s moutons qui hu<strong>en</strong>t, et diverses<br />

voix qui chant<strong>en</strong>t. La nuit comm<strong>en</strong>ce à tomber.<br />

Tes frères et ta soeur, les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-tu v<strong>en</strong>ir,<br />

Chantant comme toujours, <strong>en</strong> quittant leur ouvrage.<br />

fis sont heureux et gais, eux; ils ont bleu leur âge.


JEANNE D'ARC.<br />

Les chants se rapproch<strong>en</strong>t; on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ce couplet<br />

Monté sui mon <strong>de</strong>strier,<br />

Je r<strong>en</strong>contre une pastourelle;<br />

Auprès d'un buisson (l'églantier,<br />

Se repose la belle.<br />

Je l'abor<strong>de</strong> fort polim<strong>en</strong>t<br />

En lui faisant un complim<strong>en</strong>t<br />

Elle se pr<strong>en</strong>d i rire,<br />

Et me répond (1110 air mutin<br />

Passez votre chemin,<br />

Passez votre chemin, beau sire.<br />

(9


71) 19{01104,%JE.<br />

SCÈNE IV.<br />

Lrs MÊMES, PIERRE, JACQUEMIN, JEAN, MARGUERITE;<br />

ils sont armés <strong>de</strong> faux et <strong>de</strong> fourches.<br />

JACQUFS à Jeanne.<br />

Ah! que n'es-tu comme eux!<br />

A ses <strong>en</strong>fanta qui <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans sa maison.<br />

Entrez, <strong>en</strong>fants, <strong>en</strong>trez,<br />

Le laitage et le pain pour vous sont préparés;<br />

Et votre mère att<strong>en</strong>d.<br />

A Jeanne , <strong>en</strong> lui montrant Marguerite qui s'éloigne gatru<strong>en</strong>L<br />

Comme elle a l'air joyeux!<br />

A Raymond et à André.<br />

Vois La soeur Marguerite,<br />

Raymond, je vous invite<br />

A pr<strong>en</strong>dre, avec André. part à notre repas.


JEANNE D'ARC. 74<br />

il Ici introduit dans sa maison , puis il revi<strong>en</strong>t sur le seuil et regar<strong>de</strong><br />

Jeanne avec tristesse.<br />

Jeanne!.. Mon Dieu, qu'a-t-elle? clic ne m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas!<br />

Il jette un regard désolé sur sa flic, lèse les mains au ciel et se retire.<br />

Jeanne reste un instant absorbée dans ses p<strong>en</strong>sées.


72 PROLOGUE<br />

SCENE V.<br />

JEANNE seule.<br />

La nuit est tombée.<br />

JEANNE.<br />

Oui, Dieu le veut, je te quitte<br />

Pour les dangers, les combats,<br />

Vieux toit dont le chaume abrite<br />

Tous ceux que ,j'aime ici bas!<br />

Fleurs que, dans les jours ari<strong>de</strong>s,<br />

J'abreuvais d'on<strong>de</strong>s limpi<strong>de</strong>s,<br />

Gar<strong>de</strong>z longtemps votre o<strong>de</strong>ur!<br />

Arbres plantés par moi-même,<br />

Que votre ombrage que j'aime,<br />

Verse longtemps la fraicheur.<br />

Je te fuis. chère contrée,<br />

Reçois mes <strong>de</strong>rniers adieux<br />

Terre que me r<strong>en</strong>d sacrée<br />

Le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s aieux!<br />

Je vais, pour sauver la France,<br />

Lieux témoins <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance,


JEANNE D'ARC.<br />

Vous délaisser aujourd'hui....<br />

Au foyer <strong>de</strong> la famille,<br />

Lorsque manquera ta fille,<br />

Mon père, pardonne-lui!<br />

Quoi! j'abondonnerai cette pauvre chaumière!<br />

Quoi! je ne prierai plus <strong>de</strong>vant la croix <strong>de</strong> pierre<br />

Qui s'élève au milieu <strong>de</strong>s morts;<br />

Divin emblème d'espérance,<br />

Qui leur promet une exist<strong>en</strong>ce<br />

Dont le temps, l'av<strong>en</strong>ir, ne fix<strong>en</strong>t plus les bords!<br />

Je quitterai ces champs, ces arbres, ces prairies,<br />

Ces s<strong>en</strong>tiers raboteux, ces montagnes chéries,<br />

Ce premier et doux horizon.<br />

Quoi! lorsque le soleil décline,<br />

Je n'irai plus sur la colline<br />

Dont mon pied a, seize ans, foulé le vert gazon!<br />

Je ne reverrai plus le grand bois, l'ermitage,<br />

La source <strong>de</strong>s Crosiers le hêtre au large ombrage;<br />

Les toits jaunes <strong>de</strong> Domremy,<br />

La Meuse, <strong>de</strong> saules voilée;<br />

Cette riche et fraîche vallée,<br />

Où le moindre buisson me parait un ami!<br />

Mais soudain mon âme timi<strong>de</strong><br />

Se remplit <strong>de</strong> douleur.<br />

Pourquoi donc pleurer? Qui me gui<strong>de</strong>?<br />

N'est-ce pas le Seigneur?<br />

•10


PROLOGUE.<br />

Des anges m'ont parlé sous le hêtre <strong>de</strong>s Fées,<br />

Cet arbre où chaque année, nu retour du printemps,<br />

Les pâtres du village, <strong>en</strong> odorants trophées,<br />

Vont susp<strong>en</strong>dre les fleurs <strong>de</strong>s champs;<br />

Et ces anges m'ont dit <strong>en</strong> agitant leurs ailes,<br />

En répandant sur moi leurs clartés immortelles<br />

« Tu te revêtiras d'acier,<br />

» Tu pr<strong>en</strong>dras une épée <strong>en</strong> tes mains virginales,<br />

Tu couvriras ton front, non <strong>de</strong> fleurs nuptiales,<br />

» Mais d'un casque au pesant cimier!<br />

• Jamais le nom si doux <strong>de</strong> mère<br />

• Jusqu'à ton coeur ne vibrera;<br />

• Des tristes plaisirs (le la terre<br />

• Ton âme se délivrera.<br />

• O Jeanne, le Dieu <strong>de</strong>s armées<br />

• Pour ton ét<strong>en</strong>dard combattra,<br />

• Et sur toutes les r<strong>en</strong>ommées.<br />

• Ton nom, ô Jeanne, grandira! »<br />

Jeanne se jette à g<strong>en</strong>oux.<br />

Est-il donc arrivé le jour du sacrilice?<br />

De la gloire faut-il vi<strong>de</strong>r l'amer calice?<br />

Parlez, parlez , ô gran<strong>de</strong>s voix;<br />

Parlez, Dieu tout-puissant, à votre humble servante;<br />

Blancs Séraphins, portez nia prière ferv<strong>en</strong>te<br />

Au pied du céleste pavois


V<strong>en</strong>ez me révéler les divines Paroles<br />

JEANNE D'ARC. 7j<br />

Vous qui m'apparaissez le front ceint d'auréoles<br />

Dont s'éclaire l'azur <strong>de</strong>s cieux!<br />

O sainte Marguerite, ô sainte Catherine,<br />

Vous que l'éclat <strong>de</strong> Dieu pour jamais illumine,<br />

Montrez-vous <strong>en</strong>core à mes yeux<br />

L'Ae Pi vs sonne, Jeanne se rel s e.<br />

J<strong>en</strong>tcnds une voix qui iii appelle<br />

Au milieu <strong>de</strong>s combats.<br />

Le fer sur le fer étincelle<br />

Un éclair <strong>en</strong> tonnant ruisselle<br />

Au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s soldats<br />

Voilà la trompette qui sonne<br />

Au flanc <strong>de</strong>s bataillons<br />

Le sol sous les guerriers résonne;<br />

Plein d'ar<strong>de</strong>ur, le cheval frissonne<br />

Et semble dire: allons!<br />

O mon Dieu ! je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds la voix qui mc réclame<br />

Me voici! me voici! Seigneur;<br />

Je t'obéis , je pars que la timi<strong>de</strong>, femme<br />

Devi<strong>en</strong>ne un terrible v<strong>en</strong>geur<br />

FIN DU PROLOGUE,


ACTE PREMIER.<br />

Une salle; ut fond, une porte à ogive; à droite, trois f<strong>en</strong>êtres à<br />

<strong>de</strong> couleur représ<strong>en</strong>tant divers traits <strong>de</strong> l'histoire sacrée; à gauche,<br />

une haute cheminée délicatem<strong>en</strong>t sculptée à côté <strong>de</strong> cette cheminée,<br />

une porte; <strong>de</strong>s hanes garnis <strong>de</strong> velours, un grand fauteuil a dossier<br />

fleur<strong>de</strong>lisé, tels sont les meubles <strong>de</strong> cette pièc e. dont les murs sont<br />

revêtus <strong>de</strong> bois (le chiie.<br />

SCENE I.<br />

TANNEGUY DU CHASTEL, l)UNOIS.<br />

DUN OIS.<br />

Que je reste à Chinon! pourquoi? Pour voir un prince,<br />

Appr<strong>en</strong>dre chaque jour qu'il perd une province;<br />

Pour voir un roi songer à (les plaisirs nouveaux.<br />

Tandis que les Anglais lui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ses chàteaux?<br />

Pour le voir prodiguer hi sol<strong>de</strong> d'une armée,<br />

Sol<strong>de</strong> que la révolte a déjà réclamée,<br />

A <strong>de</strong>s ménétriers qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t chaque jour<br />

Transformer ce palais <strong>en</strong> une cour dainoui'


75 JEANNE 1)'AR(.<br />

Et la France est <strong>en</strong> feu.... Des meurtres, la misère,<br />

Le pillage, du sang partout, partout la guerre;<br />

Tout cc qui peut s'armer, se relève et combat;<br />

Dans sa longue agonie, Orléans se débat....<br />

Et p<strong>en</strong>dant ce temps-là, monarque sans royaume,<br />

D'une brillante cour évoquant le fantôme,<br />

Charles vit <strong>en</strong>touré d'odieux favoris;<br />

II rêve à ses amours, à (les fêtes !... Quel prix<br />

A pour les courtisans la faveur sans puissance,<br />

Qu'ils laiss<strong>en</strong>t le dauphin reconquérir la France<br />

Leur proie alors sera belle du moins.... Pour moi.<br />

Je ne vins à Chinon (lue pour chercher un roi<br />

Je ne l'ai pas frOilVé.<br />

I'ÂEGY.<br />

I )u nois , un tel laiiagc<br />

Ifl '015.<br />

J'ai tort.... Mais , Tanneguy, c'est à pleurer <strong>de</strong> rage<br />

Un Valois se laisser ainsi ravir du front<br />

Sa couronne <strong>en</strong> détail et fleuron par fleuron<br />

Indi gné, Richemond est parti. Je l'imite;<br />

Ne me ret<strong>en</strong>ez plus, comme lui je vous quitte,<br />

Et je vais ii la Lin faire voir quelque part,<br />

Que e'(-si ii ii noble saiig (lue mon sang (le bâtard.<br />

sil<strong>en</strong>ce, i isi le nu,


ACTE I, SCÈNE IL<br />

SCÈNE H.<br />

LES MÊMES, CHARLES.<br />

CJIARLJS,<br />

DUNOIS.<br />

713<br />

Vous SaiCZ hi flot! (l1(<br />

Oui , sire , vous per<strong>de</strong>z un serviteur fidèle<br />

Richemond ne veut plus VOUS servir -<br />

CHARLES.<br />

Grâce aux cieux,<br />

Nous sommes délivrés <strong>de</strong> ce comte orgueilleux!<br />

DUNOIS.<br />

Ah! sire, croyez-moi, dans les temps où nous sommes,<br />

Elle est à déplorer la perte <strong>de</strong> tels hommes!<br />

Georges <strong>de</strong> la Trénioui11c a-t-il eu le tal<strong>en</strong>t,<br />

Sire , <strong>de</strong> vous montrer sous un jour consolant,<br />

Un départ que chacun trouve (je sombre augure?<br />

Corrompant à plaisir votre noble nature,


80<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Georges <strong>de</strong> La Trémouille a pour but d'éloigner<br />

Quiconque veut sur vous l'empêcher <strong>de</strong> régner:<br />

Richemond l'effrayait par son grand caractère,<br />

Car û vos favoris il pouvait vous soustraire.<br />

CHARLES à Tannegu,.<br />

A propos, ces chanteurs <strong>en</strong>voyés par R<strong>en</strong>é?..,.<br />

Dtr( o j s<br />

Dignes ambassa<strong>de</strong>urs d'un prince détrôné!<br />

ChARLES.<br />

Je veux qu'ils soi<strong>en</strong>t traités avec magnilicelice;<br />

11 faudra leur donner <strong>de</strong>s chaînes d'or. Je p<strong>en</strong>se,<br />

Dunois, que vous allez vous récrier <strong>en</strong>cor?<br />

J)LNOIS.<br />

Dieu m'<strong>en</strong> gar<strong>de</strong>!... Mais, sire, où sont ces chaînes d'or<br />

Que vous comptez donner avec tant (je largesse?<br />

Voire épargne est. vi<strong>de</strong>.<br />

TANNEGUY.<br />

CHARLES.<br />

Eh! quoi, veux-tu que je laisse<br />

Ces aimables chanteurs s'éloigner <strong>de</strong> nia cour<br />

Sans même les payer <strong>de</strong> leurs doux chants d'amour-?


ACTE 1, SCENE LI. 81<br />

TANNEGUY.<br />

Sire, tant que j'ai pu trouver quelque ressource,<br />

Tant que j'ai vu pour vous s'<strong>en</strong>tr'ouvrir une bourse,<br />

J'ai voulu vous cacher la triste vérité.<br />

Enfin je suis contraint parla nécessité,<br />

A rompre le sil<strong>en</strong>ce, à vous dire, ô mon maître,<br />

Que nous n'avons plus ri<strong>en</strong>, et que <strong>de</strong>main, peut-être,<br />

Vous verrez vos soldats exiger bruyamm<strong>en</strong>t<br />

La sol<strong>de</strong> dont on a retardé le paiem<strong>en</strong>t.<br />

CHARLES.<br />

Mes rev<strong>en</strong>us royaux, eh bi<strong>en</strong>! qu'on les <strong>en</strong>gage!<br />

Ils le sont pour trois ans.<br />

TANMGUY.<br />

CHARLES.<br />

Je ne perds pas courage,<br />

Nous possédons <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> fertiles pays.<br />

1)UNOIS.<br />

Sans doute, mais <strong>de</strong>main qu'il plaise aux <strong>en</strong>nemis<br />

De vous les <strong>en</strong>lever! ..... Orléans, à cette heure,<br />

Les occupe, et bi<strong>en</strong>tôt, sans troupes, sans <strong>de</strong>meure,<br />

Dans le comte d'Anjou trouvant un digne appui,<br />

Paisible, vous irez chanter auprès <strong>de</strong> lui.<br />

11


82<br />

JEA?NE D'ARC.<br />

CHARLES.<br />

li est heureux, R<strong>en</strong>é ; les arts, la poésie,<br />

Adouciss<strong>en</strong>t pour lui les chagrins <strong>de</strong> la vie;<br />

D'un rôle pastoral aimant à se charger,<br />

II conduit un troupeau dont il s'est fait berger.<br />

Assis sur le gazon, respirant une rose,<br />

Il redit <strong>de</strong>s chansons que lui-même il compose<br />

Il n'a pas près <strong>de</strong> lui, du moins, <strong>de</strong>s confid<strong>en</strong>ts<br />

Dévoués jusqu'au point <strong>de</strong> paraître impud<strong>en</strong>ts.<br />

Vraim<strong>en</strong>t, il est <strong>de</strong>s jours tUamertume où j'<strong>en</strong>vie<br />

A R<strong>en</strong>é ses troupeaux et sa philosophie.<br />

I) tN OIS.<br />

Sire, mais vous aussi vous êtes un berger;<br />

C'est lin peuple que vous, vous <strong>de</strong>vez diriger.<br />

CHARLES.<br />

Trop <strong>de</strong> sang a déjà coulé pour ma personne!<br />

Que puis-je faire <strong>en</strong>cor, si le ciel m'abandonne?<br />

Oui, si la voix du peuple est un écho (le Dieu,<br />

Le ciel m'a déclaré déchu <strong>de</strong> ce haut lieu,<br />

Auquel il me semblait que je <strong>de</strong>vais prét<strong>en</strong>dre.<br />

DLNOIS.<br />

Sire, la voix <strong>de</strong> Dieu ne peut se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />

Au milieu <strong>de</strong>s clameurs <strong>de</strong> quelques révoltés<br />

Avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pouvoir, riches <strong>de</strong> lâchetés.<br />

n


ACTE 1, SCÈNE 11.<br />

Non, Dieu ne parle pas par <strong>de</strong>s bouches impures<br />

Où (les serm<strong>en</strong>ts trahis ont laissé leurs souillures:<br />

Non, Dieu ne <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d pas dans <strong>de</strong>s coeurs avilis,<br />

Où l'on trouve le crime à v<strong>en</strong>dre à lotis les prix.<br />

Mais, quand moi je vous dis, ô mon noble roi Charte!<br />

De mourir <strong>en</strong> guerrier, c'est Dieu, Dieu qui vous parte.<br />

CHARLES.<br />

I)e ma mort je voudrais voir arriver le jour,<br />

Si ce jour, les Anglais s'<strong>en</strong>fuyai<strong>en</strong>t à leur tour.<br />

Je voudrais, pour sauver ma chère et belle France,<br />

M'offrant comme victime, emporter l'espérance<br />

Que le ciel, apaisé par un sang généreux,<br />

Donnerait à mon peuple un avçnir heureux.<br />

Mais, hélas ! contre moi tout, Dunois, se déclare,<br />

Et je craindrais d'agir comme un prince barbare,<br />

En prolongeant <strong>en</strong>core un combat acharné,<br />

Alors que Dieu paraît m'avoir abandonné.<br />

Saintrailles est allé l'aire une t<strong>en</strong>tative<br />

Près du duc <strong>de</strong> Bourgogne, et j'att<strong>en</strong>ds qu'il arrive,<br />

Avant <strong>de</strong> vouloir pr<strong>en</strong>dre une décision.<br />

Si je vois rejeter ma proposition.....<br />

Sire , naclievez pas<br />

DUNOIS.<br />

83


84 JEANNE IÏARC.<br />

Arrive d'Orléans.<br />

SCÈNE III.<br />

LES MÊMES • UN ÉCUYER.<br />

]L'ÉCUYER.<br />

CHARLES.<br />

Le chevalier Lahire<br />

Sans doute il vi<strong>en</strong>t m'instruire<br />

De désastres nouveaux.<br />

L'ÉCIJYER<br />

Peut-il être introduit<br />

Avec les magistrats que vers vous il conduit?<br />

CHARLES.<br />

Qu'ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t sur le champ.<br />

flTJNOJS.<br />

Allons, sire, courage!<br />

Ils rempliss<strong>en</strong>t sans doute un pénible message.


ACTE I, SCÈNE 1V.<br />

SCÈNJ IV.<br />

LES MÊMES, LMIIRE, VILLARS, TILLOYE.<br />

CHARLES.<br />

Dieu vous gar<strong>de</strong>, messieurs. Ma loyale cité<br />

Mc fait-elle assurer <strong>de</strong> sa fidélité?<br />

O Lahire, parlez, dites: quelle nouvelle?<br />

Que fait ma bonne ville?<br />

LAIIIRE.<br />

Elle est <strong>en</strong>cor fidèle.<br />

Sire, mais chaque jour avance le mom<strong>en</strong>t<br />

Où la nécessité vaincra son dévouem<strong>en</strong>t.<br />

VILLARS.<br />

Chaque combat pour nous <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une défaite.<br />

TILLOYL.<br />

Le découragem<strong>en</strong>t saccroit par la disette;<br />

Cc nouvel adversaire est le plus m<strong>en</strong>açant<br />

Une mère a nouri sa fille <strong>de</strong> son<br />

85


86 JEANNE D'ARC.<br />

Malheur à moi!<br />

CHARLES.<br />

VILLARS.<br />

Déjà le peuple veut se r<strong>en</strong>dre.<br />

« Reconnaissons un roi qui sache nous déf<strong>en</strong>dre<br />

» Mieux que ce Charles Sept qui ne faitri<strong>en</strong> pour nous. »<br />

Sire, l'oii ose ainsi murmurer contre vous.<br />

Mais faites un effort pour v<strong>en</strong>ir à notre ai<strong>de</strong>,<br />

Et ce peuple égaré, que la famine obsè<strong>de</strong>,<br />

Fidèle <strong>de</strong> nouveau, courra (le toutes parts,<br />

Eu poussant ses vieux cris, disputer nos remparts<br />

Aux Anglais dont la ville est tout <strong>en</strong>veloppée.<br />

Sire, ét<strong>en</strong><strong>de</strong>z sur nous votre royale épée.<br />

Un écuyer <strong>en</strong>tre, et dit à Dunois quelques mots à voix basse.<br />

DU.NOJS à Charles.<br />

S'ils ne sont pas soldés, le comte <strong>de</strong> Douglas<br />

Ne saurait plus longtemps maint<strong>en</strong>ir ses soldats.<br />

Tanneguyl<br />

CHARLES à Tanneguy.<br />

TAT''EGUY.<br />

Nous n'avons plus <strong>de</strong> ressources, sire


ACTE 1, SCÈNE IV, 87<br />

CHARLES.<br />

Parle; à tout, Tanneguy, je suis prêt à souscrire<br />

Mais que mes Écossais, que mes braves soldats,<br />

Dans ce fatal instant ne mabant1onneut. pas.<br />

TAVE GUY .<br />

Je ne vois plus aucun moy<strong>en</strong>.....La provid<strong>en</strong>ce<br />

Peut seule maint<strong>en</strong>ant sauver le roi <strong>de</strong> Fiance.<br />

Char1e, au désespoir, veut orLir ; Lahire, Villars, Tillove le reti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t.<br />

LA lU RE.<br />

Voyez ce qu'Orléans a supporté pour vous.<br />

Sire, protégez-nous<br />

TILLOYE.<br />

VILLARS.<br />

Sire, déf<strong>en</strong><strong>de</strong>z-nous!<br />

CHARLES.<br />

Mais. juste ciel, comm<strong>en</strong>t!... Mes troupes où sont-elles<br />

Vous déf<strong>en</strong>dre ! avec qui? ....Combi<strong>en</strong> <strong>de</strong> mes fidèles<br />

Qui dorm<strong>en</strong>t aujourd'hui le sommeil du cercueil<br />

Dans les champs <strong>de</strong>. Rouvray, (le Crevant, <strong>de</strong> Verneuil


88 JEANNE D'ARC.<br />

DUNOIS , qui a regardé par une fcntrc.<br />

Paraissant à la lin d'une pénible route,<br />

Je ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong> voit' <strong>en</strong>trer un guerrier sous la voûte;<br />

Ses ai'utes me l'ont fait rcconnaitrc aisém<strong>en</strong>t<br />

Saintrailles près <strong>de</strong> vous sera dans un mom<strong>en</strong>t.<br />

CHARLES.<br />

Je saurai donc bi<strong>en</strong>tôt ce qui me reste à faire!


ACTE J, SCÈNE V. 89<br />

SCÈNE V.<br />

LES MÈMES, SAINTRAILLES.<br />

CHARLES.<br />

Voici Saintrailic, eh bi<strong>en</strong>! que faut-il que j'espère<br />

Ri<strong>en</strong> que <strong>de</strong> votre épée.<br />

Oui, Sire, je l'ai vu.<br />

SAIITB.AILLES.<br />

CHARLES.<br />

SAINTRAILLES.<br />

CHARLES.<br />

Et le duc, tu l'as vu?<br />

Que t'a-t-il répondu?<br />

SAINTRAILLES.<br />

A tout rapprochem<strong>en</strong>t il a mis une clause,<br />

Telle que......


90 JEAN?E D'ARC.<br />

CHARLES.<br />

Qu'est-ce <strong>en</strong>fin que le duc me propose?<br />

SA1NTRAILLES.<br />

Non, je ne dirai pas ce qu'il ose exiger;<br />

Vous l'appr<strong>en</strong>dre serait déjà vous outrager.<br />

TANNEGUT à Char1e.<br />

Cette condition que l'on craint <strong>de</strong> vous dire,<br />

11 m'apparti<strong>en</strong>t â moi <strong>de</strong> la <strong>de</strong>viner, Sire.<br />

Philippe se souvi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> Montereau;<br />

11 lui faudrait mon sang versé par le bourreau.<br />

D'une scène terrible il voudrait la revanche,<br />

II vous fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ma vieille tète blanche.<br />

Ce n'est pas aujourd'hui, pour la première fois,<br />

Qu'il désire ajouter à ses brillants exploits<br />

La gloire <strong>de</strong> tramer, déchiré sur la claie,<br />

Celui qui, dans sa race, a fait la gran<strong>de</strong> plaie.<br />

Je r<strong>en</strong>ds grâces au duc, mon bras est bi<strong>en</strong> usé;<br />

L'armure siérait mal à mon corps épuisé;<br />

En me voyant ainsi, pauvre vieillard débile,<br />

Au roi je n'osais plus espérer d'être utile,<br />

Et par ma mort voilà que je le puis servir.<br />

Ayant vécu pour lui, pour lui je puis mourir!<br />

C'est heureux et tout fier, Sire, que j'abandonne<br />

Une tète qu'on pèse au poids d'une couronne.


