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t: O<br />
UN CHAPITRE<br />
DE<br />
L'HISTOIRE DES SCIENCES<br />
TRANSMISSION DES INDUSTRIES CHIMIQUES DE L'ANTIQUITÉ<br />
AU MOYEN AGE.<br />
I.<br />
La chimie est une sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>rne, constituée <strong>de</strong>puis un siècle<br />
à peine; mais ses problèmes théoriques Ont été agités et ses pratiques<br />
mises <strong>en</strong> oeuvre p<strong>en</strong>dant tout le moy<strong>en</strong> âge. Les nations <strong>de</strong><br />
l'antiquité les avai<strong>en</strong>t déjà connus : l'origine s'<strong>en</strong> perd dans la<br />
nuit <strong>de</strong>s religions primitives et <strong>de</strong>s civilisations préhistoriques. J'ai<br />
retracé ailleurs les premières t<strong>en</strong>tatives rationnelles pour expliquer<br />
les transformations chimiques <strong>de</strong> la matière, t<strong>en</strong>tatives exposées<br />
dans le Timée <strong>de</strong> Platon et dans les Météorologiques d'Aristote,<br />
puis, développées par les savans gréco-égypti<strong>en</strong>s et associées par eux<br />
à une philosophie symbolique mêlée <strong>de</strong> chimères; je dirai quelque<br />
jour comm<strong>en</strong>t cette philosophie a été continuée par les Arabes et<br />
par les peuples occid<strong>en</strong>taux. Mais je me propose aujourd'hui <strong>de</strong><br />
traiter un sujet plus positif et moins subtil : je veux parler <strong>de</strong>s<br />
industries chimiques du mon<strong>de</strong> antique et <strong>de</strong> leur transmission aux<br />
Latins du moy<strong>en</strong> âge. Ce récit n'est peut-être pas sans intérêt pour<br />
montrer comm<strong>en</strong>t la culture <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces a été perpétuée dans<br />
Docum<strong>en</strong>t<br />
Il II Il Il IL III lilll h 11111 111111<br />
0000005630820
LLO REVUE DES DEUX MONDES.<br />
l'ordre matériel, par les nécessités <strong>de</strong> leurs applications, à travers<br />
les catastrophes <strong>de</strong>s invasions et la ruine <strong>de</strong> la civilisation. L'exterrninati9n<br />
totale <strong>de</strong>s populations, telle qu'elle a été pratiquée parfois<br />
par les Mongols et par les Tartares, serait seule capable<br />
d'anéantir complètem<strong>en</strong>t cette culture. Certes, lorsque Tamerlan<br />
érigeait sur les ruines d'ispahan une p y rami<strong>de</strong> formée avec les<br />
70,00() têtes <strong>de</strong> ses habitans, la tradition <strong>de</strong>s artisans a di périr<br />
<strong>en</strong> même temps que la culture <strong>de</strong>s philosophes; mais un massacre<br />
aussi radical s'est rarem<strong>en</strong>t vu dans l'histoire <strong>de</strong> la race humaine.<br />
Peut-être quelque lecteur sera-t-il surpris d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre parler <strong>de</strong>s<br />
industries chimiques <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains accoutumé à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />
par là la préparation <strong>de</strong> l'aci<strong>de</strong> sulfurique et <strong>de</strong> la sou<strong>de</strong><br />
artificielle, la fabrication du gaz <strong>de</strong> l'éclairage et celle <strong>de</strong>s brillantes<br />
<strong>couleurs</strong> du goudron <strong>de</strong> houille, il ne voit ri<strong>en</strong> d'analogue<br />
dans l'antiquité. C'est que le domaine <strong>de</strong> la chimie est plus vaste<br />
et compr<strong>en</strong>d tout l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s métamorphoses <strong>de</strong>s corps, opérées<br />
par d'autres Foies que par l'action <strong>de</strong>s forces mécaniques et physiques.<br />
Dès les temps les plus reculés, l'homme a appliqué les pratiques<br />
chimiques à ses besoins, <strong>en</strong> mettant <strong>en</strong> oeuvre ces pratiques<br />
pour la métallurgie, la céramique, la teinture et la peinture, la<br />
confection <strong>de</strong>s alim<strong>en</strong>s, la mé<strong>de</strong>cine et jusqu'à l'art <strong>de</strong> la guerre.<br />
Si l'or, et parfois l'arg<strong>en</strong>t et le cuivre exist<strong>en</strong>t à l'état natif et n'exig<strong>en</strong>t<br />
alors qu'une préparation mécanique, le plomb, d'autre part,<br />
l'étain, le fer, et, disons plus, le cuivre et l'arg<strong>en</strong>t, ne saurai<strong>en</strong>t être<br />
extraits <strong>de</strong> leurs minerais ordinaires quepar <strong>de</strong>s artifices fort compliqués.<br />
La production <strong>de</strong>s alliages, si nécessairespour la fabrication <strong>de</strong>s<br />
armes et pour celle <strong>de</strong>s monnaies et <strong>de</strong>s bijoux, est aussi un art<br />
ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t chimique. C'est même l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s alliages usités<br />
<strong>en</strong> orfèvrerie qui a donné naissance aux préjugés et aux frau<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> l'alchimie, ainsi qu'<strong>en</strong> témoigne l'étu<strong>de</strong> d'un papyrus égypti<strong>en</strong><br />
conservé dans le musée <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong> et celle <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong>s alchimistes<br />
grecs.<br />
L'art <strong>de</strong> préparer les cim<strong>en</strong>s, les poteries, le verre surtout,<br />
repose égalem<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s opérations chimiques. L'ouvrier qui teignait<br />
les étoffes, les vêtem<strong>en</strong>s et les t<strong>en</strong>tures <strong>en</strong> pourpre, ou <strong>en</strong><br />
d'autres <strong>couleurs</strong>, industrie usitée d'abord <strong>en</strong> Égypte, <strong>en</strong> Syrie,<br />
puis dans tout le mon<strong>de</strong> grec, romain et persan, - pour ne pas<br />
parler <strong>de</strong> l'extrême Ori<strong>en</strong>t, se livrait à <strong>de</strong>s manipulations chimiques<br />
très développées les tissus retrouvés dans les momies et<br />
dans les sarcophages <strong>en</strong> attest<strong>en</strong>t la perfection. Pline et Vitruve décriv<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> détail la production <strong>de</strong>s <strong>couleurs</strong>, telles que cinabre ou<br />
vermillon, minium, rubriques, indigo, <strong>couleurs</strong> noires, vertes et<br />
bleues, tant végétales que minérales, mises <strong>en</strong> oeuvre par les pein-
LA ]RANSMISSION DES INDUSTRIES CHIMIQUES. iti<br />
tres. La chimie <strong>de</strong> l'alim<strong>en</strong>tation, fécon<strong>de</strong> <strong>en</strong> ressources et <strong>en</strong><br />
frau<strong>de</strong>s, était dès lors mise <strong>en</strong> oeuvre. On savait accomplir â volonté<br />
ces ferm<strong>en</strong>tations délicates qui produis<strong>en</strong>t le pain, le vin, la bière<br />
et qui modifi<strong>en</strong>t un grand nombre d'alim<strong>en</strong>s; on savait aussi, comme<br />
<strong>de</strong> nos jours, falsifier le vin par l'addition du plâtre et d'autres<br />
ingrédi<strong>en</strong>s. L'art <strong>de</strong> guérir, cherchant partout <strong>de</strong>s ressources<br />
contre les maladies, avait appris à transformer et à fabriquer un<br />
grand nombre <strong>de</strong> produits minéraux et végétaux, tels que le suc<br />
du pavot, les extraits <strong>de</strong>s solanées, l'oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> cuivre, le ver<strong>de</strong>t,<br />
la litharge, la céruse, les sulfures d'ars<strong>en</strong>ic et l'aci<strong>de</strong> arsénieux<br />
remè<strong>de</strong>s et poisons étai<strong>en</strong>t composés k la fois, dans <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseins divers,<br />
par les mé<strong>de</strong>cins et par les magici<strong>en</strong>s.<br />
Enfin, la fabrication <strong>de</strong>s armes et celle <strong>de</strong>s substances inc<strong>en</strong>diaires<br />
pétrole, soufre, résines et bitumes, avai<strong>en</strong>t déjà, autrefois<br />
comme <strong>de</strong> notre temps, sollicité l'esprit <strong>de</strong>s inv<strong>en</strong>teurs et<br />
donné lieu à <strong>de</strong>s applications redoutables, dans l'art <strong>de</strong>s sièges<br />
spécialem<strong>en</strong>t et dans celui <strong>de</strong>s combats marins; précédant l'inv<strong>en</strong>tion<br />
du feu grégeois, précurseur lui-même <strong>de</strong> la poudre â canon<br />
et <strong>de</strong> nos terribles matières explosives.<br />
On voit pal' ce tableau rapi<strong>de</strong> combi<strong>en</strong> le mon<strong>de</strong> romain était<br />
déjà avancé dans la connaissance <strong>de</strong>s industries chimiques, au mom<strong>en</strong>t<br />
où il s'écroula sous les coups <strong>de</strong>s Barbares. Mais la ruine <strong>de</strong><br />
l'organisation antique eut lieu par <strong>de</strong>grés; si la haute culture sci<strong>en</strong>tifique,<br />
peu accessible à <strong>de</strong>s esprits grossiers, cessa d'être <strong>en</strong>couragée<br />
et lut à peu près abandonnée; si les philosophes grecs, ballottés<br />
<strong>en</strong>tre la persécution religieuse <strong>de</strong>s empereurs byzantins et<br />
le dédain indiflér<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s souverains persans, ne formèr<strong>en</strong>t plus<br />
d'élèves; si les grands noms <strong>de</strong> la physique, <strong>de</strong> la mathématique,<br />
<strong>de</strong> l'alchimie grecque ne pass<strong>en</strong>t guère le temps <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong>;<br />
cep<strong>en</strong>dant, il est certain que la nécessité <strong>de</strong>s professions indisp<strong>en</strong>sables<br />
à la vie humaine, ou recherchées par le luxe <strong>de</strong>s souverains<br />
et <strong>de</strong>s prêtres, a dû maint<strong>en</strong>ir et a maint<strong>en</strong>u effectivem<strong>en</strong>t<br />
la plupart <strong>de</strong>s industries chimiques.<br />
A l'appui <strong>de</strong> ces raisonnem<strong>en</strong>s, on peut apporter <strong>de</strong>s preuves <strong>de</strong><br />
divers ordres. Les unes sont tirées <strong>de</strong> l'exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>s,<br />
armes, poteries et verreries, étoffes, gemmes et bijoux, objets<br />
