Ethnohistoire de la tuberculose arctique - Faculté de médecine de l ...

Ethnohistoire de la tuberculose arctique
L’impact culturel de la tuberculose et de son traitement par la
biomédecine entre 1870 et 1960 sur les Inuits du Grand Nord canadien
[Bourse de recherche en histoire de la médecine à la mémoire de Geza Hetenyi]
Patrick Foucault
Étudiant en médecine
pfouc029@uottawa.ca
Directeur de recherche : Dr.Gelfand
Faculté de Médecine
Université d’Ottawa
Été 2012

Table des matières
Remerciements 3
Prologue 4
Introduction, question de recherche et méthodologie 5
Les peuples inuits et la tuberculose 7
Guérir les Inuits 13
La prise en charge biomédicale de la tuberculose en 1945 16
Biomédecine vs ethnomédecine 22
Être Inuit après la tuberculose 26
Conclusion 31
Annexes 35
Bibliographie 43
2

Remerciements
J’aimerais tout d’abord remercier le professeur Toby Gelfand de m’avoir soutenu et
conseillé tout au long de la rédaction de la présente recherche. Je tiens aussi à souligner
l’aide que j’ai reçue de la part de H. Mollen de l’Université de l’Alberta et de la Dre
Young de l’Université McGill pour étoffer ma bibliographie. Je voudrais aussi remercier
la Faculté de Médecine de l’Université d’Ottawa de m’avoir donné le privilège de réaliser
cette recherche, notamment Dre Louise Laramée du bureau des affaires étudiantes. J’ai
aussi une pensée spéciale pour Caroline Hetenyi (9 avril 1923 - 27 octobre 2011),
l’organisatrice de cette bourse. Finalement, je ne saurais être suffisamment reconnaissant
envers l’équipe de Qikiqtani General Hospital d’Iqaluit pour m’avoir accueilli à deux
reprises et m’avoir fait découvrir, et surtout, aimer la pratique de la médecine au
Nunavut. Je tiens notamment à remercier Dr. De Maio, Dr MacDonald, et
particulièrement, ma préceptrice, Dre Cole.
3

Prologue
Ma découverte du Nunavut.
Histoire nordique et tuberculose. Le 23 mai 2011, je me rendis pour une première fois à
Iqaluit au Nunavut afin de réaliser un stage en médecine rurale. Puis, le 12 mars 2012, j’y
suis retourné pour approfondir mes connaissances et continuer de découvrir ce grand
territoire. Bien que mes deux séjours y fussent de courte durée, je pris rapidement
conscience que la réalité inuite était bien loin de celle que l’on vivait ailleurs au Canada,
notamment en matière de maladies infectieuses et de déterminants de la santé. Étant au
fait que la tuberculose était un fléau majeur dans ce désert polaire, jamais je n’aurais pu
imaginer l’ampleur de la maladie. À cet égard, le médecin qui me supervisait, Dr
Madeleine Cole, écrivit dans un journal médical canadien (2010, p.53): « En 2010, nous
avons eu plus de 100 cas de tuberculose active dans une population de 30 000 personnes !
Mettons ces chiffres en perspective : un taux similaire au Québec se serait traduit par 26
500 nouveaux cas de tuberculose active diagnostiqués dans toute la province 1 ». Qui plus
est, je découvris peu à peu que la tuberculose s’inscrivait dans l’histoire même de la
médecine au Nunavut. Loin d’être l’apanage de l’époque actuelle, cette maladie était
profondément ancrée dans l’imaginaire inuit, considérée comme maladie symbole de la
colonisation du Grand Nord canadien par le gouvernement (Grygier, 1994; Moller, 2005),
mais surtout par un système biomédical venu d’ailleurs. Système remplaçant une
médecine autochtone ancestrale, nouveau système médical certainement porté par
quelques prémisses humanitaires, mais qui mena néanmoins à une dilution accélérée de la
culture inuite telle qu’elle fut vécue depuis plusieurs générations.
En somme. Lors de mes brefs passages dans cette contrée de glace, je découvris un
peuple dont le système médical actuel ne pouvait être saisi qu’à l’aune d’une étude
approfondie de l’histoire de sa mise en place. C’est donc pour mieux comprendre la
réalité médicale inuite actuelle que je commençai à m’intéresser à l’histoire de la
tuberculose au Nunavut, histoire témoignant à la fois de la mise en place d’une
biomédecine venue du sud en territoire autochtone et de l’acculturation accélérée d’une
culture millénaire.
1 Pourtant, bien qu’il y ait eu une légère recrudescence de la tuberculose (10,1%) de 2009 à 2010 au
Québec, en 2010, il n’y a eu que 185 cas de rapportés (Soualhine, 2010).
4

Introduction, question de recherche et méthodologie
Les Inuits, les Blancs et une mycobactérie. Les peuples inuits du Canada sont issus de
plusieurs générations ayant originalement migré du Nord asiatique vers l’Arctique
canadien. Ces peuples découvreurs de territoires, chasseurs-pêcheurs hors pair, apprirent,
à défaut de le contrôler, à vivre harmonieusement avec leur environnement. Leur riche
culture s’élabora comme en symbiose avec leur mode de vie unique sur la planète.
Cependant, bien que leur culture fût incroyablement bien adaptée et prompte à affronter
le pire des blizzards, elle ne put résister aux effets pervers que causa une infime bactérie,
celle de la tuberculose, qui amorça un cycle de contamination culminant vers la moitié du
vingtième siècle. Ainsi, bien que déjà présent en Amérique, le bacille tuberculeux, celui
dont les Inuits devinrent les victimes passives suite à leurs premiers contacts avec les
Européens et la transformation subséquente de leur mode de vie traditionnel, devint
graduellement, aux yeux du gouvernement canadien, une préoccupation sociosanitaire.
Traiter le corps biologique et oublier l’esprit culturel. Ainsi, après de longues années de
tergiversation et d’aveuglement volontaire à l’égard de la pandémie de tuberculose, le
gouvernement canadien décida en 1943, à la fois dans une volonté humaniste et
largement intéressée, de "désinfecter" le Grand Nord. Il mit alors en place un système de
transport maritime des malades, dans lequel des bateaux devaient aller chercher les Inuits
et dépister chez eux la présence de la tuberculose, grâce notamment à une radiographie
pulmonaire. Ensuite, ceux diagnostiqués positivement devaient être transportés jusque
dans le Sud pour y être traités. C’est ainsi que des milliers d’Inuits furent forcés de se
rendre dans des sanatoriums au sud du Canada pour y recevoir des soins biomédicaux,
lesquelles furent plus que souvent aveugles à leur spécificité culturelle. On peut donc
présumer qu’au naïf traitement biomédical de la tuberculose semble s’être superposé un
oubli fondamental, celui de ne considérer que le corps biologique malade et d’en omettre
la culture. Ainsi, la question de recherche dont cet essai tentera de saisir les contours se
définira comme suit : quel fut l’impact culturel de la tuberculose et de son traitement par
la biomédecine entre 1870 et 1960 2 sur les Inuits du Grand Nord canadien ? Afin d’y
2 Cet essai se concentrera particulièrement sur la prise en charge initiale de la tuberculose, et par le fait
même, par la mise en place d’une biomédecine, par diverses instances coloniales, notamment le
gouvernement canadien. Ainsi, alors que cette dite prise en charge débuta vers 1870, ce n’est qu’au fil des
5

épondre, je reviendrai rapidement sur l’histoire du peuple inuit et de son contact avec la
tuberculose. Puis j’aborderai, la prise en charge de la tuberculose par le gouvernement
canadien soient: la manière dont les patients tuberculeux furent identifiés, transportés
vers un sanatorium, traités, puis retournés au Nord. Finalement, dans le but de mettre en
exergue les différences entre le traitement fourni par le gouvernement canadien et
l'ethnomédecine inuite, je présenterai des composantes de cette dernière, et me
questionnerai sur les effets socioculturels du traitement de la tuberculose par la
biomédecine. Afin, de répondre à ma question de recherche, il m’apparaît intéressant
d’user de deux disciplines connexes qui ne sauraient, à mon avis, que s’enrichir
mutuellement.
Alliance disciplinaire. Plutôt que de simplement parler d’anthropologie ou d’histoire, cet
essai tentera de s’inscrire dans l’ethnohistoire « qui serait celle qui combinerait au mieux
les techniques des historiens et des ethnologues. L’ethnohistoire se confondrait donc alors
avec l’histoire régressive de Marc Bloch, sorte d’histoire à rebours, telle qu’à partir de ce
qui, du passé, demeure vivace dans le présent, on s’efforce de reconstituer le
cheminement d’un devenir, avec ses lacunes et ses oblitérations, ses redondances et sa
part d’invention » (Izard & Wachtel, 2004, p.338). Plusieurs sources se révèleront
bénéfiques pour réaliser cette ethnohistoire, particulièrement l’ouvrage phare de Pat
Sandiford Grygier intitulé A long way from Home : The Tuberculosis Epidemic among
the Inuit (1994) qui saura fournir l’essentiel de la documentation historique 3 à l’égard de
la prise en charge de la crise sociosanitaire de la tuberculose dans le Grand Nord
canadien. Quant à l’aspect anthropologique de ce travail, les écrits de nombreux auteurs
ayant principalement publié dans des revues anthropologiques (current anthropology,
Études∕Inuits∕Studies, Arctic anthropology, etc.) seront présentés. Somme toute, en usant
des outils propres à l’histoire, notamment l’archive, mais aussi à l’anthropologie
notamment la génétique des populations, le tableau ethnographique, la narration et
décennies que s’instaura un véritable système de traitement des tuberculeux et leur envoie vers les
sanatoriums du Sud. Avec la mise en place d’un navire (principalement le C.D. Howe) capable de dépister
la tuberculose grâce à l’utilisation des rayons X et le transport successif des malades, la gestion
sociosanitaire de la tuberculose se poursuivit de cette manière jusqu’à, environ, la fin de l’utilisation du
C.D. Howe vers 1963. Voir en annexe 1 un tableau présentant la chronologie du développement d’un
système de santé destiné aux Inuits.
3 Évidemment, de nombreuses autres sources historiques serviront à enchérir la présente dissertation, issues
notamment du CAMJ, du Bulletin of the History of Medicine, etc. Pour plus de détails, voir la bibliographie.
6

l’observation participante, je tenterai de raconter une ethnohistoire témoignant du vécu
des Inuits qui bien que racontée au passé, ne saura certainement pas moins parler de
l’actualité d’un monde polaire toujours en lutte pour sa culture, sa santé, son avenir.
Les peuples inuits et la tuberculose
Brève histoire de la formation des mondes polaires
Un peuple singulièrement pluriel. Plutôt que de parler du monde inuit, il faudrait sans
doute parler des mondes inuits, car aujourd’hui, non seulement certains groupes inuits
portent diverses autodénominations, mais les quelques 150 000 Inuits sont répartis au
travers de vastes territoires allant de la Sibérie extrême-orientale jusqu'au Groenland en
passant par l'Alaska et le Canada, couvrant ainsi le plus vaste territoire que les peuples
autochtones aient connu, allant 6000 kilomètres d’est en ouest et 3000 kilomètres du sud
au nord 4 (Musée canadien des civilisations, 2010). En ce qui concerne particulièrement
les mondes inuits de l’Arctique, bien que ses populations polaires appartiennent à
différents ensembles géopolitiques, qu’elles possèdent donc des cheminements
historiques distincts 5 bien que similaires, n’en demeure pas moins que leur origine est
avant tout asiatique. Ainsi, grâce à plusieurs disciplines scientifiques, notamment
l’archéologie et la génétique, nous savons aujourd’hui que les autochtones actuels
auraient transigés par l’isthme de Béring (la Béringie) vers la fin du pléistocène, soit au
cours de la dernière grande glaciation, il y a un peu plus de 10 000 ans et auraient ainsi
colonisés l’ensemble du continent américain, et notamment, le Grand Nord (Schurr,
2004; Schurr & Sherry, 2004; Mulligan, et coll., 2004). De plus, d’autres anthropologues
ont démontré que sur le plan linguistique la famille eskimo aléoutienne (dont provient
l’inuktitut parlé par une majorité d’Inuit du Nunavut) présente de nombreuses similarités
avec les langues asiatiques (Fortescue, 1998). Ainsi, bien que le débat soit toujours ouvert
concernant la date précise de la venue des premiers habitants du Grand Nord, les toutes
dernières études en génétique des populations nous indiquent qu’il y aurait eu trois
vagues de peuplement fournissant le patrimoine génétique des Inuits contemporains
4 Voir une carte en annexe 2 représentant l’ensemble du territoire occupé par les peuples inuits.
5 Par exemple, bien que le Groenland ait bénéficié, depuis 1979, d'un statut d'autonomie interne, au Canada,
ce n’est que le 1er avril 1999 que fut créé le troisième territoire du Canada surnommé le Nunavut signifiant
" notre territoire " en inuktitut. (Young & Bjerregaard, Health transitions in artic populations, 2008)
7

