01.07.2013 Views

Guerre larvée au FLN

Guerre larvée au FLN

Guerre larvée au FLN

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

J<br />

Oran<br />

De notre envoyée spéciale<br />

e suis pressée de rentrer, je<br />

n’ai pas envie de craquer<br />

dans la rue», lâche Fatima-<br />

tou dans un soupir. Haï Khemisti,<br />

cette Malienne de<br />

28 ans, donne le dos <strong>au</strong> tribunal<br />

d’Oran et hèle des taxis qui passent<br />

à toute vitesse. Son mari vient d’être<br />

inculpé pour trafic de f<strong>au</strong>x billets. Il<br />

n’a pas eu droit à un avocat commis<br />

d’office comme le prévoit la loi,<br />

mais la sentence est quand même<br />

tombée. 6 mois de prison ferme. Un<br />

taxi finit par s’arrêter, Fatimatou<br />

monte et se permet enfin de craquer.<br />

Aucune larme ne tombe mais une<br />

colère sourde s’empare de cette Malienne<br />

installée en Algérie depuis<br />

presque un an. «Ils l’ont condamné<br />

sans preuve sous prétexte qu’il<br />

y avait un pot de colle suspect<br />

dans notre chambre !», lâche-t-elle<br />

encore. Elle a du mal à contenir<br />

sa rage, le ch<strong>au</strong>ffeur l’invite <strong>au</strong><br />

calme. Fatimatou fait partie des<br />

320 réfugiés entrés en Algérie en<br />

mars 2012, portant le nombre de<br />

Maliens réfugiés en Algérie à plus<br />

de 30 000. «Je ne travaille pas, j’ai<br />

un enfant de 4 ans, je ne sais plus<br />

quoi faire sans mon mari, il me f<strong>au</strong>t<br />

un cachet sur mon passeport avant<br />

le 15 février sinon je serai en séjour<br />

irrégulier», confie-t-elle en sortant<br />

son passeport de sa poche et en exhibant<br />

la date de sa dernière entrée<br />

en Algérie. Le 15 novembre 2012, il<br />

y a exactement trois mois. Comme<br />

le veut l’usage pour des milliers<br />

de Maliens établis régulièrement<br />

en Algérie, Fatimatou doit quitter<br />

l’Algérie chaque trois mois pour<br />

quelques heures et y revenir pour<br />

avoir le fameux cachet de la police<br />

ntervenant <strong>au</strong> Crasc d’Oran avec une confé-<br />

I rence intitulée «Passé et présent de la société<br />

targuie», Nadir Maârouf, professeur émérite<br />

à l’université de Picardie (France), sollicité en<br />

aparté, considère, pour le cas particulier du<br />

Mali, qu’«il n’y a pas de solution miracle, il<br />

f<strong>au</strong>drait réinventer un mode de cohabitation et<br />

mettre en place un nouve<strong>au</strong> mode de gouvernance<br />

qui tienne compte du rétablissement de la<br />

démocratie locale, d’une meilleure répartition<br />

des richesses et d’une concertation globale sur<br />

le traitement de la question territoriale». Les<br />

vastes étendues du Nord-Mali représentent les<br />

3/5 du pays, mais ne concentrent que 10% de la<br />

population. Au cœur de la crise s’imbriquent,<br />

selon lui, les facteurs de la prédation (richesses<br />

minières), les rancœurs liées <strong>au</strong>x épisodes esclavagistes<br />

(Bambara, Haoussa, etc.) pratiqués dans<br />

le passé, mais <strong>au</strong>ssi la nature du pouvoir malien<br />

et ses tendances mafieuses dont les victimes ne<br />

sont, par ailleurs, pas uniquement les Touareg. Sa<br />

El Watan - Samedi 16 février 2013 - 4<br />

sentence est qu’il f<strong>au</strong>dra be<strong>au</strong>coup de temps<br />