ACTE I, SCÈNE V.<br />

CHARLES.<br />

Pourrais-tu bi<strong>en</strong> ainsi douter <strong>de</strong> mon honneur?<br />

Je ne connaissais pas <strong>en</strong>cor tout mon malheur;<br />

Je ne présumais pas qu'une parole amie<br />

Me vi<strong>en</strong>drait proposer une telle infamie.<br />

Non, mon vieux du Chastel, non, je ne croyais pas<br />

Dans votre estime à tous être tombé si bas.<br />

TANNEGTJY.<br />

Je vous ai consacré, sire, ma vie <strong>en</strong>tière,<br />

Oh! que ma mort répon<strong>de</strong> à toute ma carrière.<br />

CHARLES.<br />

Sil<strong>en</strong>ce! Tanneguy, voudrais-tu m'insulter?<br />

A Saintrailles.<br />

Et mon loyal cousin daigne-t-il accepter<br />

Le combat <strong>en</strong> champ clos contre son roi, Saintrailles?<br />

SAINTRAILLES.<br />

En jetant à ses pieds un <strong>de</strong> vos gants <strong>de</strong> mailles,<br />

Sire, j'ai dit au duc, que, comme chevalier,<br />

Vous lui faisiez offrir un combat singulier.<br />

Et le (lue, sans vouloir m'écouter davantage,<br />

A repris: « Si ton roi veut montrer son courage,<br />

• Et si c'est contre moi qu'il songe à l'éprouver,<br />

• Sous les murs d'Orléans qu'il me vi<strong>en</strong>ne trouver.<br />

94


92 JEANNE D'ARC.<br />

CIIARL<br />

La voix <strong>de</strong> la justice est-elle donc muette?<br />

SAIrÇTRAILLES.<br />

Oui, car le parlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Paris vous rejette;<br />

11 prét<strong>en</strong>d annuler vos légitimes droits.<br />

Votre race ne doit plus nous donner <strong>de</strong>s rois,<br />

II les veut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au trône d'Angleterre.<br />

CHARLES.<br />

Saintraille, et n'as-tu ri<strong>en</strong> t<strong>en</strong>té près <strong>de</strong> ma mère?<br />

Près <strong>de</strong> votre mère?<br />

SAINTJIAJLLES<br />

CHARLES.<br />

SAIN TItAILLES.<br />

Oui, qu'a-t-elle répondu?<br />

A Saint-D<strong>en</strong>is, le jour où je m'y suis r<strong>en</strong>du,<br />

Des tapis recouvrai<strong>en</strong>t les maisons jusqu'au faîte,<br />

Et témoins odieux d'une sinistre fête,<br />

Couverts comme auxbeaux jours, <strong>de</strong> somptueux habits,<br />

De rebelles sujets avai<strong>en</strong>t, quitté Paris.


ACTE I, SCENE V. 95<br />

Sous <strong>de</strong>s arcs <strong>de</strong> triomphe, au bout <strong>de</strong> chaque rue,<br />

La vile populace, avec joie accourue,<br />

Saluait les Anglais par <strong>de</strong> vives clameurs,<br />

Et jetait <strong>de</strong>s rameaux sous les las <strong>de</strong>s vainqueurs.<br />

CIIARLES.<br />

Ah! si ce peuple ingrat lisait dans ma p<strong>en</strong>sée!<br />

SAITRA1LLES.<br />

Tout à coup, au milieu <strong>de</strong> la foule empressée,<br />

Un <strong>en</strong>fant a paru; puis je l'ai vu monter<br />

Sur un trône dont seul vous <strong>de</strong>viez hériter;<br />

Mais l'<strong>en</strong>fant, gravissant les hauts <strong>de</strong>grés du trône,<br />

Chancelle ..... Uii long murmure aussitôt l'<strong>en</strong>vironne;<br />

Alors Iedfort parait, et le pr<strong>en</strong>d dans ses bras.<br />

Mais le peuple moqueur, pourtant ne se tait pas;<br />

II voit dans cc faux pas <strong>de</strong> sinistres présages,<br />

Et se rit <strong>de</strong> celui qu'il <strong>en</strong>tourait d'hommages.<br />

Votre mère était là '.....<br />

CHARLES.<br />

Vous L'avez <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du,<br />

Le ciel est contre moi; tout est fini, perdu.<br />

C'<strong>en</strong> est fait <strong>de</strong>s Valois! Qu'<strong>en</strong> moi meure leur race,<br />

Puisqu'un prince étranger vi<strong>en</strong>t occuper sa place.......<br />

O ma mère . ....Tout est fini, vous le voyez.<br />

Allez, <strong>de</strong> vos serm<strong>en</strong>ts vous êtes déliés.....


94 JEANNE D'ARC.<br />

Vous, messieurs, retournez dire à ma bonne ville<br />

Qu'il est temps <strong>de</strong> cesser une lutte inutile.<br />

LAuRE.<br />

Sire, un <strong>de</strong>rnier effort pour sauver la cité<br />

Qui vous a conservé tant <strong>de</strong> fidélité.<br />

TILLOYE.<br />

Vous ne voudriez pas qu'un jour, nos <strong>en</strong>fants, sire,<br />

Maudissant votre nom <strong>en</strong>tre eux, se puiss<strong>en</strong>t dire:<br />

« C'est au roi Charles Sept que les Orléanais<br />

» Doiv<strong>en</strong>t d'être aujourd'hui sous le joug <strong>de</strong>s Anglais.'<br />

D1JNOIS.<br />

Mais peut-on s'écrier: c'<strong>en</strong> est fait <strong>de</strong> ma race,<br />

Tant que pour se vêtir ou trouve une cuirasse;<br />

Lorsqu'on peut voir s'armer et combattre à sa voix<br />

Des hommes par la guerre illustrés tant <strong>de</strong> fois,<br />

Et Louis <strong>de</strong> Culant, et Lahire, et Saintrailles,<br />

Et d'autres pour paraitre att<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s batailles?<br />

Sire, rappelez-vous quels fur<strong>en</strong>t vos aïeux;<br />

Sachez mourir du moins pour être digne d'eux.<br />

Que le roi qu'on détrône <strong>en</strong> chevalier succombe,<br />

Dans un <strong>de</strong>rnier combat qu'il se cherche une tombe,<br />

Et qu'il ne dise pas comme un homme énervé<br />

Tout est fini, perdu! si l'honneur est sauvé


ACTE I, SCÈNE V.<br />

CHARLES.<br />

Du sang, toujours du sang! Mais déjà pour ma cause,<br />

Regar<strong>de</strong> donc, la France <strong>en</strong>tière s'<strong>en</strong> arrose;<br />

Je ne veux plus lutter.... Ne te l'ai-je pas dit'...<br />

Et ne le vois-tu pas, le Seigneur m'a maudit!<br />

JI a contre mes droits armé jusqu'à ma mère;<br />

Mon peuple me r<strong>en</strong>ie, et l'armée étrangère<br />

A déjà recruté les soldats <strong>de</strong> ses rangs<br />

Jusque sous les drapeaux <strong>de</strong> mes proches par<strong>en</strong>ts.<br />

Abandonné <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong>s mi<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> la victoire,<br />

Il faut m'y déci<strong>de</strong>r, je vais franchir la Loire.<br />

Charles Sept a régné; la race <strong>de</strong>s Valois<br />

A désormais perdu sa place <strong>en</strong>tre les rois!<br />

TAIEGUY.<br />

Un roi peut-il parler ainsi; peut-il lui-mèmc<br />

Prononcer sur sa race un semblable anathème!<br />

O sire, rétractez ces paroles.<br />

Qui peut lui résister?<br />

CHABLES, trèj-troub1.<br />

DIJNOIS.<br />

Le sort,<br />

Montrez-vous grand et fort.<br />

95


90 JEANNE D'ARC.<br />

CHARLES, comme égaré.<br />

Dans le fils sont l)UfliS les crimes <strong>de</strong> la mère ,<br />

Le ciel me fait souffrir pour la femme adultère;<br />

C'est moi qui suis chargé <strong>de</strong>s expiations,<br />

Et je dois racheter bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s corruptions.<br />

Mais vous qui me voulez pour roi, qui vous assure<br />

Que mon droit au pouvoir n'est pas une imposture -?<br />

Laissez-moi! laissez-moi L... je ne puis pas régner.<br />

Ma prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vrait seule vous indigner,<br />

Et le ciel contre moi justem<strong>en</strong>t se déclare.....<br />

Mais, mon Dieu! qu'ai-je dit?... Ah! nia raison s'égare.<br />

La dém<strong>en</strong>ce dans moi, furieuse, a passé....<br />

Oui, je suis bi<strong>en</strong> le fils <strong>de</strong> Charles l'ins<strong>en</strong>sé!<br />

TÂNNEGUY.<br />

Vous êtes notre roi sire, et Dieu vous <strong>de</strong>stine<br />

A relever un trône à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ruine;<br />

A vous il apparti<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sauver un état<br />

Sur lequel vos aïeux ont jeté tant d'éclat!<br />

ChARLES, très-ab&uu.<br />

J'aurais pu gouverner un royaume tranquille;<br />

Mon règne aurait alors pu <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir utile.<br />

Au nombre <strong>de</strong>s bons rois j'aurais pu pr<strong>en</strong>dre rang;<br />

Mais je ne suis pas né pour être un conquérant..


ACTE 1, SCÈNE V<br />

Si j'avais seulem<strong>en</strong>t les Anglais à combattre,<br />

Vous ne me verriez pas aussi prompt à m'abattre;<br />

Mais savoir que mou peuple est armé contre moi<br />

Qu'il mc liait, me bannit, oh!<br />

DUNOIS.<br />

Votre peuple, quoi!<br />

Vous donnez un tel nom à cette ignoble foule,<br />

Fange que dans ses flots toute nation roule<br />

A ces g<strong>en</strong>s sans aveu, sans courage, sans coeur,<br />

Pour lesquels le bon droit n'est qu'auprès du vainqueur!<br />

Votre peuple est celui qui vous reste fidèle,<br />

Qui change chaque ville <strong>en</strong> forte cita<strong>de</strong>lle,<br />

Qui déf<strong>en</strong>d Orléans, grandit dans le combat,<br />

Qui, laboureur hier, est aujourd'hui soldat<br />

Sire, il vous faut <strong>en</strong>cor faire une t<strong>en</strong>tative,<br />

Un effort, grand, terrible, et beau quoi (11l'il ariive.<br />

Oui, si vous succombez, que le mon<strong>de</strong> tremblant<br />

Ent<strong>en</strong><strong>de</strong> quel grand bruit produit <strong>en</strong> s'écroulant<br />

Un trône qu'a bàti Clovis, d'où Charlemagne<br />

Regardait sous ses pieds la France et l'Allemagne,<br />

Où Capet séleva , s'aidant (l'un beau passé,<br />

De la vertu d'un père <strong>en</strong> lui récomp<strong>en</strong>sé;<br />

Où Philippe Second obtint le imin (l'Auguste<br />

Où s'assit Louis Neuf, le grand saint, le roi juste;<br />

Où, quand tant (le spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur semblait sur le déclin<br />

Charles Cinq remonta , porté par Duguesclin.<br />

Faisons-nous un rempart <strong>de</strong> la moindre muraille<br />

Que la France se change Cil un champ (le bataille<br />

15<br />

97


J1<br />

Que tout <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>ne une ariiie, et 10111, homme im guerrier;<br />

Sire, imitez Samson r<strong>en</strong>versant le pilier.<br />

Que les moissons <strong>en</strong> feu. que les villes brûlées,<br />

Prépar<strong>en</strong>t aux Anglais <strong>de</strong>s terres désolées;<br />

Qu'ils ne repos<strong>en</strong>t pas vainqueurs sous nos abris<br />

S'il faut mourir, mourons sous le poids <strong>de</strong>s débris,<br />

Et laissons le pouvoir (les <strong>en</strong>nemis s'étcndre<br />

Sur <strong>de</strong>s fleuves <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong>s déserts, <strong>de</strong> la c<strong>en</strong>dre,<br />

CHARLES.<br />

Qui! moi! sur mes sujets j'attirerais ces maux<br />

Mais les Anglais n 'ont. point <strong>de</strong> plus cruels fléaux<br />

DljSOIS.<br />

Et le joug que subit tout peuple qui s'abaisse<br />

CHARLES.<br />

()Il! que la France vive , et qu'un roi disparaisse!<br />

DUN OIS.<br />

Elle tombe avec vous, sire.<br />

CHARLES.<br />

Voyez <strong>en</strong> moi<br />

Le comte <strong>de</strong> PonUiieu , j'ai cessé d'èlre roi.


ACTE I, SCÈNE V.<br />

DUN OIS.<br />

Vous mc déliez donc <strong>de</strong> tonte obéissance!<br />

Aux <strong>en</strong>voyés.<br />

Libre, je me consacre à votre délivrance.<br />

A Charles.<br />

Allez chercher la paix, ô comte <strong>de</strong> Ponthieu<br />

Nous elle rchcrons l'honneur à otre place ....Adiit.<br />

Aux e ii v es.<br />

Messires, suivez-moi.<br />

II sort brusquem<strong>en</strong>t.<br />

'rANNEGUY à Saintrailles et i Lahire.<br />

Courez, qu'on Iciivironne<br />

Qu'il reste; dites-lui que le roi lui pardonne<br />

Qu'il le fait rappeler.<br />

4 Charles.<br />

Sire ptuIoiinez-lui.<br />

CHARLES.<br />

Pour fuir, ah je n'ai pas besoin dc son appui<br />

FEN DU PREMIER ACJ'E.


ACTE I)EUXIÈME.<br />

La marne salle qu'au preutii acte.<br />

SCÈNE 1.<br />

1)IJNOIS, LÀ TRÉMOIJILLE,<br />

LA TRMOU1LLE.<br />

Ainsi ce bruit étrange est la vérité, comte<br />

J)UNOIS.<br />

Oui, c'est la vérité, je l'avoue et sans honte.<br />

LA TRÉMOt1LLI.<br />

C'est ù Jeanne qu'on doit <strong>de</strong> vous gar<strong>de</strong>r céans?<br />

11uN0JS.<br />

Sans Jeanne, je serais sur les murs d'Orléans.


102 JEANNE D'ARC.<br />

Lue autre lois déjà, j'a ais voulu m'y r<strong>en</strong>dre<br />

On inc retint alors. Mais , litigué d'att<strong>en</strong>dre<br />

Et las <strong>de</strong> voir le roi perdre <strong>en</strong> discussion<br />

[n temps dont il fallait user pour Faction<br />

J'allais exécuter iiia volonté première,<br />

Quand j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis, parler d'une jeune guerrière<br />

LA 'rn;ouijj riant.<br />

Qui gardait <strong>de</strong>s troupeaux naguère à Domrerny,<br />

Qui trouva le secret <strong>de</strong> vaincre 1<strong>en</strong>nemj<br />

Dans im pré, dans un champ, au milieu d'une étable<br />

Et veut tout simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir connétable.<br />

Ce sera fort plaisant lorsque tous nos barons<br />

S'<strong>en</strong> iront suivant .Jcaime ainsi que (les moutons<br />

Ne le trouvez-s-oiis pas<br />

1) U\ OIS.<br />

Sire <strong>de</strong> La Trémouille ........<br />

LA. TRIMOUJLLI.<br />

Oui, nous verrons tomber la victoire cii qu<strong>en</strong>ouille<br />

Puis au lieu <strong>de</strong> crier Montjoie et Saint-Dciiis,<br />

Nous bèlerons e n semble ti l'instar <strong>de</strong>s brebis.<br />

Dirions.<br />

.Jc n'aime pas ce ton d'une ironie amère.<br />

LA TIIEMOUILJ,L.<br />

A VOUS, je le COneois . il doit un peu déplaire


ACTE II, SCÈNE I. 105<br />

I)U?O1S.<br />

J'ai confiance <strong>en</strong> Dieu qui daigne nous v<strong>en</strong>ger.<br />

LA TRÉMOUILLE.<br />

Et confiance <strong>en</strong> qui vous pouvez diriger.<br />

I)U i OIS.<br />

Que prét<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous dire avec un tel langage-?<br />

LA TRÉMOLILLL<br />

Comte, allons, soyons francs.<br />

I) UNOIS.<br />

LA TRÉMO1JILLE.<br />

Ce n'est pas votre usage.<br />

Jeanne peut r<strong>en</strong>contrer quelques faibles esprits<br />

Qui, (lu surnaturel naïvem<strong>en</strong>t épris,<br />

P<strong>en</strong>seront saluer une Judith nouvelle.<br />

Ce n'est ni VOUS, ni moi, qui pouvons croire <strong>en</strong> elle.<br />

J'y crois, je vous J'ai (lit.<br />

DUNOIS.


104<br />

JEANNE DAR(.<br />

LA TJIÉMOULLE.<br />

Vous croyez simplem<strong>en</strong>t<br />

Que l'on peut employer Jeanne comme instrum<strong>en</strong>t<br />

Que l'oit peut diriger la céleste inspirée,<br />

Et quêtant <strong>de</strong> la sorte avec art préparée,<br />

Elle dirigerait la volonté (lu roi.<br />

DU N OIS.<br />

l)oit-on juger ainsi les attires d'après soi?<br />

Si du roi je prét<strong>en</strong>ds diriger la conduite<br />

Je ne veux pas chercher à trouver qui m'al)ritc.<br />

Mes conseils sont <strong>de</strong> ceux qu'on donne sans rougeur,<br />

Et soi-iiième l'on veut <strong>en</strong> gar<strong>de</strong>r tout l'honneur.<br />

L t 'I'REMOIT!LLE.<br />

Et soi-même Fon veut <strong>en</strong> gar<strong>de</strong>r l'avantage.<br />

DtOIS , 1* main sur $on pés.<br />

Je vous réponds, messire, <strong>en</strong> homme qu'on outrage.


ACTE ii, SCÈNE II. ioi<br />

SCÈNE Il.<br />

LES MIMES, L'AMIRAL DE CULANT, TANNECUY,<br />

Qu'est-ce (Jonc?<br />

SAINTRAILLES, LAIIIRE.<br />

L'AMIRAL.<br />

LA TRÊMOIJILLE.<br />

Je ne puis voir un puissant souti<strong>en</strong><br />

Dans nue pauvre fille au timi<strong>de</strong> mainti<strong>en</strong><br />

Supposer qu'elle montre, innoc<strong>en</strong>te bergère,<br />

La valeur d 'uii Roland.<br />

Monirant Dunois.<br />

Et <strong>de</strong> là sa colère.<br />

L'AMIRAL.<br />

Un ètre surhumain est <strong>en</strong>voyé vers nous,<br />

Messires, et son nom met le trouble cuire vous<br />

Celle <strong>de</strong> qui dép<strong>en</strong>d notre salut, peut-être,<br />

Comme un sujet <strong>de</strong> duel <strong>de</strong>vrait-elle apparaître?<br />

14<br />

Np


106<br />

JEANNE flAnC.<br />

1)egrCe, calmez-vous , et ne disposez pas<br />

D'un sang qUil faut gar<strong>de</strong>r pour d'utiles combats<br />

C'est au prince, au pays, dans les temps où nous sommes,<br />

Qu'apparl leu n<strong>en</strong>t les jours <strong>de</strong>s loyaux g<strong>en</strong>tilshommes.<br />

L'amiral u raison.<br />

TANNEGUY.<br />

SMNTJIAILLLS.<br />

La mort ! que les Français<br />

N'aill<strong>en</strong>t plus la chercher qu'au milieu <strong>de</strong>s Anglais<br />

LAJTHtE.<br />

Que tout ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre vous <strong>de</strong>ux expire!<br />

Que lotit soit oublié!<br />

uUi'(OIS.<br />

LA TRÉMOUILLE.<br />

j'y cons<strong>en</strong>s.<br />

LAMIRAL : Dunois.<br />

TANECUY.<br />

Du reste, vous pourrez avec plus d'appareil<br />

Ri<strong>en</strong> , messire.<br />

Donner sur Jeanne d'Arc votre avis au conseil,


ACTE H, SCÈNE II.<br />

Messire ; c'est ici dans l'instant qu'il s'assemble<br />

Le roi nous réunit; il veut que tous <strong>en</strong>semble.<br />

Nous décidions <strong>en</strong>fin si l'on doit se fier<br />

A celle que le ciel parait nous <strong>en</strong>voyer.<br />

L'AMIRAL.<br />

fles docteurs, i Poitiers, ont interrogé icanue<br />

À tous, vous le savez, la jeune paysanne<br />

A semblé mériter qu'<strong>en</strong> elle l'on ait foi.<br />

LAuRE.<br />

Lorsque Ion 1)FéSCI1LL la jeune fille au roi,<br />

Conirne épreuve il voulut qifun autre prît, sa place<br />

\TOLiS vous le rappelez: sans trouble , salis audace,<br />

Jeanne alla droit i Charles avec nous confondu<br />

Sifils l'avoir vu , comm<strong>en</strong>t l'a-t-elle reconnu!<br />

LA TItÉMOIJILLE.<br />

Ne pouvait-elle pas avoir vu son image?<br />

SAINTIIA ILI.ES.<br />

lL conrnieiit expliquer le périlleux voyage<br />

Qu'elle a fait presque Seule au milieu <strong>de</strong> pays<br />

Entièrem<strong>en</strong>t livrés aux soldats <strong>en</strong>nemis ?<br />

TANr'ŒGUY.<br />

Avez-vous oublié cette antique croyance<br />

« Une femme vivra qui doit perdre la t?rancc


108 JEANNE D'ARC.<br />

• Mais une femme aussi plus tard la sauvera,<br />

• Et c'est du Bois-Chesnu que le salut vi<strong>en</strong>dra. »<br />

Or, près <strong>de</strong> Domremv, cest ainsi que l'on nomme.<br />

Un bois.....<br />

LA TRÉMOUILLE.<br />

De mieux <strong>en</strong> mieux, je vois, mon g<strong>en</strong>tilhomme,<br />

Je vois que nous croyons à Merlin l'<strong>en</strong>chanteur.<br />

TÂNNEGLY.<br />

Avez-vous oublié que, vers la Chan<strong>de</strong>leur,<br />

Une visionnaire ayant pour nom Marie<br />

Et s'il m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, Avigiion l)0u1 patrie<br />

Dit au roi qu'elle avait, <strong>en</strong> songe , plusieurs fois<br />

Vu briller une armure, et que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s voix<br />

Tandis qu'elle restait d'épouvante saisie,<br />

S'écriai<strong>en</strong>t : « 'fii n'es point l'héroïne choisie<br />

• Pour combattre et vètir CC harnois du guerrier<br />

• L'héroïne est ailleurs, cesse <strong>de</strong> t'effrayer<br />

Ta mission se borne à porter l'espérance.<br />

• Une femme s'apprête à délivrer la France<br />

• Va dire à Charles Sept qu'il la verra sous peu<br />

• Qu'il accepte son ai<strong>de</strong> et qu'il espère <strong>en</strong> Dieu. i'<br />

LA TREMOUILLE.<br />

La déesse Minerve . n , pour nous, pris la peine<br />

De se faire bergère aux marches <strong>de</strong> Lorraine.


ACTE lE, SCÈNE H. $09<br />

Nous allons laisser loin toute la cour d'Artus<br />

Nous ferons oublier Tristan et Méliadus<br />

Oui, grâce û Jeanne d'Arc, la vieille Table Ron<strong>de</strong><br />

Va perdre le r<strong>en</strong>om qu'elle avait dans le inon<strong>de</strong>.<br />

011! comme les Anglais seront remplis (udrI'oi<br />

En appr<strong>en</strong>ant qui vi<strong>en</strong>t pOUF nous v<strong>en</strong>ger.


140<br />

JEArE I)AI1i.<br />

SCÈNE [Il.<br />

LES ILMES ChAuLES VII , LE DUC IÏALENCON<br />

LE SIRE DE, BOUSSA(: LE BARON DE RAIZ<br />

LE SIRE Dl," GRAULLE ET I)iUTRES SEIGNEURS.<br />

UN PAGE, annotuanI<br />

CHARLES, après s'être assis.<br />

Le roi<br />

Tout semble avoir changé <strong>de</strong>puis ilile s<strong>en</strong>iaiiie<br />

Messires. Aujourd'hui, voili huit jours à peine<br />

J'appr<strong>en</strong>ais à la fois les iiiallieurs (lOrléaJis<br />

L'affreuse trahison <strong>de</strong> mes proches par<strong>en</strong>ts<br />

Des soldats écossais les révoltes vénales<br />

Le sacre d'un Anglais sur nos tombes royales<br />

Voilà huit jours <strong>en</strong>fin tout paraissait perdu.<br />

Comm<strong>en</strong>t un peu d'espoir nous est-il donc r<strong>en</strong>du ?<br />

Une vierge, un <strong>en</strong>fant, par sa seule prés<strong>en</strong>ce,<br />

A causé dans nos rangs ce changem<strong>en</strong>t imm<strong>en</strong>se.<br />

;s0115 VOVOflS avcourir. au seul bruit <strong>de</strong> son nom<br />

L'amiral <strong>de</strong> Culant vi k duc dAl<strong>en</strong> n


ACTE II, SCENE HI.<br />

Et «autres chevaliers qui, confiants <strong>en</strong> clic<br />

Se (lis<strong>en</strong>t: tout va pr<strong>en</strong>dre une face nouvelle.<br />

Par l'apparition d'un fantôme , jadis<br />

Le ciel <strong>de</strong> la raison a privé Charles Six<br />

Le ciel ne peut-il pas, par lin autre prodige,<br />

Réparer les malheurs dont la France s'afflige,<br />

Malheurs tous prov<strong>en</strong>us du spectre s'écriant<br />

« O roi ! l'on te trahit, ne va pas plus avant!<br />

Jeanne d'ire, à Poitiers, vi<strong>en</strong>t d'ètre interrogée,<br />

Et là, cligne <strong>de</strong> foi, les docteurs l'ont jugée;<br />

Mais avant, d'accepter un semblable secours,<br />

Je (lois vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>en</strong>cor votre concours<br />

Vous examinerez Jeanne. Qu'on nous l'amène;<br />

Et si Jeanne a dit vrai, bénissons la Lorraine<br />

41


U JEANNE DAR(.<br />

SCÈNE IV.<br />

LES MÊMES; on introduit .JEANNE.<br />

JEA'1iE, s'inclinant <strong>de</strong>vant Charles.<br />

De nouveau je m'incline ('n prés<strong>en</strong>ce du roi<br />

Et vi<strong>en</strong>s lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il se ronfle <strong>en</strong> moi?<br />

LA TItÉMOL IlLJ a Jeanne.<br />

Vous dites, jeune fille, être par le ciel même<br />

Envoyée au secours d'un royaume qu'il aime?<br />

.Ic te dis.<br />

JEANNE.<br />

LA TRÉMOUILLE.<br />

Mais, si Dieu veut sauver ces états<br />

Dieu pour le faire a-t-il besoin <strong>de</strong> nos soldats?<br />

JEANNE.<br />

ils combattront et Dieu donnera la victoire !