d'art <strong>de</strong> toute nature, qui sont parv<strong>en</strong>us jusqu'à nous. Cet exam<strong>en</strong><br />
fournit, <strong>en</strong> effet, <strong>de</strong>s résultats incontestables, pourvu que la date <strong>de</strong>s<br />
objets soit certaine et qu'ils n'ai<strong>en</strong>t subi aucune restauration. Sous<br />
ce <strong>de</strong>rnier rapport, on ne saurait montrer trop <strong>de</strong> prud<strong>en</strong>ce et<br />
même <strong>de</strong> défiance, quand on examine soit les édifices, soit les objets<br />
conservés dans les musées. Non-seulem<strong>en</strong>t ces objets ont été sujets<br />
à bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s falsifications; mais les plus auth<strong>en</strong>tiques ont été très souv<strong>en</strong>t<br />
restaurés, sans aucune mauvaise int<strong>en</strong>tion, d'ailleurs. Celui qui
A2 REVUE DES DEUX MONDES.<br />
fon<strong>de</strong>rait ses inductions sur l'exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s sculptures et <strong>de</strong>s vitraux<br />
<strong>de</strong> certaines églises gothiques, refaites au xix° siècle, serait exposa<br />
à bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s erreurs. Parmi les objets transmis par les trésors <strong>de</strong>s<br />
églises et les collections <strong>de</strong>s musées <strong>de</strong>puis l'époque carlovingi<strong>en</strong>no,<br />
il <strong>en</strong> est peu qui n'ai<strong>en</strong>t été complétés et restaurés à diverses reprises,<br />
par les conservateurs <strong>de</strong>s Xy ILe, XVILIe et XIXe siècles. il suffit<br />
d'avoir manié ces objets et d'être <strong>en</strong>tré dans le détail <strong>de</strong> leur conservation<br />
pour s'assurer que leurs ornem<strong>en</strong>s, leurs app<strong>en</strong>dices,<br />
les perles et verres colorés qui les orn<strong>en</strong>t, ont été <strong>de</strong> tout temps<br />
et sont <strong>en</strong>core <strong>de</strong> nos jours l'objet d'une réfection incessante.<br />
Cep<strong>en</strong>dant et sous ces réserves, <strong>de</strong> tels objets <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t les<br />
témoignages les plus auth<strong>en</strong>tiques <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong>s industries d'autrefois.<br />
Ils <strong>en</strong> témoign<strong>en</strong>t surtout au mom<strong>en</strong>t où on les découvre au<br />
sein <strong>de</strong>s tombeaux et dans <strong>de</strong>s lieux qui n'ont pas été touchés ou<br />
violés par l'homme p<strong>en</strong>dant le cours <strong>de</strong>s siècles.<br />
Les récits et les <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong>s histori<strong>en</strong>s contemporains fourniss<strong>en</strong>t<br />
d'autres r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>s, moins précis d'ailleurs; car il<br />
vaut mieux avoir <strong>en</strong> main l'objet que sa <strong>de</strong>scription. Ils ont pourtant<br />
cet avantage <strong>de</strong> nous donner <strong>de</strong>s indications indép<strong>en</strong>dantes<br />
<strong>de</strong>s progrès ultérieurs <strong>de</strong> l'industrie. Nous possédons un ordre <strong>de</strong><br />
données plus sûres et plus exactes <strong>en</strong>core que les chroniques,<br />
dans les traités techniques et ouvrages relatifs aux arts et métiers,<br />
qui sont parv<strong>en</strong>us jusqu'à nous, toutes les fois que ces traités<br />
ont une date certaine, ne fût—ce que celle <strong>de</strong> leurs copies. Cette<br />
source <strong>de</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>s est connue déjà pour l'antiquité. Elle ne<br />
fait pas défaut au moy<strong>en</strong> fige, bi<strong>en</strong> qu'elle paraisse avoir échappé<br />
presque complètem<strong>en</strong>t jusqu'ici aux érudits qui ont écrit l'histoire<br />
<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce; et elle permet <strong>de</strong> reconstituer celle-ci sous une forme<br />
et avec une précision nouvelles. Or c'est à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces docurn<strong>en</strong>s<br />
que je vais essayer <strong>de</strong> montrer, <strong>en</strong> m'attachant surtout aux industries<br />
chimiques, quelles connaissances soit pratiques, soit théoriques,<br />
ont subsisté après la chute <strong>de</strong> la civilisation antique, et comm<strong>en</strong>t<br />
les traditions d'atelier ont maint<strong>en</strong>u ces industries, presque sans<br />
inv<strong>en</strong>tions nouvelles d'ailleurs, mais, du moins, à un certain niveau<br />
<strong>de</strong> perfection.<br />
II.<br />
L'histoire <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces physiques dans l'antiquité ne nous est<br />
connue que très imparfaitem<strong>en</strong>t; il n'existait pas alors <strong>de</strong> traités<br />
méthodiques, <strong>de</strong>stinés à l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, tels que ceux qui paraiss<strong>en</strong>t<br />
chaque jour <strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Allemagne, <strong>en</strong> Angleterre, aux<br />
États-Unis et dans les principaux États civilisés. Aussi, à l'exception<br />
<strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces médicales, étudiées <strong>de</strong> tout temps avec empres-
LA TRANSMISSION DES INDUSTRIES CHIMIQUES.<br />
sem<strong>en</strong>t, ne possédons-nous que <strong>de</strong>s notions insuffisantes sur les<br />
procédés usités dans les arts et métiers <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s.<br />
La métho<strong>de</strong> expérim<strong>en</strong>tale <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes a relié ces pratiques<br />
<strong>en</strong> corps <strong>de</strong> doctrines et elle <strong>en</strong> a montré les relations étroites<br />
avec les théories auxquelles elles serv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> base et <strong>de</strong> confirmation.<br />
Mais cette métho<strong>de</strong> était à peu près ignorée <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s,<br />
sinon <strong>en</strong> fait, du moins comme principe général <strong>de</strong> connaissances<br />
sci<strong>en</strong>tifiques. Leurs industries n'étai<strong>en</strong>t guère rattachées à <strong>de</strong>s théories,<br />
si ce n'est pour les mesures <strong>de</strong> longueur, <strong>de</strong> surface ou <strong>de</strong><br />
volume, qui se déduis<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la géométrie, et pour<br />
les recettes <strong>de</strong> l'orfèvrerie, origine <strong>de</strong>s théories, <strong>en</strong> partie réelles,<br />
<strong>en</strong> partie imaginaires, <strong>de</strong> l'alchimie. On s'est <strong>de</strong>mandé même si les<br />
formules industrielles n'étai<strong>en</strong>t pas conservées autrefois par voie<br />
<strong>de</strong> tradition purem<strong>en</strong>t orale et soigneusem<strong>en</strong>t réservée aux initiés.<br />
Quelques bribes <strong>de</strong> cette tradition aurai<strong>en</strong>t été transcrites dans<br />
les notes qui ont servi à composer l'histoire naturelle <strong>de</strong> Pline et<br />
les ouvrages <strong>de</strong> Vitruve et d'Isidore <strong>de</strong> Séville, non sans un mélange<br />
considérable <strong>de</strong> fables et d'erreurs; mais la masse principale<br />
<strong>de</strong> ces connaissances aurait été perdue. Cep<strong>en</strong>dant, un exam<strong>en</strong><br />
plus approfondi <strong>de</strong>s ouvrages qui nous sont v<strong>en</strong>us <strong>de</strong> l'antiquité, une<br />
étu<strong>de</strong> plus att<strong>en</strong>tive <strong>de</strong> manuscrits, d'abord négligés, parce qu'ils<br />
ne se rapport<strong>en</strong>t ni aux étu<strong>de</strong>s littéraires ou théologiques, ni aux<br />
questions historiques ordinaires, permet d'affirmer qu'il n'<strong>en</strong> a pas<br />
été ainsi chaque jour nous découvrons <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>s nouveaux<br />
et considérables, propres à établir que les procédés <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s<br />
industriels étai<strong>en</strong>t alors, comme aujourd'hui, inscrits dans <strong>de</strong>s<br />
cahiers ou manuels d'ateliers, <strong>de</strong>stinés à l'usage <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s du<br />
métier et que ceux-ci se sont transmis <strong>de</strong> main <strong>en</strong> main, <strong>de</strong>puis les<br />
temps reculés <strong>de</strong> la vieille Égypte et <strong>de</strong> l'Égypte alexandrine, jusqu'a<br />
ceux <strong>de</strong> l'empire romain et du moy<strong>en</strong> âge.<br />
La découverte <strong>de</strong> ces cahiers offre d'autant plus d'intérêt que<br />
l'emploi <strong>de</strong>s métaux précieux chez les peuples civilisés remonte à<br />
la plus haute antiquité; or la technique <strong>de</strong>s orfèvres et <strong>de</strong>s<br />
joailliers anci<strong>en</strong>s ne nous est révélée tout d'abord que par l'exam<strong>en</strong><br />
même <strong>de</strong>s objets parv<strong>en</strong>us jusqu'à nous. Les premiers textes précis<br />
et détaillés qui décriv<strong>en</strong>t leurs procédés sont Cont<strong>en</strong>us dans m<br />
papyrus égypti<strong>en</strong>, trouvé à Thèbes et qui est actuellem<strong>en</strong>t au<br />
musée <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>.<br />
Ce papyrus date du nie siècle <strong>de</strong> notre ère; il est écrit <strong>en</strong> langue<br />
grecque. Je l'ai traduit il y a quelques années (introduction à la<br />
Chimie <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s et du moy<strong>en</strong> âge, p. 3 à 73), et je l'ai rapproché,<br />
d'une part, <strong>de</strong> quelques phrases cont<strong>en</strong>ues dans Vitruve,<br />
dans Pline et autres auteurs sur les mêmes sujets; et, d'autre<br />
part, <strong>de</strong>s ouvrages alchimiques grecs, datant du IVC et du ve siècle;
lIft REVUE DES DEUX MONDES.<br />
j'ai fait égalem<strong>en</strong>t la publication <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers, <strong>en</strong> <strong>en</strong> montrant<br />
à la fois la signification matérielle et positive et les prét<strong>en</strong>tions<br />
théoriques et philosophiques. Par ces étu<strong>de</strong>s j'ai reconstitué toute<br />
une sci<strong>en</strong>ce, l'alchimie antique, jusque-là méconnue et incomprise,<br />
