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Les arts martiaux : une psychomotricité intégrative - Faculté de ...

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Avant-propos<br />

O. R. Grim nous propose ici un texte qui abor<strong>de</strong> simplement <strong>de</strong>ux composantes essentielles <strong>de</strong>s Arts<br />

<strong>martiaux</strong> : agressivité et violence. Leur gestion, qu’il pense sous forme <strong>de</strong> « recyclage », <strong>de</strong>vient la<br />

pierre angulaire autour <strong>de</strong> laquelle il fait ses prescriptions d’<strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong>. Ses connaissances<br />

étendues <strong>de</strong> diverses techniques martiales lui permettent <strong>de</strong> nous promener à travers celles-ci.<br />

Presque comme l’on fait son marché, il est possible après cette lecture <strong>de</strong> choisir l’art martial qui<br />

pourrait nous convenir, ceci en fonction <strong>de</strong> notre âge, notre personnalité et même <strong>de</strong> notre armature<br />

tonique. Là encore, nous retrouvons un auteur expert en <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> qui écrit avec cette pensée<br />

qu’en cas d’agression, pour préserver sa vie, si possible, il faut préférer la fuite. Finalement, il nous<br />

convaint que les techniques <strong>de</strong> combats forment à jogger sur les chemins <strong>de</strong> la vie.<br />

Olivier R. Grim<br />

LES ARTS MARTIAUX : UNE PSYCHOMOTRICITE INTEGRATIVE<br />

A<br />

Gichin Funakoshi « père » du Karaté « mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean-Pierre Vignau pour le Karaté-Do<br />

Yan <strong>de</strong> Haan pour le Iaï-Do, le Kobudo et l’Aïkido,<br />

Charles Abelé pour l’Aïkido,<br />

Henry Plée pour le Kakuto Bujutsu.<br />

1


Tout un univers.<br />

L’esprit d’un seul être ne peut embrasser d’un geste l’univers <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> dits « <strong>martiaux</strong> », tant<br />

ce <strong>de</strong>rnier est vaste. Au sein <strong>de</strong> cette immensité il lui serait tout aussi vain <strong>de</strong> vouloir d’un regard<br />

apprécier, parmi tant d’autres, la galaxie « Karaté », amas d’étoiles <strong>de</strong>nse et complexe où même un<br />

gui<strong>de</strong> expérimenté peut à chaque instant perdre son chemin. Irrémédiablement. Dans ce tourbillon<br />

d’astres peut-être parviendra-t-il à repérer quelques constellations aux noms exotiques : Shotokan,<br />

Ueshiryu, Kokushinkaï 1 . Enfin si notre astronome réussit à i<strong>de</strong>ntifier parmi ces corps stellaires<br />

quelques planètes comme les kihon, les kumité, les kata 2 , et à s’y plonger pour un bain dont la<br />

nature, la vocation, la durée et les effets dépendront avant tout <strong>de</strong> ses motivations conscientes et<br />

surtout inconscientes, il finira par en tirer ses vérités. C’est à dire un résultat parfois difficile à<br />

communiquer, pas forcement compris, reçu ou i<strong>de</strong>ntifié comme tel. De là à parler <strong>de</strong> La Vérité il y a<br />

… tout un univers.<br />

Le Karaté.<br />

Ces réserves apéritives posées, qu’est ce que le Karaté ? Lisons Roland Habersetzer :<br />

« Le Karaté est la forme japonaise d’<strong>une</strong> technique <strong>de</strong> combat sans armes,<br />

mains et pieds nus ; c’est <strong>une</strong> forme d’attaque et <strong>de</strong> défense qui repose exclusivement<br />

sur l’utilisation rationnelle <strong>de</strong>s possibilités naturelles offertes par le corps humain ;<br />

elle consiste en un ensemble <strong>de</strong> coups frappés (atémis), soit <strong>de</strong>s membres supérieurs<br />

(poing, main, cou<strong>de</strong>, avant-bras) soit <strong>de</strong>s membres inférieurs (pieds, genoux) ; ces<br />

1 Le karaté est protéïforme. Henry Plée (2002) recense plus <strong>de</strong> 700 styles différents. Cette forme <strong>de</strong> combat sans armes<br />

importé d’In<strong>de</strong> via la Chine, organisée en écoles (ryu), est issue <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux intentions différentes. La première : Shorin<br />

met l’accent sur <strong>de</strong>s techniques amples et rapi<strong>de</strong>s, le secon<strong>de</strong> : Shorei insiste plus sur la contraction et la force. Ces<br />

<strong>de</strong>ux intentions ont donné <strong>de</strong> générations en générations <strong>de</strong> chefs d’écoles, <strong>une</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> styles très variés, basés à<br />

la fois sur la vision du « maître » et sur un totémisme où il est fait références aux qualités combatives prêtées à un<br />

animal. Il y a ainsi le style <strong>de</strong> la grue, du tigre, du singe, du serpent, etc.<br />

2 <strong>Les</strong> trois « K » forment la base sur laquelle s’appuie l’apprentissage du karaté. Ennio Falsoni (1984) traduit Kihon par<br />

« fondamental ». Ce travail solitaire, parmi les autres, consiste en la répétition sur place ou en déplacement, <strong>de</strong><br />

techniques <strong>de</strong> base où le pratiquant se trouve engagé « corps et âme » dans <strong>une</strong> succession plus ou moins complexe <strong>de</strong><br />

défenses et d’attaques. Kumité, littéralement la rencontre (kumi) <strong>de</strong> mains (té), exprime <strong>une</strong> idée <strong>de</strong> combat. Le<br />

Kihon-Kumité, combat fondamental où les techniques <strong>de</strong> défenses et d’attaque sont convenues à l’avance peut être<br />

considéré comme <strong>une</strong> étape intermédiaire vers le Jiyu-Kumité, le combat libre. Le Kata, traduisible par forme, est un<br />

combat fictif chorégraphié, <strong>une</strong> succession prédéterminée <strong>de</strong> défenses et d’attaques contre <strong>de</strong>s adversaires imaginaires<br />

qui attaquent sous divers angles. Chaque école possè<strong>de</strong> sa « bibliothèque » <strong>de</strong> kata sensée renfermer tout le savoir <strong>de</strong><br />

son style.<br />

2


coups sont portés soit sur <strong>de</strong>s points très précis et vulnérables (points vitaux) du corps<br />

<strong>de</strong> l’adversaire, soit sur le membre, bras ou pied, avec lequel il attaque ; dans ce cas la<br />

technique frappée est un blocage, en soi déjà très éprouvant pour l’adversaire ; elle est<br />

alors immédiatement suivie d’<strong>une</strong> contre-attaque décisive, en général par un autre<br />

coup frappé. Dans sa forme caractéristique le karaté est <strong>une</strong> escrime <strong>de</strong>s bras et <strong>de</strong>s<br />

jambes, les <strong>de</strong>ux servant indifféremment à parer <strong>une</strong> attaque adverse ou à riposter ; il<br />

est complété par <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> luxations, <strong>de</strong> projections et <strong>de</strong> renversement ; en<br />

fait le karaté comporte tous les moyens pour la mise hors <strong>de</strong> combat d’un assaillant ;<br />

rien, aucun coup ni auc<strong>une</strong> prise, n’est interdit » (1986, p. 15).<br />

Le ton est donné. Nous nous séparons ici <strong>de</strong>s « sports <strong>de</strong> combat », même si ces <strong>de</strong>rniers peuvent<br />

revêtir les oripeaux d’<strong>une</strong> violence certaine où les blessures, parfois spectaculaires, sont monnaie<br />

courante. Dans ces disciplines, il s’agit pour <strong>une</strong> gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> dominer l’autre au sens éthologique<br />

du terme, et non pas <strong>de</strong> tuer, ce qui est un <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong>s « <strong>arts</strong> <strong>de</strong> la guerre 3 ». Dans ce droit fil, les<br />

« <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> » sont <strong>une</strong> pure expression <strong>de</strong> la violence fondamentale définie par Jean Bergeret<br />

(2000), qu’il distingue nettement <strong>de</strong> l’agressivité qui trouverait elle matière à s’exprimer dans les<br />

« sports <strong>de</strong> combats ». Pour notre propos voyons en quels termes cet auteur opère cette distinction.<br />

Violence et agressivité.<br />

Jean Bergeret postule l’existence en l’Homme d’<strong>une</strong> violence naturelle innée mise au service<br />

<strong>de</strong> la préservation <strong>de</strong> la vie. Il rejoint en cela l’éthologie <strong>de</strong> Karl Lorenz (1969) où est montrée « la<br />

présence universelle d’<strong>une</strong> violence première chez les êtres vivants et sa nécessité initiale pour la<br />

survie <strong>de</strong>s espèces et <strong>de</strong>s individus » (Bergeret, 2000, p. 179). Par les instincts d’auto-conservation, il<br />

s’agit <strong>de</strong> résoudre l’équation radicale : « C’est lui ou moi ». Dans un tel contexte, un seul survit.<br />

Cette perspective conduit Jean Bergeret à attirer notre attention sur le fait <strong>de</strong> ne pas confondre<br />

violence et agressivité. La première serait plutôt du côté <strong>de</strong> la vie, la secon<strong>de</strong> plutôt du côté <strong>de</strong><br />

l’amour.<br />

3 Martial a été réemprunté (1355) au latin martialis : « <strong>de</strong> Mars » à la fois dieu <strong>de</strong> la guerre et référence à la planète. Il<br />

a pris le sens spécialisé <strong>de</strong> « contenant du fer » dans le jargon alchimique (1694) où la coutume est d’attribuer un nom<br />

<strong>de</strong> planète à un métal. Cette appellation provient donc <strong>de</strong> l’emploi symbolique simultané du nom <strong>de</strong> la planète Mars -le<br />

fer est le métal dont ont fait les armes-, et celui du dieu <strong>de</strong> la guerre.<br />

3


En premier lieu nous trouvons, tel un soubassement, <strong>une</strong> poussée instinctuelle primitive,<br />

considérée comme un « instinct » <strong>de</strong> type animal. Jean Bergeret la dénomme violence fondamentale,<br />

car « elle touche aux fondations (aux sens architectural et étymologique : fondamentum) <strong>de</strong> toute<br />

structure <strong>de</strong> la personnalité, quelle que puisse être cette structure » (2000, p.9). Ici, le principal objet<br />

<strong>de</strong>meure le sujet lui-même en situation <strong>de</strong> survie. En second lieu, étayée sur la violence<br />

fondamentale, nous trouvons l’aventure œdipienne où l’agressivité, dans <strong>une</strong> perspective freudienne,<br />

s’articule avec la sexualité. Au sein d’<strong>une</strong> vectorisation libidinale, l’agressivité serait le résultat <strong>de</strong> la<br />

dissolution <strong>de</strong> la violence primitive, avec tout le prolongement relationnel que cela suppose dans<br />

l’imaginaire. La conception essentiellement ambivalente du conflit œdipien, ce théâtre où la capacité<br />

d’aimer et <strong>de</strong> haïr en même temps le même objet est mise en scène, se trouve être le lieu privilégié<br />

<strong>de</strong> cette agressivité. Pour Jean Bergeret, le travail d’intégration <strong>de</strong> la violence par la libido est<br />

toujours progressif, irrégulier et jamais totalement terminé. Violence et agressivité présentent en<br />

outre <strong>de</strong>s caractéristiques comm<strong>une</strong>s : elles s’accumulent en l’être et se transmettent. Se pose alors<br />

l’épineuse question <strong>de</strong> leur recyclage.<br />

Le cerveau triunique.<br />

Démontrant collatéralement combien l’avenir <strong>de</strong>s sciences se trouve dans l’interdisciplinarité,<br />

ces considérations psychanalytiques se recoupent avec les théories neuro-bio-psychologiques <strong>de</strong> Paul<br />

D. MacLean (1990) sur ce qu’il nomme le cerveau triunique. Il écrit sur ce sujet :<br />

« L’homme se trouve dans cette situation complexe : la nature l’a doté<br />

essentiellement <strong>de</strong> trois cerveaux qui, en dépit <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s différences <strong>de</strong> structure,<br />

doivent fonctionner ensemble et communiquer entre eux. Le plus ancien, le cerveau <strong>de</strong><br />

base, est reptilien, le <strong>de</strong>uxième est un héritage <strong>de</strong>s mammifères primitifs, et le troisième<br />

est un développement récent du type mammifère. C’est ce <strong>de</strong>rnier qui, chez les<br />

primates, au point culminant <strong>de</strong> son développement, a tout spécialement donné<br />

l’homme » (1962, pp. 289-301).<br />

4


Paul MacLean appuie ses propositions sur le comportement relationnel humain où il<br />

distingue le verbal et le non verbal : « Bien <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> communications non verbales révèlent <strong>une</strong><br />

ressemblance avec les types <strong>de</strong> comportements animaux, <strong>de</strong>s reptiles aux primates » (1990, p. 84).<br />

Sans nous perdre dans <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions neuro-anatomiques complexes qui dépassent le cadre du<br />

présent article et les compétences <strong>de</strong> son auteur, la théorie mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>s trois cérébrotypes <strong>de</strong> Paul<br />

MacLean concerne le cerveau <strong>de</strong> l’avant ou télencéphale, ainsi nommé par les spécialistes. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier comprend au plancher la partie du cerveau la plus ancienne dont l’homme ait hérité.<br />

Essentiellement du type reptilien, elle forme la partie centrale du tronc cérébral et comprend la plus<br />

gran<strong>de</strong> partie du système réticulé, le mésencéphale et les ganglions <strong>de</strong> la base. Ce cerveau dit<br />

« reptilien 4 » est nommé par Paul MacLean : le complexe R ou strié ». En position médiane nous<br />

trouvons le système limbique 5 , encore appelé paléo-mammifère. Présente chez tous les mammifères,<br />

cette formation est venue au cours <strong>de</strong> l’Évolution s’étendre par-<strong>de</strong>ssus le complexe R. Cette région<br />

<strong>de</strong> bordure entre le tronc cérébral et le néo-cortex fut dénommée par certains auteurs : « cerveau<br />

viscéral ou affectif ». <strong>Les</strong> spécialistes ont coutume <strong>de</strong> comparer cette région du cerveau à <strong>une</strong><br />

raquette <strong>de</strong> tennis. Le manche est formé par le bulbe olfactif et le pédoncule olfactif. L’anneau<br />

externe du cadre est formé par le gyrus cingulaire 6 en haut, le gyrus parahippocampique en bas,<br />

l’aire sous-calleuse et l’isthme entre les <strong>de</strong>ux. L’arc interne du système limbique se compose du<br />

septum et <strong>de</strong> la région septale, <strong>de</strong>s tubercules mamillaires, <strong>de</strong> la circonvolution <strong>de</strong> l’hippocampe, <strong>de</strong>s<br />

noyaux <strong>de</strong> l’amygdale et du fornix. Le système limbique possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s connexions avec<br />

l’hypothalamus et le thalamus, les noyaux gris <strong>de</strong> la base et la formation réticulée du tronc cérébral.<br />

Enfin au troisième étage : le néo-cortex. En phylogénie, Judson Herrick (1961) qualifie d’explosive<br />

la croissance du néo-cortex. C’est l’<strong>une</strong> <strong>de</strong>s plus spectaculaires transformations connues en anatomie<br />