A'TE I!, SCÈNE 1V. 113<br />

LA 'FREMOI:IIu:.<br />

Mais <strong>en</strong>fin, pour qu'<strong>en</strong> vous il fût permis <strong>de</strong> croire<br />

Il faudrait nous prouver pal Ufi Signe certain<br />

Que votre mission part d'un ordre divin.<br />

JEANNE.<br />

Je ne suis pas v<strong>en</strong>ue ici pour qu'on exige<br />

Qu'<strong>en</strong> moi je fasse croire à l'ai<strong>de</strong> (l'un prodige<br />

Ces prodiges, Messire, ils auront pourtant lieu<br />

Dans Orléans sauvé vous reconnaitrez Dieu. s<br />

A Charles.<br />

Mais, je Pulls vous prouver à l'instant, ô roi Charte,<br />

Que l'on doit se fier à celle qui vous parle:<br />

Huit jours se sont passés <strong>de</strong>puis cet affreux jour<br />

Où l'espoir vous semblait avoir fui sans retour,<br />

Ou vous-même à vos droits vous refusiez <strong>de</strong> croire.<br />

Vous étant retiré seul dans votre oratoire,<br />

Vous vous êtes jeté brusquem<strong>en</strong>t à g<strong>en</strong>oux,<br />

Une prière alors s'est élevée <strong>en</strong> vous.<br />

Sire, Dieu, vous et moi savons cette prière,<br />

Qui <strong>de</strong> votre ûnie au ciel s'est <strong>en</strong>volée <strong>en</strong>tière,<br />

Et sans même emprunter <strong>de</strong> Sons à votre voix:<br />

Vous disiez : « Si je suis le rejeton <strong>de</strong>s rois,<br />

O Seigneur! protégez un effort légitime;<br />

» Daignez du moins, Seigneur, mc pr<strong>en</strong>dre pour victime;


114 JEANNE D'ARC.<br />

S'il faut que qticlquiin meure <strong>en</strong> expiation,<br />

• Laissez tomber sur moi la condamnation;<br />

• Puissé-je par ma mort acheter à la France<br />

• Autant dcj ours <strong>de</strong> paix qu'elle <strong>en</strong> eut <strong>de</strong> souffrance! »<br />

CHARLES se levant.<br />

Jeanne, je m'<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>s, oui, j'ai s<strong>en</strong>ti cc voeu<br />

Se former dans mon coeur, puis s'élancer vers Dieu!<br />

Aux chevaliers.<br />

Après un tel prodige, il faut <strong>en</strong>fin se r<strong>en</strong>dre;<br />

Le doute oserait-il <strong>en</strong>cor se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre?<br />

Toue les seigneurs , excepti La Trémouille, font un mouvem<strong>en</strong>t vers<br />

Jeajuic.<br />

TAN1YEGtY.<br />

Un miracle aujourd'hui pouvait seul nous sauver!<br />

DUNOIS.<br />

De grands jours <strong>de</strong> combats vont <strong>en</strong>fin se lever!<br />

SAINTRAILLES.<br />

O Jeanne, vous4jrez un noble et beau cortége!<br />

LAJIIRE.<br />

Malheur aux <strong>en</strong>nemis, c'est Dieu qui nous protège!


ACTE 11, SCENE IV.<br />

L'AMIRAL,<br />

Parlez, Jeanne, parlez, nous vous obéirons!<br />

LE, DUC D'ALENÇON.<br />

Criez-nous: <strong>en</strong> avant! et tous nous vous suivrons!<br />

LA 'lItÉMOUILLE.<br />

Calmez-vous, Messeigneurs, vous ne pr<strong>en</strong>ez pas gar<strong>de</strong>,<br />

Je p<strong>en</strong>se, que l'Europe <strong>en</strong>tière nous regar<strong>de</strong>.<br />

Que dira-t-elle donc à cet étrange bruit,<br />

Qu'une femme est le chef dont l'ordre nous conduit?<br />

Nous allons ù fuS maux joindre le ridicule,<br />

Et l'on nous traitera <strong>de</strong> nation crédule.<br />

CHARLES à Scanne.<br />

Le doute <strong>en</strong> mon esprit ne doit plus pénétrer<br />

Et je me Laisse aller au bonheur d'espérer.<br />

O Jeanne! <strong>de</strong> nouveau, raconte-moi ta vie,<br />

Les saintes visions qui L'ont souv<strong>en</strong>t ravie<br />

Dis-moi ce que le ciel, pal' <strong>de</strong> puissantes voix<br />

T'a, noble jeune fille, annoncé tant. <strong>de</strong> fois<br />

Sur ton sort, sur le mi<strong>en</strong> , sur le sort <strong>de</strong> la France<br />

JEANNE.<br />

Il faut que je remonte au temps <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance


416 JEANNE D'ARC.<br />

Pour retrouver l'instant si plein d'émotion<br />

Où je ne pus douter <strong>de</strong> ma vocation.<br />

Je n'avais pas <strong>en</strong>cor treize ans; pieuse offran<strong>de</strong>,<br />

Je composais <strong>de</strong> fleurs une longue guirlan<strong>de</strong>,<br />

Dont je <strong>de</strong>vais bi<strong>en</strong>tôt, pour un jour sol<strong>en</strong>nel,<br />

De la Vierge Marie, embaumer l'humble autel.<br />

Près du vieux mur qui ceint, les tombeaux et l'église,<br />

Dans notre étroit jardin, seule j'étais assise;<br />

Tout à coup je laissai s'échapper <strong>de</strong> ma main<br />

La rose que j'ornais d'un rameau <strong>de</strong> jasmin.<br />

De joie et <strong>de</strong> frayeur indicible mélange,<br />

Il se passait <strong>en</strong> moi quelque chose d'étrange;<br />

Comme un frisson glacé courut dans mes cheveux;<br />

Mon oeil fut ébloui <strong>de</strong> rayons merveilleux<br />

Le vieux mur, le jardin et le mon<strong>de</strong>, et moi-même,<br />

Je vis tout s'effacer dans cet instant suprême<br />

Mon âme me semblait rompre un <strong>de</strong>rnier lieu,<br />

J'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dais résonner un chant aéri<strong>en</strong><br />

Gloire à Dieu ! tout le ciel redisait ces paroles;<br />

L'air était <strong>en</strong>flammé d'étoiles , d'auréoles;<br />

Les soleils, les éclairs confondai<strong>en</strong>t leur clarté;<br />

Les nuages roulai<strong>en</strong>t, océan arg<strong>en</strong>té;<br />

Semblables à la mer se brisant sur la rive,<br />

Leurs Ibis <strong>en</strong> reculant, imm<strong>en</strong>se perspective,<br />

De vierges, <strong>de</strong> martyrs, d'anges, <strong>de</strong> séraphins,<br />

Mc montrai<strong>en</strong>t le cortége aux pieds du Saint (les saints.<br />

Une voix vint alors vibrer à mes oreilles<br />

« Invoque le Seigneur dans tes jours et tes veilles<br />

» Sois lotit <strong>en</strong>tière à lui, car un instant vi<strong>en</strong>dra


ACTE H, SCÈNE IV, 117<br />

Où pour <strong>de</strong> grands travaux il te désignera. »<br />

Moi, l'indigne témoin du sublinie mystère<br />

Je tombais prosternée et le front sur la terre.<br />

Et <strong>de</strong>puis ce jour-h'i, souv<strong>en</strong>t (les bi<strong>en</strong>heureux<br />

Les traits respl<strong>en</strong>dissant d'un disque lumineux<br />

Le corps <strong>en</strong>veloppé d'une spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> étole,<br />

Desc<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t jusqu'à moi, m'adressai<strong>en</strong>t la parole,<br />

Me donnai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s conseils , me montrai<strong>en</strong>t le chemin<br />

Que traçait à ma vie un pouvoir surhumain.<br />

C'est près d'un liètre antique, et dont le large ombrage<br />

Réunit au printemps les <strong>en</strong>fants du village<br />

Que je vis mapparaitre, abaissant son essor,<br />

Un ange que dans l'air portai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux ailes d'or;<br />

Et cet ange me dit « Tu pr<strong>en</strong>dras une épée,<br />

• On te verra marcher (le fer <strong>en</strong>veloppée;<br />

• D'un lourd casque (l'acier tu chargeras ton front<br />

Ceux que tu conduiras partout triompheront.<br />

» Nul ne t'appellera son épouse ou sa mère<br />

L'homme te gar<strong>de</strong>ra peu <strong>de</strong> temps sur la terie<br />

» Et les peuples pourtant, te verront accomplir<br />

» Des choses dont le bruit vivra dans Fav<strong>en</strong>ir. »<br />

A peine à ces discours mon esprit osait croire,<br />

Je inc s<strong>en</strong>tais trembler (levant autant (le gloire<br />

Mais peu <strong>de</strong> temps après, plusieurs fois j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis<br />

Les saintes qui pour moi quittai<strong>en</strong>t le paradis;<br />

Et leurs voix nie pressai<strong>en</strong>t d'obéir, et sans cesse<br />

Elles nie répétai<strong>en</strong>t cette gran<strong>de</strong> promesse,<br />

Qu'Orléans accablé s&ait sauvé par moi,<br />

Que mon épée à filiciuns <strong>de</strong>vait inciier Uli 1(11.


I t S JI\NE DIRC.<br />

Et Saillie Marguerite, et sainte Catherine<br />

Qui m'apportai<strong>en</strong>t ainsi la parole divine<br />

M'avertissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cor que p<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s jours,<br />

Les hommes peu croyants rirai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mes discours;<br />

Elles m'<strong>en</strong>courageai<strong>en</strong>t ù la persévérance,<br />

Et inc montrai<strong>en</strong>t pour but le salut <strong>de</strong> la France.<br />

:t tout ce qui m'est cher au inon<strong>de</strong> je l'ai fui<br />

J'ai fui cette maison où mon père aujourdliui<br />

Ne retrouvera plus une famille <strong>en</strong>tière<br />

L'église où , tout <strong>en</strong>fant Je lisais ma prière;<br />

Ces vallons et ces prés, ces plaines, ces coteaux,<br />

Où d'autres i prés<strong>en</strong>t conduis<strong>en</strong>t mes troupeaux<br />

Qui sait nième? qui sait où iiia tombe doit étre?<br />

Sera-ce à Doinremy, sous Une croix champêtre?<br />

Mais tous ces souv<strong>en</strong>irs, ah ! qu'ils soi<strong>en</strong>t oubliés!<br />

Tous ces regrets craintifs qu'ils soi<strong>en</strong>t Sacrifiés<br />

Je ne dis pas: Seigneur, éloignez le calice,<br />

Mais:Seigneur, que toujours votre ordre s'accomplisse<br />

CHARLES.<br />

Jeanne , nous acceptons Votre Puissant appui<br />

Vous étes notre chef à dater d'aujourd'hui.<br />

Vos p<strong>en</strong>sers, vos <strong>de</strong>sseins, faites-nous les connaitre;<br />

A VOUS il apparti<strong>en</strong>t d'ordontier comme un maure.


ACTE 1!, SCÈNE V 119<br />

SCÈNE v:<br />

LES MÊMES, UN ÉCUYER<br />

L'ÉCUYER.<br />

Un héraut blasonné <strong>de</strong>s léopards anglais,<br />

Sire vi<strong>en</strong>t k l'instant d'arriver au palais.<br />

Qu'il nous soit am<strong>en</strong>é.<br />

CHARLES.<br />

L'écuyer sort.


24) JEANNE D'ARC.<br />

SCEINE VI.<br />

Us MEMES , LE HEIIAUT.<br />

LE HÉRAUT.<br />

Lequel <strong>de</strong> vous se nomme<br />

Le comte <strong>de</strong> Ponthieu , Charles <strong>de</strong> Valois?<br />

Voilà le roi <strong>de</strong> France!<br />

Ce roi, c'est fleuri Six.<br />

TANNEGUT.<br />

LE HÉRAUT.<br />

Homme,<br />

En France il n'est qu'un roi;<br />

D UN OIS<br />

Insol<strong>en</strong>t<br />

CHARLES.<br />

Conti<strong>en</strong>s-toi;<br />

Un héraut est sacré, pardonnons son audacc


ACTE Il, SCÈNE VI.<br />

JEANNE.<br />

Sire, permettez-moi <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre votre place,<br />

D'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir pour VOuS l'impud<strong>en</strong>t messager.<br />

CHARLES.<br />

Je nie confie à toi, tu peux l'interroger.<br />

JEE au h4raut.<br />

Quelle est la mission qui vers le roi t'amène<br />

Et d'abord qui t'<strong>en</strong>voie?<br />

Salisbury.<br />

LE HÉRAUT.<br />

JEANNE.<br />

4•1<br />

Ln vaillant capitaine<br />

Tu m<strong>en</strong>s , les morts ne parl<strong>en</strong>t pas.<br />

LE HÉRAUT.<br />

Mon rnaitrc n'est pas mort.<br />

A SOiIt!( ce matin<br />

JEANNE-<br />

<strong>de</strong> soit trépas<br />

lu


122 JEANNE 1ARC.<br />

Pour votre perte il vit.<br />

De ses iniquités.<br />

LE HERAU'I'.<br />

JEANNE.<br />

LE HÉRAUT.<br />

Dieu prOtége le Comte;<br />

Dieu lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> compte<br />

Vous.n'avez pas besoin,<br />

Puisque votre, regard peut s'ét<strong>en</strong>dre aussi loin<br />

De m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre exposer mou message; je p<strong>en</strong>se<br />

Que déjà vous <strong>de</strong>vez <strong>en</strong> avoir connaissance,<br />

Vous savez comme moi ce dont on m'a chargé?<br />

JEANNE.<br />

Je sais qe mon pays sera bi<strong>en</strong>tôt v<strong>en</strong>gé.<br />

Et par vous?<br />

Tu l'as dit.<br />

LE HÉRAUT.<br />

JEANNE.<br />

LE JIÉRAUI' à Charles.<br />

Quelle est votre détresse,<br />

Vous croyez aux discours (le cette prophétesse?


ACTE li, SCÈNE VI. 125<br />

JEAN1E.<br />

Avant bi<strong>en</strong> peu <strong>de</strong> jours les Anglais y croiront,<br />

Avant bi<strong>en</strong> l)CU <strong>de</strong> jours les Anglais treiubleroiit.<br />

Ecoute ces discours dont tu feins <strong>de</strong> sourire,<br />

Reti<strong>en</strong>s-les, à tes chefs tu pourras les redire.<br />

A Charles.<br />

Qu'on creuse l'autel <strong>de</strong> Fierbois:<br />

Là se trouve une forte épée<br />

Qui, dans les vieux siècles trcinpte<br />

A sa gar<strong>de</strong> porte cinq croix:<br />

C'est ce glaive que je réclame.<br />

Au héraut.<br />

Tes chefs verront leurs soldats fuir,<br />

Lorsque, sous la maiii d'une femme<br />

Comme un éclair, la noble laine<br />

Hors du fourreau pourra ,jaillir<br />

A Charles.<br />

Que j'aie un ét<strong>en</strong>dard aussi blanc que les voiles<br />

l)otit la vierge pudique aime les longs replis<br />

Nombreuses comme les étoiles<br />

Qu'oii y sème <strong>de</strong>s fleurs <strong>de</strong> lis.<br />

Que du Sauveur du mon<strong>de</strong> on y peigne limage;<br />

A ses pieds, que , dans un nuage,


124<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Des anges 'soi<strong>en</strong>t ag<strong>en</strong>ouillés;<br />

Qu'on écrive son nom près du nom (le sa mère.<br />

Au héraut.<br />

Et <strong>de</strong>vant ce drapeau le premier à la guerre<br />

Tes chefs seront terrifiés!<br />

A Charles.<br />

Du ciel va s'accomplir la promesse sublime<br />

Il se lève le jour si longtemps souhaité.<br />

La gloire a choisi sa victime<br />

Le doute a disparu, l'espoir est écouté<br />

II se lève le jour <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s représailles!<br />

Orléans va jeter SOU vétem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil.<br />

AU liciaul.<br />

Devant ses murs tes chefs courberont leur orgueil,<br />

Car moi je vais changer la face <strong>de</strong>s batailles!<br />

A Charles.<br />

Il se lève à la fin le jour où le Seigneur<br />

Laisse <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre sa clém<strong>en</strong>ce,<br />

Le jour où l'opprimé trouve Un libérateur,<br />

Où Charles <strong>de</strong> Valois <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le roi (le France


ACTE H, SCENE \J. 123<br />

Rheims, la plus flOI)IC (les cites<br />

Ouvre ta sainte basilique;<br />

Que ses échos soi<strong>en</strong>t agités<br />

Parle vol dun joyeux cantique<br />

Je vous mène le fils <strong>de</strong>s rois,<br />

Accourez, prêtres et lévites,<br />

Et que Dieu, suivant les vieux rites,<br />

L'ai<strong>de</strong> à monter sur le pavois!<br />

Charles s'incline <strong>de</strong>vant Jeanne autour <strong>de</strong> laquelle tous les clievaliei<br />

se group<strong>en</strong>t.<br />

FIN DU DEUXIENE ACTE.


ACTE TROISIÈME.<br />

Ais fond, la cathédrale <strong>de</strong> Rheims; à gauche, une hôtellerie c'est une<br />

maison à pignon, au—<strong>de</strong>ssus Je la porte une <strong>en</strong>seigne représ<strong>en</strong>te<br />

l'arche <strong>de</strong> Noé, aux f<strong>en</strong>êtres <strong>de</strong> laquelle se montr<strong>en</strong>t divers ani-<br />

maux; aux c.4tés <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> l'hôtellerie sont <strong>de</strong>s montoirs <strong>en</strong><br />

pierre pour ici chevaux et les mules.<br />

SCÈNE I.'<br />

Le peuple se presse vers le portail <strong>de</strong> la cathédrale; on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par<br />

mom<strong>en</strong>t les sons <strong>de</strong> l'orgue. JACQU ES et RAYMOND sont<br />

sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène.<br />

JACQUES.<br />

La revoir, ô mon Dieu! la revoir aujourd'hui,<br />

Tout à rheure, à l'instant, et la revoir l'appui<br />

Le v<strong>en</strong>geur, le conseil, le sauveur (lu royaume;<br />

Elle, née humblem<strong>en</strong>t sous mon vieux toit <strong>de</strong> chaume!<br />

9


1<br />

I28<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Mais n'est-ce pas un rêve? 0111 non, ma fille est là!<br />

Le peuple s'écriait la voilà! la voilà<br />

Chacun se la montrait, ou voulait l'avoir vue<br />

Son nom circulait seul dans celte foule émue,<br />

Qui, <strong>de</strong> la cathédrale, occupait les abords....<br />

Et pour l'apercevoir j'ai fait <strong>de</strong> vains efforts;<br />

Vers Féglise j'avance avec peine, et la foule,<br />

A vingt pas du portail, aussitôt me refoule.<br />

J'aurais pu m'écrier, mais Jeanne est mon <strong>en</strong>fant<br />

Que je la voie aussi près du roi triomphant<br />

Laissez-moi donc <strong>en</strong>trer que j'assiste à sa gloire<br />

Si j'avais (lit cela, qui m'aurait voulu croire?<br />

.J'aurais passé 1)0111' fou, l'on aurait ri <strong>de</strong> moi.<br />

Et celle cep<strong>en</strong>dant qui fait sacrer un roi,<br />

Celle qui vint à tous r<strong>en</strong>dre la confiance,<br />

Celle qui sut gar<strong>de</strong>r Orléans à ht France,<br />

Celle dont le regard consterne l'<strong>en</strong>nemi,<br />

C'est ma fille pourtanl.......Chacun à I)omremy<br />

A pu la voir, l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ..... Oh c'est un tel prodige<br />

Que l'on n'y peut songer salis avoir un vertige!<br />

On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ce fragm<strong>en</strong>t d'une prière faite <strong>en</strong> l'honneur <strong>de</strong> Jeanne:<br />

Deus auctor pacis, qui sine arca et sagiita inirnicos in te sperantes<br />

e1idis subr<strong>en</strong>L quœsumus. Domine, st nostram propitiit s<br />

tue-ans wlversiaem, ut sicut poputum tuurn per manum fw7rtine<br />

liberasti,. sic Carolo regi nostro brachium, nictorie erige ...... 2<br />

Les sons <strong>de</strong> l'orgue s'élèv<strong>en</strong>t-


ACTE III, SCÈNE 1. 129<br />

Ecoute: l'orgue chante, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d à la fois<br />

Un hymne glorieux accompagner sa voix.....<br />

Et tout serait muet sous ces voûtes antiques,<br />

Point d'orgue résonnant et point <strong>de</strong> saints cautiques,<br />

Point <strong>de</strong> prince à g<strong>en</strong>oux et le front incliné,<br />

De chevaliers <strong>de</strong>bout, <strong>de</strong> peuple prosterné,<br />

Au royaume, ô mon Dieu! point <strong>de</strong> roi, si ma fille<br />

Était toujours restée au sein <strong>de</strong> sa famille!<br />

RAYMOD.<br />

Ne vous souvi<strong>en</strong>t-il pas d'un songe singulier<br />

Que ces événem<strong>en</strong>ts sembl<strong>en</strong>t vérifier?<br />

Jeanne était sur un trône, et le front ceint d'étoiles,<br />

La foule l'<strong>en</strong>tourait, <strong>de</strong>s lis couvrai<strong>en</strong>t ses voiles....<br />

JACQUES.<br />

Je me rappelle <strong>en</strong>cor ce rêve étrange, alors,<br />

Que pour l'interpréter, je fis <strong>de</strong> vains efforts!<br />

Mais pouvais-je prévoir cette gran<strong>de</strong> journée!<br />

Devais-je jamais croire à cette <strong>de</strong>stinée!<br />

O Raymond! cep<strong>en</strong>dant, â travers mon orgueil,<br />

Il passe maint<strong>en</strong>ant comme un souffle <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil.<br />

La gloire ne vaut pas 1 bonheur, non, et Jeanne<br />

Le ramènera-t-elle un jour dans ma cabane?<br />

Après tant <strong>de</strong> succès, tant d'honneurs, tant d'exploits,<br />

Pourra-t-elle avec nous vivre comme autrefois?<br />

Ce doute m'est affreux!<br />

17


150<br />

JEANNE D'ARC.<br />

RAYMOND.<br />

Hélas! je le partage;<br />

Votre 1111e voudra terminer son ouvrage,<br />

Encor combattre et vaincre. Oh ! que lui direz-vous<br />

Pour la déterminer à partir avec nous!<br />

JACQUES.<br />

Nous lui rappellerons et ses soeurs et sa mère,<br />

Ses frères, son <strong>en</strong>fance, et puis notre chaumière<br />

Si triste maint<strong>en</strong>ant.....Puis elle me verra<br />

Crois-tu qu'à ma douleur elle résistera?<br />

Et quand je lui peindrai sa pauvre mère <strong>en</strong> larmes!<br />

Pour toi, Raymond, il faut qu'aussi tu la désarmes;<br />

Tu t'aimes, tu sauras peut-être l'att<strong>en</strong>drir!<br />

RAYMOD.<br />

Aujourd'hui, cet amour, pour jamais doit mourir.<br />

Aimer Jeanne d'amour! Qui serait digne d'elle?<br />

JACQUES.<br />

Regar<strong>de</strong>, le portail d'armures étincelle.<br />

RAYMOND.<br />

Le cortêge comm<strong>en</strong>ce à sortir.<br />

11 se fait un grand mouvem<strong>en</strong>t dans le peuple ; 1e cloebes sonn<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>s<br />

tètes se montr<strong>en</strong>t à loue les fetitres <strong>de</strong>s varleI aiiin<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cheon<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d un grand bruit <strong>de</strong> trompettes et <strong>de</strong> hautbois. Après


ACTE III, SCÈNE 1. 151<br />

les musici<strong>en</strong>s qui ouvr<strong>en</strong>t la marche, on voit sortir <strong>de</strong> la cathédrale<br />

les <strong>en</strong>fants vêtus <strong>de</strong> blanc et agitant <strong>de</strong>s rameaux; <strong>de</strong>rrière eux<br />

s'avanc<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s hallebardiers; puis les magistrats <strong>de</strong> Rheims, l'amiral<br />

<strong>de</strong> Culant, le maréchal <strong>de</strong> Bussc et les seigneurs <strong>de</strong> Crauille<br />

et <strong>de</strong> Raie sort<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite à cheval le la caihédrale 3 ils surit armés<br />

<strong>de</strong> toutes pièces et ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leurs bannières; ilsaccompagn<strong>en</strong>t la<br />

sainte ampoule quo l'abbé <strong>de</strong> Saint—Remy porte sous un dais; ils<br />

sont suivis par Jcanne, par ic sire d'Aulon et par les <strong>de</strong>ux hérauts<br />

<strong>de</strong> la Fucelle. Au mom<strong>en</strong>t où elle se montre , ses pages font avancer<br />

un coursier noir, l'aline a confia sa bannière à son éctiyer.<br />

Comme il bat!<br />

JACQUES.<br />

LE PEUPLE , à la vue <strong>de</strong> Jeanne.<br />

Ah! mon coeur,<br />

La voilà, voilà notre sauveur<br />

Nol! vive le roi! Dieu gar<strong>de</strong> la Pucelle!<br />

Noël! Noël! Nol! Vive le roi!<br />

JACQUES.<br />

(est elle!


