Patrimoine littéraire et théâtre contemporain de jeunesse au ... - IUFM

Patrimoine littéraire et théâtre contemporain de jeunesse au cycle 3
De Peretti, Isabelle, Université Lille Nord de France, Artois/IUFM Ecole interne, EA
4028 « Textes et Cultures », Arras, France
Dans le cadre d’une recherche sur l’enseignement du théâtre à l’école, on se propose
de réfléchir ici, à partir d‘une étude de cas, à la réception, par de jeunes élèves, d’un
corpus d’extraits de textes du théâtre contemporain pour la jeunesse renvoyant à deux
récits patrimoniaux. Ce corpus est composé d’extraits de Pinocchio (2008) et du Petit
chaperon rouge (2005) de Joël Pommerat ainsi que de Pinok et Barbie (2004) de Jean-
Claude Grumbert. Les deux premiers textes sont des transpositions modernes, proches des
textes sources, qu’ils actualisent en mettant en lumière leur fonctionnement allégorique 1 .
Le troisième texte est davantage une parodie dramatique 2 qui reprend au texte patrimonial
les personnages de Pinocchio et de la fée (sous la forme d’une poupée Barbie) pour
entrainer les jeunes lecteurs vers la découverte d’un continent africain dévasté par la
pauvreté et les guerres fratricides. Ce corpus, participant de ce que B. Louichon appelle
des Objets Discursifs Secondaires (ODS) 3
ou Objets Sémiotiques Secondaires OSS dans
ce colloque même et leurs textes sources témoigne de la vitalité de ce patrimoine dans le
théâtre contemporain de jeunesse. On s’intéressera ici dans la construction du jeune sujet
lecteur et du jeune sujet scripteur, au retentissement des élèves aux questions posées par
ces textes ainsi qu’à la circulation des phénomènes esthétiques, des normes et des valeurs.
Pour cette première acculturation aux textes de théâtre, choix a été fait de privilégier
l’entrée, pour le choix des extraits à travailler, par la scène de conflit traditionnel, mettant
aux prises parents (ou leurs substituts) et enfants. On se demandera donc spécialement
dans quelle mesure ces lectures nourrissent l’écriture d’une scène de conflit traditionnel.
Après la présentation des cadres et de la méthodologie de la recherche, on étudiera cette
séquence en lien avec le projet de l’enseignante, enfin on analysera les traces de ces
lectures dans les copies d’élèves.
1 Dans les deux cas, on pourrait parler de contes dramatiques (cf. Ferrier, B., « Le conte au théâtre : un genre
remotivé, in Ahr, S. (coord.), Théâtre et langue(s) : interactions, créations, perspectives, Synergies France, revue
du GERFLINT n°8, http://gerflint.eu/publications/synergies-des-pays/synergie- france.html, p. 23-29) même si le
statut générique de Pinocchio pose question : est-ce un conte ou plutôt un récit ou roman pour la jeunesse ?
Notons également, dans ces transpositions, quelques déplacements symboliques, particulièrement pour
Pinocchio.
2 Cf. Ferrier, B., Op. cit.
3 Louichon, B., « Définir la littérature patrimoniale » in De Peretti, I. et Ferrier., B. (dir.), Enseigner les
« classiques » aujourd’hui. Approches critiques et didactiques, Bruxelles, Peter Lang, Théocrit’ vol. 5, avril
2012, p. 37-49.
1

I. Cadres et méthodologie de la recherche
L’étude présentée ici s’inscrit dans le contexte spécifique d’un groupe de recherche
Artois/IUFM (2009/2012) sur l’enseignement/ apprentissage du théâtre et du théâtre de
jeunesse, rassemblant, dans le bassin de Douai, enseignants-chercheurs et maitres-
4
formateurs . Sa problématique générale concerne l’acculturation au genre du théâtre (par
sa dimension littéraire et scénique) à partir de pièces du répertoire de jeunesse et du
répertoire classique, et son rôle sur le développement des compétences langagières et des
compétences de lecture et de lecture littéraire, et particulièrement auprès d’enfants en
difficulté 5 . Nos travaux prennent appui et impulsion dans les travaux de Bernanoce : les
caractéristiques du texte de théâtre 6 , appelant mise en voix, mise en espace et mise en jeu
peuvent être, selon les cas, points d’appui ou objectifs obstacles pour les élèves. Enfin,
même si les frontières des genres, dans le théâtre de jeunesse comme ailleurs, sont de plus
en plus fluctuantes, si on y rencontre beaucoup de phénomènes d’épicisation et s’il s’agit
de sensibiliser à la diversité des écritures théâtrales, il nous parait nécessaire de poser,
avec les jeunes élèves, comme ici, des jalons pour construire progressivement cette
catégorie générique 7
.
Un dispositif de type expérimental avec prétests et postests de lecture et d’écriture de
contes et d’extraits de théâtre, encadrant la mise en œuvre d’une séquence expérimentale
(avec travail « à la table », mise en voix et mise en espace des textes) a été mis en place.
La recherche reste d’amplitude modeste, elle concerne pour chaque année de la recherche,
8
une centaine d’élèves, soit au total 300 élèves du cycle 3 . Dans notre démarche, le choix
4 Pour un exposé plus complet du cadrage général de la recherche, nous renvoyons à notre article, De Peretti,
I., « Théâtre de jeunesse, lecture et écriture au cycle 3 : donner corps et voix aux textes », [avec la collaboration
de FERRIER, B.] in AEBY, S. (dir.), Diptyque 21, Langue et littérature : des dispositifs pour penser leur articulation
de la maternelle au lycée, 45-70, Namur, CEDOCEF, Presses Universitaires de Namur, septembre 2011. Sont
particulièrement concernés par cet article les enseignants maitres formateurs suivants, ayant participé à la
recherche en 2009/2010 : Claudie Crapez, Laurence Crombez, Maggy Lecaillon.