4 Roland Guyot apporte les précisions suivantes : « Quand on parle <strong>de</strong> cerveau reptilien (qu’on appelle aussi<br />

fréquemment cerveau hypothalamique), <strong>de</strong>ux sens peuvent, en somme, être utilisés : soit on désigne l’ensemble<br />

rhombencéphale, mésencéphale, diencéphale, plus corps striés (sens large), soit on ne désigne que ce qui en est la<br />

partie génétiquement supérieure, c’est-à-dire la plus évoluée dans le temps, le complexe strié (sens strict) » (1990, p.<br />

205).<br />

5 De limbus, bord du cerveau.<br />

6 Le gyrus cingulaire ou circonvolution limbique -terme emprunté à Broca- a donné son nom à tout le système dont la<br />

plus gran<strong>de</strong> partie constitue le système limbique non olfactif.<br />

5


comparée. Par ces proportions massives chez les mammifères les plus évolués, il est également<br />

désigné sous le vocable <strong>de</strong> cerveau néo-mammalien. Paul MacLean le définit ainsi :<br />

« Le néo-cortex culmine dans le cerveau humain où se développe à cet endroit <strong>une</strong><br />

mégalopole <strong>de</strong> cellules nerveuses vouées à la production du langage symbolique et aux fonctions<br />

associées <strong>de</strong> lecture, écriture et calcul. Mère <strong>de</strong> l’invention et père <strong>de</strong> la pensée abstraite, le néocortex<br />

promeut la préservation et la procréation <strong>de</strong>s idées » (1990, p. 67).<br />

Le néo-cortex ou néo-pallium représente 85% du volume total <strong>de</strong> l’encéphale chez l’homme.<br />

Pour chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux hémisphères, il comporte plusieurs lobes : frontal, pariétal, temporal et<br />

occipital 7 . Le siège <strong>de</strong>s activités supérieures intellectuelles se situe en avant <strong>de</strong>s régions motrices et<br />

pré-motrices <strong>de</strong>s lobes frontaux 8 . Ces <strong>de</strong>rniers représentent ensemble 40 % du volume total du néo-<br />

cortex 9 . Absentes chez le singe et le dauphin, les zones frontale et préfrontale sont considérées par<br />

les spécialistes comme un véritable cerveau supplémentaire. Qualifiées <strong>de</strong> tertiaires, les aires<br />

préfrontales, purement associatives, ne présentent pas <strong>de</strong> spécificités fonctionnelles limitées modales<br />

et traitent donc simultanément les informations <strong>de</strong> diverses modalités sensorielles, visuelles,<br />

auditives, somesthésiques fournies par les aires secondaires 10 .<br />

Selon Paul MacLean, le complexe R, le système limbique et le néo-cortex constituent<br />

<strong>une</strong> hiérarchie <strong>de</strong> trois cerveaux en un : le cerveau triunique, et cet édifice nous contraint à « jeter un<br />

regard sur le mon<strong>de</strong> et sur nous-mêmes à travers trois mentalités complètement différentes »<br />

(MacLean, 1990, p. 46). Dans cette perspective il ajoute <strong>de</strong> manière très percutante : « Quelle valeur<br />

pouvons-nous accor<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s tests d’intelligence qui ignorent largement <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> nos personnalités,<br />

toujours présentes en nous, même si dans le passé elles n’ont jamais pu apprendre à lire et à<br />

7<br />

Paul Chauchard (1966a, 1966b) nomme l’ensemble <strong>de</strong> ces quatre lobes le cerveau noétique, du grec noèse : « par<br />

lequel on pense ».<br />

8<br />

Aujourd’hui on pense plutôt que les activités dites « supérieures » s’inscrivent un peu partout dans les quatre lobes<br />

avec <strong>une</strong> concentration particulière dans la zone préfrontale.<br />

9<br />

Environ 500 grammes sur les 1200 du néo-cortex, 300 g pour le système limbique.<br />

10<br />

<strong>Les</strong> aires primaires <strong>de</strong> projection reçoivent uniquement les stimuli du même genre : les aires occipitales 17 et 18 par<br />

exemple traitent uniquement les stimuli optiques. La spécificité <strong>de</strong>s aires secondaires est plus large et leur<br />

organisation non étroitement somatotopique.<br />

6


écrire ? » 11 . Malgré <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> différences structurelles et chimiques, ces trois types <strong>de</strong> cerveaux<br />

doivent fonctionner en harmonie comme s’il s’agissait d’un cerveau unique. Paul MacLean use<br />

d’<strong>une</strong> métaphore automobile pour nous faire comprendre comment « l’ensemble » fonctionne. Au<br />

cours <strong>de</strong> l’Évolution, le cerveau comme « voiture » a acquis trois conducteurs situés « à l’avant » et<br />

incarnant un esprit différent, avec chacun sa part spécifique <strong>de</strong> motricité, <strong>de</strong> subjectivité,<br />

d’intelligence, d’appréciation du temps et <strong>de</strong> l’espace, <strong>de</strong> mémoire propre, etc.<br />

Le conducteur reptilien.<br />

Des reptiles aux mammifères jusqu’aux primates, le conducteur reptilien jouerait un<br />

rôle fondamental dans l’organisation du comportement présémantique 12 . Il est également impliqué<br />

dans la reconnaissance <strong>de</strong> l’autre à l’intérieur <strong>de</strong> l’espèce. Comme cortex primitif, il est un moyen <strong>de</strong><br />

la nature pour doter son possesseur <strong>de</strong>s meilleurs outils pour la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong><br />

l’environnement et la survie. Il a <strong>une</strong> mémoire parfaite <strong>de</strong> ce que ses « ancêtres » ont appris à faire<br />

pendant <strong>de</strong>s millions d’années. Pauvrement équipé pour apprendre à faire face à <strong>de</strong>s situations<br />

nouvelles, il est esclave <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s acquisitions antérieures et du rituel. Rapporté à Homo<br />

sapiens sapiens, Paul MacLean en écrit : « Laissé à ses propres moyens, le reptile qu’il y a en<br />

l’homme fait ce qu’il doit faire » (1990, p. 57). Pour notre propos, les <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> dans leurs<br />

pratiques et leurs expressions, considérés comme savoir-faire pour survivre, s’adresseraient à cette<br />

partie <strong>de</strong> notre cerveau, substratum biologique nécessaire à l’expression <strong>de</strong> la violence fondamentale<br />

dont parle Jean Bergeret. Dans cette perspective, le télencéphale ne serait pas à chaque génération<br />

<strong>une</strong> cire vierge sur laquelle peuvent être gravées, mises en mémoire et communiquées toutes sortes<br />

d’expériences. Ainsi le comportement humain ne serait pas uniquement le fruit <strong>de</strong> la transmission<br />

culturelle <strong>de</strong> la connaissance et <strong>de</strong>s contenus d’<strong>une</strong> génération à l’autre. Le cerveau ne serait pas la<br />

11 Ib. p. 46.<br />

12 Il est inapproprié <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> communication non-verbale chez les animaux. Paul MacLean utilise le mot<br />

présémantique, dérivé du grec pro-séman, pour désigner la communication élémentaire qui comprend toutes sortes <strong>de</strong><br />

signes non-verbaux : signaux vocaux, corporels, chimiques.<br />

7


« table rase » chère à John Locke 13 (1690). Pour reprendre la métaphore phonographique, la cire<br />

serait déjà gravée et, dans certaines circonstances liées notamment à la survie, cette gravure « ferait<br />

entendre sa voix ». Paul MacLean a décrypté cette empreinte reptilienne et i<strong>de</strong>ntifié, à partir <strong>de</strong><br />

l’observation d’activités spécifiques liées à l’établissement, la défense, l’utilisation et la socialisation<br />

du territoire, cinq formes générales du comportement dit « <strong>de</strong> base » impliquées dans l’auto-<br />

conservation et la survie <strong>de</strong> l’espèce. En premier lieu nous trouvons le comportement isopraxique où<br />

au moins <strong>de</strong>ux individus effectuent ensemble la même activité. En second lieu le comportement<br />

persévératif, responsable <strong>de</strong> la répétition d’actes dans le but <strong>de</strong> renforcer un signal comme dans les<br />

para<strong>de</strong>s amoureuses ou <strong>de</strong> défis. En troisième lieu, le comportement répétitif où il s’agit par exemple<br />

<strong>de</strong> suivre toujours le même itinéraire ou <strong>de</strong> retourner chaque année au même endroit. En quatrième<br />

lieu le comportement d’orientation, caractérisé par <strong>de</strong>s réponses positives ou négatives organisées en<br />

schémas d’actions stéréotypés face à <strong>de</strong>s reproductions partielles ou complètes d’êtres vivants ou<br />

d’objets inanimés. Enfin en cinquième lieu le comportement <strong>de</strong> camouflage, où il s’agit <strong>de</strong> mettre en<br />

œuvre artifices et ruses pour échapper à un prédateur ou se saisir d’<strong>une</strong> proie. Ces comportements<br />

interopératifs 14 observés couramment chez les reptiles et les mammifères se retrouvent chez Homo<br />

sapiens sapiens. Il est même fascinant <strong>de</strong> constater combien les <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> s’appuient sur eux et<br />

les renforcent. Voici en effet <strong>de</strong>s pratiquants « fédérés en collèges » qui se retrouvent dans <strong>une</strong><br />

parfaite isopraxie pour s’adonner <strong>de</strong> concert à la même activité souvent plusieurs fois par semaine et<br />

pendant <strong>de</strong> nombreuses années. Avec <strong>une</strong> persévération généralement sans faille, ils répéteront les<br />

règles qui régissent l’étiquette <strong>de</strong> leur style : le port du karaté-gi -improprement appelé kimono- et <strong>de</strong><br />

la mythique ceinture, les règles <strong>de</strong> saluts, <strong>de</strong> combats. Ils seront répétitifs dans la fidélité à leur lieu<br />

d’entraînement, au moyen et au trajet pour s’y rendre. Ils renforceront leurs comportements<br />

d’orientation dans l’apprentissage <strong>de</strong> modèles standardisés <strong>de</strong> réponses à donner en situations <strong>de</strong><br />

13 « C’est <strong>une</strong> opinion bien établie parmi certains hommes qu’il y a dans l’enten<strong>de</strong>ment certains principes innés<br />

imprimés en l’esprit <strong>de</strong> l’homme dès son arrivée dans le mon<strong>de</strong> » (cité par Geneviève Brykman, 1985, p. 170). John<br />

Locke fera <strong>une</strong> critique systématique <strong>de</strong> toute forme <strong>de</strong> savoir inné en l’homme.<br />

14 Ces cinq façons typiques <strong>de</strong> se comporter -manifestations automatiques <strong>de</strong> l’instinct-, sont qualifiées<br />

d’interopératives par Paul MacLean car elles se retrouvent au travers <strong>de</strong> toutes les activités liées au territoire.<br />

8


défense et d’attaque face à leurs partenaires ou leurs substituts : sacs <strong>de</strong> frappe, armes. Par l’usage <strong>de</strong><br />

tactiques plus ou moins sophistiquées, ils développeront l’art du camouflage.<br />

A côté <strong>de</strong> ces cinq formes générales <strong>de</strong> comportement, homo sapiens sapiens, comme<br />

les autres vertébrés terrestres, développe quatre postures <strong>de</strong> communication sociale présémantique,<br />

qu’il peut associer ou non au langage parlé -là rési<strong>de</strong> son privilège. En premier lieu nous trouvons la<br />

posture d’i<strong>de</strong>ntification. Elle permet à l’individu <strong>de</strong> se faire reconnaître au sein d’un groupe et traduit<br />

l’affirmation <strong>de</strong> soi. Vient ensuite la posture <strong>de</strong> défi : le sujet se donne <strong>une</strong> plus gran<strong>de</strong> importance à<br />

la fois physique et psychologique pour établir, maintenir <strong>une</strong> dominance ou repousser un<br />

envahisseur. La posture <strong>de</strong> séduction, toujours en lien avec la posture d’i<strong>de</strong>ntification, met en jeu<br />

tous les atours <strong>de</strong> l’individu pour trouver un partenaire sexuel. La posture <strong>de</strong> soumission permet au<br />

sujet, à l’issue d’un combat défavorable pour lui, d’apaiser son adversaire, d’éviter tout risque<br />

d’escala<strong>de</strong> violente et par là-même le risque <strong>de</strong> mettre la vie « en jeu » 15 .<br />

Dans cette perspective, si nous portons notre attention sur les sports <strong>de</strong> combat, nous<br />

constatons combien ces <strong>de</strong>rniers reproduisent et renforcent ces quatre postures. Dans le cas du karaté<br />

sportif 16 , sous l’œil d’arbitres et d’un public, <strong>de</strong>ux combattants montent sur le tatami 17 . Par le jeu<br />

subtil <strong>de</strong>s saluts, <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s regards, les postures d’i<strong>de</strong>ntification et <strong>de</strong> défi se mettent en place<br />

et ren<strong>de</strong>nt compte d’un authentique rituel <strong>de</strong> provocation, d’intimidation où il s’agit, comme le<br />

souligne Henry Plée (1998), <strong>de</strong> faire comprendre à l’autre qu’il n’a pas intérêt à se battre avec vous.<br />

A l’issue du Shiai 18 , parfaite illustration du rituel d’affrontement, c’est à dire un assaut<br />

15<br />

La coupe <strong>de</strong> cheveux à « l’iroquoise » d’un punk, ses accessoires cloutés, son maquillage gothique, ses tatouages et<br />

pearcings, ses vêtements para-militaires, son allure générale, sa manière <strong>de</strong> se déplacer, <strong>de</strong> parler, sont autant<br />

d’éléments pour être i<strong>de</strong>ntifié, pour défier, séduire et éventuellement pratiquer le rituel <strong>de</strong> soumission. Il en est <strong>de</strong><br />

même pour le skinhead, le polytechnicien, le rappeur, l’énarque, l’aristocrate <strong>de</strong> province, etc. Tous et toutes ont à<br />

recycler, avec plus ou moins <strong>de</strong> bonheur, agressivité et violence. Ceci ne fait bien sûr pas l’impasse <strong>de</strong>s ressorts<br />

inconscients à l’œuvre dans cette affaire.<br />

16<br />

La démonstration peut être appliquée à tous les sports.<br />

17<br />

Aire <strong>de</strong> combat ou d’entraînement constituée d’un patchwork <strong>de</strong> tapis eux-mêmes inspirés du revêtement <strong>de</strong> sol<br />

traditionnel <strong>de</strong> la maison japonaise.<br />

18<br />

Roland Habersetzer (1986a, 1986b, 1987) traduit Shiai par compétition.<br />

9


conventionnel entre <strong>de</strong>ux individus <strong>de</strong> la même espèce où la règle implicite est : « on ne tue jamais et<br />

on ne blesse jamais grièvement un adversaire », un vainqueur sera déclaré. La rencontre « sportive »<br />

