Piotr KLEMENSIEWICZ « nuance » - Galerie Mons

supermarchés ; l’artisan-peintre devait ensuite la prolonger à droite
sur le mur en imaginant une extension possible du paysage. L’œuvre
finale se compose donc de trois parties : à gauche, un rectangle
paysager purement photographique ; au milieu, une photo entièrement
repeinte le plus exactement possible ; à droite, une peinture
exécutée à la fresque, au-delà du cadre de la photo initiale. Est-ce
à dire que, pour Lavier, la photographie et la peinture seraient identiques
? Certes pas : dans la différence rendue à peine visible, et
pourtant bien réelle, dans le hiatus somme toute inframince, entre
les deux médiums, gît la démonstration, que d’aucuns trouveront
subtile ou un peu raide.
Les « paysages peints » de Piotr Klemensiewicz, loin de jouer une
telle in-différence duchampienne, sont au contraire le lieu d’un
affrontement, d’un combat ou d’un duel amoureux, clairement
annoncé comme tel : dans un paysage intriqué de branches et de
feuillages, - sous-bois touffu, forêt calcinée, lit de rivière à sec, entrelacs
fourmillant de lignes brisées et d’éclats de lumière –, les bandes
raclées de la peinture acrylique viennent oblitérer verticalement, du
haut vers le bas, toute la partie centrale du tirage photographique.
Comment procède l’artiste ? Il compose d’abord sa palette d’après
une évaluation colorimétrique de l’image photographique ;
ensuite, il aligne en haut de cette dernière plusieurs masses, ou
« tas », de peinture résultant de cette évaluation empirique, après
quoi il racle vers le bas de l’image ces amas de pigments en utilisant
une grande règle en bois et plexiglas. L’opération est répétée
un certain nombre de fois, chaque nouvelle bande raclée
recouvrant et masquant presque entièrement la précédente.
Voilà pourquoi la matière picturale semble la plus dense en haut
de l’image, et pourquoi le totem de la peinture, loin d’avoir la base
solidement ancrée dans le paysage, paraît de plus en plus éthéré,
morcelé, fondu dans les feuillages ou la terre à mesure que le
regard le parcourt vers le bas. Contrairement aux césures brutales des
Landscape Painting and Beyond de Lavier, on assiste ici à une assimilation
progressive de la peinture et de la photographie, peutêtre
à une cannibalisation de celle-ci par celle-là, ce thème de
l’anthropophagie étant souligné par l’allusion du titre à l’œuvre
de Freud intitulée Totem et tabou, où le fondateur de la psychanalyse
nous explique l’origine de l’humanité par le meurtre du père,
assassiné par ses fils jaloux qui dévorèrent ensuite son corps. Dans les
TotemtaboO, où se lit l’amalgame de deux mots anglais, la dévoration
est à double sens : on ne sait trop si c’est la peinture qui finit
par se diluer dans la photographie ou si, pour reprendre une distinction
de Jean-Marie Schaeffer , ce sont les signes d’existence de la
photographie qui disparaissent derrière le signe d’essence élémentaire
tracé avec les pigments par le peintre. Que le titre soit anglais
insiste, par ailleurs, sur la collaboration entre la photographe et le
peintre, et l’on pourrait aisément penser que l’affrontement, le duel,
le recouvrement puis la fusion, la verticalité première de la peinture
analytique et son effritement progressif au sein du fourmillement végétal
de la photographie ont la dimension flagrante d’un combat
amoureux habilement transposé dans l’espace de l’œuvre.
J’ai parlé de recouvrements, de couches de peinture qui viennent
se superposer et masquer leur support photographique. Il faudrait,
aussi bien, parler ici d’inversion. Car loin de s’élever vers un
ciel presque toujours absent des images photographiques, en un
mouvement ascensionnel qui rappellerait l’esthétique du Baroque,
ses torsades et ses jaillissements, sa dynamique et ses plis, les bandes
peintes par Klemensiewicz descendent inexorablement vers
leur assise friable et décomposée dans le paysage, en excluant
ainsi toute référence à l’architecture. Cette inversion haut / bas ne
nous ramène pourtant pas à la peinture classique ni à celle de la
Renaissance. Un exemple suffira à le prouver : lorsqu’en 1425 Masaccio
peint Adam et Ève chassés du paradis, il figure un homme
et une femme solidement campés sur leurs deux pieds, rivés à la
terre, créant ainsi l’image première d’une peinture enracinée dans
ce monde par le dogme de l’Incarnation. Rien de tel dans la série
des TotemtaboO ni dans aucune autre de Klemensiewicz : partout
ou presque, les sols s’absentent, parfois escamotés de manière révélatrice
par une mince bande de damier coloré ou par le discret
rappel d’une espèce de charte de couleurs, parallèle au plan du
tableau, suggérant ainsi que le sol de la peinture, ce par quoi elle
« tient », c’est à la fois la couleur et la géométrie. Mieux, lorsque la
resulting work is composed of three parts : on the left, a rectangle of
pure photographic landscape ; in the middle, an entirely and scrupulously
repainted photography ; on the right, an al fresco painting,
beyond the frame of the original photography. Does this mean that,
for Lavier, photography and painting are identical ? Of course not :
in the close to invisible, but very real, difference, in this infrathin hiatus
between the two mediums, is the demonstration, which we can find
subtle or a little stiff.
