Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur

Traverses, livre voyageur
Et puis cet au revoir qu’il a dit à la chienne sur
notre ile, une semaine avant l’enterrement, juste
avant l’ambulance pour l’Est. Cette larme que sa
pudeur a maintenue à l’abri des paupières. Ce « ma
pauvre chérie » qu’il a dit en sourdine en serrant ma
main fort. Cette phrase pour rassurer qu’il a servie à
sa femme. La tristesse qui n’a pas crispé ses traits.
***
Au micro, le curé parle depuis trois minutes et je
reviens de mes errances. J’imaginais le Beyrouth de
papi et voilà qu’il nous parle de Jérusalem. Il parait
que mon grand-père y est allé trois fois, ce qui serait
la preuve que, en dépit de l’agnosticisme qu’affichait
monsieur le mort, il était sans doute plus titillé par la
religion qu’il ne voulait bien dire.
De toute façon, l’homme en soutane affirme que,
par sa vie, la chose dans la boite devant lui a gagné le
paradis sans passer par la case purgatoire.
Même avec ses ouvriers, souvenez-vous, il a été
si bon. Bien sûr, ils l’appelaient Nasser ; bien sûr, les
grèves quelques fois, et pour tout le monde la faillite
à la fin. Mais toutes ces manifestations de peine de
leurs veuves. Certes, sur les maris, l’amiante a fait
effet plus tôt ; c’est vrai, l’hécatombe et papi en re-
La mélopée funeste
tard : à l’usine, les bureaux doivent mieux préserver
que les hangars. À qui la faute, on ne savait pas.
Et le curé de relater ces discussions avec papi, du
temps de sa retraite. Ils tenaient salon à l’en croire, le
village est si petit. Nul doute que le monsieur en robe
tire son homélie de rencontres personnelles avec son
invité du jour : je ne crois pas que, pour préparer la
grand-messe, mes tantes ou ma grand-mère aient dit
ces choses qu’il enrubanne. En tout cas, il est amusant
cet homme de Dieu ! Avec ses envolées lyriques,
il me donne le sourire à nous refaire l’histoire : de
quoi nourrir la légende que je raconte certains matins
devant ma glace.
Au moins, balivernes ou pas, il met plus de baume
sur mes pensées flottantes que ces insupportables cérémonies
laïques après les flammes du Père-Lachaise.
La pilule passe mieux que ces morts du sida à la pelle
des années 1990, lorsque nous défilions devant ces
anciens amis, réduits à la taille d’un cube qui tient
dans la main, sans même faire semblant d’invoquer le
supplément d’âme.
Au moins, qui sait pour cette fois, qui sait pour
tous les défunts : la portion congrue de la religion,
ce moment où elle fait catharsis, du silex à croyance
éphémère. Tant pis si ça ne dure pas, tant pis si les
doutes affluent pour le meilleur ou pour le pire le
reste du temps. Je veux la litanie et des chants pour
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