LES CAPRICES D'UN FLEUVE - Bibliothèque du film
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■ LE LANGAGE DU FILM<br />
La griffe <strong>du</strong> passé<br />
A travers la fresque historique, le spectacle et les intrigues amoureuses, Les Caprices d’un fleuve s’affronte au cinéma de genre<br />
pour être, avec les atouts d’hier, un <strong>film</strong> d’aujourd’hui.<br />
Le <strong>film</strong> d’aventure<br />
Comme le thème de la frontière dans le western, le thème <strong>du</strong><br />
voyage et de l’aventure exotique est fondateur d’un cinéma de<br />
genre hollywoodien. Suivre son évolution dans le récit de fiction<br />
contemporain nous permet de mesurer l’emploi et le<br />
renouvellement de ses codes.<br />
Selon Patrick Brion, qui a consacré au cinéma d’aventures un<br />
livre de référence 1 , trois grandes périodes structurent l’histoire<br />
<strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventure : les années 30 avec la sortie de la crise économique<br />
américaine, les années 50 avec l’apparition de la télévision<br />
et des nouvelles techniques de projection (le relief et le Cinémascope) et les années 60 avec la pro<strong>du</strong>ction en Europe<br />
de grands peplums bibliques à Cinecittà et des comédies à la française qui font évoluer le concept. On pourrait ajouter la<br />
période des années 1980 avec l’exploration d’univers fantastiques grâce aux nouvelles technologies utilisées au cinéma.<br />
Tout au long de l’histoire <strong>du</strong> cinéma hollywodien, le « rêve américain » est avide de nouveaux décors et d’aventuriers qui<br />
ont le pouvoir de contrôler leur destin. Quatre caractéristiques nourrissent le <strong>film</strong> d’aventures : l’autonomie <strong>du</strong> héros, son<br />
autorité et son pouvoir absolu, la nouveauté et la différence <strong>du</strong> monde où il évolue. Les plus grands réalisateurs des studios<br />
d’Hollywood s’illustrent dans ce genre : Victor Fleming avec L’Ile au trésor (1934) ou Capitaine courageux (1937), John<br />
Ford avec Mogambo (1953), Raoul Walsh avec L’Esclave libre (1957), Jacques Tourneur avec La Flibustière des Antilles (1951).<br />
Les acteurs trouvent dans ce genre matière à des rôles de panache, Errol Flynn, Tyrone Power, Clark Gable, Gary Cooper<br />
ou Georges Sidney sont les héros d’exception d’aventures indivi<strong>du</strong>elles.<br />
En France le thème de l’aventure est synonyme de comédie parce qu’il emprunte ses sources au roman picaresque.<br />
Christian-Jaque avec Fanfan La Tulipe (1951) ou Philippe de Broca avec L’Homme de Rio (1963) débarrassent l’aventure de<br />
toute connotation tragique pour ne garder qu’un archétype d’aventure fantaisiste.<br />
Le thème des Caprices d’un fleuve s’inscrit dans la tradition <strong>du</strong> <strong>film</strong> d’aventures : son héros, Jean-François de La Plaine, quitte<br />
l’Ancien Monde pour aborder une terre inconnue. Il se libère <strong>du</strong> passé et, à travers l’expérience de l’esclavage, découvre<br />
son pouvoir, le lieu de sa transformation et d’une différence qui redéfinit les valeurs <strong>du</strong> Nouveau Monde. Comme ses<br />
illustres prédécesseurs, Les Caprices d’un fleuve est un <strong>film</strong> qui fait la part belle aux acteurs, et notamment à son héros incarné<br />
par Bernard Giraudeau. L’écart avec le genre se révèle par l’emploi <strong>du</strong> code épistolaire et l’exploration de la thématique<br />
de l’exil qui « voilent » l’aventure.<br />
1. Le Cinéma d’aventures, de Patrick Brion, éditions de La Martinière.<br />
La musique au cinéma<br />
La musique n’est pas le simple accompagnement d’un <strong>film</strong>. Elle fait partie, bien<br />
souvent, de sa structure et contribue à lui donner sa forme générale par la place<br />
déterminante de ses interventions. Celles-ci peuvent être ré<strong>du</strong>ites à un accord,<br />
à quelques secondes, à quelques minutes. La musique des Caprices d’un fleuve a<br />
été composée par René Marc-Bini, qui a travaillé dans la direction donnée par<br />
Bernard Giraudeau : une partition qui devait allier la musique classique (Bach<br />
et Vivaldi) et une rythmique africaine contemporaine.<br />
La musique est un matériau privilégié de l’écriture <strong>du</strong> <strong>film</strong> : elle ponctue sans<br />
cesse, détache, souligne. Quand Jean-François de La Plaine tente d’apprivoiser<br />
Amélie, trois notes aiguës jouées au clavecin font apparaître le visage de l’enfant<br />
et scandent sa surprise.<br />
La présence et l’importance de la musique par rapport aux éléments de dialogue,<br />
de bruits, sont mo<strong>du</strong>lables dans Les Caprices d’un fleuve. Le thème musical<br />
lié à une chanson (un élément qui peut prendre tous les aspects, <strong>du</strong> sifflottement<br />
discret dans la bouche d’un personnage, à une reprise pompeuse par<br />
tout l’orchestre) est ici, avec le thème de Samayon, le coeur battant <strong>du</strong> <strong>film</strong> :<br />
c’est un air lointain qui accompagne la scène d’amour entre Anne Brisseau et le<br />
gouverneur. Ce thème est chanté par une voix inconnue lors de l’expédition<br />
chez le roi Moktar. Il devient thème annoté par Pierre Combaud, puis il marquera<br />
le lien affectif entre le gouverneur et Amélie dans la scène de confrontation<br />
sur l’amour filial ; enfin, il sera le chant <strong>du</strong> départ <strong>du</strong> gouverneur.<br />
Ce leitmotiv musical symbolise le mouvement de la répétition qui délimite et<br />
dessine peu à peu un objet, un centre. Il assure à l’ensemble de la musique une<br />
fluidité glissante, celle des rêves. Le leitmotiv installe un vaste réseau d’échos,<br />
d’émois et de résonances dont l’impact est d’autant plus important que la trame<br />
romanesque est dédiée au souvenir, aux échos émotionnels, aux pressentiments<br />
ou à l’indécision. On notera particulièrement, dans Les Caprices d’un fleuve,<br />
le leitmotiv orchestral sur les lettres de Louise qui témoigne des transitions<br />
émotionnelles vécues par le héros.