-dont la maxime reste et <strong>de</strong>meure « que le meilleur gagne »-, s’achèvera par l’établissement d’<strong>une</strong><br />

hiérarchie symbolisée par la remise <strong>de</strong>s médailles d’or, d’argent et <strong>de</strong> bronze. En d’autres termes,<br />

seront désignés en un parfait rituel <strong>de</strong> domination, un « dominant » et <strong>de</strong>s « dominés ». La fin <strong>de</strong> ce<br />

type <strong>de</strong> combat rituel est toujours ponctuée par un salut souvent accompagné <strong>de</strong> quelques mots<br />

lorsque les protagonistes font preuve <strong>de</strong> fair-play. Le vaincu adopte un profil bas, évite <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

dans les yeux, reconnaît verbalement avoir perdu, la sincérité est ici importante car sinon <strong>de</strong> part et<br />

d’autre la tension ne <strong>de</strong>scend pas et se conserve jusqu’à la prochaine confrontation. Le vainqueur,<br />

s’il fait preuve d’intelligence, désamorcera le stress et la frustration du vaincu par un rituel <strong>de</strong><br />

soumission inversé comme le qualifie Henry Plée, en acceptant la soumission <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier et en<br />

l’apaisant par <strong>de</strong>s mots comme : « j’ai eu beaucoup <strong>de</strong> chance cette fois-ci, la prochaine fois ce sera<br />

toi ». Rituel <strong>de</strong> soumission et sa forme inversée sont les gages <strong>de</strong> la paix. Ceux dont l’ego trop<br />

« développé » empêche <strong>de</strong> pratiquer ces rituels essentiels s’exposent en retour à la haine et la<br />

vengeance. Dans le règne animal ce rituel est scrupuleusement appliqué, là où homo sapiens<br />

sapiens est capable <strong>de</strong> s’écharper pour <strong>une</strong> place <strong>de</strong> parking ou dans <strong>une</strong> file d’attente. Le « sage<br />

savant » 19 (?) serait-il l’animal le plus bête <strong>de</strong> toute la Création ? Un certain nombre <strong>de</strong> spécialistes<br />

en éthologie martiale ne sont pas loin <strong>de</strong> le penser. La faute sans doute à son échafaudage cérébral :<br />

<strong>une</strong> merveilleuse invention dont la rapidité relative d’apparition sur l’échelle évolutive expliquerait<br />

la gran<strong>de</strong> fragilité. Dans la nature, le dojo 20 ou les sta<strong>de</strong>s, les rituels <strong>de</strong> provocation, d’affrontement<br />

et <strong>de</strong> domination sont au service du rituel <strong>de</strong> sélection, et ce <strong>de</strong>rnier débouche « naturellement » sur<br />

le rituel <strong>de</strong> séduction. <strong>Les</strong> médaillés d’or, les « champions du mon<strong>de</strong> », les vainqueurs sont toujours<br />

19 Une traduction littérale <strong>de</strong> sapiens sapiens.<br />

20 Littéralement le « lieu (jo) où l’on cherche la voie (do) », plus prosaïquement la salle d’entraînement.<br />

10


entourés par un essaim <strong>de</strong> jolies femmes et le hasard n’a rien à voir dans l’affaire 21 . Lisons sur ce<br />

point Henry Plée :<br />

« Que se passe-t-il lorsqu’au cours <strong>de</strong> kumité ou <strong>de</strong> randori, <strong>une</strong> belle visiteuse entre<br />

dans un dojo, s’assied en croisant négligemment les jambes et ébouriffe sa chevelure d’un air<br />

indifférent ? L’entraînement tourne à la bagarre sans merci » (1998, p. 293).<br />

Reste alors à déployer tout son savoir faire en matière <strong>de</strong> séduction pour <strong>de</strong> part et d’autre<br />

convoler. Ce type <strong>de</strong> lecture rejoint les conclusions méta-psychologiques <strong>de</strong> Jean Bergeret sur<br />

l’agressivité dont les expressions ritualisées au sein d’<strong>une</strong> vectorisation libidinale sont au service <strong>de</strong><br />

l’amour. La violence fondamentale décrite et analysée par cet auteur comme mise au service <strong>de</strong> la<br />

vie est également décryptée dans le même sens en éthologie martiale et clairement différenciée <strong>de</strong><br />

l’agressivité rituelle. Si notre interlocuteur rouge <strong>de</strong> colère grimace, hurle et nous insulte avec <strong>de</strong>s<br />

yeux exorbités et s’il gesticule dans <strong>une</strong> posture haute avec le poing brandi, alors il sort toute sa<br />

panoplie rituelle pour être extérieurement le plus impressionnant possible. Cet individu-là, même s’il<br />

attaque, est rarement dangereux. Si au contraire il blêmit -son sang afflue vers l’intérieur du corps<br />

pour prévenir les méfaits hémorragiques d’<strong>une</strong> éventuelle blessure-, si sa pupille rétrécit, s’il ne crie<br />

plus ni ne parle, s’il baisse son centre <strong>de</strong> gravité comme pour bondir et <strong>de</strong> surcroît gar<strong>de</strong> les mains<br />

ouvertes, alors ce sujet est <strong>de</strong>venu un prédateur « reptilien » près à vendre chèrement sa vie. La<br />

sagesse -dans la perspective où l’on ne parviendrait pas à le calmer en le faisant parler par exemple-,<br />

serait alors <strong>de</strong> prendre ses jambes à son cou et <strong>de</strong> mettre la plus gran<strong>de</strong> distance possible entre lui et<br />

nous. Une autre perspective, notamment celle dictée par un ego trop volumineux, serait <strong>de</strong>s plus<br />

déraisonnable. Pour lui comme pour nous 22 .<br />

21<br />

Il en va <strong>de</strong> même pour les championnes, même si l’équivalence -comme dans le cas <strong>de</strong> l’Œdipe et <strong>de</strong> sa résolutionne<br />

joue pas exactement la symétrie terme à terme.<br />

22<br />

L’expression populaire « gar<strong>de</strong>r son sang-froid », allusion au reptile, prend ici toute son épaisseur.<br />

11


Nous sommes loin d’un regard réducteur où le complexe R ferait uniquement partie du<br />

système moteur contrôlé par l’aire motrice du néo-cortex ; d’<strong>une</strong> vision scolastique<br />

neurophysiologique où homo sapiens sapiens serait réduit à un sac <strong>de</strong> gènes et <strong>de</strong>s circuits<br />

informatiques précablés, propre à être chosifier et instrumentaliser 23 . D’un autre côté, il ne faut pas<br />

perdre <strong>de</strong> vue qu’<strong>une</strong> vision scolastique théologique ou psychanalytique <strong>de</strong> l’être humain peut<br />

empêcher <strong>de</strong> voir combien l’homme est aussi un animal. Ecarter le regard ontophylogénétique n’est<br />

pas sans conséquence lorsqu’on évoque l’animalité <strong>de</strong> l’Homme ou en l’Homme dans <strong>une</strong><br />

perspective religieuse 24 ou métapsychologique 25 . La vérité est ailleurs. Paul MacLean indique le<br />

chemin lorsqu’en a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong>s neurosciences, il fait référence à la secon<strong>de</strong> topique freudienne 26 pour<br />

faire comprendre comment fonctionne le cerveau du reptile :<br />

« C’est comme si le cerveau du reptile était sous la dépendance névrotique d’un surmoi<br />

ancestral qu’il conserverait tout en ne disposant pas du mécanisme neuronal propre à lui<br />

permettre <strong>de</strong> se confronter à <strong>de</strong>s situations nouvelles et <strong>de</strong> s’y adapter » (1990, p. 103).<br />

23 L’eugénisme sous toutes ses formes en est <strong>une</strong> <strong>de</strong>s expressions. Le sort réservé aux sportifs <strong>de</strong> « haut niveau » en est<br />

<strong>une</strong> autre. La négation <strong>de</strong> la découverte freudienne <strong>de</strong> l’inconscient, <strong>une</strong> troisième.<br />

24 Dominique Lecourt, dans L’Amérique entre la Bible et Darwin (1992), rappelle la mésaventure <strong>de</strong> John T. Scopes. Ce<br />

professeur <strong>de</strong> biologie fut arrêté, emprisonné et jugé pour avoir enseigné les théories <strong>de</strong> Charles Darwin. Son avocat,<br />

Clarence Darrow le défendit avec passion contre le procureur William J. Bryant, créationniste farouche, au cours du<br />

fameux « procès du singe » <strong>de</strong> juillet 1925 à Dayton, Tennessee. La presse <strong>de</strong> l’époque en fit largement écho, signe<br />

d’<strong>une</strong> Amérique à la fois très attachée aux textes bibliques et fascinée par les théories <strong>de</strong> Charles Darwin. Le procès <strong>de</strong><br />

Little Rock, Arkansas, en 1982 témoigne, plus près <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong> la vivacité <strong>de</strong> la controverse.<br />

25 Convoquer l’inconscient comme le prêtre convoque l’âme et considérer le corps -notamment dans sa dimension<br />

biologique- comme un frein à la cure, un lieu subalterne dangereux pour les <strong>de</strong>ux parties, qu’il convient d’allonger ou<br />

d’asseoir, et surtout ne pas toucher sous peine d’hérésie excommunicatoire. Oublier ou méconnaître que la libre<br />

association émane et s’adresse au néo-cortex, que le registre <strong>de</strong>s émotions et <strong>de</strong>s engrammes traumatiques au système<br />

limbique qui, s’il n’est pas muet, n’entend rien au langage propositionnel ; qu’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’inconscient freudien,<br />

l’inconscient darwinien, hypothétique terre lointaine du ça, peut-être au cœur du cerveau reptilien, n’a cure du<br />

langage parlé, écrit, calculé, artistique, <strong>de</strong> l’invention, <strong>de</strong> la création, <strong>de</strong> la mémoire à long et moyen terme, <strong>de</strong>s<br />

apprentissages, <strong>de</strong>s émotions, <strong>de</strong>s traumatismes et <strong>de</strong> leurs possibles conséquences, <strong>de</strong> la souffrance, <strong>de</strong> l’altruisme ;<br />

que cette partie <strong>de</strong> nous-même aspire à survivre dans l’instant présent en l’oubliant irrémédiablement et totalement<br />

quelques secon<strong>de</strong>s plus tard. Oublier ou méconnaître que le capitaine du navire est en <strong>de</strong>rnier ressort le cerveau<br />

reptilien avec comme second le cerveau paléo-mammifère et le néo-cortex comme passager qui -ego oblige- se prend<br />

pour le propriétaire du navire ; que ces trois occupants du vaisseau ne s’expriment pas forcément dans l’unité. Enfin<br />

nier leur existence. Voilà quelques recadrages qu’il ne serait pas inintéressant d’avoir à l’esprit lorsqu’on est un usager<br />

<strong>de</strong> la psychanalyse : analysant et analyste compris.<br />

26 Cf. Sigmund Freud. (1938), Abrégé <strong>de</strong> psychanalyse, PUF, 1949.<br />

12


Le conducteur paléo-mammifère.<br />

Selon la formule <strong>de</strong> Paul MacLean (1970), le conducteur paléo-mammifère -autrement<br />

dit le système limbique-, est <strong>une</strong> tentative <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> doter le cerveau reptilien d’<strong>une</strong> sorte <strong>de</strong><br />

« coiffe pensante » pour le libérer du comportement stéréotypé, génétiquement programmé : comme<br />

établir et marquer un territoire, installer l’habitat, chasser, se nourrir, constituer <strong>une</strong> hiérarchie<br />

sociale, etc. Structure primitive en regard du néo-cortex, le cortex limbique présente <strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s<br />

chez tous les mammifères. Pour Paul MacLean, il continue <strong>de</strong> fonctionner en l’homme comme il le<br />

fait au niveau animal. Fortement relié à l’hypothalamus et aux autres structures <strong>de</strong> la racine du<br />

cerveau, le conducteur paléo-mammifère, héritage phylogénétique <strong>de</strong>s mammifères dit « inférieurs »,<br />

impliqué dans le fonctionnement <strong>de</strong>s glan<strong>de</strong>s endocrines et <strong>de</strong>s viscères, joue un rôle essentiel dans<br />

l’intégration, l’expérience et l’expression <strong>de</strong> l’émotion. Il produit <strong>de</strong>s informations en termes <strong>de</strong><br />

sentiments émotionnels et gui<strong>de</strong> le comportement adéquat pour l’autopréservation et la préservation<br />

<strong>de</strong> l’espèce, comme choisir la nourriture convenable ou désirer procréer. <strong>Les</strong> sentiments affectifs<br />

représentent <strong>une</strong> fusion mentale, résultat d’expériences internes et externes, toute introspection le<br />

démontre. Tous les systèmes sensoriels à la fois intéroceptifs et extéroceptifs puisent dans le cortex<br />

limbique <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> l’hippocampe et ce <strong>de</strong>rnier joue un rôle capital dans l’élaboration <strong>de</strong><br />

l’émotion et dans la mémoire à court terme. Par sa primitivité, le cortex limbique ne permet pas <strong>de</strong><br />

parler, lire et écrire, il donne néanmoins le sentiment <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong> soi-même, <strong>de</strong> croyances et <strong>de</strong><br />

convictions à l’égard du réel, <strong>de</strong> ce que nous pensons être important dans le mon<strong>de</strong> extérieur, <strong>de</strong> nos<br />

idées et théories… vraies ou fausses 27 .<br />

Paul MacLean 28 divise le système limbique en trois secteurs. La division septale<br />

participe aux activités sexuelles primitives et aux fonctions <strong>de</strong> procréation dans <strong>une</strong> perspective<br />

27 A partir <strong>de</strong> la compréhension <strong>de</strong> ces mécanismes, tous les mouvements sectaires ont développé toutes sortes <strong>de</strong><br />

techniques pour « reprogrammer » leurs « brebis ».<br />

28 Paul MacLean passe par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> maladies comme l’épilepsie psychomotrice et par l’expérimentation animale où il<br />

opère par stimulations, manipulations, lésions, ablations. Une large <strong>de</strong>struction du complexe R chez le lézard n’altère<br />

13


socio-sexuelle. On prête à cette région la production <strong>de</strong>s sentiments d’affection et d’amour liés à<br />

l’excitation sexuelle. La stimulation du secteur septal provoque <strong>de</strong>s réactions affectives <strong>de</strong> plaisir<br />

intense chez l’animal. Cette région joue également un rôle dans l’agressivité et la violence. Des<br />

lésions septales provoquent <strong>de</strong>s comportements <strong>de</strong> frénésie et <strong>de</strong> rage. La secon<strong>de</strong>, la division<br />

amygdalienne fortement connectée à la première, concerne l’entretien <strong>de</strong> la vie, l’auto-conservation :<br />

se nourrir, combattre et se protéger. La stimulation <strong>de</strong> l’amygdale concerne également l’agressivité,<br />

notamment celle impliquée dans l’alimentation mais peut-être également celle liée à l’acte sexuel. La<br />

stimulation <strong>de</strong> l’amygdale provoque <strong>de</strong>s réactions <strong>de</strong> colère, <strong>de</strong> rage, <strong>de</strong> cruauté, <strong>de</strong> frénésie<br />

sanguinaire. Ces <strong>de</strong>ux subdivisions sont intimement liées à l’appareil olfactif dont le développement<br />

très ancien joue un rôle essentiel dans la recherche <strong>de</strong> nourriture, l’accouplement et également dans<br />

le combat susceptible <strong>de</strong> précé<strong>de</strong>r ces <strong>de</strong>ux comportements. La troisième division thalamo-<br />

cingulaire, inconnue chez les reptiles, atteint <strong>une</strong> taille importante chez les primates et son plus<br />

grand développement dans le cerveau humain 29 . Elle se trouve impliquée dans <strong>une</strong> tria<strong>de</strong><br />

comportementale qui distingue radicalement les reptiles <strong>de</strong>s mammifères. En première base nous<br />

trouvons les soins maternels, en secon<strong>de</strong> la communication audiovocale, en troisième le<br />

comportement <strong>de</strong> jeu. De nombreux reptiles dévorent leurs rejetons. La progéniture <strong>de</strong>s dragons <strong>de</strong><br />

