Piotr KLEMENSIEWICZ « nuance » - Galerie Mons

diapositive dont on n’a plus besoin, comme on détruit une table de
peinture quand le tableau est achevé…
Ce support noir, de petite taille, toujours identique, où l’on peut distinguer
la silhouette d’une maison couchée, Klemensiewicz peint
dessus : « Je peins des objets, des formes abstraites, géométriques,
je réalise des collages avec d’anciens ektachromes ou des photographies
de travaux, j’écris quelquefois des mots. Cela dans l’esprit
de la miniature et de la fiche de cuisine. J’ai souvent en les peignant
la sensation que le motif y est déjà inscrit. Cependant, il n’y a pas de
relations voulues entre tous ces motifs, ni de progression particulière. »
Les enveloppes polaroïd ainsi peintes sont ensuite assemblées par
groupes de trois, neuf ou douze, comme une succession d’images,
une sorte de rébus visuel au sens scellé, où je verrais volontiers un
morceau de planche-contact juxtaposant les instantanés d’un
monde qui parlerait du nôtre sans être vraiment le nôtre.
Une œuvre du peintre Francis Picabia, dont on sait l’intérêt qu’il
a toujours manifesté pour la photographie, éclairera le rapport
durable, complexe et varié qui existe chez Klemensiewicz entre peinture
et photographie. Il s’agit d’une « toile » datée de 1921, intitulée
La Veuve joyeuse, « huile, photographie et papier collés sur toile ».
Cette « toile » donc, sur laquelle sont collés un papier et une photographie,
inverse, en son principe matériel, le mode de réalisation
des TotemtaboO de Klemensiewicz, où c’est la peinture qui vient
recouvrir la photo. Ici, dans l’œuvre de Picabia, c’est la photo qui
recouvre, partiellement, la toile. Que voit-on ? Au centre de l’œuvre,
deux images placées l’une au-dessus de l’autre. Celle du haut
est un portrait photographique de Picabia au volant de sa voiture,
réalisé par son ami Man Ray. En légende, un papier collé où on lit :
« Photographie ». En dessous, un dessin fort maladroit où Picabia a
essayé de rendre par ce médium le portrait photographique. En
légende, un seul mot : « Dessin ». Au-dessus de l’ensemble, en haut
de la « toile », le titre de l’œuvre : « La Veuve joyeuse ». Qui est donc
cette veuve joyeuse ? La maladresse volontaire du dessin prouve
l’incapacité de celui-ci à atteindre la précision de la photographie.
À cette dernière incombe désormais la mission consistant à représenter
le réel. Dès lors, la peinture, enfin affranchie de ce labeur par
le décès de son époux, peut pour son plus grand bonheur explorer
son propre territoire. Cette œuvre en forme de manifeste, d’une
clairvoyance imparable, presque prémonitoire, fut néanmoins refusée
au Salon des Indépendants…
Si Madame la Peinture est enfin libérée de ses obligations maritales
envers son époux Monsieur le Réel grâce à l’intervention létale
de la photographie, la veuve joyeuse a désormais toute latitude
pour arpenter des paysages et des représentations qui ne sont plus
ceux du réel. Dans le cas de Piotr Klemensiewicz – et de ce point de
vue, les peintures réalisées sur enveloppes de polaroïd sont exemplaires
–, les motifs de la peinture sont soit abstraits, diagrammes,
damiers, cercles, découpes géométriques, etc., soit «reconnaissables»
comme sont reconnaissables des pictogrammes, des blasons
ou des emblèmes : la chaise, l’échelle, la main, le réservoir, l’arrosoir,
le mur, le nuage, la carte, le tas. Ces motifs sont à vocation universelle,
ils sont identifiables en n’importe quel lieu de la planète, indépendamment
de l’origine, de la culture ou de la classe sociale du
spectateur. Il s’agit là d’une autre constante du travail de peintre de
Klemensiewicz, qui tient beaucoup à cet universalisme des motifs.