parce qu'elle était londée sur un mélange <strong>de</strong> faits réels, <strong>de</strong> vues<br />
prolon<strong>de</strong>s sur l'unité <strong>de</strong> la matière, et d'imaginations religieuses<br />
chimériques.<br />
Ces pratiques et ces théories avai<strong>en</strong>t une portée plus gran<strong>de</strong> <strong>en</strong>core<br />
que le travail <strong>de</strong>s métaux. En eflet, les industries <strong>de</strong>s métaux<br />
précieux étai<strong>en</strong>t liées à cette époque avec celles <strong>de</strong> la teinture <strong>de</strong>s<br />
étoffes, <strong>de</strong> la coloration <strong>de</strong>s verres et <strong>de</strong> l'imitation <strong>de</strong>s pierres<br />
précieuses, toutes guidées par les mêmes idées tinctoriales et<br />
mises <strong>en</strong> oeuvre par les mêmes opérateurs.<br />
Ainsi, l'alchimie et l'espérance chimérique <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'or sont<br />
nées <strong>de</strong>s artifices <strong>de</strong>s orfèvres pour colorer les métaux ; les prét<strong>en</strong>dus<br />
procédés <strong>de</strong> transmutation, qui ont eu cours p<strong>en</strong>dant tout<br />
le moy<strong>en</strong> âge, n'étai<strong>en</strong>t, à l'origine, quo <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong> main pour<br />
préparer <strong>de</strong>s alliages à bas titre, c'est-à-dire pour imiter et falsifier<br />
les métaux précieux. Mais, par une attraction presque invincible,<br />
les opérateurs livrés à ces pratiques ne tardèr<strong>en</strong>t pas à<br />
s'imaginer que l'on pouvait passer <strong>de</strong> l'imitation <strong>de</strong> l'or à sa formation<br />
eflective, surtout avec le concours <strong>de</strong>s puissances surnaturelles,<br />
évoquées par <strong>de</strong>s formules magiques.<br />
Quoi qu'il <strong>en</strong> soit, on n'a pas bi<strong>en</strong> su jusqu'ici comm<strong>en</strong>t ces<br />
pratiques et ces théories ont passé <strong>de</strong> l'É gypte, où elles fionssai<strong>en</strong>t<br />
vers la fin <strong>de</strong> l'empire romain, jusqu'à notre Occid<strong>en</strong>t, où<br />
nous les retrouvons <strong>en</strong> plein développem<strong>en</strong>t, à partir <strong>de</strong>s XLIIe et<br />
XIy e siècles, dans les écrits <strong>de</strong>s alchimistes latins et dans les laboratoires<br />
<strong>de</strong>s orfèvres, <strong>de</strong>s teinturiers et <strong>de</strong>s fabi'icans <strong>de</strong> vitraux<br />
colorés. En général, on a attribué leur r<strong>en</strong>aissance aux traductions<br />
d'ouvrages arabes, faites à cette époque. Mais, sans prét<strong>en</strong>dre nier<br />
le rôle exercé par les livres arabes sur la r<strong>en</strong>aissance <strong>de</strong>s arts et<br />
<strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t, à l'époque <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s, il n'<strong>en</strong> est pas<br />
moins certain qu'une tradition continue a subsisté dans les souv<strong>en</strong>irs<br />
professionnels <strong>de</strong>s arts et métiers <strong>de</strong>puis l'empire romain<br />
jusqu'à la pério<strong>de</strong> carlovingi<strong>en</strong>ne, et au-<strong>de</strong>là : tradition <strong>de</strong> manipulations<br />
chimiques et d'idées sci<strong>en</strong>tifiques et mystiques. En eflet,<br />
<strong>en</strong> poursuivant mes étu<strong>de</strong>s sur l'histoire <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce, j'ai r<strong>en</strong>contré,<br />
dans l'exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s ouvrages latins du moy<strong>en</strong> âge, certains<br />
manuels techniques qui se rattach<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la façon la plus directe aux<br />
traités métallurgiques <strong>de</strong>s alchimistes et orfèvres gréco-égypti<strong>en</strong> s.<br />
Je me propose d'établir ici cette corrélation, que personne n'avait<br />
signalée jusqu'à prés<strong>en</strong>t.<br />
On sait que les règles et les recettes <strong>de</strong> thérapeutique et <strong>de</strong>
I.A. IHAN IIS5IN DES INI)!SI11IiS (1ll!11[IS.<br />
matière médicale ont été conservées pareillem<strong>en</strong>t par la pratique,<br />
qui n'a jamais cessé, dans <strong>de</strong>s Réceptaires et autres traités latins<br />
ces traités, traduits du grec, dès l'époque <strong>de</strong> l'empire romain, et<br />
compilés du i au Vile siècle <strong>de</strong> notre ère, ont passé <strong>de</strong> main<br />
<strong>en</strong> main et ont été recopiés fréquemm<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant les débuts du<br />
moy<strong>en</strong> âge. La transmission <strong>de</strong>s arts militaires et celle <strong>de</strong>s formules<br />
inc<strong>en</strong>diaires, <strong>en</strong> particulier, ont été poursuivies égalem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis<br />
les Grecs et les Romains, à travers les âges barbares. Bref, la<br />
nécessité <strong>de</strong>s applications a partout fait subsister une certaine<br />
tradition expérim<strong>en</strong>tale <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> la civilisation antique.<br />
IiI.<br />
Au moy<strong>en</strong> âge, les plus vieux traités techniques latins, relatifs à<br />
la chimie, que nous connaissions, sont les « Formules <strong>de</strong> teinture<br />
» (Compositiones ad ting<strong>en</strong>da), - nous <strong>en</strong> possédons un<br />
manuscrit écrit vers la fin du VIlle siècle, - et la « Clé <strong>de</strong> la teinture<br />
n (iliupp(v clavieula), dont le plus vieux manuscrit remonte<br />
au Xe siècle. Ces <strong>de</strong>ux ouvrages nous ont transmis <strong>de</strong>s procédés<br />
et <strong>de</strong>s textes contemporains <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'empire<br />
romain. Cep<strong>en</strong>dant ils n'ont été jusqu'ici l'objet d'aucun comm<strong>en</strong>taire.<br />
Leur connaissance a dû être fort répandue autrefois; car nous<br />
<strong>en</strong> possédons plusieurs copies, et certaines <strong>de</strong> leurs recettes sont<br />
reproduites textuellem<strong>en</strong>t dans les manuscrits alchimiques latins<br />
<strong>de</strong> la <strong>Bibliothèque</strong> <strong>nationale</strong> <strong>de</strong> Paris. Ces collections <strong>de</strong> recettes<br />
form<strong>en</strong>t donc une série ininterrompue, <strong>de</strong>puis les articles du papyrus<br />
grec <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>, écrit au iii" siècle <strong>de</strong> notre ère et découvert<br />
dans les tombeaux <strong>de</strong> Thèbes au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du mi e , jusqu'à<br />
ceux <strong>de</strong>s traités latins, écrits au moy<strong>en</strong> âge, tels que les précéd<strong>en</strong>s,<br />
ceux du moine Éraclius « sur les arts et les <strong>couleurs</strong> <strong>de</strong>s<br />
Romains, » et du moine Théophile, auteur du « Tableau <strong>de</strong> divers<br />
arts, » ainsi que les opuscules publiés par Mrs Merrifield:<br />
praclue of painting. La suite <strong>de</strong> ces traités et opuscules se continue<br />
aux XVIe et XVILe siècles, par les ouvrages <strong>de</strong> Secrets d'Alessio,<br />
<strong>de</strong> Mizaldi, <strong>de</strong> Porta et <strong>de</strong> Wecker, jusqu'aux traités <strong>de</strong> teinture,<br />
<strong>de</strong> verrerie et d'orfèvrerie du xvii 0 siècle, et même jusqu'aux manuels<br />
Roret <strong>de</strong> notre temps.<br />
Le plus anci<strong>en</strong> <strong>de</strong> ces traités, les Formules <strong>de</strong> teinture, a été r<strong>en</strong>contré<br />
dans un manuscrit <strong>de</strong> la bibliothèque du chapitre <strong>de</strong>s chanoines<br />
<strong>de</strong> Lucques, écrit au temps <strong>de</strong> Charlemagne et r<strong>en</strong>fermant divers<br />
autres ouvrages. Il a été publié au siècle <strong>de</strong>rnier par Muratori,<br />
dans ses Antiquitates italicœ (t. u, p. 364-387, disserlalio xxiv),<br />
sous le titre : « Recettes pour teindre les mosaïques, les peaux et<br />
autres objets, pour dorer le fer, pour l'emploi <strong>de</strong>s matières miné-
REVUE DES DEUX MONDES.<br />
raies, pour l'écriture cri lettres d'or, pour les soudures et collages,<br />
et autres docum<strong>en</strong>s techniques. » M. Giry, <strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s<br />
chartes, a collationné ce manuscrit sur place, et il a eu l'extrême<br />
obligeance <strong>de</strong> me communiquer sa collation, qui est fort importante.<br />
Les Formules <strong>de</strong> teinture no constitu<strong>en</strong>t pas un livre méthodique,<br />
tels que nos ouvrages mo<strong>de</strong>rnes sur l'orfèvrerie, ou sur la<br />
céramique, coordonnés d'après la nature <strong>de</strong>s matières. C'est un<br />
cahier <strong>de</strong> recettes et <strong>de</strong> docurn<strong>en</strong>s, récoltés par un pratici<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />
vue <strong>de</strong> l'exercice <strong>de</strong> son art et <strong>de</strong>stinés à lui fournir à la fois <strong>de</strong>s<br />
procédés pour l'exécution <strong>de</strong> ses fabrications et <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>s<br />
sur l'origine <strong>de</strong> ses matières premières. Les sujets qui y<br />
sont exposés sont les suivans : coloration ou teinture <strong>de</strong>s pierres<br />
artificielles, <strong>de</strong>stinées à la fabrication <strong>de</strong>s mosaïques; leur dorure<br />
et arg<strong>en</strong>ture, leur polissage; fabrication <strong>de</strong>s verres colorés <strong>en</strong><br />
vert, <strong>en</strong> blanc laiteux, <strong>en</strong> rouge <strong>de</strong> diverses nuances, <strong>en</strong> pourpre,<br />
<strong>en</strong> jaune; colorations tantôt profon<strong>de</strong>s, tantôt superficielles, parfois<br />
même réalisées à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> simples vernis. La fabrication du<br />
verre est accompagnée par une <strong>de</strong>scription sommaire du fourneau<br />
<strong>de</strong>s verriers, laquelle se retrouve avec <strong>de</strong>s développem<strong>en</strong>s <strong>de</strong> plus<br />
<strong>en</strong> plus grands chez les auteurs postérieurs, tels que Théophile,<br />