5 En effet, si des travaux qui font référence ont montré l’importance du jeu dramatique dans le développement
des compétences d’oral (cf. Ryngaert, J-P., Le jeu dramatique en milieu scolaire, Bruxelles, De Boeck, 1992 et
Page, C., Eduquer par le jeu dramatique, Paris, ESF, 1997 notamment, peu de travaux ont porté sur
l’acculturation aux textes de théâtre et notamment de théâtre contemporain de jeunesse.
6 Pour l’analyse du texte de théâtre, nous nous référons principalement aux auteurs suivants : Bernanoce
(2003, op. cit.) ; Ryngaert, J-P. , Introduction à l’analyse du théâtre, Paris, Nathan Université, 1999 (1991 pour la
première édition) ; Viala, A., Le Théâtre en France des origines à nos jours, Paris, PUF ; 1997, à Vinaver, M.,
Ecritures dramatiques, Arles, Actes Sud, 1993. Pour l’analyse du dialogue de théâtre, à Ubersfeld, A., Lire le
théâtre III, Paris, Belin, 1996 ainsi que, pour la dimension esthétique, à Larthomas, P., Le langage dramatique,
Paris, PUF, 1989.
7 Cf sur ces notions, Combes, D., Les genres littéraires, Paris, Hachette, 1992 et Canvat Karl, Enseigner la
littérature par les genres, Pour une approche théorique et didactique de la notion de genre littéraire, Bruxelles,
De Boeck-Duculot, 1999 et « Les genres, espace des possibles et mémoire du littéraire », in La lecture littéraire
n°11, 2011.
8 Elèves de 8 à 11ans, 3 e , 4 e et 5 e classes de l’école élémentaire.
2

des textes des séquences expérimentales est laissé à la liberté de l’enseignant. Durant la
première année de la recherche, nous avions montré que les données de la situation
dramatique et son bouclage sont plus difficiles à appréhender pour les élèves que les
données explicites de la fable du conte, mais qu’outre le passage du texte au jeu qu’ils
appellent, la lisibilité de ces textes, la facilité qu’ils offrent pour l’appréhension des
personnages et pour l’étude des stratégies des personnages sont autant de points d’appui
potentiels, même si leur polyphonie particulière et l’imaginaire de scène sont à construire.
L’expérimentation a montré une amélioration de la compréhension de la situation
dramatique et de la stratégie des personnages et notamment sur ces deux points, la
réduction des inégalités entre les classes.
Pour l’écriture des scènes de théâtre, nous avions montré que les classes
expérimentales réussissaient mieux à construire les mobiles des personnages que les
classes témoin, permettant d’esquisser une stratégie argumentative et que c’était la classe
de CE2 qui avait bénéficié du passage du conte et du récit au théâtre (démarche préconisée
par Bernanoce 9
) avec structuration à l’écrit des caractéristiques du texte de théâtre qui
avait le mieux réussi l’inscription des textes dans les codes génériques du texte de théâtre.
Nous avions également été frappés par les progrès importants accomplis par les élèves de
cette classe dans les bilans de lecture (post tests après expérimentation). Ceci était
d’autant plus significatif que l’enseignante concernée n’intervenait que pour une heure par
semaine dans la classe d’un de ses collègues. C’est pourquoi nous avons choisi cette
classe pour cette étude de cas, afin d’analyser plus finement ses résultats en lien avec les
choix opérés dans la séquence.
Cette étude de cas repose sur l’analyse des matériaux suivants : les fiches de
préparation de la séquence expérimentale, deux entretiens d’explicitation avec
l’enseignante, l’analyse de quatre séances filmées (deux de « travail à la table », deux
séances à dominante « mise en voix, mise en espace »), l’analyse d’un corpus de scènes de
théâtre rédigées en CE2 à l’issue de la séquence expérimentale (pour la classe témoin : 22
copies, pour la classe expérimentale : 16 copies, pour une autre classe expérimentale
n’ayant pas étudié les contes dramatiques : 18 copies). Les deux premières classes ont un
recrutement similaire et il s’agit pour celles-ci d’une première production d’un texte de
théâtre. Pour cette première année de la recherche, nous ne disposons pas de productions
parallèles d’écriture de contes.
II. Du conte au théâtre, un projet motivé
L’enseignante de la classe de CE2 appartient au portrait 2 de l’enquête de B. Louichon
10
en 2005/2006, « l’engagement personnel » . Elle apprécié le théâtre durant sa scolarité, et
9 Bernanoce, Marie, La didactique du texte de théâtre : théorie et pratique, des enjeux pour le littéraire, op.cit.,
p. 323.
10
Louichon, B., « Enquête sur le rapport des enseignants aux programmes de 2002 et les pratiques
d’enseignement de la littérature au cycle 3 », in Repères n°37, 2008, p.59-60.
