Piotr KLEMENSIEWICZ « nuance » - Galerie Mons

« Planévation n°1 » // 1992 // huile sur toile 195x130 cm
mentaires, sont rejetés vers la périphérie du tableau, lequel s’en trouve
paradoxalement « désencombré ». La région centrale est alors
occupée par une absence, un vide, qui est sans doute le lieu où
la peinture joue « à plein », où elle vibre le plus fortement, où elle se
révèle tout à fait comme peinture. Le fond devient la raison d’être
du tableau, dans son interaction avec tous ces objets centrifuges
qui le dégagent et fuient vers les marges pour l’offrir au regard – la
lettre K tronquée, un bout de maison, plusieurs fragments de petits
tableaux dans le tableau, quelques structures assemblées rappelant
les bois d’un châssis, parfois en bas de la toile une chaise vide
fait face à cet autre vide qui est un plein de peinture ; et puis souvent
une partie d’échelle apparaît, posée ailleurs, dans un autre
espace, ou bien nulle part. Cette échelle fait fréquemment partie
des objets qui « encombrent », mais aussi souvent elle est prise dans
le fond du tableau, comme on dit d’un bateau qu’il est pris dans
les glaces ; cette échelle, elle est figée dans la masse de la peinture
translucide, tel un insecte noyé dans le bloc d’ambre qui l’enferme
comme un cercueil tout en lui assurant un semblant d’immortalité.
Échelle fantôme, ombre d’échelle : l’objet disparaît dans la peinture,
le motif frôle l’invisibilité, le fond absorbe l’image qui s’y engloutit et
« désencombre » ainsi le tableau. C’est ce genre de lutte, toujours
indécise et sans cesse rejouée, qui donne aux tableaux de Piotr
Klemensiewicz leur dynamisme et leur envergure : sa peinture est
l’arène de tels combats, le lieu de disputes physiques et de solutions
de compromis, le théâtre d’attaques surprises et de cessez-le-feu
provisoires. Entre le fond et le motif, ainsi qu’on le constate dans
toutes les séries de l’artiste, mais aussi entre le devant et le derrière,
le centre et la périphérie, l’atelier et le monde, l’espace mental et
celui du tableau, la photographie et la peinture, le rebut et l’œuvre,
le sol et le mur. Par conséquent, ces combats ne se limitent pas
au seul champ clos de la peinture et de ses outils, ils ne renvoient
pas seulement à l’auto-référentialité du médium et au modernisme
comme attitude esthétique ; ils incluent l’ouverture au monde, une
physique des objets et une métaphysique de la pensée, une volonté
d’universalisme affichée en tant que telle, le désir de parler de soi
et des autres, de l’extérieur situable des paysages photographiques
et de l’intérieur méditatif de ce que j’appellerais volontiers les paysages
métaphysiques. Il y a là une vision du monde qui s’articule à
travers la peinture, non pas au sens désormais ancien de représentation
du monde par le biais du tableau, mais dans une pensée de
l’émergence de l’image, de son apparition et de son effacement.
On l’a dit, les éléments du vocabulaire pictural de Klemensiewicz
sont volontairement peu nombreux, mais leur combinatoire et leurs
variations quasiment illimitées. Il n’est qu’à regarder ses chaises ou
ses maisons, en apparence toutes identiques, en réalité chaque
fois différentes, pour se convaincre du désir de l’artiste de proposer
encore une fois la scène de la peinture comme lieu d’une énigme
sans réponse définitive et d’un corps à corps sans fin.
Marseille, 2007
vas an empty chair faces this other emptiness which is a fullness
of painting ; and frequently a part of a ladder appears, installed
elsewhere, in another space, or nowhere. This ladder is often one of
the objects which « congest », but as frequently it is absorbed by the
background of the painting, as a boat which is blocked in the ice ;
this ladder is stuck in the mass of the translucent paint, like an insect
drowned in the amber block which imprisons it as in a coffin while
giving it a sort of immortality.
Ghost ladder, shadow of a ladder : the object erases itself into the
paint, the motif is close to invisible, the background absorbs the
image which disappears into it and, so, disencumbers the canvas.
It is this kind of fight, always indecisive, and staged again and
again, which gives to Piotr Klemensiewicz’s painting its dynamic and
its span : his painting is the arena of such combats, the place of
physical quarrels and of provisional solutions, the theater of surprise
attacks and temporary truces. Between the background and the
motif, as we can see in all the artist series, but also between the front
and the rear, the center and the periphery, the studio and the world
at large, the mental space and that of the painting, photography
and painting, the refuse and the work of art, the ground and the
wall. Thus, these fights do not limit themselves to the closed territory
of painting and of its tools ; in other words, they do not consider
painting as the only possible subject of painting and modernism
as the only aesthetic horizon of art ; resolutely post-modern, they
include an opening on the world, a physics of the objects and a
metaphysics of the thought, a very strong will of universalism, the
desire to talk about oneself and the others, of the located outside of
photographic landscapes and, on the other hand, of the meditative
interior of what I would call the metaphysical landscapes. There
is in this painting a vision of the world, not in the now obsolete meaning
of a realistic representation of the world inside the painting,
but in a thought of the emergence of the image, its appearance
and its erasing. I have said it, the elements of Klemensiewicz pictural
vocabulary may be willingly limited, but their combinations and
their variations are nearly infinite. We just have to look at his chairs
or his houses, all apparently identical, in reality each different from
the other ones, to be convinced of the desire of the artist to propose
once again the stage of painting as the place of an enigma without
a definitive answer and of an endless clinch.
translated from the French by Brice Matthieussent