pour arriver à mettre en place un gouvernement<br />

malien transparent et respectueux des règles de<br />

bonne gouvernance. «Le problème touareg ne<br />

peut pas se régler à la hussarde», indique-t-il,<br />

faisant référence à l’intervention militaire.<br />

C’est en même temps pour marquer la différence<br />

avec la guerre contre «l’islamisme radical» ou le<br />

«djihadisme», des notions privilégiées et mises<br />

en avant par les dirigeants français qui ont pris<br />

l’initiative (soutenus par la commun<strong>au</strong>té internationale)<br />

d’intervenir militairement <strong>au</strong> Mali.<br />

Pour le sociologue, le rapport des Touareg avec<br />

l’islamisme est artificiel. Les tensions entre cette<br />

population du Nord et le pouvoir central malien<br />

ne datent pas d’<strong>au</strong>jourd’hui et c’est en tenant<br />

compte de cette réalité, conjuguée à son analyse<br />

des structures sociales, qu’il écarte tout lien<br />

sérieux avec cette doctrine politique extrémiste.<br />

«C’est un islamisme de fortune» car, pour lui,<br />

les Touareg seraient prêts à s’allier avec le diable<br />

L’ACTUALITÉ<br />

DEPUIS LA FERMETURE DE LA FRONTIÈRE ENTRE LES DEUX PAYS<br />

Des réfugiés maliens<br />

pris <strong>au</strong> piège en Algérie<br />

● Depuis que l’Algérie a décidé la fermeture de sa frontière avec le Mali, le 14 janvier dernier, les postes-frontières sont fermés et la situation<br />

de centaines de Maliens en séjour régulier dans le pays se corse.<br />

Fuyant les combats <strong>au</strong> Mali, des centaines de réfugiés affluent à la frontière frontière sud de l’Algérie<br />

