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1 “Les Misères de Nicole Estienne ou les peines et tourments qu'elle ...

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Un inventaire après décès <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> Liébault, du 12 décembre 1596, semble pr<strong>ou</strong>ver le contraire.<br />

(…) T<strong>ou</strong>s ces faits n'indiquent pas une situation précaire. S'il y eut <strong>de</strong> la froi<strong>de</strong>ur dans le ménage,<br />

peut-être provenait-elle du choc <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux humeurs contraires. Par son métier, le mé<strong>de</strong>cin savait,<br />

comme il l'a écrit, "que la femme n'est animant mutile ni imparfaict, mais foible <strong>et</strong> maladif",<br />

connaissance qui n'implique pas, d'ailleurs, qu'il eut excellent caractère. Il se peut aussi que l'esprit<br />

<strong>de</strong> <strong>Nicole</strong> ait été aigri par la dur<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s temps au c<strong>ou</strong>rs <strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong> religion <strong>et</strong> <strong>de</strong>s crises<br />

économiques qui en furent la conséquence, <strong>et</strong> déçu par <strong>de</strong>s ambitions mondaines <strong>ou</strong> littéraires<br />

insatisfaites. (…)<br />

Si Jean Lavaud appuie ses conjectures sur une piètre conception <strong>de</strong> la nature<br />

féminine, sans rapport avec la documentation biographique, <strong>et</strong> interprète la vie <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong><br />

aux lueurs <strong>de</strong> l'amertume 1, il se fon<strong>de</strong>, en apparence, sur l'œuvre la plus connue <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong> :<br />

Les misères <strong>de</strong> la femme mariée. Eclairant l'auteur par son poème, rep<strong>ou</strong>ssant implicitement<br />

l'idée qu'une complainte contre le mariage puisse être générale <strong>et</strong> concerner, essentiellement,<br />

t<strong>ou</strong>s <strong>les</strong> mariages — <strong>et</strong> non pas seulement <strong>les</strong> mauvais mariages — il cherche dans <strong>les</strong><br />

incompatibilités d'humeurs <strong>ou</strong> <strong>les</strong> caractères l'explication <strong>de</strong> la triste fin <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong> : si la<br />

faute n'est pas imputable à Liébault, elle vient donc <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong>. Mais faute il doit y avoir.<br />

Paradoxalement, <strong>les</strong> lecteurs mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong>, qui relisent <strong>les</strong> <strong>Misères</strong> <strong>de</strong> la<br />

femme mariée à la lumière n<strong>ou</strong>velle <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s féminines <strong>et</strong> s'intéressent à <strong>Nicole</strong> p<strong>ou</strong>r ellemême<br />

<strong>et</strong> non p<strong>ou</strong>r son <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> fille <strong>Estienne</strong> ni <strong>de</strong> fiancée <strong>de</strong> Grévin, ne s'éloignent pas <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> commisération. Ilana Zinguer, dans son introduction, insiste sur la sincérité<br />

<strong>de</strong>s stances <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong>, même si elle l'intègre à un malheur général <strong>de</strong>s femmes 2:<br />

Ce <strong>qu'elle</strong> exprime si bien, c'est ce <strong>qu'elle</strong> a elle-même vécu dans sa propre chair, il n'y a à cela aucun<br />

d<strong>ou</strong>te. N<strong>ou</strong>s ne saurons ignorer la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sa frustration. Elle la crie à t<strong>ou</strong>tes <strong>les</strong> lignes. Elle a<br />

vécu, comme t<strong>ou</strong>tes <strong>les</strong> femmes d'alors, la contrainte du mariage comme une répression.<br />

Les reprises textuel<strong>les</strong> <strong>de</strong> clichés pétrarquistes sont alors interprétés comme un<br />

ressassement nostalgique par une femme désenchantée <strong>de</strong>s poèmes qui lui furent adressés<br />

dans sa jeunesse. A l'exact opposé <strong>de</strong>s préjugés <strong>de</strong> Lavaud, <strong>les</strong> lectrices engagées <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong><br />

lui refusent, s<strong>ou</strong>s un n<strong>ou</strong>veau prétexte, le droit <strong>ou</strong> la possibilité d'une vie qui ne soit<br />

marquée par le malheur.<br />

<strong>Nicole</strong>, mariée à Jean Liébault, doit, p<strong>ou</strong>r l'histoire légendaire <strong>de</strong>s <strong>Estienne</strong>, p<strong>ou</strong>r<br />

l'éloge <strong>de</strong> Jacques Grévin, p<strong>ou</strong>r une lecture <strong>de</strong>s <strong>Misères</strong> <strong>de</strong> la femme mariée, être une femme<br />

malheureuse 3. Parfois sur le seul titre <strong>de</strong>s <strong>Misères</strong> <strong>de</strong> la femme mariée, nombreuses sont <strong>les</strong><br />

1 Le paragraphe suivant évoque la "lai<strong>de</strong>ur" <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong>, inférée <strong>de</strong> la réponse spirituelle <strong>de</strong> celle-ci à un sonn<strong>et</strong><br />

galant, tandis que la fin <strong>de</strong> l'article imagine une <strong>Nicole</strong> <strong>Estienne</strong> romantique, travestie en perpétuelle<br />

insatisfaite du XIXème siècle.<br />

2 Op cit p 20.<br />

3 P<strong>ou</strong>r Cathy Yan<strong>de</strong>ll("Raconter le temps. La réflexivité dans Les <strong>Misères</strong> <strong>de</strong> la femme mariée <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong><br />

<strong>Estienne</strong>", in Dans <strong>les</strong> Miroirs <strong>de</strong> l'écriture, La réflexivité chez <strong>les</strong> femmes écrivains d'Ancien Régime,<br />

(Beaulieu J.-P. <strong>et</strong> Desrosiers-Bonin D., ed.),Montréal, Paragraphes, 1998, p 52), "l'œuvre semble inspirée par<br />

le mariage <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong> <strong>Estienne</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jean Liébault, bien que le texte s'éten<strong>de</strong> au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s bornes d'un recueil<br />

autobiographique".<br />

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