L'Éléphant de la Bastille - Publibook
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Annie Abriel<br />
L’Éléphant <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Bastille</strong><br />
<strong>Publibook</strong>
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Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux Éditions <strong>Publibook</strong> en 2013
À Annelise, David, Bérengère<br />
À Christian
L’auteur remercie chaleureusement ses premiers lecteurs,<br />
famille, amis, professionnels <strong>de</strong> l’écriture pour leurs<br />
lectures, relectures, corrections, conseils avisés, encouragements,<br />
et in fine pour l’ai<strong>de</strong> apportée à <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong><br />
cet ouvrage.
« Il y a vingt ans, on voyait encore dans l’angle sud-est<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Bastille</strong>, près <strong>de</strong> <strong>la</strong> gare du canal creusée<br />
dans l’ancien fossé <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison-cita<strong>de</strong>lle, un monument<br />
bizarre qui s’est effacé déjà <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s Parisiens<br />
(…).<br />
C’était un éléphant <strong>de</strong> quarante pieds <strong>de</strong> haut, construit<br />
en charpente et en maçonnerie, portant sur son dos sa tour<br />
qui ressemb<strong>la</strong>it à une maison, jadis peint en vert par un<br />
badigeonneur quelconque, maintenant peint en noir par le<br />
ciel, <strong>la</strong> pluie et le temps. Dans cet angle désert et découvert<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, le <strong>la</strong>rge front du colosse, sa trompe, ses<br />
défenses, sa tour, sa croupe énorme, ses quatre pieds pareils<br />
à <strong>de</strong>s colonnes faisaient, <strong>la</strong> nuit, sur le ciel étoilé, une<br />
silhouette surprenante et terrible. »<br />
Victor Hugo<br />
Les Misérables (livre sixième, Le petit Gavroche)<br />
« Qui parle ? Mais qui vous voudrez. J’ai l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
parler à <strong>la</strong> première personne. Pas vous ? De toute façon,<br />
dire je, dire moi, est le plus simple : le lecteur, ensuite, en<br />
dispose. »<br />
Aragon<br />
La Valse <strong>de</strong>s adieux<br />
Éditorial pour Les Lettres françaises du 11 octobre 1972
Paris, 26 mai 1821<br />
Chapitre premier<br />
— Tu ne réponds pas ?<br />
J’étais obnubilé par le tremblement <strong>de</strong> sa bouche et <strong>de</strong><br />
son menton, je ne pouvais en détacher les yeux, et dès lors<br />
suivre <strong>la</strong> courbe délicate <strong>de</strong> sa joue et espérer croiser son<br />
regard, furtif effleurement. De même, je ne pouvais lui<br />
répondre, pas plus oui que non, aucun é<strong>la</strong>n, une petite<br />
mort intérieure. Je regardai sa bouche se crisper et c’est <strong>la</strong><br />
<strong>de</strong>rnière chose que je vis d’elle.<br />
Elle sortit en courant <strong>de</strong> l’atelier tandis qu’immobile, je<br />
contemp<strong>la</strong>is les gouttes <strong>de</strong> pluie gifler les vitres. Je ne<br />
bougeai pas. Quel infernal pouvoir, quelle odieuse impuissance<br />
me maintenaient ainsi, quel secret désir <strong>de</strong><br />
souffrance m’empêchait <strong>de</strong> <strong>la</strong> rattraper, <strong>de</strong> lui dire les mots<br />
qu’elle attendait, dont je comprenais qu’elle les atten<strong>de</strong> et<br />
que rien à cet instant n’aurait pu m’arracher.<br />
C’était comme si je n’avais pas été concerné, comme si<br />
elle s’était adressée à un autre homme, un homme bien<br />
vivant lui, un homme plein d’audace et passionné, un<br />
homme d’un autre temps. Ma main tremb<strong>la</strong>it dans <strong>la</strong> poche<br />
<strong>de</strong> mon gilet <strong>de</strong> soie. Le temps était suspendu dans cette<br />
absence <strong>de</strong> désir, dans cette incapacité à déci<strong>de</strong>r, dans cet<br />
abandon veule à son écoulement, comme si <strong>la</strong> réponse<br />
al<strong>la</strong>it surgir d’elle-même, comme s’il était inutile d’agir,<br />
comme si tout se décidait sans nous, Parques aux aguets<br />