3

a mené des activités d’animation théâtrale à la maison des jeunes, mais son goût pour le
théâtre procède largement d’une autoformation. Dans son parcours professionnel, elle a
toujours été à la recherche de supports attrayants pour la lecture. Elle trouve que les
enfants sont réceptifs au conte et en travaillant à partir des contes, elle avait l’impression
qu’elle « séduisait davantage les élèves ». Et comme elle aimait bien les contes, elle «
prolongeai[t]s ce moment qui [lui](me) plaisait bien avec le théâtre ». Au départ, pour
cette mise en relation, elle s’appuyait sur les ouvrages des éditions Retz, mais ils ne la
satisfaisait pas vraiment. Le programme de 2002 a eu une importance capitale dans son
évolution, apportant des réponses aux questions qu’elle se posait. Elle a ainsi prolongé un
travail sur La belle et la bête avec « Belle des eaux » de Bruno Castan qui figure sur la
liste de 2004 et cela l’a encouragée à s’engager encore davantage dans des lectures
personnelles sur le conte et le théâtre. Par ailleurs, elle travaille en lien avec un festival
dédié aux contes et aux légendes qui s’est monté depuis une dizaine d’années environ,
dans sa région et dont son école est partenaire. L’impulsion de son inspecteur dans ces
années-là a également eu un impact sur sa pratique : notamment en montrant le rôle des
interactions entre enfants, l’importance de la structuration du travail à l’oral, et le rôle de
l’élève acteur de ses apprentissages, qu’elle a aussi interprété, « à la lettre avec le
théâtre ». Sa pédagogie met en avant l’importance de l’oral et le théâtre permet de
structurer le travail. Elle éprouve également le plaisir d’arriver à un produit fini à
présenter devant les parents en fin d’année, qui donne une autre envergure au travail. Elle
pense que peut-être, comme elle ne se sent pas capable de bien conter aux élèves, « elle
est peut-être allée vers le théâtre pour cela », elle pense que c’est plus facile pour elle de
communiquer par le théâtre avec les élèves. C’est en tous cas une hypothèse. Le conte fait
parler les élèves en difficulté mais le théâtre est plus intéressant pour eux. « Cela
déclenche un autre rapport devant l’écrit, devant la lecture », ce ne sont pas les élèves les
plus scolaires qui s’investissent le plus dans le théâtre.
Les pièces lui permettent également d’aborder des thèmes qui lui tiennent à cœur,
l’enfant dans la littérature, les droits de l’enfant. Dans le choix des pièces, c’est parfois le
sujet, parfois l’aspect esthétique qui détermine ses choix, cela dépend. Elle apprécie
beaucoup Pinocchio de Pommerat, et, particulièrement dans cette pièce : « le substitut de
la mère et les relations aussi avec le père, cette violence entre le fils et le père […] et aussi
le parcours du petit garçon pour devenir un véritable garçon. »
Elle a construit sa séquence sur une alternance de séances « à la table » pour l’étude
approfondie d’extraits (trois séances pour Pinocchio et Le petit chaperon rouge, deux
pour Pinok et Barbie) avec mises en voix des textes, de rédactions d’écrits intermédiaires,
de passages qu’elle a résumés (principalement pour Pinocchio qui n’a pu être étudié en
entier) et de séances de mise en jeux et en espace. Pour Le petit chaperon rouge, une
structuration a pu avoir lieu après la lecture des contes de Perrault et de Grimm et avant le
travail avec la pièce de Pommerat, mais ce travail n’a pas été possible, faute de temps et
en raison de sa longueur, avec le texte de Collodi. Les caractéristiques de l’écriture du
texte de théâtre, en comparaison avec celle du conte, ont fait l’objet d’une
4

institutionnalisation à l’écrit. Le travail fait sur les textes doit beaucoup à l’influence des
travaux de Catherine Tauveron 11
.
Les textes choisis par l’enseignante l’ont été, après beaucoup de réflexion, en tenant
compte également de la contrainte de la thématique du festival auquel elle participe avec
ses élèves.
Dans les deux pièces de Joël Pommerat, une figure du conteur est mis en scène sous la
figure du « Présentateur » pour Pinocchio ou de « L’homme qui raconte » pour Le petit
chaperon rouge et leurs récits encadrent et ponctuent le texte de théâtre lui-même.
L’écriture, avec de nombreux retours à la ligne et un travail sur les rythmes, tant dans le
récit que dans le texte dialogué s’apparente à de la prose poétique. Le Pinocchio de
Pommerat élague le récit de Collodi et doit également à l’influence du film de Comencini.
Il s’agit pour l’auteur de la pièce d’une écriture de plateau, qui revendique le palimpseste.
Le personnage de Pinocchio, proche d’un adolescent de nos banlieues, est en révolte
permanente contre son statut de marionnette et contre sa pauvreté. Conformément aux
choix du groupe de recherche, centrant l’expérimentation de la première année sur la
figure du duel 12
, de la scène de conflit, les élèves ont ainsi étudié le début de la pièce,
l’animation du pantin qui devient tout de suite agressif envers son créateur dont il ne
supporte pas la pauvreté. Le « vieil homme » y répond par de la soumission et de la honte.
La deuxième scène étudiée est celle des mensonges de Pinocchio à la fée qui l’a sauvé de
la pendaison. Elle lui demande sans ménagement d’arrêter de mentir et d’aller à l’école,
contre la promesse de le transformer en vrai petit garçon. Les élèves s’appuyant sur la
référence au film de Walt Disney, l’enseignante doit leur rappeler qu’ils étudient le
Pinocchio de Pommerat. Ce passage donne lieu à un long débat de compréhension pour
appréhender le rôle de la fée, qui nécessite tout en s’appuyant sur le stéréotype, de le
reconstruire pour comprendre son rôle d’autorité dans ce passage. Il s’en suit de longues
réflexions des élèves sur le rôle d’autorité des adultes et particulièrement des enseignants
(sont-ils justes ou injustes ?). Enfin, c’est la fin de la pièce et l’épilogue qui ont été l’objet
de la dernière séance. Notons que chez Pommerat, ce n’est pas par sa décision propre ou
son courage face à l’adversité que Pinocchio sauve son père et lui-même, mais par son
principal défaut, son bavardage.