Far from illustrating this kind of Duchampian in-difference, the « painted
landscapes » of Piotr Klemensiewicz are on the contrary the
place of a confrontation, of a fighting or an amorous duel, clearly
announced as such : in a complex surrounding of branches and
foliage – dense underwood, burnt forest, dry riverbed, interlacing of
zigzaging lines and of spots of light –, the scraped strips of acrylic
paint hide vertically, from top to bottom, the whole central part
of the photographic image. How does the artist do that ? First he
composes his palette with a colour evaluation of the photographic
image ; then, in the upper part of the latter he puts down a line of
several masses, or « heaps » of paint, which result from this empirical
evaluation ; and at last, he scrapes toward the bottom these heaps
of pigments with a big ruler made of wood and plexiglass. The same
operation is repeated a certain number of times, each new scraped
strip overlapping and almost entirely dissimulating the previous one.
That is why the pictural matter seems to be more dense in the upper
part of the picture, and why the totem of the painting, far from being
sturdily anchored in the landscape, seems more and more ethereal,
fragmented, melt into the foliage or into the earth, as the eye goes
down the resulting image. Contrary to the clear caesuras of the
Landscape Painting and Beyond by Lavier, there is here a progressive
assimilation of painting and photography, maybe a cannibalism
of the latter by the former, this theme of anthropophagy being
underlined by the allusion of the title to the work of Freud, Totem and
Taboo, in which the founder of psychoanalysis explains the origin of
mankind by the murder of the father, killed by his jealous sons who
then devoured his corpse. In the TotemtaboO series, where we can
read the blend of two English words, the devouring has a double
meaning : we don’t know if it is the paint which gets diluted in the
photography, or, to quote a distinction made by Jean-Marie Schaeffer
, if it is the signs of existence of photography which disappear
behind the elementary sign of essence drawn by the painter with
his pigments. By the way, the English nature of the title insists on the
collaboration between the photographer and the painter, and one
could easily think that the confrontation, the duel, the overlapping
and then the melting, the initial verticality of the analytical painting
and its progressive fragmentation in the vegetal swarming of the
photography have the evident dimension of a love fight skillfully
transposed in the space of the work.
I have spoken of overlappings, of layers of paint which superpose
and mask their photographic support. Of course, I should as well
talk about inversions. For, far from rising toward a heaven which is
nearly always absent in the photographic images, in an upward
movement which would remind us of the esthetics of the Baroque,
its coils and its gushes, its dynamics and its folds, the strips painted
by Klemensiewicz inexorably go down to their brittle and split up
foundation in the landscape, so excluding all references to architecture.
This inversion high / low doesn’t however take us back to
the classical painting or to the Renaissance. One example will be
enough to prove it : in 1425, when Masaccio paints Adam and Eve
Expelled from Paradise, he represents a man an a woman solidly
planted on their feet, stuck to the earth, so creating the first image
of a painting firmly rooted in this world by the dogma of Incarnation.
There is no such thing in the TotemtaboO series, nor in any other one
created by Klemensiewicz : nearly everywhere, the ground is absent,
sometimes hidden revealingly by a thin stripe of coloured squares or
by the discreet reminder of a colour chart, parallel to the painting
plan, thus suggesting that the ground of the painting, that by which
it « stands » is at the same time the colour and the geometry. Better,
when the photography shows a ground, for instance in the burnt
forests of TotemtaboO n°11 or n°12, the intervention of the painter
is very spectacular : far from yielding to the temptation of planting
his totem into the earth, of anchoring it like a stone fetish, he obliges
his colours to dissolve into an illusory space which could be situa-
« Neuf maisons » // 2004 // acrylique sur toile 195x195 cm