(Reich, 2012). Bagage génétique associé à celle de populations du Nord asiatique,
renforçant donc une fois de plus l’hypothèse d’une origine asiatique du peuplement.
Cependant, il ne faudrait pas croire que les Inuits que nous connaissons aujourd’hui sont
à l’image près de ce qu’ils furent lors de ces grandes migrations polaires.
La naissance des Inuits contemporains. Ainsi, plusieurs groupes ont peuplé le nord du
continent américain, à commencer par les paléo-Esquimaux (Saqqaq, pré-dorsétiens et les
dorsétiens). Ils développèrent chacun à la suite de l’autre une culture riche et adaptée au
climat nordique. Puis à la suite des néo-Esquimaux, se développa, il y a environ 1000
ans, la culture des thuléens qui apparut davantage évoluée sur le plan technologique, lui
conférant notamment un avantage pour la chasse. Avec l’avènement et le développement
de la culture thulénienne s’associèrent de grands changements culturels qui en l’espace de
quelques décennies transformèrent à nouveau ces populations nordiques en ce que l’on
pourrait considérer comme les Inuits contemporains (Musée canadien des civilisations,
2010; Malaurie, 1955). Ainsi, alors que certains changements climatiques refroidirent
encore davantage le climat arctique, ce qui influença certainement la migration des
animaux et bien sûr le mode de vie des Inuits, de nouvelles rencontrent eurent lieux.
Rencontres qui transformèrent le devenir culturel des Inuits, mais surtout leur état de
santé. Rencontres qui firent dire à certains auteurs que « the transformation from Thule
to Inuit culture has generally been explained in terms of adaptation to a deteriorating
environment. But […] the development of Inuit culture can be more satisfactorily
interpreted as a response to early and continued contacts with Europeans and the effects
of repeated epidemic diseases resulting from such contacts » (McGhee, 1994, p.565).
Les Inuits et la rencontre avec l’homme "Blanc".
Généalogie des nouveaux arrivants. La rencontre entre les Inuits et des hordes massives
d’Européens ne s’avéra pas instantanée. D’abord, ce fut sans doute les Vikings au
onzième siècle qui visitèrent les Inuits de la terre de Baffin 6 . Par la suite, vers 1576, ce fut
Martin Frobisher, un navigateur anglais, qui se rendit à trois reprises à la rencontre du
6 Une carte du Grand Nord canadien est fournie en annexe 3.
8

contient arctique et ses peuplades. Certes, ces rencontres n’eurent pas lieu sans heurt 7 .
Elles marquèrent le début d’une augmentation toujours ascendante de visiteurs européens
en territoire polaire : d’abord venus pour y chercher des ressources, puis ayant pour
objectif l’évangélisation, la sédentarisation, voire la colonisation des Inuits. Ainsi, à la
suite de Frobisher, d’autres explorateurs vinrent et furent suivis par des pêcheurs et des
baleiniers, des commerçants de fourrure (travaillant notamment pour la Compagnie de la
Baie d’Hudson), et des missionnaires. Puis, au cours du dernier siècle se joignirent la
Gendarmerie royale du Canada, les compagnies minières, les militaires et les employés
de l’administration fédérale du gouvernement canadien (Grygier, 1994). Évidemment, ces
rencontres eurent, à certains égards, des effets positifs pour les Inuits, notamment en leur
permettant d’avoir accès à une technologie nouvelle, performante et utile 8 (Kelm, 1998).
Elles permirent aux Inuits de passer d’une culture purement orale à une culture écrite
grâce à l’instauration d’un système syllabique 9 . Cependant, force est néanmoins de
constater que l’impact socioculturel, l’instauration partiellement tacite d’une
dépendance 10 des Inuits à l’égard des Blancs et de leur mode de vie, promulgua une
transformation profonde de la culture polaire. Par-delà cette dite coopération
technologique, l’augmentation des contacts entre les "Blancs" et les Inuits marqua
surtout, tel que mentionné précédemment, le début d’une contagion décimant à la fois la
7 Comme exprimé par Rowley à l’égard des relations qu’entretint Frobisher avec les Inuits, cité dans
Grygier (1994, p.19) : "His relations with them were unhappy. He captured some of them, and they
captured some of his men, and each side developed a hearty dislike for the other."
8 « The introduction of guns, kettles, and iron knives during the fur trade undoubtedly facilitated the taking
of animals for food and assisted in preservation. Because fur traders did not wish to alter Aboriginal
lifestyles, they did little to discourage the existing food-gathering cycle, so long as fur production remained
at the necessary levels. » (Kelm, 1998, p.25)
9 « Le révérend Peck fut un linguiste hors pair, il traduisit la Bible en inuktitut et rédigea une grammaire
esquimaude et un dictionnaire esquimau-anglais. Peck parvint à répandre l'usage de l'écriture syllabique qui
avait été adaptée à l'inuktitut à partir du cri par John Horden et E. A. Watkins, deux missionnaires anglais à
Moosonee » (Harper, 1983, cité dans Musée canadien des civilisations, 2010)
10 « By the mid-1890s most Eskimos had returned to the whaling stations, possibly in response to a decline
in the seal population in the Sound. That the Eskimos were becoming increasingly dependent on European
and American manufactured goods by the end of this decade was noted by Wakeham, commander of a
government expedition to Cumberland Sound in 1897. He observed that:
In the neighbourhood of the whaling stations the natives are fast ceasing to be expert in the use of their old
fashioned weapons, such as spears, small harpoons, bows and arrows, etc., as they are now pretty generally
supplied with modern repeating arms, and there can be little doubt that those who have been brought up
about the stations would be badly off were these closed and abandoned. » (Wakeham 1898, p.75, cité dans
Keenlyside, 1990)
9

santé et l’ingéniosité culturelle des Inuits. Contagion s’exprimant par diverses souches
infectieuses 11 d’influenza, de diphtérie, de typhus, mais surtout de tuberculose.
La transmission de la peste blanche. Alors, que la tuberculose 12 frappât de plein fouet
l’Europe de l’époque contemporaine (du dix-neuvième siècle au début du vingtième
siècle) et y transformât la société et le système médical 13 , les baleiniers européens
déferlaient sur la côte nord de l’Amérique pour y établir des stations de pêches. Ces
stations souvent occupées par de la main-d’œuvre locale s’avérèrent être de véritables
vecteurs du bacille tuberculeux, des lieux propices au développement d’une épidémie
sans précédent (Keenlyside, 1990). Ainsi, « by 1929-1930 approximately 50% of the
Eskimo deaths in western Alaska were due to the disease. From 1924-1933, it was the
cause of 36% of deaths among the Greenlandic » (ibid., p.8). Une fois les baleiniers
européens partis, une fois qu’ils eurent dépecés suffisamment, ils laissèrent derrière eux
un peuple en jachère, dans une santé en lambeaux, vivant dorénavant dans un lieu
ensemencé d’infection 14 , un peuple colonisé par la tuberculose. Mais est-il juste
11
Voir annexe 4 pour un tableau illustrant les pathologies infectieuses présentent dans l’Arctique de 1734 à
1952.
12
L’explication (la découverte) biomédicale de la tuberculose est redevable à Robert Koch qui la présenta
en 1882. Après qu’on eut longtemps cru que la tuberculose pouvait notamment être héréditaire, ce dernier
démontra, grâce à sa culture et à son isolement, que le bacille tuberculeux était une bactérie qu’il nomma
Mycobacterium tuberculosis. Évidemment, à cette époque, les antibiotiques n’avaient toujours pas été
inventés, il fallut attendre 1943 pour que la streptomycine soit disponible comme premier agent
antituberculeux. (Coury, 1972; Ho, 2004)
13
La tuberculose modifia a plusieurs égards la pratique de la biomédecine moderne, particulièrement, le
domaine de la prévention des infections, mais aussi les imaginaires sociaux: « Au même titre que la lèpre
au Moyen Âge et la peste à la période moderne, la phtisie, devenue tuberculose, est la maladie
emblématique de la période contemporaine, surtout entre 1880 et 1950. La promotion de cette maladie fort
ancienne au rang de fléau social doit plus à la modification du regard que la médecine et la société portent
sur elle qu’à l’extension réelle de ses ravages [du moins en sol européen]. Dans ce processus et ce qui
s’ensuit, les imaginaires sociaux jouent un rôle au moins aussi grand que les découvertes médicales. À
partir de là, la tuberculose sert de laboratoire pour construire des notions et expérimenter des actions dont le
modèle imprègne encore fortement les conceptions et les représentations actuelles de la maladie et de la
politique de santé publique. Nés dans la lutte antituberculeuse, les liens entre sanitaire et social, la
médecine de secteur, le recours à la propagande, à l’éducation sanitaire, au dépistage systématique, à
l’isolement sont des réalités ou des tentations que l’on retrouve aujourd’hui […]. En cela, la tuberculose est
exemplaire des relations qu’entretiennent les sociétés occidentales contemporaines avec la maladie »
(Faure, 2004, p.1167)
14
«The effects of Euro-American whaling on Eskimo health were clearly detrimental in many respects. It is
almost certain that the whalemen introduced tuberculosis and venereal diseases to the Eskimos although the
impact of these diseases on the mortality rate, especially during the early years of whaling, is difficult to
determine due to the lack of documentation from this time period and the limitations of the skeletal data.
The occurrence of syphilis and other venereal diseases may have declined somewhat after whaling ended
and the crews departed, but tuberculosis continued to pose a serious threat to Eskimo health. » (Keenlyside,
1990, p.14)
10

d’affirmer que ce sont ces "Blancs", voire les "Blancs" qui contaminèrent les Inuits? Au
fait, dans un souci de rectification historique, ne devrions-nous pas remettre en question
l’idée que les Inuits aient été, jusqu’à l’arrivée des Européens, indemnes de toute maladie
?
La tuberculose amenée par "les Blancs" ?
L’Arctique ou la terra incognita de la maladie. Dans sa blanche froideur, dans
l’immensité de sa splendeur, l’Arctique a souvent été dépeint de manière romantique, tel
un territoire étuvé de toute contamination, stérilisé par son climat de glace (Stewart,
1973). Ainsi, bien que certains purent parler d’une population inuite vierge de toute
maladie avant l’arrivée des Européens, d’autres auteurs affirmèrent plutôt : « it is difficult
to imagine that the Eskimos would not have had their own complement of viral and
bacterial diseases to plague them, just as every other segment of humanity has » (Fortuine
1971, p.113). D’ailleurs, les récits d’explorateurs mentionnèrent bien la présence de
maladies en tout genre (Rasmussen, 1929; Young & Bjerregaard, 2008; Waldram, et al.,
2006). Quant à la présence de tuberculose chez les Inuits, les données
archéoanthropologiques semblent démontrer qu’il y ait bel et bien eu présence de la
tuberculose avant l’arrivée des Européens (Clark, et al., 1987). Ainsi, suite à des fouilles
archéologiques, l’analyse de lésions osseuses permit de confirmer la présence de
nombreuses maladies, notamment la tuberculose, chez des autochtones qui vécurent avant
les premiers contacts avec les Européens. Évidemment, bien qu’aujourd’hui l’on
reconnaisse globalement que le bacille tuberculeux fut endémique à l’époque
précolombienne, n’en demeure pas moins que le débat reste d’actualité 15 , notamment car
15 «In the early twentieth century, high rates of tuberculosis morbidity and mortality among aboriginal
people led scholars to conclude that tuberculosis was recently introduced from Europe to the Americas.
Subsequently, the identification of tuberculosis in mummified tissue and bone lesions consistent with a
differential diagnosis of tuberculosis forced scholars to conclude that tubercular disease was endemic in the
Americas prior to European contact. Now there are more than 133 pre-contact cases of tubercular-like
lesions dates to a period of at least two millennia. […] A fascinating new array of questions about the
origins and evolution of tubercular disease, on a worldwide scale, has arisen from this multi-method
approach. Considering a map of the distribution of cases in the Americas, for instance, JaneBuikstra asks
why there are no cases from Mesoamerica when they are abundant in North and South America. Did low
grade tuberculosis accompany the earliest inhabitants of the Americas and only become acute when people
began settling in large groups? Did animal herds in the Americas, such as bison, acquire tubercular
infections from humans, or were they transmitted in the other direction? » (Clark, et al., 1987, p.30-31)
11