Komodo doit se réfugier dans les arbres durant sa première année <strong>de</strong> vie afin d’éviter <strong>de</strong> servir <strong>de</strong><br />

déje<strong>une</strong>r à ses parents ou aux autres adultes. Avec l’avènement <strong>de</strong>s mammifères apparaît ce que Paul<br />

MacLean appelle la loi primitive : « Tu ne dévoreras ni ton <strong>de</strong>scendant, ni la chair <strong>de</strong> ta race » (1990,<br />

pas forcement le mouvement. La stimulation <strong>de</strong> la région amygdalienne chez le singe montre l’apparition <strong>de</strong><br />

manifestations orales comme la mastication et le léchage, suivies quelques secon<strong>de</strong>s plus tard d’<strong>une</strong> érection<br />

pénienne. L’ablation du néo-cortex chez le hamster n’empêche pas l’accouplement, la reproduction et l’élevage <strong>de</strong>s<br />

petits. Si par contre on empêche le développement du grand arc du cortex limbique, le comportement maternel se<br />

détériore et le jeu disparaît. Etc. Sans sombrer dans « le syndrome Brigitte Bardot » ni faire d’amalgame, ces pratiques<br />

posent <strong>de</strong>s questions difficiles du point <strong>de</strong> vue épistémologique et éthique et lèvent le voile sur les expérimentations<br />

humaines, notamment celles pratiquées en temps <strong>de</strong> guerre comme ce fut le cas dans les camps nazis et japonais.<br />

Christian Bernadac (1967) s’en est fait l’écho, pour les premiers, dans son ouvrage <strong>Les</strong> mé<strong>de</strong>cins maudits, les<br />

expériences médicales humaines dans les camps <strong>de</strong> concentration ; Henry Plée et Fujita Saiko (1998) pour les seconds,<br />

dans L’art sublime et ultime <strong>de</strong>s points vitaux.<br />

29 Cette évolution marque un déplacement <strong>de</strong>s influences olfactives vers les influences visuelles, notamment dans le<br />

comportement socio-sexuel.<br />

14


p. 156) 30 . Plusieurs spéculations sur les premiers mammifères font état d’hypothèses où ces <strong>de</strong>rniers<br />

auraient été nocturnes et auraient vécu sur le sol sombre <strong>de</strong>s forêts. Toute séparation prolongée du<br />

je<strong>une</strong> animal non sevré avait <strong>de</strong>s conséquences désastreuses. Au cours <strong>de</strong> l’Evolution le maintien du<br />

contact entre l’adulte et sa progéniture s’est développé entre autre par ce que les éthologues<br />

nomme l’appel <strong>de</strong> l’isolé, où le petit lance un S.O.S. pour être retrouvé et secouru lorsqu’il est perdu<br />

et en danger. Ce cri <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>, cet appel <strong>de</strong> séparation est sans doute le langage le plus fondamental<br />

du mammifère 31 . Cette expression vocale est également responsable <strong>de</strong> l’affiliation au groupe. Le jeu<br />

quant à lui est interprété comme un facteur <strong>de</strong> cohésion et d’harmonie dans la famille et la filiation<br />

sociale 32 .<br />

A côté <strong>de</strong> cette naissance <strong>de</strong> l’Humanité au cœur même du cerveau, revenons avec Paul<br />

MacLean sur la dimension émotionnelle du cerveau limbique :<br />

« Il semble donc que les affects soient d’abord composés à l’intérieur <strong>de</strong>s circuits du<br />

cerveau limbique. Au lieu <strong>de</strong> transformer l’expérience en comportement compulsif, comme le fait le<br />

cerveau reptilien, ou en pensées abstraites, comme dans le cas du cerveau néo-mammifère, le<br />

processus mental du système limbique semble comporter un mécanisme par lequel l’information est<br />

codifiée en termes <strong>de</strong> sentiments affectifs qui influent sur ses décisions et sur son mo<strong>de</strong> d’action »<br />

(1990, p. 195).<br />

30<br />

Précurseur du comman<strong>de</strong>ment vétéro-testamentaire : « tu ne tueras point ». Cette loi anti-cannibalique est parfois<br />

mise en défaut dans <strong>de</strong>s conditions extrêmes. Nous pouvons penser ici à Jean-Hugues Duroy <strong>de</strong> Chaumareys (1763-1841)<br />

condamné à trois ans <strong>de</strong> prison et radié <strong>de</strong> la liste <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> marine pour avoir fait échouer le 2 juillet 1816 la<br />

frégate Méduse, condamnant ainsi 150 personnes à dériver sur un ra<strong>de</strong>au au gré <strong>de</strong>s flots. Celles-ci, pour survivre, se<br />

livrèrent la nuit venue aux viols, aux meurtres et à l’anthropophagie. Plus près <strong>de</strong> nous, dans les années 70, <strong>une</strong> équipe<br />

<strong>de</strong> rugby uruguayenne se livra également pour survivre au cannibalisme après le crash <strong>de</strong> son avion dans la Cordillère<br />

<strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s. Lorsque les seize survivants « retournèrent à la civilisation » et révélèrent les conditions <strong>de</strong> leur survie, le<br />

choc au plan mondial fut à la mesure <strong>de</strong> l’information*. Au plan individuel, Jean-Pierre Baud, dans son ouvrage le<br />

festin sauvage (1996), rapporte le cas <strong>de</strong> cette mère <strong>de</strong> Sélestat qui, en 1817, poussée par la faim, a tué son enfant<br />

pour le manger. Malgré l’absence <strong>de</strong> symptômes en faveur d’<strong>une</strong> aliénation mentale, la mé<strong>de</strong>cine et la justice<br />

déclarèrent cette mère folle pour « l’honneur <strong>de</strong> l’humanité ». Dans les années 80, le Japonais Issei Sagawa fit en<br />

France festin <strong>de</strong> sa maîtresse dont on retrouva les reliefs dans un réfrigérateur. Jugé dément au moment <strong>de</strong>s faits, il<br />

bénéficia d’un non-lieu. Comment penser ces comportements sans passer par le prisme <strong>de</strong> la folie ? Manifestations du<br />

cerveau reptilien en l’homme ?<br />

* Cette tragédie est relatée par Piers Paul Read dans un ouvrage intitulé <strong>Les</strong> survivants, traduit <strong>de</strong> l’anglais par Marcel<br />

Schnei<strong>de</strong>r, Grasset, 1974.<br />

31<br />

« A l’opposé <strong>de</strong> la phonation émotionnelle, le développement du langage propositionnel dépend d’un saut évolutif<br />

quantique du cortex limbique au néo-cortex […] La division thalamo-singulaire du système limbique est intimement liée<br />

au néo-cortex préfrontal »(MacLean, 1990, p. 178, p. 188).<br />

32<br />

Cf. les travaux <strong>de</strong> Donald Wood Winnicott (1957a, 1957b, 1971) sur l’enfant et ses premières relations avec sa<br />

famille, le mon<strong>de</strong> extérieur et le jeu.<br />

15


Cette conclusion se révèle capitale par son éclairage <strong>de</strong> la pratique martiale où il s’agit<br />

également <strong>de</strong> travailler sur ses émotions. L’ambiance <strong>de</strong>s dojo dits « traditionnels » est particulière.<br />

On y parle peu et le plus souvent, sur le tatami, seul le « maître » du lieu s’exprime. Il est même<br />

certains entraînements où « il » ne parle pas du tout. <strong>Les</strong> techniques, les enchaînements sont montrés,<br />

suggérés sans un mot d’explication. L’impact sur les élèves à ces moments-là est toujours très<br />

puissant. Il faut en effet passer par autre chose que le néo-cortex bavard, calculateur et lent pour<br />

pouvoir mettre en œuvre cette <strong>psychomotricité</strong>. Le temps n’est pas à la palabre lorsque le travail est<br />

intense et sincère. La communication est présémantique et audiovocale : on s’exprime par le geste,<br />

l’intensité du travail active nos secrétions : par la chimie <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs notre olfaction revient à l’avant-<br />

scène, notre vision change, on y entend <strong>de</strong>s respirations fortes, <strong>de</strong>s cris. Le mythique Kiaï 33 qui<br />

parfois, à l’a<strong>une</strong> <strong>de</strong>s pratiquants, ressemble à se méprendre à <strong>de</strong>s cris d’animaux divers et variés, est<br />

aussi parfois un signal <strong>de</strong> détresse, « en désespérance » dirait Henry Plée. Si le travail est sérieux il<br />

n’en <strong>de</strong>meure pas moins un jeu. Par son intermédiaire on apprend non pas à se défendre par<br />

l’apprentissage <strong>de</strong> tout un arsenal <strong>de</strong> techniques plus ou moins sophistiquées, mais on s’autorise à<br />

laisser émerger sans risque pour soi et pour l’autre -en cela c’est un jeu- cette part <strong>de</strong> nous qui sait ce<br />

qu’elle doit faire au moment où elle doit le faire en cas <strong>de</strong> réel danger. Car cette part <strong>de</strong> nous-même<br />

si incroyablement efficace, peut être empêchée, entravée par <strong>de</strong>s conditionnements positifs ou<br />

négatifs, <strong>de</strong>s traumatismes 34 psychiques. Etre envahi par la peur, l’angoisse ou l’effroi 35 peut, dans<br />

33 Littéralement l’union (aï) <strong>de</strong>s énergies (ki), ce cri protéïforme possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> multiples vertus et <strong>de</strong> multiples usages. Il<br />

accompagne le « moment <strong>de</strong> vérité », cet instant crucial où tout se joue : pousser le kiai pour concentrer toute<br />

l’énergie au point d’impact, à chaque coup donné par le bûcheron ou le joueur <strong>de</strong> tennis, crier au moment <strong>de</strong> la<br />

naissance, etc.…<br />

34 La notion <strong>de</strong> traumatisme, en premier lieu somatique, est transférée <strong>de</strong> façon métaphorique sur le plan psychique<br />

pour qualifier tout événement faisant brusquement effraction dans l’organisation psychique du sujet. Lorsque Freud<br />

dans Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong> plaisir (1920) parle <strong>de</strong> névrose traumatique, il insiste sur le caractère à la fois somatique -<br />

« ébranlement » (Erschütterung) <strong>de</strong> l’organisme provoquant un afflux d’excitation- et psychique -« effroi » (Schreck)-<br />

du traumatisme. Freud voit dans cet effroi le facteur déterminant <strong>de</strong> la névrose traumatique.<br />

35 « …dans la névrose traumatique comm<strong>une</strong>, <strong>de</strong>ux traits saillants pourraient servir <strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ à notre<br />

réflexion : premièrement, ce qui semble peser le plus lourd dans son déterminisme, c’est le facteur <strong>de</strong> surprise,<br />

l’effroi ; <strong>de</strong>uxièmement, si le sujet subit en même temps <strong>une</strong> lésion ou <strong>une</strong> blessure, ceci s’oppose en général à la<br />

survenue <strong>de</strong> la névrose. Effroi, peur, angoisse (Schreck, Furcht, Angst) sont <strong>de</strong>s termes qu’on a tort d’utiliser comme<br />

synonymes ; leur rapport au danger permet <strong>de</strong> bien les différencier. Le terme d’angoisse désigne un état caractérisé<br />

par l’attente du danger et la préparation à celui-ci, même s’il est inconnu ; le terme <strong>de</strong> peur suppose un objet défini<br />

dont on a peur ; quant au terme d’effroi, il désigne l’état qui survient quand on tombe dans <strong>une</strong> situation dangereuse<br />

sans y être préparé ; il met l’accent sur le facteur surprise. Je ne crois pas que l’angoisse puisse engendrer <strong>une</strong> névrose<br />

16


« un moment <strong>de</strong> vérité 36 », nous faire perdre tout ou partie <strong>de</strong> nos moyens et nous être fatal. En se<br />

sens la pratique bien conduite <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> est <strong>une</strong> extraordinaire <strong>psychomotricité</strong>, <strong>une</strong> thérapie<br />

voire <strong>une</strong> rééducation. Il est <strong>de</strong>venu un lieu commun <strong>de</strong> vanter ses vertus apaisantes sur les agressifs<br />

et stimulantes sur les timorés. Elle permet <strong>une</strong> réactualisation <strong>de</strong>s émotions fortes dont le substrat est<br />

le système limbique. Elle nous met au travail dans l’i<strong>de</strong>ntification, la résolution, la maîtrise, le<br />

contrôle, le recyclage <strong>de</strong>s émotions dans leur dimension subjective : les affects, non pas dans le sens<br />

d’<strong>une</strong> entrave mais dans celui d’<strong>une</strong> libération 37 .<br />

Par cette activation <strong>de</strong>s étages reptilien et limbique, l’affiliation positive au groupe dont<br />

on a parlé plus haut <strong>de</strong>vient ici <strong>une</strong> évi<strong>de</strong>nce et facilite la socialisation du sujet y compris dans sa<br />

dimension socio-sexuelle, bénéfice secondaire non négligeable. Le groupe « martial » est en effet<br />

très hiérarchisé et peu prendre toutes les apparences à la fois positives et négatives <strong>de</strong> la famille, du<br />

clan, <strong>de</strong> la société. De la ceinture blanche balbutiante jusqu’au maître -quand il existe- et les<br />

ceintures noires dont l’expertise se mesure théoriquement au nombre <strong>de</strong> dan 38 affichées, chacun se<br />

trouve à <strong>une</strong> place i<strong>de</strong>ntifiée et évolue dans cette pyrami<strong>de</strong> en fonctions <strong>de</strong> ses « qualités ». Dans ce<br />

contexte se réactualise le sentiment <strong>de</strong> la famille, <strong>de</strong> la protection <strong>de</strong>s petits, enraciné selon Paul<br />

MacLean dans le système limbique, pour s’étendre ensuite à tous les membres du groupe via le<br />

cortex préfrontal.<br />

traumatique ; il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre l’effroi et donc aussi contre la névrose d’effroi<br />

(Schrecksneurose). » (Freud, 1920, p.50).<br />

36<br />

Ils sont fort heureusement rares dans <strong>une</strong> vie, mais il suffit d’<strong>une</strong> fois…<br />

37<br />

C’est évi<strong>de</strong>mment <strong>une</strong> arme à double tranchant : mal conduite, la pratique martiale peut renforcer les problèmes et<br />

… raccourcir la vie.<br />

38<br />

<strong>Les</strong> <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> et leurs expressions mystifiées : les sports <strong>de</strong> combat ont un lien plus ou moins direct avec la<br />

guerre et donc les armées. <strong>Les</strong> kyu et les dan sont un véritable système <strong>de</strong> gra<strong>de</strong>s <strong>de</strong> type para-militaire. <strong>Les</strong> kyu <strong>de</strong> la<br />

ceinture blanche à la ceinture marron représentent les hommes du rang et les sous-officiers, les dan, les officiers :<br />

