L'organisation de la prévention au profit du personnel en OPEX

L’organisation de la prévention
au profit du personnel en OPEX *
Les modifications de structure et de format opérées ces dernières années dans les armées, notamment
depuis la suspension de la conscription, ont bouleversé ses structures. Constituée de professionnels,
la ressource est rare, donc précieuse, et il convient d’en préserver son aptitude opérationnelle en toutes
circonstances. Les opérations extérieures ne sont plus conduites comme elles l’étaient dans le passé.
Par ailleurs, les évolutions sociétales, font que la communauté militaire exige, malgré les spécificités et
les risques du métier qu’elle a en principe choisis en connaissance de cause, et est en droit de bénéficier
de conditions de travail et d’environnement se rapprochant de celles du secteur civil. Il est de la
responsabilité de l’institution d’apporter des réponses à ces attentes. Autrement dit, les risques consentis
voire acceptables sont de moins en moins nombreux, et doivent, à tout le moins, rester parfaitement
maîtrisés.
Or les personnels en opération se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des risques avérés ou
potentiels, d’autant plus difficiles à contrôler qu’ils n’ont pas été anticipés, qu’ils trouvent parfois des
résonances médiatiques, et qu’ils peuvent même être du domaine de l’imaginaire...
De plus, l’institution militaire n’échappe pas au phénomène qui tend à la déresponsabilisation individuelle,
au profit d’une responsabilité plus diffuse et plus commode, collective ou étatique, dans laquelle
finalement chacun pense trouver une solution ou un recours en cas de difficulté. Ainsi, toute pathologie
survenant au décours de la vie professionnelle d’un individu se voit forcément imputée à l’institution et
justifie donc une réparation. Dès lors, le monde du travail connaît une judiciarisation croissante à laquelle
n’échappent pas les armées, avec une augmentation corollaire des contentieux. Les procédures sont souvent
longues, pénibles, et forcément entachées de suspicion, lorsque les attentes ont été déçues.
Le commandement a donc la double responsabilité de respecter ses impératifs opérationnels qui restent
générateurs de risques, tout en devant les minimiser. Il lui appartient donc, à tous les échelons, d’une part
d’offrir au personnel les meilleures conditions de sécurité et de protection, et d’autre part de préserver ses
intérêts tout en sauvegardant ceux de l’institution.
Par ailleurs, les natures des conflits où nos armées interviennent se diversifient. L’action militaire coercitive
s’efface souvent au profit de missions de maintien de l’ordre, voire d’actions humanitaires... Dans ce
contexte, la protection du personnel obéit à des priorités différentes et donc à des règles différentes où
risques liés au combat et risques découlant de l’environnement et des conditions d’emploi sont également
pris en compte.
Conscient de ces évolutions et des responsabilités qui en découlent, l’état-major des armées (EMA) a créé
en septembre 2003 une section “prévention, sécurité, environnement” (PSE) dont une des premières
missions a consisté à donner un cadre légal et formel à l’hygiène et à la sécurité en opération (HSO) 1 .
Le 13 septembre 2005 l’instruction n° 1826 /DEF/EMA/SLI/PSE “relative à l’organisation de la prévention
au profit du personnel militaire au sein des forces servant en opération”, plus communément appelée
instruction HSO 2 a été publiée, comblant enfin le vide réglementaire en la matière. Elle permet dorénavant,
dans un cadre réglementaire défini, d’organiser la prévention au profit des militaires en opération.
.PAR LE PHARMACIEN EN CHEF G. CRÉHANGE**, LE MÉDECIN EN CHEF P. DYÈVRE ET LE MÉDECIN GÉNÉRAL J. MARIONNET
DOCTRINE N° 15 40
SEPTEMBRE 2008

Les principes de l’HSO
Les principes qui prévalent dans l’organisation de l’HSO sont
simples dans leur conception.
Premier principe : l’HSO a pour vocation première la
préservation de la santé du personnel en OPEX, tout en
préservant les intérêts individuels et la crédibilité de
l’institution.
