Histoire(s) - FRAC Basse-Normandie

Histoire(s)
Hervé Leforestier, Thomas Ruff
La série comprends neuf Plakat (Affiche) réalisés par
Thomas Ruff entre 1997 et 1999.
Dans Plakat III, l’artiste tourne en dérision Helmut
Kohl, alors chancelier allemand pour avoir pris la décision
de déplacer le gouvernement de Bonn à Berlin.
Le 20 juin 1991, Berlin a été élue nouvelle capitale de
l’Allemagne unifiée, décision politique considérée par
certains comme véritable coup médiatique. Le déménagement
durera presque neuf ans et sera critiqué
pour son énorme coût financier.
Helmut Kohl est ici présenté à l’envers, la tête dans
un bâtiment de forme conique : la cathédrale Saint
Sébastien de Rio de Janeiro, au sommet de laquelle
prend place une composition panoramique constituée
de bâtiments. Certains d’entre eux sont des gratte-ciel
russes emblématiques de l’architecture du «gothique
stalinien» : le ministère Russe des affaires étrangères
dont la flèche a été supprimée ou l’immeuble d’habitation
Kotelnitcheskaïa situé sur la rive de la Laouza
à Moscou. On semble y reconnaître aussi la statue
de la liberté et un exemple d’architecture néo-classique
(Le Colisée américain ?). Ces lieux du pouvoir
(architectures staliniennes, américaines) sont tout
autant séparés géographiquement que politiquement
et évoquent la fracture Ouest/Est qui a pris sur le territoire
allemand d’après guerre une empreinte toute
particulière. La cathédrale de Rio (construite de 1964
à 1976) par Edgar de Oliveira da Fonseca, élève de Le
Corbusier est pour sa part un exemple du style dit
«brutaliste» de l’architecture moderne. On peut voir
dans le choix de cette architecture aussi bien un lien
avec les utopies des architectes modernes, que l’évocation
d’un autre déménagement, celui de la capitale
Brésilienne en 1960 de Rio vers Brasilia, à moins
que ce ne soit une proximité formelle avec la tour de
Babel. En haut, à l’envers, le paysage de Berlin en
construction permanente prend la place du ciel.
« Helmut Kohl Zieht in die neue Hauptstadt («Helmut
Kohl va dans la nouvelle capitale»), Helmut Kohl Zieht
um (« Helmut Kohl déménage ») : affichent triomphalement
non sans cynisme la banderole qui flotte dans
le ciel et le slogan de l’affiche.
Le texte est difficilement lisible, retourné évoquant
l’alphabet cyrillique et les typographies des affiches
de propagande soviétique que le format et le titre
évoquent sans détour. La critique est d’autant plus
grande que la volonté de symboliser la réunification
des deux Allemagnes et la victoire de l’Ouest par le
changement de capitale est ici associés aux procédés
de propagande des régimes de l’Est.
D’un Palkat à l’autre, Thomas Ruff utilise la langue du
pays qu’il a choisi d’évoquer, l’Allemand pour Plakat
III, le Chinois pour le massacre de Tian’anmen dans
Plakat II, le Français pour Plakat I et la décision de
Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires.
L’image, notamment lors de la seconde guerre mondiale
a été au cœur d’une stratégie de communication
visant à convaincre les masses, décuplée, placardée :
elle s’est exposée sur de très grands formats. Thomas
Ruff rappelle que « plus une image est grande, plus
elle impressionne et plus son endoctrinement est
efficace ». Pour l’artiste, ces affiches qui prennent la
forme d’une contre-propagande, « n’ont pas d’autre
intérêt que d’offrir une compilation des idées reçues
avec lesquelles on tente de façon plus ou moins grossière
et grotesque de manipuler les gens. »
source : Thomas Ruff, Subjective propaganda, entretien avec Catherine
Hürzeler Herzog dans «Parachute n°95».