1ère dan = sous-lieutenant, 2e dan = lieutenant, 3e dan = capitaine, etc. Pré-existait à ce système <strong>une</strong> hiérarchie plus<br />

simple constituée en trois niveaux <strong>de</strong> progression : ceinture blanche, marron, noire. <strong>Les</strong> ceintures <strong>de</strong> couleurs sont <strong>une</strong><br />

invention faite toute spécialement pour les Européens afin <strong>de</strong> les « fidéliser » dans la pratique. Il existe un autre<br />

système dit « honorable » où il y a trois distinctions essentielles : Renshi : maîtrise extérieure, Kyoshi : maîtrise<br />

intérieure, Hanshi maîtrise complète. Pour certains la ceinture est uniquement là pour tenir le pantalon. C’est d’<strong>une</strong><br />

certaine manière comme les diplômes : <strong>une</strong> fois en poche ils revêtent <strong>une</strong> importance relative. Une certitu<strong>de</strong>, dans <strong>une</strong><br />

situation dangereuse la ceinture et sa couleur ne seront d’auc<strong>une</strong> utilité.<br />

17


Le conducteur Néo-mammifère.<br />

Dans l’évolution, ce conducteur : le néo-cortex, aurait été créé pour venir au secours<br />

<strong>de</strong> son voisin le système limbique, surtout quand ce <strong>de</strong>rnier, pressé par les signaux venus du mon<strong>de</strong><br />

intérieur, ne sait plus « à quel saint se vouer » pour ai<strong>de</strong>r à prendre <strong>une</strong> décision froi<strong>de</strong> et raisonnée<br />

dans la perspective <strong>de</strong> survivre. Ontophylogénétiquement, le néo-cortex est primitivement orienté<br />

vers l’environnement externe. A la différence <strong>de</strong>s signaux <strong>de</strong>stinés au goût et à l’odorat dirigés vers<br />

le cortex limbique, le néo-cortex à été conçu pour recevoir en tout premier lieu <strong>de</strong>s yeux, <strong>de</strong>s oreilles<br />

et, <strong>de</strong> toute la surface du corps, <strong>de</strong>s signaux en provenance du mon<strong>de</strong> extérieur. Dans cette<br />

perspective, Paul MacLean compare le conducteur néo-mammifère à un ordinateur impitoyable, au<br />

service <strong>de</strong> raisonnements froids et sans pitié. Par ses facultés à se concentrer sur les choses<br />

matérielles, il dispose <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> réaliser les combinaisons les plus cruelles pour détruire. Il<br />

explique ainsi le comportement <strong>de</strong> mammifères qui, après avoir tué le mâle dominant, pratiquent<br />

l’infantici<strong>de</strong> sous l’œil éploré ou indifférent <strong>de</strong>s mères, pour faire « place nette » et créer leur propre<br />

<strong>de</strong>scendance 39 :<br />

« Ainsi, pour quelque inexplicable raison, la nature semble avoir conclu qu’un esprit<br />

malfaisant, un véritable Frankenstein, a été libéré <strong>de</strong> la boîte <strong>de</strong> Pandore et que, si par malheur, on le<br />

laissait se déchaîner, il pourrait conduire à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s espèces. J’emploie le mot<br />

“ inexplicable ” parce que la nature elle-même semble avoir donné sa bénédiction au principe<br />

paradoxal <strong>de</strong> la “ nécessité <strong>de</strong> tuer dans le but <strong>de</strong> vivre ” » (1990, p. 73).<br />

Pour éviter pareille catastrophe la nature a ajouté lentement et progressivement quelque chose<br />

dans le néo-cortex : le cortex préfrontal 40 . Ce <strong>de</strong>rnier grâce à ses facultés d’unir l’expérience passée<br />

à l’expérience présente, fournit la capacité d’anticipation à concevoir <strong>de</strong>s projets pour nous-même et<br />

39<br />

Comportement observé chez les singes mais également chez les félins. Toute ressemblance avec homo sapiens, etc,<br />

etc…<br />

40<br />

De l’homme <strong>de</strong> Néan<strong>de</strong>rthal à celui <strong>de</strong> Cro-Magnon, le front humain à évolué d’<strong>une</strong> arca<strong>de</strong> sourcilière basse à <strong>une</strong><br />

élevée. En <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> cette arca<strong>de</strong> se trouve le cortex préfrontal, situé à la pointe et à l’extrémité. Le Q.I. tel qu’il<br />

est habituellement calculé n’est pas affecté par la perte <strong>de</strong> ce cortex. Par contre <strong>une</strong> lésion préfrontale peut toucher<br />

la volonté, la capacité à planifier avec métho<strong>de</strong> et persévérance <strong>une</strong> action dans le temps.<br />

18


pour autrui. Seule partie du néo-cortex à regar<strong>de</strong>r vers le mon<strong>de</strong> intérieur <strong>de</strong> nos sentiments 41 , et par<br />

là même disposant d’<strong>une</strong> aptitu<strong>de</strong> à la réflexion, il nous ai<strong>de</strong> également à i<strong>de</strong>ntifier les sentiments <strong>de</strong>s<br />

autres. Il est le siège <strong>de</strong> l’empathie. De ce point <strong>de</strong> vue « en concevant pour la première fois <strong>une</strong><br />

créature qui se soucie <strong>de</strong> la souffrance <strong>de</strong>s autres êtres vivants, la nature semble avoir tenté un <strong>de</strong>mi-<br />

tour à partir <strong>de</strong> qui a été un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> reptile-mange-reptile et <strong>de</strong> chien-mange-chien » écrit Paul<br />

MacLean (1990, p. 74). Si les circuits nerveux ne sont pas activés à certains moments critiques, ils<br />

ne pourront jamais fonctionner. Sur cette base démontrée par <strong>de</strong>s preuves anatomiques et<br />

comportementales, il émet à propos <strong>de</strong> la fonctionnalité <strong>de</strong> cette zone cérébrale, l’hypothèse qu’elle<br />

ne serait pleinement opérationnelle qu’après les changements hormonaux <strong>de</strong> l’adolescence. Ainsi<br />

l’empathie est non seulement apprise mais elle doit l’être avant un âge critique pour se développer<br />

pleinement. A cette échelle <strong>de</strong> développement cérébral, ajoute-t-il, nous ne sommes plus entièrement<br />

le produit <strong>de</strong> nos gènes 42 . Loin s’en faut.<br />

Dans cette perspective la spécialisation hémisphérique néo-corticale est largement<br />

mise à contribution dans l’apprentissage <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong>. L’hémisphère gauche, celui qui raisonne,<br />

41<br />

<strong>Les</strong> circuits préfrontaux sont intimement connectés avec la troisième subdivision limbique impliquée dans les soins<br />

parentaux, la communication vocale et le jeu.<br />

42<br />

Cette conception rejoint les vues <strong>de</strong> Charles Darwin, baptisées L’effet réversif <strong>de</strong> l’évolution par Patrick Tort (1996, p.<br />

1334 -1335). Jjamais nommé tel quel dans l’œuvre <strong>de</strong> Darwin, il y est pourtant décrit et développé dans la <strong>de</strong>scendance <strong>de</strong><br />

l’homme. Cet ouvrage propose <strong>de</strong> répondre à trois ordres <strong>de</strong> questions : l’homme est-il le résultat évolutif d’<strong>une</strong> forme<br />

préexistante ? Quel est son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> développement ? Quelle est la valeur <strong>de</strong>s différences qui existent entre ce que l’on<br />

nomme les races ? L’étu<strong>de</strong> met en évi<strong>de</strong>nce que les données anthropologiques individuelles et collectives sont soumises à<br />

variations et que la sélection se poursuit au sein <strong>de</strong>s groupes humains, mais sous certaines modalités. Darwin s’aperçoit que<br />

la sélection naturelle comme principe directeur <strong>de</strong> l’évolution n’est plus, face à l’état <strong>de</strong> civilisation, la force principale qui<br />

règle le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’humanité. L’éducation prenant en quelque sorte le relais, en dotant l’homme <strong>de</strong> comportements<br />

opposés aux effets primitivement éliminatoires <strong>de</strong> la sélection naturelle. Comme le formule Patrick Tort (1997, p.68), « la<br />

sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. » Ce paradoxe trouve résolution pour<br />

Darwin dans les instincts sociaux par le biais <strong>de</strong>squels la sélection naturelle a sélectionné son contraire. Au lieu <strong>de</strong><br />

l’élimination <strong>de</strong>s moins aptes apparaît le <strong>de</strong>voir d’assistance <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s infirmes, processus illustrant le<br />

renversement progressif qui produit un effet <strong>de</strong> rupture, comme le nomme Patrick Tort. L’émergence du progrès et <strong>de</strong> la<br />

morale a partie liée avec l’évolution. La sélection naturelle au cours <strong>de</strong> sa propre évolution s’est soumise elle-même à sa<br />

propre loi, sa forme nouvelle protège le faible et l’emporte, parce qu’avantageuse, sur l’ancienne forme qui privilégiait<br />

l’élimination. La sélection naturelle a donc travaillé à son propre déclin en ayant sélectionné, entre autres, l’instinct <strong>de</strong><br />

sympathie que Darwin développe ainsi (1871, chap. V) : « Notre instinct <strong>de</strong> sympathie nous pousse à secourir les<br />

malheureux ; la compassion est un <strong>de</strong> ces produits acci<strong>de</strong>ntels <strong>de</strong> cet instinct que nous avons acquis dans le principe, au<br />

même titre que les instincts sociables dont il fait partie. La sympathie, d’ailleurs, tend toujours à <strong>de</strong>venir plus large et plus<br />

universelle. Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fît <strong>une</strong> loi,<br />

sans porter atteinte à la plus noble partie <strong>de</strong> notre nature. Le chirurgien doit se rendre inaccessible à tout sentiment <strong>de</strong><br />

pitié au moment où il pratique <strong>une</strong> opération, parce qu’il agit pour le bien <strong>de</strong> son mala<strong>de</strong> ; mais si, <strong>de</strong> propos délibéré, il<br />

négligeait les faibles et les infirmes, il ne pourrait avoir en vue qu’un avantage éventuel, au prix d’un mal présent<br />

considérable et certain. Nous <strong>de</strong>vons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent <strong>de</strong><br />

la propagation <strong>de</strong>s êtres débiles ».<br />

19


parle, écrit et calcule en permet <strong>une</strong> approche pleinement intellectuelle. Cet ouvrage collectif en est<br />

<strong>une</strong> démonstration. Si élaborer un « savoir » est <strong>une</strong> composante déterminante dans le résultat<br />

escompté, il ne peut néanmoins se substituer à un « faire ». Un savoir encyclopédique <strong>de</strong> « A » à<br />

« Z » sur la pomme n’aura jamais la valeur <strong>de</strong> l’expérience tactile, visuelle, gustative et digestive <strong>de</strong><br />

ce fruit, même ou surtout si cette expérience est subjective. Se pose ici la difficile question <strong>de</strong><br />

l’équilibrage entre « savoir » et « faire » et dont les <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> sont un <strong>de</strong>s innombrables<br />

paradigmes. L’hémisphère droit, le spatial, l’artistique, donne ses lettres <strong>de</strong> noblesse aux pratiques<br />

martiales. Souplesse, rapidité, précision, fluidité, puissance, le tout au service <strong>de</strong> la beauté du geste<br />

avec <strong>de</strong>s enchaînements complexes où associations, dissociations, asymétries peuvent être mises au<br />

service d’<strong>une</strong> authentique dramaturgie martiale. Mais plus nous sommes dans l’art et moins nous<br />

sommes dans la survie. Après quelques années d’<strong>une</strong> pratique correcte il est possible, à partir d’<strong>une</strong><br />

seule attaque <strong>de</strong> Tori 43 , <strong>de</strong> riposter par <strong>une</strong> salve <strong>de</strong> contre-attaques aussi <strong>de</strong>structrices les <strong>une</strong>s que<br />

les autres -là où <strong>une</strong> seule pourrait suffire- pour abattre votre adversaire. Pour user ici d’<strong>une</strong><br />

métaphore militaire, c’est en quelque sorte répondre à un coup <strong>de</strong> feu peu précis ou dévié par un<br />

chargeur entier d’<strong>une</strong> mitrailleuse lour<strong>de</strong> en plein cœur <strong>de</strong> cible. Cet enchaînement sophistiqué,<br />

ciselé, cousu main, pure création néo-corticale, n’a auc<strong>une</strong> chance d’être mis en œuvre en réelle<br />

situation <strong>de</strong> danger. Il est beaucoup trop compliqué et aléatoire pour le cerveau reptilien qui prendra<br />

les comman<strong>de</strong>s à ce moment-là. Car si le paléo-cortex sait ce qu’il doit faire au moment où il doit le<br />

faire, il est tout à fait hermétique à un quelconque apprentissage à long terme sensé améliorer ses<br />

performances 44 . Alors à quoi sert-il <strong>de</strong> s’entraîner si, en situation <strong>de</strong> danger, la chose apprise ne<br />

s’exprime pas ?<br />

43 Uke : défenseur, Tori : attaquant. Uchitachi et Shitachi ont les mêmes fonctions.<br />

44 Lorsque le boxeur enchaîne <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> poings dans le vi<strong>de</strong> avant <strong>de</strong> monter sur le ring pour combattre, c’est<br />

d’<strong>une</strong> part pour impressionner son adversaire : posture <strong>de</strong> défi et, d’autre part pour « initialiser » son cerveau reptilien<br />

juste avant la confrontation.<br />

20


à ce propos:<br />

De l’individuel au collectif, il s’agit avant tout <strong>de</strong> traiter la violence. René Girard écrit<br />

« On ne peut tromper la violence que dans la mesure où on ne la prive pas <strong>de</strong> tout exutoire,<br />

où on lui fournit quelque chose à se mettre sous la <strong>de</strong>nt […] Quand elle n’est pas satisfaite, la<br />

violence continue à s’emmagasiner jusqu’au moment où elle débor<strong>de</strong> et se répand aux alentours avec<br />

les effets les plus désastreux » (1972, p. 14 […] p. 21).<br />

Pratiquer les <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> est probablement l’<strong>une</strong> <strong>de</strong>s manières les plus efficaces <strong>de</strong><br />

décrypter et <strong>de</strong> recycler la violence. Cette <strong>de</strong>rnière est en effet clairement i<strong>de</strong>ntifiée et prise en<br />

compte frontalement d’entrée <strong>de</strong> « jeu ». Cette émersion permet sans doute un « traitement » plus en<br />

profon<strong>de</strong>ur au contraire <strong>de</strong> pratiques sportives plus classiques où l’on <strong>de</strong>meure à sa périphérie. La<br />

valeur <strong>de</strong> « l’étiquette » telle qu’elle transparaît, entres autres, dans le karaté dit « traditionnel »<br />

prend ici toute son épaisseur : humilité, courtoisie, respect, patience, force d’âme, courage, entrai<strong>de</strong>,<br />

solidarité, introspection -nous reconnaissons là les valeurs macleaniennes attribuées au cortex<br />

préfrontal-, sont renforcées par <strong>une</strong> pratique martiale bien conduite. Dans le cas contraire, un néo-<br />

cortex « froid et impitoyable comme un ordinateur », chargé du « logiciel karaté » conduit<br />

inéluctablement à la <strong>de</strong>struction lors <strong>de</strong> « l’exécution du programme ». On voit ici, dans <strong>une</strong><br />

perspective éducative, combien la qualité <strong>de</strong> l’enseignant est essentielle et gran<strong>de</strong> sa responsabilité.<br />

