& endocrinologie diabète endocrinologie diabète - CEDIFS
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Médecine Clinique ■ <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong><br />
Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Cliniqu<br />
Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique••Médecine Cliniqu<br />
Médecine Clinique•MédecineClinique•MédecineClinique•Méd<br />
Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Clinique•Médecine Cliniqu<br />
ISSN : 1639-6685<br />
& <strong>endocrinologie</strong><br />
Médecine Clinique<br />
<strong>endocrinologie</strong><br />
<strong>diabète</strong><br />
Hors-série – Mars 2012<br />
Mon patient me ment : que faire ?<br />
Insulinothérapie : les alternatives<br />
physiologiques à la voie sous-cutanée<br />
Peut-on prédire l’avenir de jeunes<br />
enfants de diabétiques de type 2 ?<br />
Hyperparathyroïdie primaire :<br />
où en est-on en 2012 ?<br />
Nutrition et sexualité<br />
au Paléolithique<br />
Confrontations<br />
Endocrinologie-Diabétologie<br />
Sud-Franciliennes
Editeurs en Chef<br />
Philippe Chanson<br />
Christian Boitard<br />
Pierre Bougnères<br />
Comité de Rédaction<br />
Jacques Young<br />
Jérôme Clerc<br />
Bruno Fève<br />
Jean Girard<br />
Agnès Heurtier<br />
Etienne Larger<br />
Laurence Leenhardt<br />
Marc Lombes<br />
Patrice Rodien<br />
Philippe Touraine<br />
Comité Scientifique<br />
Endocrinologie<br />
Adulte<br />
Thierry Brue<br />
Olivier Chabre<br />
Bernard Conte Devolx<br />
Patricia Nicolli-Sire<br />
Antoine Tabarin<br />
sommaire<br />
Endocrinologie<br />
Pédiatrique<br />
Régis Coutant<br />
Agnès Linglart<br />
Diabétologie<br />
Bernard Charbonnel<br />
Bruno Guerci<br />
Bernard Vialettes<br />
Reproduction<br />
Nadine Binart<br />
Nathalie Chabbert-<br />
Buffet<br />
Os, Calcium<br />
Philippe Orcel<br />
Lipides, Nutrition,<br />
Risques<br />
Eric Bruckert<br />
Philippe Moulin<br />
Thyroïde<br />
Philippe Caron<br />
Jean-Louis Wémeau<br />
Comité francophone<br />
Albert Beckers (Liège)<br />
Rolf Gaillard<br />
(Lausanne)<br />
André Scheen (Liège)<br />
Secrétariat<br />
de la rédaction<br />
Nathalie Frament<br />
Hôpital<br />
Saint Vincentde-Paul<br />
82 av. Denfert Rochereau<br />
75014 Paris<br />
Tél. : 01 40 48 80 82<br />
Fax : 01 40 48 83 40<br />
nframent@<br />
medecinediffusion.<br />
com<br />
Directrice de<br />
la publication<br />
Sonia Litwin<br />
Médecine Clinique<br />
<strong>endocrinologie</strong> &<br />
<strong>diabète</strong>,<br />
revue bimestrielle<br />
éditée<br />
Médecine Diffusion<br />
Fabrication<br />
Imprimerie<br />
de Compiègne<br />
6, rue Nicéphore<br />
Niepce<br />
60205 Compiègne<br />
Cedex.<br />
Abonnements<br />
Médecine Diffusion<br />
23, rue du Départ<br />
75014 Paris<br />
Prix au numéro : 35 E<br />
Commission paritaire :<br />
1204T 82474<br />
ISSN : en cours<br />
Dépôt légal :<br />
à parution<br />
Mon patient me ment : que faire ? . . . . . . . . . .3<br />
Jean-Louis Rouget, Alfred Penfornis<br />
Insulinothérapie : les alternatives<br />
physiologiques à la voie sous-cutanée . . . . . . .6<br />
Nathalie Reix, Stéphanie Ros,<br />
Séverine Sigrist, Nathalie Jeandidier<br />
Peut-on prédire l’avenir de jeunes<br />
enfants de diabétiques de type 2 ? . . . . . . . . .12<br />
Stéphane Cauchi<br />
Hyperparathyroïdie primaire :<br />
où en est-on en 2012 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15<br />
Philippe Chanson<br />
Nutrition et sexualité au Paléolithique . . . . .21<br />
Gilles Delluc<br />
Médecine Clinique<br />
& <strong>endocrinologie</strong><br />
<strong>diabète</strong><br />
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
1
9 èmes Confrontations Sud-Franciliennes<br />
Endocrinologie-Diabétologie<br />
de l’Ile-de-France Sud<br />
PROGRAMME PLÉNIÈRE<br />
SAMEDI 10 MARS 2012<br />
10h00-10h30 Accueil des participants<br />
10h30-12h45 Discussion ouverte de dossiers difficiles<br />
apportés par les participants qui le souhaitent<br />
> animée par : B. Bauduceau, Ph. Chanson,<br />
G. Charpentier, J.Young, et le comité scientifique<br />
DÉJEUNER<br />
13h30-14h00 Accueil des participants<br />
14h00-14h15 Introduction<br />
Session de Diabétologie : Modérateur G. CHARPENTIER<br />
14h15-14h40 Mon patient me ment… Que faire ?<br />
> A. Penfornis<br />
14h40-14h55 Discussion<br />
14h55-15h20 Insulinothérapie : les alternatives<br />
physiologiques à la voie sous cutanée<br />
> N. Jeandidier<br />
15h20-15h35 Discussion<br />
15h35-16h00 Peut-on prédire l’avenir de jeunes<br />
enfants de diabétiques de type 2 ?<br />
> S. Cauchi<br />
16h00-16h15 Discussion<br />
PAUSE DE 16h15 à 16h45<br />
Session d’<strong>endocrinologie</strong> : Modérateur P. Chanson<br />
16h45-17h10 Hypercalcémie…<br />
> P. Chanson<br />
17h10-17h25 Discussion<br />
17h25-17h50 Nutrition et sexualité chez Cro-Magnon<br />
> E. Bruckert<br />
17h50-18h05 Discussion<br />
18h05-18h30 Nutrition et sexualité<br />
chez Cro-Magnon<br />
> G. Delluc<br />
18h30-19h00 Discussion<br />
DîNER SALLE AUX MOINES<br />
PROGRAMME ATELIER<br />
DIMANCHE 11 MARS 2012<br />
9h30 à 11h00 et 11h00 à 12h30<br />
Choix de 2 ateliers par participant<br />
(voir coupon réponse joint)<br />
Dépistage et traitement<br />
des apnées du sommeil<br />
> A.S. Veyer<br />
Diabète de l’adolescent<br />
> A. May – C. Stévenin<br />
Dialyse et <strong>diabète</strong><br />
> H. Affres – V. Cauldwell<br />
Pompes à insuline et activité physique<br />
> S. Franc – P. Dupont<br />
Blocs en 21-hydroxylase : dépistage<br />
et prise en charge chez l’adulte<br />
> S. Ouzounian - J. Young<br />
Stratégie de suivi des carcinomes<br />
thyroïdiens différenciés<br />
> B. Chougnet - S. Davidson<br />
SOPK : les choix thérapeutiques…<br />
> J. Berdah – H. Bry<br />
2 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
S<br />
Rainage<br />
Rainage
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Jean-Louis Rouget,<br />
Alfred Penfornis<br />
Service d’<strong>endocrinologie</strong>métabolisme<br />
et diabétologie-nutrition,<br />
CHU de Besançon,<br />
25030 Besançon Cedex<br />
mail :<br />
alfred.penfornis@univ-fcomte.fr<br />
Mon patient me ment :<br />
que faire ?<br />
Mon patient me ment : que faire ?<br />
Lorsque j’ai été sollicité pour<br />
traiter de cette question, ma<br />
première action a été de me replonger<br />
dans ces situations, fréquentes, où<br />
je me trouve face à des patients dont<br />
je sens, ou dont je sais, pertinemment<br />
qu’ils ne me disent pas tout, voire<br />
qu’ils me répondent le contraire de ce<br />
qu’ils font ou ne font pas, et de revivre<br />
les sentiments qui peuvent alors émerger<br />
: colère, résignation, impuissance,<br />
frustration, et j’en passe. Comment<br />
peuvent-ils me faire ça et pourquoi le<br />
font-ils ? Je suis là pour leur bien et je<br />
sais ce qu’ils doivent faire : 10 ans à<br />
trimer sur les bancs de la faculté pour<br />
l’apprendre ! Et cela serait inutile ? Ou,<br />
à tout le moins, insuffisant ? N’ai-je<br />
donc tant étudié que pour cette infamie<br />
?... Forte peut être alors la tentation<br />
de les abandonner à leur triste<br />
sort et de réserver mon savoir scientifique<br />
et mon énergie à ces « bons »<br />
patients qui ont vraiment envie de<br />
bien se soigner en appliquant mes<br />
bons conseils. Mais ces situations<br />
sont si fréquentes, dès lors que l’on<br />
s’adresse à des patients atteints de<br />
pathologies chroniques qui entraînent<br />
un vrai bouleversement du mode<br />
de vie, ou de la vie elle-même, que, à<br />
un moment ou à un autre, on ne peut<br />
s’empêcher de vouloir en savoir un<br />
peu plus, d’essayer de comprendre un<br />
tant soit peu, d’aller voir un peu plus<br />
loin. A quoi ces comportements, de<br />
ces patients qui me mentent, répondent-ils<br />
? Quel peut être le sens de ces<br />
mensonges ? Que puis-je en faire ?...<br />
Et pourquoi ne pas tout simplement<br />
le leur demander ?... C’est ce que j’ai<br />
fini par faire et voilà que Mr Jean-<br />
Louis ROUGET, un homme atteint de<br />
plusieurs maladies chroniques, m’a<br />
répondu en se mettant dans ma peau,<br />
celle d’un médecin à qui son patient<br />
ment. Ferait-il preuve d’empathie à<br />
mon égard ?... Ou veut-il m’ouvrir les<br />
yeux, les oreilles et le cœur ?...<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
A Penfornis<br />
Mon malade me ment. Que<br />
faire ? Mon malade me ment<br />
comme un malade. Il nie l’évidence.<br />
Il ne se nomme pas Pinocchio<br />
mais son nez grandit à vue d’œil.<br />
L’ORL échoue à interpréter ce symptôme<br />
et l’ophtalmologue n’y voit pas<br />
plus clair. Sans être en rien dentiste,<br />
mon malade ment comme un arracheur<br />
de dents et, tout redresseur<br />
fût-il, l’orthodontiste n’y peut mais.<br />
Mon malade ment comme il respire. Il<br />
ne manque pas d’air. Le pneumologue<br />
en reste baba.<br />
Aurais-je affaire à un mensonge<br />
ambulant ? Un mensonge venu du<br />
diable sait où pour s’incarner dans<br />
un diabétique de passage Mais a-t-on<br />
3
jamais vu un mensonge diabétique ?<br />
Un diabétique menteur ou un menteur<br />
diabétique, soit ; un mensonge diabétique<br />
ça n’existe pas, ou alors la<br />
Faculté l’ignore. Par conséquent, le<br />
mensonge et le diabétique ne font pas<br />
autant corps qu’il y paraît. Il y aurait<br />
donc bien une distance, un écart<br />
entre le diabétique et le menteur, un<br />
espace dans lequel s’insinuer s’il n’est<br />
pas que diabétique ou que menteur<br />
Cet espace, le malade le dissimule,<br />
comme pour protéger son mensonge,<br />
ou se protéger dedans. Non que j’y<br />
trouverais une consolation, mais le<br />
diabétique n’est pas seul dans ce cas.<br />
J’ai eu vent, par exemple, de dialysés<br />
menteurs, de cancéreux menteurs. La<br />
liste reste ouverte. Seuls les Alzheimer<br />
semblent mentir par inadvertance, et<br />
encore.<br />
Quoi qu’il en soit, mon malade me<br />
ment effrontément. Les preuves fournies<br />
par ses bilans et mon examen<br />
clinique ne l’impressionnent guère.<br />
Ainsi fait-il semblant de tomber des<br />
nues quand je lui parle de son régime.<br />
Il proteste, s’offusque, et, la main sur<br />
le cœur, se jure étranger aux dérèglements.<br />
Encore un peu, il m’inciterait<br />
à prescrire ses injections d’insuline<br />
non plus à lui, mais à la balance<br />
ou aux sucres glace. S’il ne mettait<br />
qu’un quart de l’énergie qu’il dépense<br />
à ruser contre lui-même, et pas contre<br />
moi comme il semble s’en persuader,<br />
à appliquer mes consignes, il ne<br />
serait pas là où il en est. Sidérant, son<br />
registre de mensonge. Il joue sur toute<br />
la gamme : mensonge pur et simple,<br />
omission volontaire et involontaire,<br />
toutes les nuances à la clé. Je ne saurais<br />
l’accuser de manquer de ressources.<br />
Voir une forme d’intelligence rend<br />
plus difficile encore d’accepter son<br />
penchant à mentir.<br />
Que faire ? A sa manière, par le<br />
mensonge, il tente de prendre le<br />
pouvoir sur moi, de réduire ma science<br />
à l’impuissance. Il est pourtant bien<br />
content de la trouver. En tout cas, il<br />
est venu la chercher, et doit plus ou<br />
moins y tenir puisqu’il revient me<br />
voir, pas que pour obtenir son ordonnance<br />
il me paraît attendre quelque<br />
chose. Quoi ? Si ce n’est ce que je<br />
Mon patient me ment : que faire ?<br />
peux lui donner, pour peu qu’il soit<br />
sincère avec moi. Or voilà. Il n’a pas<br />
l’air dépourvu d’éducation, et toute<br />
éducation comporte quelque interdit<br />
jeté sur le mensonge, quitte à le transgresser,<br />
c’est forcé. D’abord, comment<br />
empêcher quiconque de se mentir à<br />
soi-même? Et je ne dis rien du droit<br />
de chacun à mentir, ce peut être une<br />
question de survie, le refuge de la<br />
liberté quand elle se trouve menacée,<br />
ou quand on veut garder son quantà-soi,<br />
silence compris. Point de signe<br />
d’absence de sociabilité chez mon<br />
malade. Pourtant, avec ses mensonges,<br />
il complique, ou ruine même, quand<br />
il pousse le bouchon trop loin, toute<br />
possibilité d’échange, car le préalable<br />
à toute discussion repose sur la<br />
bonne foi et la référence à la vérité. En<br />
quoi la maladie changerait-elle la<br />
donne ? Si tel était le cas, que doisje<br />
faire ? Pas mentir pour me mettre<br />
à l’unisson tout de même ! Je ne peux<br />
pas non plus faire comme si je ne<br />
remarquais rien.<br />
J’ai beau rappeler le principe, tenir<br />
un discours de raison et d’autorité,<br />
indispensable, rien n’y fait. Me croitil<br />
seulement ? Croit-il que par ma<br />
bouche parlent des savoirs ? Au mieux<br />
j’obtiens des pleurs, des lamentations,<br />
des dénégations stupides. Encore<br />
ce menteur-là n’est-il pas agressif,<br />
c’est déjà ça ! Ennemi de la vérité, le<br />
mensonge est aussi celui de la responsabilité.<br />
Pourquoi mon malade fuit-il<br />
ses responsabilités ? Ce qui ne l’empêche<br />
pas de se montrer d’une intransigeance<br />
sans borne, délirante au<br />
besoin, envers les miennes, ou ce qu’il<br />
considère comme telles.<br />
Sa façon de vouloir me mettre en<br />
échec par le mensonge me trouble et<br />
m’inquiète. J’y vois parfois comme<br />
une injure. Pour qui me prend-il ?<br />
Pour qui se prend-il Qu’est-ce qui le<br />
laisse croire qu’il peut se jouer ainsi<br />
de moi ? Je n’ai pas de temps à perdre<br />
avec ces enfantillages. Lui non plus au<br />
demeurant. L’échéance, il la connaîtra<br />
avant moi, il le sait ou s’en doute.<br />
Quelle idée alors de la précipiter ?<br />
Mais n’y a-t-il pas là une tentative de<br />
se mettre lui-même en échec Il veut se<br />
soigner et fait obstacle aux soins. Que<br />
puis-je opposer à ce paradoxe ? Dois-je<br />
le lui jeter à la figure ? La tentation est<br />
forte de me tenir à sa liberté : j’énonce<br />
ce qu’il m’appartient d’énoncer, libre<br />
à mon malade d’en tenir compte ou<br />
pas. Il est majeur et vacciné, qu’il<br />
assume ! Et puis je doute d’une telle<br />
simplicité et d’une telle transparence<br />
de la liberté, pas que pour les malades,<br />
mais plus encore pour eux, en situation<br />
instable, alors je m’abstiens.<br />
D’autre part, j’ai envie de les soigner.<br />
Je dis envie, pas seulement devoir.<br />
Que lui ai-je fait à celui-ci pour qu’il<br />
s’y oppose, à tout le moins résiste ?<br />
Que faire face à cette mule de<br />
malade ? Il m’oblige à spéculer sur<br />
son mensonge, à tenter de deviner<br />
ce qu’il me cache. Je voudrais saisir le<br />
pourquoi, en sorte de comprendre, et<br />
au besoin contourner son mensonge.<br />
Il résiste. Soupçonne-t-il lui-même<br />
ses raisons de mentir ? Si je peux<br />
encore les qualifier de raisons, plutôt<br />
que d’infantilisme, ou de méfiance,<br />
ou de manies, ou de masques, ou<br />
de névrose, ou de défaillance du<br />
sens moral, ou quoi... Toutes choses<br />
déplacées en médecine. Une raison<br />
implique quelque volonté, non ? Je<br />
ne sais que penser, et dès lors par quel<br />
bout le prendre. Quand j’en ai marre,<br />
ou s’il me semble que mon malade<br />
se fout ouvertement de ma gueule,<br />
j’ai tendance à me tenir dans le rôle<br />
du médecin enregistreur. Je ne vais<br />
pas chercher midi à quatorze heures,<br />
je complète ma fiche, je prescris, je<br />
bidouille au jugé. Mon malade me<br />
ment, tant pis pour lui. Après tout, je<br />
4 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
ne suis pas là pour sonder les âmes.<br />
Les reins me suffisent. Cet attrait de<br />
la capitulation ne dure pas. Ça ne me<br />
ressemble pas, je sais pourquoi. Je<br />
l’ignore un peu aussi, c’est vrai. C’est<br />
plus fort que moi. J’en viens alors à me<br />
demander si le mensonge ne serait pas<br />
plus fort que mon malmenteur. Allons,<br />
ça ne rimerait à rien.<br />
Je ne suis pas spécialiste du<br />
mensonge. Ni flic, ni juge, ni curé.<br />
D’ailleurs, eux aussi échouent s’ils<br />
tombent sur un as de la tromperie.<br />
Mon malade en est un. Je n’en reviens<br />
pas du nombre de malades qui lui<br />
ressemblent. S’il existait un tribunal<br />
correctionnel, voire des assises,<br />
et sans même parler d’un jugement<br />
dernier, pour les malades menteurs,<br />
cela changerait-il la face des choses ?<br />
De toute façon, ces instances seraient<br />
débordées. Les malades seraient morts<br />
avant de passer en procès. A quoi<br />
bon compliquer d’ailleurs, l’ordalie<br />
persiste, en douce : leur corps parle. A<br />
sa manière, il ne peut mentir. Eux si<br />
Pourquoi chacun d’eux ne se réduit-il<br />
pas à son corps ?<br />
Que craint mon malade ? Il<br />
confond la médecine et son intimité.<br />
Comment le convaincre, non du<br />
contraire, du fait que la maladie participe<br />
de son intimité, lui attente par là<br />
même, et que s’il ne m’en dévoile rien<br />
de crucial pour le soigner, il limite mes<br />