dévidant sans gêne nos vies. Quel engourdissement, quelle<br />
fascination du rien.<br />
Je regardais sur mon grand chevalet cette ébauche <strong>de</strong><br />
Christ sur <strong>la</strong> croix auquel je travail<strong>la</strong>is <strong>de</strong>puis plusieurs<br />
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semaines, je m’étais attardé sur ces bras pendus qui ne<br />
parvenaient pas à me satisfaire, proportions, expression, et<br />
là je ne voyais qu’une froi<strong>de</strong>ur, une redite.<br />
Je caressai lentement <strong>la</strong> feuille <strong>de</strong> papier bleu, mon<br />
vieux compagnon, et cette sensation sèche me fit du bien.<br />
J’al<strong>la</strong>is sortir, marcher dans les rues aux pavés glissants,<br />
oublier ces états d’âme, ces interrogations, oublier<br />
qu’une femme levait vers moi ses yeux avi<strong>de</strong>s d’espoir.<br />
Quel espoir ?<br />
Dehors, j’entendrais les murmures <strong>de</strong>s Parisiens encore<br />
étonnés <strong>de</strong> sa mort à lui, là-bas sur son île cendres et cercueil,<br />
une rumeur imperceptible, le peuple oubliait vite ce<br />
rêve grandiose assoiffé <strong>de</strong> son sang, le peuple était repu <strong>de</strong><br />
gloire, il vou<strong>la</strong>it manger à sa faim d’autres nourritures<br />
moins exaltantes et moins cruelles, et le Bourbon était<br />
encore, toujours là, arrimé au trône par les astuces millénaires<br />
<strong>de</strong>s dominants.<br />
J’al<strong>la</strong>is prendre à grands pas <strong>la</strong> rue <strong>de</strong>s Grès jusqu’à<br />
l’église Sainte-Geneviève, sanctuaire autrefois détourné <strong>de</strong><br />
ses cultes divins pour célébrer dans ses cryptes le dogme<br />
patriotique. Un rêve d’avant…<br />
Paris, printemps 1803<br />
J’aimais tellement, j’aime toujours Paris en avril, le<br />
vent frais, un air neuf qui jaillit <strong>de</strong>s rues et lisse les visages<br />
<strong>de</strong>s passants.<br />
Chaque pas <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> ma colline vers les<br />
berges <strong>de</strong> Seine allégeait mon esprit <strong>de</strong>s tourments <strong>de</strong><br />
l’heure. J’avais ren<strong>de</strong>z-vous avec mon ami Denon, le sémil<strong>la</strong>nt<br />
directeur du Louvre, et ce<strong>la</strong> réveil<strong>la</strong>it une humeur<br />
allègre.<br />
— Monsieur !<br />
Je me retournai et reconnus Marguerite qui me hé<strong>la</strong>it<br />
d’une <strong>de</strong> ces calèches qui circu<strong>la</strong>ient sur le pavé parisien.<br />
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La voiture s’arrêta et j’aidai <strong>la</strong> jeune femme qui sauta<br />
avec souplesse à mes côtés.<br />
— Tu ne m’appelles plus citoyen, Marguerite ?<br />
Elle me <strong>la</strong>nça un regard rieur :<br />
— Tu ne sais pas que Bonaparte en est pour le retour<br />
aux anciennes salutations ? Il les prononce si fort que<br />
bientôt celui qui usera <strong>de</strong> ces appel<strong>la</strong>tions civiques et du<br />
tutoiement passera pour un comploteur jacobin mâtiné <strong>de</strong><br />
sans-culotterie.<br />
Marguerite éleva <strong>la</strong> voix sur cette <strong>de</strong>rnière phrase et redressa<br />
<strong>la</strong> tête avec l’air <strong>de</strong> celle qui n’attend que <strong>la</strong><br />
moindre remarque pour se <strong>la</strong>ncer l’épée bien en main prête<br />
à en découdre, mais personne ne saisit ses propos au vol,<br />
sur ce quai <strong>de</strong> <strong>la</strong> Conciergerie pourtant fort animé en cette<br />
journée limpi<strong>de</strong> <strong>de</strong> début du mon<strong>de</strong>.<br />
Marguerite <strong>la</strong> rebelle. Nous étions nombreux à penser<br />
qu’un peuple appe<strong>la</strong>nt son roi déchu citoyen Capet faisait<br />
un beau pied-<strong>de</strong>-nez à <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong>.<br />
— Tu ne crains pas les mouchards ? On dit que Fouché<br />
les sème à tous vents.<br />
Elle glissa sa main sous mon bras et se blottit contre<br />
moi.<br />
— Tu me tirerais <strong>de</strong> leurs griffes, n’est-ce pas ? Tu ne<br />