et plus tard les écrivains techniques et alchimiques <strong>de</strong> la fin du<br />
moy<strong>en</strong> âge: la filiation historique <strong>de</strong> ces procédés et appareils est<br />
par là r<strong>en</strong>due manifeste.<br />
La teinture <strong>de</strong>s peaux <strong>en</strong> pourpre, <strong>en</strong> vert, <strong>en</strong> jaune, <strong>en</strong> rouges<br />
multiples, sujet où les Égypti<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t fort avancés,'et qui s'est<br />
perpétué chez les Byzantins, puis la teinture <strong>de</strong>s bois, <strong>de</strong>s os et <strong>de</strong><br />
la corne, sont aussi signalées. On trouve <strong>en</strong>core dans cet ouvrage<br />
la m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s minerais, <strong>de</strong>s métaux, <strong>de</strong>s terres usités <strong>en</strong> orfèvrerie<br />
et <strong>en</strong> peinture. On y voit apparattre <strong>de</strong>s idées singulières sur le<br />
rôle du soleil et <strong>de</strong> la chaleur, propre à. certaines terres chau<strong>de</strong>s,<br />
pour la production <strong>de</strong>s minerais, doués <strong>de</strong> vertus correspondantes;<br />
tandis qu'une terre froi<strong>de</strong> produirait <strong>de</strong>s minerais <strong>de</strong> faible qualité.<br />
Ceci rappelle les théories d'Aristote sur l'exhalaison sèche,<br />
opposée à l'exhalaison humi<strong>de</strong> dans la génération <strong>de</strong>s minéraux,<br />
théories qui ont joué un grand rôle au moy<strong>en</strong> âge.<br />
L'auteur distingue un minerai <strong>de</strong> plomb féminin et léger, opposé<br />
à un minerai masculin et lourd : distinction pareille à celle<br />
<strong>de</strong>s minerais d'antimoine mâle et femelle, dont parie Pline; aux<br />
bleus mâle et femelle <strong>de</strong> Théophraste et à diverses indications du<br />
même g<strong>en</strong>re : l'assimilation <strong>de</strong>s minéraux aux êtres vivans est<br />
continuelle dans la chimie du moy<strong>en</strong> âge.<br />
On lit égalem<strong>en</strong>t dans cet ouvrage <strong>de</strong>s articles développés sur<br />
certaines opérations, telles que l'extraction du mercure, du plomb,
LA. TRANSMISSION DES INDUSTRIES CHIMiQUES.<br />
la cuisson du soufre, les préparations <strong>de</strong> la céruse avec le plomb<br />
et le vinaigre, du vert-<strong>de</strong>-gris avec le vinaigre et le cuivre, déjà décrites<br />
dans Théophraste et Dioscori<strong>de</strong>, celle <strong>de</strong>s cadmies, oxy<strong>de</strong>s do<br />
plomb et <strong>de</strong> zinc impurs, celle du cuivre brûlé (aes ustum), <strong>de</strong> la<br />
litharge , <strong>de</strong> l'orpim<strong>en</strong>t, celle du cinabre artificiel, inconnue à<br />
l'époque <strong>de</strong> Pline, etc.<br />
L'écrivain indique certains alliages, peu nombreux à la vérité,<br />
tels que le bronze, le cuivre blanc et le cuivre couleur d'or, sujet<br />
souv<strong>en</strong>t traité par les alchimistes grecs, qui ont passé <strong>de</strong> là à<br />
l'idée <strong>de</strong> transmutation. Le nom du bronze (brundisium) apparatt<br />
pour la première fois; ce nom à été souv<strong>en</strong>t controversé parmi<br />
les philologues : son exist<strong>en</strong>ce, sa forme, et les détails qui l'accompagn<strong>en</strong>t<br />
dans les textes actuels montr<strong>en</strong>t que c'était à l'origine<br />
un alliage fabriqué à Brin<strong>de</strong>s pour l'industrie <strong>de</strong>s miroirs et<br />
dont Pline a parlé. La préparation du parchemin et celle du vernis<br />
font l'objet d'articles séparés, ainsi que la fabrication <strong>de</strong>s<br />
<strong>couleurs</strong> végétales, à l'usage <strong>de</strong>s peintres et <strong>en</strong>lumineurs, et leur<br />
emploi sur murs, bois, linge, etc., à l'<strong>en</strong>caustique, ou au moy<strong>en</strong><br />
<strong>de</strong> la colle <strong>de</strong> poisson.<br />
La confection <strong>de</strong>s feuilles d'or, exposée par l'auteur, jouait un<br />
grand rôle dans la pratique <strong>de</strong>s orfèvres et ornemanistes byzantins<br />
et latins, pour la décoration, par dorure, <strong>de</strong>s églises et <strong>de</strong>s palais.<br />
Aussi ce point est-il traité dans tous les ouvrages techniques<br />
du temps, et il se retrouve chez les alchimistes grecs. Suit un groupe<br />
<strong>de</strong> formules consacrées à la dorure : dorure du verre, du bois,<br />
<strong>de</strong> la peau, <strong>de</strong>s vêtem<strong>en</strong>s, du plomb, <strong>de</strong> l'étain, du fer; préparation<br />
<strong>de</strong>s fils d'or, procédés pour écrire <strong>en</strong> lettres d'or (chrysographie)<br />
sur parchemin, papier, verre ou marbre : sujet souv<strong>en</strong>t traité<br />
au moy<strong>en</strong> âge, <strong>en</strong> raison <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s copistes et ornemanistes;<br />
il figure déjà dans le papyrus <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>, et l'une <strong>de</strong>s recettes<br />
prés<strong>en</strong>tes existe même littéralem<strong>en</strong>t dans le papyrus <strong>de</strong><br />
Ley<strong>de</strong>.<br />
Puis vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la feuille d'arg<strong>en</strong>t, la feuille d'étain, et <strong>de</strong>s procédés<br />
pour réduire l'or et l'arg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> poudre, procédés fondés sur<br />
divers tours <strong>de</strong> main, où figur<strong>en</strong>t l'emploi du mercure et du vert<strong>de</strong>-gris.<br />
Cette poudre, d'or ou d'arg<strong>en</strong>t, obt<strong>en</strong>ue par amalgamation,<br />
était employée <strong>en</strong>suite dans <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> dorure et d'arg<strong>en</strong>ture.<br />
Elle a joué un rôle important <strong>en</strong> économie politique; car on<br />
s'<strong>en</strong> servait pour faire passer l'or et l'arg<strong>en</strong>t d'un pays dans un<br />
autre, malgré l'interdiction <strong>de</strong> l'exportation <strong>de</strong>s métaux précieux;<br />
interdiction qui a régné p<strong>en</strong>dant si longtemps au moy<strong>en</strong> âge<br />
dans les états mo<strong>de</strong>rnes.<br />
L'auteur continue <strong>en</strong> disant: « Nous avons désigné toutes les<br />
choses relatives aux teintures et décoctions; nous avons parlé <strong>de</strong>s<br />
117
REVUE DES DEUX MONDES.<br />
matières qui y sont employées : pierres, minéraux, salaisons,<br />
herbes; nous avons dit où elles se trouv<strong>en</strong>t, quel parti on tire <strong>de</strong>s<br />
résines, oléo-résines, terres; ce que sont le soufre, l'eau noire, les<br />
eaux salées, la glu et tous les produits <strong>de</strong>s plantes sauvages et<br />
v<strong>en</strong>ues par sem<strong>en</strong>ces, domestiques et marines; la cire <strong>de</strong>s abeilles,<br />
l'axonge, toutes les eaux douces et aci<strong>de</strong>s; parmi les bois, le pin,<br />
le sapin, le g<strong>en</strong>ièvre, le cyprès,.. les glands et les figues. On tait<br />
<strong>de</strong>s extraits <strong>de</strong> toutes ces choses avec une eau formée d'urine<br />
ferm<strong>en</strong>tée et <strong>de</strong> vinaigre, mêlés d'eau pluviale.»<br />
Ces énumérations et <strong>de</strong>scriptions caractéris<strong>en</strong>t la nature <strong>de</strong>s<br />
connaissances recherchées par l'écrivain et conserv<strong>en</strong>t la trace <strong>de</strong><br />
traités antiques <strong>de</strong> drogues et minéraux, analogues à ceux <strong>de</strong> Dioscori<strong>de</strong>,<br />
mais plus spécialem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>stinés à l'industrie. Par malheur,<br />
nous n'<strong>en</strong> avons plus guère ici que <strong>de</strong>s titres et <strong>de</strong>s indications<br />
sommaires, pareilles à celles qui figurerai<strong>en</strong>t au calepin d'un ouvrier<br />
teinturier, mettant bout à bout <strong>de</strong>s indications puisées dans<br />
<strong>de</strong>s auteurs diflér<strong>en</strong>s, ou dans <strong>de</strong>s cahiers d'atelier. Plusieurs <strong>de</strong>s<br />
mots spécifiques qui y sont cont<strong>en</strong>us manqu<strong>en</strong>t dans les dictionnaires<br />
les plus complets, tels que ceux <strong>de</strong> Forcellini et <strong>de</strong> Du<br />
Cange; mais il ne m'apparti<strong>en</strong>t pas d'insister sur cet ordre <strong>de</strong> considérations,<br />
non plus que sur la grammaire étrange <strong>de</strong> ces textes<br />
incorrects, où les accords <strong>de</strong> g<strong>en</strong>res, <strong>de</strong> cas, <strong>de</strong> verbes, n'ont plus<br />
lieu suivant les règles <strong>de</strong> la grammaire classique. Nous avons<br />
aflaire à un latin barbare, écrit à une époque <strong>de</strong> décad<strong>en</strong>ce, avec<br />
<strong>de</strong>s diversités très appar<strong>en</strong>tes d'orthographe et <strong>de</strong> dialectes, ou<br />
plutôt <strong>de</strong> patois et <strong>de</strong> jargon. Certains ont été écrits primitivem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> grec, puis transcrits <strong>en</strong> lettres latines, probablem<strong>en</strong>t sous la<br />
dictée, par un copiste qui n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait ri<strong>en</strong> à ce qu'il écrivait. Ce<br />
<strong>de</strong>rnier trait accuse l'origine byzantine <strong>de</strong>s recettes. Constantinople,<br />
<strong>en</strong> ellet, était restée le grand c<strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong>s traditions<br />
sci<strong>en</strong>tifiques. C'est <strong>de</strong> là que les orfèvres itali<strong>en</strong>s, qui utilisai<strong>en</strong>t<br />
les procédés ici décrits, tirai<strong>en</strong>t leurs pratiques ; mais elles<br />
remont<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> général, presque toutes à l'antiquité.<br />
Notons particulièrem<strong>en</strong>t les mots: eaux salées, eaux douces et<br />
aci<strong>de</strong>s, eau formée d'urine ferm<strong>en</strong>tée et <strong>de</strong> vinaigre, parce que<br />
ces mots désign<strong>en</strong>t les comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la chimie par voie humi<strong>de</strong>.<br />