Dans Le petit chaperon rouge de Pommerat, étudié en entier avec la classe, dans le
récit du présentateur qui encadre le texte de théâtre, l’ennui et la peur de l’enfant quand sa
mère est absente sont soulignés. La mère a du mal à permettre à son enfant de s’éloigner
pour aller voir sa grand-mère : elle devra pour cela réussir un gâteau à offrir à l’aïeule. Le
texte de théâtre proprement dit commence avec le départ de la maison. L’enfant y exprime
sa peur de l’abandon, la complexité de l’épreuve est vue de l’intérieur. La rencontre avec
le loup est une véritable scène de séduction, la petite fille a pitié du loup qui a faim.
11 Cf. Par exemple Tauveron, C. (dir.), Lire la littérature à l’école, Paris, Hatier, 2002.
12 Vinaver, M., Op. cit.
5

Pommerat fait des emprunts à Perrault et à Grimm, mais la dévoration de la petite fille suit
de plus près ce dernier conte, même si, à la fin, le loup n’est pas tué et qu’il s’amende. Au
cours de cette étude, un travail sur l’expression de la peur a été conduit avec les élèves.
Seul le début de la pièce de Grumbert, Pinok et Barbie, a pu être travaillé : le travail a
porté sur l’inquiétude des jouets face à cette journée du partage universel où les enfants
sont invités à donner leurs jouets préférés pour les enfants démunis de pays inconnus. Les
élèves ont assez vite identifié les caractéristiques de la fée dans le personnage de la
poupée Barbie qui calme Pinocchio. Ils ont ensuite joué la scène qui montre l’inquiétude
de la petite fille après le don qu’elle a fait, sur le sort de ses deux jouets préférés.
III. De la lecture à l’écriture d’une scène de conflit : quelles traces de lecture, quels
appuis sur les textes ?
1. Le sujet d’écriture, un conflit générationnel
La production d’écrits s’est faite immédiatement à la suite du bilan de lecture (post
test) d’un extrait d’Une chenille dans le cœur, pièce de Stéphane Jaubertie (2008), texte
qui avait également servi de support au prétest, mais à partir d’un autre extrait. Dans cette
pièce, l’enfant est une petite fille qui demande au personnage du bûcheron de couper son
dernier arbre pour lui faire le corset en bois dont elle a besoin pour grandir. Le bûcheron
refuse, car il aime son arbre : dans ce second extrait, elle fait référence à sa mère morte
qui l’envoie vers lui, et qui lui a laissé les économies de toute une vie. L’écriture de la
scène est marquée par une double contradiction : c’est le bûcheron qui refuse de couper
l’arbre, l’enfant a un langage plus soutenu et plus élaboré que le bûcheron qui s’exprime
dans un niveau de langue plutôt familier.
Le sujet d’écriture était le suivant : « Invente une scène de théâtre où, comme dans
Une chenille dans le cœur, un enfant demande à un adulte quelque chose de très important
pour lui. L’adulte dit non. »
La consigne invite à une écriture architextuelle, avec une orientation hypertextuelle 13
ancrée dans une situation dramatique prototypique marquée par l’affrontement des
personnages (figure de texte du duel selon la classification de Vinaver). Les statuts
générationnels des personnages sont fixés, une des caractéristiques de l’enjeu discursif
également (pour l’enfant). L’inscription du texte à produire dans une situation
conflictuelle est susceptible de faciliter la mise en œuvre d’une stratégie argumentative,
avec renvoi possible à une norme familiale ou sociale, à une figure de l’autorité.
Va-t-on trouver des différences entre la classe expérimentale et la classe témoin, au
terme de cette courte acculturation du conte au théâtre, sous le signe du Petit chaperon
rouge et de Pinocchio ? On peut tout d’abord constater, que, sur le plan de la longueur des
productions, les textes ne se différencient pas franchement.
13 On reprend ici la catégorisation restreinte de Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982.
6

2. Ecrire une scène de théâtre
Sur le plan de la mise en texte d’un dialogue de théâtre, la classe expérimentale
présente pratiquement un sans faute (14/16 copies) ; seules deux copies présentent des récits
où narration et dialogues sont enchevêtrés, souvent de façon confuse. Dans la classe témoin, si
cette réussite concerne aussi 14 élèves, 8 élèves (soit environ un tiers des élèves) échouent
dans cette mise en texte. Toutefois il faut noter que ce score, en l’absence de toute
acculturation au texte de théâtre est cependant très honorable, au regard des difficultés
persistantes sur ce plan que l’on rencontre également en 6 e ou 5 e
, voire plus tard.
Par ailleurs on remarque que, dans la classe expérimentale, 5 élèves/14 (soit également
1/3) introduisent le texte dialogué par un récit proposé par un narrateur, à l’imitation des deux
contes dramatiques de Pommerat.
Par exemple, E14-G : L’anniversaire du petit garçon
Le narateur :
Le petit garçon voulais faire son anniversaire a la ferme mais sa mère ne voulais pas car
sa couter ter chaire
Le petit garçon : si et je ferais la vaisaile je ferais mon lit et je rangerais ma chambre…
La mère : non ! […] 14
[à la fin du texte dialogué] Le narateur : et il fète son anniversaire à la ferme
Ou E3-G
Le narateur Il était une fois, une grand-mère et son fil qui était dans une maison met
pour lui une vielle ruine.