pourrais pas te passer <strong>de</strong> moi.<br />
Irrésistible Marguerite, à <strong>la</strong> peau soyeuse <strong>de</strong> celles qui<br />
sont aimées par <strong>la</strong> vie, le modèle le plus convoité <strong>de</strong> Paris<br />
pour <strong>la</strong> tendre courbure <strong>de</strong> son cou, ses épaules menues,<br />
les lignes affirmées <strong>de</strong> son visage pointu que le crayon<br />
noir souligne en finesse, son dos <strong>de</strong> pharaonne, d’une droiture<br />
fière, oui, qui saurait mieux me détourner <strong>de</strong> l’autre<br />
splen<strong>de</strong>ur, celle du corps masculin.<br />
— Tu m’accompagnes, ma mignonne ? J’ai ren<strong>de</strong>zvous<br />
avec le citoyen Vivant, ci-<strong>de</strong>vant chevalier <strong>de</strong> Non,<br />
gentilhomme ordinaire du roi. Tu as bien entendu : citoyen.<br />
Il sera le <strong>de</strong>rnier à donner du monsieur, tu verras.<br />
Quand on a servi <strong>la</strong> Pompadour, il est <strong>de</strong>s postures, toutes<br />
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démodées qu’elles soient, qu’il n’est pas malséant<br />
d’afficher.<br />
Elle s’exc<strong>la</strong>ma :<br />
— Il est si vieux ?<br />
— Comme moi, ma chère. Sache qu’il avait organisé<br />
son cabinet <strong>de</strong> pièces gravées.<br />
Marguerite renchérit :<br />
— C’est beau, <strong>la</strong> passion <strong>de</strong> l’antique !<br />
J’approuvai :<br />
— Au final une passion révolutionnaire. Et qui lui a valu<br />
le soutien <strong>de</strong> David.<br />
— Ce bon Louis, un <strong>de</strong>s rares hommes qui ne me déshabille<br />
<strong>de</strong>s yeux que pour l’art, avec comme horizon moral<br />
<strong>la</strong> probité et <strong>la</strong> vertu.<br />
Marguerite ponctua son propos d’une envolée du bras<br />
et d’un mouvement <strong>de</strong> menton que le lyrisme davidien<br />
n’aurait pas désavoués. Et comme ce geste soulignait bien<br />
<strong>la</strong> sveltesse d’un corps dont <strong>la</strong> robe si justement dite à<br />
l’antique et d’une mousseline transparente ne dissimu<strong>la</strong>it<br />
aucun trésor !<br />
Une pirouette et mon petit modèle s’envo<strong>la</strong> non sans<br />
crier :<br />
— Je serai à ton atelier vendredi comme convenu.<br />
Dominique Vivant Denon m’attendait dans son cabinet.<br />
Je savais qu’il travail<strong>la</strong>it d’arrache-pied à son rapport sur<br />
les antiquités saisies en Italie lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière campagne.<br />
Il y avait suivi Bonaparte pour cette mission bien particulière.<br />
— Citoyen Prud’hon ! Tu parviens à traverser <strong>la</strong> Seine<br />
<strong>de</strong> temps en temps ? Oublies-tu le temps où tu étais logé<br />
au Louvre par <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> <strong>la</strong> République ?<br />
— Certes pas ! Je sais ce que je lui dois. Surtout quand<br />
mes amis veillent.<br />
Je venais <strong>de</strong> recevoir grâce à Vivant une comman<strong>de</strong><br />
pour <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> sculpture grecque. Je peindrais Diane im-<br />
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plorant Jupiter, j’aimais imaginer les jeux <strong>de</strong>s dieux, leurs<br />
rires qui se moquent <strong>de</strong> nos ma<strong>la</strong>droites gesticu<strong>la</strong>tions. Je<br />
prenais p<strong>la</strong>isir à leur donner vie sur mes toiles, dans une<br />
fréquentation assidue <strong>de</strong> leurs mythes.<br />
— Tu tombes bien, je voudrais te montrer un nouveau<br />
projet qui me passionne. Mais d’abord, comment vas-tu,<br />
Pierre ?<br />
Vivant me tenait par les épaules, bras tendus, et plongeait<br />
son regard intense dans mes yeux, à sa façon directe<br />
et chaleureuse.<br />
Qui pouvait, qui avait résisté à Dominique, comme<br />
j’étais un <strong>de</strong>s rares à l’appeler ? Voilà un homme qui avait<br />
successivement charmé Louis XV et sa favorite, puis Vergennes,<br />
qui lui confia <strong>de</strong>s ambassa<strong>de</strong>s, et, beaucoup plus<br />