I 2 JEANNE D'ARC.<br />

SCÈNE II.<br />

LES MÊMEs, JEANNE; elle aperçoit son père, court à lui et<br />

tombe dans ses bras.<br />

(J mou père! è Ilaymond!<br />

Je vous revois <strong>en</strong>cor!<br />

JEAE.<br />

JACQUES.<br />

J EAE.<br />

JACQUES.<br />

Ma fille!<br />

(ràre û Dieu<br />

Jeanne, exauce mon voeu!<br />

Revi<strong>en</strong>s à Domremy, j'ai peu <strong>de</strong> jours à vivre.<br />

JEANNE.<br />

Mon plus ard<strong>en</strong>t désir est (le pouvoir vous suivre!<br />

Et je sais quelle gràce au prince <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.


ACTE III, SCENE 1f. 153<br />

RAYMOND.<br />

Jeanne! fasse le ciel qu'il la veuille accor<strong>de</strong>r!<br />

LE PEUPLE.<br />

Noël! Noi1! Noël! voilà le roi <strong>de</strong> Ii'rancc!<br />

Si l'oit te refusait!, ...<br />

JACQUES.<br />

JEANNE.<br />

0 mort père, espérauet'


JEANE D'ARC.<br />

SCÈNE 11!.<br />

P<strong>en</strong>dant la scène précéd<strong>en</strong>te, on a Nit sortir <strong>de</strong> la cathédrale<br />

<strong>de</strong>ux maréchaux, une foule <strong>de</strong> chevaliers et d'hommes d'armes.<br />

ChARLES , au bruit du ranon et <strong>de</strong>s cloches n paru <strong>en</strong><br />

suite, ayant auprès <strong>de</strong> lui l'arclicvéque <strong>de</strong> Rheims, cinq<br />

antres pairs ecclésiastiques et six pairs laïques; il porte la<br />

couronne, Ic sceptre et le manteau royal. Parmi les pairs<br />

et les seigneurs qui l'<strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>t, on remarque le duc<br />

D'ALENCON , DEMIS, SAINTRAlLLES, LAIIIRE,<br />

LA TRÉMOUILLE, TANNFGUY DU CHASTEL; sur<br />

les cottes d'armes blasonnées qui brill<strong>en</strong>t <strong>de</strong>rrière lui, on<br />

distingue les armoiries <strong>de</strong>s seigneurs <strong>de</strong> Lavai, <strong>de</strong> Caucourt,<br />

<strong>de</strong> Beaumanoir, etc.<br />

CHARLES,s'avançant ,rs Jeanne.4<br />

Où donc est I'litroïne à laquelle je dois<br />

De remonter <strong>en</strong>fin sur le trône <strong>de</strong>s rois?<br />

Mais la place <strong>de</strong> Jeanne est auprès <strong>de</strong> la mi<strong>en</strong>ne.<br />

Et j'ai besoin <strong>en</strong>cor que son bras mc souti<strong>en</strong>ne.<br />

O Jeanne, approchez- vous, marchez à mes côtés;<br />

Jouissez <strong>de</strong>s travaux par vous cxécuks


A Dunois.<br />

ACTE UI, SCÈNE iii.<br />

Comte <strong>de</strong> Longueville, aux yeux <strong>de</strong> cette foule,<br />

Que sa vie à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tière se déroule:<br />

Qu'il <strong>en</strong>t<strong>en</strong><strong>de</strong>, ce peuple avi<strong>de</strong> (le la voir.<br />

Ce que Jeanne a su faire; <strong>en</strong>suite mon pouvoir<br />

S'emploiera pour trouver quelle est la récomp<strong>en</strong>se<br />

De celle qui sauva le royaume <strong>de</strong> France.<br />

n'joIs.<br />

De raconter sa vie, eh! qu'est-il donc besoin<br />

Le bruit <strong>de</strong> ses exploits s'ét<strong>en</strong>d déjà bi<strong>en</strong> loin.<br />

Qui pourrait oublier comm<strong>en</strong>t ses prophéties<br />

Dans Orléans sauvé vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être remplies<br />

Qui ne sait les détails du siège <strong>de</strong> Gergeau,<br />

Déf<strong>en</strong>du par Suffolck, et pourtant pris d'assaut?<br />

Qui n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit parler <strong>de</strong> ces jours <strong>de</strong> victoire<br />

Qu'elle nous a donnés sur les bords <strong>de</strong> la Loire?<br />

Qui n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit conter comm<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>nemis,<br />

A Patay, <strong>de</strong>vant elle, <strong>en</strong> fuite fur<strong>en</strong>t mis?<br />

Puis après ce succès obt<strong>en</strong>u dans la Beauce,<br />

C'est un hardi désir qu'elle veut qu'on exauce.<br />

A tous, marcher sur Rheims, paraît trop imprud<strong>en</strong>t;<br />

Jeanne, sans s'ébranler, insiste cep<strong>en</strong>dant.<br />

Ses plans sont au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la sagesse humaine;<br />

On cè<strong>de</strong>, et triomphants, la vierge nous cutraine.<br />

De combats <strong>en</strong> combats sur ses pas nous allons;<br />

Nous pénétrons ù'1'rye, à nous s'ouvre Chàlons


456 JEANNE D'ARC.<br />

Et cc n'est qu'à l'autel <strong>de</strong> cette cathédrale<br />

Que s'arrête un instant la marche triomphale<br />

De ces actes si grands déjà <strong>de</strong> toutes parts<br />

Le bruit est répandu par l'effroi <strong>de</strong>s fuyards.<br />

Chacun sait ce qu'a fait la mo<strong>de</strong>ste bergère;<br />

L'Angleterre la craint, la France la vénère.<br />

Mais qui petit peindre - Jeanne au milieu du danger?<br />

Alors que le combat comm<strong>en</strong>ce à s'<strong>en</strong>gager,<br />

Le front calme, l'oeil fier, on la voit apparaître;<br />

Elle craint <strong>de</strong> frapper et ne craint pas <strong>de</strong> l'être;<br />

Son épée à regret se rouille dans le sang.<br />

Les vaincus sur leur mort la trouv<strong>en</strong>t gémissant.<br />

Humble dans les combats, gran<strong>de</strong> dans la victoire,<br />

Sacrifiant à Dieu tout l'orgueil <strong>de</strong> la gloire,<br />

Jeanne semble à la fois une sainte, un héros!<br />

Ah! si votre royaume oublie <strong>en</strong>fin ses maux,<br />

Et si vous, vous régnez, polir être juste, sire,<br />

En montrant cette femme, à tous vous <strong>de</strong>vez dire:<br />

Qu'on bénisse son nom, car elle m'a fait roi!<br />

JEANNE à Charte,.<br />

C'est Dieu qu'il faut bénir, ô sire, et non pas moi!<br />

LE PEUPLE.<br />

Vive notre roi Charle et .Jeanne la Pucelle !


ACTE 111, SCÈNE lU. 137<br />

CItARLES à Jeanue<br />

Qu'à votre nom s'attache une gloire immortelle!<br />

Votre famille, ô Jeanne, est gran<strong>de</strong> désormais.<br />

Que sur votre blason on lise VOS hauts faits<br />

Qu'<strong>en</strong> un champ d'azur, d'or croisée et pommelée.<br />

Une épée élevant sur sa lame arg<strong>en</strong>tée<br />

La couronne <strong>de</strong> France <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux fleurs <strong>de</strong> lis,<br />

Redise les travaux par vous, Jeanne, accomplis.<br />

Que la royale fleur à voire race donne<br />

A tout jamais son nom, éloqu<strong>en</strong>te patronne;<br />

Et quand, dans l'av<strong>en</strong>ir, on verra ce blason,<br />

Et quand, dans l'av<strong>en</strong>ir, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dra ce nom,<br />

Surpris, on se dira : cette famille est celle<br />

Que dans les anci<strong>en</strong>s jours illustra la Pucelle.<br />

JEANNE.<br />

Pourquoi m'<strong>en</strong>orgueillir par un si grand bi<strong>en</strong>fait?<br />

Obéir au Seigneur, c'est tout ce que j'ai fait.<br />

Je suis un instrum<strong>en</strong>t, sire, dia provid<strong>en</strong>ce,<br />

En le choisissant faible, a montré sa puissance.<br />

Si le roi cep<strong>en</strong>dant veut me récomp<strong>en</strong>ser,<br />

Je ne forme qu'un voeu, qu'il daigne l'exaucer?<br />

Ce voeu, c'est <strong>de</strong> quitter aujourd'hui cette armure;<br />

C'est <strong>de</strong> retourner, sire, à cette vie obscure,<br />

Abandonnée un jour, non par ambition,<br />

Mais parce que le ciel traçait ma mission.<br />

Cette mission sainte est <strong>en</strong>fin accomplie;<br />

Ma <strong>de</strong>rnière promesse est maint<strong>en</strong>ant remplie.<br />

18


138 JEANNE D'ARC.<br />

CHARLES.<br />

Comm<strong>en</strong>t, Jeanne, c'est vous qui v<strong>en</strong>ez <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r?..<br />

JEANNE.<br />

La seule grâce, ô roi, qu'on puisse m'accor<strong>de</strong>r.<br />

CHARLES.<br />

Une grâce qu'il faut pourtant que je refuse.<br />

JEAN\ E.<br />

Mais sur mon importance, ô sire, l'on s'abuse:<br />

Je ne suis maint<strong>en</strong>ant qu'une femme,...<br />

Ri<strong>en</strong> ne dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong> moi.<br />

Que puis-je faire <strong>en</strong>cor?<br />

CHARLES.<br />

JEA{1'IE.<br />

CHARLES.<br />

Un v<strong>en</strong>geur!<br />

La France et sa gran<strong>de</strong>ur!<br />

JEANNE.<br />

CHARLES.<br />

Combattre!


ACTE III, SCÈNE 111. 139<br />

JEANNE.<br />

Dieu termine<br />

Au maître-autel <strong>de</strong> Rheims ma mission divine.<br />

Prét<strong>en</strong>dre me quitter!<br />

CHARLES.<br />

JEANNE.<br />

Mais, sire, écoutez-moi;<br />

Mon père est un vieillard, il me pleure'....<br />

Te réclame.<br />

CHARLES.<br />

JEAM'E.<br />

Ton roi<br />

Ma mère, au désespoir, m'appelle;<br />

Par grâce! laissez-moi retourner auprès d'elle<br />

O sire, regar<strong>de</strong>z, je suis àvos g<strong>en</strong>oux....<br />

Ne me refusez pas, ayez pitié <strong>de</strong> nous!<br />

J'ai mérité, d'avoir, sire, une récomp<strong>en</strong>se<br />

C'est vous qui l'avez dit, car j'ai sauvé la France.<br />

Eh bi<strong>en</strong>! montrez-vous donc clém<strong>en</strong>t et généreux!<br />

Mon père, iiia mère!.., Oh ! que je vive auprès d'eux<br />

Et leur fasse oublier jusques à la mémoire<br />

De ces jôurs <strong>de</strong> malheur qu'ils dur<strong>en</strong>t à ma gloire!


440 JEANNE D'ARC.<br />

CHARLES.<br />

Jeanne, à votre départ je n'ose cons<strong>en</strong>tir<br />

Sans l'avis du conseil que je vais réunir.<br />

Mais que ne m'avez-vous <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong>s provinces,<br />

Des villes, <strong>de</strong>s châteaux, et pour vassaux (les princes!<br />

Noël! Noël! Noél!<br />

Charles s'éloigne avec sa suite.<br />

LE PEUPLE, <strong>en</strong> l'accompagnant.


ACTE 111, SCENE IV.<br />

SCÈiI 1V.<br />

JEANNE, JACQUES, ltA\iION1).<br />

JEANNE fait signe ses g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> s'éloigner, puis elle revi<strong>en</strong>t vers<br />

JACQUES et RAYMO_'J) qui s'étai<strong>en</strong>t mé1s au peuple.<br />

JEANNE.<br />

RAYMOND.<br />

141<br />

Mon père. vous pleurez?<br />

Ah ! Jeanne. je le crains, vous nous sacrifierez<br />

JACQUES.<br />

Oh ! non, non, n'est-cc pas? N'es-tu pas assez gran<strong>de</strong><br />

La France te bénit. Cc que je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />

Oh! fais-le, je pourrai te bénir a mon tour.<br />

Revi<strong>en</strong>s, Jeanne, revi<strong>en</strong>s. Quel beau, quel heureuxjonr!<br />

Alors qu'on te verra regagner la vallée,<br />

J)'oû, par l'ordre <strong>de</strong> Dieu tu t'<strong>en</strong> étais allée<br />

Y reparaître, illustre <strong>en</strong>tre tous les hardis<br />

Et (fonce, et simple, autant que tu l'étais jadis.


142 JEANNE D'ARC.<br />

Mais tu restes muette nia fille, regar<strong>de</strong>!<br />

Mes cheveux sont blanchis, et ton retour, s'il tar<strong>de</strong><br />

Dans nia pauvre maison, serons-nous <strong>en</strong>cor tous,<br />

Qand tu cons<strong>en</strong>tiras à rev<strong>en</strong>ir vers nous.<br />

Jeanne, p<strong>en</strong>ses-y bi<strong>en</strong> , c'est auprès d'une pierre,<br />

Se cachant sous le buis au coin du cimetière,<br />

Que l'on te conduiras peut-être ..... En pleurs, alors<br />

Tu s<strong>en</strong>tiras <strong>en</strong> toi s'élever un remords<br />

Mais trop tard. rfj le tais?.. * De quoi suis-je coupable?<br />

Pourquoi donc cet <strong>en</strong>fant, dont la gloire m'accable?<br />

Mon Dieu! quai-je donc fait pour voir ilaitre <strong>de</strong> moi,<br />

La femme qui <strong>de</strong>vait r<strong>en</strong>dre à la France un roi<br />

JEÀVE.<br />

MI! ne blasphémez pas! ... Mais peut-être , mon père<br />

Sur moi dans cet instant le conseil délibère;<br />

Je vais aller savoir sa résolution.<br />

JACQUES.<br />

Ma fille, pr<strong>en</strong>ds pitié <strong>de</strong> mon affliction.<br />

JEANE.<br />

La volonté du roi, je vi<strong>en</strong>drai vous l'appr<strong>en</strong>dre;<br />

Mais pour vous retrouver, où faudra-t-il me r<strong>en</strong>dre?<br />

Nous vous att<strong>en</strong>drons là.<br />

PAYMOID, motiirant l'hôtellerie.


J'ose û peine espérer.<br />

ACTE III, SCÈNE IV. 143<br />

JEANNE.<br />

Raymond, mon père, adieu<br />

JACQUES.<br />

JEANNE.<br />

Confions-nous <strong>en</strong> Dieu!<br />

Jeannes'éloigne ; Jacques et Raymond <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans I'tutcUerie.


--..-.---'--.--<br />

144<br />

JIANNE D'ARC.<br />

SCENE V.<br />

GUILBERT DE LA II.\YE, MICIIEL NORVIL, GUIL-<br />

LAUME BERLIER - ROBERT JAY , GAZZOT DE<br />

HAUTEVILLE, JEAN FONTAINE.<br />

C IILBERT.<br />

Par ici, mes amis, c'est une. hôtellerie.<br />

A l'Arche <strong>de</strong> Noé.<br />

J AY.<br />

flERLIER.<br />

L'<strong>en</strong>seigne est bi<strong>en</strong> choisie-<br />

POR VIL.<br />

A l'Arche <strong>de</strong> Noé! r<strong>en</strong>seigne nous promet<br />

Ï)c tous les animaux un recueil fort complet.<br />

CULBERT.<br />

Trouvons-y <strong>de</strong>s beautés d'une vertu facile


Tel gibier n'est pas rare.<br />

ACTE III, SCÈNE V.<br />

F O FT AI NE.<br />

BERLIER.<br />

Pourtant (le le chercher parmi nous.<br />

JAY.<br />

Il serait inutile<br />

Les amours<br />

Hélas! <strong>de</strong> notre camp nefont plus les beaux jours.<br />

N OR VIL.<br />

Jeanne craint vingt Anglais beaucoup moins qu'un scandale.<br />

BERLIER.<br />

Plus que <strong>de</strong> vingt Anglais, j'ai peur <strong>de</strong> la morale.<br />

GIJILBER T.<br />

Nous suivons un régime i nous r<strong>en</strong>dre tous saints.<br />

Oui, vrai Dieu!<br />

'(ORVIL.<br />

FONTAINE.<br />

Nous vivons comme <strong>de</strong>s capucin.<br />

19


JEANNE D'ARC,<br />

JAY.<br />

Ah ! si tu disais vrai, nous serions dans la joie.<br />

GAZZOT.<br />

Profitons du bon temps que le ciel nous <strong>en</strong>voie.<br />

Arrêtons-nous ici.<br />

Buvons!<br />

Jouons!<br />

GIJ1LBERT.<br />

JAY.<br />

Nargue du couvre-feu.<br />

GAZ ZOT,<br />

BERLIER.<br />

FONTAINE.<br />

Chantons!<br />

GUILBERT, frappant à la porte <strong>de</strong> l'hôtellerie.<br />

IloLt !quelqu'un ici<br />

Quelqu'un, par la mordicu!<br />

CAZZOT.


Des cartes!<br />

ACTE III, SCÈNE V. 147<br />

Du bon vin<br />

ORVIL.<br />

1k! l'hôtelier du diable<br />

L'hôte parait.<br />

JAY.<br />

GUILBERT.<br />

BERLIER.<br />

FONTAINE.<br />

Trois dés!<br />

Vile une table!<br />

L'hôtelier sot-i let<br />

revi<strong>en</strong>t avec ce qu'on lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

BEItLIEK.<br />

Va-t-cii sous les fagots nous chercher (lu meilleur.<br />

OIt VIL.<br />

Allons <strong>de</strong>pèclie-toi , maudit empoisonneur<br />

UOITAIE à Guilberi.<br />

liuilciuls-tu mon arg<strong>en</strong>t? il semble qu'il appelle<br />

Des parisis lassés d'être cii ton escarcelle.


--<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Le jeu vi<strong>en</strong>dra plus tard; comm<strong>en</strong>çons par goûter<br />

Ce que dans ces flacons on nous vi<strong>en</strong>t d'apporter.<br />

Pas mauvais, sur ma foi<br />

NOR VIL.<br />

IJERLIER.<br />

C'eût été grand dommage<br />

De laisser aux Anglais un aussi doux breuvage.<br />

La nuit est tout à fait tombée , 1'htc apporte une iatnpc , les hormiles<br />

d'armes sont assis et boiv<strong>en</strong>t.<br />

Hôtelier, payez-vous.<br />

A ses corripagnOns.<br />

NORVIL IL 1'1iite.<br />

Le jeu dira bi<strong>en</strong>tôt<br />

S'il <strong>en</strong> est parmi vous qui me <strong>de</strong>vront l'écot.<br />

Gijil 11f R'!' chante.<br />

Gros nez, qui te regar<strong>de</strong> à travers un grand veire.,<br />

Te trouve <strong>en</strong>core plus beau;<br />

Tu ne ressembles pas au nez d'un paurc hère<br />

Qui ne boit que <strong>de</strong> l'eau!


ACTE 111, scÈNI: \.<br />

0IIVIL.<br />

Au diable tes chansons (l'ivrogne, elles sont vieille'.<br />

BERLIER.<br />

Je vais par d'autres chants.....<br />

FONTAINE.<br />

Ecorcher nos oreillcs<br />

D 'autres hommes d'armess'approch<strong>en</strong>t ae.e <strong>de</strong>s fernttae.<br />

GAZZOT.<br />

lié ! mais, voici v<strong>en</strong>ir, attirés par le bruit,<br />

De nouveaux compagnons suivis d'oiseaux (le nuit.<br />

GUILBERI'.<br />

Oiseaux (le nuit ! Fi (Jonc, (lis <strong>de</strong> nymphes! .....<br />

JAY.<br />

Parées,<br />

Au lieu d'un bon r<strong>en</strong>om , (le Ceintures dorées.<br />

Quelques-uns <strong>de</strong>s hommes d'arme, vont au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s nouveau—v<strong>en</strong>u<br />

et les fuiti asseoir ils boiv<strong>en</strong>t , jou<strong>en</strong>t , causcti ri<strong>en</strong>t.<br />

149


150 JEANNE D'ARC.<br />

HERLJER chante.<br />

A sa f<strong>en</strong>trc, l'autre soir,<br />

J'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis <strong>de</strong> cette manière,<br />

Celle qui fut la belle licaulmière,<br />

Sur le temps prés<strong>en</strong>t se douloir:<br />

« hélas! les nus march<strong>en</strong>t si vite,<br />

« Que jo ne inc reconnais pas;<br />

» En me voyant si décrépite,<br />

» Dirait-on que j'eus tant d'appas. »<br />

'roui repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chœur tee quatre <strong>de</strong>rniers vers.<br />

EN CHOEUR.<br />

Hélas! les ans march<strong>en</strong>t si vite, etc.


ACTE III, SI;E \ I 1:iI<br />

SCÈNE VI.<br />

JEANNE parait, et s'arrête interdite près <strong>de</strong> la cathédrale.<br />

JEANNE,<br />

Qui donc près du saint lieu pousse <strong>de</strong>s chants profanes<br />

L'ivresse! <strong>de</strong>s soldats! le jeu! (les courtisanes<br />

Qui vi<strong>en</strong>t?<br />

Regar<strong>de</strong>.<br />

FONTAINE.<br />

GULJ3ER1.<br />

FONTAINE.<br />

JAY.<br />

Jeanne!<br />

Eh bi<strong>en</strong> ! à sa santé;<br />

L'air est doux, <strong>de</strong>ux beaux veux brill<strong>en</strong>t à mon côté,<br />

Le vin est excell<strong>en</strong>t, et je reste à ma place.


52<br />

A Berlier.<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Achève ta chanson; allons , un peu d'audace.<br />

JEANINE aux femmes.<br />

Du temple Jésus-Christ a chassé les v<strong>en</strong><strong>de</strong>urs<br />

Et vous v<strong>en</strong>ez ici v<strong>en</strong>dre vos impu<strong>de</strong>urs<br />

Arrière, éloignez-vous, infâmes créatures;<br />

Allez chercher ailleurs le prix (le vos souillu t'es.<br />

Les hommes d'armes se lèv<strong>en</strong>t.<br />

CAZZOT.<br />

De quel droit v<strong>en</strong>ez-vous pricher ainsi?<br />

REIILIER.<br />

Ne passez-vous donc pas votre chemin?<br />

FONTAINE.<br />

Pourquoi<br />

Eh quoi<br />

Vous croyez-vous contrainte, ô bergère effarée,<br />

De v<strong>en</strong>ir rechercher la brebis égarée?<br />

N OR VIL<br />

II ne nous fallait pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pour troupeau.


À(TE HI, SCI:NE n<br />

FONTAINE.<br />

Que le loup du mouton rejette <strong>en</strong>fin la peau<br />

JAY.<br />

Laissez-nous être <strong>en</strong>ajx d'liots hommes (l'armes.<br />

Ainiant, buvant, pillant et tuant sans alarmes.<br />

Qui m'ose ainsi parler?<br />

JEAT'NE.<br />

FONTAJr(I.<br />

Sommes-nous (les Anglais.<br />

Pour trembler (levant vous?<br />

JEANNE.<br />

S'ils ont été défaits,<br />

C'est pal' DÎCLI seul , et vous outragez sa <strong>de</strong>meure;<br />

Fuyez<br />

LES 110-MMES D'AflhIJ•:s.<br />

Fuyez VOUS-rn(flll'.<br />

•JI:Av'l:,<br />

User <strong>de</strong> violcnt• , et m Iolvel(z-<br />

A tirer flOU épée.


JEANNE D'ARC<br />

Elle tire 50fl épée et veut <strong>en</strong> frapper un <strong>de</strong>s hommes darmes, il évite<br />

le coup, la lame r<strong>en</strong>contre la muraille et sole <strong>en</strong> éclats.<br />

O ciel!<br />

LES HOMES D'ARMES regardant avec consternation l'épée brisée.<br />

Eloignons-nous!<br />

Ils se dispers<strong>en</strong>t.