La grand-mère -Sa va mon petit garçon (une si vielle voie.)
L’enfant –Non ! […]
Deux productions de la classe témoin toutefois, sans faire référence à la parole d’un narrateur
commencent le texte dialogué par un passage de récit.
Par exemple E3-J : il était une fois un petit garçon qui se demande ce qu’il veut. il va voir
l’adulte et dit :
L’enfant –« je veut avoir un cadeau. […]
On peut donc se demander si cette mise en scène de l’oralité, du passage du récit oral à
la mimesis théâtrale, en relation avec un travail de structuration des règles d’écriture par
14 Nous signalons en gras les productions écrites des élèves. Nous leur avons conservé leur orthographe
d’origine.
7

essemblance et différence et un travail de mise en jeu 15 n’est pas à même de faciliter
l’introduction dans le monde du théâtre, notamment au cycle 3 ou en 6 e voire en 5 e
. On peut
faire l’hypothèse que le fait de s’appuyer sur le récit pour marquer un seuil dans l’entrée dans
le théâtre parait donc un point d’appui naturel dans le passage du récit au théâtre.
En ce qui concerne les didascalies interstitielles, on en trouve trois dans la classe
expérimentale et aucune dans la classe témoin. La première concernent la scène, la régie :
c’est ne indication pour la mise en voix du personnage de la grand-mère (cf ci-dessus, E3-G :
(une si vielle voie.), en intertextualité avec Le petit chaperon rouge, sans qu’il soit possible
d’en déterminer avec certitude l’auteur (Pommerat, Perrault ou Grimm ?).
Une élève, E21-G, indique l’ouverture et la fermeture des rideaux dans une didascalie
encore maladroite, concernant à la fois la fable et la régie : (a la fin du mois ferme les
rideaux et on les ouvre après)
Enfin on trouve également dans une autre copie E12-G une didascalie concernant la
fable et traduisant l’écoulement du temps : (Arive a l’aniversaire)…
Cependant, bien souvent, dans la classe expérimentale comme dans la classe témoin,
les points d’exclamation ou d’interrogation redoublés tiennent cependant lieu de didascalies
pour la mise en voix ( ?!!!?! par exemple…).
Enfin en se référant à une esthétique du dialogue de théâtre comme celle qui est
définie par Larthomas (« du langage comme surpris » 16 ), et si on cherche dans les productions
d’élèves les traces de procédés d’insistance, de systèmes de répétition, d’accumulation ou de
gradation en lien avec montée de la tension requise par la situation, de parallélismes entre les
répliques qui donnent un rythme au texte, de jeux sur les sons, les procédés d’exagération,
etc., on va en trouver des traces en un peu plus grand nombre dans la classe expérimentale que
dans la classe témoin, avec des effets un peu plus marqués (si l’on essaie de les dénombrer on
obtient 9/14 pour la classe expérimentale contre 6/14 pour la classe témoin). 17
On les trouve
bien sûr particulièrement en lien avec la montée de la tension ou en fin de scène comme cidessous
où on peut observer une gradation bien conduite dans la copie suivante d’E1-G, dans
la classe expérimentale :
La mère-Est pourquoi tu veut absolument un animal ?
15 Dans une des séances de jeu filmée, pour un groupe, le récitant se met en retrait des autres personnages et
s’adresse au public.
16 Larthomas, P., op.cit., p. 438 : « Très proche de la parole, imitant ses imperfections même qui
prennent alors une valeur esthétique ; mais aussi très éloigné d'elle, plus enchainé, plus rythmé,
plus soucieux d'effets. »
8

La fille- Parce que je suis toute seuls dans ma chambre.
La fille-Mais silteplait ?
La mère-Non, je te le répète !!
La fille-Mais maman, silteplait !
La mère-Non c’est non, ne me réclame plus rien.
Ou une rupture de rythme dans la copie de léa, à côté de productions dans les deux
classes où ces effets sont peu ou pas marqués. On comparera ainsi les copies E3-G et E2G
de la classe expérimentale :
E3-G
Le narateur Il était une fois, une grandmère
et son fil qui était dans une maison
met pour lui une vielle ruine.
La grand-mère -Sa va mon petit garçon
(une si vielle voie)
L’enfant - Non !
La grand-mère - Pourquoi ?
L’enfant - Ge ve une sourie.
Grand-mère - Quoi une sourie !
(s’exclamat’elle)
L’enfant –Oui une sourie.
Grand-mère – Tu sais très bien que je
d’éteste les sourie
L’enfant- Une toute petite.
Grand-mère-Non !
E2-G
L’enfant : papa tu peux maidait à
travaille.
Le papa : non.
L’enfant : pourquoit
Le papa : parce au je sui très occupé
L’enfant : occupé à quoi.
Le papa : occupé à tailler les branches des
arbre.
l’enfan : daccort à toute à l’eur.
le papa : désoler.
l’enfant : pagrave.
Le papa : à toute à l’eur.