admirable, l’Incorruptible lui-même, Maximilien le vertueux<br />
qui l’avait nommé graveur national. Puis, porté par<br />
sa réputation, il investit le salon <strong>de</strong> Joséphine, ces dames<br />
se souviennent qu’il écrivit ce bijou <strong>de</strong> littérature libertine<br />
appelé éloquemment Point <strong>de</strong> len<strong>de</strong>main et le considèrent<br />
avec un intérêt dont chacun comprendra que l’origine ne<br />
rési<strong>de</strong> pas dans <strong>la</strong> seule littérature.<br />
Le général mari jauge vite notre Vivant et voici le citoyen<br />
Denon embarqué en Égypte pour étudier et <strong>de</strong>ssiner<br />
les Antiquités, ce qu’il fait avec <strong>la</strong> passion et <strong>la</strong> compétence<br />
qui caractérisent tous ses actes. Les grâces <strong>de</strong><br />
l’Ancien Régime et <strong>de</strong> ses polissonneries subtiles conjuguées<br />
à <strong>la</strong> rigueur scientifique tant prisée par le Premier<br />
consul, c’était à ce mé<strong>la</strong>nge improbable mais bien réel que<br />
je succombais comme tous.<br />
— L’artiste va bien. Merci pour ton appui, ta confiance,<br />
monsieur le directeur général <strong>de</strong>s musées. C’est l’homme<br />
qui est en souci. Dominique, j’ai besoin <strong>de</strong> ton ai<strong>de</strong> dans<br />
une affaire délicate.<br />
Il me regarda plus attentivement et me fit asseoir sur<br />
une banquette.<br />
— Je t’écoute.<br />
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— Eh bien voilà, Jeanne me harcèle, je n’en puis plus.<br />
Depuis notre séparation, il lui est interdit <strong>de</strong> venir dans<br />
mon appartement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sorbonne et du coup elle fait scandale<br />
chez mes collègues. Ses cris, ses scènes incessantes<br />
avaient déjà chassé Giro<strong>de</strong>t qui occupait l’appartement<br />
voisin lorsque nous étions logés au Louvre et maintenant<br />
elle le poursuit dans sa rési<strong>de</strong>nce du couvent <strong>de</strong>s Capucines.<br />
— Giro<strong>de</strong>t m’a parlé <strong>de</strong> cette visite, pour te p<strong>la</strong>indre et<br />
s’inquiéter <strong>de</strong> ces fureurs incontrôlées.<br />
— J’en suis bien confus. Cette semaine elle a fait irruption<br />
dans mon atelier telle une furie et s’est précipitée sur<br />
Rose, un jeune modèle qui posait pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième fois, et<br />
l’a souffletée avec une violence insensée. Je crois qu’elle<br />
l’a prise pour Marguerite, mais Marguerite même n’en<br />
méritait pas tant. Et puis elle m’a agoni d’injures, j’étais le<br />
pire <strong>de</strong>s hommes, un mari vo<strong>la</strong>ge, un père dénaturé, que<br />
sais-je ? Les quelques élèves présents étaient pétrifiés. Si<br />
tu l’avais vue, sale, les cheveux emmêlés, le visage déformé<br />
par une grimace, le regard dément. Comme j’essayais<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> calmer, elle m’a frappé avec une force décuplée par<br />
<strong>la</strong> rage et s’est alors écroulée en se tordant et en marte<strong>la</strong>nt<br />
le sol <strong>de</strong> pierre avec sa tête.<br />
À remémorer cette scène, ma voix s’altérait. Vivant se<br />
pencha vers moi.<br />
— Je comprends que cette situation t’accable.<br />
Je repris d’une voix raffermie :<br />
— Je ressens <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié, mais à quoi bon ? Les enfants<br />
sont affectés par ses visites, Émilie pleure <strong>la</strong> nuit et ses<br />
frères se tourmentent <strong>de</strong> <strong>la</strong> savoir rô<strong>de</strong>r telle une louve. Je<br />
lui attribue une part importante <strong>de</strong> mes revenus et je n’ai<br />
pas <strong>la</strong> tranquillité. Une vieille erreur, je sais, mais dois-je<br />
expier jusqu’à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> mes jours ? Dominique, il faut que<br />
tu m’apportes ton soutien pour un internement.<br />
— Es-tu bien sûr ? On dit qu’il y a quelques progrès,<br />
l’hygiène s’améliore, mais les asiles sont <strong>de</strong>s endroits ter-<br />
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