ACTE 111, SCENE VII. 155<br />

SCÈNE VII.<br />

JEAjNE, dans le plus grand trouble.<br />

O mon Dieu! qu'ai-Je fait?.... mon épée est brisée<br />

Cette arme si souv<strong>en</strong>t aux combats exposée....<br />

Malheur ! Malheur! Cette arme que mes voix<br />

M'avai<strong>en</strong>t fait découvrir sous l'autel tic Fierbois,<br />

En voilà les morceaux! Ah j'étais trop sévère;<br />

Le Seigneur eut pitié <strong>de</strong>s Pleurs <strong>de</strong> l'adultère;<br />

Il laissa <strong>de</strong>vant lui Ma<strong>de</strong>laine à g<strong>en</strong>oux,<br />

Répandre sur ses pieds les parfums les plus doux.<br />

Quel droit avais-je donc, pour oser, faible femme,<br />

Aunom du Dieu clém<strong>en</strong>t, faire tomber le blàrne<br />

Pour prét<strong>en</strong>dre m'armer (le sa sévérité?<br />

Le ciel veut châtier ma folle vanité<br />

Le ciel veut plus <strong>en</strong>cor, le ciel me prophétise<br />

Qu'à prés<strong>en</strong>t c'<strong>en</strong> est fait.... Cet acier qui se brise<br />

Me dit : je ne dois plus désormais te servir.<br />

Et Charle à mon départ ne veut pas cons<strong>en</strong>tir<br />

Il mc dit: marche <strong>en</strong>cor couverte <strong>de</strong> tes armes!<br />

Et loi , Dieu tout-puissant, pourtant tu inc désai'iucs<br />

Oh ! (lue faire que faire?.... An ges , saintes, parlez!<br />

Me montrant les Anglais, inc crierez-vous: allez !


J<br />

156 JEANNE 1)ARC.<br />

Me rappellerez-vous sous le toit <strong>de</strong> mon père?<br />

Dois-je <strong>en</strong>cor triompher? Mais tout se tait! Que faire<br />

Orléans est sauvé, j'ai fait sacrer un roi,<br />

Et soudain l'av<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t soiuubre pour moi.<br />

Tous ces jours 11011 éclos (lOflt jadis <strong>de</strong>s extases,<br />

Comme d'un temps passé, me révélai<strong>en</strong>t les phases<br />

Se cach<strong>en</strong>t à prés<strong>en</strong>t sous <strong>de</strong>s voiles épais....<br />

Mes regards pourront-ils les percer désormais?<br />

Je ne vois plus (le but , et je marche sans gui<strong>de</strong>.<br />

hélas ! je ne suis puis qtf une femme intrépi<strong>de</strong>,<br />

Et l'on veut cep<strong>en</strong>dant que je comman<strong>de</strong> <strong>en</strong>cor<br />

On' veutque je repr<strong>en</strong>ne un vigoureux essor!<br />

Mais linspiralion <strong>de</strong> mon coeur se relire<br />

Ces soldats qu'on me donne, où vais-je les conduire?<br />

Puis-je <strong>en</strong>cor leur ouvrir un glorieux chemin ?<br />

Mon courage , mes plans n'ont plus ri<strong>en</strong> que d'humain.<br />

Les chiel l'ont dit, pourtant : si je quitte l'armée,<br />

Ils ne dirigeront qu'une foule alarmée,<br />

Que (le nouveau l'Anglais <strong>de</strong>vant lui verra fuir.<br />

Eh bi<strong>en</strong>! que la patrie <strong>en</strong> moi trouve un martyr<br />

Mais (mcl bruit vi<strong>en</strong>t soudain vibrer à mon oreille ?<br />

Dieu I l'inspiration dans mon ànie s'éveille<br />

Quelle terrible vision<br />

Ils r<strong>en</strong>aiss<strong>en</strong>t pour moi les grands jours (les batailles:<br />

Sons le choc <strong>de</strong>s combats, terre , au loin tu tressailles,<br />

Et je poursuis ma mission<br />

Comme <strong>de</strong>s épis mûrs, les casques se balaiic<strong>en</strong>t<br />

Smblables aux torr<strong>en</strong>ts, (le tous cÔtés s'avanc<strong>en</strong>t


ACTE III, SCÈNE vil.<br />

D'épaisses foules <strong>de</strong> guerriers.<br />

Des murailles (l'acier s'alongciit dans la plaine;<br />

Les chevaux, que le frein peut ret<strong>en</strong>ir a peine,<br />

Se cabr<strong>en</strong>t sous les cavaliers.<br />

L'éclat du fer s'unit à l'éclat <strong>de</strong> la flamme<br />

Qui jaillit et (lui tonne, et qui, brûlante trame<br />

Enveloppe les combattants.<br />

Le sable et la fumée <strong>en</strong> tourbillons ondoi<strong>en</strong>t;<br />

Les hommes, les coursiers se mticnt et tournoi<strong>en</strong>t<br />

Sous le v<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s drapeaux Ilottants.<br />

Les imprécations, les clameurs se confond<strong>en</strong>t:<br />

La terre boit le sang, partout les canons grond<strong>en</strong>t<br />

Et lorsque l'affreux tourbillon<br />

S'éclaircit nui instant sous le boulet qui passe<br />

Des cadavres sans nombre indiqu<strong>en</strong>t seuls la place<br />

Où s'alignait un bataillon.<br />

Mais les cris belliqueux que jcnt<strong>en</strong>dais se tais<strong>en</strong>t,<br />

Les grands bruits <strong>de</strong>s combats autour (le moi s'apais<strong>en</strong>t<br />

Des clefs ferm<strong>en</strong>t une prison.... to<br />

l)ans Fa<strong>en</strong>ir obscur je ne lis plus qu'à peine.<br />

fi, je 11'CIIEefl(ls plus ri<strong>en</strong> quun grincem<strong>en</strong>t(le chaiuic.<br />

Mon Dieu ! la mort, la trahison<br />

Je t'ai béni, ci-lieur, dans uuie juur> tic victoire<br />

Si les douleurs, la mort, Stii\tflI (le près la gloire


ffl JEANNE D'ARC.<br />

Je saurais <strong>en</strong>core te bénir.<br />

Devant moi je n'ai plus une longue exist<strong>en</strong>ce<br />

Puisse-t-elle suAire au salut <strong>de</strong> la France<br />

Et j'ai le plus bel av<strong>en</strong>ir


I<br />

ACTE HI, SCÈNE VIII. 159<br />

SCÈNE P4TIiJ<br />

JEANNE, JACQUES, RAYMOND.<br />

JACQUES.<br />

Ma fille tar<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> à paraître.<br />

RAYMOND.<br />

JACQUES.<br />

C'est elle!<br />

Je n'ose m'avancer, je tremble et je chancelle.<br />

Ah! Raymond, Charles Sept s'oppose û son départ;<br />

D'une heureuse nouvelle elle nous eût fait part<br />

Déjà. - Ma fille, eh bi<strong>en</strong>?<br />

JEANNE.<br />

JAQUES.<br />

Du courage, mon père!<br />

Je l'avais dit: le roi dans ses plans persévère;


JEANNE D'ARC.<br />

Il la gar<strong>de</strong> avec lui.... je Favais <strong>de</strong>viné.<br />

Que fait (1011e à ce roi, pal la main couronné<br />

Qu'un père au désespoir le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et te pleure<br />

Qu'importe ce vieillard? qu'il viN c ou bi<strong>en</strong> qu'il meure<br />

Quimporte cette vie 011 celle mort? Le moi<br />

T'ordonne <strong>de</strong> rester.... Eh bi<strong>en</strong> ! à mon tour, moi<br />

Je prét<strong>en</strong>ds ordonner à mon tour, (jIIC m'importe<br />

Ce roi? Que l'<strong>en</strong>nemi soit battu, qu'il remporte<br />

Des victoires <strong>en</strong>cor, que m'importe ? C'est toi<br />

Toi seule que je veux.... Un père est plus qu'un moi;<br />

Un roi n'a pas pas le di-oit <strong>de</strong> m'arracher nia fille!<br />

J EANNE.<br />

Dieu veut que le pays soit plus que la famille.<br />

JACQUES.<br />

A mon ordre oses-tu résister?<br />

JEANNE.<br />

JACQUES.<br />

Tu me désobéis une secon<strong>de</strong> fois!<br />

Je le dois.<br />

Rempli du désespoir qui maint<strong>en</strong>ant m'inspire<br />

Lorsque lu nous quittas, je voulus te maudire<br />

Ta mère alors retint mua malédiction.....<br />

Gràce! gràce!<br />

JEANNE.


ACTE HI, SCÈNE VIII. 461<br />

JACQUES.<br />

Tu ris <strong>de</strong> mon affliction,<br />

Et tu crois que fanrai pitié <strong>de</strong> toi? - Non!<br />

Ne nie maudissez pas.<br />

Ist près <strong>de</strong> Charles Sept.<br />

JEANNE.<br />

.1 tCQIJES.<br />

.1 EATfl.<br />

.JACQUES.<br />

JEANNE.<br />

Obéis (lOflC!<br />

Crâce<br />

Jlla place<br />

Tu ne iiie suivras pas?<br />

Le roi m'appelle <strong>en</strong>core à <strong>de</strong> nouveaux combats.<br />

Tu ne me suivras pas?<br />

J t CQT ES


102 JEANNE D'ARC.<br />

A notre mère, t tous.<br />

JEANNE.<br />

JACQUES.<br />

Je me dois t la France,<br />

Ta désobéissance<br />

Sera punie un jour, car un <strong>en</strong>fant maudit....<br />

Arrêtez ! arrêtez<br />

RAYMOND.<br />

JACQUES.<br />

Malheureux! qu'ai-je dit?<br />

JEANNE, aux gettoux <strong>de</strong> Jacques.<br />

Ah! <strong>de</strong>vons-nous <strong>en</strong>cor nous voir sur cette terre?<br />

Ne me maudissez pas; bénissez-moi, mon père.<br />

JACQUES.<br />

Mais j'étais ins<strong>en</strong>sé, j'étais fou <strong>de</strong> douleur;<br />

Te maudire, c'était maudire le Seigneur.<br />

J'osais lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que tu fusses punie!<br />

Pardon, mon Dieu! pardon! ô Jeanne, sois bénie!<br />

FIN DU TROIS1I04E ACTE.


ACTE QUATRIÈME.<br />

Une prison dans la grosse tour du cbfleau <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> ; au fond, un<br />

f<strong>en</strong>trc donnant sur une cour; à la droite <strong>de</strong> cette fcndtre, une<br />

porte à ogive; à gauche, une autre porte plus petite; du niiwe<br />

edté, dans la paroi latérale, u!, <strong>en</strong>knccmem<strong>en</strong>t formant une espèce<br />

<strong>de</strong> cabinet où se trouve k lit <strong>de</strong> Jeanne.<br />

SCÈNE I.<br />

JEANNE.<br />

Ce rayon <strong>de</strong> soleil qui, triste et pûle, arrive<br />

A travers les barreaux à la pauvre captive,<br />

Est-il bleu un rayon du soleil radieux<br />

Qui sur nies jeunes ans versait <strong>de</strong> si doux feux?<br />

Qui répandait les flots <strong>de</strong> sa chau<strong>de</strong> lumière<br />

Sur nos champs verdoyants et sur cette chaumière


A 6 JEANNE I)'ARC.<br />

Où mes rêves fuyai<strong>en</strong>t aux premiers bruits du jour;<br />

Où, le coeur tout rempli par un divin amour,<br />

Je remerciais Dieu <strong>de</strong> l'aurore sereine,<br />

Des brises qui courai<strong>en</strong>t embaumant leur haleine<br />

De la fraîche s<strong>en</strong>teur du serpolet, du thym,<br />

Et <strong>de</strong> tous les parfums qu'exhale le matin?<br />

M'éveillerai-je <strong>en</strong>cor au cri si gai que jette.<br />

En s'élaneant dans l'air, la rapi<strong>de</strong> alouette?<br />

Au vif gazouillem<strong>en</strong>t d'une foule d'oiseaux<br />

Humi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> rosée au milieu <strong>de</strong>s rameaux?<br />

Ma gloire faut-il donc qu'un long tourm<strong>en</strong>t l'expie?<br />

L'An glais commettra-t-il une action impie?<br />

Vaincu dans les combats, croit-il que <strong>de</strong>s bourreaux<br />

p ourront r<strong>en</strong>dre jamais l'honneur à ses drapeaux ?<br />

Des meurtres l'av<strong>en</strong>ir conserve la mémoire;<br />

De sa honte l'Anglais perpétuera l'histoire,<br />

En p<strong>en</strong>sant, avec moi, pouvoir l'<strong>en</strong>sevelir.....<br />

Mais cette honte, hélas! elle va rejaillir<br />

Sui' ceux qui si longtemps fur<strong>en</strong>t mes frères d'armes!<br />

Que leur font aujourd'hui mes douleurs et mes larmes?<br />

De miracles divins ils étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vieux....<br />

Si je suis à Rou<strong>en</strong>, je le dois à l'un d'eux!<br />

Gouverneur (le Compiègne, ah! que Dieu vous pardonne! £<br />

Mais pourquoi donc, pourquoi, puisque l'on m'abandonne.<br />

Après son sacre à Rheims, Chiarle a-t-il repoussé<br />

Un voeu qui, sans danger, pouvait être exaucé!<br />

Alors, on le disait, j'avais sauvé la France,<br />

Et je ne <strong>de</strong>mandais 1)0111' toute récomp<strong>en</strong>se<br />

Que d'aller retrouver, près d'un humble foer,


ACTE IV, SCÈNE I. I65<br />

Les faciles bonheurs qu'on ne peut oublier.<br />

Ce (lue je <strong>de</strong>mandais, c'était une vallée,<br />

De grands prés, le coteau , la chapelle. isolée;<br />

La Meuse <strong>en</strong>tre ses bords couverts d 'uii frais gazon<br />

Tout cc que, si longtemps, j'eus pour seul horizon....


166 JEANNE D'ARC.<br />

SCÈNE II.<br />

JEANNE, LOYSELEUII.<br />

JEANNE.<br />

Ah! Loyseleur, c'est vous; que Dieu vous récomp<strong>en</strong>se,<br />

Vous, assez courageux pour pr<strong>en</strong>dre ma déf<strong>en</strong>se.<br />

LOYSELEUR.<br />

Oh t combi<strong>en</strong> je voudrais la pr<strong>en</strong>dre ouvertem<strong>en</strong>t!<br />

Oh! combi<strong>en</strong> je voudrais proclamer hautem<strong>en</strong>t,<br />

Devant ses <strong>en</strong>nemis, que Jeanne est innoc<strong>en</strong>te!<br />

Cette franchise, hélas! serait trop imprud<strong>en</strong>te:<br />

S'intéresser à vous, c'est être criminel;<br />

Et sans cesse il me faut, sous un discours cruel,<br />

Cacher le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui, dans mon âme émue,<br />

Est né le premier jour, Jeanne, où je vous ai vue.<br />

Oui, ce n'est qu'<strong>en</strong> sachant ainsi dissimuler,<br />

Que j'obti<strong>en</strong>s <strong>de</strong> vous voir et tic vous consoler.<br />

Il est étrange et faux le rôle que je joue:<br />

Je dois accuser celle à qui je me dévoue;<br />

Pour que <strong>de</strong> mes avis je la puisse servir,<br />

Je dois à chaque instant feindre <strong>de</strong> la haïr.


ACTE IV, SCÈNE H. 167<br />

Qu'importe, si je hâte ainsi cette journée<br />

Jeanne, où la liberté vous sera redonnée!<br />

JEANNE.<br />

Libre! Être libre <strong>en</strong>cor.... Libre! c'est un espoir<br />

Que <strong>de</strong>puis bi<strong>en</strong> longtemps je n'ose concevoir.<br />

L'évêque <strong>de</strong> Beauvais vous a pour secrétaire,<br />

Ne connaissez-vous pas quel est son caractère?<br />

Et ne savez-vous pas qu'il conduit ic procès?<br />

Oh ! comm<strong>en</strong>t pouvez-vous me flatter d'un succès<br />

L'évêque (le Beauvais me choisit pour victime,<br />

II est le plus avi<strong>de</strong> à me chercher un crime.<br />

Chassé d'un diocèse irrité contre lui,<br />

Par ma mort, <strong>de</strong>s Anglais il veut payer l'appui.<br />

LOYSELETJR.<br />

Vous laisser innoc<strong>en</strong>te <strong>en</strong>traîner au supplice,<br />

Ce serait <strong>de</strong>s bourreaux <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir le complice.<br />

Si l'on vous condamnait, autour <strong>de</strong> ce cachot<br />

Le peuple <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> s'ameuterait bi<strong>en</strong>tôt.<br />

Le peuple <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong> vous plaint et vous admire;<br />

Je n'ai, pour l'<strong>en</strong>traîner, que quelques mots à dire;<br />

La force détruirait l'oeuvre d'iniquité.<br />

Je consacre ma vie à votre liberté,<br />

Vous serez libre, Jeanne, ounousmourrons <strong>en</strong>semble!<br />

S'il ose prononcer votre arrèt, ah! qu'il tremble,<br />

Qu'il tremble cet indigne et lâche tribunal,<br />

Qui omis veut un bûcher ait lieu d'un pié<strong>de</strong>stal


InS JEANNE D'ARC.<br />

Qui méconnaît <strong>en</strong> vous la puissance divine<br />

Et donne à vos exploits l'<strong>en</strong>fer pour origine.<br />

Mais sans <strong>en</strong> appeler au peuple révolté,<br />

Oh! vous verrez finir votre captivité,<br />

Car il faut un motif pour que l'on vous condamne;<br />

Vous n'ètes las coupable. A vous absoudre, Jeanne,<br />

Vos juges avant peu se trouveront forcés.<br />

Aux discours captieux qui vous sont adressés,<br />

Je vous ai déjà dit les réponses à faire;<br />

Poursuivez, tout bi<strong>en</strong>tôt sera fini , j'espère.<br />

JEANNE.<br />

,le sais apprécier cc que vaut le secours<br />

Que vous v<strong>en</strong>ez m'offrir au péril <strong>de</strong> vos jour,<br />

Et selon vos avis vous m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>drez répondre,<br />

Lorsque le tribunal, espérant me confondre<br />

Propose à mon esprit <strong>de</strong> ces subtilités<br />

Dont on gar<strong>de</strong> les clefs aux universités.<br />

Mais n'allez pas p<strong>en</strong>ser que jamais je déguise<br />

Ri<strong>en</strong> (le cc qui regar<strong>de</strong> une sainte <strong>en</strong>treprise.<br />

Lorsque les assesseurs me font <strong>de</strong>s questions<br />

Concernant mes exploits, mes révélations,<br />

Ali! je n'ai pas besoin que itiil me vi<strong>en</strong>ne appr<strong>en</strong>dre<br />

Quelle réponse alors je (lois leur faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre;<br />

J'éprouve un noble orgueil quand je puis raconter<br />

Ce que l'ordre (le Dieu m'a fait exécuter.<br />

Comme, dans d'antres temps, je me s<strong>en</strong>s gran<strong>de</strong> et fière,<br />

Et je triomphe <strong>en</strong>core eu étant prisonnière


ACTE 1V, SCÈNE II.<br />

I 4.) SE I EUH.<br />

Oui mais vous irritez vos <strong>en</strong>nemis. Enfin<br />

De Ce ,ombre procès quelle (JIIC soit la fin<br />

Jeanne, n'oubliez-pas qu'il est une personne<br />

A qui la prisonnière <strong>en</strong> souveraine ordonne;<br />

Qu'un homme est toujours l\ , prêt à vous obéir;<br />

Que sur un mot <strong>de</strong> vous, cet lioiiune, sans pâlir,<br />

Saura tout affronter, juges, bourreaux, supplices;<br />

Que cet homme ne craint tourm<strong>en</strong>ts ni sacrifices;<br />

Qu'à prés<strong>en</strong>t tians sa vie il ne voit plus qu'un but,<br />

[hit magnifique et grand , Jeanne, votre salut.!<br />

Le sain L d'un héros, (l'une feinnic sublime<br />

Pour laquelle on voudrait cliaiigcr la gloire <strong>en</strong> crime crime...<br />

Mais je VOUS quitte, on vi<strong>en</strong>t, on <strong>en</strong>tre dans la tour.<br />

'j')<br />

169<br />

1


__<br />

470 JEANNE D'ARC.<br />

SCÈNE III.<br />

JEANNE, LE COMTE DE WARWICK, LE DUC DE<br />

LUXEMBOURG, UN GENTILhOMME ANGLAIS. -<br />

LOYSELEUR S'jc1jnc <strong>de</strong>vant eux et sort.<br />

JEANNE.<br />

Le comte <strong>de</strong> Warwick, Le duc <strong>de</strong> Luxembourg!<br />

Au duc.<br />

Seigneur duc, c'est à vous que je me suis r<strong>en</strong>due;<br />

Vous m'avez aux Anglais, pour un PCU d'or, v<strong>en</strong>due;<br />

Vous osez <strong>de</strong>vant moi vous prés<strong>en</strong>ter <strong>en</strong>cor,<br />

Ce courage est-il bi<strong>en</strong> d'un chevalier?<br />

Au comte.<br />

Milord,<br />

Vos gar<strong>de</strong>s, vos geôliers sont pleins <strong>de</strong> vigilance,<br />

Ils sont dignes <strong>en</strong> tout <strong>de</strong> votre confiance;<br />

L'oeil du maître ne peut ri<strong>en</strong> ajouter, je croi,<br />

Au soin avec lequel ils veill<strong>en</strong>t tous sur moi.


ACTE IV, SCÈNE III. 171<br />

LE DUC DE LUXEMBOURG.<br />

Jeanne, c'est la pitié qui vers vous nous amène,<br />

JEANNE.<br />

A moi, votre pitié! j'aime mieux Votre haine<br />

WARWICK.<br />

Vous ne savez donc pas quel intérêt si grand<br />

Aux maux que vous souffrez, à votre valeur, pr<strong>en</strong>d<br />

Quiconque vous a vue <strong>en</strong> <strong>de</strong>s jours (te batailles?<br />

Je voudrais <strong>de</strong>vant vous r<strong>en</strong>verser ces murailles<br />

Et si <strong>de</strong>s chevaliers conduisai<strong>en</strong>t le procès.<br />

Je ne douterais pas un instant du succès.<br />

Hélas! l'Église seule a le droit <strong>de</strong> l'instruire,<br />

Et <strong>de</strong>vant le prélat le guerrier se retire.<br />

Si vous aviez nié ces révélations,<br />

Ces songes singuliers, ces apparitions<br />

Qui font <strong>de</strong> votre vie un étrange mystère,<br />

Oit aurait traitée <strong>en</strong> prisonnier <strong>de</strong> guerre;<br />

Et maint<strong>en</strong>ant, peut-être , il serait <strong>en</strong>cor temps,<br />

Jeanne , <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre ainsi vos juges indulg<strong>en</strong>ts.<br />

Vous pouvez les fléchir.<br />

JEAN NE.<br />

Vous voulez que je dise<br />

Le ciel ne fut pour ri<strong>en</strong> dans la France reprise<br />

J'ai trompé Charles Sept, les chefs et les soldats<br />

Le hasard m'a fait vaincre <strong>en</strong> ('inquimic combats


JEANNE D'ARC.<br />

Jai parlé plusieurs fois <strong>de</strong>s séraphins <strong>de</strong>s anges,<br />

Je frappais les esp r its par CeS fables étranges;<br />

M'adressant <strong>de</strong> la sorte à la crédulité<br />

Je m'<strong>en</strong>tourais <strong>en</strong>cor <strong>de</strong> p1 d'autorité .....<br />

VOUS obéir, milord, ne serait-ce pas dire<br />

La terreur, bi<strong>en</strong> à tort, l'Angleterre l'iIISI)ire,<br />

Puisqu'une simple femme n su reconquérir<br />

Un ro yaume où Bcdfort avait cru s'établir,<br />

t puisque , sans (piC Dieu la gui<strong>de</strong> ou la protége,<br />

Cette feiiiiiie vulgaire a fait lever un siége<br />

fait trembler SulTolk dans les murs <strong>de</strong> Ger-eau<br />

Est <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> ces murs qu'elle emporta d'assaut,<br />

A battu les Anglais sur la Loire, <strong>en</strong> Champagne<br />

Derrière <strong>de</strong>s remparts, comme <strong>en</strong> rase campagne<br />

Et puis un jou i', à illiciins • <strong>de</strong>vant le maître-autel<br />

\ fait un front <strong>de</strong> roi SOUS l'onction du ciel.<br />

LE GENTILHOMME , \Varwick,<br />

Monseigneur, vous souffrez une telle insol<strong>en</strong>ce<br />

JEANNE.<br />

Je ime parlerai pas ainsi, car ma puissance<br />

3e la reçus <strong>de</strong> Dieu , <strong>de</strong> Dieu seul ! Le nier.<br />

Ce serait étre infâme et le répudier.<br />

Oui, c'est Dieu qui m'arma, c'est ])ici' qui nie fit gran<strong>de</strong>;<br />

Vous avez un bourreau qifit si<strong>en</strong>ne et nie <strong>de</strong>imian<strong>de</strong><br />

iVCC les chevalets, les t<strong>en</strong>ailles, le leti<br />

Qui m'arma ? Connue à vous , je répondrai c'est Dieu<br />

1


t<br />

ACTE 1V, SCENE M.<br />

Quand recomm<strong>en</strong>cera mon interrogatoire<br />

Je l'att<strong>en</strong>ds; avec lui recomm<strong>en</strong>ce ma loiic I<br />

WARWICX.<br />

Vous ne tar<strong>de</strong>rez pas à voir combler vos voeux<br />

Vos juges vont bi<strong>en</strong>tôt se r<strong>en</strong>dre dans ces lieux<br />

L'heure sonne, écoutez : celte heure les appelle.<br />

JEANNE.<br />

S'assembler dans ces lieux , et non (buis la ehmapelh'<br />

I)ii chûteau <strong>de</strong> Saint-Ou<strong>en</strong> ! pourquoi? par quel inotiL'<br />

Ali! je compr<strong>en</strong>ds, j'excite un intérêt trop vif<br />

Parmi les auditeurs; ici , la l)I'Oeédtul'c<br />

Sans doute, marchera d'une faroit plus sirc.<br />

Car tout un peuple ici, l' oeil triste et le front Jia<br />

Contre vos jugem<strong>en</strong>ts ne proteslera pas.<br />

Vous serez <strong>en</strong>tre vous. Ccsl. bi<strong>en</strong> , 111111e parole<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s barreaux et <strong>de</strong>s tours ne s'<strong>en</strong>vole<br />

'Fout est muet et sourd au fond <strong>de</strong> la prison.<br />

Ah ! l'on s'assemble ici I... Les juges ont raison<br />

Ils seront seuls du moins, seuls à pouvoir cnteud e<br />

Des discours qu'il serait dangereux (le r(paIm(1Ie.<br />

Contre ces sombres murs mua voix se brisera<br />

Quand <strong>en</strong> cris d'espérance vile ret<strong>en</strong> lira<br />

Quand je répéterai que l'Aimglais , quoi qu'il fas-c<br />

I)c honte et (le douleur se ouvra la face<br />

Quand je répéterai tjuic sur le sol fi tuu-,<br />

Le houe iluleii,r mu lIt'sCIii


174<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Que tant que ses débris parsemeront la France,<br />

Elle les secouera d'une secousse imm<strong>en</strong>se<br />

Que tant qu'IlIl seul donjon portera vos drapeaux<br />

lIle ne connaîtra ni trêves ni repos;<br />

Et que vous la verrez, la France, belle cL fière,<br />

Appuyant son long bras sur nia blanche bannière,<br />

Faisant tomber l'azur autour d'elle <strong>en</strong> longs plis<br />

Et le front couronné <strong>de</strong>s vieilles fleurs <strong>de</strong> lis,<br />

En reine, précé<strong>de</strong>r les peuples <strong>de</strong> la terre,<br />

Et braver i jamais l'effort <strong>de</strong> l'Angleterre!<br />

LE GENTILHOMME se jetant sur Jeanne, un poignard à la main.<br />

Que ce poignard répon<strong>de</strong> à ta prédiction!<br />

LE DUC DE LUXEI'tIDOVLIG 'e ret<strong>en</strong>ant.<br />

Arrêtez, malheureux<br />

Ptignardcr LUIC leiiiiiie<br />

LE GENTIL II OMM 1:.<br />

Ah ! iiialédiction<br />

LE DUC DE LUXEMBOURG.<br />

LE GETIL1IOMME.<br />

insulter l'Aiidcteri'e


iiiitai ui<br />

A Jeann.<br />

ACTE 1V, SCÈNE III. 175<br />

Eh bi<strong>en</strong>! laissez-les 1aii'


74;<br />

SCL\E IV.<br />

Ij: MÉMES PIERRE DE BEAUVAIS, TROiS NOlAiflL'<br />

.poST0L1QUES 1 JEAN D'ESTIVET, JEAN BEAUÊRE,<br />

PII!STEURS AUTRES ASSESSEURS, FRIRE MARTIN LAD-<br />

VENU; ils s'avanc<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t place sur (les<br />

bancs que l'on n apportés. WARWICR, LUXEMBOURG<br />

41 le GENTILHOMW ANULAIS se mèl<strong>en</strong>t :t e(lx.<br />

IUIIIU<br />

kauie * ap1nothcz h ez Li m;iiii ci<br />

Sur le saint Évangile apporté (levant vous,<br />

I)e vous montrer cii tout véridique et sincère;<br />

Accomplissez ciilin la formule ordinaire.<br />

IIL<br />

De parler sans détour, coiiirnc sans fausseté,<br />

De, dire <strong>de</strong>vant vous la seule vérité,<br />

Sur tout ce qui pourrait au procès être utile<br />

Je le jure, la main sur le saint Évangile.


