You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
50 chaoïd numéro 2 - hiver 2000<br />
marthe 50<br />
Marthe<br />
Marthe, c’est mon nom. C’est ainsi qu’il m’appelle. En souvenir peutêtre<br />
; de quoi ou de qui, je ne sais pas. Je n’ai jamais cherché à l’apprendre.<br />
Et puis, entre-temps, j’ai oublié le prénom que m’avaient<br />
donné mes parents. Je crois qu’il ne m’allait pas. Ou lui ne voulait pas<br />
qu’il m’aille. Je ne sais plus. Tant de choses me traversent que j’oublie<br />
désormais, mon corps ne retient plus rien, se fait transparent. Est-ce<br />
la raison pour laquelle il s’est mis à peindre des cercles ? Mon corps<br />
n’arrivait même plus à retenir son attention. Trop de courbes, de<br />
détails, mille caprices : un jour ça prend la lumière, un jour ça la rejette<br />
; des coins d’ombres sous les aisselles, au bord des paupières, des<br />
taches, œuvres de douleurs anciennes, deux ou trois rides naissantes,<br />
une peau qui ne capte du jour que ce qui l’émeut, devient terne et<br />
grise lorsque le temps change et tourne à l’orage, des aigreurs soudaines,<br />
des battements d’épiderme incontrôlés, l’angoisse terrible de<br />
l’âge - la fatigue.<br />
Je comprends qu’il en ait eu assez d’apprendre mon corps. A la fin<br />
c’est épuisant, infini. Rien n’est jamais sûr avec un corps, surtout<br />
celui de l’autre. Toujours recommencer, le par cœur n’existe pas pour<br />
la chair. On a beau tenter de recréer la même lumière que la veille,<br />
non, décidément, rien n’est pareil. Des détails, infimes, mais “qui<br />
changent tout “. Ce sont ses propres paroles. Je répète ces mots entendus<br />
chaque jour, toujours les mêmes, eux.<br />
Nous vivions en Normandie autrefois. Sur la côte. Puis brusquement<br />
- ou peut-être suite à des mois de réflexion : il ne s’en est<br />
jamais ouvert -, il a décidé de quitter les rivages de la Manche : il en<br />
avait par dessus la tête de ce ciel changeant, toujours en mouvement,<br />
chargé de nuages insaisissables, explosifs, lambeaux désolés de temps,<br />
qui “mangent mon espace”, enrageait-il. Impossibles à fixer. Trop...<br />
trop... ou pas assez. Alors, avec un modèle par dessus le marché, comment<br />
veux-tu que j’y arrive ? Non seulement les couleurs du ciel<br />
varient incessamment, mais celles de la mer, du sable, la forme de tes<br />
seins et puis l’éclat de ta peau qui n’est jamais le même - et tes cheveux<br />
! Ah, tes cheveux ! Un jour ils sont châtains, le lendemain<br />
blonds, roux à de certaines heures ! Jamais je n’y arriverai, jamais ! Il