L’enfant : j’ai finit de travailler
Le papa : daccort c’est bien
On peut donc avancer l’hypothèse que la connaissance des fables et la dimension
merveilleuse des récits transposés, dans un cadre didactique adéquat, incluant mise en voix et
mise en jeu des textes et institutionnalisation de caractéristiques génériques de premier plan,
constituent une aide pour que les élèves perçoivent le caractère esthétique du théâtre. Le fonds
9

patrimonial transposé et actualisé parait faciliter cette initiation au théâtre. Mais on peut se
demander ici si cette acculturation touche d’autres caractéristiques du texte de théâtre, aux
niveaux structural, pragmatique et sémantique. On voit en effet que ces derniers effets
stylistiques sont à analyser en lien avec la situation choisie qui permet, dans le cas du sujet
choisi, de la dramatiser. C’est ce que nous étudierons maintenant à travers les divers emprunts
faits aux textes étudiés concernant notamment les personnages, les enjeux discursifs des
situations dramatiques et les systèmes d’opposition ou schémas argumentatifs. Comment
nourrissent-ils les scènes d’affrontement, comment les élèves se les approprient-ils ?
3. Quelle appropriation des contes et parodies dramatiques et de leurs textes sources ?
D’une façon globale on constate que la classe expérimentale va nourrir la scène de
conflit avec des références presque exclusivement prises dans le corpus de textes étudiés, à la
différence de la classe témoin qui cherche quelques appuis sur le texte du bilan de lecture
(post test) mais qui présente surtout des emprunts à la vie quotidienne, en ayant parfois du mal
à choisir une organisation cohérente.
3.1. Les productions de la classe témoin
Au niveau du choix des personnages ou du couple de personnages, la classe témoin
s’autorise peu à caractériser l’enfant et ou l’adulte du libellé du sujet : trois élèves seulement
inscrivent leur texte dans un dialogue entre une fille ou un garçon et son père ou sa mère.
Deux autres élèves, à l’imitation du texte du bilan, choisissent de définir l’adulte par son rôle
social : le minier (le mineur), la couturière (cf. ci-dessous texte d’E13-J) : un enfant demande
à un mineur du charbon pour se chauffer, un autre un pull à une couturière car elle a froid,
transposant la situation du texte de bilan où une enfant demande à un bûcheron de couper son
arbre pour lui faire un corset. On voit que dans cette classe qui n’a pas eu d’approche du
théâtre, de façon spontanée mais minoritairement, ces choix donnent d’emblée plus de
cohérence au développement de la scène et de lisibilité aux textes que dans les autres
productions de cette classe : cela en raison de l’activation du stéréotype du personnage. Mais
neuf élèves en restent à un échange entre un enfant et un adulte non caractérisé
(l’enfant/l’adulte ou l’enfant/ Monsieur ou Madame) présentant des textes peu structurés où
parfois cependant au cours du texte dialogué, l’enfant finit par désigner l’adulte comme l’un
de ses parents (cf. ci-dessous le texte d’E3-J). Dans cette classe, on peut ainsi opposer,les
deux textes suivants :
Classe témoin : E13-J Classe témoin : E3-J
L’enfant : tu me coudre un pule sinon
j’aurais frois tout l’hiver
La couturière : Non, j’ai plein d’autres
choses à faire
L’enfant : s’il vous plait
Il était une fois un garçon qui se demande
ce qu’il veut.
Il va voir l’adulte et dit
l’enfant - « je veux avoir un cadeau.
l’adulte dit :
10

La couturiere : sa servira a rien car tu a
plein d’habilles
L’enfant : c’est ton travail non
La couturière : Oui mais je n’ai pas le
temps
L’enfant : Vous voulez que je cri.
La couturière bon d’accor mais dans trois
jours
L’enfant : Non ! je le veux tout de suite
La couturière Je n’ai vraiment pas le
temps
L’enfant Vous voulez que je m’enerve
La couturiere : pas du tout
L’enfant alors le pull
La couturière ok
adulte-Oh ! la la, ne va pas trop vite, je
rufuse de acheté ton cadeau.
enfant-Comme c’est comme ça je vais mon
achetée un
adule -Non tu n’a pas d’argent.
adulte-bon comme tu le veut a tout pris je
te l’achète.
enfant - Oui ! Merci maman.
adulte - elle alla le chercher mais elle ne
sait pas le cadeau elle appelle enfant
enfant - c’est le cahier de maths !
adulte- elle va le chercher.
Enfant – oui s’ayyer je l’ai Merci Maman !
Au niveau de la scène d’affrontement, les élèves de la classe témoin dans l’ensemble
vont avoir plus de mal à la maintenir sur plusieurs répliques, l’adulte cédant plus rapidement à
l’enfant, parfois en opposition à la consigne même : l’adulte après avoir rappelé la norme
sociale (pas de gâteries inutiles) cède vite. Toutefois, le monde représenté est parfois (pour
quatre copies) celui d’un monde où les préoccupations vitales et sociales apparaissent
(manger, ne pas avoir froid) et où l’adulte a vite pitié, alors que ces dernières sont peu
présentes dans la classe expérimentale. Deux textes parlent également de parents occupés ou
indifférents à leurs enfants mais la résolution du conflit est également rapide. Pour l’un de ces
textes, il s’agit de signer le bulletin scolaire et le père ne finit par réagir par crainte que son
enfant ne soit puni. Mais les univers déployés sont parfois marqués par des incohérences par
rapport à la réalité ou se déploient sans référence à un ordre ou plan qu’il soit réaliste,
merveilleux ou poétique : un enfant demande un fusil à un homme, pour que son père puisse
aller à la chasse pour qu’ils mangent, ou une fillette demande de l’aide en échange d’une bille
puis de sa propre voiture (cf. texte de E7-J. ci-après).
L’enfant : Monsieur, vous avez l’air très fort
L’adulte : Pourquoi tu dis sa ?
