13 e édition - mars 2009 - CCNB
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E<br />
QU’EST-CE QU’UNE POUTINE?<br />
trange question peut-être, mais la réponse peut être d’autant<br />
plus surprenante. Un Québécois répondra d’emblée qu’une<br />
poutine est un « plat de frites et de fromage<br />
en grains sur lesquels est coulée une sauce<br />
brune », mais, pour l’Acadien, la poutine est<br />
beaucoup plus complexe.<br />
Le terme « poutine » est, en fait, représenté par huit sens. Chaque<br />
sens reflète une réalité linguistique reliée à une région particulière.<br />
Le sens le plus courant, connu dans la plupart des régions<br />
acadiennes, se définit comme une « pâte cuite dans l’eau<br />
bouillante, servant notamment à épaissir un ragoût ou un fricot ».<br />
On a ainsi des poutines jaunes ou blanches, dépendant de la<br />
teneur de jaunes d’œuf dans la pâte.<br />
Le deuxième sens le plus répandu se consigne sous la forme<br />
poutine en sac pour désigner une « boule de pâte de pain mise en<br />
sacs et cuite dans l'eau bouillante ». La poutine en sac peut être<br />
apprêtée comme dessert, en plaçant à l'intérieur de la boule de<br />
pâte des raisins secs. Ce sens est attesté dans le sud-est du<br />
Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et aux Îles-de-la-<br />
Madeleine.<br />
La locution poutine râpée réfère à un plat<br />
traditionnel du sud-est du Nouveau-Brunswick et<br />
limite l’usage du terme à cette région, bien que<br />
celui-ci soit connu des autres régions acadiennes.<br />
Il s’agit en fait d’une « boule de pommes de terre râpées avec, en<br />
son centre, des morceaux de viande de porc ».<br />
Comme desserts, les communautés acadiennes du nord-est, du<br />
sud-est du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard<br />
servent la poutine à la mélasse ou la poutine au sucre. Il s’agit d’un<br />
« dessert à base de farine (ou de pain), de raisins, de sucre ou de<br />
mélasse et cuit au four ». On retrouve également dans le sud-est<br />
du Nouveau-Brunswick la poutine à trou qui consiste en une « pâte<br />
à tarte mise en boule avec, en son centre, des morceaux de<br />
pommes et de raisin; un trou sur le dessus sert d'évent ».<br />
Un autre dessert, apprêté avec de la farine, des œufs, du lait, du<br />
sucre et de la muscade, est cuit sur un feu modéré. Nommée tout<br />
simplement poutine, cette crème dessert a été populaire au<br />
Québec, dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, aux îles Saint-<br />
Pierre-et-Miquelon et à l’Île-du-Prince-Édouard.<br />
MARS <strong>2009</strong><br />
Les descendants acadiens de la Louisiane utilisent le terme, mais<br />
dans des sens différents : la poutine désigne chez les Cajuns une<br />
« terre argileuse » ou une « boulette faite de farine et de coton<br />
délayé dans un peu d'eau qui sert d'appât pour les poissons ».<br />
Avec un mot si riche en sens, on pourrait lui supposer une longue<br />
évolution linguistique. Tel n’est pas le cas. En fait, les linguistes ne<br />
s’entendent même pas sur l’origine du mot. Au mieux, on peut<br />
supposer qu'il s'agit d'une variante de certaines formes dialectales<br />
voisines françaises (pouture, poutia) attestées au sens de « plat<br />
souvent à base de pomme de terre ou de pâte ». Certains ont voulu<br />
comparer le terme avec la forme<br />
anglaise pudding, mais il semble<br />
n’y avoir aucune tendance<br />
phonétique qui justifie le<br />
transfert du d vers le t dans<br />
l’adaptation d’un terme anglais<br />
vers le français acadien. De<br />
plus, la présence du mot sur<br />
toute la diaspora acadienne, y<br />
compris au Québec, nous force<br />
à supposer son existence dès le<br />
Yves Cormier, enseignant de français<br />
au Campus de Campbellton, s’intéresse<br />
au français parlé en Acadie<br />
début du XVIII e siècle, alors que<br />
l'influence de l'anglais était<br />
encore pratiquement inexistante.<br />
Les sens semblent être issus<br />
d’une histoire relativement récente : la poutine comme « pâte »<br />
n’est attestée que depuis 1946, alors que la poutine en sac est<br />
consignée en 1940. On ne retrouve des attestations de poutine<br />
râpée que depuis 1928 chez Pascal Poirier. Les attestations<br />
comme dessert sont encore plus récentes : on note poutine à la<br />
mélasse, poutine au sucre et poutine à trou depuis 1975 et la<br />
poutine comme crème depuis 1979. En Louisiane, les sens sont par<br />
contre décrits dans des textes remontant à 1932.<br />
Le terme « poutine » est un mot qui figure parmi les quelque 2 000<br />
entrées consignées dans le Dictionnaire du français acadien.<br />
Ouvrage de référence publié en 1999, l’intérêt pour son contenu a<br />
fait de lui le livre à thématique acadienne le plus vendu en Acadie<br />
depuis sa parution. Les 4 400 exemplaires publiés sont maintenant<br />
épuisés et une ré<strong>édition</strong> se prépare.<br />
Source : Suzanne Beaudoin, Campus de Campbellton