ACTE IV, SCENE Iv. 177<br />

D'ESTIVET I Jeanne.<br />

Sur votre ét<strong>en</strong>dard blanc et parsemé dc lis<br />

Le saint 1111111 <strong>de</strong> Marie et <strong>de</strong> son divin lits<br />

Brillai<strong>en</strong>t cii lettres d'or au-<strong>de</strong>ssous d'un nuage,<br />

Où vous aviez , du Christ, fait retracer l'image?<br />

Dieu Je voulait ainsi.<br />

1.<br />

JEANNE.<br />

PIERRE.<br />

Nous direz-vous l)OIllquoi<br />

Alors que Fou sacrait votre prét<strong>en</strong>du roi<br />

On vous vil tout le temps que dura le mystère<br />

Ait Pied (lii niaitre-autel t<strong>en</strong>ir volte l)annièrc<br />

JEANNE.<br />

!.)iii pr<strong>en</strong>d j).lI't au péril doit l'avoir ù Flionneur<br />

C'est justice, je crois. —Mon drapeau, monseigneur,<br />

Dans ce jour dc triomphe était bi<strong>en</strong> à sa place.<br />

D'ESTIVJÇF.<br />

Pciisez-vous à prés<strong>en</strong>t étre <strong>en</strong> état <strong>de</strong> grûce ?<br />

JEANNE.<br />

Sijy suis, Dieu m' y gar<strong>de</strong>, et si je nv suis pas<br />

Que Dieu veuille iiiv mettre


e<br />

478 JEANNE D'ARC<br />

PIERRE.<br />

En marchant aux combats,<br />

N'avez-vous donc jamais ernJ)IOyé <strong>de</strong> pratiques<br />

Que l'Église réprouve cL traite <strong>de</strong> magiques;<br />

Dit <strong>de</strong>s mots inconnus, étranges?<br />

JEAE.<br />

.I(tcz-Vous hardim<strong>en</strong>t au milieu <strong>de</strong>s Anglais<br />

Et ni'y jetais moi-méfie.<br />

I)'ISl IV ET.<br />

Je disais:<br />

Est-ce un ordre céleste<br />

Qui vous a fait, choisir cet habit jnmnmo(lcste?R<br />

JEANE.<br />

Guerrier par mes travaux, je <strong>de</strong>vais l'être aussi<br />

Par mon habillem<strong>en</strong>t.<br />

D'ESTIVET.<br />

JEANNE.<br />

Mais à prés<strong>en</strong>t, ici?<br />

Qui inc gar<strong>de</strong>? - Ce sont ces mêmes hommes ([armes<br />

Que vin gt fois j'ai vus fuir, Poussant <strong>de</strong>s cris d'alarmes.


ACTE IV, SCENE IV. 179<br />

Ces indignes soldats chang<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lâcheté.<br />

PIERRE.<br />

Vous prét<strong>en</strong><strong>de</strong>z qu'à vous Dieu s'est manifesté;<br />

Sans doute, vois savez le peuple qu'il préfère?<br />

Dieu chérit mon pays.<br />

JEANNE.<br />

PIERRE.<br />

J EANE.<br />

II liait donc l'Angleterre<br />

Je le répéterai: les Français vous vaincront:<br />

I lors ceux qui seI'OIIt morts, tous les Anglais fuiront."<br />

Qui vous l'a (lit<br />

D'ESTIVET.<br />

JEANNE.<br />

Mes voix.<br />

D'ESTIVET.<br />

Quand?


8() JEANNE D'ARC.<br />

JEANNE.<br />

hier, la voix sainte<br />

M'a, (le plus, ordonné (le vous parler sans crainte.<br />

PIERRE.<br />

Puisque tous les <strong>de</strong>stins vous sont ainsi prcdihs,<br />

Dites, qui vous attcnd<br />

JEANNE.<br />

H'ESTIYET,<br />

La paix (lu l)ara(Ijs. paradis. 42<br />

Charles Sept crut <strong>en</strong> vous, grâce à quel stratagème?<br />

JEANNE.<br />

Allez l'interroger, qu'il répon<strong>de</strong> lui-même.<br />

DESTIVET.<br />

Votre père connut vos projets <strong>de</strong> départ?<br />

Non, il les eùt blâmés.<br />

JEANNE.


Vous l'avez délaissé?....<br />

AC'I'E IV, SCE\I IV. 184<br />

D'ESTIVET.<br />

MANNE.<br />

»ESTIVET.<br />

Ainsi donc, ce vieillard,<br />

Jt vous n'avez pas craint (l'irriter votre père<br />

De quitter Doinremy sans avoir son aveu?<br />

JEANNE.<br />

Lui (l(SohtiSsa1It j'obéissais i Dieu.<br />

PIERRE.<br />

M'attirant; sa colère.<br />

Quelle (tait votre vie au temps <strong>de</strong> votre <strong>en</strong>fance?<br />

J EANE.<br />

De grâce, monseigiicur, respectez la souffrance<br />

Que me fait; éprouver le poignant souv<strong>en</strong>ir<br />

De bonheurs qui , pour moi, ne peuv<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>ir.<br />

Ne inc rappelez pas û moi, triste et caJ)tiVe<br />

Ces jours dont le regret comme un parfum m'arrive<br />

Parfum cliariimamit , terrible, ineffable , navrant<br />

Qui VOUS ôte la foi-ce et tue eu eliivralit


182<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Nous allons arriver û ces Pâques fleuries,<br />

Celte fête si belle, où les jeunes prairies<br />

Repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lcui' éclat, où les arbres tremblants<br />

Neige <strong>de</strong> douce o<strong>de</strong>ur, jett<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bouquets blancs;<br />

oit les bergers chantant VOflt susp<strong>en</strong>dre au vieux 1u4.re<br />

Des guirlan<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fleurs que le printemps fait naitre.<br />

Et moi je suis ici dans un horrible lieu<br />

Devant un tribunal.... prisoiinni' ic.... ô mon Dieu t<br />

PIERRE.<br />

Persistez-vous <strong>en</strong>cor, maint<strong>en</strong>ant, û prét<strong>en</strong>dre<br />

Que (les anges <strong>de</strong> vous se font souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre?<br />

Qu'ils vous vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t trouver sur l'ordre du Scigneur<br />

Ne continuez pas tin discours imposteur:<br />

Dites la vérité , montrez-vous rep<strong>en</strong>tante.<br />

Vous r<strong>en</strong>drez <strong>en</strong>vers vous la justice iuidulg<strong>en</strong>te<br />

Avouez seulem<strong>en</strong>t que vous <strong>en</strong> imposiez<br />

J EAC'E.<br />

C'est affreux, monseigneur, affreux! Vous supposiez<br />

Que par <strong>de</strong>s souv<strong>en</strong>irs VOUS 1l1aIraLI)Iiriez l\ine<br />

VOUS présumiez ainsi triompher (l'une f<strong>en</strong>ime<br />

En une IlOUVaI1I <strong>en</strong> pleurs , VOUS COHCCV1CZ l'espoir<br />

Que jétais abauue , et quomu allait me voir,<br />

Ne l)ou \ lu1t résister à (le telles lort.UECS<br />

llcar(lcI mes hauts faits voinuiv autant diiiiposttLres


ACTE IV, SCENE 1V.<br />

Avant <strong>de</strong> me tuer vous vouliez m'avilir;<br />

Mais la guerrière aura la force du martyr!<br />

FIERRE.<br />

Nous allons le savoir. Que le bourreau paraisse<br />

La petite porte située à la gauche <strong>de</strong> I5 f<strong>en</strong>ètre s'ouvre, et laisse voir<br />

un corridor sombre et étroit éclairé par <strong>de</strong>s torches ; h l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong><br />

ce corridor, parait le bourreau su milieu d'instrum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> torture<br />

près <strong>de</strong> lui sont ses ai<strong>de</strong>s et un chirurgi<strong>en</strong>. Pierre pliuc sa place<br />

ainsi que les assesseurs, et conduit Jeanne <strong>en</strong> face <strong>de</strong>s instrum<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> supplice.<br />

Il est temps à prés<strong>en</strong>t que la clém<strong>en</strong>ce cesse.<br />

En face tics tourm<strong>en</strong>ts le juge se taira,<br />

Et voilà désormais qui questionnera.<br />

Ces instrum<strong>en</strong>ts divers par la forme et la taille,<br />

Voyez-les. Regar<strong>de</strong>z celte horrible t<strong>en</strong>aille,<br />

Elle arrache à la fois les aveux et la chair.<br />

Approchez, regar<strong>de</strong>z tous ces monstres <strong>de</strong> fer;<br />

Leur aspect inconnu cause une horreur subite<br />

Mème à qui ne sachant quelle main les excite,<br />

Cherche à trouver û quoi l'on petit les <strong>en</strong>iplovei'.<br />

Montrant le bourreau.<br />

A cet homme l'on jette un coupable à hiover.<br />

Montrant le chirurgi<strong>en</strong>.<br />

Cet autre homme est celui (lui, sur le pouls, iiietire<br />

La force que l'on peut donner à la torture;


84<br />

JEANNE D'ARC.<br />

Qui , lorsqu'il s<strong>en</strong>t lavie au point dc sécttapper,<br />

Arrête les marteaux se levant pour frapper,<br />

Rassemble les morceaux du corps que l'oit déchire<br />

Et pour r<strong>en</strong>dre aux douleurs, empêche qu'oit expire.<br />

Jeanne, désarmez-nous par un sincère aveu,<br />

Car sinon....<br />

JEANNE reculant avec effroi.<br />

I)onnez-moi le courage, ô mon I)ieu<br />

I.ADVENIJ, regardant Pierre.<br />

Ces tourm<strong>en</strong>ts sont li<strong>en</strong> grands, niais le ciel ci' prépare<br />

1)e plus grands pour celui dont l'équité s'égare.<br />

PIERRE.<br />

Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-je quel outrage avez-vous prononcé?<br />

LAD VENU éclatant.<br />

J 'ai dit que <strong>de</strong>vant Dieu vous êtes !l'accusé,<br />

\TOLIS qui faites ici l'accusateur<br />

Pi ERRE à Ladv<strong>en</strong>it.<br />

Ou la Seine pourrait bi<strong>en</strong> charrier tua v<strong>en</strong>geance.<br />

Sil<strong>en</strong>ce!


ACTE 1V, SCÈNE 1V.<br />

LADS ENU à Jeanne.<br />

Il le faut , je nie tais, car si j'ajoute un mot.,<br />

Je fliC VOiS pour jamais fermer votre cachot<br />

Et, je veux cep<strong>en</strong>dant qu'une voix qui console,<br />

Puisse vous y porter la divine parole.<br />

PIERRE à Jeanne.<br />

C'est sur ce chevalet qu'on liera votre corps;<br />

L'eau le fer et le feu se succédant alors,<br />

En auront bi<strong>en</strong>tôt fait une effroyable plaie<br />

In amas dégoûtant dont la p<strong>en</strong>sée effraie.<br />

JEANNE.<br />

C'est la Palme Û prés<strong>en</strong>t, c'est la Palme <strong>de</strong>s saints<br />

Que Dieu, trahi par vous, veut remettre <strong>en</strong> mes mains.<br />

Je ne r<strong>en</strong>ierai pas sa céleste puissance;<br />

C'est Dieu qui iuiinspira. Que le bourreau conim<strong>en</strong>ce<br />

Jeanute tombe à g<strong>en</strong>oux et prie avec ferveur I.adv<strong>en</strong>u se tu<strong>en</strong>t auprès<br />

d'elle et semble prier aussi ; les bourreaux prépar<strong>en</strong>t les inslrumcnts<br />

<strong>de</strong> supplice; les assesseurs form<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s groupes sil<strong>en</strong>cieux ; Warwick,<br />

l'tv.q&us' (le Beauvais et d'EstivaL s'avanc<strong>en</strong>t sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène.<br />

PIERRE.<br />

Elle nt()iltl'e tOUjOUrS la même fermeté.<br />

D'ESTIVE'I'.<br />

La torture aisém<strong>en</strong>t yaiiuei'a cette fierté


JEANNE D'ARC.<br />

PIERRE<br />

Ia torturer serait hâter sa <strong>de</strong>rnière heure.<br />

WÀRWICK.<br />

Et ce n'est pas ainsi qu'il faut que Jeanne meure.<br />

PIERRE.<br />

Son crime, cep<strong>en</strong>dant, <strong>en</strong> vain le l'ai cherché.<br />

\A.RWiCK.<br />

Rou<strong>en</strong> a, monseigneur, un bel archevêché.<br />

PIERRE.<br />

Ce n'est pas sans remords que je poursuis l'<strong>en</strong>quête.<br />

WARWICK.<br />

Une fois archcviquc, on obti<strong>en</strong>t la barrette.<br />

LADVENU les interrompant et leur montrant Jeanne.<br />

Un courage aussi grand, du ciel on le reçoit;<br />

Jeanne n'est pas coupable.<br />

WAR\VICK à Pierre.<br />

FIN DU QUATRIÈME ACTE.<br />

Il faut qu'elle le soit.


ICTE CIQiJtÈUE.<br />

Le lieu <strong>de</strong> la scène et le iiime qu'an quatrièLnc acte.<br />

SCÈNE 1.<br />

LÀDVENLJ <strong>en</strong>tre; JEANNE' (111111e son ii;du<br />

LÂDYENU.<br />

Quoi! vous avez eiieor repris cet habit (lilolifilu'<br />

O Jeanne, et cep<strong>en</strong>dant le tribunal vous soittute<br />

De ne Plus VOUS montrer SOUS UU tel \C'telflellt.<br />

VOUS paraissiez hier VOUS soumettre liuliIblellI<strong>en</strong>t<br />

Jeaiiiie c'est votre mort que l 'on veut.


188 JEANNE I).tRC.<br />

JEAVE.<br />

On emploie<br />

La ruse, afin <strong>de</strong> mieux s'assure!' (le sa proie<br />

Pour m'ôter les habits (le mon sexe, la huit<br />

Auprès <strong>de</strong> mon grabat, quclqu 'itiu s'est ifltl0(luii,<br />

Quand l'évêque a paru, j'ai compris que lui-méiiie<br />

Aait imaginé l'odieux stratagème.<br />

Et que VOUS a-t-il dit?<br />

LAD VENU.<br />

JEANNE.<br />

Feignant fétoniieiiiciit<br />

« Voilà, s'écria-t-il , comme 011 rit (full serniemit<br />

» Envers toi la justice avait été trop douce<br />

J'usais d'une bonté qu'aujourd 11111 JC i'c)OtISse<br />

Tes juges à l'instant je les fais avertir,<br />

Ils vi<strong>en</strong>dront, ils verront quel est bu rep<strong>en</strong>tir<br />

» Ils sauront dévi<strong>de</strong>r quelle juste s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce<br />

» Doit te punir <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ton inipéitit<strong>en</strong>ce.<br />

LADVLiNU.<br />

Et l'on m'adresse à vous. Ah ! je compr<strong>en</strong>ds pourquoi.<br />

JEANNE.<br />

%toiu l)ii'u , 111011 Dieu . daignez flV 011 pitié <strong>de</strong> moi


ACTE V, SCÈNE I. •ISO<br />

Mourir niais qu'ai-je fait? qu 'on iii'apprcnne mon crime?<br />

LAD VENU.<br />

A. l'orgueil <strong>de</strong>s Anglais il luit une victime.<br />

JEANNE.<br />

()Il! n'avoir pas vingt ans et mourir, et savoir<br />

Que <strong>de</strong>s êtres bi<strong>en</strong> chers donnerai<strong>en</strong>t pour me voir<br />

Ri<strong>en</strong> q «un jour, qu'un instant, le reste <strong>de</strong> leur ie<br />

Et dire : pour jamais je leur serai raN ic.<br />

Savoir que tiioti nom seul fait palpiter leur coeur,<br />

Qu'à l'instant oi'i je parle, ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t ù leur sœur,<br />

A leur fille, \ ces temps si doux <strong>de</strong> mon <strong>en</strong>fance,<br />

Que les moindres objets gard<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ma p1StIW(<br />

Comme lin triste parfum qui s'exhale autour (Feux<br />

Que ce banc dc gazon leur rappelle iiies jeux;<br />

La cloche, cc jour où, tremblante, anaiitic<br />

Pour la première fois je recevais l'hostie<br />

Le N ietix liètre , ces soirs où , chaque mois <strong>de</strong> niai<br />

Nous repr<strong>en</strong>ions <strong>en</strong> choeur un citant accoutumé<br />

Les près, ce blanc troupeau dont ,j'étais le seul gui<strong>de</strong>.<br />

Un regret a rempli chaque <strong>en</strong>droit, resté Ni<strong>de</strong>.<br />

Pour ces étres aimés, mon pas ait bruit léger<br />

Foule <strong>en</strong>cor le s<strong>en</strong>tier qui longe le verger<br />

Ces arbres dont, leté , 'aimais l'ombre si gran<strong>de</strong><br />

Ces rosiers que nia main effeuillait<br />

lait eu guirlan<strong>de</strong><br />

Dans leur fréinissemu<strong>en</strong>i, parl<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s jours passés<br />

A (CUX qui hie sOhit chers et tiuc j'ai délaissés.


JEANNE D'ARC-<br />

Ma inéilloile est près d'eux, partout comme a toute heure.<br />

O mon père ! non, Dieu ne veut pas que je meure<br />

Je le s<strong>en</strong>s, les bourreaux sur moi coinptCllt <strong>en</strong> vain,<br />

Car tout ce que j'ai l'ait pait «un ordre divin.<br />

L4DVEM.<br />

Le royaume du Christ est-il donc dc<br />

C( mon<strong>de</strong><br />

Ah ! laissez le ulurnhire ù la p<strong>en</strong>sée immon<strong>de</strong><br />

Qui ne connaissant plus les célestes essors<br />

I)'une espérance sainte n perdu les trésors.<br />

,,épris et le siècle et 58 fange;<br />

Regar<strong>de</strong>z CII<br />

Les veux tournés au ciel, ouvrez vos ailes d'auge;<br />

Vous eûtes bi<strong>en</strong> assez la gloire d'ici-bas,<br />

Une autre VOUS at.tefl(l qui ne finira pas.<br />

.1 EANE.<br />

Je ne suis plus la nième aujourd'hui; ma p<strong>en</strong>sée<br />

Sous le poids <strong>de</strong>s douleurs est restée affaissée.<br />

()Il ! combi<strong>en</strong> j'ai souffert ! Deux mois sur cc grabat<br />

.Je s<strong>en</strong>tis Cl la vie et la mort cil combat<br />

Ma force maint<strong>en</strong>ant est une force liuiiiaine<br />

L'inspiration dort dans tiion ùme iiteertaiile.<br />

Rarcii<strong>en</strong>t Cil 111011 SCIfl se ranime le feu<br />

Qui s'agitait jadis sous le souille <strong>de</strong> l)ieu<br />

Saint r,Iicltcl m'abandonne ; <strong>en</strong> vain je sollicite<br />

Et sainte Catherine cl sainte Marguerite<br />

A se montrer à iiioi. . . . le lie les revois I)1tl. -


A(Yl'E V, SCEINE I.<br />

LADY ENI.<br />

-, -.- '-',--,- ------,.-<br />

Dans la joie éternelle, û Jeanne, les élus<br />

Att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t mainfrnani leur soeur. Ils lui prépar<strong>en</strong>t<br />

Le spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong> rayon (but leurs tètes se<br />

Le Seigneur vous privant (le Sou visible appui<br />

Veut vous laisser vous-mème arriver jusqu 'à lui.<br />

JEANNE.<br />

Ma force, je l'avoue, est tellem<strong>en</strong>t éteinte<br />

Qu'hier je me laissai dominer par la eraiuite<br />

Sur la place Saint-Ou<strong>en</strong> quand je me vis m<strong>en</strong>er,<br />

Quand je vis, (levant Iuiol, quatre chevaux traîner<br />

Le char où le bourreau s'appuyait sur sa hache<br />

Quand un (le ces longs cris (111e ma prés<strong>en</strong>ce arrache,<br />

Cri féroce, haineux, <strong>de</strong>s Anglais s'éleva;<br />

Quand vers le Vieux-Marché mon regard se leva;<br />

Quand au-<strong>de</strong>ssus d'un flot formé (le mille tètes,<br />

S'agitant, murmurant, joyeuses, inquiètes<br />

Le bûcher tout à coup à nies regards parut,<br />

Sur mon corps, (l'épouvanle un long fri s son courut.<br />

De mille souv<strong>en</strong>irs, <strong>de</strong> regrets poursuivie<br />

Je fuis prèLe à cé<strong>de</strong>r à l'amour (le la vie<br />

Dieu me lii. triompher (le ce mom<strong>en</strong>t d'effroi<br />

Et grûce à SOU appui, , je fuis digne <strong>de</strong> moi.


Cette er(hI le<br />

Parlez, vous mclïrayez.<br />

JE\E I)'!tRC.<br />

LAD V ENU.<br />

JEANNE.<br />

Eh bi<strong>en</strong>?<br />

LAI) VENU.<br />

.JEANNE.<br />

LADVEN 1.<br />

Que vous avez signée...<br />

Vous voyant résignée<br />

A monter au bûcher plutôt qu'à VOUS souiller,<br />

Les lâches, ils ont dit il nous faut employer<br />

Une ruse, altérer la r<strong>en</strong>ommée intacte<br />

De Jeanne, l'avilir; qu'elle signe un autre acte!<br />

horreur<br />

JEAINE consternée.<br />

LADVFNU.<br />

C'était trOp peu pour dIX qu 'un bûcher seul<br />

Il leur Fallait <strong>en</strong>cor arracher le linceul


ACTE \t, SCÈNE I. 19<br />

De gloire, (le vertu qui vous eût <strong>en</strong>tourée.<br />

Votre mémoire , Jeanne, <strong>en</strong> restant lioiioréc<br />

Eût condamné ta leur ; ils (levai<strong>en</strong>t VOUS ternji<br />

Pour oser prés<strong>en</strong>ter leur crime û l'av<strong>en</strong>ir....<br />

Ils n'y sons parv<strong>en</strong>us que par la fourberie.<br />

JEANNE avec désespoir.<br />

Et la France croira que je meure flétrie!