Ils figur<strong>en</strong>t déjà dans Pline et dans les auteurs anci<strong>en</strong>s,<br />
avec les mêmes <strong>de</strong>stinations. Ce sont toujours <strong>de</strong>s liqui<strong>de</strong>s naturels,<br />
ou bi<strong>en</strong> les résultats <strong>de</strong> leur mélange, avant ou après décomposition<br />
spontanée. Mais il n'y est pas fait m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s liqui<strong>de</strong>s<br />
actifs obt<strong>en</strong>us par distillation, et qui port<strong>en</strong>t le nom d'eaux divines<br />
ou sulfureuses (c'est le méme nom <strong>en</strong> grec), liqui<strong>de</strong>s qui jou<strong>en</strong>t<br />
un si grand rôle chez les chimistes gréco-égypti<strong>en</strong>s, et qui sont<br />
<strong>de</strong>v<strong>en</strong>us l'origine <strong>de</strong> nos aci<strong>de</strong>s, alcalis et autres ag<strong>en</strong>s; ils n'étai<strong>en</strong>t
I'. iRN'MI'1oN 1)LS p rjI; FlUES CII l'IIQLLS.<br />
pas <strong>en</strong>core <strong>en</strong>trés dans les usages industriels, et on ne les y r<strong>en</strong>contre<br />
guère avant le xiv 0 siècle.<br />
Telle est la collection <strong>de</strong> formules, recettes et <strong>de</strong>scriptions pratiques,<br />
intitulée u Formules pour la peinture. u Le manuscrit qui<br />
les conti<strong>en</strong>t remonte, je le répète, au ville siècle; il fournit les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>s<br />
les plus curieux sur la pratique <strong>de</strong>s arts au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t<br />
du moy<strong>en</strong> âge et dans l'antiquité.<br />
111.<br />
Le groupe <strong>de</strong> recettes transmis par les « Formules <strong>de</strong> peinture u<br />
a passé <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t, ou à peu près, dans une collection plus ét<strong>en</strong>due,<br />
intitulée « la Clé <strong>de</strong> la peinture » (M(il)pa , clavieul(î), et dont<br />
il existe un manuscrit du X° siècle, étudié par M. Giry, dans la<br />
bibliothèque <strong>de</strong> Schlestadt. Le même ouvrage a été publié, <strong>en</strong> 1847,<br />
par M. Way, d'après un autre manuscrit du Xii0 siècle, dans le<br />
Recueil <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s antiquaires <strong>de</strong> Londres.<br />
Le premier manuscrit est exempt <strong>de</strong> toute influ<strong>en</strong>ce arabe, tandis<br />
quo celle-ci est signalée seulem<strong>en</strong>t par cinq articles interpolés dans<br />
le second.<br />
L'ouvrage se compose <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties principales, savoir:<br />
Un traité sur les métaux précieux, compr<strong>en</strong>ant aujourd'hui c<strong>en</strong>t<br />
articles, traité qui comportait <strong>en</strong> réalité une ét<strong>en</strong>due à peu près<br />
double, d'après une vieille table conservée dans le manuscrit <strong>de</strong><br />
Schlestadt; mais la moitié <strong>en</strong>viron <strong>de</strong> l'ouvrage proprem<strong>en</strong>t dit est<br />
perdue.<br />
Un autre traité est relatif à. <strong>de</strong>s recettes <strong>de</strong> teinture. Ce <strong>de</strong>rnier<br />
reproduit presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t les Formules do teinture, quoique<br />
dans un ordre parfois un peu diller<strong>en</strong>t; puis on lit seize articles <strong>de</strong><br />
balistique militaire et spécialem<strong>en</strong>t inc<strong>en</strong>diaire, formant un groupe<br />
particulier; d'autres, relatifs à la balance hydrostatique, aux d<strong>en</strong>sités<br />
<strong>de</strong>s métaux; <strong>en</strong>fin, <strong>de</strong>s recettes industrielles et magiques, ajoutées<br />
à la fin du cahier.<br />
Le traité relatif aux métaux précieux offre un grand intérêt, parce<br />
qu'il prés<strong>en</strong>te <strong>de</strong> frappantes analogies avec le papyrus égypti<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />
Ley<strong>de</strong>, trouvé à Thèbes, ainsi qu'avec divers opuscules antiques,<br />
tels que la Chimie, dite <strong>de</strong> Moïse, r<strong>en</strong>fermés dans la Collection <strong>de</strong>s<br />
alchimistes grecs. Plusieurs <strong>de</strong>s recettes <strong>de</strong> la « Clé <strong>de</strong> la peinture<br />
u sont non-seulem<strong>en</strong>t imitées, mais traduites littéralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
celles du papyrus et <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> la collection <strong>de</strong>s alchimistes<br />
grecs : id<strong>en</strong>tité qui prouve sans réplique la conservation continue<br />
<strong>de</strong>s pratiques alchimiques, y compris celle <strong>de</strong> la transmutation,<br />
<strong>de</strong>puis l'Égypte jusque chez les artisans <strong>de</strong> l'Occid<strong>en</strong>t latin. Les<br />
TOME ciiii. - 1892. é
REVUE DES DEUX MONDES.<br />
théories proprem<strong>en</strong>t dites, au contraire, n'ont reparu <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t<br />
que vers la fin du xii' siècle, après avoir passé par les Syri<strong>en</strong>s et<br />
par les Arabes. Mais la connaissance <strong>de</strong>3 procédés eux-mêmes<br />
n'avait jamais été perdue. Ce fait capital résulte surtout <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>s alliages <strong>de</strong>stinés à imiter et à falsifier l'or, recettes d'ordre<br />
alchimique, je le répète, car on y trouve aussi la prét<strong>en</strong>tion <strong>de</strong><br />
le fabriquer. Les titres sont à cet égard caractéristiques: e pour<br />
augm<strong>en</strong>ter l'or ; pour faire <strong>de</strong> l'or; pour fabriquer l'or; pour colorer<br />
(le cuivre) <strong>en</strong> or; faire <strong>de</strong> l'or à l'épreuve; r<strong>en</strong>dre l'or plus<br />
pesant; doublem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'or. » Ces recettes sont remplies <strong>de</strong> mots<br />
grecs qui <strong>en</strong> trahiss<strong>en</strong>t l'origine.<br />
Dans la plupart, il s'agit simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fabriquer <strong>de</strong> l'or à bas<br />
titre, par exemple, <strong>en</strong> préparant un alliage d'or et d'arg<strong>en</strong>t, teinté<br />
au moy<strong>en</strong> (lu cuivre. Mais l'orfèvre cherchait k le faire passer pour<br />
<strong>de</strong> l'or pur. Cette frau<strong>de</strong> est d'ailleurs fréqu<strong>en</strong>te, même <strong>de</strong> notre<br />
temps, dans les pays où la surveillance est imparfaite. Notre or dit<br />
au 4e titre prête surtout à <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s dangereuses, non-seulem<strong>en</strong>t<br />
à cause <strong>de</strong> la dose considérable <strong>de</strong> cuivre qu'il r<strong>en</strong>ferme, mais<br />
parce que chaque gramme <strong>de</strong> ce cuivre occupe un volume plus<br />
que double <strong>de</strong> celui (le l'or qu'il remplace. Les bijoux d'or à ce<br />
titre fourniss<strong>en</strong>t donc double profit au frau<strong>de</strong>ur, parce que l'objet<br />
est plus pauvre <strong>en</strong> or et parce que pour un même poids il occupe<br />
un volume bi<strong>en</strong> plus considérable: ce sont là les profits <strong>de</strong> l'orfèvre,<br />
<strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t et même dans le midi <strong>de</strong> l'Europe, sinon ailleurs.<br />
Ces fabrications d'alliages compliqués, qu'on faisait passer pour<br />
<strong>de</strong> l'or pur, étai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dues plus faciles par l'intermédiaire du<br />
mercure et (les sulfures (l'ars<strong>en</strong>ic, lesquels se trouv<strong>en</strong>t continuellem<strong>en</strong>t<br />
indiqués dans les recettes <strong>de</strong>s alchimistes grecs, aussi bi<strong>en</strong><br />
que dans la « Clé <strong>de</strong> la peinture. » Leur emploi remonte même aux<br />
premiers temps (le l'empire romain. En effet Pline rapporte <strong>en</strong><br />
quelques lignes un essai exécuté par l'ordre <strong>de</strong> Caligula, <strong>en</strong> vue<br />
<strong>de</strong> fabriquer l'or avec le sulfure d'ars<strong>en</strong>ic (orpim<strong>en</strong>t).<br />
Il a existé ainsi toute une chimie spéciale, abandonnée aujourd'hui,<br />
mais qui jouait un grand rôle dans les pratiques et dans<br />
les prét<strong>en</strong>tions <strong>de</strong>s alchimistes. De notre temps même, un<br />
inv<strong>en</strong>teur a pris un brevet pour un alliage <strong>de</strong> cuivre et d'antimoine,<br />
r<strong>en</strong>fermant six c<strong>en</strong>tièmes du <strong>de</strong>rnier métal, et qui offre<br />
la plupart <strong>de</strong>s propriétés appar<strong>en</strong>tes <strong>de</strong> l'or et se travaille à peu<br />
près <strong>de</strong> la même manière. L'or alchimique appart<strong>en</strong>ait à une<br />
famille d'alliages analogues. Ceux qui le fabriquai<strong>en</strong>t s'imaginai<strong>en</strong>t<br />
d'ailleurs (lue certains ag<strong>en</strong>s jouai<strong>en</strong>t le rôle <strong>de</strong> ferm<strong>en</strong>s, pour<br />
multiplier l'or et l'arg<strong>en</strong>t. Avant <strong>de</strong> tromper les autres, ils se faisai<strong>en</strong>t<br />
illusion à eux-mêmes. Or, ces idées, cette illusion, se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t<br />
égalem<strong>en</strong>t chez les Grecs et dans la « Clé do la peinture. »
lÀ TRANSMISSION DES INDUSTRIES CHIMIQUES. 51<br />
Parfois l'artisan se bornait à l'emploi d'une cém<strong>en</strong>tation, ou<br />
action superficielle, qui teignait <strong>en</strong> or la surface <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, ou <strong>en</strong><br />
arg<strong>en</strong>t la surface du cuivre, sans modifier ces métaux dans leur<br />
épaisseur. C'est ce que les orfèvres appell<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>de</strong> notre<br />
temps « donner la couleur. » Ils se bornai<strong>en</strong>t même à appliquer<br />
à la surface du métal un vernis couleur d'or, préparé avec la bile<br />
<strong>de</strong>s animaux, ou bi<strong>en</strong> avec certaines résines; comme on le fait<br />
aussi <strong>de</strong> nos jours. Un procès réc<strong>en</strong>t, relatif aux médailles commémoratives<br />
<strong>de</strong> la tour Eiffel, faisait m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> cet artifice.<br />