Deuxième principe : afin d’optimiser la situation sanitaire
des forces, il faut anticiper les conditions de leur
implantation. Pour ce faire, la collecte de tous les
renseignements concernant les lieux de projection doit être
la plus exhaustive possible. La recherche du renseignement
d’intérêt médical concerne aussi bien l’histoire et la
géographie que la situation économique et industrielle, mais
aussi les caractéristiques faunique et floristique, réalisant
ainsi une réelle veille sanitaire de défense 3.
Troisième principe : la prévention doit être exercée de
façon pleine et entière, sans toutefois entraver la mission
opérationnelle. Ainsi, il convient de bien distinguer les
phases d’engagement des périodes de ce qu’on pourrait
appeler “la vie courante”.
Pendant les phases d’engagement, la priorité principale du
commandement, indépendamment de la réussite de
l’opération, reste de prendre le maximum de précautions
pour éviter les atteintes immédiates à l’intégrité physique de
ses troupes.
En dehors des phases d’engagement, la prévention doit
s’appliquer de façon à être la plus proche possible de ce
qu’elle est en métropole. Il serait irréaliste de vouloir
appliquer stricto sensu le code du travail, mais il est
demandé de s’en rapprocher le plus possible en tenant
compte des contraintes et des réalités du terrain.
Ainsi, l’organisation de la prévention se veut tout à la fois
professionnalisée mais aussi facile à gérer, et rapide à mettre
sur pied. Comme en métropole, des spécialistes de la
prévention assistent les différents niveaux du commandement.
Les tâches identifiées en OPEX sont les mêmes qu’en
métropole, les obligations des différents acteurs aussi.
Quatrième principe : en dehors de son rôle préventif, la
prévention en opération a vocation à encadrer les droits des
individus et préserver leurs possibilités ultérieures de
recours éventuels. Pour ce faire elle doit se baser sur la
connaissance des risques rencontrés et des nuisances
subies et donc sur une véritable traçabilité des individus en
OPEX. C’est la condition préalable à une bonne détermination
de l’imputabilité d’une maladie, et de sa prise en
charge au titre d’une réparation.
Cinquième principe : la prévention en opération a aussi un
rôle prospectif. Les rapports de retour d’expérience doivent
permettre d’améliorer le système et d’imaginer des solutions
novatrices.
G. CRÉHANGE
Doctrine
Sixième principe : la prévention en opération a un corollaire :
la protection de l’environnement en opération.
Typologie des risques couverts
L’instruction HSO définit la typologie des risques couverts.
Ceux-ci sont tout autant liés à l’environnement biologique,
provoqué ou naturel, c’est-à-dire les maladies infectieuses et
parasitaires, qu’à l’environnement industriel ou technologique
dans toutes ses composantes, biologique, chimique ou
nucléaire. Sont aussi concernés les risques inhérents à
l’hygiène et à la sécurité des conditions de travail.
En fait, qu’il s’agisse d’accidents ou de maladies, les risques
spécifiques ou non spécifiques liés directement ou
indirectement à l’exercice du métier militaire sont pris en
compte.
L’instruction HSO
L’instruction HSO définit le cadre réglementaire et
l’organisation interarmées de la prévention.
Tout d’abord, les termes principaux objets de l’instruction
ont été définis.
Opération : “On entend, par opération, un ensemble
d’actions militaires menées par une force qui peut être
interarmées, voire interalliée ou multinationale dans une
zone géographique appelée théâtre d’opération. Elle
s’effectue dans un cadre espace - temps donné. Un nom de
baptême lui est généralement donné.”
SEPTEMBRE 2008 41
DOCTRINE N° 15

Hygiène et la sécurité en opération : “L’hygiène et la
sécurité en opération sont une démarche de prévention qui
vise à garantir, autant que faire se peut, avant, pendant et
après la durée de l’opération, l’intégrité physique et
psychique de l’individu qui pourrait être atteinte par son
activité ou par le simple fait de sa présence sur le théâtre
d’opération. Elle s’appuie sur un ensemble de règles ou de
mesures à appliquer pendant la durée de l’opération”.