capacités à le faire, menaçant son être<br />
entier.<br />
S o u v e n t je me dis que mon<br />
malade et moi ne vivons pas dans<br />
le même monde. Peut-être n’a-t-il<br />
même pas la conscience de mentir.<br />
Dans son univers, un univers recomposé<br />
autour de la maladie, avec pour<br />
idiome le mensonge, compréhensible<br />
à mi-mots des seuls malades,<br />
raconter des sornettes à son médecin<br />
constituerait une coutume, voire une<br />
médecine parallèle, une magie ? Allez<br />
savoir. Comment lui opposer dès lors<br />
un langage gardant les pieds sur terre,<br />
où la langue ne fourche pas ? Dois-je<br />
m’aventurer sur cette étrange planète<br />
Sans être malade moi-même, je veux<br />
dire.<br />
❝<br />
Bien que je sois un malade<br />
chevronné et que, toute ma vie<br />
il m’ait fallu vivre avec mes<br />
maladies plus ou moins graves,<br />
puis gravissimes, et, pour finir avec<br />
mes maladies dites incurables,<br />
j’ai toujours eu régulièrement<br />
de ces rechutes de dilettantisme<br />
en matière de maladie,<br />
j’ai fait des bêtises, des bêtises<br />
impardonnables.<br />
Thomas Bernhard,<br />
dans « Le neveu de Wittgenstein »<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
❞<br />
Faut-il l’avouer, ma propre expérience<br />
du mensonge -car j’en ai une,<br />
dussé-je ne pas en être fier- ne me sert<br />
de rien. Pas un instant je ne reconnais<br />
un sens commun du mensonge<br />
avec mon malade menteur. Même<br />
si – et je concède encore n’en tirer<br />
aucune gloire – j’ai menti pour me<br />
tirer de quelque mauvaise passe, ou<br />
ménager un proche, ou me débarrasser<br />
d’un gêneur, ou me faire mousser,<br />
ou gagner par la triche à quelque jeu,<br />
pas une fois ma vie n’était en jeu. Pas<br />
dans la mesure où l’est celle de mon<br />
malade en tout cas. Mes mensonges<br />
tenaient debout, au contraire des<br />
siens. Pour tout dire, la rationalité<br />
de mes mensonges, si elle ne les<br />
excuse pas, ne se discutait pas, alors<br />
que les siens sont déraisonnables.<br />
Fous. A supposer un mensonge sans<br />
autre bénéfice que subjectif, aurais-je<br />
jamais menti pour mettre à l’épreuve<br />
quelqu’un, mes parents ou mes professeurs<br />
par exemple ? Admettons ! Rien<br />
à voir là non plus avec mon malade.<br />
Quelles raisons aurait-il de me mettre<br />
à l’épreuve ?<br />
J’ai beau en appeler à sa confiance,<br />
et il affirme me l’accorder, il se<br />
méfie de moi. Sinon pourquoi me<br />
mentir ? Aurait-il mieux que moi sous<br />
la main ?! Rien ne le laisse entendre. Je<br />
devrais, moi, lui faire confiance davantage<br />
dans l’espoir de trouver ainsi un<br />
terrain d’entente où il se départirait<br />
de ses mensonges ? Facile à dire.<br />
Déjà faire confiance à un menteur<br />
Supposons, dans un premier temps je<br />
passe outre. Au besoin, j’emprunte un<br />
comme si. Je fais comme si je le croyais,<br />
en sorte de réduire ses résistances. Mais<br />
alors, ne risque-t-il pas de m’embarquer<br />
davantage dans ses mensonges ?<br />
Et s’il venait à croire que je n’ai que ça<br />
à faire, qu’il n’y en a que pour lui<br />
J e s o u p ç o n n e m o n m a l a d e<br />
menteur de me mentir parfois au<br />
réflexe. Comme s’il avait toujours un<br />
mensonge en réserve. Je lui pose une<br />
question et du tac au tac il me répond<br />
n’importe quoi. Il ne s’y attend pas ?<br />
Et alors ? Il n’a qu’à me demander un<br />
temps de réflexion ! Bref ce temps, car<br />
je n’ai guère celui de perdre le mien.<br />
Et puis quoi, moi, à sa place, je serais<br />
malade, j’aurais en permanence à l’esprit<br />
ma maladie, nulle question ne me<br />
prendrait au dépourvu.<br />
Que faire ? Je me heurte sans cesse<br />
à des limites. Celles que m’oppose<br />
mon malade. Les miennes. Celles de<br />
ma science, qui ne me dit pas par quel<br />
bout prendre mon malade menteur<br />
pour qu’il ne me cache pas la vérité.<br />
Que faire ? Je n’ai jamais pensé à le lui<br />
demander. Ou pas osé. A quoi bon si<br />
c’était pour m’entendre rétorquer un<br />
mensonge.<br />
Mais peut-être ne ment-il pas à<br />
temps plein ni ne sait au juste pourquoi<br />
il ment quand il ment. Au-delà<br />
de l’apparence immédiate de son<br />
mensonge, je veux dire. Que faire ?<br />
Commencer par faire connaissance<br />
peut-être…<br />
JL Rouget<br />
5
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Nathalie Reix 1,2 ,<br />
Stéphanie Rox 3 ,<br />
Séverine Sigrist 3 ,<br />
Nathalie Jeandidier 4<br />
1. Laboratoire d’Explorations<br />
Fonctionnelles par les Isotopes,<br />
Hôpitaux Universitaires de<br />
Strasbourg,<br />
1 place de l’Hôpital,<br />
67091 Strasbourg Cedex,<br />
2. LINC, UMR 7237,<br />
CNRS/Université<br />
de Strasbourg,<br />
Faculté de Médecine,<br />
4 rue Kirschleger,<br />
67085 Strasbourg Cedex<br />
3. Centre Européen<br />
d’Etude du Diabète, Boulevard<br />
René Leriche,<br />
67200 Strasbourg<br />
4. Service d’Endocrinologie,<br />
Diabète et Maladies<br />
Métaboliques, H.U.S,<br />
1, place de l’Hôpital,<br />
67091 Strasbourg<br />
Insulinothérapie :<br />
les alternatives<br />
physiologiques à la voie<br />
sous-cutanée<br />
optimisée<br />
par voie sous-cutanée (SC) est<br />
L’insulinothérapie<br />
classiquement utilisée pour<br />
contrôler la glycémie. Cette méthode<br />
ne permet pas de reproduire parfaitement<br />
le profil physiologique des<br />
concentrations d’insuline endogène<br />
au cours de la journée et donc ne<br />
permet pas une normalisation des<br />
glycémies. Or, les résultats des études<br />
à grande échelle DCCT (diabetes<br />
control and complications trial) [1] et<br />
UKPDS (UK prospective diabetes study)<br />
[2] confortent l’importance d’une<br />
quasi normalisation des glycémies,<br />
seule capable de prévenir les complications<br />
de micro- et de macro-angiopathie<br />
dans les <strong>diabète</strong>s de type 1<br />
(étude DCCT) comme dans ceux de<br />
type 2 (étude UKPDS).<br />
Tous les types de systèmes utilisant<br />
l’administration d’insuline par voie<br />
sous-cutanée se heurtent à ses limites<br />
liées essentiellement à son absorption,<br />
et d’autre part au fait qu’ils peuvent<br />
constituer une barrière psychologique<br />
chez les patients ayant une phobie de<br />
l’administration parentérale. Pour ces<br />
raisons, de nouvelles voies d’administration<br />
sont en cours de développe-<br />
ment, l’objectif étant d’améliore l’efficacité<br />
clinique de l’insuline exogène<br />
et la qualité de vie du patient.<br />
A l’heure actuelle, seuls deux modes<br />
d’administration d’insuline permettent<br />
de respecter ce premier passage hépatique<br />
: la pompe à insuline implantée<br />
qui délivre l’insuline par voie intrapéritonéale<br />
(IP) et l’insuline orale où l’insuline<br />
est absorbée du tractus gastro intestinal<br />
par la veine porte.<br />
Voie périphérique<br />
versus voie portale<br />
L’atteinte d’une glycémie proche<br />
de la normale visant la prévention<br />
des complications et la limitation des<br />
hypoglycémies est le principal défi<br />
dans le traitement du <strong>diabète</strong> de type<br />
1 aujourd’hui. L’objectif de l’administration<br />
d’insuline est de remplacer de<br />
façon la plus fine possible la sécrétion<br />
physiologique d’insuline, en fonction<br />
des besoins au cours du nycthémère,<br />
en pouvant modifier les débits<br />
en temps réel, ce qui permet une<br />
adaptation aux modifications physiologiques<br />
des besoins (repas copieux,<br />
6 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
Tableau 1. Tableau récapitulatif des avantages et inconvénients des systèmes d’insulinothérapie proposés aujourd’hui<br />
aux diabétiques et des voies alternatives en cours de développement. L’administration d’insuline<br />
per os paraît prometteuse comme système idéal.<br />
Caractéristiques<br />
Voie d’administration<br />
Sous-cutanée<br />
(seringues, pompes)<br />
Utilisation simple,<br />
rapide, discrète<br />
activité physique non prévue) ou<br />
pathologiques (maladie intercurrente)<br />
[3]. Actuellement, la voie SC est<br />
la voie utilisée dans le traitement à<br />
long terme du <strong>diabète</strong>, la voie intraveineuse<br />
(IV) étant réservée aux situations<br />
aiguës. Les schémas actuels de<br />
type « basal-bolus » associent une<br />
insuline lente couvrant les besoins<br />
interprandiaux à une insuline rapide<br />
couvrant les repas, ils permettent une<br />
adaptation souple à la vie de tous les<br />
jours. L’infusion continue d’analogue<br />
rapide de l’insuline par voie sous-cutanée<br />
(CSII) permet une adaptation en<br />
temps réel des débits et de « coller »<br />
aux besoins physiologiques en insuline<br />
en particulier nocturnes (besoins<br />
faibles de minuit à 4 h, plus importants<br />
en fin de nuit, c’est l’actuel<br />
« gold standard » de l’insulinothérapie<br />
intensive, permettant une améliora-<br />
X<br />
Limitation des<br />
hypoglycémies<br />
sévères<br />
1 er passage<br />
hépatique<br />
tion de l’HBA1C et une diminution<br />
des hypoglycémies, sévères ou non,<br />
par rapport au schéma « basal-bolus » [4].<br />
La voie sous-cutanée présente<br />
plusieurs limites : une variabilité d’absorption<br />
intra-patient non négligeable<br />
malgré les progrès obtenus avec les<br />
analogues rapides ou lents, l’apparition<br />
de lipodystrophies qui modifient<br />
également l’absorption, l’apparition<br />
d’une insulino-résistance spécifiquement<br />
liée à l’absorption sous-cutanée<br />
et les allergies qui, heureusement, sont<br />
rares [4].<br />
La voie intraveineuse permet une<br />
action rapide et des modifications de<br />
débits instantanés, elle est donc particulièrement<br />
adaptée aux situations<br />
aiguës où d’importantes doses d’insuline<br />
doivent être administrées rapidement.<br />
Elle nécessite une surveillance<br />
des glycémies capillaires très rappro-<br />
Pas de matériel Pas de piqûre<br />
Intra-péritonéale<br />
(pompe implantables) X X X X<br />
Pulmonaire X X<br />
Orale X X X X X<br />
Glucose (mg/dL)<br />
240<br />
22<br />
200<br />
180<br />
160<br />
140<br />
120<br />
100<br />
80<br />
60<br />
40<br />
*<br />
*<br />
*<br />
-30 0 30 60 90 120<br />
150 180 210 240<br />
Sous-cutanée<br />
Intrapéritonéale<br />
Minutes Minutes<br />
chée et ne permet pas une utilisation<br />
à long terme [4].<br />
Contrairement à la sécrétion<br />
physiologique d’insuline, l’administration<br />
par ces 2 voies entraîne une<br />
absorption périphérique dans un<br />
premier temps.<br />
L’insuline est physiologiquement<br />
sécrétée au niveau de la veine porte, ce<br />
qui permet un premier passage hépatique<br />
de celle-ci. De ce fait, la forte<br />
concentration en insuline au niveau<br />
du foie permet une bonne synthèse<br />
de certaines protéines comme les lipoprotéines,<br />
l’IGF1, le PAI1 et la SHBG,<br />
synthétisées sous le contrôle de l’insuline<br />
[4]. De la même façon, la synthèse<br />
de glycogène hépatique et la production<br />
de glucagon lors des hypoglycémies<br />
sont favorisées.<br />
La moitié de l’insuline synthétisée<br />
est extraite au niveau du foie. Une<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
140<br />
120<br />
100<br />
80<br />
60<br />
40<br />
20<br />
-30 0 30 60 90 120 150 180 210 240<br />
Figure 1. Trouver une alternative à la voie SC pour améliorer l’équilibre glycémique : la voie IP d’insuline plus rapide et plus physiologique (d’après [45]).<br />
Insuline (μU/mL)<br />
*<br />
7
administration portale permet une<br />
normalisation du métabolisme hépatique<br />
et une concentration périphérique<br />
d’insuline plus faible. A débits<br />
égaux, l’administration d’insuline<br />
intrapéritonéale entraîne une production<br />
hépatique de glucose plus faible<br />
que la voie intraveineuse, les concentrations<br />
d’insuline libre sont légèrement<br />
plus basses qu’en IV (Tableau 1)<br />
[4-7]. L’administration porte d’insuline<br />
est possible par voie intrapéritonéale<br />
et par voie orale. Une administration<br />
d’insuline humaine par voie<br />
intrapéritonéale permet une absorption<br />
portale aux environs de 90%<br />
comme l’a montré Bergman chez le<br />
chien [4]. L’extraction hépatique de<br />
50% de l’insuline portale [8] permet à<br />
l’administration par voie IP d’insuline<br />
d’améliorer la sécrétion de glucagon,<br />
la production/élimination du glucose<br />
hépatique en réponse aux hypoglycémies<br />
[9] et, ainsi, de limiter les fluctuations<br />
glycémiques au cours de la journée<br />
[10]. L’administration d’insuline<br />
humaine par IP offre une cinétique<br />
insulinique plus rapide et plus reproductible<br />
à long terme qu’avec la voie<br />
SC (Figure 1) [11].<br />
A l’heure actuelle, le seul système<br />
utilisé en clinique permettant l’administration<br />
d’insuline par voie IP au<br />
long cours est la pompe implantable.<br />
Le système permettant de relier une<br />
pompe externe à un catheter intrapéritonéal,<br />
le « Diaport » n’est plus<br />
utilisé [4] ; il présentait de nombreuses<br />
complications, comme des infections<br />
cutanées et des obstructions récurrentes<br />
de cathéters, il a néanmoins<br />
permis de démontrer une amélioration<br />
de l’équilibre glycémique comparée<br />
à l’infusion insulinique d’insuline<br />
utilisant de l’insuline humaine [12].<br />
La mise au point de pompes<br />
implantables (Medtronic) composées<br />
d’un réservoir en titane, relié à<br />
un cathéter en silicone fixé au fascia<br />
musculaire, flottant librement dans la<br />
cavité péritonéale a permis de s’affranchir<br />
des infections cutanées et d’envisager<br />
un traitement à long terme fixé<br />
par la durée de vie de la batterie de la<br />
pompe (8 ans environs). Ces dispositifs<br />
sont programmés par télémétrie<br />
Insulinothérapie: les alternatives physiologiques à la voie sous-cutanée<br />
Point de fixation<br />
Point de<br />
fixation<br />
Point de fixation<br />
(Figure 2). L’utilisation de matériel<br />
implanté a rendu nécessaire la mise<br />
au point d’une insuline physiquement<br />
stable afin d’éviter la formation<br />
d’agrégats favorisée par la température<br />
élevée et l’agitation. Cette insuline<br />
actuellement mise au point par<br />
Sanofi Aventis, dont la concentration<br />
est de 400 U/ml permet un remplissage<br />
de la pompe tous les 45 jours.<br />
Malgré les améliorations techniques,<br />
des agrégats se forment et le système<br />
doit être » rincé » tous les 9 mois environs<br />
avec un produit basique, dissolvant<br />
ces agrégats.<br />
Les autres incidents sont essentiellement<br />
des encapsulations de cathé-<br />
ters (17 pour 100 années patients), des<br />
infections de poches (0,6 pour 100<br />
années patients) et des pannes électroniques<br />
ou mécaniques de pompes<br />
(3,6 pour 100 années patients). La<br />
formation d’anticorps anti-insuline<br />
est souvent transitoire ; de rares cas de<br />
complications métaboliques ont néanmoins<br />
été rapportés. Ces anticorps<br />
semblent être corrélés à la présence<br />
d’agrégats. Heureusement, l’amélioration<br />
de la stabilité physique de l’insuline<br />
a amélioré l’anti-génicité de celle–ci.<br />
Malgré ces incidents, le traitement<br />
par infusion continue d’insuline<br />
péritonéale permet, par rapport<br />
à l’insulinothérapie intensive souscutanée,<br />
une amélioration significative<br />
de l’HbA1c (p0,001) [13]<br />
et des hypoglycémies sévères [14, 15].<br />
Une meilleure qualité de vie [16] et<br />
l’absence de prise de poids sont également<br />
notées dans les études [14, 17].<br />
L’amélioration du contrôle glycémique<br />
reste stable au long cours (Figure 3)<br />
[18] justifiant le recours à ce traitement<br />
dans les <strong>diabète</strong>s instables, les<br />
hypoglycémies sévères à répétition et<br />
les échecs de traitements par infusion<br />
sous-cutanée d’analogues rapides bien<br />
conduits.<br />
Sur le plan physiologique, il a été<br />
retrouvé dans les études cliniques,<br />
une normalisation de la composition<br />
8 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
8-9 cm<br />
Orifice de<br />
remplissage<br />
Orifice latéral<br />
Cathéter<br />
(portion souscutanée)<br />
Point de fixation<br />
Cathéter (portion<br />
intra-abdominale<br />
Système électronique Système de régulation du débit<br />
1.5 - 2 cm<br />
Orifice latéral<br />
de sortie du<br />
cathéter<br />
Figure 2. Schéma d’une pompe implantable.<br />
Hb1c (%)<br />
9<br />
8,5<br />
8<br />
7,5<br />
7<br />
Implantation Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5<br />
(n = 181) (n = 181) (n = 146) (n = 89) (n = 68) (n = 56)<br />
Niveaux<br />
d'HbA1c (%) 5.1-12.2 4.7-12.2 5.1-12.1 5.6-11 5.4-9.2 5.3-9.7<br />
Figure 3. Evolution des HbA1C de la cohorte EVADIAC (Belicar Diabetes technology).
