Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur

Traverses, livre voyageur
Que fait l’artiste, alors ? Eh bien, il entreprend
de compter le nombre de points contenus dans la
ligne !
- Voyons voyons, dit-il embarrassé par tant de
complications. Il se penche un peu plus sur le cercle
parfait et clos, tracé par lui sur le papier.
- Voyons voir ça d’un peu plus près...
Mais il a beau plisser des yeux et grimacer, il ne
voit là rien d’autre qu’un cercle clos.
- Aucun point là-dedans, ronchonne-t-il ? Con
Huchon ! Je suis pas fou, tout de même! Pas déjà,
pas maintenant ! Ouais, c’est sûr ! Y a pas à tortiller !
À tous les coups, on m’a refilé un cercle truqué !
Après mure réflexion, il cesse de se gratter le
menton et reprend.
- Voilà, c’est ça ! Chaque point suit chaque autre
point... et l’autre point, ben, il sait qu’il est suivi,
c’est logique... Alors il se cache, c’est ça, il se cache
du point qui le suit, pour pas être vu de lui ! Logique
ça, parce que c’est pas si facile d’espionner son
prochain, hein ! Et c’est pas non plus marrant de se
savoir suivi! À moins que... C’est ça, eurêka, s’exclame-t-il
! J’ai dû tracer le cercle deux fois au même
endroit ! J’ai fait tout de travers et deux cercles à
la fois ! Conclusion, le second cercle aura caché le
premier ! Mais pas moyen de l’effacer...
La bête noire
Il se lève, fait quelques pas, tergiverse et s’assoit.
C’est décidé, il tracera un nouveau cercle, sur une
feuille vierge.
- Un seul cercle et point final, cette fois ! Mais ce
qu’il faut, c’est que le tracé aboutisse exactement là
où il a commencé !
L’artiste s’empare du compas et commence son
oeuvre. Petit à petit, le cercle se referme, la ligne sombre
grignotant peu à peu l’espace libre. Cette épreuve
est terrible, périlleuse, encore quelques centimètres,
quelques millimètres, c’est vraiment pénible. Une
goutte de sueur tombée du front fiévreux de l’artiste
frappe soudain la jambe d’appui du compas. Celui-ci
bascule dans le vide, entrainant avec lui le malheureux
garçon qui tombe dans le cercle inachevé. Un
long hurlement, un choc, l’artiste se relève en titubant.
Sur sa tête, déformant le béret, enfle une bosse
impressionnante. Partout autour de lui s’étend un
désert de chiffon blanc.
Je suis maudit, pleure-t-il. Je suis artiste et je suis
tombé sur la tête ! Ma tête me fait très mal et elle
saigne !
Mais une voix céleste, celle peut-être de feu Monsieur
Huchon, lui recommande le calme, car enfin il
n’a pas fini son travail. L’artiste discipliné se reprend,
fait quelques pas hésitants, hume l’air, la truffe au
vent, soudain se fige, stupéfait. À ses pieds gronde un
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