De ces colorations, le pratici<strong>en</strong>, guidé par une analogie mystique,<br />
a passé à l'idée <strong>de</strong> la transmutation ; chez le pseudo-Démocrite, aussi<br />
bi<strong>en</strong> que dans la «Clé <strong>de</strong> la peinture. » L'auteur <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière conclut,<br />
par exemple, par ces mots: «Vous obti<strong>en</strong>drez ainsi <strong>de</strong> l'or excel -<br />
l<strong>en</strong>t et à l'épreuve. u C'était une formule <strong>de</strong>stinée â rassurer Je<br />
cli<strong>en</strong>t, sinon l'opérateur. L'auteur ajoute <strong>en</strong>core: «Cachez ce secret<br />
sacré, qui ne doit être livré à personne, ni donné à aucun prophète.<br />
» Le mot prophète trahit l'origine égypti<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> la recette:<br />
il s'agit <strong>de</strong>s scribes sacerdotaux et prêtres égypti<strong>en</strong>s, qui portai<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> effet le nom <strong>de</strong> prophètes, comme on peut le voir dans un passage<br />
<strong>de</strong> Clém<strong>en</strong>t d'Alexandrie sur les livres hermétiques, portés <strong>en</strong><br />
gran<strong>de</strong> pompe dans les processions.<br />
La preuve <strong>de</strong> ces origines gréco-égypti<strong>en</strong>nes <strong>de</strong>s recettes d'orfèvres<br />
consignées dans la « Clé <strong>de</strong> la peinture » peut être poussée<br />
plus loin. En effet, il existe dans le Recueil latin une dizaine <strong>de</strong><br />
recettes, parfois développées, qui sont données exactem<strong>en</strong>t dans les<br />
mêmes termes par le papyrus grec <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>; do telle sorte que le<br />
premier texte est traduit du second jusque dans le détail <strong>de</strong> certaines<br />
expressions techniques, lesquelles se sont perpétuées même<br />
<strong>en</strong>core aujourd'hui dans les manuels Roret d'orfèvrerie.<br />
Évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t ceci ne veut pas dire que le texte transcrit dans la<br />
« Clé <strong>de</strong> la peinture u ait été traduit originairem<strong>en</strong>t sur le papyrus<br />
même que nous possédons, att<strong>en</strong>du que ce papyrus a été<br />
trouvé seulem<strong>en</strong>t au XIXe siècle, à Thèbes, <strong>en</strong> Égypte. Mais la<br />
coïncid<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s textes prouve qu'il existait <strong>de</strong>s cahiers <strong>de</strong> recettes<br />
secrètes d'orfèvrerie, transmis <strong>de</strong> main <strong>en</strong> main par les g<strong>en</strong>s du<br />
métier, <strong>de</strong>puis l'Égypte jusqu'à l'Occid<strong>en</strong>t latin, lesquels ont subsisté<br />
p<strong>en</strong>dant le moy<strong>en</strong> âge, et dont la «Clé <strong>de</strong> la peinture) nous a<br />
transmis un exemplaire.<br />
Notons spécialem<strong>en</strong>t les procédés <strong>de</strong> diplosi8, c'est-à-dire <strong>de</strong>stinés<br />
à doubler le poids <strong>de</strong> l'or, par voie d'alliage, procédés<br />
relatés déjà dans un vers <strong>de</strong> Manilius, poète latin contemporain<br />
<strong>de</strong> Tibère<br />
Materiarnque manu certa duplicarier arte,
REVUE DES DEUX MONDES.<br />
vers que les critiques du XVle siècle avai<strong>en</strong>t supposé à tort interpolé,<br />
parce qu'ils ignorai<strong>en</strong>t l'exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s textes grecs découverts<br />
<strong>de</strong>puis <strong>en</strong> Égypte et qu'ils n'avai<strong>en</strong>t pas compris le s<strong>en</strong>s alchimique<br />
<strong>de</strong> l'essai <strong>de</strong> Caligula.<br />
C'était une opinion fort accréditée au temps <strong>de</strong> Diocléti<strong>en</strong><br />
que les Égypti<strong>en</strong>s possédai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s secrets pour s'<strong>en</strong>richir <strong>en</strong> fabriquant<br />
l'or et l'arg<strong>en</strong>t; à tel point qu'à la suite d'une révolte,<br />
l'empereur romain fit brùler leurs livres, - On voit que, malgré<br />
cette précaution, les formules n'ont pas disparu, puisque nous les<br />
retrouvons, à la lois, dans le pap yrus <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>, dans les vieux<br />
traités grecs du pseudo-Démocrite, du pseudo-Moïse, d'Olympiodore<br />
et <strong>de</strong> Zozime, et dans les textes latins <strong>de</strong> la « Clé <strong>de</strong> la peinture. ))<br />
Citons <strong>en</strong>core le titre <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s recettes <strong>de</strong> la vieille table<br />
Fabriquer du verre incassable. Ce titre mérite <strong>de</strong> nous arrête!, à<br />
causé <strong>de</strong>s lég<strong>en</strong><strong>de</strong>s et traditions qui s'y rattach<strong>en</strong>t et qui se sont<br />
perpétuées p<strong>en</strong>dant tout le moy<strong>en</strong> âge et jusqu'à notre époque. Le<br />
verre incassable (fialwn viircam quw non frangebalur, Pétrone)<br />
paraît avoir réellem<strong>en</strong>t été découvert sous Tibère, et il a donné<br />
lieu à une lég<strong>en</strong><strong>de</strong>, qui <strong>en</strong> amplifiait les propriétés et <strong>en</strong> faisait du<br />
verre malléable : lég<strong>en</strong><strong>de</strong> rapportée par Pétrone, Mine, Dion Cassius,<br />
Isidore <strong>de</strong> Séville, et transmise aux auteurs du moy<strong>en</strong> âge. Suivant<br />
le dire <strong>de</strong> Pline, Tibère fit détruire la fabrique, <strong>de</strong> peur que cette<br />
inv<strong>en</strong>tion ne diminuât la valeur <strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t. « Si elle était<br />
connue, l'or <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drait aussi vil que <strong>de</strong> la boue, » écrit Pétrone.<br />
D'après Dion Cassius, Tibère fit tuer l'auteur. Pétrone, reproduit<br />
par Isidore <strong>de</strong> Séville, par Jean <strong>de</strong> Salisbury, par Éraclius, prét<strong>en</strong>d<br />
aussi qu'il le fit décapiter, et il ajoute cette phrase caractéristique,<br />
qui s'applique égalem<strong>en</strong>t au verre incassable : « Si les vases <strong>de</strong><br />
verre n'étai<strong>en</strong>t pas fragiles, ils serai<strong>en</strong>t préférables aux vases<br />
d'or et d'arg<strong>en</strong>t. »<br />
Ces récits se rapport<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t à un nième fait historique,<br />
rapporté par les contemporains, mais plus ou moins défiguré par<br />
la lég<strong>en</strong><strong>de</strong> l'inv<strong>en</strong>tion aurait été supprimée par la crainte <strong>de</strong> ses<br />
conséqu<strong>en</strong>ces économiques. il n'est que plus curieux <strong>de</strong> la retrouver<br />
signalée dans les recettes d'orfèvres du moy<strong>en</strong> âge, comme<br />
si la tradition secrète s'<strong>en</strong> fût conservée dans les ateliers. Il<br />
existe dans la « Clé <strong>de</strong> la peinture, » au n° 69, une formule<br />
obscure, ou plutôt chimérique, où <strong>en</strong>tre le sang-dragon, et qui<br />
paraît se rapporter au même sujet : « Sache que le verre fragile,<br />
après avoir subi cette préparation, acquiert la nature d'un métal plus<br />
résistant. » J'ai r<strong>en</strong>contré quelques indices <strong>de</strong>s mêmes souv<strong>en</strong>irs<br />
dans <strong>de</strong>s auteurs plus mo<strong>de</strong>rnes, tels que le faux Raymond Lulle,<br />
et d'autres alchimistes du moy<strong>en</strong> âge, qui s'<strong>en</strong> sont fort préoccupés,<br />
« Par ce procédé, dit l'un d'eux, le verre peut être r<strong>en</strong>du
LA IA\S\I ISSIU DES TNDL STRIES ijij[ i:s. 53<br />
malléable, ductile et changé <strong>en</strong> métal. » On sait que le procédé du<br />
verre incassable a été découvert <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong> notre temps, et<br />
cette fois sous une forme positive, sans équivoque et d'une façon<br />
définitive.<br />
A la vérité, il ne s'agit pas du verre malléable; mais celui-ci<br />
même n'est pas une chimère. En efiet, on a décrit, dans ces <strong>de</strong>rnières<br />
années, certains procédés industriels <strong>de</strong> laminage et <strong>de</strong><br />
moulage du verre, fondés sur l'état plastique et la malléabilité<br />
qu'il possè<strong>de</strong> à une température voisine <strong>de</strong> sa fusion. Or un article<br />
<strong>de</strong> la « Clé <strong>de</strong> la peinture » semble indiquer la connaissance <strong>de</strong><br />
quelque procédé analogue. Cc sont ces propriétés réelles, aperçues<br />
sans doute dès l'antiquité et conservées à l'état <strong>de</strong> Secrets <strong>de</strong><br />
fabrication, qui auront donné lieu à la lég<strong>en</strong><strong>de</strong>.<br />
Quelques mots <strong>en</strong> terminant sur les écrits techniques qui port<strong>en</strong>t<br />
les noms d'Êraclius et <strong>de</strong> Théophile. Ces écrits sont plus connus<br />
que les « Formules pour peindre » et la « Clé <strong>de</strong> la peinture; »<br />
ils ont été l'objet d'un certain nombre <strong>de</strong> publications, mais ils sont<br />
plus mo<strong>de</strong>rnes, ils se distingu<strong>en</strong>t parce que les auteurs <strong>en</strong> sont<br />
dénommés, tandis que les « Formules et la « Clé » sont anonymes.<br />
Toutefois on sait peu <strong>de</strong> choses sur ces <strong>de</strong>ux auteurs.<br />
Éraclius ou Héraclius se rattache à la tradition byzantine <strong>de</strong><br />
l'Italie méridionale; il a vu les ruines <strong>de</strong>s édifices antiques à Rome,<br />
il est hanté par le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> la gloire et <strong>de</strong> la puissance romaines;<br />
mais il exprime son admiration avec la naïveté et les connaissances<br />
confuses d'une époque re<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue barbare. La collection <strong>de</strong> recettes<br />
qui porte son nom se compose <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties, <strong>de</strong> composition et<br />
<strong>de</strong> date dilTér<strong>en</strong>te. La première est formée par <strong>de</strong>ux livres <strong>en</strong> vers,<br />
qui ofir<strong>en</strong>t le caractère <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l'époque carlovingi<strong>en</strong>ne<br />