Une <strong>psychomotricité</strong> <strong>intégrative</strong>.<br />

<strong>Les</strong> <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> en général et le karaté en particulier sont <strong>une</strong> « prescription » au sens<br />

médical du terme. Comme tout principe actif pharmacologique il peut guérir mais également<br />

empoisonner. Il doit donc être correctement prescrit en fonction du patient et sa posologie<br />

scrupuleusement respectée. L’objectif <strong>de</strong> la « cure » est d’harmoniser le fonctionnement cérébral, <strong>de</strong><br />

le rééquilibrer. Faire <strong>de</strong> ce triple discours cortical souvent -pour ne pas dire toujours- dissonant, <strong>une</strong><br />

seule et même voie harmonisée. Si nous sommes tous soumis à fluctuations en fonction <strong>de</strong>s<br />

21


situations, nous avons également un conducteur cérébral dominant : intellectuel, émotionnel,<br />

moteur. Ajoutons à cela <strong>une</strong> manière d’être agressif : certains seront plutôt offensifs, d’autres<br />

défensifs, d’autres encore passifs. La combinaison du style cérébral et du mo<strong>de</strong> d’agressivité donne<br />

neuf manières particulières d’être au mon<strong>de</strong>. Un « moteur/offensif » pourra être attiré par un art<br />

martial « dur » : karaté contact, boxe thaïlandaise, un « émotionnel/défensif » par l’aïkido ou le judo,<br />

un « intellectuel/passif » par la pratique du tai-chi-chuan 45 . En se sens-là, la pratique martiale est <strong>une</strong><br />

authentique <strong>psychomotricité</strong> et sans doute le travail <strong>de</strong> toute <strong>une</strong> vie. Il me revient en mémoire mes<br />

débuts laborieux <strong>de</strong> karatéka. « Ceinture blanche » avec quelques semaines <strong>de</strong> pratique <strong>de</strong>rrière moi,<br />

j’étais tremblant <strong>de</strong> peur face à <strong>une</strong> « ceinture marron » dont je sentais l’intense jubilation à pouvoir<br />

tester à bon compte et sans trop <strong>de</strong> risques ses techniques sur <strong>une</strong> cible facile. En plein combat j’étais<br />

absorbé par mes pensées : « Il va me faire mal ! » ; plongé dans <strong>une</strong> intense réflexion : « Si j’avais su<br />

! » ; avec <strong>de</strong>s jugements plein la tête : « il est mala<strong>de</strong> celui-là ! » ; dubitatif quant au meilleur choix à<br />

faire entre diverses options d’action : « C’est-quoi-déjà-qui-faut-faire-dans-ces-cas-là ? ! » ; occupé à<br />

délibérer mentalement sur la bonne décision à prendre : « Courage fuyons ! » ; à définir la bonne<br />

stratégie face à <strong>une</strong> brute épaisse : « Au secours, il-y-a-quelqu’un ? ». Pendant cette intense activité<br />

préfrontale, l’individu quant à lui me traitait comme le vent traite un fétu <strong>de</strong> paille, sous l’œil<br />

goguenard et impavi<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes coreligionnaires. Résultats : trois côtes fêlées, quelques ecchymoses<br />

et <strong>une</strong> appréhension certaine et durable à l’idée <strong>de</strong> fouler <strong>une</strong> nouvelle fois un tatami. A propos du<br />

préfrontal comme l’écrit Roland Guyot 1990, pp. 313-314) : si « grâce à la volonté liée à l’exercice<br />

<strong>de</strong> la raison, la matière se dépasse elle-même », si « la volonté écarte l’influence <strong>de</strong> la routine et du<br />

rite immuable pour la remplacer par celle <strong>de</strong> la réflexion », si « elle écarte l’influence <strong>de</strong>s émotions<br />

et <strong>de</strong>s passions <strong>de</strong> surprise pour la remplacer par celle <strong>de</strong> représentations qu’enchaîne à travers le<br />

temps <strong>une</strong> véritable logique intérieure », encore faut-il qu’elle s’exerce au bon moment. Cette petite<br />

vignette clinico-martiale en est la démonstration. Dans cette situation, « limbique » et « reptilien »<br />

45<br />

Ces typologies sont à envisager comme <strong>de</strong>s béquilles pour la pensée et le travail. Le danger serait d’en faire matière<br />

à dogme.<br />

22


étaient <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce bridés par mon « intellect ». <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux premiers auraient probablement<br />

« commandés » un comportement <strong>de</strong> fuite ou <strong>de</strong> soumission, malheureusement inhibé par un « moi<br />

dominant 46 » -émanation du troisième-, conditionné par <strong>de</strong>s messages comme : « pleures pas t’es un<br />

homme ! », « ne sois pas un lâche » et autres fadaises. En tout état <strong>de</strong> cause, cette disharmonie entre<br />

mes trois « centres » m’a valu quelques semaines <strong>de</strong> souffrances.<br />

Pour conclure.<br />

Gichin Funakoshi (1943, 1956), père fondateur du karaté « mo<strong>de</strong>rne » envisage cette<br />

discipline selon trois gran<strong>de</strong>s directions. En premier lieu elle est avant tout <strong>une</strong> pratique <strong>de</strong> santé à<br />

géométrie variable. Elle convient aussi bien à l’enfant, aux femmes, aux hommes, à tous les âges <strong>de</strong><br />

la vie et chacun peut l’adapter en fonction <strong>de</strong> ses capacités. Sa mise en œuvre aisée ne nécessite pas<br />

forcement d’équipements ou <strong>de</strong> lieux particuliers. Elle autorise le travail solitaire ou en groupe. Elle<br />

permet un développement global, équilibré et harmonieux du corps et améliore la condition<br />

physique. En second lieu, comme pratique d’autodéfense, elle repose essentiellement sur <strong>de</strong>s<br />

combinaisons très rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> blocages-attaques exécutées simultanément, où tout le corps est<br />

considéré comme <strong>une</strong> arme tranchante, pénétrante, enfonçante 47 . Quels que soient l’âge et le sexe,<br />

son efficacité permet <strong>de</strong> se protéger, même si l’on dispose d’<strong>une</strong> force naturelle mo<strong>de</strong>ste. En<br />

troisième lieu, elle est <strong>une</strong> ouverture spirituelle dont l’aphorisme <strong>de</strong> Gichin Funakoshi : « Le karaté<br />

est par essence non-violent » est en quelque sorte le fil rouge. Paradoxe extrême-oriental en<br />

superficie, il témoigne du travail à faire sur soi : <strong>une</strong> <strong>psychomotricité</strong> <strong>intégrative</strong> où il s’agit<br />

d’harmoniser ses trois centres, moteur, émotionnel, intellectuel et ses <strong>de</strong>ux hémisphères cérébraux.<br />

Une « simple » technique main ouverte au service du reptilien humain peut être si<br />

dévastatrice, si radicale dans son résultat que son exercice régulier finit par polir l’âme. En climat <strong>de</strong><br />

46 Cf. Idries Shah, Le Moi Dominant, Paris, Le Courrier du Livre, 1994.<br />

47 C’est en fait avec tout l’être en « désespérance » que l’on tente <strong>de</strong> survivre au « moment <strong>de</strong> vérité ».<br />

23


paix il y a très peu <strong>de</strong> circonstances où notre vie est en danger, il y a par contre <strong>une</strong> multitu<strong>de</strong><br />

d’occasions journalières pour que ça 48 dégénère. Sans sombrer dans un angélisme niais, affûter son<br />

Shuto 49 , ou aiguiser son Nukité 50 conduit à témoigner du respect pour la vie. On se surprend à tenir<br />

compte <strong>de</strong> son environnement, à regar<strong>de</strong>r et sentir <strong>une</strong> fleur sans pour autant la cueillir, à épargner la<br />

fourmi, à patienter <strong>de</strong>vant la guêpe, à sourire lorsqu’on vous « brûle la politesse » et à transmettre<br />

ces valeurs. Le chemin n’est pas semé <strong>de</strong> pétales <strong>de</strong> roses, rien n’est jamais totalement gagné, rien<br />

n’est jamais totalement perdu. Récemment encore, j’étais à la recherche <strong>de</strong> la technique ultime qui<br />

me permettrait d’éliminer radicalement un adversaire. Une chute spectaculaire à skis et<br />

potentiellement très dangereuse s’est révélée en l’occurrence pleine d’enseignements. Pendant ce<br />

« moment <strong>de</strong> vérité » auc<strong>une</strong> pensée n’a traversé mon esprit. Je n’ai aucun souvenir du moment <strong>de</strong> la<br />

chute. Je n’ai éprouvé auc<strong>une</strong> émotion, ni pendant ni après. Je me suis relevé totalement in<strong>de</strong>mne,<br />

comme s’il ne s’était rien passé. Avec cet avis <strong>de</strong> tempête le « capitaine reptilien » a pris la barre et<br />

fait ce qui <strong>de</strong>vait être fait pour que cette mésaventure reste du domaine <strong>de</strong> l’anecdote. Depuis je ne<br />

cherche plus la technique ultime. Je la sais là, quelque part en moi, au service <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong><br />

l’amour 51 .<br />

48<br />

Cf. la <strong>de</strong>uxième topique freudienne et le livre du ça <strong>de</strong> Georg Grod<strong>de</strong>ck (1923).<br />

49<br />

Tranchant <strong>de</strong> la main.<br />

50<br />

Pique <strong>de</strong>s doigts.<br />

51<br />

« Je pense que la base <strong>de</strong> quelque thérapie que ce soit est composée <strong>de</strong> 50% d’amour et <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong><br />

la personne. Si vous réunissez ces <strong>de</strong>ux ingrédients, vous développerez automatiquement <strong>une</strong> attitu<strong>de</strong> et <strong>une</strong> technique<br />

saines envers la personne et envers ses problèmes. Pour moi, cet amour est le facteur absent <strong>de</strong> la pensée<br />

psychologique occi<strong>de</strong>ntale » (Omar Ali-Shah, 1990, p. 11).<br />

24


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26


Olivier R. Grim<br />

LES ARTS MARTIAUX : UNE INDICATION EFFICACE ET DELICATE<br />

Un constat.<br />

Imaginez, déroulé sur <strong>une</strong> lan<strong>de</strong> déserte du sud <strong>de</strong> la France, un ruban d’asphalte chauffé à<br />

blanc par un soleil à son zénith. Imaginez sur cette route, <strong>une</strong> file ininterrompue <strong>de</strong> voitures<br />

immobilisées sur quelques kilomètres dans les vapeurs empoisonnées <strong>de</strong>s gaz d’échappement. La<br />

longue procession grave, à vitesse d’escargot <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> pneumatiques dans le goudron ramolli.<br />

Imaginez tous ces vacanciers hagards, enfermés dans leur véhicule, avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> brise marine et <strong>de</strong><br />

fraîcheur océane. Imaginez enfin sur le bas côté, un « jogger » vêtu en tout et pour tout d’un short et<br />

<strong>de</strong> ses chaussures, remonter cette colonne dans un nuage <strong>de</strong> transpiration. Sa foulée est mesurée et<br />

volontaire, son allure modérée et inexorable, sa concentration à la hauteur <strong>de</strong> son entreprise. En<br />

première analyse nous pourrions être tenté d’affubler notre coureur <strong>de</strong> noms dont le pouvoir<br />

évocateur rendrait compte <strong>de</strong> la relativité <strong>de</strong> son intelligence et <strong>de</strong> sa raison. En effet, comment<br />

comprendre un tel comportement en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s chemins balisés <strong>de</strong> la norme ? Il faut assurément<br />

avoir perdu l’esprit pour courir sans protection sous un soleil <strong>de</strong> plomb et inhaler à pleins poumons<br />

monoxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> carbone et autres composés toxiques sur un trajet encombré <strong>de</strong> voitures, alors qu’à<br />

quelques encablures la fraîcheur relative d’<strong>une</strong> pinè<strong>de</strong> avec ses chemins forestiers semble être <strong>une</strong><br />

invitation beaucoup plus propice à ce genre d’effort physique.<br />

Changeons <strong>de</strong> lieu. Nous voici maintenant dans un dōjō, espace profane parsemé <strong>de</strong> quelques<br />

vestiges sacrés où <strong>une</strong> assemblée <strong>de</strong> karatékas s’adonne sans compter à son activité favorite.<br />

27


Comment interpréter la démarche <strong>de</strong> ce pratiquant qui s’épuise à faire <strong>de</strong>s pompes sur les poings en<br />

appui sur du parquet ou <strong>de</strong>s parpaings puis enchaîne <strong>une</strong> série d’atémis sur un makiwara 52 jusqu’à<br />

avoir les phalanges tuméfiées ? Que penser <strong>de</strong> cet autre qui étire – jusqu’à la déchirure parfois – ses<br />

ischio-jambiers dans l’espoir <strong>de</strong> réaliser le grand fantasme <strong>de</strong> tout pratiquant moyen : le grand écart<br />

facial avec bascule complète du bassin ? Comment appréhen<strong>de</strong>r cette « ceinture noire » qui offre ses<br />

côtes flottantes aux mawashi-geri 53 <strong>de</strong> plus en plus appuyés <strong>de</strong> son partenaire pour, dans un second<br />

temps, lui rendre coup pour coup dans <strong>une</strong> symétrie martiale où il s’agirait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> son corps <strong>une</strong><br />

armure sans armure et <strong>de</strong> son esprit un roc in<strong>de</strong>structible ? Que penser <strong>de</strong> ces entraînements<br />

paramilitaires où les a<strong>de</strong>ptes vont jusqu’à l’épuisement pour, paraît-il, aller « au bout <strong>de</strong> soi-<br />

même » ? Comment comprendre ces sportifs qui montent sur un tatami ou sur un ring – parfois sous<br />

l’emprise <strong>de</strong> substances illicites euphorisantes et/ou anesthésiques – pour s’infliger « dans les règles<br />

<strong>de</strong> l’art » <strong>de</strong>s coups dont les conséquences sur leur santé, à court et à long termes, feront la fort<strong>une</strong><br />

<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins et <strong>de</strong> leurs subordonnés ? La litanie est longue <strong>de</strong> ces mauvais traitements infligés à<br />

l’être, comme si le corps et l’esprit étaient <strong>de</strong>s ennemis, <strong>de</strong>s obstacles récalcitrants à un impossible<br />

accomplissement qui parfois se résume à <strong>une</strong> médaille dont le métal n’est même pas fait <strong>de</strong> chocolat.<br />

En <strong>une</strong> phrase, comment penser ces comportements que l’on pourrait qualifier en première lecture <strong>de</strong><br />

déraisonnables puisqu’ils « entraînent » les pratiquants à développer <strong>de</strong>s pathologies parfois sévères<br />

<strong>de</strong> l’appareil locomoteur pour ne citer que celles-là ?<br />

Une réponse.<br />

Une fois passé en revue les arguments en faveur <strong>de</strong> l’entretien d’<strong>une</strong> condition physique et<br />

mentale in<strong>de</strong>xée sur la gestion <strong>de</strong> facteurs comme le poids ou le stress par exemple, le coureur <strong>de</strong><br />

notre introduction et nos pratiquants d’<strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> cités en exemple recyclent, chacun à leur<br />

52 Stand <strong>de</strong> frappe rudimentaire et traditionnel fait d’un support vertical flexible en bois sur lequel est fixé un coussin<br />

en paille <strong>de</strong> riz <strong>de</strong>stiné à recevoir les coups portés par toutes les parties du corps. Mal utilisé cet outil d’entrainement<br />

peu s’avérer un « instrument <strong>de</strong> torture » pour le pratiquant et infliger à ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s blessures qui, avec lui,<br />

vieilliront mal.<br />

53 Coup <strong>de</strong> pied circulaire.<br />

28


manière, la violence et l’agressivité dont ils sont gorgés à la manière d’<strong>une</strong> éponge. Rappelons-le<br />

ici : violence et agressivité s’accumulent en l’être et, si nous retenons la leçon <strong>de</strong> René Girard<br />

