PRENONS LE POUVOIR - Le Travailleur Catalan
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8 dans le département<br />
TTCC.. QQuueellllee<br />
ffuutt ttoonn aaffffeeccttaattiioonn lloorrssqquuee eenn<br />
11996611 iill ttee ffaauutt rreejjooiinnddrree llee<br />
ccoonnttiinnggeenntt mmiilliittaaiirree eenn AAllggéérriiee??<br />
H.P. Je suis incorporé en mai 1960 et<br />
après avoir passé 14 mois à Montlhéry, je<br />
suis envoyé en Algérie et affecté à la villa<br />
Susini. Sur le papier, mon travail devait<br />
consister en des taches strictement administratives.<br />
Mais, dès les premiers jours, je<br />
découvre qu'il s'agissait d'un centre de<br />
torture. J'ai appris plus tard , qu'il a été le<br />
seul à avoir fonctionné durant toute la<br />
guerre. Ce centre était placé sous l'autorité<br />
d'un officier des renseignements qui<br />
changeait tous les 3 à 4 mois. J'y resterai<br />
de juin 61 à mars 62.<br />
TTCC DDaannss cceettttee vviillllaa SSuussiinnii,, qquuee vvaa--tt--oonn<br />
tt''oobblliiggeerr àà ffaaiirree??<br />
H.P. Quand il y avait trop d'arrestations<br />
et lorsqu'il manquait de monde sur<br />
place, on me demandait de participer<br />
aux séances de torture. J'étais chargé de<br />
prendre des notes et d'établir des comptes-rendus<br />
des résultats des interrogatoires.<br />
Durant ces dix mois d'enfer, je n'ai<br />
pas eu connaissance d'assassinats. S'il y<br />
a eu des exécutions, elles se sont passées<br />
en dehors de la villa. C'est aussi<br />
que nous étions à quelques semaines du<br />
cessez le feu et que la marge de<br />
manoeuvre des tortionnaires s'était<br />
beaucoup réduite en comparaison des<br />
années précédentes.<br />
TTCC.. CCoommmmeenntt cceess ttoorrttiioonnnnaaiirreess aavvaaiieenntt-iillss<br />
aaggii ddaannss ccee cceennttrree ddee ttoorrttuurree aavvaanntt<br />
qquuee ttuu nn''yy ssooiiss aaffffeeccttéé??<br />
H.P. La période «faste» de la villa Susini,<br />
c'est lorsque <strong>Le</strong> Pen en a été responsable.<br />
C'était fin 56-début 57. <strong>Le</strong> Pen venait de<br />
démissionner de son mandat de député<br />
poujadiste pour se réengager comme lieutenant.<br />
Durant cette période, beaucoup<br />
d'algériens sont morts sous la torture.<br />
Des corps ont été jetés dans un puits qui<br />
se trouvait dans le parc de la villa. Aprés<br />
la fin de la guerre, il a été scellé.<br />
TTCC.. FFiinn mmaarrss 11996622,, ttuu rreennttrreess eenn FFrraannccee,,<br />
ccoommmmeenntt ssee ppaassssee ttoonn rreettoouurr??<br />
H.P. J'étais soulagé d'être sorti de cette<br />
horreur. A mon retour, je suis affecté pour<br />
5 mois encore dans une caserne de Laon.<br />
Cela a joué comme une soupape, car<br />
pour moi l'essentiel était d'oublier, de<br />
tourner la page. Pourtant, dans le casernement,<br />
il y avait de jeunes soldats et j'ai<br />
commencé à leur raconter mon expérience.<br />
Durant mon affectation à la villa<br />
Susini, j'avais consigné sur un cahier des<br />
faits précis, des impressions, des états<br />
d'âme. Ces notes ponctuelles, je les avais<br />
gardées mais il me fallait les cacher soigneusement.<br />
La terreur<br />
coloniale<br />
Henri Pouillot. Appelé en Algérie en<br />
1961, il a approché de très près<br />
l'horreur de la torture. De retour<br />
en France, il se tait pendant 40<br />
ans avant de se décider à témoigner.<br />
Il est aujourd'hui un<br />
militant reconnu de toutes<br />
les causes anticoloniales<br />
TTCC.. QQuuee vvaass--ttuu ffaaiirree ddee cceess nnootteess,, ffiinn<br />
11996622,, lloorrssqquuee ttuu rreettrroouuvveess llaa vviiee cciivviillee??<br />
H.P. Je les ai en quelque sorte oubliées.<br />
Jusqu'à ce que en 1973, le général Massu<br />
commence à publier ses mémoires. Et<br />
comme cela avait suscité un peu de bruit<br />
dans les médias, je me suis souvenu de<br />