l’on ne s’explique toujours pas pourquoi les Inuits furent aussi affectés par la
Tuberculose.
La fragile génétique des Inuits. Si la tuberculose avait été présente avant l’arrivée des
"Blancs", pourquoi les Inuits n’en avaient-ils pas davantage soufferts 16 ? Peut-être
s’agissait-il d’une souche de moindre virulence et alors la population autochtone de
l’époque aurait pu avoir développé une certaine immunité à l’égard de la mycobactérie?
Par conséquent, si la souche infectieuse apportée par les Européens avait été plus
virulente que celle déjà présente en Amérique, il va de soi que les ravages allaient être
très grands. Et ils le furent… Sitôt les Européens (particulièrement les baleiniers, tel
qu’illustré plus haut) débarquèrent en Amérique, la population autochtone diminua sans
cesse 17 . Ainsi, si le lien entre l’arrivée des Européens et la pandémie de tuberculose n’est
plus à démontrer, la virulence de l’attaque infectieuse demeure toujours sujette à débat. Si
certains auteurs émirent l’hypothèse d’une prédisposition génétique innée qui aurait
défavorisé l’immunité des Inuits (Clark, et al., 1987), d’autres affirmèrent plutôt :
« Explanations of disease rates and behavior based merely on the concept of a genetically
determined "innate" resistance overlook the important ecological and environmental
factors influencing transmission and immunity. Furthermore, they divert attention from
the broader issues of social and biological stress in the management of mycobacterial
disease in a community » (ibid., p.51).
Ainsi, plutôt que de lier la virulence de la pandémie à une hypothétique fragilité
génétique des Inuits, les causes d’une telle contagion ne pourraient-elles pas être les
16 « In other words, the debate about tuberculosis in the Americas is no longer simply about whether it was
present prior to European contacts but about what strains of the Mycobacteria tuberculosis complex were
present in the Americas, how the strains may been transmitted and have interacted with each, and how they
may have interacted with strains brought by Europeans. » (Waldram, Herring, & Young, 2006, p.31)
17 « Over and above all distinctive features of the pathogens themselves (which include the severity of
symptoms, ease of transmission, and capacity to induce immunity), the social circumstances surrounding
the encounter with pathogens are of paramount importance. […] No single depopulaiton model can explain
all cases; the social history of each Aboriginal community must be evaluated to determine the extent to
which infectious disease debilitated and depleted it. But, aboriginal communities in closer and more intense
contact with European settlements were at greater risk of contracting introduced diseases than more
peripheral communities, or than those that chose not to become entangled in social and economic
relationships with European groups. » (ibid., p.70-71)
12

modifications ayant changé leur culture, les changements sociosanitaires 18 19 ? Si les Inuits
furent atteints en si grand nombre par la tuberculose, cela n’aurait-il pas aussi à voir avec
le peu de soins médicaux leur étant destiné, avec le désintérêt des autorités médicales à
leur égard ?
Guérir les Inuits.
Guérir et évangéliser. Les Inuits ont été les derniers citoyens canadiens à obtenir des
services médicaux prodigués par le gouvernement. Aucun médecin n’était présent sur une
base régulière, voire personne n’était à même de reconnaitre fidèlement la tuberculose 20
et la traiter adéquatement, et ce, jusqu’en 1920. Contrairement aux pays voisins
(notamment le Danemark ou les États-Unis) qui abritaient de larges populations inuites,
le gouvernement canadien investit beaucoup plus d’argent dans la police que dans la
santé 21 . Et comme traiter les Inuits, c’était du même coup leur donner accès à la culture
occidentale, par le truchement de sa médecine, certains se questionnèrent, à savoir :
18 « The congregation of large numbers of individuals in semipermanent settlements, such as occurred in
Cumberland Sound, Hudson Bay, and the Mackenzie Delta during the whaling period, certainly made these
groups highly susceptible to infectious diseases (Ross 1977:1). Living conditions such as crowded, poorly
ventilated, unsanitary dwellings (Ross 1975:122), contaminated water supplies (Low 1906:9), and the use
of cloth that was not properly washed (Millward 1930:48) likely facilitated the spread of disease. Finally,
the migratory habits of the Eskimos ensured the transmission of epidemic diseases to regions removed from
the site of the initial infection (Ross 1977:1) » (Keenlyside, 1990, p.8)
19 « Several factors contributed to this. First, the severe cold (which has no effect on the tuberculosis
bacillus) made the Inuit vulnerable to respiratory troubles and forced them to live in tiny, one-room
dwellings for most of the year, so that an infectious disease such as tuberculosis almost inevitably spread
from one infected person to the rest of the family. Second, as the Inuit adapted to accommodate the desires
of the newcomers, trapping to exchange furs for store goods or working for the RCMP or on military
construction sites for cash, their highly nutritious fresh-meat or fish diet and their warm caribou-skin
clothing were gradually exchanged for a diet largely of white flour, lard, tea, jam, and canned goods, and
for much less warm southern clothing. When the caribou declined or the pattern of migration changed
(possibly as a result of the incursions of military and mining into the North), malnutrition occurred. This,
combined with the inadequate clothing, increased the Inuit's vulnerability to the new diseases. » (Grygier,
1994, p.55)
20 «The missionaries, police, and traders provided some drugs and first aid, but they were not qualified to
diagnose tuberculosis and were certainly in no position to treat it. Not until doctors went to the Arctic on a
regular basis in the 1920s, either on the annual summer patrols or to work in the mission hospitals, did the
tuberculosis situation begin to be recognized. » (ibid., p.56)
21 Voir le tableau en annexe 5.
13

«Did the political philosophies of Denmark and the United States differ so greatly from
Canada's philosophy that the first two countries could select doctors and school-teachers
to be the apostles of western civilization, whereas Canada had to assign that role to the
police? Or was Canada, as I believe, negligent? Did she choose the easiest path, the path
of least expense, and give no thought to the reckoning that would come on the morrow? »
(Jenness, 1972, p.71).
Ainsi, alors que les militaires, les baleiniers, tout comme les policiers étaient parfois mis
à contribution pour traiter les Inuits, ce fut d’abord les missionnaires qui délivrèrent de
manière ponctuelle, et rarement permanente, des services de santé 22 . Les catholiques et
les anglicans, en pleine expansion dans le Grand Nord, au début du XXe siècle, se
chargèrent ainsi de guérir des malades, et ce, non sans leur inculquer leur idéologie
monothéiste (Grygier, 1994). Ainsi, dans leur haut lieu de prosélytisme 23 , les
missionnaires s’affairèrent à transformer le paysage sacré inuit en un lieu chrétien.
Cependant, ils ne furent pas simplement militants de Dieu, car contrairement au
gouvernement canadien, ces derniers n’étaient pas complètement sourds à la gravité de la
pandémie tuberculeuse.
Les Inuits sont en santé. Ainsi, dès les années 1930, alors qu’on commençait lentement à
s’intéresser aux tuberculeux inuits, que des missionnaires tout comme des médecins
rapportaient des taux de tuberculose très élevés en territoire nordique 24 , le gouvernement
sembla ne pas considérer qu’il faille intervenir pour remédier à la situation qui menaçait
dans bien des cas d’anéantir certaines communautés inuites. En outre, le gouvernement se
22 « As early as 1902, an Anglican hospital was opened in Cumberland Sound. The Canadian government,
however, supplied medicines, paid salaries of the medical staff of the mission facilities, and in times of
hardship provided funds for relief administered by traders and missions. During an influenza epidemic in
Coronation Gulf and the Mackenzie river in 1926-1928, the RCMP offered medical assistance to the Inuit
». (Young, 2008, p.49)
23 «The hospital has been established following the example of the Master Who went about healing the sick
and afflicted. Pray that through its means the Saviour may be made known to many – both Eskimo and
white » (Fleming, nd, cité dans Waldram, Herring, & Young, 2006, p.199)
24 «Throughout the 1930, most of the medical officers continued to report on the high incidence of TB in
their areas and the need for better treatment services of one sort or another - all without any positive result.
In 1934, Dr J.A. Bildfell in Pangnirtung wrote: Tuberculosis is so general among Pangnirtung natives that
to speculate on any particular percentage is impossible ... everything appears to be in favour of the germ,
and nothing to the advantage of the native in combating the disease. It is the chief factor in ... the high child
mortality rate [and] the main cause of death generally ... As far as Pangnirtung is concerned it so eclipses
every other diseased condition that it might be said that there prevails but one disease among them. Thus
the hospital should be equipped to treat tuberculosis as efficiently as possible. » (Grygier, 1994, p.58)
14

fia à un rapport préliminaire non scientifique, et certainement biaisé, pour justifier son
inaction :
« In the summer of 1938, Dr K.F. Rogers conducted a general medical survey of Inuit in
the Eastern Arctic. While he gave a generally favourable report, he noted that his findings
were not empirically based but were mainly a matter of opinion, and he recommended
that a scientific study be carried out to get a clear picture of the situation. The government
used this report, however, as the basis for stating that the Inuit population were in good
health and (erroneously) that instances of tubercular disease among them were "less
frequent than among whites." » (Grygier, 1994, p.59)
Bien que de nombreux médecins n’appuyèrent pas cette dernière étude, d’autres
recherches furent menées, notamment celle du Dr GJ. Wherrett qui, en 1939, rédigea un
rapport réaffirmant les dires du Dr Rogers, et encourageant ainsi une non-intervention du
gouvernement. En plus, celui-ci affirma qu’il était quasi-impossible pour les instances
médicales de traiter les Inuits principalement en raison du facteur géographique 25 . Les
résultats de l’analyse du Dr GJ. Wherrett changèrent complètement alors qu’il rédigea un
second rapport pour le compte du gouvernement en 1945 26 . Son rapport très critique à
l’endroit du gouvernement proposa de nombreuses pistes de solutions pour contrer la
crise sociosanitaire de la tuberculose dans le Grand Nord canadien. Il eut certainement un
effet catalyseur pour qu’en 1945 le Department of National Health and Welfare
constitue une branche nommée Northern Health Services. Le rapport du Dr GJ. Wherrett
25 Dr GJ. Wherrett affirma que « the Inuit population was increasing and therefore either TB was not of
epidemic proportions or it had passed the acute stage, probably the latter, but that it was in different stages
in different Inuit camps; that it was present among the Inuit to a greater extent than among the white
population; and that "the present arrangements for inspections and medical treatment ... are as satisfactory
as can be effected, considering the terrain, the difficulties of travel and the many isolated, small groups of
Eskimos." » (ibid., p.60)
26 Voici un bref résumé du rapport que rédigea Dr Wherrett: « In February 1945, Wherrett's report on his
Mackenzie Delta survey was published. It provided the first authoritative estimate of tuberculosis among
the Inuit. Wherrett's views seem to have changed since 1939, when he felt the service to be "as satisfactory
as can be effected." He identified the particular health problems of the Inuit as (i) tuberculosis, with a
death-rate for Inuit of 314 per 100,000 population compared with 53 per 100,000 for the rest of Canada; (2)
pneumonia (203 per 100,000 compared with 52); and (3) diseases of the first year (166 compared with 54).
He also reported a very large proportion of ill-defined or unknown causes of death for the Inuit population
(740 per 100,000, as opposed to 44 for the white population of the Northwest Territories), these being the
84 per cent of Inuit deaths that took place without a doctor or nurse being available. He thought that this
group probably included many deaths from tuberculosis, so even the official high death rate from this
disease was probably an underestimate. Wherrett concluded that the problem was staggering. While
praising the efforts of the few lone doctors and nurses, the missionaries, the RCMP, the traders and their
wives, and the native people themselves, for their courage and devotion in attempting to give medical care
to the sick, Wherrett was fiercely critical of government, and he made several suggestions for
improvement. » (ibid., p.64)
15

fit agir le gouvernement, l’enjoignant, comme d’autres scientifiques, à répondre à la
tuberculose par un traitement purement biomédical :
«The year 1945 was crucial in the development of the anti-TB campaign in the North. In
January the government set up an Advisory Committee for the Control and Prevention of
Tuberculosis among Indians, which was given "the authority ... to inquire into the present
methods of tuberculosis prevention, detection, treatment and aftercare " and the
responsibility to report to government with a view to "correlating (all governmental) antituberculosis
work ... and (recommending) the best possible use of monies ... for the
purpose of eradicating and preventing the spread of the disease among Indians".
Although the committee's terms of reference specified Indians, it was to have a great
influence on the tuberculosis program that was eventually set up for the Inuit. The
committee stemmed from a proposal made in 1937 by Dr Wherrett and the Canadian
Tuberculosis Association (CTA) to undertake a study of the tuberculosis problem; this
had led to a conference that year with representatives drawn exclusively from the medical
profession, from the federal and provincial ministries, the CTA, the sanatoria, and
specialists in the disease. As P.G. Nixon has pointed out, the "view which developed
from this conference was that tuberculosis was essentially a medical, as opposed to a
broader social-economic, phenomena and therefore was to be solved, if at all, by medical
practitioners." » (Grygier, 1994, p.63)
La prise en charge biomédicale de la tuberculose en 1945
« Tu comprends pas le français, mais tu vas comprendre ce que j’te dis : tu es loin de
chez toi, tu n’es pas le seul, ils sont tous comme ça ici, tous, ici c’est comme à la guerre,
tu marches ou tu crèves - paroles dites par le médecin de l’hôpital » (Pilon, 2008).
L’abordage de la pandémie tuberculeuse dans le Grand Nord.
Le gouvernement canadien agit. Dans la foulée du rapport accablant rédigé par le Dr Wherrett, le
gouvernement canadien décida finalement d’agir pour endiguer la crise infectieuse affectant les
Inuits. Ainsi, vers 1946, le gouvernement (Health and Welfare) mit en place un programme de
dépistage et d’évacuation des personnes atteintes de tuberculose. Par l’attribution de nouveaux
pouvoirs à l’"Eastern Artic Patrol", le gouvernement canadien voulu dorénavant que les Inuits
malades soient exclus de leur communauté, cela en vue de mettre fin à la contagion, et qu’ils
soient soignés dans le sud du pays, là où des services hospitaliers et des médecins étaient déjà à
pied d’œuvre pour traiter la tuberculose. Pourtant, de petits hôpitaux nordiques étaient déjà en
place, la possibilité de développer des sanatoriums dans le Nord aurait pu être envisageable.
D’ailleurs, plusieurs médecins et missionnaires, dont le Bishop March, s’insurgèrent contre
16

