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Vapeur Mauve 9. - Rock6070

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<strong>Vapeur</strong> <strong>Mauve</strong><br />

54<br />

Miles Davis<br />

On the corner<br />

1972<br />

Miles Davis dans une sélection qui ne devrait pas comporter de jazz, j’en vois<br />

déjà qui se gaussent discrètement, gonflant leurs joues comme un hamster ou<br />

encore mieux : comme un trompettiste ! Seulement voilà : On the corner est un<br />

album qui dépasse de loin les frontières du jazz (si tant qu’il en eût), et d’ailleurs<br />

Miles Davis est un artiste que l’on ne peut décemment pas résumer à une<br />

étiquette, lui qui n’a eu de cesse d’imaginer et de créer de nouveaux horizons<br />

musicaux tout au long de son existence.<br />

Cette évidence est encore plus manifeste lorsque l’on plonge ses oreilles dans<br />

les albums prodigieux qu’il a publiés au cours de sa période dite électrique, et<br />

On the corner échappe peut-être encore plus qu’aucun autre à toute tentative de<br />

classification. Car même si la musique qu’il renferme lorgne fortement du côté<br />

du funk, elle n’en reste pas moins marginale à ce genre, tant elle en déforme les<br />

codes pour ne pas se laisser cloisonner.<br />

Purement instrumental, sans exubérance, sans excès et sans s’inscrire<br />

immédiatement comme futur étalon pour platform boots sous boules à facettes,<br />

ce funk-là est un funk qui rampe et qui grouille. Il est la mangrove en col pelle à<br />

tarte, la danse enchevêtrée et sifflante d’un monticule de lombrics gras et velus<br />

coiffés d’une coupe afro. Il est une musique sale et suante dont l’atmosphère<br />

renvoie à des images résolument urbaines. On y endosse le poids d’un soleil<br />

d’acier sur les vieux immeubles en briques rouge crasse des ghettos noirs<br />

américains. On y perçoit le roulement sourd et physique du métro aérien<br />

entièrement habillé de graffitis codés aux courbes arrondies et colorées. On<br />

y observe les terrains vagues couverts d’herbes jaunies derrière de vieilles<br />

palissades en bois à moitié délabrées. Mais on y ressent aussi tout l’air du temps<br />

de l’époque. Le psychédélisme jazzifiant et orientalisant s’y invite.<br />

Patchwork aux ambiances hallucinées d’un funk polymorphe, cramé aux chaleurs<br />

d’un jazz désincarné et métamorphosé sur le rituel chamanique des fumets<br />

psilocybes. Jérémiades de sitar, tablas sous psychotropes, basse cacochyme<br />

en grosses bulles poisseuses, percussions prédominantes et libres d’errer par<br />

delà les rythmes, impact des sons eux-mêmes sur le ressenti de la musique.<br />

Substantiel et perfide, On the corner débite sans discontinuer un groove infectieux<br />

et touffu servi sous l’égide de la torpeur, joué par une poignée de virtuoses<br />

authentiques au seul service de la musique. Une musique d’excellence aux<br />

sonorités vintage, et qui par l’entremise du génie d’un homme réussit la prouesse<br />

d’incarner à la perfection toute la magie fantasmée des années soixante-dix,<br />

tout en restant au jour d’aujourd’hui d’une modernité effarante pour ne pas dire<br />

encore et toujours aux avant-postes de l’avant-garde.<br />

Côté pratique en cas d’île déserte : s’offrir une virée en ville sans quitter sa<br />

feuille de palme. Pour ce faire, prévoir dans l’après-midi de couler un ruban de<br />

bitume entre deux bananiers. Puis une fois le crépuscule venu, passer le disque<br />

à fond et entamer une conversation à bâtons rompus avec deux noix de coco<br />

sous un réverbère, le cigare au bec et un cocktail à base d’alcool de manioc<br />

dans une main. Avec l’autre main, claquer des doigts tout en secouant la tête.<br />

Cidrolin

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