des lipoprotéines par Ruolto et al. [19]<br />
associée à la normalisation de l’activité<br />
de la LPL qui redevient comparable<br />
aux témoins et à une amélioration<br />
du transfert inverse du cholestérol<br />
démontrée par une diminution de l’activité<br />
de la CETP [4]. La synthèse hépatique<br />
des protéines comme la SHBG<br />
ou l’IGFF1, est, elle aussi, plus proche<br />
de celle des témoins [20]. L’étude<br />
EVADIAC portant sur son expérience<br />
à 10 ans a confirmé la faisabilité et la<br />
sécurité de la technique ainsi que les<br />
indications retenues.<br />
L’administration continue d’insuline<br />
par voie péritonéale permet<br />
une amélioration glycémique associée<br />
à une stabilisation des glycémies,<br />
particulièrement significative dans les<br />
<strong>diabète</strong>s de type 1 instables. Les conséquences<br />
à long terme de la normalisation<br />
du métabolisme hépatique<br />
tant sur la synthèse du glycogène, de<br />
certaines protéines et de la composition<br />
des lipoprotéines a peut-être un<br />
impact sur les complications chroniques,<br />
indépendant de l’amélioration<br />
de l’équilibre glycémique.<br />
Cette administration non régulée<br />
ne permet pas d’obtenir une normalisation<br />
des glycémies, par contre cette<br />
voie d’administration mérite d’être<br />
considérée associée à un capteur et des<br />
algorithmes permettant de « fermer »<br />
la boucle ; des résultats prometteurs<br />
ont été publiés [21].<br />
L’insuline administrée par voie<br />
orale : problématique,<br />
ptratégies et pssais cliniques<br />
Une formulation d’insuline administrable<br />
par voie orale est une perspective<br />
prometteuse dans la gestion<br />
du <strong>diabète</strong> ; elle permettrait une administration<br />
portale de l’insuline et une<br />
excellente acceptation par le patient.<br />
Cependant, plusieurs obstacles<br />
doivent être franchis afin d’assurer le<br />
maintien de l’intégrité de l’insuline<br />
jusqu’à son site d’action pharmacologique<br />
(Figure 4). Dans un premier<br />
temps, il faut assurer la protection<br />
de l’insuline dans l’environnement<br />
gastro-intestinal (pH, enzymes), puis<br />
Administration orale<br />
Dégradations chimiques<br />
et biochimiques<br />
(milieu gastro-intestinal)<br />
Muco- et bio-adhésion<br />
Absorption<br />
permettre son transit au travers de<br />
la couche de mucus et de l’épithélium<br />
intestinal (étapes de mucoadhésion<br />
puis bioadhésion et absorption)<br />
pour qu’elle puisse être délivrée dans<br />
la circulation portale. Une fois dans le<br />
sang, la formulation doit être furtive<br />
pour ne pas déclencher de réactions<br />
immunitaires. Tout ceci doit permettre<br />
d’obtenir une biodisponibilité suffisante,<br />
un profil pharmacocinétique<br />
type insuline lente ou rapide et une<br />
faible variabilité inter- et intra-individuelles.<br />
Diverses stratégies répondant<br />
à ces contraintes font l’objet d’études<br />
de recherche et précliniques.<br />
Conférer une protection<br />
gastrique<br />
Les gélules gastrorésistantes sont<br />
un recours pour protéger une formulation<br />
contre les dégradations en milieu<br />
gastrique. S’il est question de nanoparticules<br />
d’insuline, l’enrobage direct<br />
avec des polymères entériques peut se<br />
faire.<br />
Circulation sanguine Cibles<br />
Promouvoir l’absorption<br />
Il s’agit de perméabiliser l’épithélium<br />
intestinal sans atteinte de l’intégrité<br />
tissulaire au niveau du lieu<br />
de passage de la formulation. Ainsi,<br />
les sels biliaires et les acides gras qui<br />
forment des micelles autour de l’insuline<br />
augmentent la perméabilité<br />
de la bicouche lipidique des cellules<br />
intestinales. Le sodium N-[8-(2hydroxybenzoyl)amino]caprylate<br />
(SNAC) facilite le transport passif<br />
transcellulaire, ce qui augmente la<br />
biodisponibilité de nombreux peptides<br />
après administration per os [22]. Ce<br />
promoteur d’absorption utilisé pour<br />
l’administration orale d’insuline dans<br />
la formulation « Eligen ® insulin » fait<br />
actuellement l’objet d’essais cliniques<br />
de phase II [23, 24].<br />
Modifier chimiquement l’insuline<br />
Un exemple de modification<br />
chimique de l’insuline est donné par<br />
NOBEX Corporation, USA [25-27].<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
Epiphélium intestinal<br />
Système immunitaire<br />
Dilution<br />
Figure 4. Illustration récapitulant les différents types de barrières à franchir pour que l’insuline ingérée<br />
atteigne ses cibles biologiques.<br />
Les triangles donnent une représentation de la perte de molécules lors des différentes étapes (d’après<br />
[46]).<br />
9
Nom du<br />
système /<br />
Dernières<br />
données<br />
Eligen ® insulin<br />
Déc 2010*<br />
[C,D,E]<br />
HIM2<br />
2009 [F,G,H]<br />
CapsulinTM<br />
2010 [N,O,P]<br />
HDV-I<br />
(Directed<br />
Hepatic<br />
Vesicle-Insulin)<br />
2009 [R,S,T,U]<br />
ORMD-0801<br />
Oct. 2011**<br />
[V,W,X]<br />
Société<br />
Partenariat<br />
Emisphere<br />
Tech., USA<br />
& Novo<br />
Nordisk, DK<br />
Partenariat<br />
Nobex Corp.,<br />
USA<br />
Biocon, Inde<br />
Diabetology<br />
Ltd, UK<br />
Diasome<br />
Pharm., USA<br />
Oramed<br />
Pharm., Israël<br />
Le but de cette modification a été à la<br />
fois d’améliorer la stabilité de l’insuline<br />
face aux dégradations enzymatiques<br />
et de faciliter son absorption<br />
par la muqueuse intestinale. L’insuline<br />
est conjuguée à un oligomère amphiphile<br />
sans altération de son efficacité.<br />
L’insuline se retrouve ainsi protégée<br />
des enzymes grâce aux interférences<br />
stériques entre enzymes et les oligomères.<br />
De plus, le caractère amphiphile<br />
conféré à l’insuline par cette<br />
conjugaison favorise son passage au<br />
travers de la muqueuse intestinale.<br />
Encapsuler l’insuline<br />
dans des particules<br />
Une alternative à ces différentes<br />
stratégies provient de l’évolution des<br />
nanotechnologies qui ont permis<br />
l’utilisation de nouveaux outils, les<br />
Insulinothérapie: les alternatives physiologiques à la voie sous-cutanée<br />
Tableau 2. Bilan des études cliniques sur l’insuline orale en date de février 2012.<br />
Dose /<br />
jour<br />
(UI)<br />
Biodis-ponibi-li<br />
té<br />
Technologie / Principe<br />
1200 Faible Complexation de l’insuline<br />
avec un promoteur d’absorption<br />
(SNAC)<br />
1200-<br />
2000<br />
600-<br />
1200<br />
Faible Modification chimique d’une<br />
insuline rapide (Hexyl Insulin<br />
Monoconjugate 2)<br />
Faible Gélules gastrorésitantes<br />
contenant un mélange insuline<br />
(150 UI) + promoteurs<br />
d’absorption<br />
20 Elevée Nanoliposomes contenant<br />
de l’insuline (5 UI) et couplés<br />
à une molécule ciblant les<br />
hépatocytes<br />
Protection gastro-intestinale et<br />
dans le sang<br />
944 Faible Gélules contenant insuline<br />
(216 UI) + promoteurs<br />
d’absorption<br />
polymères. Désormais, il est possible<br />
de piéger l’insuline au sein d’un<br />
vecteur particulaire dont la taille est<br />
comprise entre quelques dizaines de<br />
nanomètres et quelques centaines de<br />
microns. Ce vecteur est plurifonctionnel<br />
: il assure une protection du principe<br />
actif qu’il renferme vis-à-vis des<br />
dégradations dans le tractus gastrointestinal<br />
en l’isolant des milieux<br />
biologiques traversés, il transite via la<br />
muqueuse intestinale et doit libérer<br />
l’insuline dans le sang. Les polymères<br />
employés pour composer un vecteur<br />
sont d’origine naturelle ou synthétique.<br />
Parmi les polymères naturels,<br />
ceux qui sont retenus sont généralement<br />
des polysaccharides ayant des<br />
propriétés gélifiantes comme le chitosane<br />
(mucoadhésif) [28], l’alginate<br />
[29], le dextrane (gastrorésistant) ou<br />
l’acide hyaluronique [30]. La fabri-<br />
Essais<br />
clini-ques<br />
cation des particules à base de polymères<br />
naturels fait appel à des techniques<br />
douces et à des conditions<br />
opératoires non dénaturantes pour les<br />
principes actifs. Les polymères synthétiques<br />
les mieux placés pour l’encapsulation<br />
sont, naturellement, ceux sur<br />
lesquels on dispose de plus de données<br />
en particulier au niveau de leur biodégradabilité<br />
et de leur toxicité : les<br />
poly(alkylcyanoacrylates) [31] et les<br />
acides poly(lactique-co-glycolique)<br />
[32]. Leur produits de dégradation in<br />
vivo résultent de mécanismes d’hydrolyse<br />
et enzymatiques. Ensuite, l’acide<br />
polycyanoacrylique est éliminé par<br />
voie rénale, l’acide lactique est oxydé<br />
en acide pyruvique, élément de base<br />
du cycle de Krebs et l’acide glycolique<br />
est transformé avant d’être métabolisé<br />
en eau et CO 2 .<br />
Les différentes stratégies citées<br />
10 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
Résultats<br />
Ph II - Cmax : 30-60 min<br />
- Pas d’altération de l’intégrité<br />
membranaire intestinale<br />
- Pas d’effet indésirable<br />
observés<br />
Ph II - Cmax : 30 min<br />
- Effet insuline rapide<br />
- Effet dose dépendant<br />
- Absence de toxicité<br />
Ph II - Cmax : 90 min<br />
- Durée action > 6 h<br />
- Légères diminutions HbA1c<br />
et TG<br />
- Bonne tolérance du produit<br />
Ph III - Effet par voie orale proche de<br />
l’effet de la même dose par voie<br />
SC<br />
- Bonne biodisponibilité<br />
Ph II - Cmax : 4 h<br />
- Réduction de la glycémie de<br />
7 à 37%<br />
- Pas d’effet secondaire sévère
peuvent être utilisées de concert pour<br />
palier une déficience ou améliorer la<br />
biodisponibilité. Par exemple, l’utilisation<br />
d’une gélule gastro-résistante<br />
renfermant de l’insuline et des promoteurs<br />
d’absorption [33-35] des nanoparticules<br />
de PLGA insuffisamment<br />
mucoadhésives peut être enrobés de<br />
chistosane [36].<br />
Afin d’illustrer les différentes stratégies<br />
qui viennent d’être énumérées,<br />
le tableau 2 dresse un bilan des essais<br />
cliniques qui ont récemment communiqué<br />
leurs avancées sur les systèmes<br />
d’insuline administrable par voie<br />
orale. Toutefois, le passage de particules<br />
au niveau de l’épithélium intestinal<br />
reste un phénomène limité. Il ne<br />
représente qu’une faible quantité des<br />
particules administrées (
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Stéphane Cauchi<br />
CNRS UMR8199<br />
Institut de Biologie de Lille<br />
Génomique des Maladies<br />
Métaboliques<br />
1 Rue du Professeur Calmette<br />
B.P. 245<br />
59019 Lille Cedex<br />
Mail : stephane@good.ibl.fr<br />
Peut-on prédire l’avenir<br />
de jeunes enfants<br />
de diabétiques de type 2 ?<br />
Un des buts de la médecine<br />
moderne est de prévenir la maladie<br />
plutôt que d’avoir à la guérir.<br />
Grâce aux progrès réalisés dans la<br />
compréhension des mécanismes de<br />
nombreuses affections, on pense qu’il<br />
sera bientôt possible d’évaluer le risque<br />
pour un individu sain de développer<br />
une pathologie dans un avenir plus ou<br />
moins lointain, et éventuellement, de<br />
mettre en place des stratégies destinées<br />
à les éviter. Cette médecine prédictive<br />
personnalisée peut intervenir dans de<br />
nombreuses situations, de l’embryon<br />
à l’adulte. Selon le contexte, elle peut<br />
servir à éviter la naissance d’un enfant<br />
malade, à suspecter une prédisposition<br />
à certaines pathologies, à prédire l’apparition<br />
d’une maladie ou l’effet d’un<br />
traitement.<br />
L’institut de veille sanitaire a<br />
montré que le <strong>diabète</strong> reste une des<br />
grandes priorités de santé publique<br />
avec un poids économique annuel de<br />
17 milliards d’euros. En effet, la prévalence<br />
du <strong>diabète</strong> traité a été estimée en<br />
2009 à 4,4% de la population résidant<br />
en France, ce qui correspond à environ<br />
2,9 millions de personnes, dont<br />
au moins 2,7 millions de personnes<br />
diabétiques de type 2 (91,9%) [1]. C’est<br />
pourquoi l’Agence Nationale d’Accréditation<br />
et d’Évaluation en Santé<br />
(devenue Haute Autorité de Santé)<br />
recommande depuis 2003 un dépistage<br />
opportuniste ciblé en s’appuyant<br />
sur les facteurs de risque connus<br />
comme l’âge, l’origine ethnique, la<br />
surcharge pondérale, l’hypertension,<br />
l’hyperlipidémie, les antécédents<br />
personnels et familiaux. Elle encourage<br />
l’élaboration de scores de risque<br />
de <strong>diabète</strong> adaptés à la population<br />
française pour optimiser le dépistage<br />
par le médecin généraliste.<br />
La phase d’évolution asymptomatique<br />
du <strong>diabète</strong> étant de 9 à 12 ans [2,<br />
3], des scores ont été développés pour<br />
évaluer, avec des données cliniques et<br />
biologiques, le risque de <strong>diabète</strong> à cinq<br />
ou 10 ans [4]. Cependant, ces scores<br />
sont quelquefois compliqués à mettre<br />
en place lors d’une évaluation clinique<br />
de routine et ne sont pas suffisamment<br />
fiables pour prédire, avec une grande<br />
efficacité et pour un coût raisonnable,<br />
le développement de la maladie. De<br />
plus, la plupart des études se sont focalisées<br />
sur des cohortes de populations<br />
générales adultes incluant des participants<br />
de plus de 40 ans, avec une<br />
obésité abdominale déjà présente, sans<br />
<strong>diabète</strong> mais avec une hyperglycémie<br />
avérée ou ignorée.<br />
Aujourd’hui, on sait que le risque<br />
de développer un <strong>diabète</strong> de type 2<br />
12 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
Figure. Familles à risque de <strong>diabète</strong> de type 2 dans l’étude DESCENDANCE<br />
est en partie génétique. Depuis déjà<br />
plusieurs années, certaines études<br />
ont notamment observé une agrégation<br />
familiale. La composante héréditaire<br />
a notamment pu être analysée<br />
en comparant le risque de développer<br />
la maladie entre des apparentés de<br />
patients diabétiques et la population<br />
générale par un indice appelé « sibling<br />
relative risk » (λS), qui est à peu près<br />
de 3 dans la plupart des populations<br />
analysées [5, 6]. Le risque de développer<br />
un <strong>diabète</strong> de type 2 est de 40%<br />
pour les personnes qui ont un parent<br />
avec la maladie et près de 70% si les<br />
deux parents sont affectés [7, 8]. Dans<br />
plusieurs ethnies, on a aussi remarqué<br />
que le père ou la mère des diabétiques<br />