Ces définitions vont être insérées dans les publications
interarmées (PIA) et sont en voie d’être traduites afin d’être
intégrées dans le glossaire de l’OTAN.
Le champ d’application
Le champ d’application a été soigneusement bordé. Il
concerne le personnel militaire participant à une opération
telle qu’elle a été définie plus haut. Il est ensuite rappelé
que la responsabilité première est celle du commandant
de l’opération qui “veille, dans le respect des directives qui
pourraient lui être données ou des prescriptions contenues
dans l’ordre d’opération, à l’application de la réglementation
la plus apte à assurer la sécurité et la protection de la santé
des militaires, en fonction de la nature ou des conditions
d’exécution des activités”.
L’ordre d’opération, qui est en quelque sorte la feuille de
route que reçoit le commandant, précisera dorénavant les
règles en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de
travail (HSCT) qui lui sont applicables. Quoi qu’il en soit, ces
règles doivent “préserver en toutes circonstances la capacité
opérationnelle des forces”.
L’organisation interarmées de l’HSO
L’instruction HSO se décline dans le temps et dans l’espace.
Elle découpe l’organisation de la prévention en trois
phases, avant, pendant et après le déploiement des troupes
sur le terrain.
La phase de planification est réalisée au niveau central. Elle
se fait en étroite collaboration entre la cellule d’aide à la
décision pour les risques nucléaires, bactériologiques et
chimiques (CARBC) 4 et la section PSE 5. Elle comporte
l’analyse soigneuse des facteurs de risques sur le théâtre où
seront déployées les forces et constitue une étape
importante dans la préparation de l’ordre d’opération.
C’est à la phase de déploiement que s’organise la prévention
sur le théâtre d’opération. Comme le rappelle l’instruction,
l’organisation de l’HSO ne saurait déroger aux règles qui
régissent l’organisation générale de la prévention telle
qu’elle est définie par le décret n°85-755 du 19 juillet 1985 et
ses modificatifs, ainsi que par l’arrêté du 15 avril 19976, 7.
Ainsi, les différents niveaux hiérarchiques sont responsables
de la prévention vis-à-vis de leurs personnels et doivent être
responsabilisés à cet égard avant de prendre leurs fonctions.
L’organisation de la prévention en opération est simple et
rationnelle.
DOCTRINE N° 15 42
SEPTEMBRE 2008
Au sommet, le chef d’état-major des armées, responsable
des OPEX, insuffle, dynamise et contrôle la politique de
prévention. Cette responsabilité s’exerce par l’intermédiaire
de la section PSE de l’EMA, dont le chef actuel, pharmacien
appartenant au service de santé des armées, assume
également la fonction de coordonnateur central à la
prévention. A ce titre, il a pour interlocuteur unique sur le
terrain le coordonnateur à la prévention de théâtre qu’il
conseille et à qui il transmet ses directives.
Ce coordonnateur à la prévention de théâtre organise et
dirige la prévention sur le théâtre. Il doit avoir une vue
globale et synthétique de ce qui est fait jusqu’aux échelons
les plus bas, dans ce domaine. Il connaît tous les acteurs
de prévention (équipes médicales et paramédicales, chargés
de prévention, officiers incendie, officiers supérieurs de
prévention routière, officiers des sports, personnes
compétentes en radioprotection).
La phase de retour d’expérience, synthétisée au niveau
central, sert à dresser le bilan des actions de prévention
menées, à en éprouver le bien-fondé, et à dresser un tableau
de la morbidité et de la mortalité. Elle a également un but
prospectif. Il s’agit notamment, à partir des évaluations
environnementales et sanitaires, de conserver à titre
contentieux l’état des lieux.