(1972), il faut impérativement leur donner quelque chose à « se mettre sous la <strong>de</strong>nt », essorer<br />

l’éponge pour poursuivre avec notre métaphore, afin <strong>de</strong> prévenir <strong>de</strong>s débor<strong>de</strong>ments inévitables aux<br />

conséquences toujours fâcheuses. Voilà pourquoi notre « jogger » court dans <strong>de</strong>s conditions<br />

extrêmes, et la nature <strong>de</strong> sa course jugée extravagante est à la mesure <strong>de</strong> la dose <strong>de</strong> violence qu’il a à<br />

évacuer. C’est le prix qu’il doit payer pour retrouver un équilibre. Il en est <strong>de</strong> même pour nos<br />

karatékas : l’intensité et l’âpreté <strong>de</strong> l’entraînement sont relatives à la quantité <strong>de</strong> violence à<br />

dissoudre. Ainsi, tous font preuve d’<strong>une</strong> gran<strong>de</strong> sagesse intuitive ou pensée : ils protègent leur<br />

entourage social, professionnel, familial, <strong>de</strong>s effets d’un éventuel accès <strong>de</strong> violence <strong>de</strong> leur part, le<br />

premier par son exercice solitaire, les seconds en s’organisant en groupe i<strong>de</strong>ntifié où il pourront<br />

entre-eux, selon <strong>de</strong>s règles comm<strong>une</strong>s acceptées, mettre en place un dispositif pour recycler leur<br />

violence. Dans cette perspective voici l’autre protégé, mais qu’en est-il <strong>de</strong> l’individu concerné au<br />

premier chef ? Certes lui aussi bénéficiera <strong>de</strong> ce recyclage, il s’évitera un certain nombre <strong>de</strong><br />

désordres que l’on pourrait qualifier <strong>de</strong> psychosomatiques. L’équation est simple : si pour <strong>une</strong> raison<br />

quelconque, je ne peux pas canaliser cette énergie et la transformer par un processus créatif en un<br />

objet positif, je projetterai cette violence sur l’autre – au point d’en faire un bouc-émissaire – ou<br />

faute <strong>de</strong> mieux je la retournerai contre moi-même dans un processus cette fois-ci créateur <strong>de</strong><br />

maladies. La pratique <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> s’avère être un remè<strong>de</strong> très efficace en la matière, mal utilisé<br />

il peut également être <strong>une</strong> entreprise <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction : combien <strong>de</strong> pratiquants d’<strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> ou d’ex-<br />

pratiquants souffrent <strong>de</strong> douleurs chroniques consécutives à <strong>de</strong>s années d’entraînements<br />

« inadaptés » pour oser ici la formule.<br />

29


Une certaine idée du sport.<br />

On l’aura compris, nous inscrivons l’usage <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> dans le strict cadre <strong>de</strong>s pratiques<br />

<strong>de</strong> santé où il s’agit <strong>de</strong> préserver son intégrité somato-psychique, en d’autres termes son être. La<br />

perspective est <strong>de</strong> vivre le plus vieux possible avec tous les moyens que son âge autorise, pour son<br />

plaisir, son bonheur et pour celui <strong>de</strong> son entourage. Cette perspective n’est nullement en<br />

contradiction avec <strong>une</strong> essence martiale qui se voudrait « pure et dure », puisqu’il s’agit bien <strong>de</strong> tout<br />

mettre en œuvre pour rester le plus vivant possible, y compris dans l’hypothèse d’<strong>une</strong> confrontation<br />

lors d’un « moment <strong>de</strong> vérité ». Nous nous séparons donc ici radicalement et sans querelle – à<br />

chacun sa vision <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> – <strong>de</strong> tous les « faiseurs » <strong>de</strong> compétiteurs, graines <strong>de</strong><br />

champions qui brillent un temps – toujours court – dans les vitrines parfois très éclairées <strong>de</strong>s<br />

associations sportives à but lucratif ou non, pour finir, <strong>une</strong> fois la gloire éteinte, entre les mains <strong>de</strong><br />

soigneurs le reste <strong>de</strong> leur existence, remplacés par d’autres qui connaîtront le même sort 54 . Si le sport<br />

est <strong>une</strong> formidable machine à recycler la violence et s’il est bon <strong>de</strong> goûter à la compétition pour s’en<br />

éloigner aussitôt afin d’apprécier à leurs justes valeurs les vertus cardinales <strong>de</strong> l’entrai<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la<br />

solidarité, il est important, sans pour autant sombrer dans un angélisme niais, <strong>de</strong> résister aux sirènes<br />

<strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> système qui laisse sur la grève bon nombre <strong>de</strong> personnes abîmées lorsqu’il ne drosse<br />

pas sur le rivage quelques cadavres 55 .<br />

54 Une discipline comme l’aïkido <strong>de</strong> Morihei Ueshiba s’inscrit dans un univers martial où la compétition est proscrite, où<br />

la recherche du bien-être et l’amour <strong>de</strong> son prochain est clairement affichée : « il faut prendre son ennemi sur son<br />

cœur » dit ce fondateur. C’est sûrement la discipline où hommes et femmes s’entraînent ensemble dans la plus gran<strong>de</strong><br />

parité (si le judo est également féminin, sa dimension sportive très poussée a conduit à l’instauration <strong>de</strong> catégories <strong>de</strong><br />

poids et à la séparation <strong>de</strong>s sexes sur les tatamis <strong>de</strong> compétition). La rivalité entre disciplines n’est pas un mythe.<br />

L’aïkido est souvent considéré par les disciplines « pieds-poings » notamment comme un art martial « <strong>de</strong> salon », <strong>une</strong><br />

danse peu réaliste et inefficace. Si cette critique est non fondée – l’aïkido comme bon nombre <strong>de</strong> disciplines martiales<br />

est présenté et enseigné sous <strong>une</strong> forme déguisée afin d’en masquer la réelle efficacité – il est vrai que cet art<br />

présente toutes les « qualités » nécéssaires pour qui voudrait édifier <strong>une</strong> entreprise sectaire. A contrario, certaines<br />

formes <strong>de</strong> karaté et <strong>de</strong> jujitsu estiment tenir le haut du pavé en matière d’efficacité martiale. La dureté <strong>de</strong>s<br />

entrainements et <strong>de</strong>s confrontations en témoigneraient. C’est oublier leur caractère majoritrairement rituel, y compris<br />

dans <strong>de</strong>s expressions extrêmes comme les « ultimate fighting championship » (championnat <strong>de</strong> combats extrêmes),<br />

réservés à <strong>de</strong>s professionnels, sorte <strong>de</strong> néo-gladiateurs, où la gestion <strong>de</strong> la violence <strong>de</strong>vient <strong>une</strong> entreprise lucrative<br />

fort dangereuse. L’obsession <strong>de</strong> l’efficacité viendrait ici combler <strong>de</strong>s failles narcissiques profon<strong>de</strong>s et calmer <strong>de</strong>s<br />

angoisses existencielles archaïques, jusqu’à y perdre la santé, voire la vie.<br />

55 Récemment, un je<strong>une</strong> et sémillant karatéka, plusieurs fois champion du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> kata, kinésithérapeute <strong>de</strong> son état<br />

et voué à un brillant avenir, est mort <strong>de</strong>s suites d’<strong>une</strong> overdose <strong>de</strong> produit stupéfiant. Son <strong>de</strong>stin f<strong>une</strong>ste n’a fait<br />

l’objet d’auc<strong>une</strong> analyse. Etoile filante dans le firmament martial, hier montré en exemple, il est aujourd’hui<br />

« enterré » et oublié sans que l’on ait tiré les leçons <strong>de</strong> cette vie brisée.<br />

30


<strong>Les</strong> <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> ne se « prescrivent » donc pas à la légère. C’est un « médicament » aux<br />

vertus curatives puissantes et, comme toute « médication » efficace, sa prescription se doit d’être<br />

précise, adaptée à chaque individu et nécessite un suivi. A titre d’exemple, un sujet « rai<strong>de</strong> » attiré<br />

par les disciplines martiales dynamiques où le cocktail souplesse, vitesse, puissance constitue<br />

l’infrastructure sur laquelle s’appuient et se développent les techniques <strong>de</strong> combat, aura tout intérêt à<br />

ne pas malmener ses rai<strong>de</strong>urs sous prétexte <strong>de</strong> coller à l’apparence du style choisi 56 : « la peau du<br />

tigre n’est pas le tigre ». Le respect <strong>de</strong> « l’armure tonique » est essentiel, elle ne s’est pas constituée<br />

au fil du temps pour rien et vouloir l’ôter <strong>de</strong> force par <strong>de</strong>s exercices le plus souvent inappropriés ne<br />

peut conduire qu’au renforcement <strong>de</strong>s rai<strong>de</strong>urs et préparer un terrain favorable aux blessures dont la<br />

chronicité sera à la mesure <strong>de</strong>s « mauvais traitements » infligés.<br />

<strong>Les</strong> enfants.<br />

Avec Gichin Funakoshi (1943, 1956) nous le savons, le karaté 57 s’adresse à tous : enfants<br />

comme adultes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes – y compris à un âge avancé. Ceci écrit, il s’avère nécessaire d’opérer<br />

quelques distinctions. En regard <strong>de</strong>s caractéristiques du développement psychomoteur du je<strong>une</strong><br />

enfant où la notion <strong>de</strong> globalité prime 58 , il est souhaitable <strong>de</strong> proposer aux enfants <strong>une</strong> discipline où<br />

cette qualité est mise en exergue : le judo 59 . Praticable dès quatre ans 60 sous <strong>une</strong> forme ludique et<br />

56 En karaté les techniques « aériennes » <strong>de</strong> jambes sont très prisées pour leur côté spectaculaire et esthétique. Si elles<br />

réclament d’incontestables qualités physiques pour être réalisées – qu’il est intéressant <strong>de</strong> travailler –, ces techniques<br />

s’avèrent le plus souvent irréalistes voire dangereuses en situation <strong>de</strong> combat « sérieux ». Un certain nombre <strong>de</strong><br />

pratiquants moyens ne sont pas dotés <strong>de</strong> ces qualités – il est nécessaire d’avoir un dos souple et <strong>de</strong>s hanches libres – ils<br />

s’avèrent être néanmoins <strong>de</strong>s pratiquants à l’efficacité certaine. A chacun sa mesure en fonction <strong>de</strong> ses potentiels et<br />

<strong>de</strong> sa nature, telle <strong>de</strong>vrait être la règle.<br />

57 Littéralement l’idéogramme « té » signifie la main, « kara » désigne ce qui est en provenance <strong>de</strong> l’ancienne Chine.<br />

Dans un premier temps Karaté : la « main <strong>de</strong> Chine » rassemble sous son nom <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> combat à mains nues<br />

« importées » <strong>de</strong> l’Empire du Milieu. Pour <strong>de</strong>s raisons historiques, politiques, stratégiques et idéologiques, Gichin<br />

Funakoshi, le père fondateur du karaté mo<strong>de</strong>rne, fait évoluer le sens du mot vers « la main vi<strong>de</strong> », Chine et vi<strong>de</strong> ayant<br />

<strong>de</strong>s idéogrammes homonymes en japonais. Ainsi il fait passer kataté-jutsu, « l’art <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> Chine » : techniques<br />

guerrières, en karaté-do, « la voie <strong>de</strong> la main vi<strong>de</strong> » : chemin d’accomplissement personnel.<br />

58 Cf. la loi <strong>de</strong> <strong>psychomotricité</strong> <strong>de</strong> Dupré reprise dans Développement neuro-psychique du nourrisson <strong>de</strong> Cyrille<br />

Koupernik et Robert Dailly (1968) : « Jusqu’à trois ans, il y a intrication entre le développement moteur et le<br />

développement psychique, intellectuel et affectif ». Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cet âge, les liens entre ces quatres shpères restent<br />

puissants et les <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> visent par l’intermédiaire <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers à harmoniser les pôles moteur, émotionnel et<br />

intellectuel.<br />

59 Littéralement la voie (do) <strong>de</strong> la souplesse (ju).<br />

60 <strong>Les</strong> âges donnés n’ont qu’<strong>une</strong> valeur indicative au même titre que la marche s’acquièrt entre douze et dix-huit mois.<br />

31


d’agrément, loin <strong>de</strong> toutes considérations sportives – où sous prétexte d’émulation on peut formater<br />

dès le plus je<strong>une</strong> âge <strong>de</strong>s compétiteurs en se servant, notamment, d’éventuelles rivalités familiales<br />

conscientes et inconscientes comme d’un marche-pied –, cette discipline apprend le rapport au sol 61<br />

par l’intermédiaire <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>de</strong>s chutes et <strong>de</strong>s techniques pour projeter et immobiliser son<br />

partenaire 62 . Le judo comme « voie royale » pour débuter en <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> est un excellent premier<br />

moyen pour recycler la violence qui se cache le plus souvent, à ces âges-là, sous les oripeaux <strong>de</strong><br />

l’inhibition ou <strong>de</strong> l’instabilité. <strong>Les</strong> techniques développées dans les disciplines pieds-poings<br />

convoquent volontiers associations, dissociations, asymétries dans <strong>de</strong>s combinaisons statiques et<br />

dynamiques parfois très complexes où la latéralité est mise en jeu dans tous les plans du corps 63 ,<br />

cette « gymnastique » nécessite donc <strong>une</strong> organisation psychomotrice plus « sophistiquée », tout<br />

comme l’aïkido 64 propose, par son jeu très subtil <strong>de</strong> réponses aux saisies et aux attaques, toute <strong>une</strong><br />

série d’esquives, <strong>de</strong> projections et d’immobilisations très différentes <strong>de</strong> celles du judo, auxquelles il<br />

faut ajouter le plus souvent un apprentissage du Jo et du boken 65 . Ainsi ces disciplines peuvent être<br />

« raisonnablement » approchées vers sept ans. <strong>Les</strong> critères <strong>de</strong> choix se resserrent autour <strong>de</strong>s goûts<br />

affichés <strong>de</strong> l’enfant. Il est à un âge où l’ego n’a pas encore pris dans son économie psychique <strong>une</strong><br />

place tyrannique 66 . Il est important <strong>de</strong> respecter son désir et repérer, le cas échéant, les éventuelles<br />

projections <strong>de</strong> l’entourage où l’on voit certains enfants pratiquer, tels <strong>de</strong>s pantins, <strong>de</strong>s activités en<br />

lieu et place <strong>de</strong> leurs parents par exemple. <strong>Les</strong> <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> restent ici un jeu dont l’objectif essentiel<br />

61<br />

Le judo permet <strong>de</strong> « réinitialiser » chez homo sapiens sapiens un dialogue souple avec la terre que sa bipédie – et<br />

pour l’occi<strong>de</strong>ntal, son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie –, a fait oublier. Un tel apprentissage permettrait à un certain nombre <strong>de</strong> victimes<br />

<strong>de</strong> chutes domestiques <strong>de</strong> ne pas finir dans le plâtre.<br />