mon cahier. C'est alors que j'ai rencontré<br />
un journaliste de l'Humanité à qui j'en ai<br />
parlé. Je le lui ai confié en lui suggérant<br />
de retravailler mes notes et d'en faire<br />
quelque chose. Mais finalement, rien n'a<br />
été publié.<br />
TTCC.. PPeeuuxx--ttuu nnoouuss eexxpplliiqquueerr ddaannss qquueelllleess<br />
ccoonnddiittiioonnss,, aapprrèèss 4400 aannnnééeess ddee ssiilleennccee,,<br />
ttuu ttee ddéécciiddeess àà ttéémmooiiggnneerr??<br />
H.P. Fin 2000, Louisette Ighilahriz qui<br />
s'était engagée dans les rangs du FLN à<br />
l'âge de 20 ans témoigne auprès de l'envoyée<br />
spéciale du journal <strong>Le</strong> Monde à<br />
Alger, Florence Beaugé, des traitements<br />
qu'on lui avait subir fin 1957 dans les<br />
locaux de l'état-major du général Massu à<br />
Hydra. Elle y fut violée et torturée pendant<br />
3 mois. Cet entretien déclenche un mouvement<br />
et Louisette est invitée à la fête de<br />
l'Humanité la même année. Cela provoque<br />
une cascade de témoignages et le 30<br />
octobre 2000, l'Humanité publie un appel<br />
à «la condamnation de la torture durant<br />
la guerre d'Algérie», signé par 12 personnalités<br />
(Henri Alleg, Josette Audin,<br />
Simone de La Bollardière, Nicole Dreyfus,<br />
Noël Favrelière, Gisèle Halimi, Alban<br />
Liechti, Madeleine Rebérioux, Laurent<br />
Schwartz, Germaine Tillion, Jean-Pierre<br />
Vernant, Pierre Vidal-Naquet).<br />
TTCC CC''eesstt ddoonncc llee ttéémmooiiggnnaaggee ddee<br />
LLoouuiisseettttee IIgghhiillaahhrriizz qquuii tt''aa ppoouusssséé àà<br />
ssoorrttiirr ddee ttoonn ssiilleennccee??<br />
H.P. En fait, c'est dans ce contexte que<br />
plusieurs personnes qui avaient su que<br />
N°3447 - Semaine du 3 au 9 fevrier 2012<br />
j'avais vécu cet enfer, me poussent à<br />
témoigner à mon tour. Je le fais début<br />
2001 dans le Monde et l'Humanité et du<br />
coup je suis sollicité par des journalistes<br />
de télévision. Je témoigne dans le film de<br />
Jean-Charles Deniau, «paroles de tortionnaires»,<br />
diffusé au printemps 2001 puis<br />
en mars 2002 dans la série documentaire<br />
«l'ennemi intime» de Patrick Rotman et<br />
enfin dans envoyé spécial de France 2<br />
dont une séquence est tournée en décembre<br />
2001 à la villa Susini. L'émission est<br />
diffusée en février 2002.<br />
TT..CC AA llaa ssuuiittee ddee cceess ttéémmooiiggnnaaggeess ttuu<br />
eennttrreepprreennddss ll''ééccrriittuurree dd''uunn oouuvvrraaggee qquuii<br />
eesstt ppuubblliiéé eenn 22000022 ssoouuss llee ttiittrree:: ««llaa vviillllaa<br />
SSuussiinnii,, ttoorrttuurree eenn AAllggéérriiee,, uunn aappppeelléé<br />
ppaarrllee»».. PPuuiiss,, iill eesstt rrééééddiittéé eenn 22001100,,<br />
qquueelllleess eenn ssoonntt lleess rraaiissoonnss??<br />
H.P. Mon livre a été rédigé au printemps<br />
2001, seulement à partir de ma mémoire,<br />
pour consigner par écrit les témoignages<br />
apportés devant les caméras et interviews.<br />
Au moment de l’écriture, 40 ans<br />
après les faits, il était inévitable, sans<br />
repères très précis, que des écarts de<br />
dates allaient intervenir. J'ai pu en obtenir<br />
la réédition en 2010 après voir eu accès<br />
aux archives du SHAT (Service Historique<br />
de l’Armée de Terre). Cela m’a permis de<br />
retrouver des dates réelles, précises. Mais<br />
de toute façon, je ne voulais pas faire un<br />
livre d'histoire. Ce que je souhaitais très<br />
ardemment c'est que les algériens qui ont<br />
souffert très profondément dans leur<br />
chair, se retrouvent avec les Français qui<br />
ont également souffert psychologiquement<br />
souvent aussi dans leur chair, pour<br />
mener ensemble ce même combat de<br />
condamnation de la torture, de tous ces<br />
crimes contre l'humanité commis au nom<br />
de la raison d'Etat, au nom de la France.<br />
Entretien réalisé par Roger Hillel