l’envoi des tuberculeux vers le Sud 27 . Malgré cela, leurs critiques restèrent lettre morte
pour la Welfare and Health. Bien que celles-ci, notamment celles du Bishop March,
eurent pour effet de conscientiser le gouvernement à l’égard du manque d’humanité dans
les soins fournis aux Inuits, ils ne firent pas changer la stratégie gouvernementale : les
Inuits malades devaient quitter immédiatement le Nord pour se faire traiter dans le Sud.
L’"emmerement" des Inuits. Ainsi, lorsque les Inuits embarquèrent à bord d’un bateau-
hôpital sillonnant le Grand Nord, principalement le Nascopie dès 1947 ou encore le C.D.
Howe 28 à partir de 1950, ils savaient rarement ce qui les y attendait. À bord du bateau
rempli de personnel médical "Blancs", on les auscultait, on analysait leur état de santé, on
les radiographiait à l’aide d’un appareil à rayon X. Les patients étaient fichés et on les
identifiait grâce à un système de numérotation instauré préalablement pas le
gouvernement canadien, ayant fourni à chacun d’eux un numéro palliant ainsi à
l’obligation d’utiliser leurs noms 29 . En fait, l’embarquement des patients tuberculeux
demeure certainement l’un des épisodes les plus dramatiques de la crise sociosanitaire
qu’est connu le Grand Nord. D’abord, car la prise en charge plutôt expéditive 30 des
patients une fois à bord ne leur permettait pas de véritablement comprendre qui se
passait. Ensuite, car les Inuits qui montaient à bord et chez qui l’on diagnostiquait la
tuberculose devaient généralement rester sur le navire, alors que les proches devaient
27 «Bishop Marsh wanted the southern hospitalization program - and the hardship he believed it caused the
Inuit - to be replaced by the establishment of more hospitals in the Arctic. He said that on his Arctic trip
that year he had heard "that the Eskimos fled inland before the arrival of the ship with the medical officers
on board, for fear that they would be wrested from their homes and shipped outside never to return, as has
happened to so many of their friends and relatives. It is indeed hard to believe that this is the only way that
a great nation like Canada can care for a small minority in her midst and who are, after all, our oldest
Canadians." » (Grygier, 1994, p.78)
28 C’est ce dernier bateau qui est le plus connu et qui fut le plus utilisé par la Eastern Artic Patrol, et ce, de
1950 à 1969. D’ailleurs: « The 80 per cent of the Inuit who lived in the Eastern Arctic were mainly served
by the Eastern Arctic Patrol boat. » (ibid., p.85)
29 « The disc system was introduced to make it easier for the white administration to identify the Inuit, to
check relationships for family allowance entitlements, and so on. This was important because the Inuit did
not have a system of family surnames and rarely spoke or wrote in English, while the white administrators
rarely spoke Inuktitut. Consequently, Inuit names were often recorded incorrectly. » (Ibid., p.49)
30 « The medical party seems to have concentrated on efficient physical examinations, carried out in the
minimum time possible, and on the physical separation of sick from well Inuit in order to give the sick the
best possible physical treatment available at the time; but very little, if any, attention was paid to the effects
of this separation on either the patients or their families, and there was little sensitivity shown in how it was
done. » (ibid., p.95)
17

quitter l’embarquement 31 . D’ailleurs plusieurs personnes qui se savaient atteintes de
tuberculose tentèrent de ne pas se rendre sur le bateau par peur de devoir être amenées au
large comme bien d’autres l’eurent été auparavant :
« Even when they were aware of their condition, it was not always made clear to the
patients where they were being taken or if they would ever be returned, contributing to an
atmosphere of fear and desperation. In some cases, Inuit who knew that they were
seriously ill would hide out on the land once they had heard that the hospital boat was
arriving. » (Olofsson, et al., 2008, p.131)
Bien sûr, dans certains cas, il y eut des patients qui voulurent recevoir des soins
médicaux, et qui conséquemment, bien que ne sachant pas où le bateau les amènerait et
ce qu’ils recevraient comme traitements, montèrent à bord de leur plein gré 32 .
Néanmoins, ce sont des histoires traumatiques qui demeurent de cet embarquement des
tuberculeux 33 : jusqu’à aujourd’hui, de nombreux patients en garde des traces indélébiles.
Par exemple l’un des patients traités par le Dr Young à l’Hôpital Général de Montréal en
2010 :
« That year, 1955, the CD Howe made its way around the Hudson Bay coast, and Jusie
was taken aboard and x-rayed along with his fellow villagers. After the x-ray, he was
loaded aboard a float plane filled with other Inuit, bound for Moosonee, Ontario on James
Bay. “I had no symptoms, and they never gave me a diagnosis.” From Moosonee, Jusie
was transferred by canoe to neighbouring Moose Factory. “I was terrified!” he said.
“Imagine, I’d never been in an open boat before. I felt sure I was going to die!” » (Young,
2011, p.1886)
31 «When the doctors had made their final decision on whether an individual should go to hospital for
treatment or stay in the North, the evacuees were sent down to the Inuit quarters in the prow of the ship and
the rest were sent ashore. The evacuees were not allowed to go ashore to collect belongings, to say
goodbye, or to make arrangements for their families or goods. If a mother was judged sick but her children
were not infected, the children (sometimes including unweaned babies) were given to an Inuk woman
going ashore. Fathers had no chance to arrange for someone to hunt for food for their families or to look
after their dogs and equipment. Mothers had no chance to arrange for someone to care for their children or
to sew and process the skins needed to keep the family warm. Virtually nothing was done from the social
side. Those needing hospital treatment were kept on board, the rest sent ashore, and on sailed the ship to the
next settlement » (idem, p.96)
32 «It must be noted that it would be a misrepresentation to portray the Inuit as simply forced against their
will to seek medical treatment. Some chose to endure the fear and confusion resulting from being seen by
the medical personnel in the hopes of finding help for themselves or their family members. For Markoosie
Patsauq his illness was so pronounced that both he and his family recognised he would have to be
evacuated to the hospital.
In my family, especially my mother used to say, “probably you’re going to the hospital.” I was kind of
scared. I had never been away from the family before. So when the news comes around that I have a bad
TB, I wasn’t surprised and my family knew I had it a year ago (Markoosie Patsauq, 2005) ». (Olofsson, et
coll., 2008, p.134)
33 Voir annexe 6 pour l’histoire de l’embarquement des Inuits écrite par Bishop Marsh.
18

Des dizaines et dizaines de tuberculeux purent ainsi être envoyé par les airs ou encore
passer des mois dans la cale du bateau, en route vers l’ailleurs, un lieu inquiétant et
inconnu, un sanatorium du Sud, souvent le Mountain Sanatorium d’Hamilton pour les
Inuits de l’est de l’Arctique canadien ou encore le Charles Camsell Indian Hospital
d’Edmonton (Moller, 2010).
Le choc de la rencontre. Ainsi, une fois arrivé sur place, non seulement le traitement
médical commençait, mais encore davantage, le choc culturel entre les blancs et les Inuits
s’accentuait. Non seulement les difficultés linguistiques 34 empêchaient souvent un
dialogue entre le personnel soignant et le patient, mais surtout, le monde culturel
environnant était empli d’objets et de signification inconnus des Inuits 35 :
«Everything was strange to the Inuit: the big solid buildings, the beds, the bathrooms, the
flush toilets, the basins with running water, the heat, the food, the language, the clothes,
the activities - or lack of them - and the bed rest that was expected of them. But the staff
found that the Inuit patients were generally very observant and were good at
understanding signs, and so long as they realized that something was important for them,
they cooperated very well. » (Grygier, 1994, p.105)
Certes, l’on put dire qu’ils coopérèrent bien, car faute de coopérer, sans doute auraient-ils
été dans l’impossibilité de recevoir un traitement. C’était donc une coopération
obligatoire de leur part, car face à une médecine qu’une grande partie d’entre eux ne
comprenait pas, non simplement linguistiquement, mais dans son fondement même, ils se
devaient d’être serviles et patients, car leur traitement était de longue haleine.
La vie au Sud
La médecine des Qallunaaq 36 . En vue de guérir les tuberculeux des sanatoriums de
l’époque, notamment les Inuits, des routines de soins assidues étaient instaurées et
diverses recommandations étaient données aux patients quant à la marche à suivre pour
34 « Communication was always a big problem, since few of the Inuit spoke English and none of the staff
spoke Inuktitut. The differences between Inuktitut dialects added to the confusion; the patients who could
speak some English and tried to interpret often found they could not understand patients from another
district. So explanations and instructions had to be by signs. After a while, more patients learned enough
English to be able to help translate, but initial adjustment to the hospital setting and routine was always
made more difficult by the language problem.» (Grygier, 1994, p.105)
35 Pour l’histoire concernant la découverte de l’hôpital du Sud par un Inuit, voir annexe 7.
36 Appellation commune donnée aux "Blancs" par les Inuits en Inuktitut.
19

se libérer de la tuberculose. On les invitait par exemple à fumer le tabac ou la pipe afin
d’évacuer, suite à la toux induite par l’inhalation de fumée, le bacille tuberculeux logé
dans leurs poumons. D’autre part, on exposait tous les patients à la froideur hivernale en
ouvrant grandes les fenêtres, de sorte que les patients respirent de l’air pur et frais. Qui
plus est, on demandait aux patients de constamment rester coucher afin de se reposer
(Gryger, 1994). Évidemment la découverte de médicaments antituberculeux 37 fut très
bénéfique au traitement des malades, d’ailleurs cela permit de réduire largement la durée
d’hospitalisation : « in 1949 at the Mountain Sanatorium in Hamilton where they had
begun to treat the TB patients with para-amino-salicylic (P.A.S.) in combination with
streptomycin, the average number of days a patient was hospitalised for tuberculosis was
562 days. By 1956, the average stay had decreased to 332 days » (Wilson, 2006, p.160,
cité dans Olofsson, et al., 2008, p.139). Néanmoins, les sanatoriums continuèrent pendant
plusieurs années à se remplir d’Inuits.
Chiffres d’une hospitalisation massive. Bien que des remèdes médicamenteux firent leur
apparition, les Inuits continuèrent nombreux de déferler dans les hôpitaux du Sud : leur
nombre continua de grimper, et ce, jusqu’en 1955. Par la suite, le nombre de patients
admis dans des sanatoriums commença à descendre, tout comme le nombre de décès lié à
la tuberculose (Grygier, 1994, p.82). Cependant, les statistiques demeurent floues quant
au nombre d’Inuits qui furent conduits vers des sanatoriums du Sud, ou même le nombre
d’entre eux qui décédèrent des suites de l’infection au bacille tuberculeux 38 : « the
literature suggests that at the height of the evacuation in the mid-1950s approximately 7
37 «In 1944 Professor Selman Waksman and his colleagues in the United States developed streptomycin
from a soil fungus, the first drug to kill the tubercle bacillus. 14 The effect was enormous. A disease that
carried a mortality rate of 50 to 100 per cent suddenly became curable. Streptomycin was rapidly made
available for clinical trials in Canada as well as in the United States, and its discovery stimulated the
development of other drugs. At first the dosage levels were too high and caused serious toxic side effects,
and the bacillus also showed a tendency to develop a resistance to the drug. But by 1950 appropriate dosage
levels and applications had been worked out, and it was found that when streptomycin was used in
combination with another antituberculous drug, the bacillus did not develop a resistance. Two effective
supplementary drugs were found: para-amino-salicylic acid (PAS) in 1946, and isonicotinic hydrazide
(INH) in 1952. Treatment with a combination of these three drugs over a period of 18 to 24 months proved
very effective, and they are still widely used today. » (Grygier, 1994, p.11)
38 « Accurate and consistent statistics on the early incidence and mortality of TB among the Inuit, and on
the number of Inuit having treatment, are almost impossible to find. » (ibid., p.82)
20

to 10% of the Inuit population of Canada was hospitalised with tuberculosis » (Duffy,
1988, p.71; Grygier 1994, p.71; Jenness 1972, p.143,146, cité dans Olofsson, et al., 2008,
p.128). Bien que les Inuits fussent envoyés dans divers sanatoriums et qu’ils durent
souvent y rester pendant plusieurs années, le gouvernement semble avoir montré peu
d’intérêt à garder un véritable registre national de leur hospitalisation. Ce qui eut un
impact plus que considérable sur les communautés inuites, et particulièrement, sur la vie
des personnes hospitalisées, nommément à leur retour en territoire nordique.
Le retour des Inuit
Le retour dans le nord. Après de longs mois, voire de longues années passées dans des
sanatoriums du Sud, le retour au bercail ne fut pas chose facile pour de nombreux Inuits.
D’abord, car il fut parfois difficile de rejoindre la famille que le malade avait quittée,
parfois les familles Inuits s’étaient déplacées, leurs logements, souvent temporaires
avaient été déménagés par le gouvernement. Ainsi :
«Sometimes people were dropped off at the wrong place. Often they returned in clothing
that was totally inadequate for the conditions of life to which they were returning. In
many cases, their families and the local authorities had not been notified of their
imminent arrival, and the families might be out on the land in a hunting camp a long way
from the settlement. » (Grygier, 1994, p.118)
Le retour dans le nord signala vertement le cafouillage administratif du gouvernement
canadien à l’égard de la gestion de la crise pandémique de la tuberculose. Cependant, s’il
est un aspect qui fut complètement négligé au cours de cette crise, c’est sans aucun doute
la spécificité culturelle des patients. Parfois simplement ignorée, à d’autres moments
utilisée contre eux, la culture inuite vécue au travers d’expériences de déracinement
individuelles, mais aussi collectives semble avoir fait les frais du traitement de la
tuberculose. Certes, les autorités canadiennes voulurent soigner les corps malades des
Inuits, ils leur appliquèrent d’ailleurs la puissance de la biomédecine, mais ils négligèrent
l’ethnomédecine inuite, non seulement importante dans leur guérison, mais fort
enrichissante dans la compréhension même de leur différence culturelle, de leur notion de
personne.
21