des frontières qui rend son séjour<br />

régulier pour une durée 90 jours.<br />

Mais depuis que l’Algérie a décidé<br />

la fermeture de sa frontière avec<br />

le Mali, le 14 janvier dernier, les<br />

postes frontières sont fermés et la<br />

situation de centaines de Maliens en<br />

séjour régulier dans le pays se corse.<br />

DES MALIENS POUSSÉS<br />

À L’IRRÉGULARITÉ<br />

«On nous dit d’aller à la wilaya<br />

pour régulariser notre situation.<br />

J’y suis allée, on exige de moi un<br />

bail de location ou un certificat<br />

d’hébergement ! Je n’ai <strong>au</strong>cun<br />

moyen d’en avoir ! L’Algérie ne veut<br />

pas de nous, mais on ne peut même<br />

pas la quitter. C’est une situation<br />

chaotique !», tranche-t-elle dépitée.<br />

Fatimatou est loin d’être une exception.<br />

Ils sont nombreux à être dans<br />

la même situation. Pris <strong>au</strong> piège,<br />

poussés à l’irrégularité malgré eux.<br />

A Oran où les migrants maliens,<br />

entre <strong>au</strong>tres Subsahariens, sont de<br />

plus en plus nombreux à chercher du<br />

travail pour vivre avant de continuer<br />

leur traversée vers le Maroc puis<br />

l’Europe, la situation se complique.<br />

Tahtaha, placette mythique du<br />

centre-ville. Mamadou, 35 ans,<br />

Malien établi en Algérie depuis 6<br />

ans, est installé sur un banc où il<br />

attend ses compatriotes, histoire de<br />

se tenir <strong>au</strong> courant des chantiers où<br />

ils peuvent travailler en ce moment.<br />

«Je suis actuellement en situation<br />

irrégulière parce que la frontière est<br />

fermée et que je n’ai pas pu avoir le<br />

fameux tampon <strong>au</strong>quel j’ai recours<br />

chaque trois mois», raconte-t-il d’un<br />

ton calme et résigné. Mamadou<br />

s’est présenté plusieurs fois à la<br />

wilaya d’Oran pour régulariser sa<br />

situation, on lui <strong>au</strong>rait demandé à<br />

chaque fois un acte de location pour<br />

régulariser sa situation. «Je ne peux<br />

pas quitter l’Algérie (la frontière<br />

étant fermée) et je ne peux pas avoir<br />

de bail de location parce que les<br />

Algériens refusent de nous en faire,<br />

sans compter que c’est be<strong>au</strong>coup<br />

trop cher pour nous», raconte-t-il en<br />

montrant du doigt l’enseigne d’un<br />

immeuble blanc, à quelques mètres<br />

de là. Hôtel Africa. «C’est dans<br />

ce dortoir que je vis à 250 DA la<br />

nuit. Alors, me demander un acte de<br />

location est totalement absurde !»,<br />

ajoute-t-il. «On nous demande de<br />

prendre l’avion pour le Maroc ou<br />

un <strong>au</strong>tre pays voisin, mais on n’a<br />

pas d’argent !», raconte pour sa<br />

part Tièba, qui vient de rejoindre la<br />

conversation. Cet <strong>au</strong>tre Malien, la<br />

trentaine, est lui <strong>au</strong>ssi en passe d’être<br />

en situation irrégulière malgré lui,<br />

justement à c<strong>au</strong>se de la fermeture de<br />

la frontière. «On risque de se faire<br />

arrêter, emprisonner ou refouler à<br />

n’importe quel moment, c’est une<br />

LE PROFESSEUR NADIR MAÂROUF AU CRASC D’ORAN<br />

La société targuie et son rapport<br />

à la crise malienne analysée<br />

s’il le fallait en citant le cas des trafiquants, mais<br />

<strong>au</strong>ssi de Mouammar El Gueddafi, lorsque ce dernier,<br />

<strong>au</strong>ssi biscornu que cela ait pu paraître, avait<br />

proclamé l’idée d’une République sahraouie unifiée.<br />

L’ancien dirigeant libyen a pu ainsi enrôler<br />

nombre d’habitants du Grand Sud.<br />

Les Touareg occupent un territoire transfrontalier,<br />

mais les évolutions n’ont pas suivi le même<br />

rythme selon qu’on soit en Algérie, <strong>au</strong> Niger<br />

ou <strong>au</strong> Mali et des développements positifs ou<br />

négatifs ont jalonné l’histoire récente. Pour Nadir<br />

Maarouf, en Algérie le bouleversement remonte<br />

à la période de Ahmed Ben Bella qui avait proclamé,<br />

<strong>au</strong> lendemain de l’indépendance, «la<br />

terre à ceux qui la travaillent». Il en est résulté la<br />

destruction du mode de vie traditionnel remplacé<br />

par des modèles certes modernes (mécanisation,<br />

etc.) mais qui se sont avérés inefficaces à c<strong>au</strong>se<br />

des problèmes bure<strong>au</strong>cratiques qu’on n’a pas<br />

pu résoudre. «Nous avons, dit-il, assisté à une<br />

conversion des populations locales qui se sont en<br />

PHOTO : D. R.<br />

situation insoutenable sachant<br />

qu’on ne peut même pas retourner<br />

<strong>au</strong> pays», a-t-il encore affirmé.<br />

UNE SITUATION<br />

QUI RISQUE DE PERDURER<br />

«Je me suis personnellement penché<br />

sur la question, j’ai pris attache<br />

avec la police nationale, la gendarmerie<br />

et des représentants de<br />

la wilaya. Et la situation est floue»<br />

confie maître Wadie Meraghni,<br />

avocat membre de la Ligue algérienne<br />

de défense des droits de<br />

l’homme (LADDH). «Les <strong>au</strong>torités<br />

se sont longtemps renvoyé la balle,<br />

mais ils semblent être tombés sur un<br />

consensus. C’est la wilaya qui doit<br />

régulariser la situation des Maliens<br />

établis en Algérie <strong>au</strong> vu de la fermeture<br />

de la frontière, s<strong>au</strong>f qu’ils<br />

exigent une attestation d’hébergement<br />

ou un bail de location pour<br />

délivrer le fameux cachet dont ils<br />

ont besoin tous les trois mois pour<br />

ne pas être inquiétés par la police»,<br />

explique-t-il encore.<br />

Un véritable déni de la réalité sachant<br />

que ces centaines de Maliens<br />

survivent dans la plus grande précarité.<br />

Ils vivent dans des dortoirs,<br />

des garages loués clandestinement<br />

en groupe. L’Algérie, pays de transit<br />

pour des milliers de Subsahariens<br />

en partance pour l’Europe<br />

via le Maroc, devient par la force<br />

des choses un pays de destination.<br />

Fatimatou, Mamdou, Tièba et bien<br />

d’<strong>au</strong>tres ne devaient rester que<br />

quelques jours, voire quelques semaines<br />

à Oran avant de rejoindre le<br />

Maroc. Le temps de «se refaire…»,<br />

mais la vie chère éternise leur transit.<br />

Avec la fermeture de la frontière,<br />

la situation se complique plus que<br />

jamais pour eux. Fella Bouredji<br />

partie sédentarisées et qui ont bénéficié, comme<br />

partout ailleurs en Algérie, de la politique<br />

d’assistanat (rente pétrolière).» Toujours pour le<br />

cas de l’Algérie, il considère que la scolarisation<br />

et les débouchés dans l’administration ont été à<br />

l’origine d’une mobilité sociale inédite en faveur<br />

des descendants des anciens esclaves, <strong>au</strong> grand<br />

dam des couches aristocratiques traditionnellement<br />

peu enclines <strong>au</strong> changement.<br />

A contrario, <strong>au</strong> Mali, les ressources sont<br />

moindres et, à l’ingérence – grâce à un pouvoir<br />

inféodé – des multinationales soucieuses de<br />

leurs propres intérêts s’ajoutent les grandes<br />

sécheresses. Dans la conférence qu’il a animée,<br />

Nadir Marouf a tenté de décortiquer les structures<br />

sociales des habitants de cette région et<br />

leur évolution. Une société hiérarchisée comme<br />

partout ailleurs dans le monde, mais il met en<br />

garde contre l’importation de modèles d’analyse<br />

préétablis qui pourraient s’avérer inopérants.<br />

Djamel Benachour

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!