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Les sens de la peau - Observatoire Nivea

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20 LES SENS DE LA PEAU<br />

On le sait, il est toute une géographie sociale <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>peau</strong>. La <strong>peau</strong> <strong>de</strong>s<br />

mains et du visage n’est pas celle du sexe ou <strong>de</strong>s fesses. <strong>Les</strong> unes sont<br />

sociales, les autres, intimes ; les unes sont conquises par <strong>la</strong> civilisation<br />

<strong>de</strong>s mœurs, les autres encore sauvages ; C’est <strong>de</strong> ces lieux secrets que<br />

sourd <strong>la</strong> fascination. Bataille affirmait dans L’Érotisme : « L’image <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

femme désirable, donnée en premier lieu, serait fa<strong>de</strong> –elle ne provoquerait<br />

pas le désir– si elle n’annonçait pas, ou ne révé<strong>la</strong>it pas, en même<br />

temps, un aspect animal secret, plus lour<strong>de</strong>ment suggestif. La beauté <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> femme désirable annonce ses parties honteuses : justement ses parties<br />

pileuses, ses parties animales » (Bataille 1957 : 159). Bataille le souligne<br />

bien : <strong>la</strong> <strong>peau</strong> n’est pas une surface égale à nos yeux, sa carte est ponctuée<br />

<strong>de</strong> lieux secrets <strong>de</strong> tailles inégales : pour certains, <strong>la</strong> nudité n’inclut<br />

que les organes génitaux, pour d’autres, ou à d’autres moments, les<br />

seins appartiennent à l’univers intime. Ainsi, certains <strong>de</strong> ses pans sont<br />

accessibles au visible, d’autres non ; il est <strong>de</strong>s parties du corps honteuses,<br />

refoulées hors du visible par les normes,<br />

par les tabous entourant <strong>la</strong> sexualité 4 .<br />

La séduction semble fondée sur le miroite-<br />

La <strong>peau</strong>,<br />

en ce<strong>la</strong>, est<br />

peut-être<br />

l’organe par<br />

excellence <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> séduction<br />

ment <strong>de</strong> ces parties animales, <strong>de</strong> ces tabous ;<br />

elle s’articule sur une dissimu<strong>la</strong>tion qui n’est<br />

pas sans les suggérer. La <strong>peau</strong>, en ce<strong>la</strong>, est<br />

peut-être l’organe par excellence <strong>de</strong> <strong>la</strong> séduction.<br />

Frontière entre l’intérieur et l’extérieur,<br />

entre <strong>la</strong> civilisation et l’animalité, elle trahit ce<br />

qu’elle ne semble pourtant pas montrer ; elle<br />

révèle ce qu’elle tend pourtant à cacher. Elle est<br />

vertigineuse.<br />

Cette <strong>peau</strong> qui nous touche<br />

Rappelons-nous déjà le fon<strong>de</strong>ment biologique<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> perception visuelle : c’est bien parce<br />

que <strong>la</strong> lumière, réfléchie sur les objets, touche<br />

l’œil que nous voyons. Le regard est d’abord<br />

une surface <strong>sens</strong>ible, impressionnée par ce qu’elle voit. Cette approche<br />

biologique prend soudain une valeur littérale lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>peau</strong><br />

<strong>de</strong> l’être désiré. Cette <strong>peau</strong> aurait cette capacité <strong>de</strong> sortir le sujet <strong>de</strong> sa<br />

neutralité quotidienne pour l’attirer à elle. Elle apparaît comme un apax<br />

visuel, un objet soudainement unique et fascinant, rejetant dans l’ombre<br />

tout le reste du visible. Comme si <strong>la</strong> <strong>peau</strong> projetait une lumière étrange<br />

qui mettait le reste du mon<strong>de</strong> visible à contre-jour.<br />

Regar<strong>de</strong>r un corps nu serait réifier un sujet pour en faire un objet<br />

sexuel ; on a passablement documenté – et critiqué souvent aussi – une<br />

telle réification. Ce que l’on a moins dit, c’est que ce regard est lui-même<br />

touché par ce qu’il lit à <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> cette <strong>peau</strong>. Voilà pourquoi le regard<br />

observe ; voilà pourquoi le regard tente <strong>de</strong> toucher par les yeux. Il semble<br />

parfois y avoir si peu à voir et pourtant le regard insiste, fasciné.<br />

À Provincetown, Nan Goldin saisit, jour après jour, heure après heure,<br />

l’appareil photo pour toucher Siobhan du regard. Si les poses changent,<br />

<strong>la</strong> modèle <strong>de</strong>meure <strong>la</strong> même, avec sa <strong>peau</strong> sertie <strong>de</strong> nudité. Ici, Siobhan<br />

4. Ce<strong>la</strong> dit, il faut cependant noter que même ces parties honteuses sont progressivement conquises par <strong>de</strong>s<br />

idéaux <strong>de</strong> beauté. Il n’est point besoin <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> transformation <strong>de</strong>s seins par <strong>la</strong> chirurgie esthétique.<br />

De même, <strong>la</strong> pilosité du sexe – comme celle du corps, d’ailleurs – est <strong>de</strong> nos jours perçue négativement par les<br />

jeunes générations, l’influence <strong>de</strong> <strong>la</strong> pornographie gagnant <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> sexualité féminine puis<br />

masculine, le sexe progressivement cosmétique. Cette animalité, tenant aux parties pileuses ou à ce qui se cache<br />

dans l’ombre <strong>de</strong> ces poils, semble plier sous le désir <strong>de</strong> lissage du corps.

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