À l’évidence, le travail avec les enveloppes de polaroïd nous dit que
la surface sensible du polaroïd a enregistré le réel (même si, dans
le cas présent, ce réel est le tableau photographié dans l’atelier
!), et que le reste, l’enveloppe du support photographique, est ensuite
devenu support de peinture. Une fois débarrassé du monde
réel, pris en charge par les émules innombrables de Niepce et
Daguerre, le peintre dispose ses motifs sur fond noir : il n’écrit pas avec la
lumière, mais au contraire il fait surgir de la nuit quelques formes
qu’on dirait archétypales. Ici, dans la série des polaroïds peints,
comme ailleurs, ce sont les images d’une pensée, que nous découvrons
; malgré leur taille relativement modeste, ces apparitions sur
fond noir évoquent bien sûr un ciel nocturne où évolueraient quelques
objets en apesanteur, un ciel où se découpe parfois un aplat
de couleur qui fait vaciller le regard : cet objet existe-t-il sur fond
de ciel noir ou s’agit-il d’une trouée dans la matière du ciel ? C’est
donc le statut même de ces images ou de ces formes qui est posé
comme une question insistante, inlassablement répétée : qu’est-ce
are then assembled in groups of three, nine or twelve, like a succession
of images, a kind of visual rebus, where I’d like to see a piece
of contact print, putting together the snapshots of a world which
would talk about ours without being really ours.
A work by the French painter Francis Picabia, who – as we know
– has always been interested by photography, will allow us to understand
the long-lasting, complex and diverse relation which exists
in Klemensiewicz’ work between photography and painting. It is a
« canvas », dated 1921, and untitled La Veuve joyeuse (The Merry
Widow), « oil, photography and paper glued on canvas ». This « canvas
», on which are glued a paper and a photography, inverses, in
its materiality, the making of Klemensiewicz’ TotemtaboO, where it is
the paint which partially covers the photo. Here, in Picabia’s work, it
is the photo which partially covers the canvas. What do we see ? In
the middle of the piece, two images, one above the other. The top
one is a photographic portrait of Picabia driving his car, created
by his friend Man Ray. The caption, a paper glued on the canvas,
reads : « Photographie ». Below, a badly executed drawing, where
Picabia tried to copy with this medium the photographic portrait.
The caption only reads : « Dessin » (Drawing). Above the two images,
in the upper part of the « canvas », the title of the work : « La Veuve
joyeuse ». So, who is this merry widow ? The deliberate awkwardness
of the drawing shows its incapacity to manifest the precision of photography.
The latter must now represent the real. Then, painting, at
last freed from this toil by the death of her husband, can for her
greatest pleasure explore its own territory. This work in the form of
a manifest, a statement of an incredible clear-mindedness, almost
premonitory, was nonetheless refused at the Salon des Indépendants…
If Mrs Painting is at last released from her obligations towards her
husband Mr Real, due to the murderous intervention of photography,
the merry widow has now all latitude to explore landscapes
and representations which are no more those of the real. In the case
of Piotr Klemensiewicz – and from this point of view the paintings
created on the Polaroid envelopes are exemplary –, the motifs of the
painting are either abstract, diagrams, hopscotches, circles, geometrical
cuts, etc, or « recognizable » as pictograms, coats of arms,
or emblems : the chair, the ladder, the hand, the reservoir, the watering
can, the wall, the cloud, the map, the heap. These motifs are
universal, they can be identified in any place of the globe, notwithstanding
the origin, the culture or the social class of the spectator.
Here we have another constant of the work of Klemensiewicz, who
absolutely wants his motifs to be universal.
Evidently, the work with the Polaroid envelopes tells us that the sensitive
surface of the Polaroid has registered the real (even if, in the
present case, this real is the painting photographed in the studio !),
and that the rest, the envelope of the photographic support, has
then become a support for painting. Once he’s got rid of the real
world, taken in charge by the numerous imitators of Niepce and
Daguerre, the painter puts his motifs on a black background : he
doesn’t write with the light, but on the contrary he takes some archetypal
forms out of the night. Here, in the series of the painted Polaroids,
as elsewhere, we discover images of thought ; despite their
relatively modest size, these appearences on a black background
suggest of course a night sky where some objects would move without
any gravity, a sky where a flat coloured cut-out makes our eye
hesitate : does this object exist on the background of a black sky, or
is it a hole in the matter of the sky ? Thus, it is the status itself of these
images or of these forms which is searched as an insistant question,
repeated over and over : what is an image ? must the image be
immediately clear ? what portion of the world does it refer to ? what
relationship does it have with its background, its context, and all the
other images of the world ?
In these series of mental landscapes – by mental I mean that Magritte’s
painting, for example, is a mental painting –, I’d like to investigate
now the ones untitled Tas (« Heap ») (2000-03). Out of very different
backgrounds from one painting to another, but where the colours
blue or purple are the more frequent, we see in the bottom part
emerge a kind of « heap » more or less geometrical, while the upper
part of the canvas is occupied by a cloud-lie which has different
contours and thickness. The heap, or the big heap, is of course and
before anything else a « heap of paint », which looks like it has been
« Neuf maisons » // 2003 // acrylique sur toile 195x195 cm