(IXe et x° siècles).<br />
Elle traite <strong>de</strong>s <strong>couleurs</strong> végétales, <strong>de</strong> la feuille d'or, <strong>de</strong> l'écriture<br />
<strong>en</strong> lettres d'or, <strong>de</strong> la dorure, <strong>de</strong> la peinture sur verre, <strong>de</strong> la préparation<br />
<strong>de</strong>s pierres précieuses artificielles : leur taille y est décrite<br />
par l'emploi d'un tour <strong>de</strong> main chimérique, accompli avec le concours<br />
du sang <strong>de</strong> bouc : c'est une vieille formule qui a traversé<br />
tout le moy<strong>en</strong> âge. Toutes ces recettes sont d'origine antique, un<br />
peu vagues d'ailleurs et sans inv<strong>en</strong>tion nouvelle.<br />
Le livre <strong>en</strong> prose est rédigé d'une façon plus soli<strong>de</strong> et plus précise:<br />
il a dû être ajouté plus tard par un continuateur, vers le<br />
xne siècle, car il y est question <strong>de</strong> la teinture du cuir <strong>de</strong> Cordoue,<br />
et le cinabre (couleur rouge) y est désigné sous le nom d'azur,<br />
traduction d'un mot arabe, fréqu<strong>en</strong>te au XlIe siècle et qui a<br />
donné lieu à toutes sortes <strong>de</strong> contres<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> confusion avec notre<br />
azur bleu mo<strong>de</strong>rne. L'auteur rapporte égalem<strong>en</strong>t les vieux contes<br />
<strong>de</strong> Pline et disidore <strong>de</strong> Séville sur l'origine du verre et sur l'inv<strong>en</strong>-
REvu!: DL DEUX MODt».<br />
lion du verre malléable: ces contes courai<strong>en</strong>t le mon<strong>de</strong> au xii0 siècle<br />
et ils figur<strong>en</strong>t aussi dans Jean <strong>de</strong> Salisbury. En tout cas, les sujets<br />
principaux, traités dans l'ouvrage d'Éraclius, exist<strong>en</strong>t déjà dans<br />
la « Clé <strong>de</strong> la peinture. »<br />
Le Tableau <strong>de</strong>s divers arts, du moine Théophile, parait dû à un<br />
moine bénédictin pseudonyme, nommé, <strong>en</strong> réalité Roger, qui vivait<br />
à la fin du m e siècle et au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du mi e. Cet ouvrage est<br />
plus exact et plus détaillé que celui d'Eraclius. Il se compose <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux livres, le premier consacré à la peinture; c'est toujours le<br />
même programme, commun à tous les manuels <strong>de</strong>stinés aux<br />
peintres, mais avec plus <strong>de</strong> détails. Le second livre concerne la<br />
confection <strong>de</strong>s objets nécessaires au culte et à la construction<br />
<strong>de</strong>s édifices qui lui sont consacrés. Il décrit <strong>en</strong> détail le fourneau<br />
pour fondre le verre et la fabrication <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, celle<br />
<strong>de</strong>s verres peints et <strong>de</strong>s vases <strong>de</strong> terre colorés, le travail du fer,<br />
la fusion <strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t et leur travail, celui <strong>de</strong> l'émail, qu'il<br />
appelle electrum, nom donné autrefois à un alliage d'or et d'arg<strong>en</strong>t;<br />
la fabrication <strong>de</strong>s vases <strong>de</strong>stinés au culte, calice, ost<strong>en</strong>soir,<br />
etc.; les orgues, les cloches, les cymbales, etc. Ces r<strong>en</strong>scignem<strong>en</strong>s<br />
sont curieux; car ils montr<strong>en</strong>t que l'industrie du verre et<br />
<strong>de</strong>s métaux avait fini par se conc<strong>en</strong>trer autour <strong>de</strong>s édifices religieux.<br />
Mais la technique chimique <strong>de</strong> Théophile est la même que celle<br />
<strong>de</strong>s traités précéd<strong>en</strong>s, quoique se rattachant à une pério<strong>de</strong> plus<br />
mo<strong>de</strong>rne: elle nous amène directem<strong>en</strong>t aux XiIIe et xiv 0 siècles,<br />
époque à. partir <strong>de</strong> laquelle les monum<strong>en</strong>s et les écrits se multipli<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus jusqu'aux temps mo<strong>de</strong>rnes. La filiation <strong>de</strong>s traditions<br />
techniques <strong>de</strong>puis l'antiquité <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> moins <strong>en</strong> moins<br />
manifeste, à mesure que les intermédiaires se multipli<strong>en</strong>t et que<br />
les arts t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à repr<strong>en</strong>dre un caractère original.<br />
L'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s faits que je vi<strong>en</strong>s d'exposer mérite d'attirer notre<br />
att<strong>en</strong>tion, au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la suite et <strong>de</strong> la r<strong>en</strong>aissance <strong>de</strong>s traditions<br />
sci<strong>en</strong>tifiques. En eflet, c'est par la pratique que les sci<strong>en</strong>ces<br />
début<strong>en</strong>t; il s'agit d'abord <strong>de</strong> satisfaire aux nécessités <strong>de</strong> la vie et<br />
aux besoins artistiques, qui s'éveill<strong>en</strong>t do si bonne heure dans les<br />
races civilisables. Mais cette pratique même suscite aussitôt <strong>de</strong>s<br />
idées plus générales, lesquelles ont apparu d'abord dans l'humanité<br />
sous la forme mystique. Chez les Égypti<strong>en</strong>s et les Babyloni<strong>en</strong>s,<br />
les mêmes personnages étai<strong>en</strong>t à la lois prêtres et sa-vans. Aussi les<br />
premières industries chimiques ont-elles été exercées d'abord autour<br />
<strong>de</strong>s temples; le Livre du Sanctuaire, le Livre d'1Ierm, le Livre<br />
<strong>de</strong> Chynv's, toutes dénominations synonymes, chez les alchimistes<br />
gréco-égypti<strong>en</strong>s, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les premiers manuels <strong>de</strong> ces industries.<br />
Ce sont les Grecs, comme dans toutes les autres branches<br />
sci<strong>en</strong>tifiques, qui ont donné à ces traités une rédaction dégagée <strong>de</strong>s
lA fIk 'MISS10\ l)LA l\lUTI1lES iiijiuj.. 55<br />
vieilles formes hiératiques, et qui ont essayé d'<strong>en</strong> tirer une théorie<br />
rationnelle, capable à son tour, par une action réciproque, <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>vancer la pratique et <strong>de</strong> lui servir <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>. Le nom <strong>de</strong> Démocrite,<br />
à tort ou à raison, est resté attaché à ces premiers essais;<br />
ceux <strong>de</strong> Platon et d'Aristote ont aussi présidé aux t<strong>en</strong>tatives <strong>de</strong><br />
conceptions rationnelles. Mais la sci<strong>en</strong>ce chimique <strong>de</strong>s Gréco-<br />
Égypti<strong>en</strong>s ne s'est jamais débarrassée, ni <strong>de</strong>s erreurs relatives à la<br />
transmutation, - erreurs <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues par la théorie <strong>de</strong> la matière<br />
première, - ni <strong>de</strong>s formules religieuses et magiques, liées autrefois<br />
<strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t à toute opération industrielle.<br />
Cep<strong>en</strong>dant, la culture sci<strong>en</strong>tifique proprem<strong>en</strong>t dite ayant péri<br />
<strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t avec la civilisation romaine, les besoins <strong>de</strong> la vie ont<br />
maint<strong>en</strong>u la pratique impérissable r<strong>de</strong>s ateliers avec les progrès<br />
acquis au temps <strong>de</strong>s Grecs, et les arts chimiques ont subsisté;<br />
tandis que les théories, trop subtiles ou trop fortes pour les esprits<br />
d'alors, t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t à disparaître, ou plutôt à faire retour aux anci<strong>en</strong>nes<br />
superstitions. Dans la « Clé <strong>de</strong> la peinture, » comme dans<br />
les papyrus égypti<strong>en</strong>s et dans les textes <strong>de</strong> Zozime, il est fait m<strong>en</strong>tion<br />
<strong>de</strong>s prières que l'on doit réciter au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s opérations,<br />
et c'est par là que l'alchimie est restée intimem<strong>en</strong>t liée avec la<br />
magie, au moy<strong>en</strong> âge, aussi bi<strong>en</strong> que dans l'antiquité.<br />
Mais quand la civilisation a comm<strong>en</strong>cé à reparaître p<strong>en</strong>dant le<br />
moy<strong>en</strong> âge latin, vers le XIIle siécle, au sein d'une organisation<br />
nouvelle, nos races se sont reprises <strong>de</strong> nouveau au goût <strong>de</strong>s idées<br />
générales, et celles-ci, dans l'ordre <strong>de</strong> la chimie, ont été ram<strong>en</strong>ées<br />
par les pratiques, ou plutôt elles ont trouvé leur appui dans les<br />
problèmes perman<strong>en</strong>s soulevés par celles-ci. C'est ainsi que les<br />
théories alchimiques se sont réveillées soudain, avec une vigueur et<br />
un développem<strong>en</strong>t nouveaux, et leur évolution progressive, <strong>en</strong><br />
même temps qu'elle perfectionnait sans cesse l'industrie, a éliminé<br />
peu à peu les chimères et les superstitions d'autrefois. Voilà comm<strong>en</strong>t<br />
u. été constituée <strong>en</strong> <strong>de</strong>rnier lieu notre chimie mo<strong>de</strong>rne, sci<strong>en</strong>ce<br />
rationnelle établie sur <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>s purem<strong>en</strong>t expérim<strong>en</strong>taux.<br />
Ainsi, la sci<strong>en</strong>ce est née à ses débuts <strong>de</strong>s pratiques industrielles;<br />
elle a concouru à leur développem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant le règne<br />
<strong>de</strong> la civilisation antique: quand la sci<strong>en</strong>ce a sombré avec la civilisation,<br />
la pratique a subsisté et elle fourni à la sci<strong>en</strong>ce un terrain<br />
soli<strong>de</strong>, sur lequel celle-ci a pu se développer <strong>de</strong> nouveau, quand<br />
les temps et les esprits sont re<strong>de</strong>v<strong>en</strong>us favorables. La connexion<br />
historique <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> la pratique, dans l'histoire <strong>de</strong>s civilisations,<br />
est ainsi manifeste : il y a l'a une loi générale du développem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> l'esprit humain.<br />