Biomédecine vs Ethnomédecine
« Je ne savais pas qu’on pouvait se sentir plus seul au milieu des Blancs que perdu dans
la toundra » (Pilon, 2008)
La personne inuite
Un peu de théorie sur la notion de personne. Marcel Mauss, sans doute le père de
l’anthropologie française, s’intéressa beaucoup aux peuples autochtones et notamment
aux Inuits (Mauss, 1904; Saladin d'Anglure, 2006). Il s’intéressa surtout à ce qu’il
considérait comme étant la culture invisible des sociétés, c’est-à-dire, ce qui est l’ordre
du social, mais qui n’est pas explicitement donné à voir comme le seraient par exemple
des artéfacts. Dans un texte qu’il écrivit en 1938, il développa la notion de personne
(Mauss, Une catégorie de l'esprit humain: la notion de personne, celle du moi in
Sociologie et anthropologie, paru en 1950, 1938). Ainsi, au corps de chair qui se
donnerait à voir au premier regard, viendrait se superposer la personne : construction
sociale, temporelle et culturellement circonscrite. Ce texte de Mauss donna d’ailleurs
naissance à une multitude de recherches ultérieures, notamment aux recherches de
psychiatrie transculturelle de l’Université McGill dirigées par le Dr Kirmayer, dans
lesquelles on nous présenta différentes notions de personnes 39 (Kirmayer, 1989). Ainsi, à
la personne individuée, indivisible et autonome ("égocentrique") valorisée dans la culture
et invariablement dans le système médical occidental, la personne inuite correspondrait
plutôt une personne "écocentrique", laquelle serait fréquemment retrouvée chez les
autochtones américains (Stairs, 1992). Ainsi, chez nombre de ces peuples, la notion de
personne se fonderait sur certaines relations avec la nature, les plantes, la terre.
Contrairement à la personne occidentale, la personne inuite, voire le malade inuit, serait
constitué par et dans la relation qu’il entretient avec autre que sa propre intériorité.
Au fondement de la personne inuite. Il faut dire que dès l’arrivée des Européens en
Amérique, il existait de nombreuses définitions de la notion de personne chez les Inuits 40
(Hansen, et al., 1991). Certes, la personne était faite de relations : avec le monde naturel,
spirituel et social qui l’entourait. Qui plus est, la personne inuite, plutôt que d’avoir été en
39 Voir le tableau des diverses notions de personnes en annexe 8.
40 Voir annexe 9 : Définition de la personne selon les Inuits du Groenlands.
22

elation avec les ancêtres, elle fut l’ancêtre, et ce, grâce à la réincarnation des âmes et
donc le passage des noms désignant celles-ci de génération en génération 41 (Rasmussen,
1929). Ainsi, « the link between the soul and the body is socially constructed as
evidenced by the fact that the body becomes a person with a soul when he receives a
name from a deceased elder » (Borré, 1994, p.10). D’ailleurs, les Inuits eurent aussi
diverses explications 42 de la relation qu’entretiennent le corps et l’esprit qui l’habite.
Relations permettant le maintien de la santé, autrement dit, empêchant la survenue de la
maladie. L’intérêt de comprendre la notion de personne inuite aurait donc été, à l’époque
du traitement de masse contre la tuberculose, de mieux comprendre le monde inuit, mais
surtout, en quoi ce dernier différait de celui des "Blancs". Certes, la notion de personne
s’inscrit à la fois dans la cosmogonie, la vision du monde d’une culture, mais aussi dans
la réalité immédiate des individus. Elle permet de donner sens à la maladie, son
traitement et la guérison. Guérir pour les Inuits était d’ailleurs irréalisable sans la prise en
compte de l’alimentation.
La nourriture qui guérit. L’alimentation, issue de la chasse et de la pêche, a toujours été
centrale pour la fondation de la culture inuite (Therrien & Laugrand, 2001). C’est sans
surprise donc que « when elders speak of the strength of their people, they invariably
41 «Also in the Inuit cosmology is the belief that each human being is the vehicle of a soul, which lives in
that person for a time and is associated, indeed identified, with that person's name. The soul leaves the body
when the person dies, but it may be recalled into another body by the process of naming. Hence, the
naming of children is a highly significant event, and one's name has far greater meaning than mere
identification. It is one's ongoing physical and metaphysical essence, one's personal reality. Similarly, if a
person is sick, it may be that he or she needs a new soul, and hence a new name. […] Souls are not linked
to the sex of the person; each soul is worthy of respect in its own right, whether the body in which it is
invested is female or male. So what comes out of the intellect of that person is worthy of respect as the
product of a valued soul; and it is important for the group continually to renew the relationships with these
valued souls in the kindred by reinvesting them, by naming them in newborn children or people who may
be ill and need a new soul, or in admired outsiders who may be adopted into the group. » (Grygier, 1994,
p.23)
42 « Tiimiut technically refers to the physical body, its structure and functions such as the digestion of food,
sweating, or production of mucus. Tarneq relates to the mind, the emotional state, and the expression of
consciousness. Tarneq is powerful and can control tiimiut, the body and its functions, and can even cause
spiritual transformation of the body from one form to another in some specially gifted persons. The
integration of tiimiut and tarneq is what creates a person and is the point from which the personality
develops. […]one alone cannot be analyzed as an entity but the interplay between the two is the entity.
Tiimuit and tarneq are not objects to manipulate or control but are better viewed as living processes
socially, environmentally, and symbolically bound to one another. Health occurs when tiimuit and tarneq
are adequately nourished and at peace with other sensate beings and the environment. To be adequately
nourished one must be at peace, reflecting the nature of the relationship between tiimuit and tarneq. »
(Borré, 1994, p.5)
23

mention food » (Kelm, 1998, p.19). Ainsi, dans son texte sur le rapport entre la personne,
la santé et l’alimentation intitulé: The healing power of the seal. The meaning of Inuit
health practice and belief (1994), Borré nous informe que le phoque fut pour les Inuits, à
la fois gardien de la santé et de l’ordre social. Utilisé pour garder le sang chaud, selon la
culture inuite, il aidait grandement pour le traitement des infections d’oreilles, des
problèmes gastro-intestinaux telles la diarrhée ou la constipation, des céphalées, de la
nausée, de l’hypothermie, mais surtout comme médecine préventive. Certes, le chair du
phoque ne contenait sans doute pas en soi le principe actif capable de freiner la contagion
tuberculeuse, mais c’était néanmoins elle qui donnait sens à la maladie, et tel que
mentionné plus haut, le phoque était non simplement primordial pour guérir, mais servait
à créer du lien social entre les membres de la société grâce à sa chasse et à son don
subséquent : « inuit experience this as a state of true health: individuals and the society
are mutually dependent for their well-being on producing, sharing, and consuming seal »
(Borré, 1994, p.11). Ainsi, à la personne relationnelle de l’Inuk alliée à la société grâce au
partage de sa chasse 43 , répondait une ethnomédecine particulière.
Une médecine aussi relationnelle. La médecine n’existait pas en soi comme discipline
indépendante dans la société inuite que rencontrèrent les Européens. Elle était intégrée
dans la communauté 44 , c’était fréquemment des personnes tels les chamans, qui étaient à
la fois docteurs, prêtres et voyants des petits groupes de chasseurs, qui veillaient au
maintien de ce savoir. Évidemment, avec l’arrivée des Européens, notamment les
baleiniers et les missionnaires, l’Angakok (guérisseur traditionnel) perdit de sa légitimité
au profit de la médecine des Blancs, une biomédecine se définissant comme « la
rencontre de deux disciplines: la médecine qui est une application des sciences au
43 « Although the body and soul can be viewed separately for purposes of discussing the Inuit concept of
health, the two are intimately bound producing the person. In the same way, the health and well-being of
the individual person is intimately tied to the ability of the community to produce a country food diet. This
pattern is to be expected in a society of arctic hunters because individuals are not very far removed from
production of food and shelter to sustain their own lives. To Inuit, health is a state of being of both the
individual and community that is attained through responsible social action. Individuals are dependent upon
the production, distribution, and consumption of seal and other animals for products to maintain their
health. Inability to maintain the body as warm and healthy will lead to depression and inability of the
individual to maintain the animal-human relationship through hunting and food sharing. » (Borré, 1994,
p.10-11)
44 « The Inuit way of educating was embedded in the context of daily living, and “in Inuit societies, medical
knowledge never existed as an autonomous and formal body of knowledge as in modern Western societies”
» (Therrien & Laugrand, 2001, p. 1 cité dans Moller, 2010, p.41)
24

maintien de la santé humaine et la biologie qui est, au sens moderne du terme, une
science dont la démarche est d’expliquer le fonctionnement de la vie au niveau cellulaire
» (Picard, 1996, p.97). Cependant, cette perte de légitimité, à la fois consentie et imposée,
ne signifia en rien la fin d’une ethnomédecine propre à la culture inuite (Borré, 1994) 45 .
Alors que pour la biomédecine occidentale la maladie fut généralement comprise comme
une rupture de l’ordre naturel, dans la perspective inuite, elle sembla davantage comme
un prolongement des effets de cet environnement et fut donc interprétée comme en
continuité plutôt qu'en rupture avec celui-ci (Wenzel, 1981). En ce sens, l’interprétation
de la maladie était généralement liée à une transgression de la norme sociale : « in
Aboriginal cultures, the maintenance of health was everybody's business, at the same
time, diseases were always perceived as being caused by something or someone » (Kelm,
1998, p.85-86).
La personne malade. Donc, la maladie chez l’Inuit ne pouvait être comprise hors du
cadre de la définition sa personne. Et puisque cette personne n’était saisissable que par
l’entrelacement de ses relations, il va sans dire que : « what may seem an individual's
medical problem or illness may have roots within the health of the community as a whole
» (Borré, 1994, p.12). Contrairement au système de santé occidental et sa notion de
personne individuelle (individu = du latin indivisible), voulant traiter les Inuits
tuberculeux par des médicaments certes efficaces, mais s’adressant primordialement à
une bactérie invisible pour l’œil humain et difficilement transposable dans la vision du
monde inuite, l’ethnomédecine inuite était sans doute plus tournée vers les relations
interpersonnelles et les explications spirituelles. Ainsi, tel que le résuma Borré (1994)
dans son texte présenté plus haut :
45 « The increasing presence of scientific medicine in Arctic communities is also a product of economic
change but it has not replaced the traditional health belief or care system that existed before it. Young
(1983:1210) argues that under certain circumstances services provided by traditional healers and the
official medical sector can be complementary. Those circumstances require simultaneous use of both
systems and respect for the meaning of the illness constructed through the ethnomedical system. When an
open system of communication exists among patient and health practitioner, ethnomedical systems can
complement those of the scientific medical sector. The Inuit concept of illness and construction of health
are sources of socially powerful knowledge for individuals to guide their decision making for choosing
medical care. » (Ibid., p.12)
25