était souvent atteint de DT2 :<br />
31% chez les Australiens [9], 58%<br />
chez les Afro-Américains [10], 34%<br />
chez les Tunisiens [11] et 39% chez les<br />
Grecs [12]. Ces chiffres sont probablement<br />
sous-estimés de 10 à 20% étant<br />
donné la sensibilité de ces études qui<br />
a été estimée entre 0,72 et 0,87 alors<br />
que la spécificité apparaît excellente<br />
(0,98) [13, 14]. Dans une autre étude,<br />
il a été suggéré que le risque est multiplié<br />
de deux à six fois de développer<br />
un <strong>diabète</strong> de type 2 quand il y a une<br />
histoire familiale de <strong>diabète</strong> chez les<br />
apparentés de premier degré (parents,<br />
enfants, fratrie) [15]. Cependant, il a<br />
été observé que sans histoire familiale<br />
de <strong>diabète</strong> de type 2, le risque de développer<br />
la maladie est de seulement<br />
5,9% [16]. Depuis 2007, la recherche<br />
a réalisé beaucoup de progrès dans la<br />
découverte de nouveaux marqueurs<br />
génétiques du <strong>diabète</strong> de type 2, ce qui<br />
a permis d’identifier de nouvelles voies<br />
métaboliques impliquées dans la maladie<br />
[17]. Cependant, l’ensemble de ces<br />
variations génétiques semblent n’expliquer<br />
que 10% de l’héritabilité estimée<br />
et a une capacité réduite à prédire<br />
le développement du <strong>diabète</strong> de type<br />
2 [18]. Là encore, la plupart des études<br />
de prédiction ont été réalisées chez des<br />
individus de populations générales<br />
ayant un profilage génétique associé<br />
à un risque légèrement supérieur ou<br />
inférieur au risque moyen de la population<br />
[19]. De plus, beaucoup de ces<br />
adultes présentent déjà des caractéristiques<br />
cliniques et biologiques annonciatrices<br />
de la maladie. Enfin, même<br />
si on détecte des individus génétiquement<br />
à risque de développer un<br />
<strong>diabète</strong> de type 2, il est souvent difficile<br />
de modifier leur mode de vie<br />
(alimentation, activité physique,<br />
etc…) à un âge mûr [20-23].<br />
Il serait sans doute plus efficace<br />
de mettre en œuvre ces mesures de<br />
prévention plus tôt, chez des enfants,<br />
adolescents ou adultes jeunes, à un<br />
stade où les habitudes pathogènes et<br />
leurs conséquences chez les individus<br />
prédisposés ne sont pas définitivement<br />
en place. La faisabilité d’une telle<br />
stratégie passe par la prise en compte<br />
non plus des seuls individus, mais des<br />
familles à fort risque de transmission<br />
de la maladie. C’est le but de l’étude<br />
« DESCENDANCE » que nous mènerons<br />
avec le Dr. Charpentier (Hôpital<br />
de Corbeil-Essonnes), en collaboration<br />
avec différents centres francophones*.<br />
Cette étude impliquera 1000 sujets<br />
adultes de plus de 35 ans, présentant<br />
un <strong>diabète</strong> de type 2 ou une dysglycémie,<br />
et ayant au moins un parent<br />
diabétique de type 2. Ces 1000 cas<br />
seront comparés à leurs frères ou sœurs<br />
non diabétiques (témoins) dont le<br />
nombre idéal est estimé à 2000 (Figure).<br />
Nous proposons de valider un score de<br />
risque de <strong>diabète</strong> de type 2 chez des<br />
enfants de diabétiques adultes, en utilisant<br />
d’une part leur profilage génétique<br />
et celui de leurs deux parents, d’autre<br />
part leurs habitudes alimentaires, d’activité<br />
physique et corpulence dans l’enfance,<br />
en tenant compte d’un éventuel<br />
<strong>diabète</strong> gestationnel chez leur mère.<br />
Si nos résultats sont concluants, un<br />
tel score déboucherait sur la réalisation<br />
d’une « biopuce » ciblant les variations<br />
génétiques à risque, couplée à un<br />
algorithme impliquant des paramètres<br />
cliniques permettant de fournir un<br />
risque chiffré de maladie à venir chez<br />
les enfants de diabétiques, permettant<br />
ainsi la mise en place de mesures de<br />
prévention hygiéno-diététique, voire<br />
pharmacologiques précoces et prolongées.<br />
*Étude DESCENDANCE.<br />
• Promoteur : Centre d’études et de Recherches<br />
sur l’Intensification du Traitement du Diabète<br />
(CERITD) – Bioparc Corbeil/Evry Genopole<br />
Président du Conseil scientifique :Dr B.<br />
Balkau, INSERM U1018, Centre de recherche<br />
en Epidémiologie et Santé des Populations,<br />
94807 VILLEJUIF<br />
Conseil-expert scientifique : Pr P. Hebel,<br />
CREDOC : Centre de Recherche pour l’Etude<br />
et l’Observation des Conditions de vie, 75013<br />
PARIS.<br />
Généticien : Pr Ph Froguel, UMR 8199 Lille<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
13
Investigateurs :<br />
• Service de Diabétologie, Centre Hospitalier<br />
Sud Francilien, Corbeil-Essonnes : Dr G.<br />
Charpentier, Dr S. Franc<br />
• Service d’Endocrinologie – Diabétologie -<br />
Nutrition, CHRU Lille : Pr P. Fontaine<br />
• Service d’Endocrinologie – Diabétologie,<br />
CHU Nancy, Nancy : Pr. B. Guerci<br />
• Service d’Endocrinologie-Métabolisme<br />
Diabétologie - Nutrition, CHU de Besançon,<br />
Besançon : Pr A. Penfornis, Dr A. Clergeot, Dr<br />
C. Kleinclauss, Dr F. Schillo, Dr J. Combes, Dr<br />
S. Grandperret Vauthier, Dr S. Kury-Paulin, Dr<br />
C. Zimmermann, Dr A. Mohn.<br />
Service d’Endocrinologie- Diabétologie-<br />
Maladie de la Nutrition, CHU de Grenoble,<br />
Grenoble : Pr P. Y. Benhamou, Dr A-L. Borel<br />
• Ser vice d’Endocrinologie –Diabète-<br />
Métabolismes, CHU de Toulouse, Toulouse :<br />
Pr H. Hanaire<br />
• Service d’Endocrinologie – Diabétologie,<br />
CHU Côte de Nacre, Caen : Pr Y. Reznik, Dr M.<br />
Joubert, Dr A. Rod, Dr J. Morera, Dr G. Trzepla,<br />
Dr C. Guilmineau<br />
Peut-on prédire l’avenir de jeunes enfants de diabétiques de type 2 ?<br />
• Service d’Endocrinologie – Diabétologie -<br />
Nutrition, CHU Jean Verdier, Bondy : Pr E.<br />
Cosson<br />
• Service Endocrinologie - Diabète et Maladies<br />
Métaboliques, CH de Strasbourg : Pr N.<br />
Jeandidier<br />
• Service de Diabétologie, CHU Liège,<br />
Belgique :Pr A. Scheen<br />
• Service de Nutrition, Maladies Métaboliques<br />
Endocrinologie, CHU de Marseille – Hopital<br />
Sud : Pr D. Raccah, Dr P. Schaepelynck, Dr C.<br />
Zevaco Mattei<br />
Références<br />
1. Ricci P et al, Bull Epidémiol Hebd 2010 ;<br />
43-44:425.<br />
2. Levy J et al, Diabet Med 1998 ; 15:290.<br />
3. U.K. Prospective Diabetes Study Group,<br />
Diabetes 1995 ; 44:1249.<br />
4. Noble D et al, BMJ 2011 ; 343:d7163.<br />
5. Lyssenko V et al, Diabetes 2005 ; 54:166.<br />
6. Meigs JB et al, Diabetes 2000 ; 49:2201.<br />
7. Köbberling J & Tillil H, Empirical risk figures<br />
Médecine Clinique<br />
BULLETIN<br />
D’ABONNEMENT<br />
& <strong>endocrinologie</strong><br />
<strong>diabète</strong><br />
Oui, je souhaite m’abonner pour un an à Médecine Clinique Endocrinologie et Diabète<br />
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Pays : .................................................................................<br />
Tél. : ...................................................................................<br />
E-mail : ...............................................................................<br />
for first-degree relatives of non-insulin dependent<br />
diabetics. London: Academic Press ;<br />
1982 ; pp. 201-9.<br />
8. Groop L et al, Diabetes 1996 ; 45:1585.<br />
9. Bruce DG et al, Diabetes Care 2010 ;<br />
33:1477.<br />
10. Gong L et al, Diabetes Care 2008 ; 31:1773.<br />
11. Arfa I et al, Postgrad Med J 2007 ; 83:348.<br />
12. Papazafiropoulou A et al, BMC Endocr<br />
Disord 2009 ; 9:12<br />
13. Warram JH et al, Ann Intern Med 1990 ;<br />
113:909-.<br />
14. Bensen JT et al, Genet Epidemiol 1999 ;<br />
17:141.<br />
15. Harrison TA et al, Am J Prev Med 2003 ;<br />
24:152.<br />
16. Valdez R et al, Diabetes Care 2007 ;<br />
30:2517.<br />
17. Travers ME & McCarthy MI, Hum Genet<br />
2011 ; 130:41.<br />
18. Voight BF et al, Nat Genet 2010 ; 42:579.<br />
19. Janssens AC & van Duijn CM, Hum Mol<br />
Genet 2008 ; 17:R166.<br />
20. Hamman RF et al, Diabetes Care 2006 ;<br />
29:2102.<br />
21. Tuomilehto J et al, N Engl J Med 2001 ;<br />
344:1343.<br />
22. Pan XR et al, Diabetologia 2006 ; 49:289.<br />
LES TARIFS INDIVIDUELS (TOUS PAYS) INSTITUTIONS<br />
Particuliers : 105 €<br />
Étudiants : 53 € (fournir un justificatif)<br />
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14 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Philippe Chanson<br />
Service d’Endocrinologie et des<br />
Maladies de la Reproduction<br />
Hôpital de Bicêtre<br />
78 rue du Général Leclerc<br />
94275 Le Kremlin-Bicêtre<br />
France<br />
Tel : 33 (0)1 45213705<br />
Fax : 33 (0)1 45212212<br />
E-mail : philippe.chanson@bct.<br />
ap-hop-paris.fr<br />
Hyperparathyroidie<br />
primaire : où en est-on<br />
en 2012 ?<br />
primaire<br />
(HPP) se définit comme une<br />
L’hyperparathyroïdie<br />
hypersécrétion autonome de<br />
parathormone (PTH) en rapport avec<br />
une augmentation de l’activité des<br />
glandes parathyroïdes. Elle est responsable<br />
d’une hypercalcémie. C’est une<br />
des plus fréquentes des endocrinopathies<br />
[1, 2]. Elle est à l’origine de<br />
conséquences rénales et osseuses bien<br />
connues mais aussi psychologiques<br />
et cognitives. Le plus souvent découverte<br />
de façon asymptomatique de<br />
nos jours, son traitement reste discuté<br />
même si les indications chirurgicales<br />
se sont élargies en partie du fait des<br />
possibilités de chirurgie mini-invasive<br />
actuellement disponibles.<br />
Prévalence<br />
Les chiffres de prévalence de l’HPP<br />
ont singulièrement augmenté ces<br />
dernières années. Dans les années<br />
70, 1 à 4 ‰ de la population générale<br />
étaient atteints d’hyperparathyroïdie.<br />
Actuellement les chiffres<br />
de prévalence s’établissent autour<br />
de 6 ‰. Dans l’étude de Tayside, la<br />
prévalence est passée, de 1,82 ‰<br />
lors de l’enquête de 1997 à 6,72 ‰<br />
lors de l’enquête de 2006 [3]. De<br />
manière générale il y a 2 fois plus<br />
de femmes que d’hommes atteints<br />
d’HPP. Cependant, avant l’âge de<br />
45 ans autant d’hommes que de<br />
femmes ont une HPP [4]. Le pic d’in-<br />
cidence se situe vers 50-60 ans [1].<br />
L’incidence est de 22 pour 100 000<br />
habitants/an dans l’enquête de<br />
Rochester aux Etats-Unis [4].<br />
Les formes asymptomatiques représentent<br />
80 à 90 % des HPP actuellement<br />
diagnostiquées [1], nous le reverrons.<br />
L’HPP est en rapport avec un<br />
adénome unique dans 75 à 85 % des<br />
cas ; néanmoins, les adénomes parathyroïdiens<br />
peuvent être multiples<br />
(2 adénomes dans 2 à 12 % des cas ;<br />
3 adénomes, < 1 à 2 % ; atteinte<br />
d’au moins 4 glandes : 1 à 15 %) ; les<br />
cancers parathyroïdiens sont exceptionnels<br />
(< 1 %) [1, 5]). L’hyperplasie<br />
des 4 glandes est trouvée dans 10 à<br />
15 % des cas.<br />
L’HPP est, le plus souvent (95 %<br />
des cas), une pathologie sporadique.<br />
Cependant, elle peut faire partie d’un<br />
syndrome héréditaire (néoplasie endocrinienne<br />
multiple de type 1, néoplasie<br />
endocrinienne multiple de type 2a,<br />
syndrome hyperparathyroïdie/tumeur<br />
de la mâchoire, hypercalcémie hypocalciurique<br />
familiale et enfin hyperparathyroïdie<br />
familiale isolée).<br />
Enfin, certaines causes ont été<br />
clairement individualisées comme à<br />
l’origine d’une HPP : la radiothérapie<br />
cervicale [6] et le traitement par<br />
lithium [7, 8].<br />
En 2012 : quel tableau clinique ?<br />
A l’heure actuelle, l’immense majorité<br />
des HPP est découverte à l’oc-<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
15
casion d’un dosage systématique de<br />
la calcémie. Le tableau « classique »,<br />
comme on l’a appris, avec les signes<br />
uro-néphrologiques et osseux de l’HPP<br />
est devenu exceptionnel.<br />
Les lithiases continuent pourtant<br />
d’être observées dans 4 à 15 % des cas<br />
[9]. Du point de vue osseux, le tableau<br />
d’ostéite fibrokystique (tumeur brune)<br />
de Von Recklinghausen est devenu<br />
exceptionnel.<br />
Néanmoins, l’hyperparathyroïdie<br />
reste marquée par une augmentation<br />
de la prévalence de l’ostéoporose [10]<br />
et une augmentation de l’incidence<br />
des fractures [11].<br />
Les signes psychologiques (fatigabilité,<br />
irritabilité, anxiété…) voire<br />
de véritables troubles cognitifs avec<br />
parfois une détérioration mentale sont<br />
aussi observés mais leur prévalence<br />
est difficile à mesurer compte tenu<br />
du caractère subjectif de beaucoup de<br />
ces signes et des données contradictoires<br />
provenant des différentes études<br />
[12, 13]. La meilleure preuve de leur<br />
réalité est néanmoins l’amélioration<br />
d’un certain nombre de ces anomalies<br />
lors du traitement chirurgical [14].<br />
Enfin, l’association de l’hyperparathyroïdie<br />
à l’hypertension artérielle<br />
ou à des signes cardiaques [13, 15] ou<br />
encore aux pancréatites aiguës [16] est<br />
plus discutée .<br />
Les crises hypercalcémiques sont<br />
devenues plus rares.<br />
Le diagnostic d’HPP<br />
En 2012, le diagnostic repose<br />
toujours sur l’association<br />
d’une hypercalcémie et d’une<br />
augmentation de la concentration<br />
plasmatique de PTH 1-84,<br />
inappropriée à cette hypercalcémie<br />
La mesure de la calcémie totale<br />
et si besoin de la calcémie corrigée<br />
reste le moyen le plus simple d’évaluer<br />
une hypercalcémie. En effet, la mesure<br />
de la calcémie ionisée nécessite des<br />
précautions de prélèvement qui sont<br />
rarement réunies et qui peuvent entacher<br />
d’erreur son résultat. Tout au plus<br />
faut-il tenir compte de l’albumine en<br />
Hyperparathyroidie primaire : où en est-on en 2012 ?<br />
corrigeant la calcémie totale en fonction<br />
de l’albuminémie. Une fois l’hypercalcémie<br />
vraie confirmée, il faut<br />
mesurer la PTH.<br />
Les dosages de la PTH 1-84 actuellement<br />
disponibles permettent le<br />
diagnostic de l’hyperparathyroïdie<br />
(dosages sandwich immunoradiométriques<br />
de 2 nde génération) en discriminant<br />
parfaitement les sujets normaux<br />
des sujets ayant une hyperparathyroïdie<br />
ou une hypercalcémie non en<br />
rapport avec une hyperparathyroïdie.<br />
Les dosages dits de 3 ème génération qui<br />
détectent la N-PTH, une forme modifiée<br />
post-traductionnelle de la PTH<br />
1-84, en plus de la PTH1-84 n’apportent<br />
rien de plus au diagnostic d’HPP,<br />
sauf peut-être en cas de cancer parathyroïdien<br />
[17]. La sensibilité des<br />