L’enfant : Parce que je voudrait porte mes sacs jusque ma voiture voulez vous m’aider
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L’adulte : Non, je ne suis pas si fort que sa
L’enfant : Vous êtes surment fort
L’adulte : Je te dis que non
L’enfant : Si vous le faite, je vous donne une bille.
L’adulte : NON !!!!!!!!!!!
L’enfant : Aller
L’adulte : tu m’énerves
L’enfant : J’ai une idée, tu m’aide je te donne ma voiture quand j’aurai fini d’apporter
mes sacs
L’adulte : D’accord
Notons, toujours pour cette classe, une intertextualité avec le texte du bilan Une
chenille dans le cœur. Dans le texte d’E11-J, l’enfant demande à son père de couper l’arbre
devant chez eux car il fait du bruit et la gêne : on constate que la demande symbolique du
texte d’appui (l’enfant a besoin du bois de l’arbre pour confectionner le corset qui lui
permettra de grandir) est réduit ici à une demande de bien-être.
3.2. Les productions de la classe expérimentale
Dans la classe expérimentale, avec la même consigne, tous les élèves ont investi les
personnages d’un statut familial ou ont eu recours à un personnage de l’univers merveilleux et
plus chargé d’affectivité (une fille/un garçon s’adressant à son père ou à sa mère (8 élèves
sur14), trois élèves ont fait intervenir une grand-mère et trois autres une fée ou une princesse).
On peut penser que le travail sur les contes dramatiques les a autorisés à faire intervenir ces
personnages dans leur production théâtrale, qu’il a ouvert des possibilités. La consigne de
l’opposition de l’adulte à l’enfant est mieux prise en compte. D’une façon implicite, le monde
représenté dans les textes de la classe expérimentale reprend plus fréquemment la figure de
l’autorité vue notamment dans l’extrait du Pinocchio de Pommerat où l’adulte représente la
loi et où la satisfaction des désirs de l’enfant s’obtient au prix de certaines épreuves et d’une
acceptation du principe de réalité (8 copies sur 14). La gentillesse et le travail de l’enfant sont
récompensés (parfois sur la seule fois des promesses comme dans les extraits de Pinocchio
travaillés). Cela peut bien sûr aussi venir du fonds culturel et du système de valeur des contes,
réactivés par ces textes de théâtre que les élèves s’autorisent à mettre en scène. Cette
opposition de la volonté de l’adulte à la volonté de l’enfant, qui s’appuie sur un système
d’opposition de valeurs, de petits scénarios ou de petites trames argumentatives 18
permet de
maintenir plus longtemps la tension dramatique. Les élèves peuvent donc écrire un texte
18 On retrouve ici la problématique des stéréotypes, développées par Dufays, J-L, Stéréotype et lecture, Liège,
Mardaga, 1994.
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dramatique où de petites esquisses de stratégies argumentatives, dans un système de valeur
plus cohérent, peuvent se déployer.
A noter un texte transgressif sur le système de valeur dominant ce corpus (dans une
écriture plus narrative que théâtrale, le récit du narrateur prenant une grande part du texte) ;
c’est un vol que finit par récompenser la grand-mère, car la petite fille à qui la grand-mère
refuse de l’argent pour acheter les patins dont elle rêve va tenter de voler de l’argent à sa
grand-mère, et celle-ci, la prenant en flagrant délit accède cependant à son désir (copie E4-G).
On trouve également, parmi ces copies, d’une façon explicite cette fois, cinq
références aux pièces étudiées et aux contes sources dans les copies des élèves : deux d’entre
elles concernent Le petit chaperon rouge : nous avons déjà envisagé la premier qui concerne
la didascalie (Une si vielle voie) (cf ci-dessus texte d’E3-G). Le texte se déploie ensuite avec
une hypertextualité plus lâche, à partir du sentiment de peur ressentie par la grand-mère (par
rapport aux souris ici, ce qui est relativement comique), sentiment qui justifie son refus d’en
offrir une à l’enfant (tout un travail sur la peur avait été effectué dans une séance de jeu
dramatique autour du Petit chaperon rouge).
L’intertextualité est également évidente dans la reprise du topos de la forêt par E8-G.
Elle intervient dans le choix de l’enjeu discursif de la situation, opposant une mère et un
garçon qui veut aller dans la forêt (à l’imitation du Petit chaperon rouge de Pommerat, où la
mère met du temps à accepter que sa petite fille sorte voir sa grand-mère). Toutefois l’élève
n’arrive pas à construire la raison de cette opposition et il se contente de maintenir sur cinq
répliques cette opposition (« Non, mon fils/Non, c’est non/Parce que/Parce que/c’est
non »).
Une autre élève (E11-G) fait intervenir la fée, au-delà du stéréotype, dans son rôle
d’autorité maternelle et de gardienne des obligations et de la socialisation de l’enfant : et cette
reprise de l’hypotexte de Pinocchio caractérise également la situation d’affrontement : la fée
s’oppose au désir de l’enfant d’avoir un cerceau tant que sa chambre n’est pas bien rangée :
La fée et Amandine
La fée : vien amandine on va au magasin
La narratrice : Dès arrivée au magasin amandine dit : tu peut macheté un cerceaux
La fée : non
Amandine : sil-te-plait sil-te-plait sil-te-plait sil-te-plait
La fée : non !
La fée : tu peut ranger ta chambre.
Amandine : j’ai rangé ma chambre. Maintenant tu peut m’acheté un serceau.
La fée : non !
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Narratrice : après avoir fait le ménage, amandine et épuisée
La fée : tu mérites ton serceau
Amandine : oui
Narratrice : amandine a resu son serceau
Amandine : merci maman.