« Western medical models of health strip an individual's power to cure himself. The
medical expert must provide a "treatment plan" in which the patient has little or no input;
thus, the patient will be "cured." In contrast, the Inuit concept of health and model of
health maintenance places the power for health maintenance of the self, the family, and
the community within the individual community member. Health of the individual is
dependent on the health of the community as a whole, which enables the hunting way of
life to continue. Conflict between these two systems cannot be avoided because they
subscribe to different meanings of health derived from different socio-political contexts. »
( p.13)
Rencontre entre deux mondes. Ainsi, si cette brève revue de la notion de personne inuite,
de l’ethnomédecine et du traitement de la maladie par le phoque nous permet d’apprécier
l’originalité de la vision du monde inuite, elle nous sert surtout à prendre conscience de la
quasi-incommensurabilité du fossé qui exista avec la biomédecine des Blancs, et toutes
ses prescriptions culturelles 46 . Il prévaut donc de se questionner sur la manière dont le
retour en territoire inuit fut vécu sur le plan culturel ? À la suite de cette confrontation
culturelle entre d’une part les Inuits qui furent transportés vers le Sud pour y être traités,
et d’autre part, leurs proches qui demeurèrent sur place, comment leurs perspectives
mutuelles se sont-elles agencées ? On sait déjà que sur le plan administratif, la situation
releva souvent d’une totale confusion, mais qu’en fut-il pour ceux qui retournèrent,
comment l’expérience des sanatoriums avait-elle modifié leur vision du monde et d’eux-
mêmes ?
Être Inuit après la tuberculose
Redevenir Inuit. Si les adultes trouvèrent le retour en terre inuite parfois difficile, ce sont
surtout les enfants qui éprouvèrent le plus difficilement les conséquences du retour.
Ainsi, si certains d’entre eux ne parlaient plus l’inuktitut 47 , qu’ils se considéraient
dorénavant étrangers au mode de vie inuit, d’autres séparés très jeunes de leur famille,
ont affirmés qu’ils ne reconnaissaient tout simplement plus leurs parents. Évidemment,
46 « Folk beliefs are [often] labeled incorrect; they are thought to be ‘‘misconceptions’’, whereas
biomedical knowledge is described with the adjective ‘‘correct’’. The unstated privileging of biomedicine
and the empiricist assumption of rationalism results in the simplistic conclusion that correct behavior
follows correct belief. Traditional beliefs are viewed as barriers to the delivery of biomedicine. Salvation,
via biomedicine, follows a conversion from indigenous beliefs to biomedical knowledge. » (Ho, 2004,
p.755)
47 « As one lady from Kuujjuak put it, "I didn't understand Inuktitut any more or English. It's hard trying to
talk to your Mom when you don't understand them and they don't know what you're saying. It was hard.
You had to find an interpreter to talk to your own family." » (Grygier, 1994, p.125)
26

les récits sont nombreux et diversifiés 48 , mais en règle générale, ils témoignent d’un fait :
cette période d’hospitalisation fut vécue par les enfants inuits comme une fracture avec la
culture qu’ils laissèrent derrière eux. Fracture parfois cicatrisable, mais comme toute
cicatrice, rarement effaçable :
« Interviews with Inuit former tuberculosis patients indicate great variation in the ways
that individuals adjusted to their hospital stay and their return to life in the North. While
some adjusted well to the hospital stay and found it relatively easy to reintegrate with
their home communities due to their retention of Inuktitut and other Inuit skills, other
interviewees found their adjustments more challenging.
The other side of me wanted to go back to Hamilton [l’un des sanatoriums les plus visités
par les Inuits] because I was there for three years. The dogs were loose all over the place
and I thought I was going to be attacked by them. As the days went by one day at a time,
I started getting used to it again. During the summer I used to mostly stay in the water a
lot to keep myself clean. I didn’t like getting close to my relatives because I thought
they’d pass on their head lice. I would worry about using the same cup that my family
members were using because I learned at the hospital how to prevent from getting
bacteria (Pauloosie Kanayuk, 2005). » (Olofsson, et coll., 2008, p.140-141)
Ainsi, l’expérience d’hospitalisation dans le Sud, qui ne fut banale pour personne 49 , fut
vécue par certains tel un véritable épisode d’aliénation culturel: « we left [home] without
knowing any Qallunaaq ways whatsoever. It was like as if they turned us into White as
soon as we entered into that building [the hospital] (Pauloosie Kanayuk, 2005) » (ibid.,
p.128). Pourtant, d’autres Inuits affirmèrent que plutôt que d’avoir perdu la culture qui les
rendait Inuit, ils avaient simplement subi une transformation.
Acculturation 50 ou transformation culturelle. Tel que mentionné plus haut, le choc du
retour ne fut pas vécu par tous de la même manière. Certains furent plus qu’heureux de
48
Annexe 10 : Témoignages d’Inuits de retour en territoire nordique après avoir été traité dans un
sanatorium du Sud.
49
«When discussing the treatment of Inuit by healthcare professionals, more than half of the Inuit
participants and many in casual conversations said they felt patronized, not respected, controlled, not
informed, and not listened to or taken seriously. » (Moller, 2010, p.42)
Expérience terrifiante pour certains: «When we got to the hospital, we were given a bath and we were shy
of our bodies, but I remember being bathed by the nurses that were wearing masks and then they put us to
bed. I still can almost hear Inuit crying from being terrified because it was their first time coming into a
house that big. Although there were nurses and doctors looking after them, but I can still remember their
terrified cries (Pauloosie Kanayuk, 2005) » (Olofsson, et al., 2008, p. 135)
50
« A traditional society is considered to be "acculturating" if it has intermittent or continuous contact with
a larger national or industrialized society. Contact may at first be intermittent and restricted to specialized
nationals, such as traders, missionaries, or government officials. As this contact becomes continuous and
regular there is increasing pressure to change. With their stated aim of bringing Christianity, civilization,
27

etrouver leurs proches et la culture qu’ils quittèrent, notamment les personnes plus
âgées. Mais ce choc qui signala la fracture culturelle dont furent victimes nombre des
Inuits résidait-il dans le fait que ces anciens patients eurent perdu leurs repères culturels,
que cette expérience altéra leur identité et finalement leur notion de personne. Cette
expérience en aura-t-elle été une de déculturation, soit de perte de leur culture, ou alors
de transformation, d’apprentissage, voire de découverte? Certains Inuits ont affirmé que
les cours et les enseignements 51 souvent dispensés aux patients des sanatoriums leur
avaient permis d’apprendre et de diversifier leurs connaissances. Par ailleurs, de
nombreux médecins et infirmières bien intentionnés ont certainement agi de telle sorte
que les patients se sentent à l’aise, confortables et se sont montrés ouverts aux différences
culturelles des Inuits (Gryger, 1994). Conséquemment, pour certains Inuits, l’expérience
de la gestion de la crise sociosanitaire de la tuberculose, bien que cicatricielle, fut
davantage l’expression d’une transformation culturelle que d’une déculturation pure et
simple. D’ailleurs, dans un texte intitulé Negociating identities: Inuit tuberculosis
evacuees in the 1940s-1950s 52 (Olofsson, Holton, & Partridge, 2008), les auteurs
élaborent sur la résilience dont ont fait preuve les patients inuits traités dans les
sanatoriums du Sud, et s’interroge sur l’identité culturelle et le danger de réification
culturel que l’on sait pourtant mouvante et temporellement changeante 53 . Voici un
and monetary rewards, missionaries, government officials, and traders tend to encourage indigenous people
to give up their way of life » (Wirsing, 1985, p.303)
51 «For the children, the aim was to start or to continue elementary school education, as appropriate. For the
adults, the aim was twofold: to increase their skill in reading English, and to develop skills that would lead
to employment within the scope of whatever physical disabilities the patients might be left with on leaving
hospital. All the classes were taught in English. […] As well, groups of patients were taken to the
laboratory to see a culture of TB bacilli under a microscope so that they could better understand the nature
of their disease. » (Grygier, 1994, p.112)
52 Voir annexe 11 portant sur les conclusions de l’étude sur la résilience des Inuits.
53 « While not everyone belonging to a given cultural group displays the same behaviours, values and skills,
there exist certain characteristics that members of a cultural group learn as they grow up, characteristics
which are often essential for the survival of the individual within that culture (Keesing 1994; Kurkiala
1997, 1998). Among Inuit in the 1950s, language and certain skills such as hunting and trapping (for men)
as well as preparing food, sewing clothes, and taking care of the children (for women) were identified by
participants as important in their ability to transition back to their lives in Inuit communities following a
lengthy hospital stay. Inuit who went to the hospital for treatment had to learn other behaviours, skills and
values that were typical of Euro- Canadian culture of that time. Upon returning to their home communities,
they faced challenges to their identity, both in terms of their re-adaptation to Inuit life and in terms of the
manner in which they were perceived by family and the community as a whole. » (Olofsson, et coll., 2008,
p.143-144)
28

passage important nous informant sur la transformation culturelle qu’on vécut les évacués
Inuits :
« In retelling the stories of Inuit former tuberculosis patients, we have discussed notions
of culture and individual ethnic identity. We have illustrated in [our] article how
individual ethnic identity fluctuates with immersion in another culture. These narratives
are also part of a larger, societal narrative regarding Inuit, the rest of Canadian society,
the relationship between the two societies and the changes that occurred from the 1940s
to the 1960s. We call into question the notion that the definition of Inuit must fill certain
criteria and instead have demonstrated how being Inuit can mean different things to
different individual Inuit and may fluctuate over time according to a variety of aspects
such as cultural context and living conditions. The experience of being taken from their
families, of adjusting to a new culture and to hardship due to illness and treatment at the
hospital, and adapting to their return home had no influence on their self-perception as
Inuit. While their ethnic identity straddled two or more cultures, influenced by years
away from their home during formative times in their lives, the individuals in [our] study
demonstrate resilience, not only in their ability to cope with change and hardship, but in
the retention of their self-identification with Inuit, despite how others perceived them. »
(Olofsson, et coll., 2008, p.146)
L’importance de ne pas réifier la culture. La culture souvent conçue telle une limite, peut
aussi être considérée tel un mode distinct et original d’accès au monde. Selon l’ouvrage
de P. Stern et L. Stevenson intitulé Critical Inuit Studies: An anthology of Contemporary
Artic Ethnography (2006), assimiler la culture à une frontière figée et intemporelle
s’avèrerait d’ailleurs incohérent avec la réalité inuite : « each author in section [
Reconfiguring Categories: Culture] refuses to reify Inuit culture as something located in a
primordial past that can only be accessed through elders’ narratives or reconstructions of
pure cultural forms untainted by contact with outsiders » (Stern & Stevenson, 2006,
p.13). Ainsi, sans minimiser l’impact culturel négatif qu’aura eu la biomédicalisation des
tuberculeux, il faut dire que si le gouvernement avait ramené constamment les Inuits vers
leur ethnomédecine, et prétendu que le traitement de la tuberculose n’aurait pu avoir lieu
que dans le cadre de leurs pratiques médicales déjà établies et reconnues, cela aurait sans
doute pu être tout autant préjudiciable. C’est d’ailleurs ce que nous démontrèrent d’autres
expériences de contrôle sociosanitaire de la tuberculose chez diverses populations
autochtones de par le monde.
L’expérience éthiopienne. Une étude portant sur les aspects socioculturels du contrôle de
la tuberculose réalisée en Éthiopie est intéressante dans le cas présent, car elle se
29

demanda si à l’inverse d’une approche trop biomédicale, aveugle à la spécificité
culturelle, une approche culturaliste, ne limiterait pas une société et ses maladies aux
contours restreints qui fondent les limites de sa culture : « the management of actual
illness episodes is shaped not solely by culturally transmitted ethnomedical axioms, but
also by practical, financial, social, structural and geographical considerations »
(Vecchiato, 1997, p. 195). Ainsi, face à une approche définissant davantage la culture
comprise au sens de Mauss, comme notion symbolique, la dimension matérielle et les
paramètres socioéconomiques d’une culture n’auraient pas dû faire l’économie d’un
intérêt attentif de la part des autorités éthiopiennes ou canadiennes dans la volonté de
traiter la tuberculose. L’expérience du Dr McDermott et ses collègues chez les Indiens
Navajos des États-Unis nous apprit d’ailleurs qu’à défaut de s’intéresser à
l’ethnomédecine des indigènes que l’on tente de soigner, l’on ne peut négliger de
considérer leurs conditions socio-économiques.
L’expérience de Many Farms chez les Indiens Navajo. En 1952, le Dr McDermott et son
équipe de chercheurs de la faculté de Médecine de l’Université Cornell à New York
furent choqués d’entendre que plusieurs dizaines d’autochtones Navajo vivant dans une
réserve en Arizona souffraient et mouraient des suites de la tuberculose. Alors que
l’épidémie était de mieux en mieux endiguée aux États-Unis, cette insula tuberculeuse
s’avéra alors être, pour les guérisseurs new-yorkais, un lieu d’expérimentation de
nouveaux antibiotiques, ainsi qu’une opportunité d’instauration de la biomédecine 54 .
L’expérience de Many Farms s’avéra concluante à certains égards, notamment car la
prise en change médicamenteuse de la tuberculose, bien qu’elle suscita des craintes
concernant l’observance thérapeutique des antituberculeux, ce qui contribua à miner la
relation entre les patients et les médecins 55 , permit néanmoins de diminuer grandement le
54 « A small field health program, in a remote part of the country, would serve as both a model for
international health and a test of the power of modern medicine. This was a product of the remarkable
postwar optimism about the power and universal applicability of science. » (Jones, 2002, p.778-779)
55 Inquiétudes quant à l’observance thérapeutique: « Could Navajo patients, separated from their physicians
by language, religion, and understanding of disease, be “entrusted to take daily antimicrobial therapy
without direct supervision?” Would cultural barriers amplify the problems of compliance? These concerns
have been a familiar part of medical practice in colonial settings, from Indian reservations to India. » (idem,
p.770) La relation entre le médecin et le patient fut grandement bouleversée suite à l’imposition des tests
d’urine pour s’assurer de l’observance thérapeutique au traitement: «Several families, for instance, refused
30