M. BEBTHELOT.
CO-31ÉDIENS ET CO31ÉDIENNES<br />
D'AUTREO1S<br />
PREMIÈRE PARTIE.<br />
G. Maugras, les Comédi<strong>en</strong>s hors la loi. - Émue Campardon, les Comédi<strong>en</strong>s du roi <strong>de</strong> la<br />
troupe française, Champion; les Comédi<strong>en</strong>s du roi <strong>de</strong> la troupe itali<strong>en</strong>ne; les<br />
Spectacles <strong>de</strong> la foire, l'Académie royale <strong>de</strong> musique au siècle <strong>de</strong>rnier, 6 vol.; Berger-Levrault.<br />
- Lemazurier, Galerie historique <strong>de</strong>s acteurs du Thcôtre-Françajs.<br />
- Magnin, Origines du Thedtre-Mo<strong>de</strong>rne, histoire <strong>de</strong>s marionnettes. - Charles<br />
Maurice, Histoire anecdotique du théâtre. - Nicole, Traité <strong>de</strong> la Comédie.— Jean-<br />
Jacques Rousseau, Lettre sur les spectacles, - Desprez <strong>de</strong> Boissy, Lettres sur les<br />
spectacles. - Clém<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> la Porte, Anecdotes dramatiques, 1775, 3 vol.; Levacher<br />
<strong>de</strong> Chamois, Recherches sur les costumes et les théâtres. - Émue Deschanel<br />
, la Vie <strong>de</strong>s comédi<strong>en</strong>s. - Victor Fournel, Curiosités théâtrales. - Adolphe<br />
Julli<strong>en</strong>, ilistoire du costume au théâtre; Charp<strong>en</strong>tier, 1880. - Fabi<strong>en</strong> Pillet,<br />
Revue <strong>de</strong>s comédi<strong>en</strong>s, 2 vol., 1808. - Eugène Despois, le Thédtre-Prunçais sous<br />
Louis .11 V. - Questions importantes sur la Comédie <strong>de</strong> nos jours, par l'abbé<br />
Parisis. - La Théologie morale, par MC' Gousset. - Armand Baschet, les Corné.<br />
di<strong>en</strong>s itali<strong>en</strong>s à la cour <strong>de</strong> France.<br />
I.<br />
La condition <strong>de</strong>s comédi<strong>en</strong>s avant 1789, leurs rapports avec le<br />
mon<strong>de</strong>, avec les pouvoirs <strong>de</strong> l'État, form<strong>en</strong>t la substance d'un<br />
curieux chapitre <strong>de</strong> notre histoire sociale, un <strong>de</strong> ceux peut-être<br />
qui mériterai<strong>en</strong>t le mieux cette épigraphe : humanité, ton nom<br />
véritable est contradiction; ta loi, l'antinomie; ta passion, le chan -<br />
gem<strong>en</strong>t; ta leçon, mo<strong>de</strong>stie, résignation, tolérance. Ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> plus<br />
étrange, <strong>en</strong> effet, <strong>de</strong> moins logique aussi que la conduite <strong>de</strong> la<br />
royauté, <strong>de</strong> l'Église <strong>en</strong>vers cette classe : protégés, mais asservis par<br />
un gouvernem<strong>en</strong>t qui les déclare incapables <strong>de</strong> remplir certaines
COMÉDIENS ET COMÉDIENNES D 'AUTREFOIS. 57<br />
fonctions, les contraint d'exercer leur métier sous peine <strong>de</strong> prison,<br />
tandis que le clergé les excommunie s'ils ne le quitt<strong>en</strong>t, tantôt<br />
méprisés, tantôt <strong>en</strong>c<strong>en</strong>sés par les g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> qualité, qui leur font<br />
quelquefois donner les étrivières, mais le plus souv<strong>en</strong>t les recherch<strong>en</strong>t,<br />
jou<strong>en</strong>t avec eux la comédie, et du moins contribu<strong>en</strong>t à<br />
adoucir la rigueur <strong>de</strong> la déchéance religieuse et civile, les comédi<strong>en</strong>s<br />
n'ont <strong>en</strong> droit qu'une exist<strong>en</strong>ce précaire, et, contre cette<br />
quasi-servitu<strong>de</strong>, ils ne se lasseront point <strong>de</strong> s'élever, jusqu'au<br />
jour où la révolution aura brisé leurs chatnes, émancipé les corps<br />
et les consci<strong>en</strong>ces. La protestation <strong>de</strong>s uns sera tacite <strong>en</strong> quelque<br />
sorte, résultant <strong>de</strong> leur seule attitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la supériorité <strong>de</strong> leurs<br />
tal<strong>en</strong>s, du charme <strong>de</strong> leurs manières; d'autres plai<strong>de</strong>ront à grand<br />
fracas, faisant appel à leurs contemporains par la plume ou la voix<br />
<strong>de</strong> leurs amis, par la véhém<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> leurs plaintes. En fait, la douceur<br />
<strong>de</strong>s moeurs et la force <strong>de</strong>s choses allèg<strong>en</strong>t singulièrem<strong>en</strong>t le<br />
joug; beaucoup, <strong>en</strong> ce qui les concerne, ont fait fléchir les préjugés,<br />
conquis droit <strong>de</strong> cité, et, <strong>de</strong> voir les Quinault, une Clairon,<br />
un Fleury, fréqu<strong>en</strong>ter la meilleure compagnie, ceci rassure un peu<br />
sur leur sort; mais <strong>de</strong> temps <strong>en</strong> temps le zèle emporté d'un prêtre,<br />
la superbe d'un grand seigneur, déchirai<strong>en</strong>t ce voile brillant, accusant<br />
dans sa dureté quiritaire l'abus légal, soulevant la juste<br />
indignation <strong>de</strong>s poètes, <strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong> tous les faiseurs d'opinion<br />
publique.<br />
D'où v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t-elles, ces incapacités, cette sorte <strong>de</strong> dégradation<br />
civile qui imprim<strong>en</strong>t au comédi<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette époque l'aspect d'un<br />
<strong>de</strong>mi-paria? Qui donc avait construit cette machine d'ignominie?<br />
Par quelle mystérieuse action <strong>de</strong> la morale sur la législation, <strong>de</strong>s<br />
faits sur la théologie, avait-on abouti à une situation qui, à son<br />
tour, voyait se retourner contre elle et la morale et les laits?<br />
Comm<strong>en</strong>t le théâtre, né partout <strong>de</strong> la religion, trouvait-il sa plus<br />
cruelle <strong>en</strong>nemie dans cette religion même d'où il était sorti? La<br />
Grèce, elle du moins, ne connut point ces anathèmes : à cette race<br />
d'idéal, <strong>de</strong> pure harmonie, la comédie semble une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong><br />
la vérité esthétique, un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> susciter dans les coeurs l'impression<br />
<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur morale et <strong>de</strong> la beauté, un instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
patriotisme et <strong>de</strong> foi. Ces danses, ces actions dramatiques qui, dans<br />
le mystère du temple, dérob<strong>en</strong>t aux initiés les mythes, les av<strong>en</strong>tures<br />
<strong>de</strong> leurs dieux, ces acteurs dionysiaques recrutés par <strong>de</strong>s<br />
concours, le spectacle quittant ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>ceinte sacrée<br />
sans cesser <strong>de</strong> conserver un caractère national et religieux, le trésor<br />
théorique institué pour couvrir les frais <strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tations et alim<strong>en</strong>té<br />
par <strong>de</strong>s dons pieux, les choeurs exemptés du service militaire<br />
et investis <strong>de</strong> grands privilèges, tout explique comm<strong>en</strong>t l'idée<br />
première persista après l'émancipation du drame, comm<strong>en</strong>t les
58 REVUE DES DEUX MONDES.<br />
comédi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>meurèr<strong>en</strong>t estimés, respectés, capables <strong>de</strong> parv<strong>en</strong>ir<br />
aux fonctions les plus honorables : quelques-uns eur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s statues,<br />
représ<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t leur patrie à l'étranger. Mêmes origines hiératiques<br />
à Roine: lupercales, saturnales célébrées par les citoy<strong>en</strong>s,<br />
jeux scéniques adaptés aux cérémonies religieuses, spectacles du<br />
cirque précédés d'une procession consacrée aux dieux, théâtres<br />
remplis <strong>de</strong> leurs images, défrayés par un trésor sacré qu'administr<strong>en</strong>t<br />
pontifes et préteurs, prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s prêtres obligatoire;<br />
mais, plus hautain à la fois et plus ru<strong>de</strong>, le génie romain se montre<br />
aussi plus âprem<strong>en</strong>t logique, et, lorsque les fêtes publiques perd<strong>en</strong>t<br />
leur caractère purem<strong>en</strong>t religieux, lorsque la nécessité d'acteurs<br />
plus nombreux développe l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne faire monter sur<br />
la scène que <strong>de</strong>s esclaves ou la lie <strong>de</strong> la plèbe, la profession <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t<br />
infanie, et, rayé <strong>de</strong> sa tribu, déchu <strong>de</strong> ses droits, presque<br />
assimilé à un esclave, le citoy<strong>en</strong> qui l'exerce peut être jeté <strong>en</strong> prison,<br />
frappé du fouet, sans procès, sans discussion. Avec les comédi<strong>en</strong>s,<br />
mé<strong>de</strong>cins, mathématici<strong>en</strong>s, astronomes, qui presque tous étai<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s Grecs ou Africains prisonniers <strong>de</strong> guerre, sont aussi notés d'infamie.<br />
Mais, tandis que la loi les frappe, le clergé paï<strong>en</strong> continue<br />
<strong>de</strong> les honorer, et ce sont les pères <strong>de</strong> l'église qui, combattant <strong>en</strong><br />
même temps l'idolâtrie et l'immoralité, vont aiguiser à nouveau les<br />
armes un peu émoussées <strong>de</strong> la jurisprud<strong>en</strong>ce. La passion délirante<br />
<strong>de</strong> ce peuple pour ses spectacles, ces jeux du cirque qui le consolai<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> la liberté perdue, les spectateurs pr<strong>en</strong>ant parti pour tel<br />
ou tel acteur, pour telle ou telle faction, <strong>en</strong> v<strong>en</strong>ant aux mains et<br />
<strong>en</strong>sanglantant la scène, l'audace <strong>de</strong>s histrions atteignant ce délire<br />
que Pyla<strong>de</strong> osa lancer <strong>de</strong>s flèches sur le public et blessa plusieurs<br />
personnes, Juvénal dénonçant ces patrici<strong>en</strong>nes et cette<br />
impératrice qui affichai<strong>en</strong>t avec cynisme leur passion pour eux,<br />
les pantomimes figurant la danse nuptiale, les actions les plus<br />
lascives, Léda s'abandonnant aux caresses du cygne, un homme<br />
brûlé vivant dans l'Hercule furieux, actrices et acteurs rev<strong>en</strong>ant<br />
tout nus à la fin <strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tations, sur la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du publie;<br />
à Carthage, à Antioche, la foule, fascinée par les bouflonneries<br />
d'un mime au point <strong>de</strong> ne pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre l'<strong>en</strong>nemi qui <strong>en</strong>tre<br />
dans la ville; <strong>de</strong>s prêtres, <strong>de</strong>s serviteurs du Christ suivant les<br />
spectacles avec <strong>en</strong>thousiasme, embrassant même le métier, maudit,<br />
un tel débor<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dit plus difficile la tâche <strong>de</strong> l'Église,<br />
explique ses rigueurs: à ses yeux, le théâtre est le r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous<br />
<strong>de</strong> tous les forfaits, pire que c le blasphème, le larcin, l'homici<strong>de</strong><br />
et tous les autres crimes, » car le spectateur est complice <strong>de</strong><br />
l'acteur. - Une chréti<strong>en</strong>ne, dit Tertulli<strong>en</strong>, revi<strong>en</strong>t du théâtre possédée<br />
du démon. On l'exorcise. S'attaquer à une fidèle, quelle<br />
audacel Que répond Satan: Elle était chez moi. - Pas <strong>de</strong> condam-