You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
souvent.<br />
*<br />
Enya ôta son manteau et s’allongea sur son lit. Elle prit les billets dans la poche de son<br />
jean et les compta. La journée avait été bonne, les pourboires des clients du restaurant de<br />
Westbourne Grove où elle avait fait un extra lui avaient rapporté de quoi vivre toute la<br />
semaine. Le patron était content d’elle et lui avait proposé de revenir travailler le week-end<br />
prochain.<br />
Drôle de destin que celui d’Enya. Dix ans plus tôt, sa famille n’avait pas résisté à la<br />
famine d’un été sans récolte. Une jeune femme médecin l’avait recueillie dans un camp de<br />
fortune.<br />
Une nuit, aidée par la doctoresse française, elle s’était cachée dans un camion qui<br />
repartait sur la piste. Avait alors commencé le long exode qui, des mois durant, l’emmènerait<br />
vers le Nord, fuyant le Sud. Ses compagnons de route n’étaient pas d’in-fortune, mais<br />
d’espoir, celui de découvrir un jour ce qu’était l’abondance.<br />
C’était à Tanger qu’elle avait traversé la mer. Autre pays, autres vallées, les Pyrénées.<br />
Un passeur lui révéla que, jadis, on payait son grand-père pour faire la route inverse,<br />
l’histoire changeait, mais pas le sort des hom<strong>mes</strong>.<br />
Un ami lui avait dit que, de l’autre côté de la Manche, elle trouverait ce qu’elle cherchait<br />
depuis toujours : le droit d’être libre et d’être qui elle était. Sur les terres d’Albion, les<br />
hom<strong>mes</strong> de toutes ethnies, de toutes religions vivaient en paix dans le respect de l’autre, elle<br />
embarqua cette fois à Calais, sous les boggies d’un train. Et quand, épuisée, elle se laissa<br />
glisser sur des traverses de rails anglais, elle sut que l’exode venait de prendre fin.<br />
Ce soir, heureuse, elle regardait autour d’elle. Un lit étroit mais des draps frais, un petit<br />
bureau avec un joli bouquet de bleuets qui égayait la pièce, une lucarne à travers laquelle,<br />
en se penchant un peu, elle pouvait voir les toits du quartier. La chambre était plutôt<br />
mignonne, sa logeuse discrète et les temps qu’elle vivait avaient depuis quelques jours des<br />
allures de printemps.<br />
*<br />
Audrey essaya de caler les bandes vidéo entre deux pulls et trois tee-shirts qu’elle avait<br />
roulés en boule. Les achats effectués ici et là au cours de ce mois londonien avaient bien du<br />
mal à trouver leur place dans sa valise.<br />
En se redressant, elle regarda autour d’elle pour vérifier une dernière fois qu’elle n’avait