nombre de tuberculeux actifs (Jones, 2002). Cependant, malgré la baisse du nombre
d’autochtones infectieux, l’équipe de santé se rendit compte que le bacille tuberculeux,
plutôt que d’être l’étiologie de la pathologie traitable grâce à leur biomédecine, n’était
finalement que le symptôme d’un état de délabrement social certes concomitant, mais
essentiellement préalable à l’éclosion d’une telle pandémie :
Conclusion
« The researchers were forced to acknowledge the tremendous resilience of the diseases
generated by poverty. Physicians and public health experts had long known that poverty
created a host of susceptibilities to disease, including malnutrition, overcrowding, and
inadequate sanitation. The Cornell researchers had recognized these processes as the
ultimate causes of Navajo morbidity and mortality. » (Jones, 2002, p.786).
Le choc entre deux mondes. Avant l’arrivée des Européens, les Inuits du Grand Nord
canadien avaient déjà vécu pendant des siècles dans l’un des climats les plus hostiles de
la planète. Leur histoire avait de tout temps été parcourue par la nécessité de s’adapter, de
changer à la fois leur alimentation, leur technologie, voire leur physiologie et leur
morphologie. Ils furent à maintes reprises confrontés à la précarité alimentaire, ils durent
déployer des efforts de chasse incroyable et d’innovation rarement égalés dans l’histoire
humaine (Malaurie, 1955; Saladin d'Anglure, 2006). Pourtant, bien que les Inuits aient
toujours eu une capacité de résilience quasi incommensurable, n’en demeure pas moins
que leur rencontre avec les "Blancs" modifia, voire bouleversa leur culture ancestrale
comme bien peu d’événements auparavant. Cette rencontre entre les Inuits et les
Qallunaq ne datait certes pas d’hier. Déjà de nombreux contacts avaient eu lieu vers la fin
des années 1500 alors que des explorateurs tels les Frobisher, Davis, Baffin, Hudson
recherchaient activement le passage du nord-ouest, ou encore par des baleiniers ou des
travailleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson (Grygier, 1994).
Ainsi, les Inuits n’avaient jamais vécu dans une culture close, repliée sur elle-même. Leur
culture qui descendait des fameux baleiniers de Thulé ayant migré de l’Asie vers
l’Amérique par la Béringia plus de 1000 ans auparavant, était profondément métisse,
mouvante, sans cesse remaniée. Cependant, au cours de la première moitié du vingtième
to cooperate with the urine testing program out of concern that the tests would expose the use of peyote,
which had recently been banned by the Tribal Council. » (ibid., p.773)
31

siècle, il se produisit comme l’accélération du temps; au métissage fécond, mais certes
inégalitaire que put autrefois entretenir la culture inuite avec d’autres cultures,
notamment celle des Européens, se substitua une dénégation de l’originalité de leur
spécificité culturelle, et s’instaura une volonté de contrôle minutieux de leur différence 56 ,
un projet de colonisation formelle de leur territoire 57 . L’intérêt de ce projet s’accentua
lors d’un événement, qui continue jusqu’à nos jours de témoigner du choc entre les
mondes inuits et occidentaux, c’est-à-dire, la crise sociosanitaire de la tuberculose.
La tuberculose qui, bien que déjà présente sur le territoire américain lors de l’arrivée des
Européens, prit des ampleurs épidémiques qui ne furent considérées comme telles, par le
gouvernement canadien, qu’à partir de 1946. Dès lors, grâce à l’envoi d’un bateau-hôpital
dans le Grand Nord canadien et à la déportation maritime des Inuits tuberculeux vers des
sanatoriums du Sud canadien, lieu où ils découvrirent avec angoisse et incompréhension
la biomédecine des "Blancs", les Inuits furent pris en charge par des instances curatives
sourdes à leurs différences culturelles, aveugles à leur notion de personne, de traitement,
de guérison 58 . Par la suite, les Inuits décontaminés furent renvoyés dans le Nord, dans un
monde polaire que certains espéraient retrouver avec hâte, mais dans lequel d’autres
furent incapables de se reconnaître. Certes, une grande proportion d’Inuits se montra très
résiliente suite à l’événement, ils nous apprirent qu’il importe de ne pas enfermer des
56 « It is quite clear that cultural change was an important byproduct of tuberculosis treatment and that,
combined with the separation of families and kin, it served to undermine Inuit society to some extent.
Medicine and social change do go hand in hand. Indeed, as early as the 1920s the director of the Northwest
Territories Branch, O.S. Finnie, assumed that "it was the duty of the federal government to civilize the
Eskimos and to safeguard their health and welfare" (Jenness, 1972, p.30). Jeness himself argued in his
policy paper on "Eskimo Administration" that "integration with other citizens of the Dominion is the only
goal possible for Canada’s Eskimos ". » (Waldram, Herring, & Young, 2006, p.204)
57 « Epidemics, especially tuberculosis, provided the impetus for the Canadian federal government to
initiate and organize health services for Aboriginal people. Increased surveillance and new health initiatives
helped to contribute to a dramatic decline in many infectious diseases in the post-Second World War era.
But in their place, new epidemics of chronic, non-communicable diseases on the one hand (such as hearth
disease, hypertension, obesity and diabetes), and injuries, violence, and the so-called social pathologies on
the other hand, have come to fore in biomedical categorizations. Regardless of whether infectious diseases
or social pathologies predominate in epidemiological profiles, we must not lose sight of the fact that
biomedical definitions of health and disease are inextricably linked to larger structures of authority and
power. The ability to define and then survey such parameters as "health status" carries with the power to
construct institutions of healing that prescribe, proscribe and regulate behavior. » (Ibid., p.291-292)
58 « It is important to recognize that, prior to the arrival of Europeans, there were already in existence
various Aboriginal medical systems, each with its theories of disease causation, its categories of
practioners, and its diagnostic and therapeutic techniques. Medicine was closely integrated with other
aspects of Aboriginal culture and was often indistinguishable from spirituality. » (Ibid., 2006, p.292)
32

gens dans leur culture, que la spécificité culturelle n’est pas forcément exclusive et
limitative. Ainsi, bien que le projet de traitement des Inuits tuberculeux eu l’effet
escompté pour nombre d’entre eux, selon une définition de la guérison issue de la
biomédecine, plusieurs critiques peuvent néanmoins être adressées au gouvernement et à sa
gestion de la crise sociosanitaire de la tuberculose 59 , notamment la transformation forcée et
l’oubli fondamental de la culture inuite: « although the attempts at eradicating TB were
deemed a success by administrators (Wherret, 1977) and many people were cured, it was
a socio-cultural disaster for many Inuit. The handling of TB marked a general shift in
healthcare from Inuit ways to Euro Canadian ones. » (Moller, 2010, p.38) Et d’ajouter
que : « All things considered, the government should have done better, not perhaps in bringing
the epidemic under control, but in terms of minimizing the inevitable suffering of the Inuit
community and some of the harmful social consequences of the medical programs. » (Grygier,
1994, p.175)
La culture inuite transformée et oubliée.
"La tuberculose est une maladie sociale avec un aspect biologique" 60 . Finalement, sans
doute l’aspect le plus dommage de la crise sociosanitaire de la tuberculose, c’est qu’on ait
omis, et ce, dès le départ de la mise en place du programme de dépistage, de tenir compte
des sages paroles de William Osler (1849-1919). Puisque, comme chez les Navajos,
59 « The perpetual stalling and inaction of the department responsible for Inuit affairs during the 1930 and
1940 in the face of requests for help and continual warnings from the medical fraternity and others about
the lamentable health situation in the Arctic; the arbitrariness and dictatorial nature of the Eastern Arctic
Patrol evacuations in the late 1940s and 1950s, when the people were treated much like serfs or sick
animals; the lack of any attempt to prepare the patients for their entry into the alien southern life, to provide
for their dependents left up north, or to ensure future communication between the relatives and both
patients and doctors; the poor record keeping and the confusion and apparent lack of planning at Health and
Welfare (H&W) in the allocation of patients to particular hospitals; the arbitrary "disposal" of children
from the hospitals, and the inadequate clothing and care taken when returning patients home; the lack of
support systems for the patients in hospital, so that they were left with inadequate or, often, no
interpretation services, no cash for incidentals, and no channels of outside (nonmedical) support, such as an
ombudsman or patient's friend to help replace the psychological comfort that a family would normally
provide; the internal government service rivalries between H&W on the one hand, and DRD and Northern
Affairs on the other, and between H&W and the missions; the refusal of H&W to develop hospital
treatment in the North, despite the presence of the mission hospitals and some mining company and
American military hospitals already operating there. » (Grygier, 1994, p.176)
60 Cette citation provient d’une conférence de médecine donnée aux étudiants de deuxième année du
préexternat en mai 2012. Il s’agit d’une citation de William Osler (Young, 2012).
33

l’expérience de gestion de la tuberculose dans le Grand Nord canadien réaffirma le fait
que la pathologie était peut-être ailleurs que dans les infimes limites du bacille
tuberculeux, qu’elle pouvait être avant tout d’origine sociale.
De nos jours, dans la perspective où l’on voudrait améliorer la santé des Inuits,
notamment la présence élevée de tuberculose parmi eux, l’on devrait certainement
s’intéresser à l’histoire de leur traitement dans la première moitié du vingtième siècle, car
« the path toward healing must start in the past if it is to lead to wellness for the Inuit in
the future. » (Gray, 1996, p.1614). Pourtant, aux dires du Dre Cole (2011) quant à la
quantité de cas diagnostiqués de tuberculose en 2010, cette maladie demeure jusqu’à
aujourd’hui un problème à régler. En guise de conclusion, rappelons-nous un passage du
texte intitulé la tuberculose au Nunavut: Un siècle d'échec, et souhaitons que la solution
à la guérison de la tuberculose, plusieurs décennies après le grand dérangement des
Inuits, se fasse hors des murs de l’hôpital, qu’elle soit politique:
« La population du Nunavut est également aux prises avec des taux de pauvreté et de
chômage élevés ainsi qu’avec un manque d’infrastructures communautaires et de
logements de qualité — nettement plus que dans les autres territoires de l’Arctique
Canadien. Les logements surpeuplés et mal ventilés constituent la norme — conditions
idéales pour la transmission d’infections aérogènes comme la tuberculose. De plus, de
nombreux habitants du Nunavut fument ou sont exposés à de fortes concentrations de
fumée secondaire à la maison. Conjugués à une nutrition médiocre et, dans certains cas, à
l’abus d’alcool ou d’autres substances, ces facteurs affaiblissent la capacité du système
immunitaire à lutter contre la tuberculose » (MacDonald, et al., 2011, p.742).
34

ANNEXES
Annexe 1
Tableau 1 : Chronologie du développement d’un système de santé destiné aux Inuits. Dates
importantes dans l’histoire de l’instauration d’une biomédecine s’adressant au traitement des
Inuits, principalement, de la prise en charge de la tuberculose. Ce tableau s’inspire largement
des informations historiques fournies par Gryger (1994, p.189-192).
1870 Services médicaux fournis par les missionnaires et les baleiniers
1920 Des missions médicales temporaires sont menées par des missionnaires, la
Compagnie de la Baie d’Hudson et la gendarmerie royale canadienne
1922 Début du Northern Health Services et du Eastern Artic Patrol
1927 De manière limitée, des médecins travaillent dans des hôpitaux situés en
Arctique financés par le gouvernement canadien
1936 Formation du Indian Health Services (including Eskimos)
1943 Recherches sur la santé des Inuits menées par Dr Wherrett
Formation du Department of National Health and Welfare (H&W)
1946 Début du programme de dépistage de la tuberculose par rayon X et
hospitalisation dans le Sud
1954 Plusieurs critiques sont adressées à la Eastern Arctique Patrol pour ses
services offerts aux Inuits
1955 Début du traitement centralisé des Inuits malades dans le Sud, notamment à
des sanatoriums d’Hamilton et à Edmonton
1963-1970 Transfert graduel des compétences gouvernementales et traitement médical
aux gouvernements du Québec pour les Inuits du Nord québécois et des
Territoires du Nord-Ouest
Annexe 2
Carte 1 : Régions nordiques bordant les côtes de l’océan Arctique. Cette carte représente
l’immense étendue où l’on retrouve des populations inuites (Young & Bjerregaard, 2008).
35

Annexe 3
Carte 2 : Carte de l’Arctique canadien. Carte représentant principalement le Yukon, les
Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut (ainsi que la pointe nord du Québec) présentée dans
l’ouvrage de Health Transitions in Arctic Populations (Young & Bjerregaard, 2008).
Annexe 4
Tableau 2 : Infections pathogènes dans l’Arctique de 1734 à 1952 selon la région. Dans ce
tableau, nous pouvons que de nombreuses infections ont affectées les mondes Inuits, ce fut non
simplement la tuberculose qui atteint son apogée au contact des "Blancs" (Keenlyside, 1990).
36

