Free PDF Download - Montaigne Studies - University of Chicago
Free PDF Download - Montaigne Studies - University of Chicago
Free PDF Download - Montaigne Studies - University of Chicago
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
56 Françoise Charpentier<br />
l'amène à conceptualiser une pratique littéraire qui éclaire sa proche<br />
démarche.<br />
La langue est pour lui un code donné qu'il est possible d'élargir et<br />
renforcer à la fois, non tant par la création de mots (et il semble ici,<br />
presque explicitement, tourner le dos à la doctrine de la Pléiade) que<br />
par les transgressions audacieuses que les écrivains imposent au code<br />
existant:<br />
Le maniement et emploie des beaux esprits donne pris à la langue,<br />
non pas l'innovant tant comme la remplissant des plus vigoreux et<br />
divers services, l'estirant et ployant. Ils n'y apportent point de<br />
mots, mais ils enrichissent les leurs, appesantissent et enfoncent<br />
leur signification et leur usage, luy aprenent des mouvements<br />
inaccoustumés, mais prudemment et ingenieusement (III, 5, 873<br />
B).<br />
Le code de la langue n'est plus tout à fait le même après le passage des<br />
«beaux esprits». On voit bien qu'il s'agit ici de style: du lexique, des<br />
usages métaphoriques, des audaces sémantiques, comme des<br />
hardiesses syntaxiques («mouvements inaccoutumés»). On touche là<br />
aux habitudes de style de <strong>Montaigne</strong> lui-même. Il irait volontiers<br />
jusqu'à reconnaître chez ses contemporains cette recherche sur la<br />
langue, mais mal exécutée, cherchant l'ingéniosité et l'effet voyant<br />
plus que la justesse et la force. Sans dessiner ici la figure d'un<br />
<strong>Montaigne</strong> critique littéraire, objet d'une autre étude, on peut<br />
rapidement suggérer qu'il pense peut-être à la mode néo-pétrarquiste<br />
de la cour d'Henri III, sorte de nouvelle préciosité:<br />
Combien peu cela [cette pratique novatrice] soit donné à tous, il se<br />
voit par tant d'escrivains françois de ce siècle. Ils sont assez hardis<br />
et desdaigneux pour ne suyvre la route commune; mais faute<br />
d'invention et de discretion [discernement] les pert. Il ne s'y voit<br />
qu'une miserable affectation d'estrangeté [...]. Pourveu qu'ils se<br />
gorgiasent en la nouvelleté, il ne leur chaut de l'efficace: pour saisir<br />
un nouveau mot, ils quittent l'ordinaire, souvent plus fort et plus<br />
nerveux.<br />
Reproche qui fait écho aux «menues pointes et allusions verbales»<br />
évoquées une page plus haut.<br />
Cette page si sévère pour le français et les Français, induite par le<br />
commentaire serré de Lucrèce et de Virgile, se clôt pourtant sur une