194 JEANNE D'ARC.<br />

SCÈNE ii.<br />

LES MÊMES. PIERRE DE BEAUVAIS, /SSESEURS.<br />

LAD VE\L.<br />

L'évque <strong>de</strong> Beauvais, quoi! déjà!<br />

PIERRE, a N' etiiportcrncul.<br />

Nous oblige à frapper aN cc si-vérité.<br />

L'équité<br />

Jeanne semblait hier plus digne d'indulg<strong>en</strong>ee<br />

Son remords attira sur elle la cliiii<strong>en</strong>ee<br />

Et Jeaune se jouait <strong>de</strong> nous. Qu'un châtim<strong>en</strong>t<br />

La punisse aujourd'hui du viol d'un serm<strong>en</strong>t.<br />

Hier 011 la voyait, rep<strong>en</strong>tante et soumise,<br />

Rétracter dcs discours que condamnait l'Église<br />

S'avouer l)tc11eresse , et reconnaitre <strong>en</strong>hiii<br />

Que sa vocation n'avait ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> divin.....<br />

JEANNE.<br />

Que tic peines, lTiOfl Dieu, pour tuer une feiiime<br />

Vous nie calomniez d'une manière infune<br />

Moi, dire que le ciel ne nie protégeait pas<br />

Que sans lui j'ai Naincu. dans soixante combats.


ACTE V, SCÈNE II.<br />

011 ! jamais, non, jamais... L'aspect <strong>de</strong> la torture<br />

M'avait-il ébranlée ?<br />

PIERRE, lui niuniralit un parchemin.<br />

Et cette sigilature.<br />

La reconnaissez-s ous -C'est, la vôtre je crois.<br />

oui, je la reconnais; J'ai tracé celte croix<br />

Sut' l'acte.,..<br />

PIERRE.<br />

Que je Li<strong>en</strong>s et que je N ais vous lire<br />

«Moi , Jeanne , dans (les jours d'orgueil et (le thlire<br />

• J'ai c<strong>en</strong>t l'ois profané noiti <strong>de</strong> Jésus-Christ<br />

• MOI , Jcaiine , qu'inspirait quelque mauvais esprit<br />

J'ai prét<strong>en</strong>du (IUC Dieu dirigeait ma conduite.<br />

» Je sais (luel cliùtim<strong>en</strong>t ilion m<strong>en</strong>songe itiérit. ....... »<br />

JEANNE, ii ça n t vers Pierre p o ur lui arracher le pti rcheitii ii.<br />

Oit ! je ii'ai pas signé l'acte que vous lisez.<br />

De quelle ruse affreuse <strong>en</strong>vers moi vous tisez<br />

Cet acte dont liici' ou une lit la lecture<br />

Au bas duquel je crus tracer nia Signature<br />

De ma loi cont<strong>en</strong>ait l'humble profession.<br />

Vous l'cnl<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />

PIERRE.


"^ -<br />

196 JEANNE D'ARC.<br />

JEANNE.<br />

Signer la rétractation'<br />

De ma gloire!.... Ma main se serait <strong>de</strong>sséchée.<br />

PIERRE.<br />

Ainsi cette raison que flous avions cherchée<br />

Pour qu'il nous fût permis <strong>de</strong> nous montrer clém<strong>en</strong>t...<br />

JEANNE.<br />

Clém<strong>en</strong>t! vous, monseigneur!... Voyez, le juge m<strong>en</strong>t,<br />

Il ni<strong>en</strong>t à sa victime; à l'instant du supplice<br />

Il a sans doute peur pie je ne le maudisse<br />

H craint que cette voix ne monte jusqu'au ciel,<br />

Ne livre, le faux juge au grand juge éternel<br />

Mais, vous n'y croyez pas à ce juge sévère....<br />

Vous, clém<strong>en</strong>t, monseigneur!... DérÎSkHL am ère!<br />

Vous, clém<strong>en</strong>t! Je ne vois ici que (les bourreaux.<br />

Ceux qui n'ont pas voulu l'horreur <strong>de</strong> vos Lravaux<br />

Vous les avez bannis.... Et parmi vos complices,<br />

Il <strong>en</strong> est qui , troublés par autant d'injustices<br />

S'éloign<strong>en</strong>t pleins d'effroi, sachant le prix du sang<br />

Qu'à l'heure <strong>de</strong> sa mort répand un innoc<strong>en</strong>t.<br />

PIERRE.<br />

A <strong>de</strong>s serm<strong>en</strong>ts trahis elle ajoute [outrage<br />

De terminer notre oeuvre ayons donc le courage.


ACTE V, SCÈNE Il. .197<br />

JEANNE,<br />

Du courage, CIL effet, pour cette oeuvre, il <strong>en</strong> faut<br />

Avant <strong>de</strong> me laisser monter sur l'échafaud<br />

On veut tuer ma gloire !. .. Un ait d'affreux martyre<br />

Pour atteindre ce but n'a pu nièiiic suffire<br />

La m<strong>en</strong>ace, l'adresse (1 l'aspect (lU tourm<strong>en</strong>t<br />

Ont passé <strong>de</strong>vant moi sans me vaincre un mom<strong>en</strong>t.<br />

Poui finir un procès que ma force prolonge<br />

011 SC trouve contraint <strong>de</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre au m<strong>en</strong>songe<br />

Car on ne veut La mort qu'après le pilori<br />

Mais ce n'est pas HIOII nom qui restera flétri.<br />

PIERRE.<br />

Ai ' ! l'av<strong>en</strong>ir ohscur <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t votre couI(Iuètc<br />

Vous désirez <strong>en</strong>cor le rôle <strong>de</strong> prophète.<br />

JF:AiNE.<br />

Dieu dont 'VOUS i'cFtscz (le voir l'ordre sacré<br />

Faisant d'un luuinulule esprit un esprit iuispiré<br />

Dieu (lui prit dans les champs une pauvre bergère,<br />

Qui lui dit « Lève-toi , la terre<br />

1)e grands exploits scia témoin<br />

» Marche, .Jeauiiic , et <strong>de</strong> l'Au)gletern<br />

» Les soldats effra yes reculeront au loin


199 JEANNE D'ARC.<br />

Cc l)ieu qui tua choisie au milieu <strong>de</strong> lit foule<br />

Soulève à mes regards les voiles amassés<br />

Sur ce temps îi v<strong>en</strong>ir qui pour lui, se déroule<br />

Prés<strong>en</strong>t cøiiinw les temps passés.<br />

Ils vont se terminer les longs jours (le l'épreuve<br />

Paris, avant sept ans , tu ne seras plus veuve<br />

Avant sept ans, <strong>de</strong> (es remparts<br />

On te verra dans la poussière<br />

Précipiter celte I)am1I1ire<br />

Qui porte les trois léopards<br />

France ! ne vi<strong>en</strong>s pas gémir sur mon sui)plitt'<br />

Qu'importe, maint<strong>en</strong>ant, qu'att inon<strong>de</strong> oit ravisse<br />

l)icmi m'a révélé l'aveuiir,<br />

De hcuN re que j'ai comm<strong>en</strong>cée<br />

La gran<strong>de</strong> liii uii'cst annoncée<br />

A prés<strong>en</strong>t la mort peut v<strong>en</strong>ir<br />

Ainsi (l uI'umu laboureur (jans le temps <strong>de</strong>s semitailles<br />

Au sillon (111 1il tmua jette <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> grains<br />

Sui un sol retourné par le choc <strong>de</strong>s batailles.<br />

C'est un germe puissant quont répandu mes mains.<br />

Oui, j 'ai semé la délivrance<br />

EL partout la terre <strong>de</strong> Fiance<br />

La oiL éclorv tic SOil liane.<br />

Mais pour èfte lerliikéc<br />

.%tm lieu (It' SU('LlI. tu' I'OS(<br />

La noble itialite N tumt UO111 sang !


ACTE V, SCÈNE II.<br />

PIERRE.<br />

Ctait le rep<strong>en</strong>tir que nous (levions atteiidre<br />

C'est hmpr(cation que l'on nous ltiL <strong>en</strong>tetidre.<br />

NOUS SOflIIUCS outragés par celle qui. vers nous<br />

Devrait <strong>en</strong> suppliant se tramer 'i g<strong>en</strong>oux.<br />

lh'P0USS011s désormais la fetiinic impénit<strong>en</strong>te<br />

Qui méconnait <strong>en</strong> nous l'Flise militante.<br />

N'<strong>en</strong>tourons 1)111S (le SOiIIS liii esprit perverti<br />

Par tant (l'avis pieux Vainciuciil averti.<br />

Ait bi<strong>en</strong>fait du remords puisque Jeanne r<strong>en</strong>once<br />

Que l'lioninic maint<strong>en</strong>ant sur elle se prononce.<br />

Nous, allons préparer un arrêt par lequel<br />

•Jeanne sera remise au pouvoir temporel.<br />

J ea nne , nous vous livrons à la jtlsticc liuinajiic.<br />

C'est-à-dire au bourreau<br />

J rA\ÏNE.<br />

LAI)VEMI.<br />

Ma fille point <strong>de</strong> haine.<br />

Souv<strong>en</strong>ez-vous du jour où, sur le Golgotha,<br />

Par sa fécon<strong>de</strong> mort un Dieu nous racheta.<br />

Il savait pardonner, Vous suivrez cet exemple.<br />

Et vous monterez pure à son céleste temple.<br />

O ma fille, v<strong>en</strong>ez, Dieu va VOUS écouter.<br />

II eiitiane Jeanne dans l'<strong>en</strong>foncem<strong>en</strong>t où ac trou,c le grabat.


200 JEANNE D'ARC.<br />

PIERRE i D'Estivet.<br />

Dans la salle voisije <strong>en</strong> IiLe allez dicter<br />

La <strong>de</strong>rnière s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce.<br />

Les assesseurs sort<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t oi Pirrc va les suivre. Warwick<br />

<strong>en</strong>tre et le reti<strong>en</strong>t.


ACTE V, SCÈNE M. 1201<br />

SCÈNE Iii.<br />

WAIIWICK I'IIRIW.<br />

WÂRWIK.<br />

PIERRE.<br />

WAR\VICK.<br />

ER bi<strong>en</strong> ?<br />

A vos serm<strong>en</strong>ts d'hier vous trouvé-je fidèle ?<br />

Avez-vous tout Uni? Vous me l'aviez juré.<br />

Le bûcher vainem<strong>en</strong>t est-il donc préparé?<br />

Une foule (l'Anglais aux al<strong>en</strong>tours s'empresse.<br />

Tout est-il lerniijié ?<br />

PIERRE.<br />

Bonne ii oii elle.<br />

J'ai rempli nia promesse.


JEANNE D'ARC.<br />

WAhS% ICK.<br />

Vit -on jamais procès marcher plus l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ?<br />

Ulionneur <strong>de</strong> ïÀnglcicri'e <strong>en</strong> souffrait gravem<strong>en</strong>t.<br />

PIERRE.<br />

Les jt1C5 , U' iiiallieiit', na'aidnt pas tous non zèle<br />

Jeanne d'Arc, n leurs veux, n'était pas criminelle.<br />

Pour arrivei' au but que wus m'aviez prescrit,<br />

.I'ai voulu, mais cmi viii dominer son esprit.<br />

I n homme adroit t<strong>en</strong>ta . gagwult sa confiance<br />

D'exercer sur soit àme une heureuse inilticimec<br />

A Jeanne il s'efforea bi<strong>en</strong> (les lois d'inspirer<br />

Des aveux (lCStifléS à tout accélérer.<br />

Mais Jeanne que le ciel ou que l'<strong>en</strong>fer )rotége,<br />

Trompait flOt.FC espérance ('t s'échappait dti piège.<br />

Les juges aux débats pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t part à regret,<br />

Ils restai<strong>en</strong>t effrayés <strong>en</strong> face <strong>de</strong> l'arrêt<br />

Et quelques-uns d'<strong>en</strong>tre eux ont à votre <strong>en</strong>nemie<br />

Laissé voir, vous prés<strong>en</strong>t, toute leur sympathie.<br />

Le frère Ladv<strong>en</strong>u , l'avez-vous oublié?<br />

A Jeanne n'a cessé <strong>de</strong> montrer sa pitié.<br />

\ 'otis avez <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du ce mine pleiii d'audace<br />

Me jeter le niépris et l'outrage à la face;<br />

II me brave, il m'insulte avec impunité<br />

Son chàtim<strong>en</strong>t , (le VOtIS je lai sollicité<br />

Et «est par Ladv<strong>en</strong>u que notre prisonnière


ACTE V, SCÈNE M.<br />

Doit se voir assister à 5011 heure <strong>de</strong>rnière<br />

Pat' lui qui volts ii'aliit , nw hall<br />

yARWlCX.<br />

Je ne veux pas<br />

Poursuivre la COIIIVII)lC autre part. c1ulci-l)as<br />

La laisser Salis appui lors (le l'iiïstaiit suprême<br />

Sa lâche, Ladv<strong>en</strong>u la recoit (le inoi-lunnie.<br />

Je cherchais un saint homme, et. (levais le choisir.<br />

PIERRE-<br />

Si vous n'aviez trouvé que lui pour VOUS servir.<br />

GrceùDieu, c'<strong>en</strong> est fait! niais, inoiiseigneur, j'spêie.<br />

WÂRWICK.<br />

Oui, vous avez conquis l'appui tic l'Angleterre.<br />

PIERRE.<br />

Les iands se sont montrés tant, <strong>de</strong> fois oublieux<br />

L'itistiiimeiit inutile, ils le ,jeltelut loin d'eux<br />

Le pi'iIlCC tilt lia i t i iez .....et SIlI' IIOUS seuIls se ligt<br />

Tout le sali qui jaillit StuIIS le toll() ((liii dirige.<br />

Vous P0U\'eZ (11'e cii paix.<br />

WÀRWICK.<br />

203


204 JEANNE D'ARC.<br />

PIERRE.<br />

Quel labeur ma donné.<br />

Cc procès, par mes soins aujourd'hui terminé<br />

Il m'a Fallu trois mois <strong>de</strong> ruses et (l'adresse<br />

Pour atteindre un IJùcl(er qui reculait sans cesse;<br />

Mais <strong>en</strong>fui, û l'iiisant , par arrêt sol<strong>en</strong>nel<br />

Jeanne sera remise au pouvoir temporel.<br />

Avec moi voulez-\ ous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la lecture<br />

De cet aete?j'y vais mettre ma signature.<br />

Je vous suis.<br />

W A]1WI CL<br />

Ils sort<strong>en</strong>t.


ACTE V, SCÈNE IV.<br />

SCÈNE 1V.<br />

JEANNE, LAI)VENU.<br />

JEANNE.<br />

Ali! Roueii , dois-tu inc voir mourir?<br />

L AI) VENU<br />

Courage, Jeaiine, Dieu vi<strong>en</strong>dra vous secourir.<br />

Les ClIr&iCIIs , autrefois , cii chaulant SCS lotiailges,<br />

Entre eux et les bourreaux apercevai<strong>en</strong>t (les auges<br />

Le ciel se dévoilait <strong>de</strong> ant leurs yeux ravis<br />

Et leurs ùnies montai<strong>en</strong>t aux célestes parvis<br />

Quand, paraissant braver les douleurs du uiiartyrc<br />

Sous les d<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s lions on les voyait sourire.<br />

Dieu qui donnait ainsi la force aux bi<strong>en</strong>lietireuu x<br />

ai<strong>de</strong>ra votre àlile à se placer dure dUX<br />

JEAI'IE.<br />

i\lu ! ec ui 'esl<br />

pas sur moi 111011 I(l1e hlu(I' Je pleure<br />

JduiÉ<strong>en</strong>(lrajs sans fJ(uIiir soutier iuua <strong>de</strong>rnière lietire


206 JEANNE D'ARC.<br />

Si je ne savais pas (le quel cruel sanglol<br />

Une pauvre maison ret<strong>en</strong>tira bi<strong>en</strong>tôt<br />

ta rêve , cc matin . transportait iiia<br />

Au milieu d'une joie îi jamais effacée<br />

J'étais dans cette pièce où , quand tombait le soir,<br />

Près du large foyer chacun v<strong>en</strong>ait s'asseoir.<br />

Mon père, sur un banc près <strong>de</strong> la cheminée<br />

Entret<strong>en</strong>ait ses fils <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> la journée;<br />

Ma mère avec ma soeur, (le laitage et <strong>de</strong> pain<br />

Avai<strong>en</strong>t chargé poureux la table <strong>de</strong> sapin.<br />

Moi , dans un doux loisir, je tressais la couronne<br />

Dont j'aimais à couvrir le front (le la madone<br />

De nos murs gris et nus le pieux ornem<strong>en</strong>t.<br />

Ce bonheur ne dura qu'un rapi<strong>de</strong> mom<strong>en</strong>t....<br />

EN cillée à <strong>de</strong>mi par l'éclat (le l'aurore<br />

A i)oinrcmv, pourtant , je me eroyais <strong>en</strong>core<br />

II me seiiibla.it <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre au loin le bruit <strong>de</strong>s champs<br />

Le roulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s chars , les chevaux h<strong>en</strong>nissants.<br />

Je cherchais du regard celte étroite ouverture,<br />

IJoù nues CU\ ne voyai<strong>en</strong>t que heurs et (hIC verdure<br />

J'écoutais si ma soeur, dont je connais le pas<br />

Vers ma chambre eu courant ne se dirigeait pas.<br />

Ce bague état t<strong>en</strong>ait (le la veille et du rêve.<br />

Près <strong>de</strong> fiiOi lotit à coup un citant joyeux s'élève.<br />

Qui chante? Est-ce tua soeur? Non, ce n'est pas sa VoiX<br />

Et ('cI air je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pou r la première Fois.<br />

De qui dans la. contrée eût-elle pu l'appr<strong>en</strong>dre ?<br />

Je inc soulève alors allu <strong>de</strong> mieux <strong>en</strong>teinlre<br />

Le sommeil Se dissipe ........ Hélas ! cette chaiisoit


ACTE V, SCENE IV. 07<br />

Un Anglais la disait, et jétais cii prison !<br />

JEANNE gar<strong>de</strong> p<strong>en</strong>dant quiques instants un sil<strong>en</strong>ce phi u 114 . u i<br />

Mais eloignons <strong>de</strong> nous ces l )e115(1S tic la terre<br />

Et <strong>de</strong>s décrets <strong>de</strong> Dieu bnjsons le nivstre.<br />

Que son 110111 Soit loué


08 JEANNE D'ABC.<br />

SCÈNE %.<br />

LES lIIF.s , LOYsELEI:R.<br />

JEANNE %aperlart.<br />

Que vois-je le Seigiwur<br />

Ne veut-il plus nia mort il m'<strong>en</strong>voie un sauveur<br />

Jeanne que dlles-vous?<br />

Vous v<strong>en</strong>ez nie sauver<br />

LAD VENU. U.<br />

JEANINE à Lwvekur.<br />

LOYSELEIJR.<br />

JEANNE.<br />

Grâce vous soit r<strong>en</strong>due<br />

lIoi ! je vous ai L)C1'(1t1( !<br />

Malheiim'eusc , perdue! .... Ainsi vous nie. trompiez<br />

Ainsi tous ces s<strong>en</strong>neilis (IUC VOUS IflC répétiez


-- - --<br />

ACTE V, SCÈNE V. 209<br />

Ces l)rOICStaIiOflS tic dévouem<strong>en</strong>t tic zèle<br />

Toul n'était qu'une ruse.... (3h ! c'est la plus cruelle<br />

LOÏSELEEYII.<br />

oui, je vous ai perdue, et VOUS mourez par moi<br />

Par moi, vii espion <strong>en</strong> qui VOUS aviez foi<br />

Par moi qui simulais la pitié.... Traître et lûelw<br />

De Pierre (le Beauvais je préparais la 1w.hc.<br />

Et mon inifime but était <strong>de</strong> vous dicter<br />

Des discours imprud<strong>en</strong>ts et faits pour tout hâter.<br />

Pour littcr votre mort.... Oh! ,je suis bi<strong>en</strong> coupable<br />

Pourtant, si vous saviez quel rep<strong>en</strong>tir m'accable.<br />

Vous me pardonneriez....<br />

JFANINF, ,veç un dnui,itrp i tloiiIini<strong>en</strong>t.<br />

Est-ce la vérité'?<br />

Se peut-il doue (jU'ufl homme ait tant <strong>de</strong> fausseté,<br />

Qu'il feigne l'intér& et qu'il VOUS espionne!<br />

Si vous avez dit vrai, je vous plains , vous pardonne.<br />

LOYSELLLJJI.<br />

Vous ne savez pas tout, ô Jeanne! susp<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />

Un instant cc pardon généreux. Att<strong>en</strong><strong>de</strong>z<br />

vous ignorez <strong>en</strong>cor Combi<strong>en</strong> je fus iuufiuic<br />

.J'ai heu d'autres remords dans le fond <strong>de</strong> mon âme.<br />

Vous souvi<strong>en</strong>t-il d'un prêtre introduit dans ce lieu ?<br />

Vous nue parliez à mi erovntl parler ù Dieu<br />

A iiioi qui commettais un affreux sacrilége I


210<br />

JEANNE D'ARC.<br />

JEANNE.<br />

Quoi ! la confession <strong>de</strong>v-<strong>en</strong>ait nième un piége!<br />

LOYSELEUR.<br />

oui, dans les premiers temps <strong>de</strong> votre long procès.<br />

C'est ainsi près tic vous que j'obtins un arcèS<br />

Et quand VOUS dévoiliez, dupe <strong>de</strong> l'imposture<br />

Votre sainte exist<strong>en</strong>ce à mon oreille impure<br />

Un scribe caché là transcrivait votre aveu;<br />

Des hommes écoutai<strong>en</strong>t (C qui n'était qu'à Dieu...<br />

Hier <strong>en</strong>fin, courage, achc ons <strong>de</strong> tout dire<br />

Hier je vous trompai, je sus, noble martyre<br />

Dérober à vos yeux tin premier 1)arcllelnln.....<br />

A signer votre iiioi't je vous guidai la main<br />

Ces crimes sonthi<strong>en</strong> grands, mais déjà Dieu VOUS v<strong>en</strong>ge,<br />

Le remords me poursuit, inc torture.... Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds-je?<br />

Ce sont eux, c'est 1év éque!.. lis vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t... hâtez-vous<br />

Regar<strong>de</strong>z, l'espion se traîne à vos g<strong>en</strong>oux.....<br />

Que je SUiS lâche ! OSCF implorer <strong>de</strong> la sorte<br />

Celle(lue je tUe.<br />

On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d diverses rumeurs an <strong>de</strong>hors.<br />

oh! la foule est à la porte<br />

Miséricor<strong>de</strong>, Jeanne! .... lis ('lur<strong>en</strong>t dans la cour.<br />

Grâce . ....i'cnt<strong>en</strong>ds leurs pas sur le seuil (le la tour.<br />

Grâce 'Voilà le char du bourreau qui résonne<br />

Grâce!


ACTE V, SCÈNE V. 214<br />

JEANNE le regardant & y ee bonté.<br />

Que comme moi, le Seigneur vous pardonne<br />

Elle 'ag<strong>en</strong>o1IilIe.<br />

VOUS m'appelez à vous lorsque l'oeuvre est lifli.<br />

Maint<strong>en</strong>ant et, toujours, mon Dieu, soyez béni<br />

LAI) VENU.<br />

L'auréole <strong>de</strong>s saints autour d'elle rayonne.


JEANNE D'ARC.<br />

SCÈNE VI.<br />

UN APPARITEUR parait, il est accompagné <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s; L'ÉVÊQUE<br />

DE BEAUVAIS se ti<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> la prison, comme<br />

curieux <strong>de</strong> voir ce qui va se passer.<br />

L'APPARITEUR à Jinne qui est restée ag<strong>en</strong>ouillée.<br />

Suivez-nous, le pouvoir séculier vous l'ordonne.<br />

LAD VENU,s'avançant vers I'évirjue <strong>de</strong> Beauvais.<br />

Le pouvoir séculier!... Même à vos propres yeux,<br />

L'arrêt dicté par vous est un acte odieux<br />

Vous voulez obt<strong>en</strong>ir tous les profits du crime<br />

Sans <strong>en</strong> avoir la honte, et livrant la victime<br />

Vous vous lavez les mains cii Pilate nouveau,<br />

Et vos mains, cep<strong>en</strong>dant, sont <strong>de</strong>s mains (le bourreau<br />

'ru me parles ainsi?<br />

PIERRE avec. rage.<br />

LAD VENU.<br />

Sans redouter la Seine;<br />

Qu'importe maint<strong>en</strong>ant que son on<strong>de</strong> incittraitie


ACTE V, SCÈNE' VI.<br />

L'APPARITEUR, appuyant sa bain sur l'épaule <strong>de</strong> Jeanne qui frémit.<br />

Le l)ùe'Iler vous att<strong>en</strong>d.<br />

Dieu qui vas me juger.<br />

JEANNE, se relevant.<br />

LOYSELEUR, tombant g<strong>en</strong>oux.<br />

Oh! j'<strong>en</strong> appelle à toi<br />

Sainte, priez pour moi!<br />

On <strong>en</strong>tratne Jeanne, Ladvcnu la suit; Loyseleur reste prosterné la<br />

ttto dans ses mains 4,.t eonameanéanti. On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d comm<strong>en</strong>cer les<br />

prières <strong>de</strong>s agonisants. De gran<strong>de</strong>s rumeurs s'élèv<strong>en</strong>t dans la cour<br />

du ehàteau, et par la knètrc <strong>de</strong> la prison, on voit passer un char<br />

drapé <strong>de</strong> noir et attelé <strong>de</strong> quatre chevaux. Sur cc char sont le<br />

bourreau, frère Ladv<strong>en</strong>u et Jeanne; elle est vutin d'une robe<br />

blanche, et coiffée d'une mitre portant ces mots: Relapse , apostate,<br />

idolastre.<br />

tIi DE JEANNE D'ARC.