dosages de 3 ème génération est équivalente<br />
à celle des dosages de 2 nde génération.<br />
La PTH est souvent élevée, elle<br />
peut aussi se situer dans les valeurs<br />
normales ce qui est inapproprié en<br />
présence d’une hypercalcémie et<br />
confirme le diagnostic d’hyperparathyroïdie.<br />
En cas d’augmentation de la<br />
calcémie et de la PTH, en l’absence<br />
de cause d’hyperparathyroïdie secondaire,<br />
le diagnostic d’HPP est vraisemblable<br />
mais deux étiologies généralement<br />
évidentes dès l’interrogatoire<br />
doivent être éliminées car elles s’accompagnent<br />
d’une hypercalcémie<br />
avec PTH normale ou élevée : la prise<br />
de diurétiques thiazidiques, d’une<br />
part, et la prise de lithium, d’autre<br />
part.<br />
Une fois ces deux causes éliminées,<br />
le diagnostic d’HPP est posé.<br />
Il est indispensable, à ce stade,<br />
d’éliminer une cause très<br />
particulière d’HPP : l’hypercalcémie<br />
hypocalciurique familiale,<br />
en rapport avec une mutation<br />
du récepteur du calcium [18].<br />
Cette étiologie est rare mais elle est<br />
sous-diagnostiquée, si l’on en croit la<br />
série du NIH dans laquelle 9 à 10 %<br />
des échecs de la chirurgie parathy-<br />
roïdienne pour HPP étaient en fait<br />
des hypercalcémies hypocalciuriques<br />
familiales [19]. Le diagnostic repose<br />
sur la mesure de la calciurie qui est<br />
basse au cours de l’hypercalcémie<br />
hypocalciurique familiale alors qu’elle<br />
est élevée au cours de l’HPP.<br />
Pour conforter ce diagnostic, l’interrogatoire<br />
de la famille mais aussi<br />
la mesure de la calcémie chez les<br />
membres de la famille est utile. Dans<br />
les cas difficiles, on peut s’aider pour<br />
le diagnostic différentiel de la mesure<br />
du rapport de la clairance du calcium<br />
sur la clairance de la créatinine qui<br />
permet de différencier l’hypercalcémie<br />
familiale hypocalciurique qui est<br />
le plus souvent < 0,01 alors que dans<br />
l’hyperparathyroïdie primaire il est le<br />
plus souvent > 0,015 [20, 21].<br />
L’HPP peut être<br />
normocalcémique<br />
Dans un certain nombre de cas, la<br />
calcémie peut rester dans des valeurs<br />
normales alors que la PTH est augmentée<br />
[17].<br />
Il est alors indispensable dans un<br />
premier temps d’éliminer une carence<br />
en vitamine D. Le dosage de la 25OH<br />
vitamine D (D2+D3) permet d’avancer<br />
dans le diagnostic et en cas de carence<br />
en vitamine D les dosages de calcémie<br />
et de PTH doivent être refaits après<br />
recharge en vitamine D permettant de<br />
remonter la 25 OH vitamine D au delà<br />
de 30 ng/ml.<br />
La persistance d’une PTH élevée<br />
et d’une normocalcémie après réplétion<br />
en vitamine D permet de porter<br />
le diagnostic d’HPP normocalcémique<br />
dont, a priori, les risques osseux<br />
et rénaux sont les mêmes que ceux de<br />
l’HPP hypercalcémique.<br />
La correction de la carence<br />
en vitamine D ne risque-t-elle pas<br />
d’aggraver l’hypercalcémie<br />
des HPP ?<br />
Il est très fréquent qu’une carence<br />
en 25 OH vitamine D (< 20 ng/ml) soit<br />
observée en cas d’HPP du fait d’une<br />
augmentation de la conversion 1-25<br />
OHD2 en 25 OHD2 et de l’augmenta-<br />
16 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
tion du catabolisme de la 25 OH vitamine<br />
D. Il faut donc supplémenter<br />
en vitamine D tous les patients ayant<br />
une hyperparathyroïdie. Cela limitera<br />
d’autant l’hypocalcémie après le traitement<br />
chirurgical par accrétion osseuse<br />
(Hungry bone syndrome). Il n’y a aucun<br />
risque d’hypercalcémie après recharge<br />
en vitamine D [17].<br />
Quand faut-il penser<br />
à une atteinte familiale<br />
en cas d’HPP ?<br />
L’HPP, dans un contexte familial<br />
est rare (5 % des cas). Il faut l’évoquer<br />
chez les sujets de moins de 30 ans,<br />
en cas d’antécédents familiaux d’hypercalcémie<br />
ou de tumeur neuroendocrine<br />
; dans ces cas il faut doser<br />
la calcémie chez les membres de la<br />
famille et mener une étude génétique.<br />
Le bilan de l’HPP<br />
Une fois le diagnostic d’HPP posé,<br />
un bilan du retentissement de cet HPP<br />
est indispensable.<br />
Le bilan rénal<br />
Une échographie est systématique<br />
à la recherche de lithiases et de néphrocalcinose.<br />
Dans 7 % des cas, même<br />
en cas d’HPP asymptomatique, l’imagerie<br />
permettra de mettre en évidence<br />
des lithiases [9]. Cette prévalence est<br />
donc supérieure à celle retrouvée chez<br />
les patients sans HPP.<br />
Tous les patients porteurs d’une<br />
HPP ne font pas de lithiase rénale et<br />
il est donc vraisemblable que d’autres<br />
facteurs surajoutés (locaux ou liés à<br />
une hyperabsorption digestive du<br />
calcium) favorisent le développement<br />
des lithiases chez les patients<br />
ayant une HPP. Le risque semble<br />
supérieur chez les sujets plus jeunes.<br />
Si l’échographie est l’examen de<br />
première intention, il faut savoir que<br />
le meilleur test pour le diagnostic de<br />
néphrocalcinose est le scanner hélicoïdal<br />
à faible dose sans produit de<br />
contraste [9].<br />
Figure 1. Adénome parathyroïdien visible en échographie<br />
Le bilan osseux<br />
Une ostéodensitométrie analyse<br />
l a d e n s i t é m i n é r a l e o s s e u s e .<br />
Généralement, le rachis est peu<br />
atteint, le fémur présente une atteinte<br />
intermédiaire et c’est l’atteinte du<br />
poignet (os cortical) qui est la plus<br />
fréquente [1, 10, 22].<br />
Le traitement chirurgical<br />
Le bilan morphologique :<br />
les examens de localisation<br />
des parathyroïdes<br />
Les examens de localisation ne<br />
s’envisagent qu’en cas de décision<br />
chirurgicale. Ils sont surtout utiles si<br />
l’on décide une chirurgie mini-invasive.<br />
La valeur de la scintigraphie au<br />
99mTc-sestamibi SPECT couplée au<br />
scanner cervical (sensibilité de 89 %)<br />
est supérieure à celle de l’échographie<br />
des parathyroïdes (Figure 1) [23].<br />
Si une chirurgie est décidée et<br />
qu’un dosage peropératoire de la<br />
parathormone est possible, celui-ci<br />
peut compléter utilement le diagnostic.<br />
Une diminution de 50 % de la<br />
concentration de PTH 5 à 10 minutes<br />
après l’exérèse de la parathyroïde signe<br />
la qualité de l’éxérèse ; sinon, il faut<br />
rechercher un second adénome dans<br />
une autre glande [1].<br />
Néanmoins, le choix entre une<br />
chirurgie mini-invasive avec des<br />
examens de localisation ou une<br />
exérèse d’emblée sans examen de localisation<br />
avec un abord des 4 glandes<br />
et une exploration des 4 glandes reste<br />
toujours très discuté [1, 24].<br />
La chirurgie est-elle toujours<br />
indiquée en cas d’HPP ?<br />
Si l’indication de la chirurgie ne fait<br />
aucun doute en cas d’HPP symptomatique…<br />
elle est beaucoup plus discutée<br />
en cas d’HPP asymptomatique, découverte<br />
de manière fortuite… !<br />
En effet, en cas d’HPP asymptomatique,<br />
plusieurs études de suivi à long<br />
terme ont montré que leur histoire<br />
naturelle était en fait assez souvent<br />
évolutive, plus d’un tiers des cas devenant<br />
symptomatiques [25]. Plusieurs<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
17
Variation de la DMO (%)<br />
études, rétrospectives et non contrôlées<br />
ou prospectives contrôlées ont<br />
comparé la surveillance et la chirurgie.<br />
Elles sont concordantes : sous simple<br />
surveillance, la calcémie et la PTH<br />
restaient stables pendant plusieurs<br />
années puis avaient tendance à<br />
augmenter alors que la DMO était<br />
stable pendant plusieurs années puis<br />
diminuait; en revanche, après chirurgie<br />
systématique, la calcémie et la<br />
PTH sont normalisées et le restent et<br />
la DMO augmente pour se se normaliser<br />
(Figure 2) [25-29]. Ceci pousserait<br />
donc plutôt à la chirurgie…<br />
Hyperparathyroidie primaire : où en est-on en 2012 ?<br />
A Surveillance<br />
B Chirurgie<br />
10<br />
20<br />
0<br />
-10<br />
15<br />
Rachis lombaire<br />
-20<br />
10<br />
-30<br />
-40<br />
Rachis lombaire<br />
5<br />
-50<br />
0<br />
10<br />
20<br />
0<br />
Col fémoral<br />
-10<br />
15<br />
-20<br />
10<br />
-30 Col fémoral<br />
-40<br />
5<br />
-50<br />
0<br />
10<br />
20<br />
0<br />
-10<br />
15<br />
Radius<br />
-20<br />
10<br />
-30<br />
-40<br />
Radius<br />
5<br />
-50<br />
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15<br />
0<br />
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15<br />
n = 36 24 11 6 n = 46 38 24 15<br />
Années de suivi Années de suivi<br />
Figure 2. Évolution de la DMO sous simple surveillance ou après chirurgie en cas d’HPP (d’après [25]).<br />
18 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
Variation de la DMO (%)<br />
Tableau 1.<br />
Critères pour décider d’opérer les formes asymptomatiques.<br />
NIH 2009 SFE 2006<br />
Âge < 50 ans < 50 ans<br />
Calcémie + 0,25 mmol/L<br />
2,75 mmol/L<br />
au-dessus des normes si protides normaux<br />
Calciurie non retenue 10 mmol/j<br />
Clairance de la créatinine < 60 mL/mn < 60 mL/mn<br />
Ostéodensitométrie T score < - 2,5<br />
T score < - 2,5<br />
Sujets à risque d’échapper à<br />
la surveillance<br />
(radius,rachis et/ou fémur) (rachis et/ou fémur)
Figure 3. Chirurgie mini-invasive en cas d’HPP<br />
Calcémie<br />
3,25<br />
3,0<br />
2,75<br />
2,5<br />
2,25<br />
2,0<br />
Placebo<br />
Cinacalcet<br />
Titration Maintien Suivi<br />
BL 2 4 6 8 10 12 16 20 24 28 32 36 40 44 48 52<br />
semaines<br />
Figure 4. Effet du cinacalcet en comparaison du placebo (d’après [42]).<br />
Des recommandations ont été<br />
publiées en 2009 par le NIH [30].<br />
Comme on peut le voir dans le<br />
Tableau 1, elles sont très proches de<br />
celles publiées par la Société Française<br />
d’Endocrinologie en 2006 [31].<br />
Finalement, la surveillance n’est<br />
discutée qu’en cas d’absence totale<br />
de symptômes, à la condition que le<br />
Tscore soit > -2,5 (sur tous les sites)<br />
et que le sujet ait plus de 50 ans…<br />
Sinon, c’est un geste chirurgical qui<br />
est recommandé.…<br />
Les résultats de la chirurgie<br />
des HPP<br />
La chirurgie, entre de bonnes<br />
mains, est efficace dans 95 à 98 % des<br />
cas et les complications sont rares (1 à<br />
3 % des cas) [24].<br />
Actuellement, surtout grâce aux<br />
examens de visualisation péopératoires,<br />
on préfère la chirurgie miniinvasive<br />
(Figure 3) qui diminue le<br />
temps opératoire, permet une récupération<br />
plus rapide et réduit les complications<br />
[32].<br />
Les effets de la chirurgie sont nets<br />
sur la calcémie et la PTH mais aussi<br />
sur les paramètres cliniques et paracliniques<br />
: augmentation de la densité<br />
minérale osseuse dès les premières<br />
années postopératoires [33]. Sur<br />
les fractures, l’effet est également<br />
confirmé [34, 35].<br />
Les effets sur la cognition et les<br />
effets psychologiques sont également<br />
démontrés, y compris dans les formes<br />
asymptomatiques [14].<br />
Rapidement après la parathyroïdectomie<br />
le risque de récidive de<br />
colique néphrétique est diminué<br />
et revient au même taux que celui<br />
observé chez les patients qui présentent<br />
une pathologie lithiasique<br />
rénale non en rapport avec une HPP.<br />
Toutefois, le risque de lithiase reste<br />
élevé pendant au moins 10 ans après<br />
la chirurgie.. L’hypercalciurie est diminuée<br />
après parathyroïdectomie même<br />
si l’excrétion rénale du calcium, chez<br />
les patients ayant une hyperparathyroïdie,<br />
reste supérieure à celle de<br />
témoins [9]. Généralement, l’hypertension<br />
artérielle persiste.<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
19
Le traitement<br />
médicamenteux<br />
Estrogènes et SERM<br />
Ils font baisser la calcémie de 0,1<br />
à 0,2 mmol/l mais ne peuvent clairement<br />
pas être utilisés dans le traitement<br />
à long terme des HPP [36, 37]<br />
Biphosphonates<br />
Ils augmentent la DMO et améliorent<br />
les marqueurs de remodelage de<br />
manière comparable à ce qui est observé<br />
dans la population générale sans HPP,<br />
mais n’ont aucun effet sur la calcémie et<br />
la PTH ; on ne dispose pas d’études sur<br />
le risque fracturaire dans le contexte de<br />
l’HPP avec ces médicaments [38].<br />
Cinacalcet<br />
Les calcimimétiques, et en particulier<br />
le cinacalcet, qui sont des<br />
agonistes allostériques du récepteur du<br />
calcium sont largement utilisés dans<br />
le traitement de l’hyperparathyroïdie<br />
secondaire de l’insuffisance rénale<br />
chronique [39]. Il était donc logique<br />
de les essayer dans le traitement de<br />
l’hyperparathyroïdie primaire.<br />
Les premières études ont été<br />
menées à court terme [40] et ont rapidement<br />
conduit à entreprendre des<br />
études à long terme [41-43] qui ont<br />
toutes montré une excellent efficacité<br />
sur la calcémie qui s’abaisse<br />
dans tous les cas et se normalise dans<br />
50 à 90 % des cas, en fonction de la<br />
sévérité de la calcémie et de la dose<br />
atteinte (Figure 4). En revanche, la<br />
PTH ne bouge pas ou peu. Au niveau<br />
osseux, les marqueurs du remodelage<br />
augmentent (phosphatases alcalines<br />
osseuses, NTX) tout en restant<br />
normaux. En ostéodensitométrie, peu<br />
de différences sont observées en terme<br />
Hyperparathyroidie primaire : où en est-on en 2012 ?<br />
de Z-score au niveau lombaire après<br />
un an et le Z-score s’améliore peu à<br />
plus long terme. Cette absence d’efficacité<br />
du cinacalcet sur la densité<br />
minérale osseuse peut paraître décevante<br />
comparé à ce qui est observé<br />
après exérèse chirurgicale d’un<br />
adénome parathyroïdien. Les scores de<br />
qualité de vie (SF36 et MOS Cognitive<br />
Functioning scale) s’améliorent, le<br />
pourcentage de patients améliorés,<br />
dans chaque paramètre du SF36, étant<br />
toujours supérieur à celui des patients<br />
stables ou aggravés. Les effets secondaires<br />
les plus souvent rapportés sont<br />
des arthralgies ou des myalgies ainsi<br />
que des troubles digestifs (diarrhée,<br />
nausées) toujours faibles ou modérés<br />
en intensité.<br />
Conclusion<br />
En 2012, le paysage de l’HPP a<br />
changé : les formes asymptomatiques<br />
sont les plus fréquentes et,<br />
grâce à la chirurgie mini-invasive et<br />
à la démonstration des effets de la<br />
chirurgie en comparaison de la simple<br />