On constate d’ailleurs le glissement final de la figure de la fée à la figure maternelle.
Enfin une élève, E21-G, reprend de façons parodique la situation de Pinocchio (de Pommerat,
lui-même en forte reprise de Collodi pour ce passage) où la fée exhorte l’enfant à aller à
l’école, mais en la retournant : c’est l’enfant qui veut aller à l’école, mais sa mère qui est une
princesse lui dit qu’elle n’en a pas besoin, que son intelligence serait innée de par son statut
de princesse. Elle réfute de façon fort pertinente ses arguments.
Etre princesse c’est difficile
Narrateur : Il était une fois une princesse dans sont palais d’or qui avait une petite fille
qui s’appeler Nina. Toute les deux était très jolie.
L’enfant : Maman un jour il faudra que j’aille à l’école.
La princesse : non tu est une fille de princesse sa ne vas pas a l’éole quand on es super
intelligente
Nina : mais je ne sait pas si je suis intelligente ou pas, etre princesse c’est dificile
Princesse : mais on c’est que les princesse son intéligente
Nina : et ben moi je déside de ne pas être intelligente
Princesse : peu-être à la fin du mois on fera
(a la fin du mois ferme les rideau et on les ouvre après)
Nina : Ca y er on es la fin du mois tu miscrit
Princesse : oui aller vien…
Narrateur : Maintenant elle es incrite et elle va à l’école
Le dernier hypertexte est en lien avec le texte du bilan, Une chenille dans le coeur, et
avec Le petit chaperon rouge : il concerne la justification que le père donne pour ne pas
accéder au désir de l’enfant qui demande de l’aide pour son travail scolaire ; en effet, il taille
les arbres (cf. texte d’E2-G, ci-dessus). Ici l’hypertexte n’est pas associé à une petite fable
permettant de maintenir un système d’opposition. Il porte trace toutefois de la problématique
de la solitude de l’enfant, dont nous avions noté la présence, dans Le petit chaperon rouge de
14

Pommerat, dans le récit de l’homme qui raconte, encadrant le texte dialogué lui-même ; cette
problématique, qui au demeurant peut venir aussi de l’expérience de l’enfant, apparait dans
quatre des textes de la classe expérimentale, alors qu’on ne le retrouve qu’une fois dans la
classe témoin. Il est particulièrement bien orchestré dans le texte d’E1-G (cf. bouclage cité
plus haut), dans le jeu des voix des personnages : si la mère met un point final à la demande
d’animal de compagnie de son enfant, et clôt par son refus sa demande, son absence de
réponse au sentiment de solitude de son enfant laisse à entendre la souffrance de la petite fille.
On constate donc, au total pour la classe témoin, une assez forte reprise des textes travaillés
en classe à l’exception de la pièce de Grumbert (dont seul le début avait été travaillé),
apparaissant au niveau du système des personnages et des valeurs, dans les situations choisies
et leurs enjeux discursifs et argumentatifs.
Conclusion Dans notre corpus, nous constatons donc, pour la classe expérimentale, une forte
reprise de l’univers des contes dramatiques dans des textes de théâtre et, en même temps, une
acculturation au genre du théâtre, un début de construction de la rhétorique d’un genre. Les
transpositions de Joël Pommerat exercent ainsi une double influence sur les écrits des enfants.
Ces « contes dramatiques » nourrissent l’écriture dramatique et les scènes de conflit : par la
reprise des stéréotypes de personnages ou de personnages incarnant des rôles trouvés dans les
textes, par les enjeux discursifs des situations dramatiques, par la reprise de petits scénarios
ou de petites fables, liées au système de valeurs des personnages. Ceci assure la cohérence de
l’univers du texte facilitant par là la mise en texte, son développement, le déploiement de
petites stratégies argumentatives. Les références choisies montrent bien aussi qu’ils
contribuent à la création de normes sociales 19
. Cette étude conforte l’analyse de l’enseignante
quant à son sentiment de la réceptivité des élèves à ces textes de théâtre : les copies montrent
qu’ils prolongent ou activent le pouvoir des contes sur l’imaginaire des enfants. Il ne s’agit
cependant pas ici, à partir de cette étude limitée, d’effectuer une généralisation : d’autres
textes de théâtre pourraient également nourrir les travaux des élèves.
Les élèves de la classe expérimentale avaient eu les résultats les plus faibles aux
premiers tests de lecture. Aussi on peut se demander si ces textes de théâtre et notamment les
contes dramatiques, dans un dispositif adéquat, permettent à davantage d’élèves ou à d’autres
élèves de s’approprier des éléments de culture, de s’y inscrire d’une façon plus personnelle,
dans la prise en compte de l’autre. Au-delà d’une habileté de mise en texte, de se constituer
en sujet-scripteur ou plutôt sujet écrivant, capable de « donner du sens au monde »,
d’ « élaborer l’émotion », de « mettre en ordre un monde intérieur » ou de « se l’approprier »
20
, de dire et de se dire ? Peut-être est-ce tout l’intérêt du théâtre, ce jeu entre identification et
mise à distance pour réflêchir sur soi. Le corpus étudié est modeste et il serait hasardeux de
conclure hâtivement. Mais ce sont des hypothèses qui méritent d’être travaillées.
19 Jauss, H.R., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
20 Nous renvoyons ici aux travaux de Bucheton, D. et Chabanne, J.-C., Ecrire en ZEP, Paris/Versailles,
Delagrave/CRDP, 2002, p.32.
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