62<br />

Dans cette perspective, l’autre est un partenaire et non pas un adversaire, il est un alter ego avec lequel je<br />

travaille, « il » m’est nécessaire comme « je » lui suis nécessaire.<br />

63<br />

A titre d’exemple, on pourra dans un déplacement, en appui sur la jambe gauche, donner un coup <strong>de</strong> pied latéral<br />

droit en haut (migi yodan yokogeri) et dans le même temps effectuer un blocage bas du bras gauche (idari gedan baraï)<br />

avec <strong>une</strong> technique <strong>de</strong> poing <strong>de</strong> la main droite (migi shudan stuki) <strong>de</strong>vant soi tout en regardant <strong>de</strong>rrière pour anticiper<br />

<strong>une</strong> attaque à venir (oura men zuke).<br />

64<br />

Littéralement la voie (do) <strong>de</strong> l’harmonisation (aï) <strong>de</strong> l’énergie (ki).<br />

65<br />

Jo : bâton, boken : sabre <strong>de</strong> bois. Armes traditionnelles, elles sont classées en 6e catégorie dans la nomenclature<br />

officielle <strong>de</strong>s armes, c’est dire si ce ne sont pas <strong>de</strong>s jouets. Leur maîtrise participe à cette « pacification » du<br />

pratiquant où ce <strong>de</strong>rnier parvenu à un certain <strong>de</strong>gré d’accomplissement fait <strong>de</strong> la fuite la meilleure <strong>de</strong>s stratégies.<br />

Confronté par la pratique à sa violence, il en connaît les effets <strong>de</strong>structeurs potentiels : à l’échelle individuelle, la vie<br />

est un ca<strong>de</strong>au fragile qu’il convient <strong>de</strong> respecter et <strong>de</strong> protéger.<br />

66<br />

Il se trouvera toujours <strong>de</strong>s exemples pour infirmer la règle. Cf. Le moi Dominant d’Idries Shah, le courrier du Livre,<br />

1994.<br />

32


est <strong>de</strong> canaliser l’agressivité et <strong>de</strong> recycler à bon compte la violence emmagasinée. Il convient donc<br />

<strong>de</strong> protéger les enfants d’un engagement qui pourrait nuire à leur intégrité. Dans cette perspective le<br />

choix <strong>de</strong> l’enseignant s’avère crucial. Sa pédagogie alliée à un réel savoir-faire, son écoute, ses<br />

facultés d’anticipation, <strong>de</strong> contenance, son empathie, sont au service <strong>de</strong>s enfants qu’il accueille sur<br />

son tatami. Sujet à <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntifications et <strong>de</strong>s projections très fortes, il lui faudra à la fois gar<strong>de</strong>r la tête<br />

froi<strong>de</strong> et le cœur chaleureux, y compris lorsqu’il sera pris comme tuteur <strong>de</strong> résilience 67 . Car pour<br />

certains enfants placés dans <strong>de</strong>s contextes <strong>de</strong> vie très difficiles voire invivables ils seront, lui et son<br />

activité, la seule planche <strong>de</strong> salut 68 .<br />

<strong>Les</strong> adultes.<br />

Nous sommes tous agressifs et potentiellement violents, telle est notre condition. Une fois ce<br />

constat fait et accepté – ce qui n’est pas <strong>une</strong> mince affaire en soi –, cette agressivité et cette violence<br />

s’expriment en fonction <strong>de</strong> notre manière d’être au mon<strong>de</strong>. Ceux dont l’idéal est d’être « parfait », ou<br />

<strong>de</strong> « réussir » ou bien encore d’être « fort », estiment souvent que la meilleure <strong>de</strong>s défenses reste en<br />

<strong>de</strong>rnière analyse l’attaque. Ceux dont l’idéal « est <strong>de</strong> savoir », d’être « content » ou<br />

d’être « original », considèrent l’esquive comme la meilleure <strong>de</strong>s protections. Enfin ceux dont l’idéal<br />

est « d’ai<strong>de</strong>r les autres » ou d’être « responsable » ou « joyeux », jugent le retrait et la passivité<br />

comme <strong>de</strong>s réponses défensives efficaces. Dans la perspective d’<strong>une</strong> pratique martiale centrée sur le<br />

recyclage <strong>de</strong> la violence et <strong>de</strong> l’agressivité, les premiers se tourneront volontiers vers <strong>de</strong>s disciplines<br />

comme le karaté, les seconds vers celles apparentées à l’aïkido et les troisièmes vers le taï chi chuan<br />

et ses dérivés. De la tendance « naturelle » <strong>de</strong> chacun d’être au mon<strong>de</strong> découlera un style martial<br />

67 « La résilience, c’est l’art <strong>de</strong> naviguer dans les torrents. Un trauma a bousculé le blessé dans <strong>une</strong> direction où il<br />

aurait aimé ne pas aller. Mais puisqu’il est tombé dans un flot qui le roule et l’emporte vers <strong>une</strong> casca<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

meurtrissures, le résilient doit faire appel aux ressources internes imprégnées dans sa mémoire, il doit se bagarrer pour<br />

ne pas se laisser entraîner par la pente naturelle <strong>de</strong>s traumatismes qui le font bourlinguer <strong>de</strong> coups en coups jusqu’au<br />

moment où <strong>une</strong> main tendue lui offrira <strong>une</strong> ressource externe, <strong>une</strong> relation affective, <strong>une</strong> institution sociale ou<br />

culturelle qui lui permettra <strong>de</strong> s’en sortir » (Boris Cyrulnik, 2001, pp. 259-260).<br />

68 On confie, le plus souvent à tort, les enfants à <strong>de</strong> je<strong>une</strong>s ceintures noires, sempaï inexpérimentés dans les <strong>arts</strong><br />

<strong>martiaux</strong> et dans la vie. On répète la même erreur à l’Education Nationale : là où il faudrait <strong>de</strong>s enseignants aguerris<br />

on envoie <strong>de</strong> je<strong>une</strong>s diplômés inexpérimentés.<br />

33


particulier qui sera cultivé au détriment <strong>de</strong>s autres. Si être au mon<strong>de</strong> signifie « être fort » par<br />

exemple, là où il serait nécessaire en fait d’être « joyeux » ou <strong>de</strong> « réussir », la tendance ou le défaut<br />

sera d’être fort en toutes circonstances, le principe dominant la personnalité : « être fort » sera<br />

appliqué, d’où <strong>une</strong> perception altérée <strong>de</strong> la réalité. Au-<strong>de</strong>là d’<strong>une</strong> vision romantique du samouraï 69 ,<br />

la formation <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier comprenait la maîtrise <strong>de</strong> nombreuses disciplines guerrières offensives,<br />

défensives, passives auxquelles il fallait ajouter pour faire bonne mesure l’art floral, celui du thé, <strong>de</strong><br />

la danse, <strong>de</strong> la calligraphie, du chant etc. Cette gran<strong>de</strong> diversité <strong>de</strong>s pratiques – tel un massage<br />

cérébral complet – permettait d’éviter <strong>une</strong> réponse conditionnée et stéréotypée qui pouvait s’avérer<br />

désastreuse dans un moment <strong>de</strong> vérité et ainsi favoriser en fonction <strong>de</strong> la situation « l’action juste au<br />

moment juste ». <strong>Les</strong> effets <strong>de</strong> cette remarquable <strong>psychomotricité</strong> font défaut dans le cadre <strong>de</strong> la<br />

pratique d’un style martial unique, surtout si ce <strong>de</strong>rnier est inféodé à <strong>une</strong> perception faussée du<br />

mon<strong>de</strong>. Nous comprenons dès lors comment le coureur et les karatékas du début <strong>de</strong> notre propos<br />

finissent par développer <strong>de</strong>s états pathologiques : <strong>de</strong> médicament, le sport <strong>de</strong>vient poison. Un esprit<br />

sain dans un corps sain prend ici toute son épaisseur. Si la spécialisation permet dans un premier<br />

temps d’échapper au déséquilibre, elle y ramène dans un second. Au contraire <strong>de</strong> la diversité où<br />

fleurissent équilibre et efficacité en toutes circonstances.<br />

<strong>Les</strong> seniors.<br />

A chaque âge ses plaisirs nous chante l’adage. Désormais il n’est pas rare <strong>de</strong> croiser à l’heure<br />

du laitier dans les parcs et espaces verts <strong>de</strong>s personnes d’un âge certain s’adonner à <strong>de</strong>s<br />

gymnastiques d’inspiration martiales. Ces pratiques d’importation extrême-orientales, dites internes<br />

en opposition – ou plutôt en complémentarité – aux <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> dits externes 70 , permettent <strong>de</strong><br />

produire, d’emmagasiner et d’utiliser <strong>une</strong> énergie bienfaisante censée circuler dans tout l’Univers 71 .<br />

69<br />

<strong>Les</strong> samouraï, littéralement « ceux qui servent », étaient organisés en caste. Celle-ci correspondait grosso-modo aux<br />

officiers dans la hiérarchie militaire.<br />

70<br />

Karaté, judo, etc.<br />

71<br />

Le chi <strong>de</strong>s chinois, le ki <strong>de</strong>s japonais, le prana <strong>de</strong>s indous, la baraka <strong>de</strong>s orientaux, etc.<br />

34


L’objectif reste simple : <strong>de</strong>meurer en bonne santé le plus longtemps possible pour profiter <strong>de</strong> la vie.<br />

On apprend ici à cultiver souplesse et fluidité pour remiser sans regrets au rayon <strong>de</strong>s outils obsolètes<br />

la force brute. Ici la fable <strong>de</strong> Monsieur <strong>de</strong> La Fontaine (1668) le Chêne et le roseau 72 prend toute sa<br />

valeur, rejoint en cela par les Pensées <strong>de</strong> Pascal (1670) : l’Homme se doit d’être un roseau<br />

pensan t .<br />

73<br />

<strong>Les</strong> personnes en situation <strong>de</strong> handicap.<br />

<strong>Les</strong> pratiques et les manifestations handisports en disent long sur les capacités d’adaptation<br />

d’homo sapiens sapiens. A ce titre, pêle-mêle, le fauteuil roulant, la déficience mentale, les troubles<br />

du comportement, etc., ne <strong>de</strong>vraient en rien interdire l’accès aux disciplines martiales. Externes et/ou<br />

internes, correctement prescrites, conduites et adaptées, elles apportent les mêmes bienfaits en<br />

matière <strong>de</strong> recyclage aux personnes en situation <strong>de</strong> handicap dont on sait par ailleurs combien la<br />

posture individuelle et sociale, auxquelles leur situation les contraint, engendre <strong>de</strong> violence et<br />

d’agressivité. Million Dollar Baby, écrit et réalisé en 2004 par Clint Eastwood pour le compte <strong>de</strong> la<br />

Warner, met en scène avec intelligence et sensibilité les problématiques exposées dans ces lignes.<br />

Dans ce film, la boxe anglaise est le solvant <strong>de</strong> la violence chez <strong>une</strong> trentenaire traumatisée par <strong>une</strong><br />

vie familiale délétère. Menée au plus haut niveau <strong>de</strong> la compétition par un entraîneur/tuteur <strong>de</strong><br />

résilience – lui-même à la recherche d’<strong>une</strong> fille <strong>de</strong> substitution –, elle chutera au propre comme au<br />

figuré pour avoir disputé un combat <strong>de</strong> trop. Devenue tétraplégique, le film pose alors comme <strong>une</strong><br />

ultime bataille entre la vie et la mort la délicate question <strong>de</strong> l’euthanasie. La violence canalisée,<br />

maîtrisée dans un premier temps par la discipline et la technique finit par franchir les digues dressées<br />

par l’art et s’empare <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier pour son propre commerce.<br />

Par l’excès, elle submerge tout sur son<br />

passage<br />

jusqu’à son inéluctable conclusion : la mort.<br />

72 Le roseau <strong>de</strong> répondre au chêne : « <strong>Les</strong> vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie et ne romps pas ».<br />

73 « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible <strong>de</strong> la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers<br />

entier s’arme pour l’écraser : <strong>une</strong> vapeur, <strong>une</strong> goutte d’eau, suffit à le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait,<br />

l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui,<br />

l’univers n’en sait rien » (Pascal, p. 161, 2004).<br />

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Pour conclure.<br />

Sans pour autant renoncer aux fantasmes, dans la mesure où ils participent à l’entreprise<br />

mythologique et légendaire, il conviendrait d’effectuer – au moins à titre individuel – <strong>une</strong> opération<br />

qui consiste à ranger au placard cette image <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong> comme expression esthétique,<br />

romantique et aboutie <strong>de</strong> la violence dont le cinéma et la télévision se font d’ailleurs largement les<br />

apôtres. Notamment cette vision faussée – qui se voudrait pourtant réaliste – où le héros et son<br />

contraire encaissent pendant <strong>de</strong> longues minutes toute <strong>une</strong> série <strong>de</strong> coups, tous plus beaux et<br />

spectaculaires les uns que les autres, pour en sortir en fin <strong>de</strong> compte avec un brushing à peine défait<br />

et au pire quelques ecchymoses 74 . Ce catalogue d’images favorise cet autre fantasme où les <strong>arts</strong><br />

<strong>martiaux</strong> seraient l’apanage du héros et <strong>de</strong> son antithèse avec le commun <strong>de</strong>s mortels pris en otage<br />

entre <strong>de</strong>s représentations du bien et du mal. Ces <strong>de</strong>ux valeurs – et c’est un truisme <strong>de</strong> l’écrire – sont<br />

au fond <strong>de</strong> chacun d’entre-nous et la pratique <strong>de</strong>s <strong>arts</strong> <strong>martiaux</strong>, telle <strong>une</strong> lampe <strong>de</strong> spéléologue,<br />

éclaire nos intérieurs. Nous nous rangeons sous la bannière <strong>de</strong> Gichin Funakoshi : « le karaté est par<br />

essence non violent », mais il est <strong>une</strong> arme à double tranchant. Il peut conduire – comme toutes les<br />

pratiques martiales – vers la mort et ses avatars s’il <strong>de</strong>vient <strong>une</strong> activité obsessionnelle,<br />

comme il<br />

peut<br />

– tissé au cœur d’<strong>une</strong> <strong>psychomotricité</strong> large – préserver la vie et ouvrir sur l’amour.<br />

74 Un seul zuki (coup <strong>de</strong> poing) ou un empi (coup <strong>de</strong> cou<strong>de</strong>) efficacement appliqués font voler en éclats <strong>une</strong> machoire.<br />

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BIBLIOGRAPHIE<br />

CYRULNIK B. (2001), <strong>Les</strong> vilains petits canards, Paris, Odile Jacob.<br />

FUNAKOSHI G. (1943), Karaté-do Nyumon, l’essence du Karaté, Paris, Budo Editions, 2000.<br />

FUNAKOSHI G. (1956), Karaté-do Kyohan, le livre du Maître, Paris, Fance Shotokan, 1979.<br />

GIRARD R. (1972), La violence et le sacré, Paris, Grasset.<br />

KOUPERNIK C., DAILLY R. (1968), Développement neuro-psychique du nourrisson, Paris,<br />

PUF.<br />

LA FONTAINE J. <strong>de</strong> (1668), Œuvres complètes, Fables contes et nouvelles, La Pléia<strong>de</strong>, Paris,<br />

Gallimard, 1991.<br />

PASCAL (1670), <strong>Les</strong> Pensées, Edition <strong>de</strong> Michel Le Guern, Folio classique, Paris, Gallimard,<br />

2004.<br />

SHAH I. (1994), Le Moi Dominant, Paris, le Courrier du Livre.<br />

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