surveillance, les indications se sont<br />
élargies. La place du traitement médicamenteux,<br />
dominé par le cinacalcet,<br />
est finalement assez marginale.<br />
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20 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
Confrontations<br />
Sud-Franciliennes<br />
Gilles Delluc<br />
Médecin-chef des<br />
hôpitaux (H), docteur en<br />
Anthropologie et Préhistoire<br />
(Paris VI),<br />
département de Préhistoire du<br />
Museum national d’Histoire<br />
naturelle (Paris),<br />
UMR 7194 du CNRS.<br />
Auteur de La Nutrition<br />
préhistorique et de<br />
Le Sexe au temps des<br />
Cro-Magnons, avec la coll. de<br />
Brigitte Delluc, éd. Pilote 24.<br />
Mail : gilles.delluc@orange.fr<br />
Nutrition et sexualité<br />
au Paléolithique<br />
Da n s n o t r e i m a g i n a i r e , l e s<br />
Hommes préhistoriques sont<br />
la proie des bêtes féroces, dans<br />
un désert glacé. Ces pauvres hères<br />
s’abritent dans des cavernes, se nourrissent<br />
exclusivement de viande<br />
animale voire humaine. La Guerre<br />
du feu, de Rosny aîné à Jean-Jacques<br />
Annaud, a popularisé cette image de<br />
clochards carnivores de la nuit des<br />
temps. Les préhistoriens se font pourtant<br />
aujourd’hui une idée différente de<br />
nos ancêtres, tout particulièrement des<br />
deux derniers d’entre eux, les Hommes<br />
de Néandertal et les Homo sapiens<br />
sapiens, très proches de nous sur les<br />
plans morphologique et intellectuel.<br />
On connaît mieux aussi leur mode de<br />
vie et notamment leur alimentation.<br />
Pour l’Homme d’aujourd’hui, il y a<br />
sans doute des leçons à en tirer pour<br />
lutter contre les maladies de surcharge.<br />
Depuis 2,5 millions d’années<br />
Pour essayer de comprendre<br />
comment nous sommes passés de la<br />
Préhistoire à nos jours, essayons de<br />
dresser un état des lieux d’autrefois.<br />
Bref, comment en sommes-nous arrivés<br />
là ? Peut-on faire marche arrière et<br />
puiser dans ce lointain passé quelques<br />
conseils pratiques ?<br />
C’est une longue route de 2,5<br />
millions d’années qui nous sépare<br />
d’Homo habilis, le premier homme<br />
apparu en Afrique à la suite des<br />
Australopithèques (telle la célèbre<br />
Figure 1. Evolution humaine. Issu de l’Homo habilis,<br />
l’Homo erectus évolue vers les Néandertaliens<br />
et vers les Homo sapiens sapiens.<br />
Lucy). Le personnage clef est l’Homo<br />
erectus, qui lui fait suite il y a environ<br />
2 millions d’années et commence<br />
à s’implanter très tôt en Europe, Asie<br />
et Afrique. C’est de lui que vont dériver<br />
les Hommes modernes, les Homo<br />
sapiens sapiens, nos semblables, baptisés<br />
familièrement les Cro-Magnons<br />
e n F r a n c e . N o u s s o m m e s t o u s<br />
parents, tous différents. L’homme<br />
de Néandertal apparaît aujourd’hui<br />
comme un des descendants européens<br />
d’Homo erectus, assez caricatural et qui<br />
aurait disparu, on ne sait trop pourquoi<br />
ni comment, il y a une trentaine<br />
de milliers d’années (Figure 1).<br />
Depuis l’origine, malgré les idées<br />
reçues, tous les humains sont des<br />
omnivores. C’est ce que montre bien<br />
l’aspect des dents : des incisives et des<br />
canines pour couper et dilacérer la<br />
viande, des molaires pour broyer les<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
21
végétaux. L’étude microscopique des<br />
stries dentaires le confirme : ces stries<br />
sont verticales chez les carnivores,<br />
horizontales chez les herbivores ; déjà,<br />
chez les Hommes anciens, elles sont<br />
obliques. L’analyse chimique des os<br />
s’intéresse au rapport du strontium et<br />
du calcium Sr/Ca : il place les humains<br />
entre les carnivores et les herbivores.<br />
Il en va de même pour le carbone 13,<br />
à deux exceptions près : deux sites<br />
(Marcillac en Charente et Sclayn en<br />
Belgique) semblent avoir abrité des<br />
Néandertaliens carnivores quasi exclusifs.<br />
On a cru, un temps, que les<br />
animaux figurés sur les parois des<br />
grottes et des abris-sous-roche étaient<br />
une sorte de tableau de chasse des<br />
préhistoriques (Figure 2). On avait<br />
imaginé toute une démarche de magie<br />
propitiatoire cynégétique s’exerçant<br />
sur le dessin préalable des animaux<br />
convoités. On sait aujourd’hui que<br />
cette faune figurée est très différente de<br />
la faune effectivement consommée par<br />
les artistes chasseurs. Ainsi à Lascaux,<br />
par exemple, ils ont représenté de<br />
nombreuses espèces (chevaux, bisons<br />
et aurochs, cerfs et biches, bouquetins,<br />
félins, ours, rhinocéros). En réalité, ils<br />
ne consommaient que du renne, dont<br />
il n’existe qu’un seul dessin sur les<br />
parois de la grotte et encore n’est-on<br />
pas très sûr qu’il s’agisse d’un renne.<br />
Figure 2. Grotte de Lascaux. Les animaux figurés<br />
ne sont pas le reflet de l’alimentation mais de<br />
pratiques cultuelles.<br />
En fait, ce que l’on sait de l’alimentation<br />
préhistorique, c’est dans l’étude<br />
des gisements que les préhistoriens<br />
l’ont appris. Bien sûr, depuis longtemps,<br />
ils collectent et analysent, de<br />
Nutrition et sexualite au paléolithique<br />
plus en plus finement, les seuls ossements<br />
du gibier. Mais ils s’intéressent<br />
désormais aussi aux restes végétaux :<br />
des macro-restes parfois (graines,<br />
feuilles, charbons), mais surtout les<br />
pollens qui perdurent durant des<br />
millions d’années et qui, après identification<br />
spécifique, permettent de<br />
reconstituer la flore et donc le climat.<br />
Dans quelques cas même, des excréments<br />
humains conservés, ou coprolithes,<br />
ont livré des vestiges du régime<br />
alimentaire.<br />
Portrait robot<br />
Les Hommes de la Préhistoire, ou<br />
plus précisément du Paléolithique,<br />
cet âge de la pierre taillée des anciens<br />
auteurs, sont de jeunes chasseurscueilleurs<br />
semi-nomades. Sans doute<br />
ont-ils été au début plus des charognards,<br />
prélevant leur pitance sur les<br />
carcasses du gibier tué par les grands<br />
fauves, que des chasseurs habiles. Dans<br />
tous les peuples primitifs existe une<br />
division sexuelle du travail : les<br />
hommes chassent quelques heures par<br />
jour ; les femmes, accompagnées des<br />
enfants, vaquent tout le long du jour<br />
à la collecte et aux travaux dans l’habitat.<br />
Il en fut sans doute ainsi depuis<br />
toujours.<br />
Ce sont des gens bien portants. On<br />
le sait grâce à l’étude des squelettes<br />
conservés dans les pays calcaires.<br />
Au niveau des os, on ne note<br />
jamais de cancers, de tuberculose<br />
ni d’affections de carence nutritionnelle<br />
; pas de grands fracas osseux,<br />
de l’arthrose souvent. Sans doute ces<br />
Hommes mourraient-ils de maladies<br />
infectieuses banales. La vie est courte<br />
au Paléolithique, avec deux pics de<br />
mortalité : l’un autour de deux ans, au<br />
moment du sevrage ; l’autre autour de<br />
30-40 ans, mais on connaît quelques<br />
vieillards.<br />
L e c r â n e d e l ’ h o m m e d e<br />
Chancelade (Dordogne) est exceptionnel<br />
: il porte les traces d’une fracture<br />
temporale à laquelle, enfant, ce<br />
chasseur a survécu. Il n’a certainement<br />
pu survivre qu’avec l’aide de son<br />
entourage et apparaît donc comme le<br />
premier exemple connu d’une assis-<br />
tance sinon médicale, du moins nutritionnelle,<br />
il y a environ 16 000 ans.<br />
On dispose de plusieurs centaines<br />
de représentations des hommes et<br />
des femmes de Cro-Magnon, gravées,<br />
peintes ou sculptées sur des parois<br />
rocheuses ou des objets depuis 35 000<br />
ans.<br />
Les artistes ont essentiellement<br />
représenté des femmes et ont privilégié<br />
les modèles affectés d’obésité<br />
gynoïde, concernant la partie inférieure<br />
du corps. Cela va de la simple<br />
adiposité féminine à des obésités<br />
marquées. Il s’agit bien sûr d’un<br />
choix graphique et certainement ces<br />
figures ne rendent pas compte de la<br />
morphologie de toutes les femmes de<br />
ce temps, pas plus que les œuvres de<br />
Rubens ou de Renoir ne témoignent<br />
de l’aspect de toutes leurs contemporaines.<br />
Ces obésités gynoïdes ne sont<br />
guère en rapport avec la surcharge<br />
alimentaire et la sédentarité. Elles<br />
scandent avant tout les épisodes de la<br />
vie génitale, chez des femmes ayant<br />
eu plusieurs grossesses, et ne sont pas<br />
grevées de complications pathologiques<br />
majeures. On ne connaît pas<br />
de représentations explicites d’obésité<br />
androïde, de la partie supérieure<br />
du corps et de l’abdomen, liées à une<br />
alimentation trop riche, aggravée par<br />
la sédentarité. Le syndrome métabolique,<br />
lié à ce type d’obésité (<strong>diabète</strong><br />
de type 2, dyslipidémies, maladies<br />
coronariennes, accidents vasculaires<br />
cérébraux, hypertension artérielle,<br />
goutte…), devait être très rare durant<br />
le Paléolithique.<br />
Viandes sans graisse et plantes<br />
à fibres<br />
Une estimation nutritionnelle<br />
a été effectuée par S. Boyd Eaton<br />
(Eaton, 1985). Un gramme de gibier<br />
fournit 1,41 kcal, un gramme de<br />
plantes sauvages 1,29 kcal. Estimant<br />
les besoins quotidiens à 3 000 kcal, on<br />
peut calculer les poids de nourriture<br />
animale (pA) et végétale (pV) nécessaires<br />
suivant une formule simple :<br />
1,41 pA + 1,29 pV = 3 000 kcal.<br />
Durant les temps préhistoriques<br />
et selon les lieux, le climat a beau-<br />
22 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
coup varié, allant de climats chauds<br />
(en Afrique par exemple), à des<br />
climats tempérés (comme à l’époque<br />
de Lascaux il y a 17 à 18 000 ans),<br />
voire très froids (comme au Solutréen<br />
il y a 18 à 19 000 ans). Les sources<br />
alimentaires varient selon le climat et,<br />
schématiquement, quand la température<br />
s’abaisse, la nourriture d’origine<br />
animale augmente, tandis que<br />
la consommation de produits végétaux<br />
diminue. Ainsi on voit alors la<br />
ration quotidienne de protides s’accroître,<br />
de même que celle de lipides<br />
(à un moindre degré, car le gibier est<br />
peu gras), tandis que la ration glucidique<br />
s’abaisse, passant d’environ<br />
55% à 15% de la ration énergétique.<br />
Comme les glucides sont indispensables<br />
à l’homme pour faire fonctionner<br />
ses muscles et son cerveau, ce déficit<br />
implique qu’une autre source a été<br />
sollicitée : la néoglucogenèse à partir<br />
des lipides et des protides.<br />
Protides, glucides et lipides<br />
Les protides sont habituellement<br />
aisés à trouver. Les plus anciens<br />
Hommes ont sans doute pratiqué<br />
le charognage, mais Néandertal et<br />
Cro-Magnon sont de grands chasseurs.<br />
Durant la glaciation de Würm,<br />
au Paléolithique supérieur, le renne est<br />
un gibier de choix providentiel, tout<br />
à la fois garde-manger, boîte à outils<br />
et boîte à bijoux de cet « âge du<br />
Renne » (Figure 3). Il vit en troupeaux<br />
et se chasse à la sagaie. On n’a pas de<br />
trace de piégeage. Certains groupes ont<br />
chassé le bison, l’auroch, le bouquetin<br />
ou le cheval. Contrairement à l’idée<br />
reçue, le dangereux mammouth a<br />
sans doute été peu chassé. On ne sait<br />
pas grand chose de la consommation<br />
d’oiseaux, d’œufs, voire d’insectes. Rien<br />
sur l’utilisation du lait, qui fut peutêtre<br />
prélevé sur les femelles abattues,<br />
comme le font les chasseurs arctiques.<br />
Le gibier contient peu de graisse, cinq<br />
à dix fois moins environ que nos<br />
animaux d’élevage, qui sont riches en<br />
acides gras saturés, facteurs d’athérome<br />
des vaisseaux. Le réchauffement de nos<br />
contrées, il y a moins de 10 000 ans,<br />
voit la fin du Paléolithique, quand les<br />
Figure 3. Le renne. Il est la providence des<br />
Hommes du Paléolithiques supérieur.<br />
grands troupeaux de rennes remonteront<br />
vers le nord, à la recherche de<br />
ces lichens dont ils sont si friands. Ce<br />
sera alors, au Mésolithique, la fin des<br />
grandes chasses.<br />
A Tautavel, en Roussillon, il y a<br />
450 000 ans, les Homo erectus anténéandertaliens<br />
ont très probablement<br />
consommé leurs semblables : des os<br />
humains, brisés et striés de coups de<br />
silex, jonchent le sol au milieu des<br />
ossements des animaux. Ce comportement<br />
ne semble pas être une habitude.<br />
En effet, durant tout le Paléolithique,<br />
l’anthropophagie n’est attestée que<br />
dans une demi-douzaine de sites.<br />
Elle réapparaît au Néolithique, en<br />
Charente et en Provence, sans doute<br />
pour des raisons rituelles.<br />
Le poisson, pour ce que l’on en sait,<br />
est une sorte de gibier : il est chassé<br />
au harpon à la fin du Paléolithique.<br />
Les autres pêches n’ont pas laissé<br />
de traces, sauf quelques hameçons<br />
droits. Le poisson est riche en protides<br />
et aussi en lipides de bonne qualité.<br />
Ses vertèbres, fragiles, n’avaient<br />
pas souvent été récoltées dans les<br />
anciennes fouilles. On en tient compte<br />
aujourd’hui et le poisson semble avoir<br />
été une nourriture courante surtout à<br />
partir du Magdalénien. Les poissons<br />
les plus consommés étaient avant tout<br />
les saumons, puis les truites, moins<br />
souvent les brochets et rarement<br />
la blanchaille des cyprinidés. Bref,<br />
avant tout, des poissons bien gras,<br />
bien fermes. Il s’agit là de poissons<br />
de rivière, car la consommation des<br />
poissons de mer et des coquillages n’a<br />
pas laissé de traces, du moins avant le<br />
Mésolithique. La mer, au moment des<br />
glaciations, était de 50 à 100 mètres<br />
plus basse qu’aujourd’hui et les habitats<br />
des Paléolithiques maritimes sont<br />
donc de nos jours noyés. De même<br />
que les rennes, les poissons sont peu<br />
représentés sur les parois des cavernes<br />
et des abris.<br />
Et les glucides ? On pense tout<br />
d’abord au miel, qui régale nombre<br />
d’animaux, de la fourmi à l’ours. Une<br />
peinture rupestre du Levant espagnol,<br />
antérieure au Néolithique, représente<br />
des collecteurs de miel entourés<br />
d’abeilles. Les fruits que nous<br />
consommons étaient inconnus des<br />
Paléolithiques et les céréales sauvages<br />
ne poussaient pas en Europe. Les<br />
baies fournissent quelques grammes<br />
de sucres rapides, mais elles jouent<br />
encore, à la saison, un rôle important<br />