Annexe 5
Tableau 3 : Dépenses gouvernementales en 1939 en matière d’éducation, de santé et de
police dans trois territoires inuits. Ce tableau permet d’apprécier trois postes budgétaires
privilégiés par les gouvernements des États-Unis, du Canada et du Danemark. L’on remarque
aisément le faible budget accordé aux Inuits, mais surtout l’importante part accordée à la police
plutôt qu’à l’éducation et la santé par le gouvernement canadien (Grygier, 1994, p.39).
Annexe 6
Texte 1 : L’embarquement des Inuits selon le Bishop Marsh. Histoire tirée des récits écrits
par le Bishop Marsh intitulés Cry the Beloved Eskimo afin de raconter comment se déroula le
douloureux processus de dépistage et d’envoie des tuberculeux du Nord vers le Sud (Grygier,
1994).
« The pale, reflected light of an Arctic night showed the dark shape of the landing barge as it
chugged toward shore. In the harbour a mile or so away the lights of the anchored ship cast a
beam of light across the waters ... A policeman stepped ashore, called out six names, and said he
wanted them immediately. No one moved. Again he called out, and at last little groups slowly
made their way from one tent to another. "Hurry! The tide is dropping and the ship sails almost at
once," the Law called out. Amid stunned silence two or three of those commanded to go
woodenly picked up tobacco, matches, a Bible and a prayer book and obediently went to the boat.
One poor old woman could not walk; she had to be almost carried. There was no time for
farewells to children or relatives out visiting. The policeman's command was imperative. Again
he commanded the two others to appear. At last, after repeated calls by relatives, someone
discovered the missing people had gone off into the hills behind the settlement, rather than go to
the white man's land on the boat. To them, as to many others, all too vivid were their memories of
one of the tribe who had been commanded to get on an airplane one autumn, and of whom
nothing had been heard tor more than a year. Many others had gone out and not come back, and it
had been years since they had left. The scow pulled out to the ship without a word being spoken.
The four faced the unknown. Up the ship's ladder they climbed until they reached the little knot
of people standing above. The third person was a woman who, on arriving at the top, tossed back
her hood to disclose the small baby in her pouch. The doctor, a tall white man, spotted it
37

immediately. "Take that baby out and give it to another woman in the tender!" The mother
protested, but to no avail. Someone whisked the child from her hood and thrust it into the arms of
another woman who was without even a pouch on her parka for the child. The sobbing figure of
the mother was hustled below and the unwilling foster mother thrust into a waiting boat. The
telegraph rang. The ship sailed. Was this the Soviet Union? No. Arctic Canada. » (p.78)
Annexe 7
Texte 2 : Histoire concernant la découverte de l’hôpital par un Inuit. Ce témoignage raconte
le choc de la rencontre qu’eut un Inuit avec la biomédecine et la culture occidentale contenue en
son sein (Grygier, 1994).
« We used to live in a camp near Pangnirtung. We were told that we had tuberculosis, and we
were brought to Pangnirtung. We stayed at the hospital there, waiting for the airplane to take us
down south. When it arrived, it landed on the water and anchored quite a distance from shore. We
were taken to the airplane by boat and having never seen an airplane before, I was very puzzled.
"I wonder where the entrance is?" I thought. "The only thing that looks like a door is underwater!
How are we going to get inside? How does it fly? We might sink if it's unable to fly!" During the
flight we got very thirsty, and we were frightened. My little sister, who was only a baby then,
started crying. I was so thirsty that my mouth got very dry, and we couldn't tell the qallunaat
[white people] who were with us, because we didn't speak their language. Although I knew the
word for water in English, I didn't say anything, thinking there was no water in the airplane. I was
so frightened of the qallunaat. Finally we landed, and I overheard somebody saying that we were
now in Moose Factory and not too far away from Hamilton. We were taken to a residence for
patients. When we got there, there seemed to be no one in the building, but when I looked out
through the window I saw one man standing outside. I was dying for a smoke. Thinking they may
not allow it, like in the Pangnirtung hospital, I didn't even try. I was too scared to ask. In the
residence I saw a wooden bed that had been used by a patient coming back from Hamilton. On it
he had written the names of all the patients, and messages. That's how I learned that I was going
to Hamilton. 1 think he must have learned to speak English because some words were in English.
We were then taken to a train and as we started to go, I noticed the air felt very stuffy. I felt like I
was going to suffocate! When I looked up, all I could see were lights. Later, I learned that we
were going underground. My little sister must have been taken by a nurse and was in another
section. My little brother was with me. We travelled all night long, but this time it was more
comfortable than in the airplane. We could drink water whenever we got thirsty and there was
even a washroom! It seemed like we were in a house. There were a lot of Inuit patients on the
train. When we were told that we had arrived in Hamilton, I was just overwhelmed. "So this is
where qallunaat come from," I thought. All the children were taken to one hospital, probably a
children's hospital, and we adults were taken to another. When they took my little sister Lucy
away, I cried because I wanted her to be with me. When I got to the hospital, all my clothes were
taken away from me, maybe because I was more infected than the others. I never thought I was
that sick. All this time there were no interpreters. In the hospital I met Inuit from Povungnituk for
the first time. I found out they could understand and speak English. I was then given a jar. An
Inuk from Povungnituk tried to explain to me what to do with it, but I couldn't understand her
because her dialect was so different from mine. Since I couldn't understand her, she just ran to her
38

oom in embarrassment. This made me feel terrible, as I began to believe I would never be able to
communicate with them. Later on I found out the jar was for spitting. » (p.106-108)
Annexe 8
Tableau 4: Cultural configurations of the self. Notions de personne développées dans le cadre
du texte intitulé Psychotherapy and the cultural concept of the person par le Professeur Kirmayer
du département de Transcultural Psychiatry de l’Université McGill, Montréal (1989, p.244).
Annexe 9
Texte 3 : La personne inuite. Élaborations de la notion de personne inuite selon l’ouvrage
intitulé The Greenland Mummies (Hanson, Meldgaard, & Nordqvist, 1991).
« The Greenland Inuit pre-Christian religion included the belief that everything was alive and
contained an inner force, inua, as was so in man. People, called inuit, protected themselves
against the powers of nature by using amulets and secret formulae. Many rules had to be obeyed
in order to prevent disturbances in the world order. When these rules no longer sufficed,
assistance was sought from an angakkoq, a shaman, who was the link between this world and the
supernatural world. Throughout the Inuit world existed the idea of sila, the ruler of the universe
and especially of the air. Many regarded sila as the power with the greatest influence on souls.
39

Man himself, inuk (singular of inuit), was thought to be composed partly of a body and partly of
several kinds of invisible forces which, for the sake of convenience, can be called 'souls'. The
most important of these were the name-soul, ateq, and the supernatural-soul, tarneq, which
continued its existence after death. Ateq remained in this world after death. The name of the
deceased could not be used for up to a year after death, or before it was given to an infant, usually
of the same sex. If the name was used, it would lose some of its power and would most probably
attract the attention of the wandering name-soul, which would haunt the person who had defied
the name ban. The name had power in itself. Many of the good personal qualities of earlier
bearers of the name were transferred with it to the next bearer. It was common for a person to
have several names, and in pre-Christian days the Inuit used no surnames or family names, so
there was no way of determining family relationships through names. However, it was not
uncommon to be named after a close deceased relative, such as a grandparent, the power of
whose name survived in the grandchild, who thus inherited the good qualities of his forefathers.
[...] Tarnecj, the supernatural-soul, was the soul which gave a person his identity, consciousness,
emotions and abilities to think and to procreate. It also seemed to be the driving force in a
person's development from birth to death, through all phases of life. The body was the instrument
of this soul. There was no clear idea in Greenland as to where the tarneq came from. Inuit in East
Greenland believed that the 'Man in the Moon' brought the soul to the body at birth. The Inuit of
central Canada thought it arrived through reincarnation, although the reincarnate was not
necessarily a person. In answer to Knud Rasmussen's question in 1903 as to what the soul meant
to a person, the Polar Inuk Majaq said: The soul is what makes you beautiful, what makes you a
person. The soul alone is what gives you a will, enables you to act, to be bold. Your soul guides
your whole life; and therefore the body collapses when the soul leaves it'. Only shamans could
see this soul, which apparently looked like a person but was much smaller. It lived outside the
body but followed it like a shadow, and body and soul were inseparable for as long as the person
lived. After burial, the soul left the body and travelled to the Land of the Dead. If the soul left the
body for a short time while it was still alive, the body became sick; if it left for a long time, the
body died. Only when a person was asleep could the soul leave the body briefly without harming
it. A shaman, however, could voluntarily make his soul leave and return, often doing so to send it
searching for an ill person's missing soul which it could bring back to make the person well again.
» (p.56)
Annexe 10
Texte 4: Expériences difficiles du retour. Témoignages d’Inuits après qu’ils soient retournés en
territoire nordique suite à leur traitement dans un sanatorium du Sud (Olofsson, Holton, &
Partridge, 2008).
«For those who were very young when they went to the hospital, it was difficult to return to their
home community since they had learned either English or French at the hospital and forgotten
much of their Inuktitut. Some could no longer speak or understand Inuktitut and had problems
communicating with their parents. Others had been sent to the hospital at such a young age that
they did not recognise their parents when they returned and instead wanted to stay with the nurses
(Figures 7 and 8) (Johanna Rabinowitz, 2005, 2006). Those who were sent to sanatoriums in
Quebec had learned French and when they returned they were often then placed in English
schools (since all the schools were run by the federal government).
40

As a result these children were forced to struggle with both English and Inuktitut (Grygier 1994,
p.125). Depending on the length of stay at the hospital, many of the children and youth had lost
their traditional skills, such as hunting and sewing, or in the case of those who had left at a very
young age, had never acquired them. Children who returned home after a lengthy stay away had
to begin a learning process to reclaim these abilities. Skills such as language, sewing and hunting
were important to master not only for survival but also as outward proof of Inuit identity. Imaapik
“Jacob” Partridge indicated that his family acknowledged his behaviour as different from the
behaviour of other Inuit children.
[T]hey didn’t know anything about white men other than the clothes, you know. Like I
didn’t act like a white man there, but I had some differences from the other children
(Imaapik “Jacob” Partridge, 2007).
Everything was difficult because I didn’t know how to adapt. My older sister used to ask
me why I was acting the way I did. She used to say; “Are you now a Qallunaaq?” Even
before I left for the hospital I used to sew a lot and when I came back I tried doing the
same thing but, I was getting mad at for not sewing properly and what I sewed would
even be ripped and me doing it all over again. I thought I was doing okay. I was told;
“that's not how you do!” So, that was really hard for me (Lizzie Gordon, 2005).
It was not only those who went away to the hospital who experienced change. When these former
tuberculosis patients returned to their home communities after months or years away, they
returned to communities which had gone through many transitions; people had started to move
into houses, children had started to attend school, and some people were wage earners.
I remember big changes like people going out at night like they never used to do before I
left. They went out to go see movies when the Catholic missionaries had come here in
Puvirnituq. It was as if [I] came back home to a strange home when I came back because
they had changed so much (Mary Johnson, 2005). » (p.141-143)
Annexe 11
Texte 5: La résilience des Inuits exilés dans le sud pour le traitement de la tuberculose.
Conclusion de l’étude de Negociating identities: Inuit tuberculosis evacuees in the 1940s-1950s
(Olofsson, Holton, & Partridge, 2008).
« According to our interviews, the experience of leaving one’s family, living in the
hospital, being subjected to hardship, exposed to other cultures and taking up different
cultural skills, behaviours and values did not permanently change the self-identification
of the Inuit evacuees participating in our study. They continued to perceive themselves as
Inuit, despite having “lost” cultural knowledge associated with “being” Inuk. Rather, we
argue that the cultural knowledge acquired during their hospital stays could instead be
considered as supplementary to their individual identity. While factors determining an
individual’s re-integration with their home community appear from the interviews to be
related to the retention of Inuit cultural skills, such as language, sewing, and hunting; the
inability to readjust to Inuit life should not be perceived as “losing” Inuit identity or of
“becoming” Qallunaaq. Rather, as indicated by several of the participants, learning the
skills or practices of another culture or having to re-learn the skills of Inuit culture did not
compromise the individual’s identity, but contributed to the individual’s ability to adapt
their identity. As we have shown here, those interviewed for the study negotiated and
41

integrated the skills, behaviours and values learned during their hospital stays with the
skills, behaviours and values of their Inuit identity regardless of whether they chose to
live in an Inuit community or in other areas of Canada. In contrast to this view, we argue
that the concept of culture and its related concepts of ethnic identity and ethnicity are
changeable, and that one person’s ethnic identity can be influenced by elements from
different cultures without losing his or her belonging, and without compromising
resilience. Culture does not equip one with a standard identity but instead offers resources
for developing many, fluid, hybrid identities by means of social positioning and narrative
constructions of the self (Bhabha 1994). Instead of viewing Aboriginal culture as
necessarily static for the health, belonging and wellbeing of an individual, we have shown
here that the human capacity of “culture crossing” and borrowing from other cultures is
an important coping mechanism and a form of resilience in and of itself. » (p.145)
42

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