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1 “Les Misères de Nicole Estienne ou les peines et tourments qu'elle ...

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On sait, par La Croix du Maine, que <strong>Nicole</strong> vivait en 1584 ; on lit chez Jacques<br />

Grévin <strong>qu'elle</strong> était à son seizième printemps lorsqu'il la rencontra, en 1558 <strong>ou</strong> 1559 mais<br />

l'information est moins sûre qu'il n'y paraît : d'inspiration pétrarquiste, <strong>les</strong> sonn<strong>et</strong>s<br />

am<strong>ou</strong>reux <strong>de</strong> l'Olympe expriment le sentiment par le jeu <strong>de</strong>s clichés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conventions.<br />

Ainsi, le "dixième j<strong>ou</strong>r d'avril", célébré comme la naissance à l'am<strong>ou</strong>r du poète, n'est pas une<br />

date exacte : choisie p<strong>ou</strong>r sa valeur symbolique <strong>et</strong> littéraire (<strong>les</strong> am<strong>ou</strong>reux rencontrent<br />

t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs leur maîtresse en avril, <strong>de</strong>puis le grand Canzoniere), elle est aussitôt présentée<br />

comme invention lorsque Grévin, dans un autre sonn<strong>et</strong>, confie avoir connu <strong>Nicole</strong> près <strong>de</strong><br />

six mois avant d'être frappé par l'am<strong>ou</strong>r.<br />

Pareillement, la publication <strong>de</strong>s <strong>Misères</strong> <strong>de</strong> la femme mariée ne porte pas d'année.<br />

D'après le silence <strong>de</strong> La Croix du Maine <strong>et</strong> <strong>de</strong> Du Verdier sur l'impression <strong>de</strong>s stances, la<br />

publication ne peut être avant 1584. D'après <strong>les</strong> années d'activité <strong>de</strong> Pierre Menier, qui<br />

travaille entre 1586 <strong>et</strong> 1587 puis reprend en 1595 jusque 1598, compte tenu d'une copie<br />

r<strong>ou</strong>ennaise décrite <strong>de</strong> 1597, on peut la situer, avec vraisemblance en 1596. A c<strong>et</strong>te année,<br />

l'inventaire <strong>de</strong> décès <strong>de</strong> Jean Liébault 1 ne mentionne pas <strong>Nicole</strong> dans <strong>les</strong> ayant-droit.<br />

Voilà p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> s<strong>ou</strong>rces documentaires. C'est bien maigre. Et ce silence donne<br />

naissance, au fil <strong>de</strong>s sièc<strong>les</strong>, à plusieurs légen<strong>de</strong>s historiographiques. Car l'histoire donne à<br />

<strong>Nicole</strong> <strong>Estienne</strong> plusieurs vies.<br />

Le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s <strong>Estienne</strong> : prodiges, ruines <strong>et</strong> exil<br />

A partir <strong>de</strong> l'éloge <strong>de</strong> ses contemporains, qui est repris <strong>et</strong> amplifié par <strong>les</strong><br />

bibliographes <strong>de</strong>s XVIIème <strong>et</strong> XVIIIème siècle, le personnage <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong> <strong>Estienne</strong> est d'abord<br />

façonné aut<strong>ou</strong>r du <strong>de</strong>stin imaginaire d'une enfant-prodige. Au siècle où Adrien Baill<strong>et</strong><br />

compose son "traité historique" Des Enfans rendus célèbres par leurs étu<strong>de</strong>s 2 <strong>et</strong> y fait<br />

figurer en bonne place Henri <strong>Estienne</strong> (1530-1598), c<strong>ou</strong>sin germain <strong>de</strong> <strong>Nicole</strong>, le talent<br />

précoce <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>t jeunes savants, polyglottes dès leurs premières années, démontre<br />

l'excellence <strong>de</strong> la transmission humaniste du savoir : <strong>les</strong> p<strong>et</strong>its prodiges témoignent <strong>de</strong> la<br />

bonne "culture", par une éducation soignée <strong>et</strong> appropriée, d'une "nature propre à l'étu<strong>de</strong>" 3.<br />

Le culte <strong>de</strong> ces n<strong>ou</strong>veaux génies <strong>de</strong>s langues anciennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la rhétorique se développe au<br />

XVIIème siècle, <strong>et</strong>, jusqu'au jeune Duc <strong>de</strong> Maine "auteur <strong>de</strong> sept ans", <strong>les</strong> recueils poétiques<br />

<strong>ou</strong> philologiques d'enfants font fureur.<br />

Or, la discordance entre le legs imprimé <strong>et</strong> l'abondance d'une œuvre laissée peu<br />

accessible <strong>ou</strong> interrompue est l'un <strong>de</strong>s motifs constants <strong>de</strong> ces hagiographies <strong>de</strong> savants<br />

précoces : <strong>les</strong> enfants-prodiges connaissent un <strong>de</strong>stin littéraire s<strong>ou</strong>vent tragique, où la mort<br />

précoce suit le talent précoce, où <strong>les</strong> magnifiques <strong>et</strong> ambitions promesses <strong>de</strong>s débuts sont<br />

brisées par un acci<strong>de</strong>nt, une maladie, une ruine financière, une disgrâce. <strong>Nicole</strong> <strong>Estienne</strong> —<br />

que Baill<strong>et</strong> ne cite pas puisque <strong>les</strong> femmes sont, comme il s'en explique dans un chapitre<br />

1Jérôme Pichon, Georges Vicaire, Documents p<strong>ou</strong>r servir à l'histoire <strong>de</strong>s libraires <strong>de</strong> Paris, 1895, p 180.<br />

2Amsterdam, 1688.<br />

3P<strong>ou</strong>r reprendre <strong>les</strong> termes du mé<strong>de</strong>cin espagnol Juan Huarte qui rédigea un traité "sur <strong>les</strong> esprits propres <strong>et</strong><br />

naiz aux sciences" en 1548.<br />

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