Les expertises toxicologiques environnementales,
un problème structurel
L’évaluation des risques potentiels qu’encourent les
personnels repose en grande partie sur une bonne
connaissance de l’environnement dans lequel ils vont
évoluer. Il s’agit d’évaluer l’action de l’environnement sur
l’homme en étant capable de qualifier et de quantifier les
substances toxiques présentes. Mais il est aussi imposé aux
forces de préserver l’environnement en opération, en se
conformant à certaines de nos obligations internationales
(convention de Bâle...). Il faut donc de disposer d’un état des
lieux à l’arrivée comme au départ d’un contingent. Il s’agit
dans ce cas d’évaluer l’action de l’homme sur l’environnement
8.
Des expertises toxicologiques environnementales doivent
donc être réalisées, comme le stipule l’instruction HSO, par
des laboratoires militaires par nécessité, puisqu’il s’agit de
zones réputées dangereuses, et de préférence compétents.
Les seuls laboratoires répondant à ces exigences sont les
laboratoires d’analyses de surveillance et d’expertise de la
marine (LASEM). Mais, à terme, il n’est pas tenable de faire
systématiquement appel à ces structures, contraintes en
effectif militaire, possédant un lourd cahier des charges au
profit de leur armée d’appartenance, financées et par nature
moins concernées par les OPEX continentales.

Photo fournie par l’auteur
Une solution existe, qui a été éprouvée ailleurs. Des armées
comparables à la nôtre (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni,
Canada sans parler des Etats-Unis) possèdent des laboratoires
de toxicologie environnementale dédiés aux OPEX
et appartenant à leurs services de santé, quand ils existent.
L’avantage est que ces structures sont réactives, équipées
de façon optimale, et qu’elles sont employées à plein temps,
compte tenu de la multiplicité des engagements.
Il ne serait pas utopique d’envisager le fonctionnement d’un
tel laboratoire qui répondrait aux exigences opérationnelles
actuelles.
* Cet article a déjà fait l’objet d’une publication dans la revue
Médecine et Armées. Les auteurs tiennent à remercier son comité
de rédaction pour leur aimable autorisation de le publier dans la
revue Doctrine.
** Etat-major des armées, division soutien logistique interarmées,
00456 ARMÉES.
Doctrine
1 Décision n° 443/DEF/EMA/OL/2 du 6 mars 2003 relative à la création
d’une cellule “prévention, sécurité, environnement”,
2 Instruction n° 1826 /DEF/EMA/SLI/PSE du 13 septembre 2005 relative
à l’organisation de la prévention au profit du personnel militaire au sein
des forces servant en opération,
3 BOUTIN J.-P., RIBIERE O., VAN CUYCK H. et MALOSSE D. Pour une veille
sanitaire de défense. Médecine et armées, 2004, 32, 4, 366-372,
4 CRÉHANGE G. La cellule d’aide à la décision dans les domaines
radiologique, biologique et chimique (CARBC). Actu santé, 2005, 89, 22,
5 DARRÉ É., VAN CUYCK H. et CRÉHANGE G. Planification médicale
opérationnelle, les nouveaux acteurs. Médecine et armées, 2005, 33,
1, 13-18,
6 Décret n° 85-755 du 19 juillet 1985 modifié par le décret n° 87-239
du 12 mars 1987 relatif à l’hygiène, à la sécurité du travail et à la
prévention au ministère de la Défense,
7 Arrêté du 15 avril 1997 relatif à l’organisation de la prévention au profit
du personnel civil et du personnel militaire de la Défense,
8 Directive interarmées n° 514/DEF/EMA/EMP.5/NP du 17 mai 2005
relative à la protection de l’environnement en opération.
“L’hygiène et la sécurité en opération (HSO)” est un concept récent formalisé par une instruction prise sous
le timbre de l’EMA, responsable de la préparation et de la conduite des opérations.
La prévention, tant en métropole qu’en OPEX est entrée dans les mœurs. Pour l’avoir vérifié sur le terrain, tous
les acteurs se sentent concernés et ont à cœur de faire vivre l’instruction HSO. Des ajustements, des créations
de structures nouvelles parfaisant la prévention pour répondre aux exigences nationales ou internationales
devront probablement être réalisés. Il appert également que dans ces mutations, nécessaires, le service de
santé des armées occupe une place prépondérante.
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DOCTRINE N° 15