Free PDF Download - Montaigne Studies - University of Chicago

18 Michel Magnien
reste de l'Advertissement, qui soulignait les efforts accomplis par
Montaigne pour réunir et publier le plus d'œuvres possible.
Remarquons avec Roger Stéphane 37 , qu'au moins pour le
Mémoire, «ainsi énoncé, l'argument ne vaut rien», puisque ce texte
avait justement été suscité par la «mal plaisante saison», et que même
si les décrets du Concile de Trente entraient alors peu à peu en
application 38 , l'irénisme sans concession de La Boétie n'aurait guère
choqué au lendemain de la promulgation de l'Edit de Saint-Germain 39 .
La raison de cette double suppression est à découvrir ailleurs: c'est
un monument pour l'éternité qu'entend ériger Montaigne — le choix
de dédicatoires prestigieux, le soin avec lequel il surveille l'impression
le démontrent; toute œuvre de circonstance doit donc en être bannie, et
des manuscrits en sa possession, il ne retient que ce qui peut renforcer
l'image d'un La Boétie héritier de la tradition humaniste — tel qu'il le
campera à la fin même du volume dans son Discours sur la mort dudit
Seigneur De la Boétie 40 : le traducteur qui se met au service des sages
antiques, Xénophon ou Plutarque, le poète néo-latin qui se fait l'émule
d'Horace. Pour la même raison, il a au dernier moment 41 hésité à
publier les Vers françois, qui ne seront imprimés qu'un peu plus tard,
sous la forme d'une plaquette autonome de 19 feuillets; il le reconnaît
lui-même dans la lettre-dédicace: «Car ie ne vous celeray pas que la
publication n'en ayt esté differee apres le reste de ses œuvres, soubs
couleur de ce que, par de là 42 , on ne les trouvoit pas assez limez pour
37 Roger Stéphane, Autour de Montaigne, Paris, Stock, 1986, p. 165.
38 C'est ainsi que Malcolm Smith (éd. du Mémoire sur la pacification des
troubles, Genève, Droz, TLF 317, 1983, pp. 26-27) explique la décision de retenir
ce texte de circonstance.
39 Daté du 8 août 1570; l'achevé d'imprimeur du recueil est du 24 nov. 1570.
Notons que l'un des négociateurs de cette paix de Saint-Germain est le dédicataire
de la traduction des Regles de mariage (O.C.L.B., pp. 159-160): Henri de Mesmes.
40 Voir à ce sujet les pages décisives de Gabriel A. Pérouse, «La lettre sur la
mort de La Boétie et la première conception des Essais», dans Montaigne et les
Essais, Paris & Genève, Champion & Slatkine, 1983, pp. 65-76.
41 Après les traductions, la page de titre porte en effet: «Ensemble quelques
vers Latins & François, de son invention».
42 La publication de la mince plaquette des Vers françois prend dans cette lettre
(O.C.L.B., p. 249) la forme d'un plaidoyer en l'honneur du génie poétique gascon;
d'où le besoin éprouvé par le dédicataire de dater sa lettre de Montaigne, alors qu'il
se trouvait vraisemblablement à Paris pour la mise au point du volume (voir note de
Bonnefon, O.C.L.B., p. 365).