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Mes amis mes amours - Index of

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grille derrière eux.<br />

– Cette fois, je me suis vraiment ridiculisé, n’est-ce pas ?<br />

– Mais non, vous avez été courageux…<br />

– Quand j’avais cinq ans, j’ai glissé d’un toit.<br />

– C’est vrai ? demanda Audrey.<br />

– Non… ce n’est pas vrai.<br />

Ses joues reprenaient des couleurs. Elle le fixa longuement, sans rien dire.<br />

– Je ne sais même pas comment vous remercier.<br />

– Vous venez de le faire, répondit-elle.<br />

Le vent la faisait frissonner.<br />

– Rentrez, vous allez attraper froid, murmura Mathias.<br />

– Vous aussi vous allez attraper froid, répondit-elle.<br />

Elle s’éloignait, Mathias aurait voulu que le temps s’arrête. Au milieu de ce trottoir<br />

désert, sans qu’il sache pourquoi, elle lui manquait déjà. Quand il l’appela, elle avait fait<br />

douze pas, elle ne le lui avouerait jamais, mais elle avait compté chacun d’entre eux.<br />

– Je crois que j’ai une édition XIX e du Lagarde et Michard !<br />

Audrey se retourna.<br />

– Et moi, je crois que j’ai faim, répondit-elle.<br />

Ils prétendaient être affamés, pourtant, quand Yvonne débarrassa leur table, elle<br />

s’inquiéta de voir leurs assiettes à peine entamées. Scrutant depuis son comptoir le regard<br />

que Mathias posait sur les lèvres d’Audrey, elle comprit que sa cuisine n’était pas en cause.<br />

Tout au long de la soirée, ils se confièrent leurs passions respectives, celle d’Audrey pour la<br />

photographie, celle de Mathias pour les vieux manuscrits. L’an dernier, il avait fait<br />

l’acquisition d’une lettre rédigée de la main de Saint-Exupéry. Ce n’était qu’un petit billet<br />

griffonné par le pilote au départ d’un vol, mais pour le collectionneur qu’il était, le tenir entre<br />

ses mains procurait un plaisir indescriptible. Il avoua que parfois le soir, dans sa solitude<br />

parisienne, il sortait la note de son enveloppe, dépliait le papier avec une infinie précaution,<br />

puis il fermait les yeux, et l’imagination le transportait sur la piste d’un terrain d’Afrique. Il<br />

entendait la voix du mécanicien crier « Contact », se hissant à la pale de l’hélice pour lancer<br />

le moteur. Les pistons se mettaient à vrombir, et il lui suffisait de pencher la tête en arrière<br />

pour sentir les vents de sable griffer ses joues. Audrey comprit ce que Mathias ressentait. En<br />

plongeant dans de vieilles photographies, il lui arrivait de se retrouver dans les années 1920,<br />

marchant dans les ruelles de Chicago. Au fond d’un bar, elle prenait un alcool en compagnie<br />

d’un jeune trompettiste, musicien de génie, que ses copains appelaient Satchmo.<br />

Et quand la nuit était calme, elle écoutait un disque et Satchmo l’emmenait se<br />

promener sur les lignes de quelques partitions. D’autres soirs, d’autres photographies<br />

l’entraînaient dans la fièvre des clubs de jazz ; elle dansait sur des ragti<strong>mes</strong> endiablés, se<br />

cachait quand la police y faisait des descentes.<br />

Penchée des heures sur une photo prise par William Claxton, elle avait retrouvé<br />

l’histoire d’un musicien si beau, si passionné qu’elle s’en était amourachée. Sentant un peu

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