NOTES.


iî: :r<br />

L'idée première et beaucoup <strong>de</strong> détails <strong>de</strong> cc prologue sont cmpruntis<br />

i Schiller.<br />

2 D'après ce qui reste aujourd'hui <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Jeanne d'Arc,<br />

on peut supposer qu'au XV' siècle, elle était telle ii peu près que je is<br />

dépeins. Dans un volume que j'ai publié SOuS le titre d'.Jqrzorelks,<br />

on peut lire la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> J.'anne d'Arc. La Re,u,<br />

d'Austua.ie, le Réparateur et la Quosids<strong>en</strong>ne ont reproduit ce morceau,<br />

intitulé: Pèlerinage ii Doinremy. -<br />

Interrogée <strong>de</strong> l'arbre, respond que assez près <strong>de</strong> Dornrcmy, e un<br />

• arbre qui se appelle arbre <strong>de</strong>s I)arrirs, et 1c5 autres l'appell<strong>en</strong>t arbre<br />

• <strong>de</strong>s Fées, et auprs a une fontaine et a iluir dire que les g<strong>en</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />

• <strong>de</strong> ficbvres eut boiv<strong>en</strong>t , et lutesine cri a vcu aller quirir pour <strong>en</strong><br />

• guérir, niais ne sait se ils <strong>en</strong> guériss<strong>en</strong>t ou non. ÇIV° interrogatoire.)<br />

Voyez la Notice sur Jeanne l'Arc.<br />

P<strong>en</strong>sée imitée <strong>de</strong> quelques vers d'une canzone <strong>de</strong> Dante:<br />

Angelo chiama in dicino un telletto<br />

E dice: Sire, nel mondo si verte<br />

ffilera piglia nelfalio clic proce<strong>de</strong><br />

J)'una anima cite fin quassù rispi<strong>en</strong><strong>de</strong>:<br />

Lo cielo cite non aie altro du//ctbo<br />

Cite d'aeerlei, al suo Signor la cluie<strong>de</strong>.<br />

e Interrogée <strong>de</strong>s songes <strong>de</strong> son père, rcspond que quand dli.<br />

I


n<br />

248 NOTES.<br />

• estoit <strong>en</strong>corr avec son père et mère, lui fut dit plusieurs fois par<br />

• sa mère que son père disoit qu'il avoit songé que avec les g<strong>en</strong>s<br />

• d'armes , s'<strong>en</strong> iroit la dicte Jehanne sa fille. (IX interrogatoire.)<br />

Le rêve que je fais raconter par Jacques est imite <strong>de</strong> Schiller.<br />

e Il courait <strong>de</strong>puis un temps une certaine prophétie qu'on disait<br />

• même tirée <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>chanteur Merlin, et qui annonçait que<br />

• la France, perdue par une femme, serait aauéc par une femme.<br />

(Ducs <strong>de</strong> Bourgogne , tome V, page<br />

Et dit outre, quand elle vint <strong>de</strong>vers le roy, que aucune <strong>de</strong>man-<br />

» doi<strong>en</strong>t se <strong>en</strong> SOLS pays avoit point <strong>de</strong> bois que oit appellast le Bois-<br />

* Cliesou , car il y avoit prophéties qui disoi<strong>en</strong>t: çie <strong>de</strong>vers le Bois-<br />

* Cheanu <strong>de</strong>voit v<strong>en</strong>ir une pucelle qui v<strong>en</strong>ruit Caire merveilles. »<br />

(I'' interrogatoire.)<br />

M. ).liirlou cite <strong>en</strong>core cette prophétie: « Dcsc<strong>en</strong>clet virgo <strong>de</strong>orsim<br />

sagttarii, c e flores virgined ohscuraLit. »<br />

3<br />

Ettiim Chritj:ic <strong>de</strong> Pisan parla <strong>de</strong>s prédictions qui circulai<strong>en</strong>t lors<br />

<strong>de</strong> l'apparition <strong>de</strong> Jeanne.<br />

L'épithète <strong>de</strong> bourreaux n'est pas <strong>de</strong> trop: Bcdfort fit égorger<br />

les garnisons françaises qui lui avai<strong>en</strong>t opposé une résistance trop<br />

opiniàtre.<br />

La timidité <strong>de</strong> Jeanne était extrême elle rougissait lorsqu'on lui<br />

parlait, et se troublait au point <strong>de</strong> pouvoir à peine répondre.


ITOZES Z7 LOTE.<br />

Cet acte est <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partit imité <strong>de</strong> Schiller. TOUS les détails<br />

n'<strong>en</strong> sont pas <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t historiques. Le sacre <strong>de</strong> ilciiri VI dont<br />

parle Saintrailles n'eut lieu que beaucoup plus tard. Le défi offert par<br />

Charles Vil au duc <strong>de</strong> Bourgogne est d'inv<strong>en</strong>tion. Taiuieguy du Chastel<br />

n'était pas alors aiipris du roi. Ce fidèle sujet s'était fait nu <strong>de</strong>voir<br />

<strong>de</strong> s'éloigner, parce qu'on le regardait comme un obstacle à la réconciliation<br />

<strong>de</strong> Charles et du duc <strong>de</strong> Bourgogne.<br />

La Trémouille , placé par Itieliemont près du roi , avait réussi<br />

supplanter son protecteur.<br />

On u prét<strong>en</strong>du <strong>de</strong>puis peu que Charles VII n'avait lias dans sa<br />

détresse, le temps (le songer aux plaisirs. Cep<strong>en</strong>dant lorsque Lahire,<br />

arrivant d'O,[éaiis , se r<strong>en</strong>dit pris du roi, il le trouva occupé <strong>de</strong>s<br />

préparatifs d'un ballet et peu disposé ii l'écouter.<br />

Dès que les plaisirs brillai<strong>en</strong>t ans yeux <strong>de</strong> Charles, il oubliait<br />

> ses affaires les plus importantes. Au lieu <strong>de</strong> parler à Laliire du siége<br />

d'Orléans , il lui <strong>de</strong>manda ce qu'il p<strong>en</strong>sait <strong>de</strong> sa fête. « Je p<strong>en</strong>se<br />

ré j oui l loyal guerrier, qu'on ne peut pas perdre un royaume plus<br />

,aim<strong>en</strong>t. » (Histoire (le I1'rance, par M. <strong>de</strong> Ségur.)<br />

Charles VII paraissait douter <strong>de</strong> ses droits ans trnne. C'est ce<br />

que n v la prière dont Jeanne d'rr eut connaissance d'une suaiaièr'<br />

si merveilleuse. Cette tira<strong>de</strong>, qui n'est qu'un germe dans Schiller,<br />

n'a donc ri<strong>en</strong> d'invraisemblable.<br />

Charles forma un mom<strong>en</strong>t, dit-on , le <strong>de</strong>ssein timi<strong>de</strong> d'abandonner<br />

son royaume et <strong>de</strong> se retirer <strong>en</strong> Dauphiné. , (Ségur,<br />

Hsi<strong>en</strong>re rie Fronce.


1T© 7 TZI±1 TL<br />

Quelques auteurs ont représ<strong>en</strong>té Jcatirie d'Arc comme étant l'instrum<strong>en</strong>t<br />

le Dunois. Cette opinion absur<strong>de</strong>, émise <strong>en</strong>core par Walter<br />

Scott dans la Démonologie, ne vaut pas la peine d'être rél',ikie.<br />

2 Jeanne d'Arc, sortie victorieuse (le toutes les épreuves auxquelles<br />

on l'avait soumise, fut déclaric bonne chréti<strong>en</strong>ne et vraie catholique<br />

et bonne personne. On décida qu'il n'y avait ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> mal dans son<br />

fait, que sa vie était sainte et ses paroles inspirées. (Nolice sur Jeanne<br />

d'Arc, par MM. Michaud et Poujoulat.)<br />

Elle adressa sa parole au roi , lequel elle fl'asOit jamais VU, et<br />

• lui dit: que Dieu vous donne bonne vie, très-noble roy! - Et<br />

• pour ce que <strong>en</strong> la compagnie y avoit plusieurs seigneurs vestims aussi<br />

• rielu'iii<strong>en</strong>t ou plus que luy, dit: - Se ne ecay-je pas que suis roi,<br />

• Jelianne, et cli luy montrant quelque un <strong>de</strong>s seigneurs qui estoint<br />

• là prés<strong>en</strong>ts, luy dit: voilà qui est roy ! Elle respondLt : c'est vomis<br />

• qui estes i'oy et non autre , je vous cognois bi<strong>en</strong>. » ( (Jim-on. <strong>de</strong> la<br />

Pucelle, p . W.)<br />

e Voyage <strong>de</strong> Jeanne à la cour <strong>de</strong> Charles VII.<br />

e De Vau<strong>couleurs</strong> à Chinon , <strong>en</strong> traversant beaucoup <strong>de</strong> ris lires<br />

's savoir: l'Ornaiiu , le Saux , la Maiiue , l'Amibe, l'Armaneon , le<br />

's Serait, , l'Yonne , le Douant , le Loing , la Loire , le Cher et<br />

l'Indre, <strong>en</strong> passant par Saint-Urbain <strong>en</strong>suite près d'Auxerre, <strong>en</strong>fin<br />

par ('.i<strong>en</strong> et Saiutt'-.Catherin-<strong>de</strong>-Ficrbis. 's (Jeanne d'Arc, par<br />

M. llerriat-Saint-Pt'ix, p. 2?5.)<br />

Voyez les Ducs <strong>de</strong> Bourgogne, t. V, p. '70.<br />

Vo y ez le mnème ouvrage t. V. p.


NOTES. 12,21<br />

vus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s geits d'armes , et si vous dites que c'est<br />

le plaisir <strong>de</strong> Dieu que les Anglais laiss<strong>en</strong>t le royaume <strong>de</strong> France<br />

» et s'<strong>en</strong> aill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> leur pays , si cela est, il ne faut pas <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s<br />

• d'armes car ic seul plaisir <strong>de</strong> Dieu les peut détruire et faire aller<br />

» <strong>en</strong> leur pays. —A quoy ciii . respondit qu'elle <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s<br />

non mie <strong>en</strong> grand nombre, lesquels combattrai<strong>en</strong>t, et Dieu don-<br />

neroit la victoire. , ( Chron. dc la Pucelle.)<br />

« Je ne suis pas xe,,iie à Poitiers pour faire <strong>de</strong>s signes; nui<br />

conduisez-moi à Orléans,je vous montrerai pourquoi je suis <strong>en</strong>voyé—<br />

(Notice, page 52.)<br />

e Sire, la première i' jueste que vous Itstes à Dieu fi,L que voti<br />

p1iaites que si vous ne étiez vrai héritier du royaume <strong>de</strong> France , que<br />

ce fut SOI, plaisir vous aster le coulage <strong>de</strong> le poursuivre, afin q"'<br />

vous ne fussiez plus cause <strong>de</strong> faire et sout<strong>en</strong>ir la guerre durit procè<strong>de</strong><br />

tant <strong>de</strong> maux , pour recouvrer ledit royaume. La secon<strong>de</strong> fut que vous<br />

lui priastes que se les gran<strong>de</strong>s adversités et tribulations que ic pans r<br />

peuple souffrait, que ce fut son plaisir <strong>en</strong> relever le peuple, et pi-<br />

vous seul cri fussiez puni. La tierce fut pic se le pic},t du peii,iii<br />

estoit cause <strong>de</strong>sdites adversités , que cc fut son plaisir pardonner au<br />

dit peuple. » (Chronique <strong>de</strong> la Pucelle.)<br />

0 Et si ,lit que dès l'âge do treize ans eut révélation <strong>de</strong> L S. par tin,<br />

voix qui ILty <strong>en</strong>seigna à soy gouverner, et pour la première luis<br />

qu'elle avoit eu grand paour. Et tut que ladite voix vint aimksy que<br />

à inidv, e,, temps d'est é, elle estant au jardin <strong>de</strong> son père <strong>en</strong> un<br />

jour (le •jeùne et dit que ladite voix n'est guères sans clarté. -<br />

(Interrogatoire dc la Pucelle.)<br />

II e Interrogée se cc estoit voix d'angel ou <strong>de</strong> saint ou <strong>de</strong> Dieu<br />

» sana moyeu, rcsporid ijiic c'est la voix <strong>de</strong>s saintes Cailterine<br />

Marguerite. » (J" interrogotone.)<br />

15 e Je açay bic,, que j'aurois beaucoup à faire, triais Messire m';iL<br />

dora ; or allons <strong>de</strong> par Dieu » ( chronique <strong>de</strong> la Pucelle.)<br />

5 Le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette scène est imité dc Schiller.<br />

Jeanne n'a pas vu la mort <strong>de</strong> Salisbury mais d'après la C/<br />

nique, page h'28 , elle a, par secon<strong>de</strong> vue, été, tiinoi,i <strong>de</strong> la ta<br />

<strong>de</strong> Rouvray.<br />

Il Voyez la chronique.<br />

16 Tulle fut eu effet la baniniène <strong>de</strong> Jea,i,ir<br />

M. MirI,a,ad , page 57, et le XVIl inzer?uqu/


I Jacques et sa fille se vir<strong>en</strong>t elFi'etivetii<strong>en</strong>t à livaehiss.<br />

Cette prière, fàlle à l'occasion <strong>de</strong> Jeanne, est citée par M. Jluchou,<br />

dans ses docum<strong>en</strong>ts relatifs à la Pucelle.<br />

Voyez la chronique, page 446, dans les docum<strong>en</strong>ts, la copie d'une<br />

lettre écrite sur le sacre <strong>de</strong> Charles VII. et Monstrelit.<br />

Astesan dit qu'après le siège d'Orléans , k roi vint au—<strong>de</strong>vant <strong>de</strong><br />

Jeanne, l'accueillit avec transport et la fit asseoir à ses côtés.<br />

Les lettres d'anoblissem<strong>en</strong>t fur<strong>en</strong>t données à la Pucelle à Chàteau—Meun.<br />

Jeanne fut autorisée à pr<strong>en</strong>dre le nom du Lys.<br />

Et qui cnst veu cette Pucelle accoler le roy à g<strong>en</strong>oux par les<br />

jambes et lui baiser le pied <strong>en</strong> plourarut à chau<strong>de</strong>s larmes, il cri<br />

cust eu Pitié - Mesuuic clic provoqumoit plusieurs à pleurer <strong>en</strong> disant:<br />

» G<strong>en</strong>til rov, or csi exécuté le plaisir <strong>de</strong> Dieu qui vouloit que vous<br />

viuusiez à ilhueims re.cepsoir vostre digne sacre. (hron., p . 446,'<br />

Ces vers sont d'Olivier Basselin.<br />

Imité <strong>de</strong> Villon.<br />

Cc fat à Saint—D<strong>en</strong>is et non à Rheims que Jeanne brisa ainsi<br />

son épée.<br />

Lui fust dit par ses voir qu'elle seroit prise avant qu'il fust la<br />

» sainet Jehan. ( VI' interrogatoire.)<br />

II nous est resté qulvlqus inuits qui prouv<strong>en</strong>t que Jacques d'Are<br />

était peu disposé à favoriser les projets <strong>de</strong> sa fille: Si je cuidoic<br />

que la chose ativinsit que j'ai songi d'elle, je voudrois que vous<br />

la noyissiez, et se vous ne ic faisiez, je la noverois moi—mime. »<br />

p 20. - !_1 lnzerroqnrotus'.


1TT P±1c<br />

Guillaume <strong>de</strong> Flavv, gouverneur <strong>de</strong> Compiègne, a été soupçonné<br />

d'avoir livré la Pucelle. (Voyez la Biographie universelle et la Notice<br />

<strong>de</strong> MM. Michaud et Poujoulat.)<br />

2 Pierre Cauchon avait été chassé <strong>de</strong> son diocèse.<br />

Dit que se elle disoit que Dieu ne l'a <strong>en</strong>voyée, elle se damp-<br />

» neroit. (XXII' interrogatoire.)<br />

Voyez la Notice.<br />

Il avait esté à la peine, c'est bi<strong>en</strong> raison qu'il fust à l'honneur. »<br />

(XVII' interrogatoire.)<br />

c Se je n'y suis, Dieu m'y veuille mettre , et se je y suis, Dieu<br />

• veuille m'y t<strong>en</strong>ir. a (IV' interrogatoire.)<br />

c Je disois : <strong>en</strong>trez hardim<strong>en</strong>t au milieu <strong>de</strong>s Anglais, et y <strong>en</strong>trais<br />

• moi-mesme. » (Interrogatoire.)<br />

On revint plusieurs fois sur les habits d'homme que portait Jeanne,<br />

on lui fit un crime dc ce costume.<br />

Le greffier Manchou déposa qu'ayant été le lundi à la prison,<br />

avec l'évêque <strong>de</strong> Beauvais, pour procé<strong>de</strong>r, Jeanne leur dit qu'elle<br />

avait pris l'habit d'homme pour la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> son honneur, att<strong>en</strong>du<br />

qu'on avait voulu att<strong>en</strong>ter à sa pu<strong>de</strong>ur. (Panthéon, XV' siècle,<br />

Notice litt. par M. J3uchon.)<br />

50 e Ils seront tous boutés hors <strong>de</strong> France, excepté ceux qui y<br />

mourront. »<br />

e Les saintes me disoi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> respondie hardim<strong>en</strong>t. »<br />

12 c Me di<strong>en</strong>t mes voix pr<strong>en</strong>ds tout <strong>en</strong> gré, ne te chaule <strong>de</strong> ton<br />

» martyre, tu t'eii v<strong>en</strong>ras <strong>en</strong>fin au royaume du paradis. »


224 NOTES.<br />

Interrogée sur ce qu'elle a dit au rot : - allez le lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.<br />

e Interrogée se quand elle partit <strong>de</strong> ses pèle et mère, elle cui-<br />

• doit point pescher, respond : 1iukqui . Dieu le commaiidoit, se elle<br />

• eust eu c<strong>en</strong>t pères et c<strong>en</strong>t mères , et se elle eust esté fille <strong>de</strong> roy,<br />

• elle l'est partie. »<br />

Je veux maint<strong>en</strong>ir le mesme que j'av toujours t<strong>en</strong>u <strong>en</strong> mon<br />

• procès et se je cetois ja cil jugem<strong>en</strong>t ci voie le feu allumé et le<br />

• bois préparé et le bourreau prêt à ma jeter <strong>de</strong>dans, et <strong>en</strong>core<br />

quand serois cil n'<strong>en</strong> diroit aulire chose que ce que j'<strong>en</strong> ai<br />

dict , mais veux soust<strong>en</strong>ir cc que j'<strong>en</strong> ai dirt jusques à la mort. »<br />

(XXI -1 interrogatoire. )<br />

01 Cette m<strong>en</strong>ace l'ut effectivem<strong>en</strong>t faite 'u Ladv<strong>en</strong>n , frère prdcbeur,<br />

qui assista Jeanne sur le bêcher.<br />

Il Voyez la délibération <strong>de</strong>s juges b la suite du XXIV i?ZterrOqa-<br />

toire, Ce qui empêcha (le livrer Jeanne à la torture, ce l'ut la crainte<br />

qu'elle ne pèt la supporter. C'était le bêcher qu'on lui voulait. Lors<br />

<strong>de</strong> la maladie qu'elle fit dans sa prison , Warwieli disait Pour<br />

• ri<strong>en</strong> ait Mon<strong>de</strong>, le roi ne voudrait qu'elle 1110 u 'miL <strong>de</strong> mort na tu-<br />

, relie ; il l'a u cii etée assez elle r , il mie veut pas pi 'elle mmi cii re au-<br />

• trcmcnt que par justice et veut qu'elle soit brèlée. »


ITCTZZ ZIT I1T©I±1 À.<br />

P<strong>en</strong>dant que Jeanne dormait, on lui <strong>en</strong>leva les habits <strong>de</strong> femme<br />

qu'elle avait repris, et on lui fit un crime <strong>de</strong> paraitre Bons un vètem<strong>en</strong>t<br />

d'homme, le ecui qu'on lui e,t laissé.<br />

2 Voyez la isole 17 du quatrième acte.<br />

Jeanne, durant sa captivité, n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit ses voix que rarem<strong>en</strong>t.<br />

Voyez le récit <strong>de</strong> cette scène dans la Notice sur Jeanne d'Arc<br />

et dans la Biographie universelle.<br />

La céduic qui lui avait été lise cont<strong>en</strong>ait simplem<strong>en</strong>t la promesse<br />

<strong>de</strong> ne plus porter les armes , <strong>de</strong> laisser eroitre ses cheveux<br />

• et <strong>de</strong> porter l'habit d'homme. Celle qu'elle signa r<strong>en</strong>fermait plusieurs<br />

• pages, et elle s'y reconnaissait dissolue, hérétique, siditieuse, invocatrice<br />

<strong>de</strong>s démons, coupable <strong>en</strong>fin <strong>de</strong>s forfaits les plus contraires<br />

et les plus abominables. (Biographie universelle. )<br />

Les Anglais, s'écria-t-elle, abandonneront un pins grand gage<br />

• qu'ils n'ont lait <strong>de</strong>vant Orléans, et perdront tout <strong>en</strong> France. -<br />

• Comm<strong>en</strong>t savez-vous cela ? - Par la révélation qui m'<strong>en</strong> s été faite;<br />

• cela arrivera avant sept ans, et je suis fichée que cela doive tant<br />

• tar<strong>de</strong>r. s Toutes les fois que, dans le procès il était question <strong>de</strong> l<br />

France, Jeanne oubliait sa propre cause, elle oubliait sa captivité et<br />

les périls dont elle était m<strong>en</strong>acée; prisonnière <strong>de</strong>s Anglais, elle leur<br />

parlait <strong>en</strong>core comme au temps <strong>de</strong> ses victoires. » ( Notice, p . 411.)<br />

Voyez cette s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce. Procès <strong>de</strong> la Pucelle, p. 509.)<br />

Il L'évêque <strong>de</strong> Beauvais dit au comte <strong>de</strong> Warwick, <strong>en</strong> sortant <strong>de</strong> la<br />

prison <strong>de</strong> Jeanne face well, fore sitU; faites bonne chère, il <strong>en</strong> est<br />

fait.<br />

LI


s<br />

r<br />

226 NOTES.<br />

° Cauchon n'obtint pas l'archev^f.-lié <strong>de</strong> Rou<strong>en</strong>. Il mourut évêque<br />

<strong>de</strong> Lisieux.<br />

e Rou<strong>en</strong> , Rou<strong>en</strong>, est—ce donc ici que je dois mourir<br />

SI Ni lus odieuses ruses <strong>de</strong> Loyseleur, ni 50fl rep<strong>en</strong>tir ne sont <strong>de</strong><br />

l'inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l'auteur. (Voyez la Notice <strong>de</strong> M. Michaud et la Biographie<br />

universelle.)<br />

Oh 1 j '<strong>en</strong> appelle à Dieu, le grand juge »<br />

Celte phrase fut rei1e que prononça Jeanne vii appr<strong>en</strong>ant quel<br />

supplice l'att<strong>en</strong>dait. Plusieurs fois, durant le procès, elle avait rappelé<br />

à Pierre Cauchon qu'il y avait un grand juge au ciel ; elle s'écria<br />

dans ic 11° interrogatoire: c Vous dites que estes mon juge , je ne<br />

• sçay se vous l'estes mais advisez bi<strong>en</strong> que vous ne jugiez mal<br />

• car vous vous mettriez <strong>en</strong> grand danger, et vous <strong>en</strong> avertis aGn que<br />

• se oestre Seigneur voue <strong>en</strong> chastis, que je fais mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />

, vous le dire.<br />

Le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> cette plirisc a été r<strong>en</strong>du dans la scène II <strong>de</strong> l'acte V.


p<br />

:wx'1<br />

- --<br />

Préface V<br />

Les Poètes <strong>de</strong> Jeanne d'Are..<br />

I. Christine <strong>de</strong> Pisan, Martial <strong>de</strong> Paris, Martin Franc,<br />

Astesan, Shakspeare, Southey ............. ..... 1<br />

Il. Chapelain ..................................... .II<br />

III. La Pucelle d'Orléans <strong>de</strong> Schiller .................. 25<br />

IV. Voltaire, D'Avriguy, Soumet, Nancy, C. De]aizne 55<br />

Personnages......................................<br />

Costumes.......................................<br />

La tragédie......................................<br />

Notcs........................... ............. ...


Page i6, vers six, au lieu <strong>de</strong>:<br />

A Rayrnond, et heureuse! En vain, je t'ai prise<br />

Lisez: A Raymond. 1l,ilas! Jeanne, <strong>en</strong> vain, je t'ai priée.<br />

Page 57, vers huit, au lieu <strong>de</strong>:<br />

Lisez<br />

C'est toi qui doit faire<br />

C'est toi qui dois faire<br />

Page 150, vers cinq, au lieu <strong>de</strong>:<br />

Lisez<br />

Et ses soeurs<br />

Et sa soeur.<br />

Page lii, vers trois, au lieu <strong>de</strong>:<br />

Malheur Malheur Cette arme que nies voix<br />

Lisez:<br />

Malheur! Malheur I Malheur! Cette arme que mes voix<br />

Page 158, vers un, au lieu <strong>de</strong>:<br />

Lisez<br />

Je Saurais <strong>en</strong>core te bénir.<br />

Je saurais <strong>en</strong>cor te bénir.

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