dans les pays du nord. En fait, en<br />
dehors d’elles et de quelques maigres<br />
racines, la source essentielle de glucides<br />
était sans doute les fruits du chêne et<br />
du châtaignier. Mais ces arbres ne poussent<br />
qu’en climat tempéré et un déficit<br />
apparaît en climat froid. Remarquons<br />
que les végétaux ne sont jamais représentés<br />
de façon explicite dans l’art<br />
préhistorique.<br />
C’est en raison de cette rareté<br />
des sources de glucides, durant les<br />
périodes froides, que les Hommes ont<br />
fait une véritable chasse à la graisse,<br />
pour alimenter la production hépatique<br />
de glucose à partir des lipides<br />
et des protides (néoglucogenèse).<br />
Le gibier étant habituellement peu<br />
gras, ils ont fait appel à la moelle : la<br />
moelle jaune des diaphyses en les<br />
concassant (d’innombrables débris<br />
jonchent le sol des gisements) ; la<br />
moelle rouge des épiphyses en confectionnant<br />
des bouillons portés à ébullition<br />
par des galets chauffés au rouge<br />
(comme le faisaient, il y a peu encore,<br />
les Amérindiens). Grâce aux pollens,<br />
on sait que les noisettes et les noix<br />
existaient, notamment durant la<br />
période tempérée de Lascaux.<br />
En reconstituant, d’après les observations<br />
des fouilles et les calculs, l’ali-<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
23
mentation des hommes préhistoriques,<br />
on se rend compte que leur consommation<br />
en acides gras (saturés, mono-insaturés<br />
et poly-insaturés) devait être très<br />
proche de celle que recommandent les<br />
experts nutritionnistes. Notre consommation<br />
actuelle est beaucoup trop riche<br />
en acides gras saturés athérogènes et<br />
bien trop pauvre en bons acides gras<br />
poly-insaturés.<br />
Sels minéraux<br />
et micronutriments<br />
Sous nos climats, les besoins en sel<br />
sont d’environ un gramme par jour et<br />
nous en consommons, par gourmandise,<br />
environ dix fois plus. Pire encore,<br />
certains peuples, comme au nord<br />
du Japon, en consomment jusqu’à<br />
cinquante grammes par jour : ils sont<br />
ravagés par l’hypertension artérielle<br />
et ses complications. Un kilogramme<br />
de sel est filtré chaque jour par nos<br />
glomérules rénaux. La quasi-totalité,<br />
sauf quelques grammes, est réabsorbée<br />
par les tubes rénaux. Ce fonctionnement<br />
à l’économie est peut-être une<br />
preuve supplémentaire de l’origine de<br />
l’homme dans la savane africaine.<br />
Le calcium est l’ion le plus abondant<br />
de l’organisme. L’apport quotidien<br />
nécessaire est d’environ un<br />
gramme ; il double chez le jeune et la<br />
femme enceinte ou allaitante. En l’absence<br />
de produits laitiers, ce gramme<br />
quotidien peut être fourni par 6 kg<br />
de poisson ou 10 kg de viande ou 10<br />
litres d’eau calcaire... C’est beaucoup<br />
et, comme on ne trouve pas traces<br />
de déminéralisation osseuse sur les<br />
squelettes paléolithiques même de<br />
sujets âgés, on peut se demander s’ils<br />
ne consommaient pas les épiphyses<br />
des os, qu’on ne retrouve habituellement<br />
pas dans les gisements, voire du<br />
calcaire en poudre…<br />
Les mers sont plus basses durant<br />
les périodes glaciaires et les continents<br />
plus vastes. Les carences en<br />
iode, si fréquentes dans la France du<br />
XIXe siècle, devaient exister. Le seul<br />
élément dont on dispose est une petite<br />
statuette de Ligurie qui semble porter<br />
un goitre, à moins que ce petit relief<br />
cervical ne soit un élément de collier…<br />
Nutrition et sexualite au paléolithique<br />
La carence en fluor a été incriminée<br />
dans la genèse des caries dentaires.<br />
Il n’y a pas de caries dentaires au<br />
Paléolithique, sauf sur un crâne<br />
très exceptionnel de Rhodésie. En<br />
revanche on observe de nombreuses<br />
parodontopathies, liées à des défauts<br />
d’hygiène, et des dents très usées.<br />
Les autres sels minéraux ne devaient<br />
pas faire défaut. A propos du fer,<br />
qui ne devait pas manquer, notons<br />
qu’on a pu étudier le sang préhistorique<br />
dans plusieurs circonstances.<br />
Le sang des mammouths congelés<br />
de Sibérie a été analysé. Le facteur<br />
Diego qui marque hématologiquement<br />
les habitants de l’Asie orientale<br />
et les Amérindiens a permis de suivre<br />
à la trace leur progression sur le continent<br />
américain, ce qu’a confirmé tout<br />
récemment l’ADN.<br />
Parmi les vitamines, la vitamine<br />
D mérite une mention. Son rôle est<br />
fondamental dans la prévention du<br />
rachitisme chez l’enfant. Aucune<br />
trace de cette affection n’a été observée,<br />
sauf une légère trace chez un<br />
petit Gravettien de Grimaldi, en<br />
Ligurie. Son métabolisme est intimement<br />
lié à l’action du soleil. C’est<br />
sans doute pour cela que les mélanodermes<br />
vivent près de l’équateur<br />
et que les leucodermes plus près des<br />
pôles. Cette répartition s’observe<br />
également, à un moindre degré,<br />
chez les Amérindiens : elle s’est<br />
donc établie depuis le peuplement<br />
du continent américain, c’est-à-dire<br />
depuis seulement 20 à 30 000 ans.<br />
A l’image des peuples primitifs,<br />
l’enfant paléolithique devait connaître<br />
un sevrage tardif et progressif, non<br />
sans risques vitaux. La puberté tardive<br />
des mères, l’allaitement prolongé et la<br />
forte mortalité des tout-petits devaient<br />
réduire la progéniture à quelques<br />
unités. En tous cas, parmi nos contemporains,<br />
l’enfant est le seul à avoir<br />
conservé, lorsqu’il est nourri au sein,<br />
le même régime qu’autrefois.<br />
L’eau et le feu<br />
Beaucoup de gisements préhistoriques<br />
sont installés près d’un point<br />
d’eau, mais cela n’est pas constant.<br />
Il a donc été nécessaire souvent de<br />
transporter cet élément indispensable<br />
à la vie. La seule trace que<br />
nous ayons est l’existence d’objets<br />
coniques de matière osseuse rappelant<br />
les bouchons d’outre des peuples<br />
du nord. Sans doute des outres en peau<br />
ou en viscères d’animaux servaientelles<br />
aussi, comme chez les Inuits ou<br />
les Lapons, à stocker de la graisse ou<br />
du sang.<br />
On ne peut guère qu’évoquer les<br />
boissons alcoolisées et cela à propos de<br />
deux données. Tout d’abord la moitié<br />
des peuples chasseurs cueilleurs subactuels<br />
avaient réussi à inventer des<br />
boissons fermentées. En second lieu, la<br />
décoration des grottes paléolithiques a<br />
fait naguère évoquer l’intervention de<br />
magiciens, de personnages analogues<br />
aux chamanes, qui effectueraient des<br />
« voyages » magiques sous l’influence<br />
de drogues diverses ; mais l’art préhistorique<br />
des cavernes - aux thèmes<br />
choisis et organisés - était sans doute<br />
motivé par des préoccupations religieuses<br />
plus structurées.<br />
Depuis près de 400 000 ans, les<br />
gisements montrent des traces de<br />
feu organisées en foyers, parfois<br />
assez élaborés. Le feu a bien sûr de<br />
nombreux usages, dont celui de cuire<br />
les aliments (Figure 4). On ne peut<br />
parler de cuisine préhistorique, car la<br />
cuisine représente toute une chaîne<br />
opératoire comportant un choix,<br />
une préparation et un mélange des<br />
aliments, une adjonction d’épices et<br />
de condiments, dont il ne demeure<br />
aucun vestige. Nous ne disposons<br />
que d’indices prouvant la cuisson des<br />
Figure 4. Le feu. Apprivoisé il y a 400 000 ans, il<br />
transforme viandes et féculents, et joue un rôle<br />
majeur dans la vie quotidienne.<br />
24 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
25<br />
aliments : des os longs dont la carbonisation<br />
au niveau de leurs extrémités<br />
témoigne d’un rôtissage de la pièce de<br />
gibier correspondante. En revanche,<br />
on connaît mieux aujourd’hui la<br />
raison de cette préparation par le<br />
feu : ainsi, par exemple, la cuisson des<br />
viandes transforme les fibres dures de<br />
collagène en tendre gélatine, et rend<br />
digestibles les féculents. Par parenthèse,<br />
une célèbre réaction culinaire<br />
entre protides et glucides (celle de<br />
Maillard) est en cause aussi dans les<br />
complications du <strong>diabète</strong> et dans<br />
l’augmentation de l’hémoglobine<br />
glyquée, témoin biologique de l’équilibre<br />
de cette maladie.<br />
Tout change, partout<br />
et tout le temps<br />
Les quelques observations qui<br />
précèdent ne sont que des moyennes.<br />
Tout change sans cesse chez les chasseurs-pêcheurs-cueilleurs,<br />
selon les<br />
saisons, les périodes plus ou moins<br />
froides de la Préhistoire, la latitude,<br />
l’altitude, la proximité de la mer<br />
et aussi suivant les migrations des<br />
animaux, notamment du renne et du<br />
saumon. Schématiquement, comme à<br />
Pincevent (Seine-et-Marne), ces seminomades<br />
ont un camp d’hiver sur les<br />
hauteurs. Ils migrent au printemps et<br />
installent leur camp d’été le long de<br />
la rivière que traversent les rennes<br />
en migration et que remontent les<br />
saumons. Ils retournent ensuite à l’automne<br />
vers leur camp d’hiver.<br />
Les ressources de la nature et<br />
l’approvisionnement ne sont pas<br />
constants. D’où la nécessité de faire<br />
des réserves. Les préhistoriques<br />
n’ont pas constitué de réserves sur<br />
eux-mêmes, puisqu’il n’existe pas,<br />
sur les nombreuses représentations<br />
humaines qu’ils nous ont laissées,<br />
d’obésité androïde (les récepteurs<br />
CB1 l’auraient pourtant permis),<br />
mais seulement des obésités gynoïdes<br />
(Figure 5). Mais ils ont pu mettre de<br />
côté de la nourriture au moins de<br />
deux façons : en confectionnant une<br />
sorte de pemmican à la manière des<br />
Amérindiens (un mélange de viande<br />
séchée, de graisse et de baies) ou en<br />
Figure 5. Vénus de Laussel (Dordogne). Un millier<br />
de représentations humaines sont connues.<br />
Depuis 25 000 ans, elles figurent très souvent des<br />
femmes présentant une obésité gynoïde.<br />
creusant dans le sol, gelé en permanence<br />
dans les pays du nord, des<br />
fosses alimentaires (attestées dans<br />
de nombreux gisements d’Europe<br />
centrale). Il n’est pas impossible<br />
que les chasseurs aient pu parquer<br />
quelques animaux jeunes ou blessés.<br />
La découverte dans les Pyrénées<br />
de quelques incisives de cheval, usées<br />
comme le sont parfois celles de nos<br />
chevaux domestiqués, irait dans ce<br />
sens. Mais l’élevage, tout comme la<br />
culture, est inconnu au Paléolithique.<br />
Alimentation néolithique<br />
et révolution industrielle<br />
L’apparition progressive de la<br />
culture de quelques végétaux choisis<br />
(ici le blé, ailleurs le maïs ou le riz…)<br />
et de l’élevage d’animaux sédentaires<br />
et gras aboutit à une modification de<br />
notre environnement naturel et de<br />
notre mode de vie. C’est là une invention<br />
toute récente : moins de 10 000<br />
ans. Durant 99,5 % de notre trajectoire<br />
humaine, nous avons été des<br />
chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, nourris<br />
de viandes sans graisse et de plantes à<br />
fibres assez durement acquises. Depuis<br />
0,5 % de notre évolution, nous nous<br />
sommes sédentarisés et avons choisi<br />
un mode de vie nouveau, qui a favorisé<br />
notre démographie.<br />
On ne connaissait jusque-là<br />
aucune trace de carence et de violence<br />
chez les chasseurs du Paléolithique.<br />
Désormais le risque devient grand<br />
de subir des disettes au moindre aléa<br />
climatique, de voir éclore des épidémies,<br />
chez l’homme et l’animal,<br />
et d’attiser la convoitise du voisin<br />
devant les greniers pleins et les enclos<br />
garnis de troupeaux. Mais, après tout,<br />
famines, vols et guerres sont des<br />
phénomènes relativement accidentels<br />
et limités.<br />
C’est à l’échelle mondiale que<br />
l’évolution s’est faite plus sournoisement.<br />
Notre patrimoine génétique est<br />
sans doute demeuré le même tout au<br />
long de notre trajectoire, mais notre<br />
organisme s’est modifié depuis le<br />
Néolithique. Par exemple, la stature<br />
des humains a rapidement diminué de<br />
quelque dix centimètres (indice d’une<br />
moins bonne nutrition) et les caries<br />
sont apparues, de même que les épidémies,<br />
la tuberculose et les cancers.<br />
Depuis la Révolution industrielle et le<br />
développement de notre civilisation<br />
moderne, les maladies de surcharge<br />
sont apparues et se sont multipliées.<br />
Essayer de faire marche<br />
arrière ?<br />
Par exemple, le <strong>diabète</strong> de l’âge<br />
mûr, dit de type 2, lié à la surcharge<br />
frappe environ 4 % de nos compatriotes<br />
et 6 % des Nord-Américains.<br />
C’est pire encore chez les peuples<br />
naguère chasseurs-pêcheurs-cueilleurs,<br />
qui paient un tribut plus lourd encore<br />
du fait d’un gène d’épargne : il atteint<br />
jusqu’à 50 % des Indiens Pimas<br />
d’Arizona, presque autant chez les<br />
Micronésiens de l’île de Nauru ou chez<br />
les aborigènes australiens urbanisés.<br />
La simple comparaison du régime<br />
de nos ancêtres paléolithiques avec le<br />
nôtre et avec celui que recommandent<br />
les experts plaide en faveur de la nutrition<br />
préhistorique.<br />
Si bien qu’au plan pratique, pour<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
25
traiter une maladie de surcharge, au<br />
moment même où apparaît la nécessité<br />
de freiner la consommation médicamenteuse,<br />
les premiers mots qu’inscrit<br />
le médecin sur son ordonnance<br />
pourraient s’inspirer de tout notre<br />
passé et comporter quelques consignes<br />
simples : réduire les lipides animaux<br />
de la charcuterie et de la crémerie, les<br />
sucres rapides et le sel, privilégier le<br />
poisson, les glucides lents, les plantes<br />
à fibres, les huiles végétales, supprimer<br />
les boissons alcoolisées en dehors d’un<br />
peu de vin, arrêter le tabac et les autres<br />
drogues, pratiquer l’exercice physique.<br />
La prévention du <strong>diabète</strong> de type<br />
2 et des maladies de surcharge mériterait<br />
de s’inspirer des mêmes principes<br />
élémentaires, tout particulièrement<br />
dans les familles à risque… C’est<br />
ce que recommandent les experts et<br />
l’étude de la nutrition préhistorique<br />
confirme que leur opinion est fondée.<br />
Ce serait certainement un moyen<br />
pour l’homme d’aujourd’hui - et plus<br />
encore pour celui de demain - de vivre<br />
mieux et plus longtemps.<br />
Ce serait aussi, accessoirement, un<br />
moyen de montrer que la Préhistoire,<br />
de temps en temps, cela peut servir à<br />
quelque chose…<br />
Et le sexe dans tout çà ?<br />
« La femme remonte à la plus haute<br />
antiquité », proclamait Alexandre<br />
Vialatte avec un bon sourire. La Bible,<br />
elle, avait tout faux. Elle faisait naître<br />
Eve aux dépens de la côte d’Adam il y a<br />
quelque 6 000 ans. Quant aux préhistoriens<br />
- des hommes, sauf exceptions<br />
récentes -, ils ont étudié l’Homme de<br />
Néandertal, l’Homme de Cro-Magnon.<br />
Ils semblaient ainsi faire impasse sur la<br />
moitié féminine de l’humanité.<br />
Pour nous, la sexualité, c’est ce<br />
qui concerne le trio homme-femmeenfant.<br />
Mais on ne sait rien de la<br />
sexualité des plus anciens Hommes<br />
(excepté dans les films de Jacques<br />
Malaterre…). Sauf que cela a marché…<br />
On dispose de documents surtout pour<br />
les Cro-Magnons, c’est-à-dire pour les<br />
Homo sapiens sapiens, les premiers<br />
Hommes modernes, en Europe depuis<br />
35 000 ans.<br />
Nutrition et sexualite au paléolithique<br />
On ne tiendra compte ici que des<br />
faits matériels, issus des fouilles, des<br />
œuvres d’art, de l’ethnographie et de<br />
l’ADN.<br />
Faire parler le sol<br />
des chasseurs-cueilleurs<br />
du Paléolithiques<br />
Chacun connaît aujourd’hui<br />
le schéma classique de l‘évolution<br />
humaine. A partir d’un ancêtre<br />
commun aux Hommes et aux singes,<br />
il y a une dizaine de millions d’années,<br />
se dégage, en Afrique, sans doute à la<br />
suite d’un épisode climatique, la lignée<br />
des hominidés, caractérisée par la<br />
station érigée bipède : Hominidés du<br />
Miocène, Australopithèques, Homo<br />
habilis et rudolfensis, H. ergaster puis<br />
erectus. C’est de ce dernier que dériveront<br />
les Hommes de Néandertal (vers<br />
l’Europe), ceux de Solo (en Indonésie)<br />
et les Homo sapiens qui se répandront<br />
peu à peu sur la planète 1 .<br />
Les fouilles ont permis de bien<br />
connaître les habitats et les sépultures<br />
des Homo sapiens (Figure 1).<br />
1. Ces divers noms sont souvent des mots valises. Les<br />
espèces d’Australopithèques sont nombreuses. Les<br />
Homo erectus aussi. Parmi eux, on classe, dans les<br />
Pré-Néandertaliens, les H. antecessor d’Espagne (Gran<br />
Dolina d’Atapuerca), les H. heidelbergensis allemands et<br />
notre Homme de Tautavel (Pyrénées-Orientales).<br />
A B<br />
A Pincevent (Seine-et-Marne),<br />
André Leroi-Gourhan a montré qu’il<br />
y a 12 000 ans, les Magdaléniens<br />
vivaient en famille nucléaire dans<br />
leur cabane. Les peuples chasseurscueilleurs<br />
se réunissaient en plusieurs<br />
familles pour constituer un groupe<br />
de 20 à 30 personnes pour s’entraider<br />
sans épuiser l’environnement.<br />
L’examen des squelettes démontre<br />
que la mortalité était importante et<br />
frappait particulièrement les enfants<br />
(probablement un sur deux) et<br />
les très jeunes femmes de moins de<br />
20 ans, sans doute liée à des complications<br />
obstétricales. On ne s’étonne pas<br />
que la démographie ait longtemps<br />
été stagnante, liée à la mortalité des<br />
enfants et des mères, et, comme dans<br />
les peuples dits primitifs, à la puberté<br />
tardive des femmes et au sevrage tardif<br />
des enfants, cause d’infertilité de la<br />
mère pendant 2 ans.<br />
Art et religion chez<br />
les Cro-Magnons<br />
Comme l’a bien montré André<br />
Leroi-Gourhan, l’art des cavernes<br />
paléolithiques est de nature religieuse,<br />
au sens large, et les religions<br />
du Paléolithique seraient bien les<br />
seules où la sexualité n’intervienne pas<br />
en positif ou négatif.<br />
Figure 6. Représentations sexuelles : A - Vulve en vue pubienne. Elle est gravée dans la grotte de<br />
Commarque (Dordogne) ; B - Phallus. Aménagé dans un cornillon de boviné, il remonte au début du<br />
Paléolithique supérieur, il y a environ 30 000 ans (abri Blanchard, Dordogne).<br />
26 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012
Les sujets représentés ne se résument<br />
pas à des représentations d’animaux.<br />
On trouve aussi, depuis la naissance<br />
du dessin il y a 35 000 ans, des<br />
dessins de vulves dans les grottes<br />
et des phallus sur les objets : la<br />
partie pour le tout (Figures 6 a et b).<br />
Les nombreux signes géométriques<br />
qui parsèment les cavernes peuvent<br />
souvent être rattachés à ces mêmes<br />
sujets : des triangles ou des ovales<br />
fendus, des bâtonnets avec ou sans<br />
expansion latérale…<br />
Ce sont surtout, notamment dans<br />
l’art dit mobilier, des statuettes de<br />
(grosses) femmes enceintes : les<br />
« Vénus », fréquentes il y a 25 000 ans<br />
au Gravettien. Parfois aussi, un peu<br />
plus tard, des hommes en érection,<br />
comme à Lascaux. Les personnages<br />
sont figurés nus et glabres, alors que<br />
les outils de couture existent depuis les<br />
premiers Cro-Magnons.<br />
Ces femmes figurées sont souvent<br />
atteintes d’une obésité gynoïde<br />
(fesses et cuisses), liée à des causes<br />
hormonales et aux grossesses et non<br />
à la suralimentation et à la sédentarité.<br />
Ces vénus ont souvent des<br />
seins ptosés, témoins de grossesses<br />
multiples, et un abdomen gravide.<br />
Cette obésité est, comme on sait, peu<br />
dangereuse, contrairement à l’obésité<br />
androïde (du thorax et de l’abdomen)<br />
du syndrome métabolique, cause de<br />
<strong>diabète</strong> de type 2, hypertension artérielle,<br />
dyslipidémies, maladies cardiovasculaires…<br />
Cette obésité androïde,<br />
sans doute bien rare chez les chasseurs<br />
du Paléolithique, n’est jamais représentée.<br />
Pourquoi ce choix des artistes ?<br />
Peut-être pour des motifs esthétiques<br />
ou érotiques (on pense à Rubens, à<br />
Renoir ou à Botero), mais on sait aussi<br />
que les obésités gynoïdes vont de pair<br />
avec de bonnes lactations chez la<br />
jeune mère.<br />
Dans quelques cas, une image<br />
d’accouchement, en position assise,<br />
bras levé, est figurée : la tête de l’enfant<br />
apparaît. En revanche on ne connaît<br />
guère d’images de coït (un seul cas<br />
probable) et de couple (un ou deux),<br />
alors que ces thèmes seront fréquents<br />
au Néolithique, il y a moins de 10 000<br />
ans, au Sahara, par exemple. C’est vrai<br />
aussi pour les animaux : aucune image<br />
de saillie, quelques « flairages », pas de<br />
mise bas et de rares petits représentés.<br />
Chez tous les chasseurscueilleurs<br />
Les comparaisons sont à manier<br />
avec prudence. Mais certains faits se<br />
retrouvent chez tous les peuples chasseurs-cueilleurs<br />
et ils devaient sans<br />
doute exister chez les Cro-Magnons.<br />
Il devait y avoir, chez eux, une division<br />
sexuelle du travail : l’homme<br />
fait couler le sang (la chasse et la<br />
pêche au harpon) quelques heures<br />
par jour ; la femme s’occupe à temps<br />
plein des enfants, de la maison et de<br />
la cueillette (Figures 7 a et b). Cette<br />
dichotomie des tâches quotidiennes<br />
nous paraît liée au rôle essentiel de<br />
la testostérone de l’homme et des<br />
hormones de la femme. On sait<br />
aujourd’hui que beaucoup de nos<br />
actes les plus intimes sont soustendus<br />
par des hormones, par des<br />
phéromones (l’organe naso-vomérien<br />
de Jacobson existe aussi chez<br />
les humains), par des neuro-transmetteurs…<br />
De même, l’ocytocine<br />
hypothalamique influe sur l’amour<br />
maternel alors que le père est habituellement<br />
plus distant voire absent.<br />
Conséquences<br />
- Chaque sexe avait sans doute ses<br />
outils particuliers (couteau, sagaie,<br />
harpon pour l’un et grattoir ou racloir<br />
pour l’autre)<br />
- Sur les parois des cavernes, l’excellente<br />
représentation graphique des<br />
animaux, sur le plan de leur anatomie<br />
A B<br />
et de leur comportement, semble bien<br />
prouver que les artistes étaient des<br />
chasseurs, donc des hommes.<br />
Chez les chasseurs-cueilleurs subactuels,<br />
existe toujours l’évitement<br />
de l’inceste - c’est vrai aussi chez les<br />
grands singes - et la quête des épouses<br />
par les hommes dans des groupes<br />
étrangers, comme l’a bien montré<br />
Claude Lévi-Strauss, sans doute pour<br />
tisser des liens et non pour éviter la<br />
consanguinité, non appréciable dans<br />
de petits groupes. Françoise Héritier<br />
a montré que le matriarcat n’était<br />
jamais observé, malgré les légendes.<br />
Enfin, comme souvent, il n’est pas sûr<br />
que la relation entre le rapport sexuel<br />
et la grossesse ait été connu de tous. Il<br />
devait en être de même chez les Homo<br />
sapiens sapiens.<br />
En revanche, les us et coutumes de<br />
la vie sexuelle chez les divers peuples<br />
dits primitifs sont si nombreux et<br />
variés qu’on ne peut aller plus loin<br />
dans ces comparaisons.<br />
Son Excellence l’ADN<br />
C’est, en anthropologie aussi, la<br />
révolution des toutes dernières années.<br />
Grâce aux ADN (ADN du chromosome<br />
Y transmis par l’homme et ADN mitochondrial<br />
transmis par la femme),<br />
on connaît depuis peu l’origine<br />
des premiers Cro-Magnons en<br />
Afrique : l’« Eve mitochondriale » avait<br />
été prévue par les biologistes moléculaires<br />
à 200 000 ans en Afrique et des<br />
Proto-Cro-Magnons de cet âge ont été<br />
effectivement découverts en Ethiopie.<br />
O n s a i t d e p u i s p e u q u e l e s<br />
Hommes modernes d’Europe et d’Asie<br />
Figure 7. Division sexuelle du travail. A - Chez les chasseurs-cueilleurs, l’homme chasse, quelques heures<br />
par jour ; B - la femme s’occupe des enfants, de l’habitat et de la cueillette tout au long de la journée.<br />
Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012<br />
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ont 1 à 4 % de Néandertal dans leur<br />
génome. Nous avons en nous quelque<br />
chose de Néandertal… Mais pas les<br />
Africains : donc les mélanges se sont<br />
produits après la sortie des Hommes<br />
modernes d’Afrique. Les deux espèces<br />
ont divergé il y a un peu plus de<br />
300 000 ans, estiment les biologistes<br />
moléculaires.<br />
Les migrations sont bien mieux<br />
connues : par exemple celles des<br />
Néandertaliens depuis l’Asie occidentale<br />
vers Europe, des Homo sapiens<br />
sapiens vers Amérique (par le détroit<br />
de Behring exondé il y a 30 000 ans)<br />
ou vers Australie (par voie de mer il<br />
y a 50 000 ans) : elles ont concerné<br />
bien sûr des hommes et aussi des<br />
femmes, puisque ces migrants ont<br />
fait souche.<br />
Les restes d’un humain inattendu<br />
a été découvert à Denisova<br />
dans l’Altaï sibérien, vieux de plus de<br />
50 000 ans : cet enfant est surnommée<br />
X woman, car son génome ne correspond<br />
à rien de connu. Sa lignée a dû se<br />
détacher du tronc commun des Homo<br />
erectus il y a un million d’années 2 .<br />
Plus tard, au Néolithique, lors<br />
de l’arrivée en Europe des paysanséleveurs<br />
venus du Moyen-Orient et<br />
de leur rencontre avec les chasseurscueilleurs<br />
de Cro-Magnon, c’est le plus<br />
souvent l’immigrant qui va épouser<br />
la Cro-Magnonne : 80 % des enfants<br />
ont hérité du chromosome Y de ces<br />
« étrangers ».<br />
Grâce à l’ADN, de vraies familles<br />
ont pu être authentifiées. Ainsi à Eulau<br />
(Saxe), il y a 5 600 ans, ont été inhumées<br />
ensembles 4 personnes : les<br />
2. Un cas très particulier est constitué par l’Homme de<br />
Florès, un Homo erectus attardé (vieux de 18 000 ans<br />
seulement) et nanifié du fait de l’isolement dans son île<br />
d’Indonésie.<br />
Nutrition et sexualite au paléolithique<br />
A B<br />
Figure 8. Au Néolithique. A - la violence et la guerre apparaissent ; B - les actes répétés se traduisent<br />
par des lésions ostéo-articulaires.<br />
enfants avaient l’ADN du chromosome<br />
Y du père et l’ADN mitochondrial<br />
de la mère. Le dosage de strontium<br />
(semblable chez le père et les<br />
enfants) montre que l’homme était<br />
allé chercher la femme et l’a ramenée<br />
dans son groupe, où sont nés et<br />
où ont été élevés leurs enfants. Cette<br />
famille confirme bien les observations<br />
de Claude Lévi-Strauss.<br />
Le Néolithique ?<br />
Une bonne affaire ?<br />
En effet, il y a moins de 10 000 ans, tout<br />
se modifie peu à peu. Les Néolithiques<br />
sont producteurs et se sédentarisent<br />
dans des villages au contact des<br />
animaux. La démographie augmente<br />
un peu, par à-coups. On voit apparaître<br />
la guerre chez ces paysanséleveurs<br />
: les troupeaux et les récoltes<br />
provoquent l’envie du voisin. La<br />
fouille retrouve des silex fichés dans<br />
les os et des charniers apparaissent.<br />
Des maladies « professionnelles »<br />
sont décrites chez la femme, notamment<br />
des troubles ostéo-articulaires<br />
(orteils, rachis et genoux) chez celle<br />
qui moud du grain à genoux toute la<br />
journée (Figures 8 a et b).<br />
On constate aussi, sur les ossements,<br />
des pathologies nouvelles<br />
contractées dans la promiscuité des<br />
villages : des maladies infectieuses<br />
d’origine souvent animale (tuberculose),<br />
des cancers (liés à l’environnement<br />
?) et des stigmates de carences<br />
alimentaires (dues aux épisodes climatiques<br />
et aux épizooties). C’est alors<br />
qu’apparaissent les premières caries<br />
dentaires : les récipients en céramique<br />
permettent de confectionner des<br />
purées et des bouillies qui les favorisent.<br />
Le travail de la terre a remplacé<br />
les longues courses, et, du fait d’un<br />
apport carné réduit, la stature des<br />
hommes et des femmes diminue de<br />
quelque dix centimètres. Toute l’Histoire<br />
va se passer avec des êtres petits.<br />
Ce n’est qu’aujourd’hui que nos<br />
enfants et petits-enfants sont en train<br />
de rattraper, sur ce plan, les grands<br />
chasseurs-cueilleurs de Cro-Magnon.<br />
Les nutritionnistes nous conseillent de<br />
revenir à une alimentation plus saine,<br />
un peu « paléolithique », privilégiant<br />
les viandes peu grasses, le poisson,<br />
les plantes à fibres, sans trop de sel ni<br />
d’alcool, mais assortie d’un peu plus<br />
d’exercice physique. L’anthropologie<br />
leur donne raison…<br />
28 Médecine Clinique <strong>endocrinologie</strong> & <strong>diabète</strong> • Confrontations Endocrinologie-Diabétologie Sud Franciliennes • Mars 2012